jeudi 13 février 2025

Psychogeographie indoor (144)

 


« J 'aime vos seins, enfin, euh… surtout le gauche » (Christophe Bourseiller)


15 février 2024.Voile nuageux, douceur hors de saison (16°C). Le labeur n'est certainement pas une libération. Je parlerais plutôt d'une punition répétée. Car enfin, qu'avons-nous fait pour mériter d'être punis d'une façon aussi régulière et vicieuse ?

Sans envie, un peu des Cahiers de Cioran, une lettre de Flaubert, une autre de Manchette. Quelques lignes du vibrant Armel Guerne. Il est question de Kafka, de la trahison de Max Brod. Pour Guerne, le fait que l'œuvre de Kafka aurait dû disparaître borne les limites de celle-ci. C’est une hypothèse qui se tient, mais que l’on n'est pas forcément obligé de tamponner.

16 février 2024. Ciel couvert, douceur (16°C). Encore une journée gâchée par le labeur. Lectures. Deux pages d'Armel Guerne, rien de follement sautillant. Guerne parle de Novalis sans vraies boutades. Trois pages des Cahiers de Cioran, que je n'ai toujours pas finis. Emil est bien plus rigolo que son ami Guerne, enfin rigolo en creux. Une lettre de Flaubert…

17 février 2024.Temps maussade et vaguement doux (13°C). De nouveaux voisins qui emménagent et bien évidemment le pire est envisageable. En parlant de pire, lu deux courts textes de l'oiseau Beckett (un échassier). L'un, Premier amour, assez précoce – c'est la première production de Beckett en français –, l'autre, Cap au pire, plus tardif et écrit en anglais. Premier amour est une nouvelle sinistre et drôle, parfois même hilarante, où Beckett fait fi de la moindre convenance tout en cherchant un très haut degré de naïveté (il faut savoir se créer de la naïveté). Texte admirable où l'habitué des cimetières et bancs publics que je me trouve être aura trouvé de sombres échos. Cap au pire est certainement le texte le plus radical de Beckett. Radical dans le sens où tout y est pris à la racine, les mots sont arrachés, mâchés et remâchés, ingurgités jusqu'à ce que leur moindre sens ne soit plus qu'un jus, une chique qui distille une sorte de poison… Victime de tout ça, le lecteur ne peut être que saisi par des vertiges, une ivresse qui tourne au nauséeux. Pour tout dire, il voit un texte se dévorer lui-même, s'autodigérer pour ne laisser apparaître qu’un suc, une pourriture. Beckett invente l'autophagie littéraire et, forcément, c'est génial. (Oserais-je dire que l'expérience est un peu perturbante ?) Loin de tout ça, plus proche de la littérature grande presse, entamé Avec les fées du conservateur extrémiste de droite, fasciste et quasi nazi Sylvain Tesson. Bon, Ezra Pound peut dormir tranquille, Tesson est bien sage tant dans sa forme que dans ses idées. Son livre de navigation atlantique en milieu celte se laisse lire, mais mollement, très mollement… Rien (ou presque) : dégonflé, je m'allège, je suis ouvert à toute élévation.

