samedi 28 février 2015

Solitude de l'audionaute de fond (7)




« Je me pose la question : que veut donc de la musique mon corps tout entier? Car il n’y a pas d’âme… c’est, je crois, son allégement; comme si toutes les fonctions animales devaient être accélérées par des rythmes légers, hardis, turbulents; comme si l’airain et le plomb de la vie devaient oublier leur pesanteur grâce à l’or, la tendresse et l’onctuosité des mélodies. Ma mélancolie veut se reposer dans les cachettes et les abîmes de la perfection; voilà pourquoi j’ai besoin de musique. »

22 février 2015. Anōmy ‎– TVC 15 / Lone Wolf (1982) Un 45 tours incunablesque. La face A est une cover assez dispensable de David Bowie (TVC 15). La face B (Lone Wolf) qui est très bien aurait dû être la face A. Donc passez directement à la face B qui aurait dû être la face A (à partir de 4 :48). J’aime beaucoup cette face B (ah, les filles et le spleen urbain !), j’aime beaucoup les Raincoats aussi.
David Westlake – Westlake LP (1987) David Westlake est un secret à peine partagé, une cause perdue, le type qui avec son groupe les Servants aurait pu ramasser la mise brit-pop mais qui ne la ramassera jamais. Il n’y a finalement pas grand-chose à écouter de lui, une compilation des Servants (Reserved), assez exhaustive, un bon disque solo sorti dans une indifférence polie en 2002 (Play Dusty for Me) et puis ce mini-album de 1987 (six titres pas plus, pas le temps de s’ennuyer). C’est un disque presque velvetien et pelucheux, il y a un titre qui commence comme du Dire Straits (ironiquement) pour mieux finir Television (amoindrie). Il me semble que Luke Haines tient la guitare et qu’il y a un bout des Triffids dans le coup. L’humeur est nonchalante, toutes les chansons sont des chansons d‘amour un peu désabusées où le manque d’ambition et une douce résignation rodent (ce qui est très bien).

23 février 2015. Hoagy Carmichael – Hoagy sings Carmichael (1956) Carmichael est l'un des plus grand artisan de la musique populaire américaine toutes époques confondues, je n'aurais pas l’outrecuidance de la rappeler à quiconque. Je vous recommande néanmoins l'écoute de ce disque épatant enregistré pour Pacific Jazz Records (la firme des débuts de Chet Baker). Tout y est chanté par Hoagy lui-même et il est accompagné par une belle brochette de Jazzmans (Les trompettistes Harry « Sweets» Edison and Don Fagerquist, le saxophoniste Art Pepper, et le pianiste Jimmy Rowles…) Le menu est très appétissant et vous ne serez pas déçus (Georgia on My Mind, Memphis in June, Skylark, Twoo Sleepy People, Lazy River, Old Rockin'Chair...)

24 février 2015. The Bathers – Sunpowder (1995) Chris Thomson le chanteur des Bathers est un crooner écossais avec une voix du tonnerre, un peu comme celle de Paul Quinn (ou de Paul Buchanan pour rester écossais). Ce disque Sunpowder est très bien, de la pop symphonique un peu affectée avec Liz Frazer des Cocteau Twins qui gazouille dans le fond.
On enchaînera par du sublime, forcément sublime : Coltrane avec Johnny Hartman (My one and only love) encore Coltrane avec Duke Ellington (In a sentimental mood, extraordinaire et si simple), et un grand oublié west-coast Bill Perkins (Just a child).

25 février 2015. On a tort de prendre le rock sudiste pour une bidule de rednecks tout juste éveillés. Prenez les Allman Brothers et bien voyez-vous qu'il n'y a pas plus arty qu'eux. Arty des champs, arty ploucs mais arty tout de même. Duane Allman est bien plus subtil qu'il n'y paraît, il grattouille dans les tierces et les quintes, vadrouille plus souvent du côté du Miles Davis historique que de quiconque… Il fait un peu ce que Tom Verlaine fera dix ans plus tard avec Coltrane et Eric Dolphy : il balance du Jazz dans la marmite. Pour s'en convaincre on réécoutera ces quelques minutes d'In Memory of Elizabeth Reed live au Fillmore East, elles sont un peu longues, mais assez concluantes.

26 février 2015. Robert Wyatt – Old Rottenhat (1985) L’inattaquable plongée mid-seventies Rock Bottom à beau être l'un des plus beau album d’anti-rock au monde, il y avait dedans Nick Mason l'infirmier Pink Floyd et quelque chose du Barnum dans les arrangements. Voilà pourquoi j'ai toujours trouvé plus à mon goût le Robert Wyatt mid-eighties celui du vieux chapeau pourri et des merveilles Cherry Red. Un voix, un orgue et rien de plus ou très peu. On écoutera The United States of Amnesia, Wyatt chante le génocide des Indiens d’Amérique et nous sommes fatalement émus, de l'air au service de la révolution (On me chuchote qu'un Wyatt fredonnant le bottin pourrait être tout autant politique puisque ce qui est surtout politique chez lui c'est sa voix et avant tout sa voix. Je ne sais pas ; peut-être, allez savoir ?)
Joa Gilberto – Amoroso (1977) Disque merveilleusement arrangé par le grand Claus Ogerman (l'homme des cordes coruscantes). Les quatre premiers titres sont des classiques repris dans leur langue d'origine (Joa Gilberto est assez polyglotte), les quatre titres suivants sont des compositions de Jobim adaptées par Gilberto. Le tout est assez goûteux et presque un peu trop sucré, il faut bien l'avouer.

27 février 2015. Friday Night, Saturday Morning c’était le Friday on my Mind des Easybeats, mais abordé par sa face raide et blafarde. Cette lymphatique musique de train fantôme… Les « joies » du vendredi soir : descendre une multitude de pintes dans la boite du coin, regarder les filles, mais pas plus… Les « joies » du samedi matin : rentrer seul, attendre un taxi, une tourte à la viande dans la main, un pied dans une flaque de vomi… Bref, Terry Hall était un sacré écrivain de chansons : « Wish I had lipstick on my shirt / Instead of piss stains on my shoes »

28 février 2015. Au menu du raide et rien que du raide, du raide issu de la fameuse fracture 78/82, c’est qui « en raide » est un genre d'espèce de must. On commence par Bay of Pigs des crispés de la baie de San-Francisco qui ressemblent trop à des New Yorkais énervés pour être vraiment honnêtes — cette basse placide et cette guitare caoutchouteuse, ce chant nerveux qui doit plus à David Byrne qu’à quiconque – On poursuit avec les Dancing Cigarettes de Bloomington (Indiana) un bien belle clique roide, avec chanteuse amoindrie et saxophone sociopathe qui gazouillent de concert sur un bidule serré, anguleux et ironique... Les Model Citizens des New Yorkais produits par John Cale sont eux adeptes d’une sorte de jerk rigide qui réjouira les plus tendus d’entre vous... Je n’ai aucune information à fournir sur les Jazz Hipsters, ils n’ont sorti qu’un 45 tours, il est très bien. Outre la raideur on aimera beaucoup Les Limbo Race de Boston pour ces paroles immortelles : « I want the saliva Patti Smith spit out, the last time she sang the last time ». Tout le monde connaît ou devrait connaître Suicide Commando de No more (des Allemands malsains) c’est un smash-hit underground imparable. J’ai déjà parlé des Sleepers ici c’est un groupe indispensable pour tout amateur de punk côte-ouest qui se respecte un peu. On fini avec les Social Climbers : une boite à rythmes, un orgue, du calme post-névrotique qui monte et redescend, que du bonheur.


vendredi 27 février 2015

Psychogeographie indoor (56)



« Il faudra bientôt, je le soupçonne, que nous nous cachions pour lire, comme le temps est venu de se cacher pour boire. Rendre hommage au vin loyal confine à l'insoumission et invite à la clandestinité. Nous sommes quelques uns à nous préparer à des lendemains furtifs » (Jean Claude Pirotte)

1.

