samedi 4 septembre 2021

Psychogeographie indoor (110)

 












« Tu verras, je hurlerai dans les rues. Je veux devenir bien fou de rage. Ne me montre jamais de bijoux, je ramperais et me tordrais sur le tapis. Ma richesse, je la voudrais tachée de sang partout. Jamais je ne travaillerai... »  (AR, Une saison en enfer)


1.


15 mars 2021.- Temps à demi venteux (8°C). Après deux mois de convalescence retour vers les mornes vicissitudes du labeur. Résultat : je suis épuisé, la maladie est mieux. Malgré tout ça, lu une page joliment emberlificotée de l’animal Laforgue.

17 mars 2021.- Fraîcheur patibulaire, mornes giboulées (7°C). Cervicalgie, dorsalgie, lombalgie, gonalgie, je ne suis plus qu’une somme de douleurs. Merci le labeur et vive le trepalium. Nonobstant petit tour chez Valéry (Paul), moins fatigué, lui : « il y a une douleur seconde que cause la douleur et qui est celle de l’inutilité de cette dissipation. »

18 mars 2021.- Ciel changeant (7°C). Rouvert le Journal Inutile du vieux Morand. Trois pages vitrioliques auront suffi pour m’épuiser. Je n’ai pas de vrais embarras avec les sales types, surtout lorsqu’ils écrivent, mais bon là hein quoi !

19 mars 20210.- Du bleu, mais bon (7°C). Le ciel est dégagé, je suis nuageux, presque épuisé, sans envie et sans le moindre élan.

Dans l’une de ses chroniques Bernard Frank rappelle que Jean Cocteau n’aura finalement pas joué judicieusement de son entregent pour sauver Max Jacob de la déportation. Une lettre frileuse envoyée à l'ambassade d'Allemagne alors qu’un simple coup de fil à son copain Otto Abtez aurait été bien plus efficace, c’était bien mal joué.
Entamé une chose de John Grisham, Les Oubliés. Aucune entorse du cogito en perspective.

20 mars 2021.- Vent glacial (7°C). Le roman de Grisham, est bien foutu et ne concède qu’à l’efficacité, c’est déjà ça. Léger retour dans les chroniques d’un Renaud Matignon, qui me donnerait presque l’envie de lire Françoise Mallet-Joris, c’est dire s’il a du talent (et moi des a priori). Sinon, pour le reste, le mood est fluctuant et j’ai froid aux pieds.

21 mars 2021.- Still wind, still freshness (8°C). Gloomy times, gloomy mood. Always immersed in Grisham efficiency. Time passes, life too.

22 mars 2021.- Toujours ce vent froid, c’est dommage le ciel est bleu (9°C). L’homme et l’œuvre. Exemple, typique, symptomatique, Morand. On ne peut pas vraiment aimer l’homme, l’œuvre est souvent merveilleuse. Quand les deux se rejoignent, quand l’œuvre rejoint l’homme, dans sa correspondance dans son Journal Inutile, il n’y a rien d’autre à dire que les deux sont puants. Il n’est même pas question du coup de klaxon renoirien, le trop fameux « chacun à ses raisons » non le Morand intime n’est pas sauvable. Entonnement on peut par contre très bien aimer Céline malgré ses arpents dégueulasses. Dégueulasses, mais jamais veules. C’est toute la différence entre Morand et Céline, Céline n’est jamais veule.

23 mars 2021.- Quasi beau temps (14°C). Après la mort de Valery Larbaud on a retrouvé dans ses petits papiers les traces d’une correspondance pléthorique avec moult écrivains français et étrangers (Gide, Paulhan, Jacques Rivière, Marcel Ray…) Parmi ces échanges épistoliers, l’un des plus révélateurs est peut-être celui que Larbaud aura eu avec G. Jean-Aubry, l’un de ses meilleurs amis et son futur biographe. Deux hommes aux goûts littéraires très proches et ayant eu la particularité de traduire et de révéler au public français une jolie palanquée d’écrivains plus extra-hexagonaux les uns que les autres : Joyce et Samuel Butler pour Larbaud, Conrad et Beckford pour G. Jean-Aubry. Leur correspondance a été réunie en volume par les bons soins des établissements Gallimard en 1971 et comme tout est le pour mieux en ce bas monde j’ai acquis ce volume chez un bouquiniste circonspect pas plus tard qu’hier. Les lettres s’échelonnement de 1920 à 1935 (date où Larbaud tombera dans la sévère aphasie que l’on sait), elles toupillent aimablement autour de choses que l’on pourrait juger obsolètes, mais qui ont tout pour ravir le larbarldien qui sommeille en nous : l’amour des voyages et des principautés, la solitude vagabonde, la bibliophilie et la linguistique amateur… Bref, que du sautillant, du mordoré.

