« Moins je mens, plus je rougis ». (Georges Perros)
1.
5 janvier 2019.- Vent boréal (4°C). Après quelques menues tâches ménagères (poussière, vaisselle et tutti quanti), j'ai lu soixante pages de Sérotonine. Sexe gris, humour déçu, atonie généralisée et provocations diverses et avariées, c'est bien une chose de l'ami Michel. C'est même tellement une chose de l'ami Michel qu'elle ressemble peu ou prou à un pastiche bricolé par un margoulin dégourdi (Patrick Rambaud n'aurait pas fait mieux). Malgré ce mince constat, je ne suis pas vraiment déçu, je n'attendais pas grand chose de ce livre, j'espère seulement sans y croire vraiment que les deux cents pages restantes seront d'un tonneau plus bondissant. (Seul vrai intérêt, grâce à la coalescence saugrenue entre Sérotonine et l'application Google Maps j'ai découvert la Tour Totem, ce malgracieux champignon urbanistique poussé sur le Front de Seine, puis par la bande et toujours grâce à la même application j'ai lentement dérivé vers la porte de Choisy où je me suis retrouvé devant le « supermarché Tang frères » et au pied de tours bien hautes remplies d'asiatiques pour le moins industrieux. Selon quelques-uns de mes informateurs Houellebecq logerai par ici, ça ne s'invente pas.)
Par ailleurs Gilets jaunes acte VIII, tension sur les champs, on brûle des scooters Boulevard Saint-Germain, les nuages de gaz lacrymogène flottent un peu partout. Le tout est très distrayant, il faut bien le dire.
6 janvier 2019.- Temps hivernal (4°C). Cet après-midi j'ai voulu finir la lecture du nouveau roman de Michel Houellebecq, mais j'avais trop bu de vin d'Anjou alors à la place, j'ai fait une longue sieste avinée. Me réveillant tardivement, la nuit était là, je suis tout de même retourné dans Sérotonine et je suis parvenu à lire une cinquantaine de pages. Simple diagnostic un brin lexical, dans sa nouvelle petite affaire les phrases de Michel sont plus longues qu’auparavant et en tous les cas mieux équilibrées par une multitude de virgules articulatoires. La lecture s'en trouve par le fait plus fluide et nous n'avons pas à nous en plaindre vraiment. Le reste, la dépression, le monde occidental qui s'écroule, le « romanesque » et tutti quanti, tout le monde en parle et je n'ai pas grand-chose à en dire de plus. Ah si ! Même s'il y a quelques spéciosités embarrassantes (confondre les pochettes d’ Atom Heart Mother et d'Ummagumma n'est pas la plus mince), j'aime assez l'exactitude topographique et la précision sur les choses qui ponctue le récit avec un zèle un peu laconique (la topographie et les choses). On sent que c'est un livre écrit avec un œil ouvert sur Google Maps et l'autre sur Wikipédia, le troisième oeil étant réservé pour des lieux virtuels et objets plus gênants, le site pornographique YouPorn, la carte du Bistrot du Parisien* rue Pelleport.
* Pour info ce bistrot est fermé les dimanches, ce que semble ignorer Michel : « J’arrivai à 20 heures précises au Bistrot du Parisien, rue Pelleport, Claire avait en effet réservé une table, c’était un point positif mais je sentis dès les premières secondes, rien qu’en traversant le restaurant peu fréquenté mais après tout on était un dimanche soir, que ce serait le seul de la soirée… »
8 janvier 2019.- Nuages et grande fraîcheur (4°C). J'ai lu l’Équipe (comme tous les jours), puis un chapitre très misogyne du plus grand écrivain français vivant. Je me suis assez ennuyé, la misogynie n'est plus ce qu'elle était.
9 janvier 2019.- Crachin et brouillard (4°C). Lever 5H00, labeur, sieste… Un poème d'Henri Thomas… me suis rendormi sur le Houellebecq… J'en suis là, la nuit tombe déjà, charbonneuse.
10 janvier 2019.- Ce rendez-vous diaristique est devenu une corvée. Il faut que je change d'objet.
