samedi 7 décembre 2024

Psychogeographie indoor (142)

 



« Matin de nouvel an –
ah ! J’ai l’air d’une célébrité
dans ce nouveau kimono. »

(Bashô Matsuo)



19 décembre 2023.– La brume ne s'est pas levée, la nuit est tombée, saloperie d'hiver ! (2°C). Fait un tour au cimetière. Le sommet des tombes émergeait du brouillard, le cercle d'un soleil bien inutile tentait de percer dans le ciel, rien pour réveiller les morts. Lu Le Tunnel de Sábato. Un peintre asocial fier de sa solitude olympienne tombe amoureux d'une jeune femme presque par hasard. Il la tue. Voilà pour la trame de ce court roman. C'est évidemment très bon, il y a quelques admirables passages à la misanthropie assez quantifiable. Cependant, quelque chose achoppe : la supposée histoire d'amour qui tourne à la jalousie maladive manque un soupçon de chair et d'incarnation. C'est pour ainsi dire trop théorique. On a parfois l'impression de lire du Camus en mieux. 

21 décembre 2023.– Ciel couvert (8°C). Labeur toujours aussi saumâtre. Rayon lecture : dans son Ainsi soit-il, Gide s'accorde quelques distractions au Cirque Médrano. Un avaleur de grenouilles et la cuisse de Marc Allégret font son bonheur. Rien d'autre, ou presque. 

22 décembre 2023. – Radoucissement (11°C). Et voilà les fêtes de fin d'année, la pire période qui soit, presque une maladie. Antidotes : les Cahiers de Cioran, quelques pages de Thomas Bernhard, la correspondance de Flaubert… 

23 décembre 2023.– Nuages (10°C). Solstice d'hiver, la lumière se fait rare, mon Kalanchoe est mort. Entamé Fragments d'une forêt de Patrick Mauriès. Une Forêt, c'était dans des temps assez anciens – Mauriès parle du « seuil de l'âge moderne » – une collection de fragments littéraires, de vies rapportées et de faits « récupérés chez les uns pour être proposés aux autres ». Un genre en soi où s’illustrait un bon nombre d'érudits : Bacon, Aubrey, Burton, Hobbes… Notre auteur – ce Patrick que nous aimons assez – continue la lignée et perpétue la tradition. Son petit livre, fait de bouts merveilleux, est tout à fait délicieux. Il bruisse élégamment entre littérature italienne, plaisirs légers et refus des doxas dominantes… Il y a pire.

Par ailleurs, et pour rester dans le fragmenté, je publie un court spicilège tournant autour des bestioles. Il y est question de léporidés bisexués sautillant un peu partout, de l'hermaphrodisme des crabes et lapins, des sacs vocaux des grenouilles vertes au moment de la reproduction, d'une vache sacrée à six pattes, du rapport entre la taupe et le tigre du Bengale, de Pline l'Ancien et de quelques vieux Grecs, d'Henri Michaux et du rat musqué, de Gaston de Pawlowski et de Francis Miomandre, de Serge Voronoff et de Charles-Marie Widor, de la ville de Guéret, de plumes et de poils, de choses et d'autres… Je vais en vendre six, ce qui ne pourvoira certainement pas aux nécessités pécuniaires de mon alcoolisme modéré.

Rien (ou presque) : Les êtres brisés de l’intérieur sont les plus proches du maraca ; c’est pourquoi ils distillent une « musique » globalement chaloupée.

24 décembre 2023.– Beau temps totalement hors de saison (12°C). Vendu trois livres (à ce rythme-là, et avec la mince marge que je m'octroie, j'aurai rentabilisé mon affaire en 5036). Picoré un peu tout azimut. Chez le vieux Gide, finalement assez drôle ; chez Patrick Mauriès – une voix, un ton et un très bon passeur – et, par capillarité, dans l’Alphabet des aveux de Louise de Vilmorin. Cette dernière, délicieuse et diablement inventive, offre un monde de fantaisie, des olorimes et des calligrammes comme s’il en pleuvait. Elle est bien oubliée aujourd’hui, et c’est un tort. (Tout étant dans tout sur Internet, on peut la voir répondre aux questions de la télévision helvétique. Elle apparaît comme une vieille dame au ton aristocratique et gouailleur, se décrit comme misogyne, ne dit pas beaucoup de bien des femmes et félicite d’être un peu l’esclave de ses amoureux. Évidemment, tout cela est si scandaleux, tellement hors de nos temps, que cela doit être subtil).

