« C'est désespérant : tout lire, et ne rien retenir ! Car on ne retient rien. On a beau faire effort : tout échappe. Çà et là, quelques lambeaux demeurent, encore fragiles, comme ces flocons de fumée indiquant qu'un train a passé. » (Jules Renard)
1.
25 avril 2021.- Soleil se couvrant, température agréable (23°C). Un peu de vie sociale malgré le confinement. D’un autre côté, un autre côté moins alcoolisé, entamé Tout se paye de George Pelecanos. C’est le second épisode de la série Derek Strange et Terry Quinn. Ce n'est pas si mal, toujours un peu sociétal, mais jamais vraiment accablé. Les playlists soul seventies et Rap sont vraiment très bien.
26 avril 2021.- Averses (18°C). Lever 5h00, labeur, sieste, rien d'autre.
27 avril 2021.- Nuages tardifs (22°C). Dans la Washington de Pelecanos on peut entrecroiser des enfants rendus en esclavage au milieu de quartiers cauchemardesques où les armes et drogues pullulent avec un ordinaire plus que malfaisant. Un peu plus loin les banlieusards de gauche arborent des autocollants en faveur du Tibet libre sur les pare-chocs de leurs voitures. Chacun semble vivre dans son coin, il n’y a pas la trace d’une quelconque coalescence entre les diverses entités sociales et quand un gosse noir est tué lors d’un règlement de comptes, on en parle un peu, mais pas plus que ça. Le constat date de 2002 et rien ne semble s’être amélioré depuis.
28 avril 2021.- Couverture nuageuse patibulaire (21°C). Je ne sais pas qui du labeur ou de l'actualité est le plus fatiguant. En attendant réécouté une formidable émission tout à fait radiophonique dans laquelle l'épatant Philippe Bordas vibrionnait joliment autour de son non moins formidable Forcenés (France Culture, Alain Veinstein, 2008). Du même Bordas récemment acquis Cavalier Noir, son dernier ouvrage en date, je le lirai certainement un jour.
29 avril 2021.- Temps vaguement pluvieux (15°C). N’étant pas plus inspiré qu’une endive pas encore braisée je laisserais parler les Cahiers de Cioran qui se débrouilleront très bien pour moi : « J’ai toujours voulu être seul, sinon unique, mais jamais être à la tête des autres, de personne. Commander, exercer une autorité même spirituelle, me répugne absolument. Je voudrais être tout sauf un dieu. Toute forme de consécration, la suprême tout particulièrement, me met rien qu’à l’idée hors de moi. Je n’aime que l’effacement, avec l’orgueil que cela implique. Être quelqu’un à l’insu du monde, c’est ce à quoi j’aspire par nature, plus encore que par calcul ou "idéal". » Nothing else.
30 avril 2021.- Pluie métronomique, fraîcheur marmoréenne (9°C). Un chapitre de Georges Pelecanos. Descriptions sexuelles un peu vulgaires, un peu ridicules aussi… Constat, le « polar américain » est souvent comme ça : un peu vulgaire et ridicule avec les « choses sexuelles ». Par ailleurs, loin de toute lubricité forcée, il pleut et je m’ennuie. Comme je préfère m’ennuyer en bonne compagnie je retourne chez Valéry (Paul), et comme tout est décidément dans tout, comme tout se corrèle et fricote, au bout de quatre pages je tombe sur ces lignes : « L’ennui est le sentiment que l’on a d’être soi-même une habitude, et de vivre… une non-existence sensible, comme si l’on eut la propriété de percevoir que l’on n’est pas. Percevoir que l’on n’existe pas ! L’ennui est finalement la réponse du même au même. »
1er mai 2021.- Pluie guère syndicale (10°C). Dans Tout se paye il y a des personnages et des histoires, ou tout du moins des amorces de personnages et des bouts d'histoires, que l'on verra se développer dans la série The Wire. Ainsi, on pourrait presque dire que pour Pelecanos, ce roman, et les romans de la série Quinn et Strange sont une sorte de terreau. C'est une métaphore aisément potagère, mais elle me semble juste. En dehors de tout ça, c'est assez bien, raisonnablement haletant et toujours empreint d'une hauteur sociale qui ne sacrifie jamais rien à la bonne conscience.