18 février 2024.– Une certaine luminosité, mais gâchée (15°C). Dans le but d'une prochaine publication je corrige confusément mes épanchements diaristiques et je constate que, dans ceux-ci, je cite plus qu'à mon tour les Cahiers du danseur de tango roumain Cioran. Un procès est à craindre. Sur le front lectoral, tel l'ursidé à peine réveillé, hasardé mon museau dans mon semblant de jardin pour la première fois de l'année. Ma chaise de lecture était toujours là, mais l'expérience ne fut guère concluante. Moins de quarante minutes sous un ciel changeant et déjà des conversations téléphoniques impudiques (a priori, l'une de mes voisines ne souhaite pas être sexualisée. Je pense qu'il s'agit de la fille aux cheveux rouges du dernier étage), quelques aubades autotunées, en somme rien de vraiment sympathique. Résultat : un repli assez précoce vers mon petit intérieur et mon canapé où j'ai poursuivi mon affaire lectorale du moment, en l'occurrence la dernière production du fils Tesson. Rien de vraiment sympathique là non plus, c'est essentiellement bourru et emphatique, viril et tout juste correct. Il y a certes deux ou trois moments que je tamponne, une façon de ne pas être contemporain, de ne toucher à rien, de ne rien faire de plus que se laisser aller par ses pieds ou par la force du vent, mais l'essentiel, ce qui suture le livre, n'est pas concluant. Pour résumer, je dirai que la partie d'extrême droite mollement voyageuse n'est pas totalement nulle, mais que la partie nazie celtique n'apporte pas grand-chose à la graaande histoire de la littérature. Disons que c'est tout de même bien sage pour un pamphlet fascisant. Nicolás Gómez Dávila aurait fait mieux en trois lignes. Par ailleurs, disparition de Dmitry Markov, photographe qui aura certainement le mieux saisi la déglingue poutienne (avec des armes toutes simples : un iPhone, un compte Instagram et une humanité comme on en rencontre peu). Tout étant dans tout, il est mort le même jour qu'Alexeï Navalny, le principal opposant à Poutine.

19 février 2024.– Lumière sourde tapie sous les nuages, douceur sucrée, un peu mortelle. Tout cela bien loin des illuminations méditerranéennes, des bleus matissiens. Je suis maussade (14°C). Mes intuitions se confirment, mes nouveaux voisins sont des champions du claquage de porte et des décibels dissipés à qui mieux mieux. Mes velléités de troglodyte gymnosophiste s'en trouvent largement contrariées. Je vais devoir faire avec eux.

Lectures. Évidemment, lisant Tesson, me voilà rattrapé par mon amour de la géographie. Je retrouve des lieux jadis traversés par mon enveloppe corporelle et parfois par mon esprit. L'Irlande et ses microclimats, Galway et ses pubs, l'île de Skye et ses petites maisons en couleur, l'Écosse tout entière, Inverness et les lochs. Je suis aussi incité à vouloir traverser d'autres endroits qui n'ont pas encore eu l'honneur de ma visite : les îles de Man, les Shetlands… Pour ces raisons, des raisons liées à la topographie, le livre de Tesson aurait presque pu me convenir. (Le reste, le fatras autour des légendes celtiques, le style boy-scout et le côté allons-y Alonso me conviennent beaucoup moins.) D'un antimoderne à l'autre, j'effectue une sorte de grand écart assez souple qui me permet de passer de Tesson fils à Guy Debord. Du second, je relis Cette mauvaise réputation. Ce petit livre de règlement de comptes est toujours aussi réjouissant. On peut y voir Debord dézinguer tout à tour Serge Daney, Michel Crépu, Charles Dantzig, Philippe Sollers ou Gérard Guéguan (et sauver Arnaud Viviant). Le fond est assurément mégalomane, mais c'est comme toujours superbement écrit (on aimerait écrire comme Debord).

21 février 2024.– Temps nuageux et doux (15°C). Labeur, va-et-vient des voisins. Rien lu. Journée inutile. (Enfin pour l'instant, à 17 h 42.)

22 février 2024.– Ciel couvert, vent en rafales, petite pluie torve (12°C). Mon taux d'inspiration frôlant le létal, je m'excuse par avance de vous faire subir les lignes valétudinaires qui suivent. Largement croqué dans La Vie extraordinaire d'un homme ordinaire, livre où l'entité cool Paul Newman raconte sa vie avec moult détails. Rien de vraiment hautement littéraire dans tout ça, mais le bonhomme m'intrigue assez pour que je dépense quelques heures de mon temps de cerveau disponible avec lui. Bon, pour la salade éditoriale, c'est un bouquin construit à partir de discussions que Stewart Stern – ami de Newman et scénariste de La Fureur de vivreaura retravaillées dans le sens de la cohérence et de la linéarité biographique. Pour tout vous dire, j'ai lu de pires livres écrits au magnétophone, la salade est comestible, la sauce prend, et la parole de Newman est assez bien contrebalancée par l'intervention et les témoignages de quelques proches (Joanne Woodward, Elia Kazan, John Huston, Sidney Lumet, d'autres…). Je n'ai pour l'instant lu qu'une centaine de pages, mais elles m'ont permis de confirmer certaines intuitions que je ressentais à propos du bonhomme. Une sincérité palpable, une belle empathie (cette empathie que l'on retrouve dans ses propres réalisations), une façon de ne pas s'en faire que je tamponne tout à fait.