6 septembre.- Temps quasi parfait, soleil tempéré par quelques rares nuages offrant une climatisation toute naturelle. (27 °C)

« Je parlerais de ma période chrétienne comme un peintre de sa période rose ou bleue… »

« Rentrée littéraire ». Emmanuel Carrère possible authentique écrivain. J’entame Le Royaume. Crise mystique et petite enquête sur les premiers chrétiens. N’ayant lu qu’un tiers du livre je ne saurais avoir un avis tranché. Néanmoins Deux trois constatations : peu de sapidité de bénitier, une belle capacité à vouloir se mettre en scène, de la fluidité, trop de fluidité?

7 septembre.- Ciel bleu pâle, température estivale. (31 °C) Comment une petite secte juive, fondée par des pêcheurs illettrés et soudée par une croyance saugrenue a bien pu réussir et devenir ce que l’on appelle christianisme! C’est cette histoire-là que Carrère tente de raconter sans plus d’effets littéraires que de lourdeur historiciste, non plutôt à la bonne franquette avec le ton journalistique de celui qui sait parce qu’il à su se renseigner là où il fallait (chez Renan, Pierre, Paul ou Jacques…). C’est la force et la faiblesse de son livre, ce côté relâché et non ostentatoire, finalement pas trop romanesque, facile à lire…

9 septembre.- Orages. (23°C) Très las et plus très là, plein d’apathie et de mollesse triomphante… Lu trois chapitres de Carrère entre deux bâillements. Son Royaume ne m’ennuie pas vraiment, c’est simplement mon corps et mon cogito qui me lâchent à l’unisson…

11 septembre.- Soleil voilé. (22°C) Trop saisi par le labeur. Encore tourné autour de deux chapitres de l’ami Carrère sans vraiment pouvoir y entrer. C’est un problème. Rien d’autre.

12 septembre.- Ciel dégagé, bleu pâle, humidité raisonnable, fraîcheur dès l’ombre atteinte. (21°C) Carrère, Le Royaume. Quelques circoncis et incirconcis tournicotent sur la future esplanade des mosquées puis se regardent en chiens de faïence. Ce n’est qu’un début… le monothéisme est en marche.

14 septembre.- Soleil chichement voilé et un peu trop bas pour être vraiment honnête. (23°C) Journée plaisante où j’ai émergé d’une soirée alcoolisée avec un beau contentement et l’impression de ne pas être avec mon corps, mais au-dessus dans un joli surplomb scrutateur. Dans cet état, plus flottant qu’amarré, poursuivi la lecture de la somme paléochrétienne de l’ami Carrère. Somme finalement plus passionnante qu’autre chose avec quelques arpents charmants frôlant le croquignolet. La Rome de 64 est par exemple assez gratinée on y couche avec qui l’on veut, hommes, femmes, enfants animaux et l’on y trucide les chrétiens avec une sauvagerie non dénuée de raffinements divers et variés : « Ceux qui n’avaient pas été le matin jetés dans l’arène, cousus dans des peaux de bêtes pour être dévorés par des molosses, ont été gardés pour le soir, revêtus de tuniques enduites de poix et transformés en torches vivantes qui éclairaient la fête dans les jardins de Néron. On attachait des femmes les cheveux aux cornes de taureaux furieux. À d’autres, on badigeonnait le ventre de sécrétions d’ânesses afin de faire mieux bander les ânes qui les violeraient. Suétone décrit Néron lui-même se déguisant en bête fauve pour aller lutiner les condamnés et surtout les condamnées, attachées nues à des poteaux. Ainsi est-il devenu pour tous les chrétiens, l’Antéchrist, la Bête. »
Pour le reste, le livre est très bien même si Carrère se laisse de temps à autre embourber dans sa propre intimité (cette brune très sage qu’il regarde cinquante fois jouir deux fois sur un site pornographique…)

15 septembre.- Météorologie poisseuse, moiteur délétère. (25°C) Le Royaume. Les débuts de l’ère chrétienne sont assez réjouissants. À Jérusalem la famine règne. Quelques mères perdant toute raison mangent leurs enfants tandis que sur les collines environnantes des forêts de suppliciés se décomposent sous le regard attendri d’un petit cénacle de chiens et de chacals qui n’en demandaient pas tant. À Rome Néron est déclaré ennemi de la cité. l’un de ses esclaves lui enfonce une dague dans la gorge, drôle de suicide. L’année 68 est ainsi remplie de merveilles, ce ne sont que naissances monstrueuses, fœtus à plusieurs têtes, épidémies diverses et variées, famines carabinées et éruptions volcaniques un tantinet explosives. L’apocalypse guette, l’apocalypse est bientôt là.

16 septembre.- Beau temps, dans le genre estival tardif. (27°C) Toujours agréablement assommé par le pavé paléochrétien d’Emmanuel Carrère . Le mélange d’intime et d’extime, de crudité autobiographique et de grande Histoire en marche (avec sa Hache) est finalement assez à mon goût. Carrère n’aura pas le prix Goncourt qu’il visait, à la place il aura un peu de mon estime, c’est déjà ça et mieux que rien.
« M. Barrès, dans une interview récente, appelait sa Chronique de la Grande Guerre un Journal intime de la France. Quel singulier contresens ! Et comme ce journalisme, qui est de l’action, de l’action énergique, vivante et volontairement partiale, ressemble peu à un journal intime, acte d’intelligence, miroir de la clairvoyance au repos où l’homme s’arrête de vivre pour comprendre. Il faut des Maurras et il faut des Amiel, comme il faut des Barrès et il faut des Montaigne ; il faut aussi choisir entre les deux destinées, et la Chronique a tout de la première, rien de la seconde. C’est comme le journal de la France, tout ce qu’on peut imaginer de plus extime. — (Albert Thibaudet, Nouvelle Revue Française, 1er juin 1923) »

19 septembre.- Queue d’orage et aquosité prégnante.(22°C) Gloomy, like the weather. Toujours vaguement plongé dans le Royaume de Carrère, sans véritable entrain.

