« Revois deux fois pour voir juste ; ne vois qu’une fois pour voir beau. » (Henri-Frédéric Amiel - Journal intime)
11 septembre 2023.- Le ciel se couvre, la chaleur stagne (33°C). Hier, long barbecue tout autant dominical que viriliste. Je risque certainement la relégation, une Kolyma végétaliste, je m'en fiche. Lu Éloge de rien (dédié à personne), un très court opuscule réédité par la maison Allia. L'auteur est censément anonyme, mais il s'agit en fait de Louis Coquelet, un olibrius dix-septièmiste qui œuvrait dans le genre burlesque. On lui doit également une Critique de la charlatanerie, un Éloge de la goutte et un autre des Femmes méchantes, ce qui pose son olibrius. Sa petite affaire consacrée au rien sautille parfaitement dans un élan léger qui n'exclut cependant pas une certaine métaphysique : « Qu'y a-t-il eu de toute éternité avec Dieu ? Rien. Tout a commencé par Rien, et Rien n'a jamais eu de commencement. Si on considère l'excellence de Rien, elle est admirable ; Rien, aussi bien que la Divinité, ne se peut définir que par lui-même. Qu'est-ce que Rien ? C'est Rien. Comme elle, Rien est immense, incommensurable, et s'étend au-delà de toutes choses. Rien est immuable et indivisible. On ne saurait l'augmenter ni le diminuer. Ajoutez Rien à Rien, cela fait toujours Rien. Ôtez Rien de Rien, il reste toujours Rien. Rien ne vient de Personne, et tout ce que nous voyons dans la nature vient de Rien. Ce soleil si lumineux, ces astres si brillants, ces charmantes fontaines, ces prairies si riantes, ces plaines si agréablement diversifiées, ces lacs, ces mers, ces montagnes, ces mines si précieuses qu'elles cachent, tout cela a été fait de Rien ». Moins dix-septièmiste, plus étasunien, L'Étoile du désert, le nouveau roman de Michael Connelly. Vingt-septième apparition de Hieronymus “Harry” Bosch, et on pourrait se dire que cela fait un peu trop, que Connelly devrait savoir lâcher son héros. Il n'en est rien, sa petite entreprise fonctionne toujours aussi bien et au bout de dix pages de léger doute et de méfiance relative, c'est reparti pour de la précision géographique, pour des pages entières consacrées aux nouvelles techniques d'investigation scientifique. Bref, tout roule presque parfaitement et c'est toujours aussi bien.
12 septembre 2023.- On annonce quelques chutes de pluie (32°C). Des noms de rues, de boulevards, de places, d'autoroutes, de centres commerciaux, d'aéroports. Des marques de voitures, une étiquette de Pinot Noir, le fonctionnement du système de santé de la marine américaine. Les livres de meurtres, les détails concernant la collecte de l'ADN, la génétique et la généalogie. La procédure judiciaire disséquée et expliquée… Chez Connelly, ce sont les informations accolées de la façon la plus professionnelle possible qui forment le récit. Rien de plus normal pour un ancien journaliste. Au milieu de cette somme d’informations, un peu de mélancolie : Harry Bosch vieillit.
14 septembre 2023.- Éclaircies (24°C). Labeur, fatigue. Connelly : deux chapitres. Cioran, Cahiers : une page. Nothing else.
15 septembre 2023.- Ciel dégagé (29°C). Lever 5h00. Labeur (toujours aussi saumâtre). Sieste. Les voisines repointant le bout de leur nez poudré, conditions lectorales quasi impossibles. Ça papote, ça papote ! Malgré tout, deux chapitres de Connelly. Vous savez, le finaliste du prix Pulitzer 1986.
16 septembre 2023.- Ciel changeant (25°C). Inspiration en berne, élan mou, aucune velléité, je m'absente, et ce vague journal en est la preuve quotidienne.