25 mars 2021.- Beau temps (18°C). Première sieste face au soleil, le printemps est presque là. Dans l’élan et sans quitter ma chaise jardin, qui est aussi une chaise de sieste et de lecture, enchaîné avec La Liberté de blâmer de Matignon que j’avais laissée en stand bye à la page 350. Sept pages plus loin, à la page 357, donc, un bourdon me tournait autour de la tête au moment même où Matignon tournait autour du fameux dépeigné cocaïnomane André Malraux. J’aime le critique d’art, son côté margoulin et fumiste, le romancier m’emmerde assez (des conceptualisations et des archétypes certes, mais de la chair romanesque, non). Matignon, lui, aime le romancier, il lui trouve quelque chose de brumeux et d’âcre, de sec aussi. J’ai des doutes : comment être sec et brumeux à la fois ? Il aime sont style télégraphiste qui timbre avec la poésie saccadée d’une dépêche d’agence : « C’est tout le contraire de ce que l’on a tant répété : ce qui sauve [Malraux] , ce ne sont pas que les idées, ce ne sont pas les abstractions, c’est le romanesque ». Là encore, j’ai des doutes.

Hier vu une courte vidéo où Romain Gary faisait un bel éloge de la faiblesse. Je ne sais pas si j’aime vraiment le romancier, mais j’aime vraiment l’homme.

27 mars 2021.- Ciel tout juste dérangé par quelques rares passages nuageux (14°C). Fini les Oubliés de Grisham. Pas si mauvais que ça. Les vieux progressistes américains croient toujours en la justice de leur pays, c’est émouvant (quant aux jeunes progressistes, aux justice warriors, n’en parlons pas, nous risquons de choquer).

Pour la suite de mes aventures lectorales j’hésite entre plusieurs choses : un volume autofictif et compilatoire de l’ami Chevillard, le nouveau roman du très déplaisant Marien Devalfard, les Agendas de Follain ? Je ne sais pas, j’hésite encore.


2.


28 mars 2021.- Goût printanier assez prononcé (18°C). Heure d’été, soleil plus haut, tout allait pour le mieux jusqu’à ce que la jeunesse circonvoisine se mette à vociférer moult grossièretés arrosées de mélopées autotunées. Je sais que le confinement pèse, mais ce n’est pas une raison, il me faut un minimum de calme pour lire et là ce minimum était loin d’être atteint. J’ai donc usé d’un subterfuge et me suis mis dans les oreilles deux boules antibruit fournies par les établissements Quies. Ces deux boules n’apportent certes pas une sensation vraiment agréable, mais elles permettent un peu d’étanchéité sonore à qui veut bien lire dans un semblant de quiétude. Ainsi harnaché je suis retourné dans les chroniques de Matignon. Éloge de Thierry Maulnier, Matignon est vraiment de droite, bel éreintement du saumâtre Matzneff, oserai-je ajouter que c’est bien mérité ? « M. Matzneff qui manie les sujets graves sans négliger les bagatelles occupe une place à part dans cette littérature de la confession. Au lieu de partir de soi pour y trouver matière à réflexion sur le monde, il traque dans l’univers ce qui rend hommage à M. Matzneff. Navigue-t-il dans le sublime ? Il y retrouve son portrait. Se laisse-t-il aller à quelque faiblesse ? En se rapprochant de notre petitesse, il perçoit encore en lui la noblesse déchue qui ennoblit ses vilaines actions ».

30 mars 2021.- Quasi chaleur (24°C). L’épuisement physique ne serait rien s’il n’entraînait pas avec lui un épuisement mental souvent concomitant (pour ne pas dire synchronique). Pour tout vous dire, j’en suis là. Je n’avance plus au propre comme au figuré. Je ne suis plus qu’une somme de douleurs avec le cogito en berne. Je ne sautille plus. Tout cela est un peu problématique.

Cependant, bien malgré tout, je suis toujours dans la correspondance Larbaud/Aubry, deux esprits pas épuisés - pour Larbaud l’aphasie viendra plus tard – qui échangent leurs avis sur Conrad, Joyce ou Mallarmé.