11 janvier 2019.- Beau temps froid (1°C). Je chemine chichement dans le nouveau Houellebecq. Ma vitesse de lecture est celle d'un fier gastéropode lymphatique (s'il lui prenait l'idée de lire quoi que ce soit). Pas plus de trois courts chapitres en une semaine, voilà pour le rythme. Quant au reste, je n'ai pas grand-chose de bien pénétrant à claironner péremptoirement. Seulement, comme tout supposé « grand écrivain » Houellebecq donne dans la variation (dans le sens de la musique et notamment de la « grande »). Sérotonine ressemble donc à un Extension du domaine de la lutte vu de biais, avec un peu de patine et du savoir-faire. Trop de savoir-faire ?
Nouvelles acquisitions : Jean Follain – Agendas, Fernand Braudel – Le Modèle Italien, Frédéric Pajak - Manifeste incertain (Tome 2), Gay Talese - Sinatra a un rhume, Patrick Leigh Fermor – Mani.
12 janvier 2019.- Pluie légère (6°C). Sérotonine décolle un peu aux alentours de la page cent soixante. On croise un ornithologue allemand qui se révélera plus pédophile que moins et un producteur de lait plus neurasthénique qu’un congrès de spleenétiques en goguette. Il y a des armes à feu et des réflexions amères sur les quotas laitiers, la brume normande envahit un peu tout (belles pages sur la brume normande), et le sentiment que tout cela finira mal commence à poindre avec une régularité tout autant ostentatoire qu'ontologique.
Pendant ce temps-là les « gilets jaunes », font encore des leurs. À Bourges les gazes lacrymogènes remplacent l'ennui inhérent à cette cité pour le moins centrale. Voilà c'était l’ épisode IX.
(17h53) Comme il faisait décidément trop froid, j'ai pris la périlleuse décision de boire un bouillon Royco™. Bien m'en a pris puisqu'à présent j'ai la tête indubitablement toute chaude et les pieds bien tièdes dans mes pantoufles. Pour la suite des opérations, je compte me diriger calmement vers mon canapé, où sous un plaid douillet je m'imagine aisément plonger dans des abymes de réflexions. Décidément, il y a des choix qui forment une vie.
13 janvier 2019.- Brume tenace et petite pluie (6°C). Enfin fini Sérotonine. Contre toute attente les soixante dernières pages sont vraiment très bien (on sent l'ami Michel moins dans sa « petite cuisine romanesque », est-il plus sincère?). Cela nous fait donc, pour résumer à grands coups de hache, cent pages de vitriolique petite musique houellebecquienne (sauvées par pas grand-chose), cent pages de psychogéographie normande brumeuse et de soulèvement paysan (sauvées par la topographie et le sens du détail), et soixante pages de sourd chagrin et d’inéluctable tristesse (somme toute plus émouvantes qu'autre chose). En définitive, le tout n'est pas si mauvais que ça.
15 janvier 2019.- Quelques belles solleilées matinales laissant espérer un azur frôlant le plaisant. Espoir déçu puisqu'aux environs de 14H00 une fâcheuse dégradation nuageuse pointa le bout de son nez (9°C). Vous allez rire ou pleurer, mais il faut que vous sachiez que mes journées ressemblent de plus en plus aux journées d'un poulpe ou d'une méduse. Pire en mieux, j'ai la tenace certitude que mes journées ressemblent en fait aux journées d'une amibe. Bref, je suis plein d'un irrépressible entrain unicellulaire. Lu, et ce, malgré tout, trois poèmes d'Henri Thomas : Le Feu, le Corps et la Fin du monde. Voilà je ne vous embêterai pas plus que ça.
2.
18 janvier 2019.- Matinée douce, soirée glacée (11°C-> 0°C). Cédant aux sirènes du consumérisme numérique dématérialisé j'ai reçu aujourd'hui le téléphone portable de type intelligent (on me parle de Smartphone) que j'avais commandé sur un site marchand payant ses impôts sur le territoire français (il faut savoir rester éthique, même dans la pire des occasions). L'objet, de marque chinoise, est d'un coût relativement modeste, mais il m'aura tout de même bien occupé une grande partie de l'après-midi. Figurez-vous qu'entre « mises à jour » et autres calembredaines high technologiques, je n'ai pas trouvé le temps d'ouvrir le moindre livre. En somme me voilà dès à présent davantage en phase avec l'époque et par conséquent un peu plus barbare.