2 mai 2021.- Averses et éclaircies, multiples variations d’un ciel hésitant entre le flandrien et le méditerranéen, en somme un temps de mars (14°C). Fin du Pelecanos inopportunément pelucheuse, c’est toujours dommage de voir les bons sentiments débouler ainsi à brûle-pourpoint. Court détour dans les Étapes de Cingria qui trouve qu’il n’y a rien de plus agréable qu’une petite villégiature à Pont-d'Ain (ayant récemment traversé cette localité, j’ai des doutes). Cinq pages plus loin il est à Rubelles à quarante-trois kilomètres de Paris au cœur d’une douce et ombreuse Brie Française qui ne demande qu’à être réveillée : « Pendant la guerre les Allemands avaient niché sur les arbres de rustiques mais fructueux postes d’observation. Nous avons insisté pur qu’on ne les démolisse pas. C’est si agréable d’aller prendre l’air en devisant. Et c’est de là que partirent nos plus fameux pétards. Car il faut dire que nous avons fait venir de Paris une malle et demie de feux d’artifice et que notre intention est cette fois-ci d’étonner la contrée, véritablement trop endormie. Des habitants, il y en a, mais l’on n’en voit aucun pendant le jour. Où sont-ils ? Nulle part. Il s’enferment. Ils sont trop parfaits pour se soumettre à l’air, trop riches aussi peut-être avec leurs cerisiers qui narguent les nôtres et leurs rues où ne déambule qu’un chat ». Sinon, dans sa Liberté de blâmer Matignon aime beaucoup Pascal Quignard et Raymond Radiguet, moins Yann Queffélec. Il constate aussi que les Journaux de Queneau, ce désespéré éberlué, sont très intéressants. Tiens, il faudrait que je les lise.
3 mai 2021.- Matinée bien fraîche, après-midi plus conforme avec la saison censée nous occuper (-1°C/17°C). Conversations téléphoniques impudiques, portes claquées, perceuses, marteaux, veaux, vaches, cochons… Dans ces conditions lectorales là, un minimum de concentration est difficile à trouver. Il faut donc savoir oublier Wittgenstein et se contenter de choses plus simples, des textes courts où l’intervention du cogito n’est pas trop demandée. En l’occurrence une chronique de Bernard Frank et une lettre de Valery Larbaud à G. Jean-Aubry (le 22 mars 1930, Larbaud est à Montpellier, il y mène une vie calme, qui jointe à la bonté de l’air environnant lui fait le plus grand bien).
2.
5 mai 2021.- Quelques beaux cumulus (15°C). En 1909 Jean Giraudoux rencontre Jules Renard qui quelques mois plus tard à seulement quarante-six ans rejoindra « la vaste communauté des trépassés ». Au jeune universitaire tout juste échappé de Normal Supérieur venu lui rendre hommage, le conséquent aîné, fatigué, vieux avant l’heure légale, n’aura qu’un message à délivrer : il est malheureux. Cette rencontre est rapportée dans Souvenirs de deux existences, une courte somme mémorielle posthume où Giraudoux semble chuchoter depuis sa propre tombe. Disons-le, la tristesse est parfois belle et le malheur aussi : « Jules Renard m'a fait dire qu'il serait content de me voir chez lui, rue du Rocher. C'est dimanche, il fait très beau. Le bonheur de l'hiver éclate même sur la gare Saint-Lazare. Mais je suis mal tombé dans ma visite. Jules Renard a quelque contrariété ; il me parle distraitement. Je m'excuse, je dis que je reviendrai un autre jour. - Quel jour ? - Un jour où vous saurez moins occupé. - Je ne suis pas occupé, me dit-il. Je suis malheureux. Non, tout le monde va bien chez moi. Ma femme m'aime, mes enfants sont charmants. Mes amis sont dévoués. Ma pièce a du succès. Mes livres se vendent. Le chien de la concierge aussi m'adore. La famille, l'amitié, le travail, tout me réussit. Mais je suis malheureux. Non. Je vais bien. Je vous remercie. J'aime déjeuner, dîner, souper. Le printemps ma plaît, et l'automne, et l'hiver. Aucun agrément du monde