31 mars 2021.- Temps étonnement estival, cependant on annonce des chutes de neige pour la semaine prochaine (25°C). Je m’applique à n’être qu’un homme voué à l’inutile or chacun sait qu’en tout chose inutile, il faut être divin. Voilà encore un problème, décidément rien ne me sera jamais épargné ! Moi qui ne vise pourtant que le rien avec une discrétion qui pourrait confiner à la disparition ! Eh bien ! voilà, vlan encore une tuile ! Il est donc possible que je ne sois pas un homme, mais plutôt un Dieu ! Oh pas un grand, un tonitruant, mais plutôt un petit, ou une petite, oui une déesse... Tenez Leto, déesse de la modestie féminine est très bien. Je suis donc une modeste déesse grecque qui consacre son existence à l’inutile. Tout cela est assez sautillant, vous pouvez me regarder de travers, mais ne me touchez pas les seins, merci.

1er avril 2021.- Appétence estivale (25°C). Les traditions se perdent, aucun poisson collé dans le dos.

Correspondance Larbaud-Aubry : comment s’atteler aux traductions diverses et variées ? Vaste problème, pour moi, toute traduction est presque impossible, il faut savoir se contenter d’un « moindre pire » qui au mieux ne sera jamais qu’une trahison complice. Larbaud et Aubry ne pensent pas la même chose que moi, pour Larbaud les traducteurs ne sont pas des « traites complices » mais des « peseurs de mots », dans Sous l’invocation de Saint Jérôme, Larbaud écrit ceci « Dans l’un des plateaux nous déposons l’un après l’autre les mots de l’Auteur, et dans l’autre nous essayons tour à tour un nombre indéterminé de mots appartenant à la langue dans laquelle nous traduisons cet Auteur, et nous attendons l’instant où les deux plateaux seront en équilibre ». Ce ne sont pas les mots du Dictionnaire, mais ceux d’un Auteur, « imprégnés et chargés de son esprit, presque imperceptiblement mais très profondément modifiés, quant à leur signification brute, par ses intentions et les démarches de sa pensée ». Ce mot est « vivant, des frémissements, des irisations le parcourent [...] ces signes de vie vont jusqu’à modifier rythmiquement son poids. Il nous faut donc saisir ce rythme afin que son contrepoids soit animé d’un rythme vital équivalent. Nous pesons jusqu’aux virgules... Notre métier de Traducteurs est un commerce intime et constant avec la Vie ».
Rien (ou presque) : Les appareils génitaux sont bizarres et compliqués, pourtant l’amour, enfin l’amour physique, est bien simple.

2 avril 2021.- Soleil voilé (24°C). Assis sur ma chaise de lecture je regarde en face de moi, juste un peu en hauteur sur le toit d’une petite maison il y a des tuiles. Comme tout frétille et s'accorde en ce bas monde, je reprends ma lecture – il s’agit du Tome 3 des Œuvres de Paul Valéry dans la collection Pochothèque – et je tombe, c’est le mot, sur les lignes qui suivent : « Plus l’homme est intelligent, plus les choses et les événements lui sont bêtes. La tuile qui tue une brute est moins brute que la tuile qui tombe sur un rare passant. Elle est plus dans l’ordre, plus harmonieuse et en quelque manière, moins accidentelle que l’autre. L’homme intelligent, en vertu de son type, perçoit toujours le mal qui survient, en tant que bêtise. »

3 avril 2021.- Vent violent (14°C). Tiens encore un Connelly. Après le pourtant récent Incendie Nocturne qui mettait en scène Harry Bosch et Renée Ballard voilà déjà Séances Mortelles où l’on retrouve Jack McEvoy le journaliste déjà croisé dans Le Poète et L’Épouvantail. La veine McEvoy est un plus sombre que la veine Bosch, mais on retrouve l’amour des détails, la précision scientifique, l’attention aux choses procédurales et le souci du géographique toutes ces choses qui apportent beaucoup du plaisir qu’il y a à lire Connelly. Dans Séquences Mortelles (le titre est très mauvais), dont j’ai pu lire un bon tiers dans la matinée, il est question d’un serial-killer bidouillant dans l’ADN, de cyberharcèlement et de dislocation atlanto-occipitale. Tout cela est loin d’être charmant, mais assez distrayant.

4 avril 2021.- Ciel dégagé (15°C). Conditions lectorales parfaites, pas de bruit, peu de vent, température idéale. J’avance très vite dans mon Connelly. Jack McEvoy est est plus désincarné et moins sentimental qu’Harry Bosch, mais il a quand même quelques qualités. C’est une lecture agréable.