Pour le reste, en dehors d’un ou deux bons repas, les festivités qui s’annoncent ne m’inspirent pas plus que ça. Je ne crois plus au Père Noël.

26 décembre 2023.– Ciel dégagé (9°C). Mon semblant de jardin toujours à l'ombre, la lecture en extérieur y est donc quasi impossible sans le port d'une tenue un tantinet polaire. C'est pourquoi ce matin je me suis contenté de mon canapé où, sous un plaid raisonnable, j'ai fini La Forêt de Patrick Mauriès (beau catalogue qui m'aura donné l'envie de lire Ennio Flaiano, Edward Gorey ou Lytton Strachey). Cet après-midi, pour la suite de mes aventures lectorales, j'ai tout de même choisi l'extérieur et les bancs publics potentiellement situés face au soleil. Petit hic, ils étaient presque tous encombrés par les stigmates du réveillon, remplis de bouteilles et canettes, de papiers gras et d'emballages de pizzas – en somme, les restes de tristes et modiques agapes… J'ai finalement trouvé mon bonheur sur ce banc déjà évoqué ici, vous savez, ce banc sis juste au-dessus du confluent… J'y ai lu Pourquoi j'aime Barthes, une toute petite affaire de l'agronome en chef Robbe-Grillet. J'ai vraiment aimé ça, c'est pas mal du tout. On y apprend que Robbe récitait du Barthes dans sa baignoire ; que, pour lui, ce dernier était un « producteur de glissements » plus que de toute autre chose. C'est un texte assez entiché et plein de jolies contradictions (pour Robbe, il faut se contredire, sinon on ne peut pas glisser). Disons que l'on a certainement lu mieux, mais que l'on a plus souvent lu pire.

29 décembre 2023.– Ciel très nuageux avec de courtes éclaircies (11°C). Rien lu, journée gâchée par le labeur.

30 décembre 2023. – Vague beau temps, une certaine douceur (11°C). Un peu mou et, en tout cas, pas vraiment soumis aux contraintes du velléitaire. Il faut dire que cette période des agapes ne m'inspire pas grand-chose en dehors d'un ennui pour le moins quantifiable. Entamé Un peu d'ordre d'Evelyn Waugh avec une certaine méfiance. C'est un recueil de chroniques écrites dans les années vingt, trente et quarante du siècle dernier, et le risque était assez grand qu'elles soient chloroformées par le poussiéreux tout en étant un peu étranglées par le fil du temps. Mes craintes n'étaient pas totalement fondées. Au bout d'une cinquantaine de pages, le charme snob et le goût de crème brûlée de Waugh prennent le pas sur la poussière et la strangulation. Pour tout dire, on y remarque un Waugh plus réveillé qu'autre chose (vous noterez que j'écris réveillé et pas éveillé). Il dézingue les modernités de son temps (Cocteau, Picasso et Wilde en prennent pour leurs grades respectifs), dit beaucoup de mal des jeunes et ne s’épargne pas lui-même… Il explique, par exemple, comment il aura été poussé dans les escaliers de la littérature en constatant que c’était la seule « activité » où un homme paresseux et peu instruit comme lui pouvait gagner correctement sa vie. Disons que l’on a un peu de mal à croire en cette paresse-là, comme si c’était si simple : « La peinture salit ; la musique casse les oreilles ; et les arts appliqués exigent tous un certain langage technique. L’écriture, en revanche, est propre, discrète et peut être pratiquée n’importe où, n’importe quand, par n’importe qui. On n’a guère besoin que d’un peu d’encre, d’une feuille de papier, d’un stylo et de très vagues notions d’orthographe. Dont on peut d’ailleurs se passer, pourvu que l’on emploie une dactylographe compétente. »

Rien (ou presque) : Mes bras sont des branches tortueuses qui tentent de saisir l’air. N’y parvenant pas, ils vont se contenter de réorganiser l’univers.