20 septembre.- Météo semi-tendancieuse. Matinée ensoleillée, après midi gâché par une cohorte de nuages globalement patibulaires.(25°C) Je me lasse de tout, même de cette petite chose diariste à la petite semaine. Les quelques lignes qui suivent seront donc d’une faiblesse insigne, car peu travaillées et assez peu pensées.
Fini d’arpenter les écheveaux évangélistes d’Emmanuel Carrère. Contrairement à d’autres le côté grande histoire ma beaucoup plus intéressé que le côté intime et vaguement masturbatoire. Je sais pertinemment que les deux côtés mêlés forment le projet avoué du livre, mais ne m’en voulez pas de préférer l’un à l’autre. Disons que chez Carrère j’aime assez le bidouilleur éclairé et moins l’écrivain. Cela dit et s’agissant de l’écrivain les dernières pages du Royaume sont assez belles, et attisées par un joli feu chrétien un brin antithétique.
Demain retour dans les petits papiers de Jean Rolin. Je pense que je vais m’y plaire.



2.


21 septembre.- Ombres et nuages. (22°C) L’homme qui a vu l’ours. Les reportages de Jean Rolin sont décidément épatants. Il gambade en Roumanie, au pays des mille et une horreurs, dans un décor dévasté, remodelé par l’idéologie au point de tendre vers la pure abstraction. Titanesques clapiers alignés, caverneux palais de la culture, monuments héroïques et magasins vides. Nicolae Ceaușescu vient d’expirer dans les circonstances que l’on sait. À Bucarest de sombres mineurs armés de bâtons de plomb luttent contre les « fascistes » divers et variés tandis que dans les hôpitaux psychiatriques on laisse plus ou moins mourir des enfants tout juste anormaux. Le communisme se délite, le communisme n’est presque plus là. Légèrement plus à l’ouest, à Usti en Bohème, les singes du zoo meurent avec des poumons de grands fumeurs. Ils ne fument pas, mais l’air qu’ils inhalent dans cette petite métropole industrieuse n’est pas pour rien dans leur inopportun trépas. Après deux trois cabrioles mitteleuropa Rolin se retrouve en Égypte, puis en Israël en pleine guerre du Golf. Période fluctuante, pas si éloignée que ça.

22 septembre.- Météo semi-automnale. (21°C) Lever 4 heures. Labeur. Rien lu, trop fatigué.

25 septembre.- Fraîcheur automnal. (17°C) Ouvert les Cahiers de Cioran au petit bonheur la chance. Bonne pioche, ils ne déçoivent jamais : « Il n’y a que nos maux qui donnent quelques “profondeur ”. Eut-il du génie un bien portant est fatalement superficiel ». Rien d’autre, ou presque

26 septembre. Journée quasi estivale, dans le genre tardif. (25°C) L’outdoor encore un peu tiède je m’y suis risqué en cherchant un peu altitude, car le soleil est bien bas en ces étés finissants. (Mon indoor quant à lui prend des airs islandais, il faut dire que ma chaudière n’est pas encore en « route », mon chauffagiste doit être certainement écologiste et retors).
Lectures du jour, entre ombre sournoise et hauteur solaire. Nuits bleues, calmes bières de Jean Pierre Martinet (beau titre). Court opuscule, préambule à Jerome son roman très conséquent que tout un chacun devrait lire avec appétit et court effroi. Même humour noirci par l’ontologie, même déglingue qui monte au-dessus des volutes alcoolisées. Presque un bon très petit livre.
Le policier qui rit, Le roman d’un crime épisode 4 par Maj Sjöwall et Per Wahlöö. On retrouve un autobus joliment garni, huit cadavres à l’intérieur. Enquête un tantinet glauque avec de petits reflets sinoples assez peu ragoutants. Quelque chose de drôlement burlesque en creux avec des bouts existentiels, de la sueur sociale-démocrate, du sexe libéré, de la pilosité nordique… Une appétence douteuse pour le glissant et le terriblement glissant. La Suède à la fin des années soixante devait être terriblement glissante.

27 septembre.- Beau temps, pour rien ? (22°C) Septembre finissant le soleil devient trop bas pour mon intérieur. Une histoire d’angle et de chauffagiste retors qui me laisse un brin penaud. C’est donc emmailloté de frimas superfétatoires que j’ai achevé la lecture du Policier qui rit. L’intrigue est certainement un peu bâclée, mais dans le genre scandinave gris beige c’est un livre qui se laisse très bien lire.

28 septembre.- Beau temps encore un peu chaud. (25°C) Octobre d’ Oscar Coop-Phane, joliment morose et des les traces du Feu follet de Drieu et de l’Homme qui dort de Perec. Style Léger, amer, presque prometteur. Entamé l'Histoire de la décadence et de la chute de l'Empire romain d’Edward Gibbon. Gros pudding antique de plus de deux mille pages.

29 septembre.- Pluie fine, sourde humidité. (20°C) Lire Sylvia Plath en français et un total contresens c’est pourtant ce que je fais en picorant dans un volume de son définitif Ariel qui s’offrait à moi là, traduit et non bilingue. Au-delà de la perversité matoise qu’il y a lire de la poésie traduite je dois constater que si Sylvia était indubitablement un très grand poète (je n’écrirai jamais poétesse) elle n’était pas vraiment rigolote non plus. Poursuivi chez Gibbon, un autre anglo-saxon traduit, qui lui tournicote autour des centurions en jupons.
« A sort of walking miracle, my skin Bright as a Nazi lampshade, »

30 septembre.- Ciel plutôt nuageux. (23°C) Still in Sylvia Plath poems. Depressed but beautiful. Encore dans les pensées de Joseph Joubert. Celle-ci me semble pour ainsi dire parfaite : « Pour que la beauté ait le mérite de la dissonance, il faut qu’elle soit employée par un homme qui connaît l’harmonie, et qui y pense en la fuyant… »

3 octobre.- Soleil. Last fine days ? (23°C) Une pensée de Joubert, un poème de Sylvia Plath quelques bizarreries matheuses de Wittgenstein ; je picore à défaut d’entamer.

4 octobre.- Encore un peu de soleil, déjà des nuages. (23°C) Rentrée littéraire épisode 3 . Après le Royaume d’Emmanuel Carrère et Octobre d’Oscar Coop-Phane j’entame l’Homme qui s’aime de Robert Alexis. Le héros de ce vrai roman-roman n’aime pas plus les femmes qu’il n’aime les hommes, il ne s’aime que lui-même… déguisé en femme. Tout est un brin compliqué, les circonvolutions autour au-dessus et parfois dans les corps sont parfois un brin compliquées. Au-delà du transformisme, de la féminité envahissante et de l’onanisme par procuration le livre est un drôle d’aérolithe qui donne l’impression d’avoir été écrit à l’époque même de son « action », soit à la fin du dix neuvième siècle, c’est une constatation et un compliment tout à la fois. La prose de Robert Alexis est délicate, troublante et désuète en bien comme peut l’être une soirée pluvieuse passée sous un bec de gaz allumé tardivement.
Du côté du morose, mort précoce d’André Blanchard (63 ans, c’est trop tôt… ou trop tard). Grand petit écrivain dans la tradition bien française du diariste vitupérant. Il me manquera, il me manque déjà.