ne me reste caché. Dans les musées, je goûte les chefs-d’œuvre au centuple. Mais je suis malheureux. J'ai tout ce qu'il faut pour parer au malheur, on m'a doué d'ironie, de méchanceté, de style. Et je pare chaque attaque particulière merveilleusement, j'ai paré la solitude avec une femme, un fils et une fille, l'incompréhension avec Mirbeau, Tristan Bernard et Suzanne Desprès. Mais je suis malheureux. Il n'y a pas de remède. Pour que j'en arrive à vous dire à brûle-pourpoint combien je le suis, à vous que je ne connaissais pas voilà dix minutes, c'est qu'il n'y a pas de remède. En tout cas, cela me soulage de n'avoir pas à jouer l'homme comblé et satisfait avec vous. Une minute où je ne suis pas souriant, reconnaissant et amical, où je suis déchargé de tous ces fardeaux de l'homme heureux que je porte à tort, je ne l'ai pas si souvent. Je vous remercie donc d'être inconnu et comme vous ne reviendrez jamais me voir, je ne suis pas fâché que quelqu'un considère qu'en me voyant il a vu le malheur même. »
6 mai 2021.- Un temps de chien (15°C). L’un des mes satanés voisins ayant accompli le tour de force de poncer et marteler tout à la fois pendant neuf heures consécutives, je me félicite qu’il ne soit pas doté de plus de deux mains, mais je me désole qu’il ne soit pas manchot. Cerise sur les décibels, mon autre voisin maléfique, le trop fameux guitariste électrique que vous commencer à connaître très bien, ayant pris l’idée de brancher son instrument sur les coups de 15H30, j’écris donc ces lignes au milieu d’un vacarme innommable où je ne m’entends même plus penser. Malgré tout cela je persévère dans mes volontés lectorales et j’entame L’autofictif prend un coach, de l’entité écrivante Chevillard. C’est le second volume rassemblant les entrées de son bleugh diaristique (2010-2011) et c’est parfaitement édité par l’Arbre Vengeur.
7 mai 2021.- Variations raisonnables (16°C). Chevillard souvent drôle, mais parfois à côté de la plaque. Not a big deal. Encore peu avec un Valéry (Paul), capable de dire des choses pénétrantes sur à peu près tout : la naïveté, la bêtise, la honte, le fait de rougir : « Au lieu de rougir, on pourrait pâlir, ou suer, ou avoir envie d’uriner… ou même… mourir, l’arrêt du cœur est une réponse comme les autres. Si je rougis d’avoir peur, j’ai peur de rougir ».
8 mai 2021.- Nuages se formant, ciel magnifique, considérable hausse des températures (26°C). Le 8 mai est devenu un jour comme les autres, on défile certainement quelque part, mais où ? J’avance peinardement dans l’Autofictif de Chevillard. Réjouissant règlement de compte avec Frédéric Beigbeider, quelques rares moments pelucheux (les enfants) étouffés par une méchanceté toujours cordiale. Pour preuve : « Bien rare sont les prêtres gérontophiles, ce qui peut-être explique le petit air pincé que l’on voit si souvent aux bigotes », ou encore : « Tombant nez à nez avec le mannequin de Claude François dans un musée de cire, je ne fis ni une ni deux, ou plutôt si, je lui arrachais les couilles et me les enfonçait dans les oreilles », et pour finir : « Marc Levy sera oublié depuis longtemps que je serai encore fort peu lu ».
9 mai 2021.- Vent mauvais (24°C). Ma bibliothèque bondée comme un après-midi de couvre-feu ensoleillé, il va certainement falloir que je trouve une cave, un grenier, que sais-je un container, pour caser le volume de Chevillard que je viens d'achever. Tout cela est problématique, je suis si peu velléitaire, l'initiative n'est pas dans mes habitudes, avoir des interactions sociales engendrées pas ce type de démarches encore moins. Je pense que pour simplifier les choses je vais ranger ce volume sous mon canapé, il y sera très bien, dormant entre deux moutons de poussière et une araignée neurasthénique.