La vie de Newman semble tout d'abord couler dans une sorte de continuum joliment ordinaire. L'enfance d'un petit demi-juif dans une Amérique suburbaine, le collège, l'armée pendant la Seconde Guerre mondiale, les études, un mariage, un enfant, puis le continuum quitte le joliment ordinaire pour virer au cool. Newman devient acteur comme par hasard, presque accidentellement (c'était ça ou le sport). Quelques pièces de théâtre, un déménagement à New York, un an d'Actors Studio et de méthode Stanislavski, Hollywood, la découverte d'un certain magnétisme sexuel.

Rien à voir, tout du moins en termes de magnétisme sexuel, je lis les Commentaires sur la Société du spectacle de Guy Debord. (On n'est jamais aussi bien commenté que par soi-même.)

23 février 2024.– Des nuages (9°C). Labeur, encore, toujours… Deux pages de Debord, trois de Newman. L'un plus sexy que l'autre. Nouvelles acquisitions : Promenade dans un parc, DimensionsCalaferte, L'AncêtreJuan José Saer, Vie et mort de Guy DebordChristophe Bourseiller.

24 février 2024.– Quelques éclaircies, mais un temps de soleil disponible bien trop faible pour circonvenir nos besoins (11°C). Cette nuit, une sorte de fiesta furibarde dans ma rue. Au milieu des mélopées que j'ai devinées autotunées et des éclats de type « Nique sa mère, on s'en bat les couilles », impossible de trouver le sommeil. Il a fallu que j'élève ma belle voix de stentor pour que, sur les coups de quatre heures du matin, le calme revienne enfin dans le Landernau.

Après ces hostilités pour le moins festives, je n'ai dormi que trois heures et, ce matin, à mon vague réveil, j'ai dû subir une bonne petite crise de névralgie cervico-brachiale. J'ai, pour tout vous dire, bien du mal à tenir la mine avec laquelle j'écris les lignes faiblardes que vous êtes en train de lire. Bref, on ne va pas se plaindre, mais tout va mal.

Nonobstant ce qui précède, poursuivi La Vie extraordinaire d'un homme ordinaire de l'entité cool Newman Paul (soufrait-il de voisins encombrants et de névralgie cervico-brachiale ?). Newman et ses enfants (belles photos du clan), la mort de son fils Scott (par overdose, on imagine qu'il faisait souvent la fête), la politique et la trahison de Lyndon B. Johnson, une croisière croquignolette en Croatie avec Gore Vidal, son amour pour Joanne Woodward… Tout cela est certes très bien, mais on frôle parfois le ras de l'anecdote. On aurait aimé (enfin, j'aurais aimé) que Newman évoque un peu plus ses débuts de réalisateur, Rachel, Rachel et L'Influence des marguerites. Il le fait, un peu, mais pas assez. (Tout du moins, me semble-t-il.)

Grand retour du Monde : quand on supprime l'industrie, on supprime les ouvriers ; quand on industrialise l'agriculture, on supprime les paysans ; quand on supprime les paysans, on supprime un pays. Aujourd'hui, Emmanuel Macron avait ressorti sa chemise blanche et, devant les vaches et biquettes du Salon de l'Agriculture, il s'est pris plus que des œufs sur le coin du museau.