Restent les livres, un peu, vaguement… Tiens, Connelly téléporte la fin de son nouvel opus dans l'archipel des Keys. Cela nous vaut quelques belles pages de littérature Google Maps (c'est un compliment). Sont évoqués l'Overseas Highway, Key Largo et Key West (l'une des villégiatures du père Hemingway). En dehors de la géographie satellitaire, une belle inquiétude : Harry Bosch va-t-il disparaître corps et biens ? Connelly saura-t-il s'en débarrasser, tel Conan Doyle jetant son héros dans les chutes de Reichenbach ?
17 septembre 2023.- Vent tiède, orages en amorce (31°C). Connelly, belle fin mélancolante… Plus chantourné Chamfort et la société. Toute une histoire : « La Société, ce qu’on appelle le Monde, n’est que la lutte de mille petits intérêts opposés, une lutte éternelle de toutes les vanités qui se croisent, se choquent, tour à tour blessées, humiliées l’une par l’autre, qui expient le lendemain, dans le dégoût d’une défaite, le triomphe de la veille. »
Je fais mes valises. Demain, départ pour Hyères et la Presqu'île de Giens où la météo s'annonce malheureusement problématique.
24 septembre 2023.- Beau temps un peu frais (20°C). Retour de Giens. Villégiature agréable en bord de tombolo. Un jour de vraie pluie qui m'aura permis de visiter la vieille ville d'Hyères et les jardins de la Villa Noailles. Pour le reste, la météo aidant, d'amples randonnées sur les sentiers du littoral. Ils sont parfois périlleux, mais laissent de temps à autre deviner des paysages à couper le souffle. (Rentrée littéraire.) L’Échiquier de Jean-Philippe Toussaint. Comment caser sa vie dans la contrainte, ou plus précisément, comment faire entrer son autobiographie, ses jeunes années, la crise du Covid et le confinement dans les 64 cases d'un échiquier. Drôle d'idée où Toussaint donne l'impression de vouloir tailler la barbiche de Perec avec une lame imperceptiblement modianesque. C'est au cordeau, mais pour tout dire finalement trop désincarné, comme si sans les petits pans lactescents de la fiction Toussaint ne nous montrait plus qu'un moi cardinal flottant au milieu d'un monde frisquet et sans chair. (Une pièce d'échec sur une case d'échiquier ?)
25 septembre 2023.- Tiédeur modérée, soleil trop bas, charme des demi-saisons (23°C). Toussaint. Ce qui sonne artiste, ce qui voudrait prendre forme, les cases d'échiquier en autant de petits chapitres, tout cela me semble froid et plaqué. Le reste, ce qui est dans le cadre, ce qui relève du témoignage, les affaires de famille et les souvenirs qui remontent, est nettement plus chaud et pourrait tenir tout seul. En somme, la forme toussaintienne barbifie élégamment un fond souvent émouvant.
P.-S. Et comme de bien entendu, aux alentours de la page 140, dans un très beau passage qui rappelle ce qu'est vraiment la littérature, Toussaint vient de rabattre mon dubitatif caquet. Voilà l'un des charmes du read in progress.
Fais un grand tour de vélo avec ma voisine de droite qui est finalement plus jolie que pénible.
26 septembre 2023.- Le soleil passe sous les frondaisons (23°C). Fini le Toussaint. Trop de confinement, pas assez de Gilles Andruet… Commencé Cœurs solitaires de John Harvey. Polar gris et social. Tout à fait britannique. Rien (ou presque) : drôle de paradoxe. C'est l'ennui, le manque de variation, qui font passer les jours plus vite. Tout cela fuit.
28 septembre 2023.- Été indien (28°C). Labeur toujours assomant. Court retour dans le Journal de Bernard Delvaille. Nothing else.