19 janvier 2019.- Beau temps froid (0°C). Lu trois lettres de Tchekhov, qui s’ennuie un peu de vivre, puis vingt pages de Charles Albert Cingria tout autant helvétiques que merveilleuses (Le Voyage non sentimental). Plus tard, mais guère plus tard, largement entamé Crac le nouvel opus de Jean Rolin. Ce court ouvrage de non-fiction narrative se permet de dansotter sur les pas de T. E. Lawrence, devant le Krak des Chevaliers, le « plus beau des châteaux du monde, certainement le plus pittoresque… une véritable merveille. », en Syrie et au milieu des divers stigmates offerts par les multiples et divers conflits de la région (libano-libanais, israélo-palestinien, irako-syrien, syro-syrien, syro-daeschien et tutti quanti). Pour l’instant je ne suis pas déçu, c'est du Rolin pur jus.
20 janvier 2019.- Deux bourrasques de neige puis un temps globalement nuageux (-1°C→6°C). Fini le Crac de Rolin. Pas son meilleur livre, certainement parce qu'il manque d'alliage personnel et flâne un peu trop du côté du reportage allongé. Les cabrioles dans les traces de TE Lawrence sonnent aussi un peu contreplaqué. Dans des régions limitrophes et affleurantes, son opus précédent le Traquet kurde était beaucoup mieux. Cela dit c'est du Rolin, donc rien de vraiment déplaisant. Tiens pendant que je suis un peu avec T.E Lawrence, il me vient à l’esprit qu'il me faudra bien finir un jour la lecture de ses sept piliers (Lecture abandonnée par vague ennui à la page 549. C'était il y a quelques années, le marque-page est toujours là... stoïque).
21 janvier 2019.- Pression atmosphérique 1019 hPa, humidité 87%, vent 18 Km/h (2°C). Malade… Je fête la journée la plus déprimante de l'année, le fameux Lundi blues, avec l'ami Cioran :
«Ce matin, au lieu de travailler, je suis allé dans une librairie où j’ai fouillé pendant plus d’une heure, sans aucune nécessité. J’y ai retourné des bouquins qui ne m’intéressaient nullement, et le comble est que je savais que je ne trouverais rien qui valût la peine. Tout cela pour escamoter le devoir, non, l’obligation de me mettre à ma table de travail. L’habitude que j’ai prise de remettre au lendemain est un crime contre moi-même. Au bout d’une heure de « bouquinage » inutile, ma tête tournait Et je suis rentré avec un sentiment de honte et de dégoût dont je n’arrive pas à être le maître. Un individu foutu, un misérable dans tous les sens du mot. Comment en suis-je arrivé là ? Il n’est guère que le sentiment de ma dégringolade qui soit plus grand que ma dégringolade même » (Cahiers - 21 janvier 1966).
« Feindre de croire, d’espérer, d’exister, c’est le maximum de réalité qu’on puisse atteindre » (Cahiers - 21 janvier 1970).
22 janvier 2019.- Soleil et froideur (2°C). Trois flocons de neige à Paris, panique généralisée, on en oublierait presque les gilets jaunes. Par ailleurs rien lu, pas plus de temps que d'énergie, trop vidé par le labeur, le labeur qui est une vraie saloperie… voilà c'est dit.