25 février 2024.– Temps nuageux et déprimant (11°C). Même si sur la fin il vire un poil au bancal pas vraiment peaufiné et au soupçon hagiographique, assez aimé le bouquin de Newman. Au-delà des anecdotes, de la vinaigrette philanthrope, des courses de grosses cylindrées et de l'alcoolisme embièré, il laisse deviner un type qui ne trichait pas trop avec les autres et encore moins avec lui-même, un type pas trop ramenard et foncièrement humain. En somme, le type que laissent deviner les trop rares films qu'il aura réalisés (Films que je place très haut dans mon petit panthéon cinématographique personnel). Newman derrière moi, failli poursuivre mes pérégrinations lectorales en enchaînant avec le lourd pavé Kafka de Reiner Stach. Finalement, cette somme biographique en deux volumes de plus de huit cents pages chacun attendra, je ne suis pas encore assez affûté pour m'attaquer à un tel massif. Pour patienter, je me contenterai du Vie et mort de Guy Debord du lymphatique triomphant Christophe Bourseiller. Tout de même quatre cents pages, mais le massif est plus jurassique… Lu trois chapitres après mon déjeuner qui s'est terminé de façon un peu tragique (pas de café, ma cafetière est tombée en panne). Le préambule est assez drôle. Bourseiller raconte un peu son enfance de lymphatique qui se sera politisé tout seul dans sa chambre. La suite – le vrai début de son entreprise biographique, l'enfance de Debord – n'offre rien de notable. Puis c'est la jeunesse du chef situ, le lettrisme et Saint-Germain-des-Prés. Pour l'instant, je n'apprends pas grand-chose de plus que ce que j'avais appris en lisant le Lipstick Traces de Greil Marcus. Cependant, je reste optimiste pour la suite et j'imagine que Bourseiller saura agiter de belles lanternes éclairantes dans les pages suivantes.

26 février 2024.– Ciel changeant, quelques belles soleillées (13°C). Cervicalgie tenace, taux d'inspiration faiblard. Ce matin, pour rester adhérent avec mes lectures, effectué une séance de psychogéographie dans les lieux affleurant mon modeste logis (où la lumière est toujours un peu basse). Au gré de ma courte dérive, me suis retrouvé dans ce parc où j'ai pris mes petites habitudes. Manque de pot, mon banc préféré, celui où j'aime poser mon modeste séant, avait presque totalement disparu ! En fait, il n'en restait plus que le squelette et aucune des lattes de bois. J’imagine qu'une rénovation est prévue (les rénovations nous tueront). Je me suis donc rabattu sur un autre banc. On ne m'y reprendra pas, celui-ci étant situé trop près des manèges et autres amusements pour mouflets et mouflettes, j'ai éprouvé bien du mal à trouver ne serait-ce qu'un semblant de concentration bien à même de soutenir ma modeste lecture. J'ai donc pris mes pénates et pris la direction du parc suivant tout en zigzaguant. Ce nouveau spot atteint, j'y ai dégotté un banc raisonnablement orienté et en tous les cas à l'abri des piaillements de la marmaille. Pour en revenir à ce qui devrait nous occuper vraiment – oui, je digresse un brin – c'est-à-dire la biographie de Guy Debord par Christophe Bourseiller, je ne peux que constater les limites de l'entreprise. L'opacité intime de Debord est telle que Bourseiller écrit davantage une histoire du situationnisme qu'une biographie collée aux basques du pape soulographe des dérives psychogéographiques.

Cet après-midi, lecture en toute quiétude, à l'abri entre les murs du cimetière. Continué le Debord de Bourseiller, parallèlement entamé Promenade dans un parc du Lyonnais Calaferte. S'agissant de ce recueil d'histoires courtes, on me parle de Kafka, j'ai plutôt pensé au Bernhard de L'Imitateur. Même esprit malaisant (et totalement raccord avec le lieu de ma lecture).