10 mai 2021.- Pluies diluviennes (13°C). L’humidité est si prégnante que me voilà quasi flaque. Ah oui ! pendant que je vous tiens par le parapluie en parlant d'humidité, d'aquosité, et de mouillure déraisonnable, il faut que vous sachiez qu’au mois de janvier 1910, la Seine connut une crue si extravagante qu’elle entraîna la plus grande inondation de Paris depuis 1658. Les eaux débordent des quais, on aborde les Hôtels particuliers du Champ-de-Mars en barque, Venise n’est pas loin, la grande noyade non plus. Le 31 janvier on pêche des carpes grosses comme des lapins Place du Châtelet, mais un peu plus au Nord au Théâtre de la porte Saint-Martin c’est tout de même soir de gala. Voilà la répétition de Chantecler, la nouvelle pièce du sémillant Edmond Rostand. Sacha Guitry est venu applaudir son père Lucien. Dans la foule on reconnaît Octave Mirbeau, Jules Renard, Tristan Bernard et Alfred Capus. Y a-t-il des poissons rouges dans leurs bottes en caoutchouc ?
P.-S. Les premiers essais de bottes imperméabilisées datent de 1748 et sont l'œuvre du Français François Fresneau. En 1853 l’Américain Hiram Hutchinson achète les brevets de Charles Goodyear et adapte le caoutchouc aux bottes. C'est une avancée décisive.
11 mai 2021.- Pluies persistantes, les batraciens et gastéropodes sautillent comme des Rajasthanais (15°C). Lever 5H00. Labeur. Sieste. Cahiers Cioran, trois pages.
12 mai 2021.- Timides éclaircies (18°C). Vélocipédie heureuse, génie de Charles-Albert Cingria : « Le jour s'affaisse. De suaves petites étoiles commencent à naître. Le sol est invitant, fardé, aimable, élastique, lunaire. Ou bien c'est moi, et alors je suis dans des dispositions extraordinaires, ou bien c'est ce grand frémissement subit d'en haut des peupliers qui n'est pas des oiseaux mais le vent que je ne sens pas parce que je vais avec, qui me pousse et fait que je vais si vite. Aucune fatigue. Cela pourrait être éternel. Je suis un cristal qui ne respire pas : qui existe – c'est l'intention – le reste qui était fendu pour récupérer, obligeant à un rythme d'esclave, est aboli. Par le bas, je reste animal, mais je suis une boule. J'ai frais aux chevilles. Je n'ai plus besoin de voir. C'est adorable. J'ai aussi un peu peur. C'est adorable. Je vais excessivement vite. Un bruit, le seul, à part ce torrent momentané des feuilles sur quoi éclate la lune, est ce grincement mutuel – sexuel – de deux bois profondément encaustiqués, l'un, ocre, de vieux miel de frelons, l'autre grenat comme le porphyre de certaines gaules des saules, et c'est mes jantes. Je suis heureux de ce siècle, heureux de ce sable, heureux de ma selle Brooks aux exquis craquements ». Rien d'autre.
13 mai 2021.- Quelques passages pluvieux (17°C). Ce matin lu une bonne moitié de l'Inconnu de la poste de Florence Aubenas. Comme tout le monde, je trouve cette non-fiction narrative épatante. Pour l'instant je n'en dirai pas grand-chose de plus que ça. Cet après-midi jardinage entre les gouttes de pluie. Taille de mes modestes haies, rempotage de deux trois choses qui ne m'ont même pas demandé mon avis.