5 avril 2021.- Soleil se voilant (16°C). Marteaux ponceuses et perceuses, voisin guitariste déchaîné s’escrimant sur moult claptoneries, autotuneries épigastriques, marmaille en furie, conversations téléphoniques impudiques aujourd’hui les nuisances sonores étaient telles que j’ai bien vite été contraint d’envoyer les contre-mesures qui ont pris la forme de Tyranny and Mutation deuxième album du collectif vaguement sataniste Blue Öyster Cult. Grâce à cet adroit subterfuge j’ai pu poursuivre mes lectures, en tapant du pied et en ignorant royalement le courroux de mes divers tourmenteurs sonores qui se voyaient tourmentés à leur tour, c’était bien fait, c’était eux qui avaient commencé les premiers. Pour tout dire, Renaud Matignon s’accorde très bien avec Blue Öyster Cult. Seul petit hic, aux alentours de la page quatre cent dix de sa Liberté de blâmer, Then Came The Last Days Of May l’hymne des bikers crowleyiens s’élevait dans les airs, il constate que Godard n’a décidément rien compris au Mépris de Moravia. Or voilà presque une erreur, Godard n’a jamais cherché à comprendre Moravia, pour lui le Mépris n’était qu’un roman de gare et il s’en fichait comme de sa première machine à écrire volée. Le bougre était à Capri pour bien autre chose. Il était à Capri pour filmer la vengeance des Dieux. Alors Moravia, hein !.

Ce matin entendu Édouard Louis sur France-Culture. Il se félicitait que son père et son frère vivent à présent une « vie très dure » et que lui « petit pédé » (je le cite) et sa mère, victime du patriarcat, soient aujourd’hui presque follement libres. En somme une oppression ayant remplacé une oppression, tout est le mieux dans le meilleur des mondes.

8 avril 2021.- Grand yo-yo météorologique, ce matin la froideur était quasi sibérienne et digne de Oïmiakon village réputé le plus froid du Monde, cet après-midi, face à un chaud soleil, Marrakech et ses sortilèges n’étaient pas loin (-6/20°C). (Lu) Trois chroniques assez marrantes de Patrick Besson, parangon « grande presse » qui a ses moments. Plus proche de « l’heureux petit nombre », une lettre de Larbaud à G.Jean Aubry. Larbaud se décrit comme un « gros oiseau triste et sans voix sur une branche dénudée, et noire de brume ». Il y a de ça.

9 avril 2021.- Du vent (15°C). Mausade mood, read nothing, I'm going downhill.


3.


10 avril 2021.- Intenables bourrasques (18°C). Un an de plus, je ne compte plus. Entamé la Nouvelle histoire de l’ultra gauche de Christophe Bourseiller. C’est passionnant, plein d’érudition, pour tout dire c’est ardemment bien informé. Entre spartakistes, Conseillistes, KAPD, AAUD, KPD, BIC, CPH, RSV, KAUD, MBKZS, on se perd un peu, mais ce n’est pas si important, c’est même presque un peu comique. (Constat : au-delà des acronymes croquignolets, toutes ces officines promptes à propager le gauchisme, cette « maladie infantile du bolchevisme », n’étaient pas si promptes que ça à vouloir lutter contre le fascisme naissant. L’ennemi était ailleurs, l’ennemi c’était le capitalisme).

11 avril 2021.- Temps maussade et vaguement pluvieux (16°C). Étonnant, dans le livre de Bourseiller entre révolte de Kronstadt conseils ouvriers et Socialisme et Barbarie, il n’est jamais question de cours de récréation dégenrées, de trottinettes électriques et d’intersectionnalité. Par ailleurs, et pour rester dans l’élan féministe actuel, un élan de 25e heure, célébrons Fanny Kaplan, qui tentera de tuer le camarade Lénine de trois coups de Browning bien placés, et qui finira tabassée à mort par la Tchéka.

12 avril 2021.- Changing sky, freshness (11°C). Gloomy, tired, can't read anything.