27 février 2024.– Bourrasques, petit air tempétueux (10°C). Enfant, j'étais un peu zinzin (je le suis toujours un peu). Ainsi, aux alentours de mes dix ans, il me prit l'idée pour le moins ludique de monter un orchestre de musique rock avec les peluches survivantes au tsunami de ma petite enfance. Malin comme j'étais (je le suis moins aujourd'hui), je baptisais bien vite mon ensemble musical d'un nom assez pindarique – imaginez les Rolling Lapnours ! – et le tour était joué. Bikini, le vieil ours brun au museau plein de paille, tambourinait, Barnabé, l'ours bleu électrique, tenait la guitare tandis que Bibo, le lapin – je me souviens encore de sa disparition dans un vide-ordures quelques années plus tard et j'en frémis encore – chantait et gambillait avec des inflexions pour le moins jaggériennes. Tout allait pour le mieux, mes Rolling Lapnours sautillaient à l'unisson, j'étais le seul maître de mon petit monde. L'année suivante, lassé par le rock’n’roll, je transformai ma petite troupe de peluches en un court aréopage de militants politiques. J'inventai pour elle un mouvement, le peluchisme, et un parti bien à même de propager la bonne parole, le PPL, le Parti des Peluches Libres. La doctrine de ce parti était un peu inquiétante, foncièrement anti-capitaliste, anti-impérialiste et anti-américaine. Mes peluches libres vivaient dans une contrée que j'avais réinventée, l'Atoll Bikini. Dans ce paradis collectiviste, il n'y avait plus de monnaie, le troc remplaçait les magasins et les voitures et autres véhicules motorisés étaient prohibés. L'ours Bikini et le lapin Bibo dirigeaient l'atoll après avoir été désignés par une sorte de conseil ouvrier révolutionnaire et tout semblait aller pour le mieux. En somme, j'avais inventé une contrée où d'ex-peluches rock star se seraient converties au marxisme-léninisme. En somme, j'avais inventé la Corée du Nord en mieux ! Vous avouerez que, comme je l’annonçais au début de ce petit texte faiblard, enfant, j’étais un peu zinzin… Tout cela pour vous dire que finalement, ce que j’aime le plus dans les débuts de Guy Debord, c’est le côté zinzin, les théories fumeuses (bien que parfois justes), le marxisme à la lorgnette, les exclusions, les « congrès » avec quatre personnes. Bref, des choses qu’un gamin de onze ans aurait pu inventer. Chez Debord, j’aime donc ça. J’aime aussi le côté margoulin, cette façon de savoir rester bourgeois tout en vivant aux crochets des autres (sa mère, Michèle Bernstein, Gérard Lebovici…). Quant au livre de Bourseiller, celui dont il devrait ici être question, il me convient parfaitement. La chronologie est respectée, tout est assez à sa place. Certaines choses que l’on connaissait sont rappelées et on en apprend d’autres. C’est vraiment pas mal, il y a du beau boulot de fait.

28 février 2024.Vent aigrelet (9°C). Une histoire assez torve de Calaferte. Nouvelle acquisition : Plaisir et lecture – José Cabanis.

29 février 2024. Beau temps frais (9°C). Le temps de soleil disponible enfle légèrement dans mon petit bout de jardin. Cet après-midi, après le labeur, j'ai même pu y effectuer un semblant de sieste qui m'aura certainement rechargé en vitamine D. Lu une histoire patibulaire de Calaferte. Rien d'autre.

1er mars 2024.Quasi beau temps (12°C). Un chapitre du Debord/Bourseiller (le compte bancaire russe de Guy-Ernest), deux pages de Calaferte (ça grince), trois lettres de Flaubert (qui enterre ses amis), quatre pages de l'ami Cioran (Cahiers que je n'ai toujours pas finis). Telles auront été mes lectures du jour. Rien (ou presque) :

La pluie pleut
le vent vente
l'eudémonologiste distribue du bonheur.