31 décembre 2023.– Temps pluvieux (8°C). Les chroniques de Waugh ressemblent à une belle commode patinée avec une fine couche de poussière dessus. Il y a certes deux ou trois scories un peu emmerdantes (le Waugh primo-esthète), mais l’essentiel reste hautement sautillant. Je pense en particulier à ces quelques pages consacrées à l’usine hollywoodienne où Waugh fait preuve d’une assez bluffante prescience. Le voilà qui dézingue et défourraille à tout crin tout en constatant judicieusement que la censure impose des codes interdisant de produire le moindre film si ce dernier risque d’être nocif à qui que ce soit, ou alors s’il risque de « porter atteinte aux susceptibilités d’une race ou d’une religion quelconque ». Le politiquement correct ne serait-il donc pas une nouveauté ?

Sinon, et pour rester dans la prescience, il y a aussi ces quelques lignes : « Personne n’aura envie d’aller où que ce soit parce que tous les édifices se ressembleront, tous les magasins vendront les mêmes marchandises, tous les gens diront la même chose de la même voix… D’ici quelques années, le monde sera divisé en zones d’insécurité, où l’on ne pourra se rendre qu’au risque de se faire trucider, et en circuits touristiques le long desquels on s’envolera vers des chaînes d’hôtels, hygiéniques et médiocres… » La mondialisation heureuse ne serait donc pas, elle non plus, une nouveauté ?

1er janvier 2024.– Ciel changeant (8°C). Long repas du Nouvel An. Pas mal de vin. Rien lu en dehors de cette merveilleuse lettre de l'ami Tchekhov :

Mon cœur,
Remets à Raïevskaïa la lettre ci-jointe. Si tu vois Altschuller, achète une petite livre de bonbons chez Abrikossov et envoie-les-moi par son intermédiaire. Achète également de la pâte de fruits.
Je m’ennuie sans toi. Demain, je me coucherai exprès à 9 heures du soir pour ne pas fêter le Nouvel An. Tu n’es pas là, il n’y a donc rien à fêter et je n’ai besoin de rien. Le temps s’est dégradé. Il y a du vent, il fait froid, cela sent la neige. Manifestement, l’hiver commence. Je vais écrire à Nemirovitch.
Mon cœur, écris-moi, je t’en supplie ! T’ai-je souhaité une bonne année ? Non ? Dans ce cas, je t’embrasse fort et te chuchote à l’oreille diverses bêtises.
N’oublie pas ton mari. Tu sais qu’il se bagarre quand il est en colère !
Eh bien, j’embrasse ma petite épouse.
Ton mari Antonio
(Le 30 décembre 1901, Yalta)

Cette simplicité tendre et lumineuse, si propre à Tchekhov, résume tout : la neige, l’attente, l’amour maladroitement fervent. À côté de cela, le vin du jour paraît un peu lourd, et les bêtises chuchotées à l’oreille semblent déjà plus légères.

2 janvier 2024.– Lourde et bien basse chape nuageuse, luminosité déprimante assez caractéristique des années naissantes (8°C). Je finis les bouteilles, ce qui n'est pas sans renforcer une certaine capacité naturelle à la léthargie… Entre deux étirements et de courts, mais nombreux assoupissements, j'ai tout de même su préserver quelques phases de faible lucidité qui m'ont permis de poursuivre Un peu d'ordre ! de l'ami Waugh.