13 avril 2021.- Grande amplitude thermique entre matin et après-midi (0°C/18°C). Trois chapitres ultras de Bourseiller, Debord pointe déjà son nez de théoricien aviné. Une chronique assez coupante où Bernard Frank compare les mérites des lames Gillette et Wilkinson (sa préférence va à la lame Gillette G3, quant à moi : je suis barbu), plus tard, sur ma chaise de jardin, face au soleil, Valéry (Paul), le vide, le plein, toute une histoire : « Je mets là ce livre ; je regarde mes objets familiers, je me caresse le menton ; je feuillette ce cahier. – Et tout ceci se passe sans empêchements, comme librement, – comme si c’étaient des événements séparés, indépendants, séparés par du vide, et comme sans action les uns sur les autres. Et le livre qui repose là, et la main qui est ici, n’ont pas de liaisons entre eux ; ni le bouton de la porte qui brille – avec les autres choses. – Mais je puis tout à coup voir tout autrement – et vouloir voir que tout ceci se tient comme les engrenages d’un mécanisme, les compartiments d’un parquet – et que chaque modification est rigoureusement une substitution – comme dans un liquide où une molécule ne se déplace qu’une autre ne la remplace. – Rien n’est plus gratuit. Rien n’est plus isolé. Les objets ne sont indépendants qu’en apparence. Leurs distances, leurs non-contacts sont apparences. Et ma sensation de liberté… »

14 avril 2021.- Le soleil est là, mais le fond de l’air est frais (12°C). J’ai toujours pensé que seule ma propre idiotie était capable de caboter vers les rivages du bonheur. Je ne suis pas le seul, tenez, prenez Cioran : « Un esprit malade, rongé d’obsessions, ne peut se sauver que par la suppression temporaire de la réflexion, par une cure d’idiotie. ».

15 avril 2021.- Ciel changeant, vent glacial (11°C). Morose et sans envie. Ma principale occupation ? Couché sur mon canapé, je regarde un plafond, blanc, très blanc. Les couleurs, les joies de l'activité, ce sera pour plus tard. Tristesse : mort de Vassili Golovanov, russe voyageur auteur de l'épatant Éloge des voyages insensés.

16 avril 2021.- Temps nuageux et frais (10°C). Bourseiller : Cornelius Castoriadis et Claude Lefort, Debord membre de Socialisme ou Barbarie pendant un an (1960), groupuscules et sous-division de groupuscules qui se subdivisent, au-delà de l'Histoire et des histoires, de l'engagement, tout cela est presque drôle. Autrement, Bernard Noël est mort, lire le Château de Cène c'était faire avec la transgression, une autre époque.

Nouvelles acquisitions : Bruno Bayon - Le lycéen, Philippe Sollers - Agent Secret, Pierre Bergougioux - Carnet de Notes 2016/2020.
Rien (ou presque) : Avoir confiance en l'intelligence des autres est une forme de bêtise.

17 avril 2021.- Soleil dominant, mais toujours ce vent glacé, un vent hors de saison (11°C). Je ne sais plus écrire, les mots ne me viennent plus, et ne parlons pas des idées ! Au mieux j’ânonne un vague brouet télégraphiste, bref je n’y suis pas. Cependant, j’ai lu dans la journée l’Agent Secret de Philippe Sollers. L’objet est compact et rempli de photographies de phrases et lexies, d'un ressac intime, qui m’ont un peu sorti de ma gangue de léthargie. C’est peut-être le livre le plus immédiatement émouvant de Sollers, un autoportrait où une assez notable sincérité semble étouffer les habituelles côtés escrocs et margoulins du bonhomme. Ici c’est l’amour des êtres, des lieux, des livres qui domine (je sais c’est un peu bête). L’amour de Sollers pour « ses » femmes, sa mère, Dominique Rolin, Julia Kristeva, pour son fils David « l’expérience de la paternité a été pour moi capitale, la naissance de cet enfant a été un bonheur incroyable. J’ai senti pour la première fois que j’étais mort, ce qui m’a beaucoup soulagé », l’amitié de Sollers pour Ponge, Barthes ou Bataille, l’amour de Sollers pour Baudelaire, Rimbaud ou Homère, l’amour de Sollers pour le Bordelais pour Venise… Il y a certes ces compromissions qu’il aura eues et qu’il ne se reproche même pas d’avoir eues, de rares pages un peu inutiles sur l’air du temps, mais c’est certainement l’un des meilleurs livres de Phillipe Sollers assurément le meilleur livre de Philippe Joyaux, un livre que l’on peut lire comme un testament du temps enchanté : « On m'avait dit qu'à l'âge de sept ans on atteignait l'âge de raison. Alors j’ai attendu avec impatience le fait d’avoir sept ans, pour savoir ce qui allait se passer. Ce jour-là, il neigeait, j’ai posé ma montre et j’ai attendu ce qui allait m’arriver comme raison. J’ai attendu, attendu, rien. Attendu encore, rien. Tout était pareil. J’étais sidéré. Et soudain, illumination. J’ai compris que ce que j’attendais était déjà là, que le nouveau n’était pas différent de ce qui était là d’habitude, c'est-à-dire l’illumination de la raison en tant que « nouvelle raison », ce qui échappait à tout le monde et surtout aux adultes que je trouvais limités ».