5 octobre.- Pluie, pluie, pluie, pluie… (17°C) Robert Alexis. Un homme s’aime tellement qu’il en devient femme pour s’aimer encore plus. Genre fluctuant en bord de Vesuve en fusion, dépravation mesurée dans les bas-fonds napolitains, ce genre de choses, mais en plus élégant que ce que j’en dis : « Je pris place devant l’un des larges miroirs alignés sur les murs. Lentement, après avoir retenu mon regard sur une jolie petite tasse à café, je levai les yeux et me vis, plus belle que jamais, le buste bien droit, les jambes croisées sous le lourd tissu de la jupe. Comment un être humain pouvait-il concentrer autant de charmes ? »

6 octobre.- Ciel semi-chargé » dans le genre maussade. (19°C) Quelques pages de Pessoa, trop renfrogné su moi même pour espérer être vraiment avec mon lusitanien préféré. Relire La Peau de Malaparte. Finir le livre de Robert Alexis, en lire d’autres, beaucoup d’autres…trop ?

7 octobre.- Pluie légère, mais lugubre. (21°C) À son mitan l'Homme qui s'aime devient une sorte de petite usine à fiction dans les traces du Vagabond des étoiles de Jack London. Le roman ne se contente plus d’être uniquement le roman d’un homme narcissique se voulant femme pour mieux s’aimer encore, il éclate en de multiples récits qui s’ils ont toute la force du déliée ont tous les inconvénients du disparate. Ainsi, le héros est tour à tour un explorateur amoureux d’une indigène, une infirmière novice amoureuse d’un soldat agonisant, un peintre posé sur une île grecque et aveuglé par la beauté d’un berger tout juste sorti de l’enfance. On aurait peut-être aimé rester avec la première histoire, celle de l’égotiste se voulant pour propre femme, on y revient sur la fin, c’est déjà ça.
Pour le reste lu en partie Le plus beau but était une passe, écrits sur le football de Jean Claude Michea. Petit ouvrage tout à fait passionnant.


3.


8 octobre.- La météorologie nationale annonçait une journée ensoleillée avec des températures quasi estivales. Il n’en fut rien, la tiédeur latente resta comme caparaçonnée sous une épaisse couche de nuages tandis qu’un vent violent ne se gênait pas pour souffler où bon lui semblait. (21°C)
Après la Naples de Robert Alexis voilà celle de Curzio Malaparte. Elle est toute aussi mal fagotée et pour pour ainsi dire presque pire en mieux. Nous sommes en 1943, la ville vient de se libérer par ses propres moyens (moyens terrifiant, ceux du lynchage, mais les allemands étaient pires) et les Américains commencent à pointer le bout de leur nez talqué. Drôle de capharnaüm tragique, pour trois dollars des femmes livides vendent leurs petites filles au coin des rues, trois dollars ce n’est pas tellement onéreux, un kilo d’agneau coûte dix fois plus. Pour guère plus on achète des GI’s nègres sans que ceux-ci s’en rendent vraiment compte. On dépèce des chars Sherman jusqu’à n’en laisser d’autre trace qu’une tache d’huile au fond d’une ruelle insalubre. Il y a encore quelques cadavres allemands qui traînent ici où là. Visages déchirés, gorges déchiquetées… Au loin on peut voir Capri. Malaparte est très bon pour décrire l’abjection, la lie… Il pleure souvent, mais on le sent un brin délecté, trop délecté ?
Encore dans le petit livre de Michéa. Vraiment bien (j’aime le football).

9 octobre.- Ciel chargé, vent sournois, douceur mièvre. (24°C) Évidemment Malaparte en fait beaucoup, chez lui une anecdote glauque devient un désastre de Goya, une bizarrerie de Jérôme Bosch, un machin tordu de Breughel. C’est son côté margoulin (écrivain?) que de transfigurer ce qu’il n’a pas vraiment vu (Perruques sexuelles, naines édentées, juifs crucifiés). Est-ce si important ?

10 octobre.- Pluie incessante. (18°C) Relisant La peau je constate qu’au milieu de l’abjection flottent deux trois choses que je n’avais pas remarquées jusqu’à présent. Il y a notamment ces belles pages que Malaparte consacre à la nature qui l’entoure. Oh il n’est certes pas réputé pour être un immense panthéiste, mais les lignes qu’il consacre à Capri, la Baie de Naples, la côte Almafitaine sont toutes portées par une belle prose musquée qui n’est pas loin d’avoir vraiment tout pour elle.
Pour le reste Sirènes servies à table, chiens trucidés, GI’s agonisants, éruptions vésuviennes… menu copieux.

11 octobre.- Ciel indécis, plus que nuages que de soleil. (20°C) En définitive si Malaparte semble si Italien dans ses exagérations diverses et variées c’est peut-être parce qu’il était à moitié allemand. C’est une hypothèse un brin insidieuse, mais une hypothèse à approfondir. Retour dans le Journal de Stendhal, un voyage en Normandie, une demande en mariage, un peu d’ennui… Trois pages de Pessoa. Pessoa ne fait jamais trop de mal à qui sait le lire.
Revu De l’influence des rayons gamma sur le comportement des marguerites. Extraordinaire empathie de Paul Newman pour ses personnages et la preuve qu’au delà des questions techniques ce qui compte au cinéma c’est l’existence des personnages et uniquement l’existence des personnages. Je crois que je n’oublierai jamais la famille Hunsdorfer, elle compte vraiment pour moi… (le discours terminal de la petite Matilda ma fait monter deux trois grosses larmes, c’est une preuve valable).

12 octobre.- Des averses. (17°C) Depuis hier soir je n’ai pas cessé de penser au film de Newman. C’est certainement un bon signe quant à sa qualité. Du côté de la littérature toujours chez l’intranquille Pessoa, bien sombre aujourd’hui : « Et penché à ma fenêtre, tandis que je savoure cette belle journée en contemplant les masses diverses de la ville tout entière, une seule pensée occupe mon âme : l’envie imtime de mourir, d’en finir, de ne plus jamais voir de lumière sur aucune ville au monde, de ne plus penser, de ne plus sentir, d’abandonner derrière moi, comme un papier d’emballage, le cours du soleil et des jours, et de me dépouiller, comme un costume trop lourd au bord du vaste lit, de l’effort involontaire pour être. »

13 octobre.- Aquosité plus que relative. (17°C) Trop saisi par le labeur. Impossible de lire plus de trois lignes. C’est un problème.
Un film Love with the Proper Stranger de Robert Mulligan. Sorte de léger tour de force où l’on bascule délicatement de la chronique sociale charbonneuse (sur fond d’avortement) à la comédie tout ce qu’il y a de plus romantique . Un peu comme si le patibulaire André Cayatte se transformait en Leo Mc Carey sous le regard d’une foule tout autant incrédule qu’attendrie. Steve Mcqueen très sobre en homme « ordinaire » (son meilleur rôle?), Natalie Wood plus qu’adorable… Faut-il le préciser ?