25 janvier 2019.- Beau temps froid (1°C). En mars 1894 Anton Tchekhov est en villégiature à Yalta et même s’ il mange des petits pâtés au piment et des côtes d'agneau au gruau chez la directrice du lycée de jeunes filles, il s'ennuie solidement. Il faut dire qu'il n'a pas vu ses deux teckels Brome et Quinine depuis plus d'un mois et que pour lui le printemps du sud ne vaut pas celui du nord :« chez nous la nature est plus triste, plus lyrique, plus levitanesque » (j'ai des doutes). Malgré tout cela les choses et le temps cheminent tout de même cahin-caha, il vend sa pelisse en renard vingt roubles (elle en valait pourtant soixante !), les groseilles ne sont pas encore mûres, mais il fait bon, le ciel est clair et les bourgeons des arbres commencent à éclater tandis que la mer à des airs d'été. Le 27 mars il écrit une lettre merveilleuse à Lydia Mizinova, le ton n'est pas très macroniste, jugez pas vous-même : « … Je suis d'avis que sans oisiveté le vrai bonheur est impossible. Mon idéal : être oisif et aimer une fille plantureuse. La volupté suprême, pour moi : marcher ou rester assis, mais ne rien faire ; mon occupation préférée : collectionner ce qui ne se fait pas (des petites feuilles, des brins de paille et ainsi de suite)…»
26 janvier 2019.- Temps froid et nuageux (3°C). Enfant moi et ma famille possédions une tortue un peu flemmarde. Contraints par un départ estival vers une lointaine villégiature sur la Costa Brava nous avions confié sa garde à l'une de nos voisines, madame Bachemar, épouse de croque-mort de son état. Comme rien n'est jamais vraiment rose à notre retour des côtes catalanes il s’avéra que notre petit reptile ne faisait plus partie de ce bas monde. Morte de sa belle mort un petit matin torride, elle aurait ensuite été jetée dans le vide-ordure par une madame Bachemar ne trouvant pas d'autre sépulture à portée de main. Évidemment connaissant la profession de l'époux de la susnommée madame Bachemar - croque-mort, je le répète - cela ne manquait pas de gros sel. Pour tout dire, moi et mes frères et sœurs avons toujours douté de cette histoire, imaginant plutôt le couple Bachemar ingurgitant notre petite bestiole coinçouillée entre deux feuilles de menthe. Ainsi vont les choses.
Pendant que je vous tiens, figurez vous que le premier mot du nouveau roman d'Éric Chevillard est le même que celui donnant son titre au nouveau roman de Jean Rolin : Crac !
Crac ! c'est le son que produit le dos d'une tortue lorsqu’on a la maladresse de lui écraser la carapace. C'est ce qui arrive au héros chevillardien, il tue sa tortue par mégarde, Crac ! et la voilà morte ! Ce sont des choses qui arrivent… For the rest nous sommes bien chez Chevillard, tout du moins pour l'instant, je n'ai lu que soixante-dix pages sur deux cent quarante. Queneau et Ponge sont sur un bateau, Ponge tombe sur une tortue, voilà un autre Crac !. Il y a des blancs de chez Minuit un peu partout, on s'amuse beaucoup, on rigole même franchement, Chevillard ne se refait pas.
27 janvier 2019.- Température plus douce, vent et averses (9°C). Fini le Chevillard, vraiment pas mal. Très bien sur les petites bestioles ovipares dotées d'une carapace. Belles circonvolutions autour d'un écrivain inventé de toutes pièces (le dénommé Louis-Constantin Nivat), quasi-éloge du plagiat, et surtout cette façon de pousser les logiques jusqu'à leur bout, jusqu'à l'absurde, jusqu'à la franche rigolade…
28 janvier 2019.- Temps vaguement nuageux, température vaguement froide, vent évasif (4°C). Rien, niente, nothing, nada, nichts, ничего, 没什么, ምንም.
3.
29 janvier 2019.- Il faisait beau et froid, mais à quoi bon ? Pour demain on annonce une tempête de neige, moins d'ennui, peut-être ? (4°C). La nuit déjà là, je bois un expresso corsé dans ma petite tasse Audrey Hepburn, l'hiver est décidément bien long cette année.