Ce qu'il y a de mieux ? Peut-être pas ses avis sur l'art et la peinture, qui me semblent assez patinés. Plus sûrement ses chroniques littéraires, peu ou prou toutes remarquables. Saki, P.G. Wodehouse ou Ronald Firbank sont convoqués, on tourne un peu autour de la famille Sitwell et du faux Français mais vrai Anglais Hilaire Belloc. On découvre aussi Henry Green, bonhomme intrigant, industriel le matin, poète l'après-midi – je note ce nom-là dans mon petit calepin.

Même si sa vision est parfois obstruée par quelques œillères idéologiques raisonnablement réactionnaires (pour Waugh, Stephen Spender écrit comme un chimpanzé ; c'est un peu vrai), le ton reste ouvert aux nouveautés, quand il n'est pas avenant et, pour tout dire, amoureux.

Sur la toile, l'un de mes impalpables camarades évoque le très croquignolet Hugues Rebell. Tout étant dans tout, et s'agissant du même Rebell, dans le Journal de Léautaud on peut lire ceci : « J’ai dit qu’il était excessivement pervers. Ainsi, il avait une chatte. Il s’était mis à la masturber. Si bien qu’à la fin, cette chatte ne le quittait plus. Cela alla bien quelque temps, puis cela assomma Rebell. La chatte n’en était pas moins exigeante. Ce fut alors le valet de chambre qui dut s’occuper d’elle. Quand elle se montrait amoureuse, Rebell appelait le valet de chambre : “Jean, lui disait-il, masturbez la chatte” tout comme il aurait dit : “Jean, donnez-moi mon chapeau.” Et le domestique remplissait son office, avec un crayon taillé soigneusement à cet effet. »

Par ailleurs, entamé le premier volume des Colportages rassemblés par Gérard Macé. C'est édité par Patrick Mauriès, et ça me semble être un assez joli bibelot.

5 janvier 2024.– Pluies éparses (7°C). Labeur (toujours misérable). Lectures : Gide, Valéry, Flaubert. Rien (ou presque) : La réalité du monde n'offre qu'une succession de surimpressions ahurissantes, d'indécisions où la matière même est poreuse. Le chaos à l'origine de tout cela n'est qu'une approximation cosmologique, un désordre déchirant comme une promesse d'état primitif…

6 janvier 2023.– La température extérieure baisse. On annonce du polaire pour les jours qui viennent (5°C). Malade. Toux et expectorations suspectes, nez qui coule. Le Covid ? Beaucoup de mal à vouloir entrer dans mes diverses lectures. Néanmoins, quelques paragraphes de Waugh faisant largement part à ses tendances conservatrices et à son anticommunisme, qui n'était pas primaire mais plutôt bien drôle. (Rassurez-vous, Waugh n'était pas d'extrême-droite, les réactionnaires sont loin de l'être tous. J'écris ces mots entre deux parenthèses à l'attention des jeunes engagés qui ne les liront jamais.)

Rien (ou presque) : Ce qui restera de la politique culturelle d'Emmanuel Macron ? La persécution des bouquinistes et la livraison à 3 € pour les livres neufs achetés en ligne. (Loi censément écologique qui n'emmerde que les lecteurs bouseux périphériques, les petites structures, et aucunement les pontes d'Amazon.)

7 janvier.– Vent glacial (2°C). Malade, dix pages de Waugh malgré de pesantes céphalées. Passé le reste de ma journée vautré sur canapé où j'ai regardé la télévision. Subi les épanchements de Mathilde Panot, puis dans la foulée ceux d’Éric Zemmour. Expérience traumatisante.

8 janvier 2024.– Quelques flocons valétudinaires (0°C). Toujours un peu malade. Cependant, la fièvre descend. Fini le Un peu d'ordre ! du zèbre Waugh. La dernière partie, qui butine sur ses arpents catholiques, est sacrément enquiquinante. Je dois avouer avoir sauté de nombreuses pages… L'ultime texte, consacré à Simone Weil et Edith Stein, est par contre assez émouvant. Enchaîné avec Et moi, et moi, et moi, les mémoires de Jacques Dutronc. On sent l'affaire bidouillée au magnétophone, mais c'est plein d'anecdotes croquignolettes et le plus souvent poilant. (Le sujet a toute ma sympathie.)