17 octobre.- Du soleil. Tiédeur dans le genre à demi estivale. (23°C) La sensation de ne plus être avec soi-même n’est pas si désagréable que ça. Elle offre tous les avantages de l’aérien et aucun des inconvénients du terrien. Reste à trouver le moyen de ne plus se sentir vraiment avec soi-même tout en étant encore avec les autres, tour de force que très peu parviennent à accomplir et tour de force vers lequel nous devrions tendre avec toute la légèreté qui nous est offerte.
Today, peu de tentation lectorale, quelques lignes du carpathien septique Cioran : « Ce matin, j’ai pensé pendant une heure, c’est-à-dire que j’ai aggravé un peu plus mes incertitudes. »
Demain j’entamerai Les Barrages de Sables, traité de castellologie littorale par Jean Yves Jouannais, l’un de nos meilleurs écrivains de l’après modernité


To be continued

dimanche 22 février 2015

Solitude de l'audionaute de fond (6)



15 février 2015. Tiens David Pajo a bien failli mourir la semaine dernière, il s'est pendu comme ça au débotté. Une histoire de cœur qui finit mal et vlan ! Bon il s'est un peu raté et s'en est assez bien sorti, c'est déjà ça et c'est mieux que rien. Pour lui rendre un demi-hommage on réécoutera Good Morning Captain le dernier titre de l'album Spiderland de Slint cet incontestable caillou saillant post-rock qu'il faut savoir regarder un peu de biais, car il faut se méfier du post-rock. En parlant de pendu saviez-vous que Ian Curtis était un amateur averti de Dub et de Reggae? Selon certains de mes informateurs, l'un de ses morceaux préférés aurait été ce magnifique Turn The Heater On chanté par le non moins magnifique Keith Hudson. Un morceau qui sera repris par New Order sous forme d'hommage assez raide, Ian Curtis étant vraiment mort, lui…
Puisqu'il est question de mort, de trépas avant l'heure légale et de choses un peu tristes, vous devriez écouter deux jazzmen disparus trop tôt. Un pianiste, un contrebassiste : Dick Twardzik et Scott LaFaro (ici avec Bill Evans). L'un victime d'une surdose d’héroïne l'autre d'un accident de la route. Deux grands techniciens relâchés.

16 février 2015 Nick Mason – Fictitious sports (1981) Paru sous le nom de Nick Mason pour des raisons que l'on imagine assurément commerciales cet album est en fait un album de Carla Bley chanté par Robert Wyatt. Outre ces trois-là, le casting est raisonnablement impressionnant puisque l'on retrouve Chris Spedding, Michael Mantler et Gary Windo. Des boutures jazz-rock sur l'école de Canterbury, ce côté fanfare brinquebalante caractéristique de Carla Bley. Rien de fulminant, mais un vrai bon titre, le dernier I 'm A Mineralist bel hommage à trois minéralises notoires : « Erik Satie gets my rocks off, Cage is a dream , Phillip Glass is a Mineralist to the extreme ».
Puisque nous sommes avec Robert Wyatt, un curiosité, ce titre Slow Walkin Talk enregistré avec Jimi Hendrix… qui tient la basse.

17 février 2015. Albert Marcœur – Album à colorier (1976) D'Albert Marcœur je ne connais vraiment que ce disque-là et j'ai envie de dire qu'il me suffit amplement puisqu'il a tendance à me ravir globalement. Pochette incertaine, mais contenu primesautier. Les gens qui savent considèrent Marcœur comme une sorte de Zappa français, n'étant pas plus zappiste que ça (Zappa m’assomme assez) je le considérerais plutôt comme un bidouilleur inspiré qui butinerait son inspiration dans des trucmuches plus cornegidouilleux que les unes que les autres : Zappa certes un peu, mais aussi l'école de Canterbury (encore), Vian (sous ergot de seigle) et Dada (un peu partout).
Peter Hammill – Enter K (1982) Les disques de Peter Hammill sont ainsi, sinistres; il y règne continuellement une ambiance comme après une périlleuse tornade. Des choses ravagées et de la mauvaise humeur. Une tentative toujours recommencée de se désunir des autres. Tout cela est regrettable, car le contraire de la vie (selon mon voisin fou du dessus) et Peter Hammill est souvent infréquentable et lugubre... Un David Bowie loser (et donc réussi) qui trimballe sa voix et ses impressions amères du coté de l’enfer… un enfer de plus en plus enfoncé. Bon malgré tout cela ne faiblissons pas et entrons courageusement dans Enter K…. Et bien voyez-vous qu'inopportunément nous ne faiblirons pas, car ce n’est pas un vrai bon disque. Il y règne un son et une esthétique trop eighties et stuc pour être honnête, c’est même pour tout dire l’un des disques les moins cafardeux de Peter Hammill. Pas un disque immense donc, mais (parce qu’il y a un mais) un disque porté par une chanson immense The Unconscious Life : grande gymnastique vocale où notre ratiocineur en chef lutte avec un saxophone pas trop toc, l'une des plus grandes chansons de Peter Hammill ?
Pour finir la journée et puisque la saison est aux pendaisons on écoutera une chose idéale pour. Cette longue plainte folklorique chantée par Véronique Chalot, rien du folk anglo-saxon, mais du mystère, de l'ancestrale et des regards dubitatifs que je sens d'ores et déjà monter autour de moi.

18 février 2015. La virtuosité est admirable lorsqu’elle est au service du minimum. En avoir sous le pied, être dans une belle marge, voleter au-dessus de sa propre technique, y a-t-il une plus belle façon d’être libre ? Deux types libres deux techniciens appliqués à leur tâche : Bobby Troup chante pour Julie London avec la juste affabilité minimaliste nécessaire (It Happened Once Before), Coltrane accompagne Johnny Hartman en en faisant le moins possible (Lush Life).
Pour le reste du jazz égyptien (Salah Ragab and The Cairo Jazz Band), du funk éthiopien (Mahmoud Ahmed), du rock français (Christophe); autant d'alliages improbables

19 février 2015. The Moberlys – The Moberlys (1979) Si vous êtes maussades, d'une humeur guère sautillante vous pouvez toujours vous soigner en écoutant ce disque des Moberlys il a tout pour réjouir l'auditeur : des miniatures Power pop ensoleillées, l'innocence des sixties pervertie par les late-seventies, un chanteur (Jim Basnight) qui gazouille comme un Jonathan Richman gentiment coupable, difficile de ne pas se laisser accrocher par tout ça.
Dan Penn – The Fame recording (2012) Tous les lecteurs de Peter Guralnick le savent déjà, Dan Penn est considérable. Il a écrit une cargaison de classiques qui rendrait penaud le moindre song-writer qui passe. Cette compilation rassemble des démos, des essais qui valent bien mieux que beaucoup de produits finis. Dan Penn chante et il a une voix formidable, presque une voix noires de plus. La légende dit que nombre d'artistes tâtonnant, il sortait de derrière sa console, se posait devant le micro et se mettait un peu à la tâche histoire de leur indiquer le chemin à suivre. L'assistance était généralement sidérée et les hésitants soudainement inspirés.
Puisqu'il est question de démo on écoutera le jeune David Crosby dans une version d'Everybody's Been Burned frôlant les rivages du sublime, forcément sublime.