29 septembre 2023.- Ciel couvert (26°C). Labeur. Sieste sous le blitz des moustiques tigres. Un chapitre de mon polar britannique entamé il y a deux trois jours. Travaillé ma psychogeographie en intérieur…
30 septembre 2023.- Soleil voilé et trop bas. Tellement bas qu'il doit bien générer des rayons inutiles (24°C). Je suis dans une forme molle et légumineuse. De surcroît, je me donne l'impression de flotter au-dessus de moi-même. Drôle de tableau. Sinon, le polar de John Harvey n'est pas si mal que ça. Il est lui aussi un peu mou et légumineux, comme peuvent l'être certaines séries britanniques (Happy Valley, par exemple). Pour vous donner une petite idée du ton employé et d'un certain humour en sourdine, voilà le genre de choses que l'on peut y lire : « Elle vivait à présent dans un HLM du quartier d’Old Lace Market, en concubinage avec un cycliste professionnel qui passait le plus clair de son temps à pédaler dans les Alpes et l’essentiel de ses loisirs à se raser les jambes pour éliminer la résistance au vent. Au moins disposait-elle d’assez d’espace. »
1er octobre 2023.- Still Indian summer (24°C). Finalement le Cœurs solitaires de John Harvey me tombe assez des mains. Ça voudrait s'attacher à l'humain, ça s'y attache trop… Certainement pour tenter de faire oublier une intrigue mal fagotée. Rien de retors dans le bon sens, aucune précision horlogère, nous sommes loin du roman procédural à l'américaine. Michael Connelly, par exemple, qui, lui, sait combiner les deux, la patte humaine et le savoir-faire… (Mon humeur un brin maussade et mon entrain modéré face à toutes choses biaisent certainement mon avis. C'est la saison qui est en cause.)
2 octobre 2023.- Quasi tiédeur, du vent (29°C). (Hier soir.) À la radio, Masque et la Plume consacré à l'actualité littéraire. Oh ! rassurez-vous, rien de vraiment violent. On y a fait, comme de bien entendu, un éloge mou et très appuyé des divers ouvrages évoqués. Le présentateur s'est seulement un peu offusqué que l'on puisse penser un instant que l'hétérosexualité soit la norme de quelque chose (un avis qui aurait tout de même mérité un petit débat où les deux gueuses, physiologie et sociologie, auraient fait les malines). Bref, des avis bourgeois, bien peignés dans le sens de l'époque. Des avis qui, pour tout vous dire, manquaient cruellement de hululements et de la plus élémentaire naïveté… En attendant, l'inflation enfle, il n'y a plus de transgression nulle part, et j'ai mal à ma gauche modérée. (Midi.) Sur France Culture, il est question de poésie. L'une des deux demi-moustachues de CocoRosie parle couteau à beurre pendant vingt minutes, puis elle enchaîne par un éloge de Fifi Brindacier, ce « personnage punk plus fort que les flics ». (Après-midi.) Le soleil d'octobre étant ce qu'il est, mon semblant de jardin se trouve plongé dans une ombre plus que prononcée. Tout cela n'incite pas vraiment à la pratique de la lecture en extérieur, et c'est pourquoi cet après-midi je me suis téléporté vers un lieu plus lumineux, tout au moins semi-ombragé. Je veux parler du cimetière qui se trouve à moins de quatre cents mètres de chez moi. En cette saison (et même en hiver), c'est un lieu idéal pour la lecture. On n'y est pas dérangé par les locataires. On en visite certains et même de très chers. Après avoir visité mes morts, j'ai donc entamé la lecture de L'Heure du Roi, œuvre d’un certain Boris Khazanov. Ce petit livre culte récupéré dans une boîte à livres du Massif des Bauges me semble pour l'instant tout à fait concluant. Écrit par un dissident antisoviétique, il déroule une parabole assez futée sur le nazisme, le royaume du Danemark et, plus généralement, le totalitarisme. Bref, c'est lourd-léger.
3 octobre 2023.- Quelques nuages en amorce (27°C). Acquis quelques plantes d'intérieur. Il faudra bien passer l'hiver dans un semblant de verdure. L'Heure du Roi de Boris Khazanov. Qu'est-ce qu'être libre ? Quelle est la valeur d'un geste ? (Il peut être symbolique.) Comment, en quelques minutes, une action héroïque peut engendrer une répression encore plus féroce (ici le port de l'étoile jaune par un roi d'opérette). Beau texte, parfois un peu embrouillé, finalement plus philosophique que parabolique… Curieusement, les lexèmes et morphèmes de Khazanov m'ont rappelé les Moralités légendaires de Laforgue (même si cela n'a strictement, ou presque, rien à voir). Pour faire bonne mesure, dix pages du Journal de Bernard Delvaille. Toujours très à mon goût.