9 janvier 2023.– Ciel très nuageux, froideur patibulaire (0°C). Toujours un peu malade et par conséquent pas vraiment convalescent. Fini le petit livre de souvenirs de Dutronc que j'ai trouvé tout à fait réjouissant. Il faut dire que je n'ai pas grand-chose à dire de mal sur les sujets abordés. La fainéantise, les chats, la Corse, les blagues potaches, la pétomanie, la fainéantise, les épisodes de l'inspecteur Derrick et leurs effets somnifères, les discussions avec Chabrol, la fainéantise, les colères de Pialat, les conneries de Godard, l'âge qui avance, les disparus, la mort qui avance, qui vient… Tout est élégant chez Dutronc, même le pire. Par ailleurs, nouveau premier ministre : un enfant.

12 janvier 2024.– Froideur et grisaille (1°C). Labeur, plus de sept heures au froid… Conséquence : je suis encore malade. Quintes de toux quasi permanentes, tout cela est assez pénible. Tenté de lire quelques pages de Gérard Macé (Colportages)… En vain.

13 janvier 2024.– Froideur patibulaire (0°C). Je tourne un peu moins, cependant je tousse toujours. Simon Leys n'aura jamais vraiment eu le temps de s'attaquer aux grandes affaires romanesques. Il faut dire qu'il avait bien d'autres choses à faire : tourner autour des vieux Chinois et du Grand Timonier, tirer les barbes postiches du progressisme, lire de la littérature de haute mer, émigrer en Australie… Bon, il a tout de même écrit une petite œuvre de fiction La Mort de Napoléon, une centaine de pages que j'ai lues dans la matinée. Comme on dit : c'est une uchronie. L'Empereur s'échappe de Sainte-Hélène où un imposteur le remplace. Puis, sous l'identité d'un certain Eugène Lenormand, il compte bien retrouver et refonder ses forces, reprendre le pouvoir. Évidemment, rien ne se passe comme il faut, et Napoléon devient vraiment Eugène Lenormand… qui se prend pour Napoléon. Dans cette sorte de nouveau Comte de Monte-Cristo où le héros ne forge pas son destin, mais le subit, l'ironie de Leys fait merveille. On pourrait aussi dire que derrière les côtés comiques de tout ce qu'il raconte, le meilleur sinologue barbu d'outre-Quiévrain offre une réflexion sur le pouvoir. On pourrait dire bien des choses (et même convoquer Orwell).

14 janvier 2024.– Le froid ne démord pas (1°C). La Montée du soir de Michel Déon. Folio récupéré dans une boîte à livres il y a quelques semaines. Entamé ce matin. Sur la page de garde, cet avis écrit par un certain G. Henry (l'avis date de 1995) : « Très bon descriptif de la haute montagne et du vieux montagnard. Bien aimé, peu d'action, on sent les prémices du vieil homme. » Les prémices du vieil homme : c'est assez bien vu. Déon avait 68 ans lorsqu'il écrivit ce court roman en 1987, et il s’agit bien de cela : de l’âge qui avance, de l'inéluctable qui point… On oublie la futilité des amours, on ne s'attache plus aux objets qui disparaissent, que nous abandonnons comme nous abandonnons un navire en détresse avant qu'il ne sombre. Alors, on monte sur les montagnes, on griffe le ciel, on ressent la présence de l'univers, que c'est tout de même quelque chose, l'univers, face à nous qui allons disparaître. Voilà, le livre de Déon parle de ça. Tout du moins me semble-t-il (très beau style, il y a aussi un chien).