20 février 2015. Patrick Juvet – Mort ou vif (1976) Vous allez me trouver pervers, mais je dois avouer un gros faible pour cet album du suisse sybarite. Enregistré à Los Angeles (Wally Hyder Studios) avec une belle flottille de requins de studio (Ray Parker Junior, Melvin "Wah Wah" Watson…) produit et arrangé par Jean Michel Jarre c'est un peu son Paradis Perdu à lui, son album rock credibility. Trois-quatre vrais bons titres (Les lunettes Noires, les Idées Molles, Faut Pas Rêver, Papa S'Pique Et Maman S'Shoote…) et un higlight frôlant l'alpestre : L'Enfant Aux Cheveux Blancs, basse slappée, guitare flangée et les lyrics aimablement naïfs de Jarre, des lyrics comme on en rencontre peu.

21 février 2015. On terminera la semaine par du morose (Simon Joyner un bon écrivain de chansons chante Joy Division tout près de l'os) et par du tranquille (Howe Gelb et Giant Sand, un whisky old age).   

dimanche 15 février 2015

Solitude de l'audionaute de fond (5)



8 février 2015. Kristin Hersh – Hips and masers (1994) J’ai un don assez peu sautillant pour attirer les filles à problèmes, les lunatiques, les dépressives, les brisées de l’intérieur et même parfois les brisées de l’extérieur, les Kristin Hersh en somme. Qui se ressemble s’assemble allez savoir? En tous les cas, j'ai toujours écouté ce disque comme s'il m'était destiné, alors qu'il n'était évidemment destiné qu'à Kristin Hersh elle-même. C'était sa façon de faire le point après avoir laissé les Throwing Muses de côté, divorcé et perdu la garde de son fils, il y a de moindres traumatismes… Un « exorcisme » d’apparence assez calme, mais bien plus trompeur qu'il n'y paraît. Je ne referais pas l'histoire, vous qui êtes ici savez évidemment déjà tout : la patte discrète de Lenny Kaye, une guitare acoustique, un violoncelle quelques notes de piano au service de chansons plus poignantes les unes que les autres. Parmi ces chansons la plus connue est certainement Your Ghost chanté avec Michael Stipe, un classique sur l'os, mais il y a bien d'autres choses, par exemple cette lettre jamais envoyée, mais chantée (The Letter), je l'écoute à chaque fois avec un pincement au cœur, un peu comme si elle m'était personnellement destinée.
Pour faire bonne mesure d'autres filles écoutées au creux de la nuit : Lois et Rose Melberg.

9 février 2015. Je dois avouer avoir laissé tombé Frank Black après son troisième album sans les Pixies (The Cult of Ray). Ses deux premiers albums étaient formidables celui-ci ne l'était qu'à moitié alors pourquoi vouloir insister plus que ça? Pourquoi risquer d'être déçu par une suite de carrière que je pouvais imaginer par avance un tantinet redondante? Ces deux trois disques me suffisaient et me suffisent toujours amplement, je les écoutes de temps à autre, une ou deux fois par an, avec toujours le même air satisfait (Freedoom Rock ou Los Angeles sont encore des machins formidables avec tout ce qu'il faut là où il faut.) Frank Black a peut-être fait mieux par la suite, je ne sais pas, j'ai des doutes. J'ai l'impression que ses motifs sont un peut trop ténus pour que je m'ennuie pas en les découvrant attaqués sous d'autres angles. J'écouterais ses « nouveaux » disques lorsqu'il seront l’œuvre d'un vieux exténué.

10 février 2015. David Blue with Jackson Browne – Radio Sessions (1972/73) Cette merveille est certainement ce que David Blue aura enregistré de plus beau Ce n'est pourtant qu'un bootleg monté à partir de deux séances radios avec Jackson Browne Les deux dissertent plaisamment et de temps à autre saisissent leurs guitares et se mettent à chanter avec le relâchement de ceux qui savent. Le résultat est magnifique, les chansons de David Blue débarrassées des oripeaux de l’arrangement semblent léviter avec une toute nouvelle légèreté et tout est vraiment pour le mieux. (ce bootleg est téléchargeable à cette adresse , ne me remerciez pas et écoutez surtout les deux derniers titres, deux vraies merveilles)

11 février 2015   Roaring Lion – Sacred 78' s (1994) Ah ! Voilà le soleil ! Nous allons peut-être enfin retrouver un peu d'entrain, un peu de ferveur sautillante ! Nous allons peut-être pouvoir réécouter des disques pleins de cyan, de magenta, autant de gouaches iridescentes et de couleurs éclatantes, loin de gris et du ton sur ton, d'ailleurs là voyez-vous, je sautille!
Prenons ce disque de Roaring Lion (le plus grand chanteur de calypso sur le marché), c'est un spicilège de 25 titres choisis dans la multitude de ceux qu'il aura enregistrés entre les années 30 et le début des années 60 (du siècle dernier). Des splendeurs, tantôt sautillantes, tantôt romantiques, tantôt concernées par la marche du temps (il y a une chanson consacrée à Mussolini) et toujours chantées avec un entrain trépidant; un entrain trépidant communicatif, forcement communicatif.

12 février 2015. Je saute du coq à l’âne des Caraïbes à Detroit, retour de froideur, mais de l'âme dans les machines. Passant du « séminal » Juan Atkins, de Cybotron et de Model 500 aux productions d'Underground resistance, de Suburban Knight à Drexciya, de feu James Marcel Stinson à Dj Rolando et son sublime, forcement sublime Jaguar, un bidule technologique comme on en rencontre peu.
Décès de Steve Strange, figure historique du Londres early eighties, quasi inventeur de la mode néo-romantique à lui tout seul. À l'époque je trouvais tout cela aussi assommant qu"un congrès de garçons coiffeurs en goguette, j’ai du changer d'avis puisqu'aujourd’hui je trouve Fade to grey formidable

13 février 2015. Smog – Burning Kingdom (1994) Un EP, quatre vignettes de tristesse concentrée. L'habituel désespoir froid de Bill Callahan et une chanson chantée pas sa compagne de l'époque Cynthia Dall (Renée Died 1:45). Voix frêle et guitare fragile pour une histoire terrible. La chanson idéale pour un vendredi 13 saumâtre.

14 février 2015. Any Trouble - Where Are All the Nice Girls? (1980) Sur les rares photos qui traînent ici et là le chanteur d’Any Trouble, Clive Gregson, ressemble à un croisement impoli entre Elvis Costello et Joe Jackson, grosses lunettes moches et calvitie malencontreuse. La musique d’Any Trouble est comme ça aussi, on dira 70 % de Costello pur sucre avec l’orgue des Attractions en moins (si vous voyez la chose), 25 % Jackson ramassé Power pop. Le reste est également quantifiable : la clique pub-rock raide de chez Stiff records et bien évidemment Brinsley Schwarz, presque l'inventeur fortement oublié du genre Brinsley Schwarz (avec Nick Lowe dans le fond), notez bien ce nom-là Brinsley Schwarz, Nervous on the Road l’album de 1972 un chef-d'œuvre, mais très modeste. Le disque d'Any Trouble lui n’est pas un chef-d'œuvre, mais une chose agréable, incontestable dans sa fraîcheur pub rock de serie B; une chose assez ironique qui parvient à rester pensive et intelligente sans jamais dégringoler dans la prétention (Costello’s Touch).
Pour le reste, on dira que la production est sèche et les lignes de basses hyperactives; une musique pleine d'intuitions promptes, absolument pas révolutionnaire, complètement classique, dominée par elle-même en somme… écoutez Girls Are Always Right  pour vous faire une idée.
Pour en revenir à cette période les premiers disques de Costello sont indispensables jusqu’à  Trust  avec Get Happy !  en point d’orgue… Les deux premiers Joe Jackson sont merveilleux — c’était avant sa reconversion ennuyante en chanteur de Jazz jonaszien — et Nick Lowe et Dave Edmunds sont très bons aussi et d'ailleurs Ian Dury est le plus grand super héros polio du monde et même Wreckless Eric n’est pas si mauvais que ça.. Qui se souvient de Wreckless Eric hein?


