En voilà une drôle d’histoire triste, voyez–vous qu’il n’y a rien de plus laconique, rien de plus accablé, que la carrière de Deux filles ce très mystérieux duo eighties grêlé par le drame voire même pire que le pire, par l’ épouvantable ! Une catastrophe imminente et tellement surplombante que forcement voyez-vous là, c’est un éboulement. Deux filles : Gemini Forque et Claudine Coule, adolescentes hexagonales qui se rencontrent pendant un pèlerinage à Lourdes. Claudine accompagnait une mère qui décèdera subrepticement d'une incurable maladie pulmonaire et cela avant même d’avoir atteint la grotte à Soubirous et ses babioles en stuc. Gemini, elle, était rembrunie par le trépas automobilistique et tout frais d’une mère tentant de véhiculer un père paralytique sur le chemin de la même grotte aux colifichets. Les deux adolescentes devant leurs deuils respectifs comme devant deux tas de charbon décideront de ne faire qu’un tas et elles prendront la tenace résolution de cicatriser mutuellement par le biais de la musique. Une musique forcement sinistre, morbide avec des pointes lugubres, forcement lugubres, mais cependant jolie avec quelque chose de la complainte, de la lamentation voire de la douleur dentaire, vous voyez la complainte la lamentation et la douleur dentaire ? Malheureusement, car il y a en l’occurrence encore du malheur, c’est après avoir enregistré deux albums applaudis par la critique et après avoir joué dans toute l'Europe que Forque et Coule s’évaporeront, tel l’éther, sans laisser plus de trace que dans les sinus et vaguement dans les mémoires. C’était à Alger en 1984. Gemini Forque était née à Alger elle y avait vécu jusqu’à l’age de cinq ans, pour elle c’était un retour aux sources, drôle de retour, un retour dans l’éther dans les saintes extases et la disparition, un phénomène saumâtre et sans colifichets.
On échafaudera moult théories bancales à partir de cette histoire : enlèvement, meurtre, libre combustion des corps ? Au cours des années, aucune trace du duo si ce n’est une mystérieuse lettre soi-disant écrite par Coule et prétendant que les deux filles auraient discrètement caboté vers les Indes, les Indes si spirituelles ! Si propices à la collecte des âmes !
Les terribles et courtes existences de Claudine Coule et Gemini Forque sont à l'origine d’un concis mais fervent culte auprès d’une discrète cohorte de zélateurs dont votre serviteur est l’un des sectateurs les plus diligents… J’aime cette musique parce qu’il y a dedans de la placidité somnambulique, et la placidité somnambulique c’est beaucoup. J’aime cette histoire parce qu’il y a dedans beaucoup de tristesse moirée, et la tristesse moirée c’est beaucoup…
Là où tout se complique, là où tout bondit de l’ombre vers la lumière, c’est que ces Deux Filles là, vous l’aviez deviné, n’on jamais eut plus d’existence tangible qu’un rêve tissé d’âme dans l’encéphale embrumé de Simon Fisher Turner... un anglais encore un... Vous devriez connaître Simon Fisher Turner cet ancien enfant star, dandy décalé notoire, compositeur chez Derek Jarman, petit roi d’une hypothétique principauté pop avec The King Of Luxembourg. Vous ne devriez pas oublier, non plus, que notre mirliflore Simon fut un temps le voisin de palier d’un autre mirliflore notable, Louis Philippe, c’était chez El Records (et non Sarah) …
Deux Filles n’était donc qu’un rêve, une fiction brumeuse pleine d’umour chantignole, une histoire plus que de la musique c’est certain, mais de la musique un peu quand même ; éminente comme chez Vini Reilly, mystérieuse comme chez Eyeless In Gaza (sans le sublime incantatoire d’une voix hors normes), atmosphérique comme chez le déplumé en chef Eno. Bref un bon disque d’ameublement un peu tordu, comme chez le facteur Cheval .
2 commentaires:
Très bon texte. Avec mention spéciale "5 stars" pour la douleur dentaire.
Cher anonyme, merci beaucoup
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