4 octobre 2023.- Nuages (19°C). Je vais faire la vaisselle, je vais me laver les dents, je vais pisser, je vais défaire mon lit, je vais me coucher, je vais dormir, je vais faire des rêves, je vais me réveiller, je vais pisser, je vais me laver les dents, je vais me doucher, je vais boire un mauvais thé, je vais mettre mes chaussures, je vais prendre le bus, je vais travailler, je vais déjeuner, je vais pisser, je vais reprendre le bus, je vais quitter mes chaussures, je vais faire la sieste, je vais faire mon lit, je vais lire quelques pages d'un esthète français, je vais regarder un épisode de la série NCIS, je vais évacuer mon déjeuner, je vais regarder le plafond, je vais écrire deux idioties sur Internet, je vais pisser, je vais souper, je vais faire la vaisselle, je vais me laver les dents, je vais pisser… Je ne vis pas trop, je pisse beaucoup.
6 octobre 2023. – Matinée un peu fraîche, plus de douceur par la suite (5°C -> 23°C). Le soleil est trop bas, je me replie vers l'intérieur. Mon hibernation est certes précoce, mais j'ai froid aux pieds, que voulez-vous ! Encore dans le Journal de Bernard Delvaille. Commencé Mauvais genre, un livre d'entretiens avec François Nourissier. J'aime assez les livres d'entretiens, j'aime bien Nourissier, son côté chien triste et pipe mouillée.
7 octobre 2023. – Ciel dégagé, douceur amniotique (23°C). Mon intérieur trop frisquet, mon semblant de jardin trop à l'ombre, j'ai pris la décision de poursuivre mes activités lectorales dans le large horizon de l'outdoor. Ainsi cet après-midi, j'ai un peu flâné dans le Mauvais genre de Nourissier, assis sur un banc ensoleillé à droite de la première église venant sur mes pas. Belle tiédeur et belle vue sur la Métropole en contrebas. Jolis souvenirs aussi. Ceux de Nourissier. Son enfance floue, son adolescence sous l'occupation allemande. Drôle d'époque, le très peu de vrais résistants, mais aussi le très peu de vrais collaborateurs. Une population qui, pour Nourissier, subissait plutôt les choses, sans ostentation et avec une certaine résignation : « À leur façon, ils ont été bien. Si la passivité était une résistance, les Français ont été résistants. Si c'était une action, une prise de risque majeure, ils l'étaient moins. » La jeunesse, l'occupation puis la libération. Les très nombreux résistants de la vingt-cinquième heure, une certaine veulerie à se voir du côté des vainqueurs. Nourissier est un peu sur les barricades, puis il se découvre une vocation. Il sera écrivain (écrivain et pas romancier, romancier c'est autre chose). Tout cela est très bien raconté, passe par les biais d'une parole qui n'achoppe pas vraiment et pourrait même être captivant par instants. Aucune nostalgie, un ton confortable, rien à redire…
Grande offensive du Monde. Le Hamas attaque Israël, on imagine les conséquences. L'effet domino de tout ça.
8 octobre 2023. – Still Indian summer (25°C). Attaques en Israël, plus de sept cents morts… Il y a des jours où mon philosémitisme — déjà bien présent — enfle. Comme tout est dans tout dans ses entretiens, Nourissier se souvient que l'antisémitisme sera passé de la droite à la gauche au mitan des années cinquante. Déjà cette histoire de cause palestinienne.
9 octobre 2023.- Soleil (29°C). Désolation moyenne orientale. Rien lu.