15 janvier 2024.– Averses (4°C). Toujours malade. Visite médicale. Résultat : mon vieux praticien me prescrit radios, sirop et antibios. Je suis dubitatif. Fini La Montée du soir. Le panthéisme vire à la pente tragique, c'est assez beau : « Et, sur ce paysage, un silence inouï, non pas de commencement du monde car ce commencement n’a été que fracas, ululements sinistres dans l’univers vide qui se peuplait de planètes en fusion secouées de sanglantes éruptions, ni de fin du monde qui sera un long râle glacé, non, mais un silence doux, feutré comme le vol d’un couple de ces aigles qui, plus bas, dans un cri, sans un battement d’ailes, planent dans les courants ascendants. » Pour la suite de mes pérégrinations lectorales, j'hésite entre plusieurs volumes (le pire étant certainement la nouvelle petite chose de Sylvain Tesson que j'ai chapardée numériquement).

16 janvier 2024.– Une certaine froideur est toujours de mise (1°C). Nouveau symptôme : cervicalgie. Ma machine interne semble déréglée.

(Lectures.) Dans ses Colportages, Gérard Macé tournicote aimablement autour de Caillois, Ponge et Tardieu. C'est un peu précieux, un peu de la dentelle autour des cailloux, mais ce n'est pas mal du tout… Moins dans les coquetteries et le nectar des concetti littéraires, Michéa, le philosophe à bonnet, dont j'ai largement entamé le nouvel opus : Extension du domaine du capital. Je tamponne l'essentiel des thèses étayées (la principale étant que le libéralisme économique et le libéralisme sociétal vont de pair). C'est beaucoup mieux que du Onfray (pas difficile), et il y a même quelques solutions proposées. Elles oscillent entre le réalisable (la « décence commune » d'Orwell), l'irréalisable pour le plus grand nombre (un retour à Debord, à l'antimodernisme), et le semi-réalisable (une relecture de Marx). Disons que c'est un livre vraiment de gauche, c'est-à-dire qu'il n'est pas progressiste et qu'il se coltine les effets du réel néo-libéral bille en tête sans vouloir le moins du monde collaborer avec lui. (C'est aussi un livre qui donne des raisons de désespérer et d'espérer en même temps.)

18 janvier 2024.– Étonnamment, la température aura baissé au fil de la journée (12°C → 1°C). Labeur. Sieste. Quelques haïkus de l'impeccable Bashô.

Celui-ci :

La cascade claire —
les aiguilles de pin vertes
tombent dans les flots

Et celui-là :

Parfois des nuages
viennent reposer ceux qui
contemplent la lune !

Rien d'autre.

19 janvier 2024.– Beau temps froid (0°C). Problèmes personnels sur lesquels je ne m'étendrai pas. Rien lu.

20 janvier 2024.– Ciel dégagé, température polaire (-1°C). Certains de mes amis me soufflent que Michéa serait, en quelque sorte, un escroc, un type qui falsifierait des textes et concepts plus qu'il ne les manipulerait, afin de délayer une pensée cohérente. Évidemment, avec de sourds desseins, des desseins populistes. N'ayant pas les armes philosophiques pour vraiment constater de quoi il retourne – je suis un autodidacte badin – je me dirai davantage à mon instinct qu'à tout autre chose. Celui-ci me dit qu’il n’y a rien de vraiment torve chez l’entité à bonnet Michéa. Dois-je me fier à mon instinct ou tenir compte des avis pénétrants émis par mes amis ? (Ici ouvrir le débat : philosophie -> instinct.)
Rien (ou presque) : il est là, il sort du bois, le pétitionnaire de la 25e heure. (Sylvain Tesson, ce fascistoïde à la gueule cassée, peut trembler.)

21 janvier 2024.– Beau temps, une certaine douceur (10°C). Cervicalgie, dorsalgie, lombalgie… Sinistre triumvirat. Je ne sautille pas vraiment. À l'instar de Thomas Bernhard, grand feuilleteur, aujourd'hui, j'ai plus feuilleté que je n’ai vraiment lu. J'ai feuilleté les Colportages de Gérard Macé (Jean Tardieu et Louis-René des Forêts étaient convoqués), L'Esprit des lieux d'Alain Monnier (sur les conseils de son ami Michéa), ainsi que Le Pêcheur de perles, le nouvel opus de l'académicien vitupérant Finkielkraut (que j'ai chapardé virtuellement). Résultat : Gérard Macé reste un peu bibelot, un peu précieux ; Alain Monnier est une vraie découverte, il semble être un bon exogéographe. Quant à Finkielkraut, ce qui m'est parvenu de lui m'a semblé, pour une part, assez émouvant (une histoire d'amour conjugal racontée avec une non-pudeur qui confine à la pudeur) et, pour une autre, un peu fatigant (ses sempiternelles marottes contre le camp du bien). Ah oui, j'ai aussi feuilleté les Cent onze haïkus de l'impeccable Bashô Matsuo, je les ai tant feuilletés que je les ai finis. On peut y lire ceci :