dimanche 8 février 2015

Solitude de l'audionaute de fond (4)



1 février 2015. Trees – Sleep Convention (1982) J’ignore tout de Dane Conover (aka Trees), mais j’imagine qu’au début des années 80 il devait être un drôle de croquignolet. Il suffit de la voir gigoter sur quelques vidéos très amateurs qui traînent sur Internet (réalisées par Kim Fowley !) pour s’en convaincre. Son seul et unique album est vraiment très bien, sautillant et gigotant lui aussi. Produit par Earle Mankey (20/20, Runaways, Concrete Blonde, The Long Ryders, The Three O'Clock, Adicts…) il regorge « d’idées musicales futées » et a tout pour réjouir l’auditeur. Imaginez de petits bidules west-coast enrobés de sucre et chantés par un Gary Numan décongelé et vous ne serait pas loin du compte. Mélodies ramenardes, paroles rigolotes en bien et utilisation astucieuse de l’électronique, que du bon ou presque.
Archie Shepp mériterait bien plus que les quatre lignes ânonnées dans la notule bâclée qui vous êtes en train de lire. Sa carrière est considérable, des débuts avant-gardistes et plus free que mon omoplate gauche, un retour vers le classicisme et Coltrane, plus tardivement un travail admirable sur les standards (des blues à bout de souffle, des ballades dans le velours). Pour vous faire une idée écoutez Blasé un titre de 1970 avec la grande Jeanne Lee une merveille répétitive, tendue et pleine de crudité féministe ( Blasé…. Ain’t you Daddy? / You shot your sperm into me, / And never set me free. / This ain’t a hate thing …). Écoutez cet autre titre enregistré en 1998, le Que reste-il de nos amours de Charles Trenet chanté avec toute la tendresse du monde.

2 février 2015. Andy Roberts – Nina and the dream tree (1971) Vous cherchez un disque discret et doux ? Celui-ci est peut-être fait pour vous. Un peu à l'image des premiers efforts d'Elton John (le primo Elton John est mine de rien assez conséquent), des chansons folk-rock, mais composées au piano ce qui fait toute la différence. Pour en revenir à la douceur et à la discrétion ce titre I' ve Seen The Movie, le second, assez beau il faut bien l'avouer.

3 février 2015. Patty Waters – College tour (1966) Le second album de Patty Waters pour ESP. Enregistré live quelques mois après les sessions de Sings. Pour qui aime les bidules avant-gardistes pleins d'éclat et les voix qui hésitent entre chuchotement et gémissements, c'est une sorte de must imparable. Les autres passeront leur chemin et ils auront bien tort (écoutez It nover enterred my main avec Ran Blake au piano, c'est une merveille exténuée).
Quelques hippies égarés écoutés au débotté. Bobby Brown un aérolithe hawaïen qui pourrait faire penser au récemment déterré Lewis Baloue. Même asthénie apparente, mais une voix bien plus chamarrée puisqu'elle couvre pas moins de six octaves (ce qui n'est pas peu). Quant à la musique, c'est une jolie tambouille psychédélique préparée à partir d'instruments que Bobby Brown aurait lui-même inventés. Tim Down un chevrotant dans les pas de Tim Buckley, jolis violons, jolie chanson, mais pas plus que jolie. Alzo un moins chevrotant toujours dans les pas de Tim Buckley, jolie chanson encore, jolis violons, mais un peu plus de corps, d'épaisseur, d'âme (de Soul?). Pour finir avec nos hippies égarés, Bob Brown (et non Bobby Brown), encore des violons, encore une jolie chanson, un peu Wild Oldham avant l'heure légale, vraiment pas mal.

4 février 2015. Je me souviens avoir vu (et entendu) les Comateens au Palais d’Hiver de Lyon au début des années 80, peut-être 1983. Le groupe était habillé en rouge et noir et l’assistance peu attentive était quant à elle plus occupée à se regarder pied et mèche que la scène pourtant pas si loin que ça. Après le concert buvant une bière au comptoir du Palais je m’étais retrouvé accoudé à côté du groupe, nous avions partagé une bière tout en devisant un peu. Les frères North étaient très sympathiques et Lyn Byrd charmante dans le genre singulière. Oliver North est mort quelques années plus tard d'une sale maladie, c’est ainsi et c'est très triste. Sur la vidéo que je partage là un peu plus haut vous pourrez entendre et voir le groupe interpréter l'un de ses titres les plus connus Ghosts , basse tournoyante, orgue échappé d'une fête foraine, petit riff martial et cette façon un brin post-moderne de tournoyer autour de quarante ans de rock.
Parmi les quelques perversités qui m'assaillent de temps à autre il y a cet intérêt sournois pour la musique progressive italienne. Je dois par exemple avouer beaucoup aimer ce titre du groupe Picchio Dal Pozzo (Napier). Une première partie pleine de flûtiaux et quasi primesautière, une seconde partie (aux environs de 4mn16s) frôlant le sublime forcement sublime qui ferait sangloter un pangolin (ces gens ont visiblement beaucoup écouté Rock Bottom de l'ami Wyatt).

5 février 2015. Molly Drake – Molly Drake (2013) J'écoute Molly Drake et je rosis instantanément, mon cœur s'emballe et me voilà presque amoureux. Molly Drake était la mère de Nick Drake, elle est, morte en 1993 à l'age de 77 ans près de vingt ans après son fils. Une mère que l'on imagine douce et aimante et qui dans l'intimité de la maison familiale aura enregistré en amateur quelques bandes musicales avec l'aide de son mari. Ce sont ces bandes qui ont été rassemblées en 2013, des chansons sobres et pensives fragiles comme des porcelaines posées en équilibre sur une commode bancale. Des lyrics élégants, sophistiqués et profonds  où Molly Drake cristallise les regrets, la crainte et le sublime comme seul un poète conséquent pourrait le faire. Voilà peut-être une partie du « mystère » Nick Drake révélé, tout ce qui faisait son charme était déjà chez sa mère. Une belle filiation, dans la douceur

6 février 2015. Je n'ai pas encore écouté le nouveau disque de Dylan, vous savez celui où il chante Sinatra. Il y a cet extrait qui traîne sur YouTube. Magnifique, une colonne d'air essoufflée qui se fiche bien de savoir si elle s’élève dans la justesse (old age). Une autre voix singulière Blossom Dearie qui chante toujours comme une petite fille rattrapée par la patrouille. On parlant de voix singulière Robert Wyatt chante la plus belle chanson d'Epic Soundtracks. Un piano, un duo improbable, encore une merveille.