19 avril 2021.- Temps plutôt ensoleillé (16°C). Toujours plongé dans la somme historico-gauchiste de l’ami Bourseiller. Description assez détaillée des fameux « évènements » ayant eu lieux en mai 1968, importance souterraine des situationnistes, importances plus saillantes des « enragés ». Quelques pavés, quelques exclusions, plus tard, rencontre Debord/Lebovici, création des éditions Champ Libre, on voit passer en arrière-plan quelques discrètes figures plus ou moins historiques, Gérard Guégan ou Raphaël Sorin, par exemple… Le reste est très bien informé et souvent presque amusant : les acronymes patibulaires, les sous-groupes de sous-groupes, les scissions et exclusions, la haine du léninisme, une haine peut-être plus prononcée que la haine du capitalisme ou du fascisme. Incertain, douteux, flottant dans les embruns d’un alcoolisme lourd, Debord : Pape en sous-main, Breton amoindri, on oubliera le théoricien, on célébrera le moraliste. En somme, on l’oubliera d’ultra gauche, on le constatera réactionnaire.

20 avril 2021.- Beau temps (18°C). Un an plus tard le fameux virus est encore là, les morts s’empilent, les terrasses sont toujours fermées, pas de quoi vraiment sautiller. Chez Bourseiller, assassinat de Gérard Lebovici, mort de Debord. De ce dernier cette citation glanée au débotté : « Quand être “absolument moderne” est devenu une loi spéciale proclamée par le tyran, ce que l’honnête esclave craint plus que tout, c’est que l’on puisse le soupçonner d’être passéiste. »

21 avril 2021.-Tout est gris (14°C). Hier après-midi je me suis fait vacciner en sifflotant. Résultat, aujourd'hui je capte parfaitement le réseau 5G, mais je suis malade comme un Labrador. Décidément, tout est vraiment compliqué. Dans ces conditions, rien lu.

23 avril 2021.- Temps printanier (21°C). Grande lassitude, rien pour moi. Quelques pages de Valéry (Paul), l’œil et l'esprit toujours clairs : « Le nouveau est un de ces poisons excitants qui finissent par être plus nécessaires que toute nourriture ; dont il faut, une fois qu’ils sont maîtres de nous, toujours augmenter la dose et la rendre mortelle à peine de mort. Il est étrange de s’attacher ainsi à la partie périssable des choses, qui est exactement leur qualité d’être neuves. Vous ne savez donc pas qu’il faut donner aux idées les plus nouvelles je ne sais quel air d’être nobles, non hâtées, mais mûries ; non insolites, mais existantes depuis des siècles ; et non faites et trouvées de ce matin, mais seulement oubliées et retrouvées. Le goût exclusif de la nouveauté marque une dégénérescence de l’esprit critique, car rien n’est plus facile que de juger de la nouveauté d’un ouvrage. Les œuvres classiques sont peut-être celles qui peuvent se refroidir sans périr, sans se décomposer ; et la volonté de conservation, cachée dans l’idée de perfection et de forme achevée, serait intéressante à découvrir, à déceler dans les principes, les règles, les lois ou canons des arts dans les époques dites classiques. »

24 avril 2021.- Temps frôlant l’estival, comme si c’était possible ! (24°C). Un bourdon un peu trop sonore et joyaux, mais des conditions lectorales globalement agréables. Moins agréable la fin de l’histoire ultra gauchiste de Bourseiller. Le négationnisme, cette maladie gérontophile de l’ultra gauche. Faurisson et la Vielle Taupe (qui finalement portera bien son nom), les Zadistes, black-blocs et tutti quanti… les « gauches communistes » qui virent au problématique, même pas au rouge-brun, non pire les « gauches communistes » qui virent à la bonne conscience et qui deviennent aussi assommantes que le boring léninisme, c’est vous dire. Cela dit assez bon bouquin, sur les faits et bien documenté, jamais théorique et embarrassé d’idéologie, pas trop littéraire non plus, mais le propos n’est pas là. Sinon retour dans les papiers de Matignon (mon Bourdon est toujours là), qui, chose curieuse, semble beaucoup aimer Jacques Prévert (le fameux « con » de Houellebecq) : « … poète quotidien et inattendu, comme une lueur narquoise à la sortie des bureaux ».


To be continued

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