10 octobre 2023. – Last Indian summer days (27°C). Le but de ma journée ? Trouver un lieu, un banc public, pour poser mon séant face au soleil, voire face au demi-soleil. Mission accomplie pour ce matin où j'ai trouvé mon bonheur dans un parc quasi déserté de toute présence humaine. (Deux joggeurs, trois retraités, une jeune Ukrainienne et sa mouflette.) Mission accomplie pour cet après-midi aussi. (Sur un banc plus isolé et surplombant le confluent et la métropole.) Le soleil était bien là, et j'ai même dû m'en cacher un peu, car au bout d'un certain temps, voyez-vous, je rosissais plus que de raison. Bon, voilà pour la météo, les conditions lectorales…
Pour ce qui est de ce que j'ai lu, je suis toujours dans le Mauvais genre de Nourissier. Bouquin presque passionnant, tranquille, modéré et au ton jamais touché par une quelconque inquiétude bourgeoise… Le pensionnaire de l'Académie Goncourt se souvient joliment d'Aragon, de son homosexualité qui revient après la mort d'Elsa, de ses engagements douteux qui finiront par fluer du bon côté (celui de la dissidence et de la critique du stalinisme). Il y a aussi les acrobaties de Roger Vailland. Cette façon de vouloir concilier un style hussard et droitard avec une idéologie de l'autre bord. Vailland y parviendra, puis via le libertinage, il finira par retomber du côté droit.
Pour le reste, Nourissier lit allongé sur un canapé au risque de glisser vers le sommeil à la moindre défaillance d'attention. Gageons qu'il n'écrivait pas couché… Tout étant dans tout (je me répète), ces lignes qui formeront un drôle d'écho avec quelques événements tragiques récents : « Mais Aragon ne restait pas inerte face aux mots d'ordre communistes. Je me souviens qu'au moment d'une exaspération du conflit entre Israël et les pays arabes, il m'a dit un jour triomphant : “Je les tiens, j'ai une citation de Lénine. "La terre appartient à ceux qui la travaillent.” En Palestine, ce sont les Juifs qui ont travaillé la terre, donc ils sont chez eux.” »
11 octobre 2023. – Le soleil est toujours là (27°C). Labeur, douleurs dorsales, le train-train. Lu deux pages de Delvaille. Conditions lectorales quasi impossibles : un chantier à droite, un chantier à gauche, l'incessant caquetage du voisinage, une enceinte connectée, le pompon.
Israël, terrible bilan des attaques.
12 octobre 2023. – Le ciel se couvre (25°C). Vacarme du voisinage, lecture impossible.
Rentrée littéraire, nouvelles acquisitions : Les Naufragés du Wager - David Grann, La Danseuse - Patrick Modiano, Samsara - Patrick Deville.
13 octobre 2023. – Du vent (25°C). Le conflit entre les trucideurs du Hamas et Israël s'intensifie. En France, un professeur est assassiné. Parfois, on ne se croirait pas en enfer, on y est.
14 octobre 2023. – Deux averses, appétence automnale (22°C). Le professeur assassiné hier à Arras était agrégé de lettres et spécialiste de Julien Gracq. Rien pour mériter d'être égorgé par un abruti. Fini Mauvais genre de Nourissier. Bel exemple de civilisation feutrée. L’académicien Goncourt se défend d'être bourgeois avec des arguments que l'on pourrait trouver tout à fait pertinents. Il y a des passages pleins d’une demi-ironie où affleure le tordant. Celui-ci, par exemple : « La création littéraire est chose sérieuse et il faut la traiter sérieusement. Le piège est dans l'excès, dans une sorte de solennité, ou d'emphase, qui a parfois affecté les écrivains, surtout au XIXe siècle et au début de celui-ci. Il y a un équilibre à trouver entre la glorification de soi et la dérision de soi. Bien entendu, l'excès peut se manifester de diverses façons. Les photographies avec visage torturé, rides graves, noblesse négligente sont à proscrire ; je n'aime guère non plus les auteurs qui retirent leur cravate pour une émission de télévision, ou qui se décoiffent trop savamment… Mais je n'aime pas davantage ceux qui parlent de leur travail comme d'un petit commerce innocent. Il faut essayer d'occuper la surface et le volume qu'on peut occuper – pas plus, mais pas moins, et dans le ton juste. »
Entamé La Danseuse, nouveau court roman de Modiano (on frôle la novella). Toujours très beau, toujours sur le motif (le motif, c'est la mémoire). Néanmoins – sacrilège ! –, on s'ennuie un peu… Par ailleurs, chapardé le Dictionnaire amoureux des écrivains vivants démoulé par l'ex-toxicomane Beigbeder… J'ai pour ce dernier -– qui n'est pas un sphinx – une sympathie pour ainsi dire inavouable. Rien de vraiment pénétrant dans son petit pavé, mais un projet qui vaut quand même pour ce qu'il vaut. Il recense pas loin de trois cents écrivains français vivants, cela me semble beaucoup.