14 mai 2021.- Ciel se découvrant avec une frivolité non ostentatoire (18°C). Sur le site YouTube on peut voir le casting de Gerald Thomassin pour le Petit Criminel (ce film de Jacques Doillon qui vaut surtout pour ses acteurs et quelques coins de ciel bleu). Il a seize ans, en paraît douze, sa timidité est moins gouailleuse que pouvait l’être celle de Jean-Pierre Léaud pour les essais des Quatre Cents Coups, mais la séquence est néanmoins magnifique. On remerciera donc Florence Aubenas de nous avoir permis de la voir (on la remerciera aussi pour son bouquin, qui est vraiment très bien)
P.-S. Les solos de mon voisin guitariste sont de plus en plus lents et comme engourdis par un vague élan apathique. J’imagine que le bougre traverse une phase de dépression active qu’il tente d’endiguer avec quelques petites doses de Lexomil prise au débotté. Comme je suis bon prince, et bon voisin, comme je compatis à sa dérive spleenétique plus bruyante que sourde ce soir j’irai le voir avec quelques cadeaux : trois comprimés de rohypnol dans la main gauche, un chiffon imbibé de chloroforme dans la main droite. Je ne prendrai pas mon marteau.
15 mai 2021.- Pluie continuelle, un temps de Toussaint pour l'Ascension (17°C). Tout était très bien dans l'Inconnu de la poste jusqu'à cette fin qui vient trop vite et déçoit. Comme si la réalité du reportage allongé ne suffisait plus pour emporter le chaland. On est à peu près satisfait, mais on se dit que la littérature c'est peut-être autre chose.
16 mai 2021.- Du soleil, du vent, de la pluie, un orage, n’importe quoi (18°C). Deux semaines sans labeur devant moi. Je compte les utiliser pour faire un tour dans le Sud dans quelques jours. En attendant, ce matin entamé Cartel de Winslow, plus de sept cents pages, la suite de la Griffe du Chien (pour l’instant rien à en dire). Cet après-midi acquis deux trois plantes et un hôtel pour insectes. J’allais « installer » tout ça lorsque j’ai appris la mort de Raphael Sorin. Tristesse, c’était un grand éditeur et surtout un grand contrebandier, un « passeur » comme on n’en fait plus.
17 mai 2021.- Un temps de chien (16°C). Dans Cartel Don Winslow procède par petits paragraphes rapides, l’intrigue avance vite. N'empêche, on s’ennuie assez, les personnages déjà rencontrés dans la Griffe du Chien deviennent encore plus caricaturaux et il y a des maladresses de style, voire de goût, un peu gênantes : « La solitude est une douleur sourde, comme une vieille blessure qui se rappelle à votre bon souvenir, une cicatrice que vous ne remarquez plus, car elle fait partie de vous désormais. ». Encore une fois le meilleur dans cette saga, le factuel, l’informé, le quasi journalistique et certainement pas le romanesque qui semble forcé, poussé…
18 mai 2021.- Il pleut, encore (16°C). Chez Winslow quelques nouveaux personnages émergent. Un sadique americano-méxicain, un gamin tueur effrayant, deux señoritas affriolantes. Les cent cinquante premières pages passées, tout devient plus intéressant. Le côté bien informé est toujours là, mais la pâte romanesque est mieux triturée, l'histoire se lève.
19 mai 2021.- De nombreux nuages, mais aussi quelques belles éclaircies (15°C). Ce matin de déconfinement à huit heures en terrasse quelques joyeuses trognes "tournaient" déjà au petit blanc et au Picon bière. L'orage est venu un peu plus tard, moins vite qu'un virus chinois, mais tout de même un peu trop vite. La déception flottait dans l'air. Poursuivi la lecture du Cartel de Winslow cahin-caha, fait mes valises, demain départ vers des terres plus australes.
27 mai 2021.- Beau temps dans un genre continental altéré (22°C). Retour du midi avec la peau brûlée et des odeurs de pinèdes plein le nez. C’est une torture, il y en a de pires. Rouvert le Cartel de Winslow qui est très bien tout en étant terrifiant. Très bien parce que les éléments romanesques semblent finalement s’assembler avec une précision helvétique. Terrifiant parce qu’il n’y a pas grand-chose de plus terrifiant que cette « guerre de la drogue » mexicaine et ses milliers de morts.