31 janvier 2019.- Pluie continuelle, que d'eau, que d'eau ! (8°C). 17h44, j'ouvre le Zibaldone de l'ami Léopardi au petit bonheur (la chance). As usual, rien de vraiment décevant : « L’objet des beaux-arts n’est pas le Beau, mais le Vrai, c’est-à-dire l’imitation de la Nature. Si tel était le cas, on aimerait toujours davantage ce qu’il y a de plus beau, et l’on s’élèverait ainsi vers une perfection métaphysique qui, dans les arts, écœure plus qu’elle ne plaît. Je ne parle pas ici du beau compris dans les seules limites de la nature, auquel cas c’est l’imitation de celle-ci qui fait tout le plaisir des beaux-arts, mais du beau en soi ; comme je viens de le dire, la plus grande beauté devrait alors nous procurer le plus grand plaisir, et la description d’un monde idéal nous plaire bien davantage que celle de notre monde. » 17h56 , je lis un poème d'Henri Thomas où il est question de la clarté d'un corps parfait et d'une chambre à Bayonne : « Comme le vent aime une vague / Je l'ai aimée et poursuivie, / Le vent revient, la vague divague, / Et la nuit j'erre dans ma vie. » 18h06 mon Earl Grey refroidi, rien d'autre.
1 février 2019.- Pluie battante (6°C). 5h45 lever. 6h30 labeur. 14h45 analyse de sang. 15h15 sieste. 15h45 j'entame un court spicilège de Claudio Magris (Instantanés). 16h30 Tâches ménagères. 16h50 je prépare consciencieusement un thé vaguement indien. 16h54 je bois indolemment mon thé vaguement indien. 17h46 la nuit tombe, je mange un petit pain suédois de la maison Pågen. 18h02 j'écris ces lignes on me chuchotant à moi-même qu'elles ne présentent pas un grand intérêt.
2 février 2019.- Brume et bruine (4°C). Instantanés de Claudio Magris. Choses vues, vie quotidienne et grande Histoire, Trieste et Mitteleuropa, Kvarner et mélancolie. Ces petits textes dégagent une courte morale qui n'ai jamais assommante. Ils se lisent comme une lettre passe à la poste, sans effort apparent et avec une indéfectible pointe de satisfaction à l'épigastre.
Plus tard. Sur Internet. Vu un début de conférence où Richard Millet dissèque le cadavre de la littérature française (la littérature française depuis 1980, sur YouTube). Il est habillé en noir, on sent qu'il n'est pas dans le camp du bien.
3 février 2019. - Pluie et vent (4°C). Sec et sans inspiration, légumineux pour tout dire, je n'y suis pas vraiment. Après avoir fini la lecture du court opuscule de Claudio Magris évoqué hier suis retourné dans le lourd pavé rassemblant les quasi-œuvres complètes de l'ami Perros. 1971 on le film pour la télévision (Une vie ordinaire, visible sur YouTube, triste et formidable). 1972 il participe à un questionnaire tournicotant autour de « l'écrivain et la société », ses réponses sont très à rebrousse barbe et sur leur quant à elles, cependant une presque merveille : « Écrire nécessite donc un minimum de solitude, mais au même titre que pas mal de manifestations humaines. L'amour, entre autres, qui profite de la nuit pour souder les monologues. » 1973 un deuxième volume de Papiers collés paraît (assez propulsé par Georges Lambrichs, Perros n'étant pas plus velléitaire que ça). Les lisant on se chuchote à soi-même qu'ils sont en définitive assez sinistres et un peu pue la mort. Puis on constate qu'en règle générale Perros est aussi cela : sinistre et un peu pue la mort. On ne le criera pas trop fort… mais on aime ça.
Plus tard, feuilleté Un sacré gueuleton, spicilège posthume du plantigrade épicurien Harrison, suis tombé sur ces lignes, décidément tout est dans tout : « Si l’on devait m’apprendre que j’allais bientôt passer l’arme à gauche, j’ai souvent pensé que je rejoindrais Lyon pour y manger comme quatre durant un bon mois, après quoi on pourrait me jeter d’une civière dans le Rhône bien-aimé. Peut-être y nagerais-je au fil du courant jusqu’à Arles pour y savourer mon dernier dîner. »
5 février 2019.- Beau temps froid (4°C). Février cheminant cahin-caha les jours s'étendent un peu, je ne sautille pas encore vraiment dans le printanier, je suis simplement et petitement cahoté par d'inapparents soubresauts capricants. En attendant les premiers bourgeons lu trois pages de Léopardi, sur les Anciens et leur tenace habitude à vouloir imiter la nature (vous voyez les Anciens, les Grecs, les antiques, la nature, l'imitation, l'art en somme), deux pages de Perros - la langue, la perte, ce que nous perdons c'est cela aussi, la littérature -, un poème d'Henri Thomas, le sexe lisse et fermé d'une jeune fille, seize au plus, une mince fente. On rougit un peu intérieurement, tout cela est tout de même d'un goût très nympholepte.