15 octobre 2023. – Ciel à moitié nuageux, soleil trop bas (16°C). Ce matin, cassé ma chaîne de vélo. Mon petit tour quotidien s'est donc terminé de façon problématique et pédestre. Il y a de pires fiascos, mais ce fut tout de même une petite tragédie. Dans l'élan, fini La Danseuse de Modiano. Quelques pages magnifiques — la place de la Concorde vue comme une grande clairière, une esplanade de bord de mer, les Champs-Élysées en grande avenue forestière —, mais de l'ennui aussi. Peut-être faudrait-il que Modiano sache, si ce n'est fuir son motif, du moins changer un peu sa forme, que sa brume mémorielle s'attaque vraiment à lui-même, qu'elle verse dans l'autobiographique prononcé. Bref, qu'il enlève un peu sa cape de mystère. Autrement, le Dictionnaire de Beigbeder a tout de même un mérite : il fait l'inventaire. (Sur Modiano, je me trompe sûrement)
16 octobre 2023. – Le soleil descend, la fraîcheur monte, l'automne avance (14°C). Ce matin, picoré tous azimuts… Dans La Chose écrite du bougon en chef Dutourd, qui m'a donné des envies de Comtesse de Ségur ; dans le Dictionnaire amoureux de Beigbeder, qui n'est pas si mal et qui, lui, m'a donné de curieuses envies de Claire Castillon (j'y ai aussi repéré Matthieu de Boisséson). Cet après-midi, devant l'avancée des travaux du voisinage, j'ai un peu fait ce que font les Palestiniens devant les forces israéliennes : je me suis replié vers un lieu plus calme. En l'occurrence, un parc public et un banc sur lequel j'ai poursuivi la lecture du Journal de Bernard Delvaille. C'est toujours aussi bien, hautement civilisé et loin des égorgements divers et variés, certainement un peu chochotte, mais en bien, en très bien voyez-vous.
17 octobre 2023. - Ciel se couvrant (21°C). Journée essentiellement consacrée à des problèmes de maintenance. Visite médicale et réparation de mon vélocipède. Ce dernier devrait aller relativement bien. Pour ce qui est de mon auguste personne, c'est un tout petit peu plus problématique. Il va falloir que je me fasse opérer, rien de vraiment grave, mais bon, la chirurgie subie n'est jamais un exercice très amusant. Entre ces deux problèmes de maintenance, tout de même trouvé le temps de m’asseoir sur un banc avec le Journal de l'ami Delvaille. Rien de vraiment mécanique, rien de vraiment médical non plus. Tout juste un peu de mécanique plaquée sur du vivant et quelques problèmes de physiologie. Delvaille raconte un voyage à Hambourg. La drague dans les buissons, une nuit de débauche où il se retrouve avec le pantalon taché : « La nuit a été de sperme et de seringas. » Quelques pages plus loin, il éprouve une certaine angoisse à vouloir dévoiler une part trop intime de lui-même. Ce voyage à Hambourg, par exemple… Encore quelques entrées du dico Beigbeder, pas vraiment totalement mauvaises…
18 octobre 2023. - Pluie diluvienne (21°C). Labeur, fatigue, rien lu… Hier, mort de Carla Bley, cheftaine de clique brinquebalante. Aujourd'hui, mort de Dwight Twilley, petit prince power pop. Tout s'en va…
To be continued.
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