28 mai 2021.- Temps estival (25°C). Excepté les deux trois va-et-vient inopportuns d’un voisinage se croyant fantomal à tort aujourd’hui les conditions lectorales frôlèrent l’optimale. Les oiseaux gazouillaient sans trop s’en faire et ma chaise de jardin judicieusement posée à l’ombre était diablement confortable. J'ai poursuivi la lecture de Cartel où l’empilement de cadavres s’est avéré très grand. Après une courte recherche sur Internet, j’ai constaté que cet empilement ne tenait pas temps que ça à la fiction, mais plutôt à une réalité tragique que Don Winslow s’est permis de tordre légèrement pour qu’elle rentre dans son affaire romanesque. En somme, tout frôle le vrai et Cartel est donc un roman presque authentiquement terrifiant. Rien (ou presque) : Je suis né un jour de printemps et depuis les courtes catastrophes n’ont cessé de croître autour de moi. Mon enfance fut heureuse bien que parfois un peu effarouchée. Ma jeunesse fut idiote comme toutes les jeunesses. J’endosse ma vie d’homme avec une certaine confusion, parvenant à l’âge mûr sans la moindre appétence pour un monde qui semble s’écrouler de toute sa masse. Je serais sénile de par moi-même, le résultat lacuneux d‘une somme d’échecs plus ou moins tangibles. Quoi que je fasse de plus, il faudra que je meure ensuite.
29 mai 2021.- Quasi tiédeur (25°C). Je finissais tranquillement la lecture du Cartel de Winslow en extérieur lorsque des odeurs de sardines grillées sont venues me titiller le nez avec une persistance toute lusitanienne. N’ayant aucun portugais dans mon environnement immédiat tout cela m’a laissé bien songeur. Les barbecues sans Argentins ni Texans avaient déjà quelque chose du complot olfactif, mais là je dois dire que c’est le pompon. Décidément, que ce soit par le bruit ou l’odeur ma quiétude lectorale est visée. (Je sais, j’abuse de clichés, mais que voulez-vous cela m’amuse). Bon, pour ce qui est de la fin de Cartel, il n’y a pas de quoi sautiller. Winslow sort les muscles et oublie ce qui fait l’intérêt de sa petite entreprise. Le rapport au réel, les faits palpables, l’histoire, le journalistique mêlé à l’imaginaire. Il ne reste qu’une intrigue boursouflée qui se noie dans les flaques de testostérone.
3.
31 mai 2021.- Touffeur pour ainsi dire palpable (28°C). Figurez-vous que dans toute l’œuvre de Paul Valéry il n'est jamais question du géranium ! Il ne l’évoque même pas dans son fameux « Cimetière Marin » où il y a beaucoup de lumière, des vers de terre, des insectes et des racines, du bleu, des flèches ailées, des filles chatouillées qui poussent des cris aigus, mais jamais au grand jamais l'ombre portée d'un géranium ! Voilà pourtant une plante de cimetière idéale, elle demande certes un arrosage semi-soutenu — qui n'a pas vu une veuve tristounette porter deux arrosoirs à bout de bras ne connaît pas vraiment les cimetières —, mais guère plus que ça. Comme tout fricote dans une coalescence soutenue, comme tout se confirme et s’accorde toujours, la tombe de Paul Valéry est à l’image de son œuvre : dépourvu du moindre géranium. On peut la voir froide et impassible, accrochée sur l’une des pentes du Cimetière Saint-Charles de Sète ( le vrai nom du fameux Cimetière Marin). Quelques arpents plus loin sur la tombe de Jean Vilar un petite armée de pots de fleurs bondés de joyeuseté colorée nous ferait presque oublier la rude phénoménalité du marmoréen. Parmi ces pots, deux pots de géraniums. Décidément, le « théâtre populaire » cède au pélargoniumisme !
1er juin 2021.- Soleil et vent (26°C). Lever 4h30. Labeur. Sieste. Stendhal, deux pages, Mémoires d'un touriste (L'ami Beyle visite Lyon qu'il aborde en longeant la Saône, par l'Île Barbe). Rien (ou presque) : Finalement, je n'obéis qu'à lui, je bois des coupes de soleil, et il est là, mon maître, l'univers.