2 mars 2024. Temps maussade (14°C). Toujours plongé dans Vie et mort de Guy Debord de l'ami Bourseiller. Au risque de me répéter, c'est pour l'instant plus une histoire du situationnisme qu'une biographie de son supposé chef. Ses arpents un peu intimes, sa voix monocorde manquent un peu. L'ouvrage est certes assez bien réalisé ; l'apport de Debord et de sa petite bande aux folles journées de mai 1968 est, par exemple, rappelé avec moult détails. Mais pour tout dire, on se demande si Bourseiller n'est pas trop minutieux, trop scrupuleux, et on se demande même s'il ne bichonnerait pas un peu trop son affaire. On le préférait plus lymphatique, et sans dire qu'il n'aurait pas dû travailler son texte, on pourrait dire qu'il aurait dû moins le travailler et davantage le sentir (je sais, je suis paradoxal).

En complément, lu deux histoires de Calaferte. Rien de sautillant, je suis un peu dubitatif.

D'autre part, reçu le deuxième volume de mes considérations psychogéographiques d'intérieur que j'ai fait imprimer dans le but sournois de les diffuser en version tactile et, pour ainsi dire, palpable. Résultat : de nombreuses coquilles que je n'avais pas vues dans la version numérique. Là encore, il va falloir retravailler. Décidément, le travail nous en veut. Je préférerais un lymphatisme de bon aloi.

Du côté du Monde, ce drôle d'écho :

« Y'a pas la peine de s'emmerder. » – Emmanuel Macron

« Si nous sommes maîtres des mots que nous n'avons pas prononcés, nous devenons esclaves de ceux que nous avons laissé échapper. » – Winston Churchill.

3 mars 2024. Grand retour de l'hiver, froideur et même de la neige (3°C). Cervicalgie tenace, humeur maussade.

Bourseiller et bio Debord. Tout avançant et Mai 68 derrière nous, voilà le début d'une nouvelle décennie. L'Internationale situationniste s'autodissout, puis c'est la rencontre avec Gérard Lebovici, l'aventure des éditions Champ libre et les montagnes de mélancolie qui commencent à poindre sur l'horizon. C'est In girum imus nocte et consumimur igni, le plus beau film, et texte, de Debord. C'est la mort de Lebovici, abattu dans un parking, la dérive enivrée qui se transforme en polynévrite alcoolique, Arles (comme Van Gogh) et Bellevue-la-Montagne, l'inéluctable qui approche, qui est là, presque palpable.

Simple constat : finalement et après tout, Debord ne s'est jamais compromis avec le pire. Il n'a jamais été léniniste, stalinien, trotskiste, maoïste. Il n'a pas soutenu la Bande à Baader, les Brigades rouges et les mouvements de libération nationale. Disons qu'il aura su éviter les éléments spectaculaires et problématiques.

On peut penser ce que l'on veut de l’éthylique en chef Debord et de sa petite troupe de situs en goguette. Force est de constater que ces gens-là avaient le sens du dézingage. Pour preuve :

Aragon Louis – la gâteuse, renégat.
Buffet Bernard – affreux, image d'Épinal de la résignation.
Buñuel Luis – résigné stupide.
Cohn-Bendit Daniel – étudiant modérantiste.
Deleuze Gilles – argumentiste.
Duras Marguerite – tartine racornie de la déconfiture actuelle du milieu littéraire moderniste, jobarde, déchet.
Gagarine Youri – cosmonaute bureaucrate.
Glucksmann André – minus.
Godard Jean-Luc – enfant de Mao et du Coca-Cola, le plus con des Suisses pro-chinois.
Grass Günther – écrivain engagé, jobard social-démocrate.
Le Clézio J.-M. – figurant du décor des vacances.
Malraux André – épicerie fine esthétique, triste auteur, homme d'État.
Maspéro François – stalino-castriste, bureaucrate, con stalinien, maspérisateur.
Molotov – bureaucrate et cocktail.
Morin Edgar – louche, mauvaise foi, hostilité miséreuse, imbécilité artistique, argumentiste, planétiste, terriblement médiocre, versaillais de la culture.
Pauwels Louis – arriviste occulte, ordure.
Proudhon Pierre-Joseph – partisan de l'ordre, arriéré.
Robbe-Grillet Alain – image d'Épinal de la résignation, crétin, notable quantité d'importance nulle.
Russell Bertrand – particulièrement débile et superficiel.
Sartre Jean-Paul – bête, menteur, imbécile, marchandise avariée, charogne avancée, nullité, inqualifiable.
Trotsky Léon – homme d'État, salaud et imbécile.
Vidal-Naquet Pierre – pédant, néo-stalinien.
Vergès Jacques – stalinien, pro-chinois, islamisé sous le nom de Mourad, RÉPUGNANT.