Malingre et pourtant
sans raison le chrysanthème
fait de tels bourgeons !

Pour en revenir à l’instinct et aux questions philosophiques. À l'âge de 12 ans, je savais instinctivement que le dénommé Rouhollah Khomeini avait tout du sale type. Michel Foucault, haut perché sur son savoir, ne semblait pas renifler la même chose. Heureusement, je n'ai rencontré ni l'un ni l'autre, et surtout pas le second qui m'aurait sans doute entortolé.

22 janvier 2024.– Il pleut (8°C). Quelques pétitionnaires sortent du bois et appellent à signer une petite tribune contre Sylvain Tesson, ce fasciste que l'on a osé désigner comme parrain du Printemps des poètes. Outre le fait que ces signataires, résistants de la 25e heure, semblent ignorer qu'il n'y a pas de quoi être fier d’être ainsi désigné pour parrainer une manifestation pour le moins patibulaire – imagine-t-on Baudelaire ou Tristan Corbière participer à ce genre de toutim subventionné ? – ils devraient aussi savoir que l'incriminé Tesson est tout juste positionné à gauche de Jean d’Ormesson sur la grande mappemonde politique (littérairement, c'est quelque chose comme son équivalent chapka-vodka-virilité, grandes tapes dans le dos). Disons qu’il y a un certain plaisir à le lire, mais qu’on sent bien sur quel niveau de l’échelle on met les pieds. Comme je ne voudrais pas rester en reste dans toute cette affaire, pour le prochain Printemps des poètes je propose le parrainage commun du couple infernal Renaud Camus / Richard Millet. Quitte à donner dans le vernal, donnons dans le vernal ! Que diable ! Restant dans des parages fascistoïdes, j’ai fini le livre de l’entité réactionnaire Finkielkraut (je sais, je ne m’épargne rien). Bon, comme je le disais hier, l’académicien rabâche et remâche ses thèmes. Cependant, il est émouvant quand il ne s’épargne pas lui-même, quand il se décrit comme un crapaud disgracieux que l’on se plaît à tourmenter. Par ailleurs, dans le livre d’Alain Monnier, on se retrouve plantés au milieu du camp de Rivesaltes, ce point de départ du pire. Tout ça creuse un peu l’épigastre.
Rien (ou presque) : les fascistes et les nazis étaient de très grands progressistes. Les communistes aussi. Quant au pur réactionnaire, il n’a jamais été qu'un « nostalgique qui rêvait de passés abolis, mais le traqueur des ombres sacrées sur les collines éternelles ».

23 janvier 2024.– Éclaircies (8°C). Radiographie du rachis cervical. Résultat : l’arthrose est là, elle s’étend. Je serai certainement bientôt un nouvel Erich von Stroheim (sans monocle ni fouet). La tribune pro-Tesson parue dans Le Point est aussi bêtement écrite que la tribune anti-Tesson parue dans Libération. C’est rassurant et d’une parfaite équanimité.

(Lectures.) Alain Monnier et les traces homicides de la révolution française, Alain Monnier et les traces totalitaires de l’ex-République démocratique allemande. Mauvais génie des lieux. Avant ma petite séance radiographique, dans la salle d’attente, j’ai lu un papier de Marc Lambron consacré à Philippe Jullian. Pas mal, sans plus. Je n’ai pas appris grand-chose et le ton de Lambron m’a semblé un peu douteux.



To be continued.









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