2 juin 2021.- Il pleut (22°C). L'un de mes amis virtuels m'apprend le passage sur terre de Federigo Tozzi un écrivain siennois qui serait plus conséquent que moins (1920†). Après quelques rapides approfondissements, il me semble d'ores et déjà avoir quelque chose de la caste des écrivains désarmants. Jugez cette merveille sur pièce : « Un soir d’été, je m’assis au pied d’un talus et commençai à fumer cigarette sur cigarette. Il faisait très sombre, les étoiles paraissaient si fines qu’à coup sûr elles perceraient. J’aurais voulu avoir un ami à mes côtés pour parler de quelque chose, ou, mieux, pour l’écouter. Quand j’aime un ami, je préfère fumer en silence. Presque ennuyé et chagriné de rester là ; avec mes mains, je pris appui sur l’herbe et essayai de me relever. Un grillon, si proche que je ne parvenais à savoir où, commença alors à chanter. Était-il entre mes genoux, peut-être Était-il derrière moi ? Pas même. Avait-il sauté sur moi ? Je me secouai des pieds à la tête : non pas. Je dus m’en aller, et je fondis en larmes ». Rien d'autre.
3 juin 2021.- Ressac estival (28°C). Retour dans la Liberté de Blâmer de l’ami Matignon (que je vais bien devoir finir). Par ailleurs, je compte entamer les Agendas de Follain incessamment sous peu. Voilà un volume qui fait de l’œil depuis bientôt un an. Il doit être l’heure. (J’écris ces lignes, bien faiblardes, sur une nouvelle table de jardin. Ma mine slalomant adroitement entre fourmis et coccinelles).
4 juin 2021.- Orages en amorce (26°C). Mes ascensions, mes vertiges et mes chutes. Tout cela me semble bien lointain. Cette profondeur qui est en haut, le ciel, je l'oublierai presque. Non, je suis précipité vers le terrien, mes ailes ne battent plus.
5 juin 2021.- Quelques averses (22°C). Matignon, exécution de Sollers, on sent encore les odeurs de poudre d’un vieux règlement de compte. Curieux éloge de la primo Nathalie Sarraute (rassurez-vous, Matignon dézingue la Sarraute tardive), doutes autour de Michel Tournier et Maurice Sachs, amour de Tchekhov de Valéry de Toulet… Un entretien et quelques lignes consacrées à Dominique de Roux, de l’amitié peut-être ? : « Dominique de Roux est ainsi un homme insaisissable et fiévreux, qui cherche, tâtonne, est ici et ailleurs, et qui précis et maladroit, dès que vous le cherchez n’habite plus jamais à la maladresse indiquée ».
6 juin 2021.- Tardives éclaircies (21°C). Maussade, comme le temps. Retour chez l’ami Perros, bien maussade lui aussi. Voilà un compagnon qui lorsque vous êtes au bord du trou, vous tape sur l’épaule et se jette dedans avec vous. Bon ce n’est pas qu’un camarade de bouderie. Dans ses Papiers Collés il parle très bien de Valéry (Paul), du drame de sa poésie qui contre toute attente manque d’obscurité. On la lit mal, on ne la comprend pas, on parle d’hermétisme. Alors que non, il n’y a pas une once d’hermétisme dans ces mots là. Non, le Valéry poète est plus un dompteur déçu qu’un chantre des obscurités. Ses tigres sont des moutons déguisés en tigres, rien d’énigmatique, presque une certaine lumière : « Rien n'est plus douloureux, ne doit l'être, que de ne pouvoir dresser, terme cher à Valéry, qui se dresse très bien tout seul. Alors ses tigres, de dangereux, deviennent tout simplement beaux, comme si on on ne leur donnait à manger que des bijoux en guise de viande. Ou de fameux morceaux de langue française.On peut les regarder, les caresser, jouer avec. Ils sont de cet ordre gracieux. Intelligibles – intelligents. Ils vivent et respirent à la surface du corps poétique ». Quant à Mallarmé, il n’est pas si hermétique que ça lui non plus, comme tout poète, il est plutôt intraduisible, ce qui est autre chose : « Poète est un homme qui nous donne envie d’aller vivre chez lui, mais chez lui n’est nulle part ». Par ailleurs, fini La Liberté de Blâmer de Matignon. Je recommande cette lecture.
To be continued.
1 commentaire:
Merci, je commençais à m'inquiéter...
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