mercredi 22 mai 2024

Psychogeographie indoor (137)

 


« Voyager doucement, comme un poisson mort. » (Jules Renard - Journal)

4 juillet 2023. - Quelques nuages hauts, vague tiédeur (27°C). Retour d'Aix-les-Bains. La ville en elle-même n'est pas très intéressante : un petit centre historique au charme thermal, quelques beaux bâtiments Belle Époque, mais le reste est trop hétéroclite, trop fouillis. De surcroît, le lac est un peu lointain et oscillant entre quelques rares et belles rives encore un peu sauvages et de trop nombreuses routes concédant tout au bitume et pas grand-chose au spleen lamartinien. J'ai néanmoins fait mon tour de grosse étendue lacustre passant par la charmante Chanaz et son canal (un peu touristique, mais quand même très bien), l'Abbaye de Hautecombe et la fameuse Dent du Chat… Le mieux de cette région ? Le Massif des Bauges et son parc naturel où j'ai passé l'essentiel de mon temps, pratiquant quelques randonnées de faible intensité entre Mont Revard, canyons et ponts suspendus, alpages et tourbières, vaches et bestioles volantes, me nourrissant de pizzas à l'andouillette ou au reblochon, buvant des vins locaux et des bières du cru, faisant quelques rafles dans les nombreuses boîtes à livres du coin, profitant surtout d'une quasi-absence de présence humaine (ce qui n'est jamais un problème pour moi). Je retournai dans les Bauges ; à Aix-les-Bains, c'est moins sûr. (J'apprends que pendant ma semaine de villégiature alpestre, le pays aurait été mis à feu et à sang. Ah bon ?)

5 juillet 2023. - Nuages flottant sur un reste de tiédeur (26°C). Retour dans la Chose écrite du père Dutourd. Ce n'est pas grand-chose, c'est merveilleux. On frôle la notule, pas plus de deux pages, de trois paragraphes, mais des intuitions goguenardes, un sens de la formule de la cocasserie non ricanante et surtout du goût… Dutourd n'éreinte jamais vraiment personne, il donne surtout des envies. L'envie de lire ou relire Svevo, Saint-Simon, Chesterton ou Gustave le Rouge… L'envie de valser avec Giraudoux, Brillat-Savarin ou Oscar Wilde. Il réhabilite aussi la face sage, amoureuse, lumineuse de Verlaine, constate que la mauvaise littérature est en pleine décadence, ne fait pas le malin autour de Sacher-Masoch. Bref, tout cela est mieux que très bien. Je dirai même que tout cela est épatant : « Qu'une époque manque d'homme de génie, ce n'est pas grave. L'humanité connaît souvent de ces éclipses. En revanche, il est désolant de constater la décadence de la mauvaise littérature. Une civilisation ne tient que par la bonne qualité des choses médiocres. » Pour rester dans les livres, pêché quelques volumes lors de mon séjour préalpin. Les boîtes à livres du Massif des Bauges sont bien achalandées : Le Caporal épinglé - Jacques Perret (Livre de poche), L'atterrissage - François Chalais, Last Exit to Brooklyn - Hubert Selby, Un diable au paradis - Henry Miller, Varouna - Julien Green, De la mort au matin - Thomas Wolfe.

6 juillet 2023. - Ciel dégagé (26°C). Journée essentiellement consacrée à la chose vélocipédique. Petit tour matinal, une quinzaine de kilomètres à vitesse très modérée. Trop de voitures... Dans une optique cingriaesque il va falloir que je trouve quelques chemins de traverse. Après-midi, Tour de France, étape pyrénéenne avec le col du Tourmalet au menu. Pas grand-chose de pindarique, les coureurs aujourd'hui semblent être pilotés par une intelligence artificielle qui concède tout à la rentabilité. Rien pour le romantisme, tout pour un genre d’efficacité qui frôle le néolibéralisme triomphant. Coppi et Ocaña sont loin, quant à l'hypersensibilité pluvieuse de Charly Gaul, n'en parlons pas… En dehors du vélo, la face lectorale de ma journée aura été agrémentée par quelques avis pénétrants de Jean Dutourd et par un court retour dans les Mémorables de MMG (rien de bien moderne, je le concède). Chez ce dernier, on apprend deux trois choses croquignolettes sur Colette. Par exemple, qu'en 1907 elle s'était produite au Moulin-Rouge dans un pantomime saphique en compagnie de Mathilde de Morny (la fille du Duc Morny, demi-frère de Napoléon III). Voilà une information importante.

7 juillet 2023. - Vent saharien, amorce caniculaire (32°C). Gonflé mes pneus, je roule mieux. Entamé L'ombre infinie de César, regards sur la Provence par Lawrence Durrell. Pour l'instant je passe un peu à côté. Il y a pourtant de la matière. L'amour de Durrell pour la terre qu'il a décidé d'habiter. On y apprend comment désosser une oie ou un cygne par l'anus. Il y a de la lumière antique, Avignon, Orange, Carpentras, Cavaillon. De belles couleurs et quelque chose de la lavande qui flotte dans l'air… Il y a tout ça, néanmoins j'achoppe… Certainement un manque d'envie lectorale. Je ne suis pas très motivé ces temps-ci. Au niveau de mon extérieur le plus immédiat, cela ne s'arrange pas. Mes nouveaux voisins font des mesures. J'imagine du tohu-bohu pour bientôt.