(L'Internationale situationniste : Protagonistes, chronologie, bibliographie [avec un index des noms insultés] – Jean-Jacques Raspaud et Jean-Pierre Voyer)

4 mars 2024.– Large couverture nuageuse (9°C). Achevé la lecture du Debord/Bourseiller. Moins la politique est présente, plus l'intime se fait saillant. Debord est finalement un homme d'une autre époque, un bel esprit au style de vie aristocratique, un dandy qui ne touche jamais un téléphone, qui répugne à palper de l'argent, qui ne s'occupe absolument pas de l'entretien de ses maisons. En somme, un (anti)moderne profondément inclassable, un homme bien plus subtil qu'un militant, bien plus sautillant qu'un sectateur de concept. En tout cas, c'est cet homme-là qui transparaît dans les dernières pages du bouquin de Bourseiller et certainement pas le théoricien austère. Disons qu'il y a aussi une certaine émotion.

En complément et histoire de rester encore un peu avec Debord, lu ses Commentaires sur la Société du spectacle. C'est une sorte de notice explicative du spectaculaire intégré, cette nouvelle forme plus que moins néolibérale qui aura remplacé les deux autres formes de spectaculaire : le diffus (capitaliste) et le concentré (collectiviste). Le progressisme de nos temps étant ce qu'il est, c'est aujourd'hui un livre que d'aucuns pourraient trouver vaguement complotiste et confusément réactionnaire. Il n'en est rien, ou alors ce n'est pas si grave que ça. Ce qui compte ici, c'est le constat, résigné et mélancolique, de l'étendue des dégâts.

Les génuflexions devant le savoir absolu de l'informatique naissante tandis que ses contempteurs ignorent la lecture (qui exige un véritable jugement à toutes les lignes), la connaissance historique qui disparaît, l'ignorance organisée, le faux qui forme le goût, la conversation presque morte et la mort prochaine de ceux qui savaient parler. On a le droit de penser que, sur tous ces sujets, Debord avait raison avant l'heure légale. On a aussi le droit de penser que le progressisme a tort, puisqu'il est devenu l'un des éléments du désastre.

Rien à voir, ou presque. Court retour dans Les Mémorables de Maurice Martin du Gard. Beau portrait d'Eugène Marsan. La gentillesse même, ce qui ne lasse pas d'étonner pour un aussi grand zélateur de Charles Maurras.

5 mars 2024.– Une éclaircie trop tardive (9°C). Quelques soucis domestiques… enfin, plutôt quelques soucis de voisinage… Le voisin nous en veut.

Commentaires sur la société du spectacle : au milieu du flux débordien, quelques belles intuitions, et puis cette citation d'Arthur Cravan : « Dans la rue, on ne verra bientôt plus que des artistes, et on aura toutes les peines du monde à trouver un homme. »

Tout étant dans tout et tout formant parfois un drôle d'écho, je poursuis ma dérive lectorale en retournant dans les Exorcismes spirituels de Philippe Muray. (Muray n'est certes pas vraiment débordien, ou même pas du tout, mais la citation de Cravan aurait pu être de lui.)

Belles pages sur Soutine, qui peignait comme « on en vient aux mains », ses exagérations, ses grossissements qui le font passer du côté du « je », du côté de la littérature, du côté de Céline. Voilà Louis-Ferdinand Soutine !

Un beau dézinguage du cinéma pelucheux animaliste, Le Grand Bleu, L’Ours et Max mon amour. Papier réjouissant initialement paru dans Globe, l'organe officiel du mitterrandisme.



To be continued.



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