7 février 2019.- Pluie légère (6°C). Mes mains sont cuites et tannées pas le labeur. Une solution : ne plus travailler (tout du moins manuellement) laisser agir la grande force de mon esprit (évidemment, je me pique de mots).
Une chronique à tendance culinaire de l'ami Harrison. De la merde d'ours ingurgitée au débotté, une colline de cocaïne. Plus tard un papier collé du père Poulet : « J'ai remarqué que quand je me promène avec un homosexuel, je n'ose plus regarder les femmes, par crainte de l'indisposer ». Drôle de tapisserie. Ensuite, il faisait déjà nuit, trois poèmes d'Henri Thomas, l'un très sexué.
9 février 2019.- Nuages et relative douceur (13°C). Un marine de sang grec, suédois, indien, irlandais et italien, bref, un marine américain, se souvient de sa jeunesse. Amoureux d'une jeune fille de pas plus de seize ans, il l'avait enlevée puis vaguement épousée avant qu'une belle mère pour le moins irascible ne mette un terme à l’idylle en séparant le couple manu militari. Seize ans plus tard par un hasard tout à fait casuel, le hasard est souvent casuel, notre marine retrouve son ex tendre dulcinée. Elle a bien changé, ne porte plus le même nom est un devenu actrice et pour tout dire un quasi-sex-symbol de plus gigotant dans les allées d'Hollywood. Voilà l'intrigue d'Ordo, court roman de Donald Westlake que j'ai largement entamé aujourd'hui. C'est du Westlake assez peu policier, guère sautillant et très mélancolique, dans la veine d'Adios Schéhérazade : « Je ne sais pourquoi, mais Los Angeles a l’air plus vieux que New York. Ça ressemble à un très très vieux village d’Indiens Pueblos où des promoteurs auraient ajouté du néon. New York n’a pas l’air plus vieux que l’Europe, mais Los Angeles a l’air aussi vieux que du sable. On dirait un endroit qui a presque eu un Âge d’Or, il y a longtemps, mais il n’est rien arrivé et maintenant c’est trop tard ». Par ailleurs toujours dans les petits papiers de l'ami Poulot : « Quand mon chien me voit tout nu, il ne me reconnaît pas ».
10 février 2019.- Tempête ! (12°C). Westlake, Ordo, très bon, laconique comme il faut avec une bonne dose d'amertume chiffonnée (Traduction impeccable de l'agoraphobe en chef Manchette). Otherwise still with Perros. « La parole sort d'un rêve. Mais l'homme en est un… »
11 février 2019.- Ciel globalement nuageux (7°C). Le néo vulgum pecus mange bio parce qu'il pense qu’en mangeant bio il ne va plus mourir. En somme pour lui le bio est une sorte de doudou qui a un peu remplacé Dieu. Ce faisant le néo vulgum pecus oublie peut-être deux trois peccadilles… Il oublie d'un côté que la croyance est une sacrée affaire d'un autre côté il oublie que l'essence de la vie réside dans la peur de mourir et que sans cette peur-là la vie perd pour ainsi dire sa raison d'être. Voilà les quelques questions qui m'ont saisi cet après-midi à l'instant même où j'ouvrais un paquet de sablés bio, mais tout de même au beurre. Vous avouerez que tout cela ne manque pas de sel !
Pendant que je vous tiens par la barbichette ontologique, sachez qu'aujourd'hui j'ai refait un petit tour dans les Cahiers de Cioran. Ils sont toujours primesautiers en diable : « Plaquons tout, ayons le courage et la pudeur de crever dans la solitude, comme les éléphants et les rats ».
14 février 2019.- Les frimas matinaux passés, belle douceur (-1°C-> 14°C). Mon canapé est un rocher, je suis une moule.
To be continued.
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