7 février 2015. Pour finir cette semaine en beauté, regardez et écoutez Françoise, cette étrange orchidée que l'on aimera toujours plus que tout ; pour la sustentation il faut savoir se nourrir de fleurs.  


jeudi 5 février 2015

Throwing Muses - Live on KEXP #9



Sunray Venus
Freesia
Static
Dripping Trees
Lazy Eye
The Island
Mississippi Kite
Milan
Glass Cats


dimanche 1 février 2015

Solitude de l'audionaute de fond (3)



25 janvier 2015. Véronique Sanson – Le Maudit (1974) Vous allez certainement bondir d'affliction, mais il faut que vous sachiez que j'aime sincèrement Véronique Sanson et particulièrement ses premiers disques que je place assez haut dans mon petit panthéon musical. Ainsi ce Maudit enregistré en 1974. C'est son premier disque « américain », son premier sans Michel Berger, son premier après cette rupture incongrue que l'on ne saurait ignorer (je suis assez midinette). Une Sanson qui semble un peu chanter à côté d'une petite armée de musicien west-coast ultra compétent. Étonnamment c’est ce léger décalage qui fait beaucoup pour le charme du disque, ce qui pourrait sembler comme plaqué, Sanson vient d'ailleurs, de la « musique classique », de Barbara et de la « chanson française » fonctionne merveilleusement, il y dichotomie et alchimie, c'est un tour de force. (Quant à la relation Berger/Sanson c'est presque du Sirk/McCarey.)

26 janvier 2015. D'aucuns me trouveront un tantinet snob, mais je dois avouer un certain goût pour la littérature hongroise et le post-punk japonais. Pour ce qui est de la littérature hongroise, il faut lire Dezsö Kosztolanyi, pour ce qui est du post-punk japonais il faut écouter Aunt Sally. Je ne sais pas s'il est recommandé de lire l'un en écoutant l'autre, mais c'est ce que j'ai fait, en sautillant un peu. Paul Simon – There Goes Rhymin  (1973) Le second album de Paul Simon en partie enregistré dans les studios de Muscle Shoals. Une collection de chansons optimistes, une berceuse, une déclaration d'amour filiale, un peu de mièvrerie, mais juste ce qu'il faut pour ne pas entraîner l'auditeur vers les glutineux rivages du coma diabétique.

27 janvier 2015. Elvis Costello – Get Happy (1980) L'une des meilleures productions de Declan le fielleux. Un disque qu'il faut savoir apprivoiser tant il peut paraître hermétique de prime abord. Costello n'y a presque plus la voix de roquet arrogant qu'il avait dans ses trois formidables premiers disques, il semble un peu ailleurs, un peu monolithique, presque désabusé et asthénique. Il faut tendre l'oreille pour percevoir les quelques infimes variations de sa voix, un demi-ton par ci, une intonation un peu différente par là. Évidemment, Costello noie le poisson et ce que nous percevons comme monocorde n'est en fait que la manifestation d'une toute nouvelle subtilité. Plus de subtilité pour moins d'arrogance. Les compositions sont à l'identique, apparemment monochromes (un digest de ce qui c'est fait de mieux entre 1955 et 1968), mais finalement bien plus colorées qu'il n'y paraît (on parlera de finesse de touche). Des riffs basiques, des nappes d'orgues en autarcie et des histoires intimes, terriblement intimes. Écoutez New Amsterdam, l'un des incontestables highlights de Costello.

28 janvier 2015. Howlin» Wolf, un vrai musicien, un « professionnel ». Un « proud to be black » avant l’heure légale, une bête de scène et un isthme sexuel à lui tout seul. Son importance est considérable. Il est l’invité des Rolling Stones quand ceux-ci passent à TV américaine (Shindig, 1965). On ne voit que lui, les « vedettes anglaises » sont assises à ses pieds comme des petits enfants oubliés à la crèche, la séquence est formidable.
Danny Whitten était le premier guitariste de Crazy Horses un type tellement saisi par les problèmes d’héroïne que Neil Young le virera un soir de 1972. Tragique coïncidence Whitten trépassera le soir même d'une surdose hasardeuse de Valium et de vodka. Young restera un brin traumatisé par cette histoire et lui dédiera son album le plus sombre Tonight the Night (1975). I' dont Walk to talk about est la plus belle chose laissée par Whitten, une ballade des cœurs brisés qui sera popularisée dans la guimauve par Rod Stewart mais qui ici chantée par son auteur prend des airs aussi déchirants que les plus déchirantes plaintes de Gene Clark.

29 janvier 2015 Jack Teagarden – Think Well (1962) L'un des derniers enregistrements du grand Jack Teagarden. Une merveille avec cette voix qui déraille dans le velouté, cet inimitable accent texan et ces cordes empourprées. Écoutez Dont smoke in Bed, indépassable.
Deux trois choses piochées au hasard de mes pérégrinations virtuelles : Colin Blunstone chante Say You Mind une chanson de Denny Laine. Voix fabuleuse. La très jeune Cat Power derrière sa guitare triangulaire chante sa plus belle chanson, on a envie de la prendre dans ses bras. Rickie Lee Jones et son fameux béret rouge. Carole King pieds nus, de l'or dans les rideaux, un chat dubitatif et un mètre étalon adult rock. Cliff Edwards et son Ukulele fatal, Richard Manuel dans une version alternative de Whispering Pines qui pourrait faire fondre le premier bloc de marbre monolithique qui passe (j'en pleure encore).

30 janvier 2015. Acetone – Acetone (1997) Quatrième album d'Acetone. Certainement le moins bon. La musique semble s'y évaporer dans l’éther tandis que le groupe s'enfonce dans un puits de tristesse sans fond. D'Acetone il faut préféré les albums Cindy (1993) et If You Only Knew (1996) deux merveilles pêchées dans l’océan du troisième Velvet. Il faut aussi ne pas oublier Richie Lee chanteur timide suicidé au champs d'honneur.
Ned Doheny – Ned Doheny (1973) Ned Doheny est surtout connu pour son album de 1976 Hard Candy, l'un des sommets les moins arpentés du son west-coast seventies. Son premier album celui de 1974 (sans titre) est pourtant presque meilleur, moins remuant, encore plus proche de l'esprit de Laurel Canyon et pour tout dire assez formidable. C'est le disque que j'ai le plus écouté depuis un an. Il ne cesse de me ravir et je commence à placer très haut l’enchaînement de quatre ballades qui le conclut (Postcards From Hollywood, Take Me Far Away, It Calls For You, Standfast). Si vous voulez plus d'information sur Ned Doheny il y a un article assez exhaustif consultable à cette adresse .

31 janvier 2015. The Sneetches – Slow (1991) Le hasard faisant bien les choses je suis retombé sur ce disque qui ne paye pas de mine avec une pointe de satisfaction amusée. Rien de transcendant, pas d'âme en déroute, aucun « travail sur les textures sonores », mais un climat apaisé et des chansons. C’est déjà beaucoup et c'est parfois amplement suffisant.