8 juillet 2023. - Chaleur caniculaire (33°C). Au risque de m'égarer sur les chemins du coït inopiné, j'ai fait un petit tour de vélo — enfin plutôt un grand — avec ma voisine de gauche. Voilà qui ne manque pas de sel, laisse augurer du croquignolet pour la suite, et prouve que la pratique du cyclisme mène à tout… Dans L'ombre infinie de César de Lawrence Durrell, il n'y a pas trop de vélo et encore moins de coïts inopinés. Il y est plutôt question de Marseille et de sa création par de vieux Grecs. On y voit aussi de grands taureaux ibériques tomber comme des soleils tombent dans l'océan. La tauromachie est une drôle d'affaire et je me demande si elle n'est pas pire que le cyclisme. Je refais mes valises. Demain départ pour la Bourgogne et Beaune.

14 juillet 2023. - Chaleur patibulaire (34°C). Cinq jours en Bourgogne. Bien mangé et bien bu. Beaune et son centre historique, les fameux hospices, quelques caves, la Route des vins. À l'exception de deux ou trois Japonais et de quelques Américains, flux touristique raisonnable. Je n'avais pas fréquenté ces lieux depuis plus de cinquante ans, ils n'ont finalement pas trop changé (enfin, en dehors des trop nombreux rond-points). Sur le chemin du retour, fait un détour par la Saône-et-Loire, Tournus et le village du livre de Cuisery (acquis un volume de Mandiargues pour 2 €), la Seille et ses silures, autant de lieux jadis fréquentés par ma prime enfance.

Par ailleurs, toujours en Provence avec l'ami Durrell. Coq à l'âne touristico-historique (dans le bon sens). Le petit doigt de pied supplémentaire de Cléopâtre, son homosexualité. L'homosexualité de César. Le couple qu'il forme avec Cléopâtre. Un couple inversé où en somme tout redevient normal. (Durrell a une vision de l'homosexualité très marrante. Une vision qui, comme de bien entendu, ne passe plus la rampe aujourd'hui).

Mauvaise plaisanterie, Kundera est mort (on chérira sa période tchèque, moins l'autre).

15 juillet 2023. - Chaleur, encore (35°C). Un peu triste, le livre de Durrell me passe au-dessus de la tête tout en me tombant des mains (c'est un tour de force). J'ai même sauté une large palanquée de pages, ce qui m'est très rare (surtout avec Durrell que j'aime généralement assez). Les nombreux passages consacrés à l'histoire romaine de la Provence me semblent tout ce qu'il y a de plus enquiquinants. Reste la géographie, quelques évocations in vivo de la nature, une belle description des Baux-de-Provence et la mélancolie indiscutable d'un touriste saisi par l'introspection. (Je suis certainement injuste, il faut dire que mon appétence lectorale frôle le plat).

16 juillet 2023. - Lendemain d'orage, on respire (25°C). Petit tour de vélo. Découvert deux chemins qui sauront satisfaire mes velléités bucoliques, je n'en doute pas. Après mon Durrell en demi-teinte, je n'ai pas pris le risque d'entamer un nouveau volume capable de me décevoir et je me suis rabattu sur la Chose écrite du père Dutourd. Il dit un peu de mal de Rachilde et de son roman scandaleux Monsieur Vénus, trouve que Larbaud a très mal traduit Ainsi va toute chair de Samuel Butler, fait l'éloge de Jules Laforgue et de l'Abbé Jules… Rien de décevant, rassurez-vous.

Tristesse, Jane Birkin est morte. Elle avait inventé une langue, ce curieux sabir franco-anglais qui aura bercé notre enfance.

17 juillet 2023. - Tiédeur (31°C). Vélo en panne, voisins envahissants, reprise du labeur demain après trois semaines de congés, je suis maussade. Reste Dutourd et ses courtes notules éclairant Alexandre Dumas, Rivarol ou Jean Lorrain. Un léger anxiolytique.

20 juillet 2024. - Chaleur un peu putride, il faut bien le dire (29°C). De ces journées où rien ne va, où les ennuis s'accumulent sur nos épaules jusqu'à nous enfoncer sous terre. Celle-ci aura frôlé le cataclysmique...

22 juillet 2023. - La température extérieure semble descendre (29°C). Hier soir, vie sociale. Alcoolémie raisonnable, néanmoins ce matin quelques embruns.

J'aime assez, et même pour tout vous dire, beaucoup Jean-Louis Ezine. Ses apparitions radiophoniques sporadiques qui sont l'une des dernières raisons de vouloir encore écouter ce vieux machin qu'est le Masque et la Plume, ses rares écrits et son dilettantisme bas-normand. Ce matin, j'ai commencé Les Taiseux, un récit plus que moins autobiographique publié en 2009. C'est très beau, écrit dans un style touffu qui n'oublie pas de brandiller. Il y est question d'enfance, d'un autre lui-même qui aurait pu exister... L'enfance est une drôle d'affaire, celle d'Ezine ne semble pas échapper à la règle. Parallèlement, picoré quelques diamants chez Cingria. Il parle de la sieste, des phases de demi-sommeil et de demi-éveil avec un savoir-faire de pratiquant. Il parle aussi du réel en magicien, avec les yeux mi-clos : « Eh ! oui, car tout le possible existe sans qu’il soit besoin qu’il se réalise. La réalité n’est pas l’existence ou elle ne l’est que par l’acte, et ce dernier, s’il ne se produit pas, n’est que suspendu. Est-ce que l’on comprend cela que s’il se réalise – s’il est agi – il n’est pas plus existant qu’autrement, et que le fait le plus étonnant […] bien qu’ordinaire [est] d’être arrêté, défini, limité, déterminé dans le déchaînement possible de tout le possible ? On voudrait du surnaturel : déjà on l’a. Ce qui serait naturel serait cet état sans miracle bien plus ordinaire, bien plus banal, dans l’immensité éperdue de l’existence sans acte, de n’être pas limité, soit de vivre la continuité : de faire monter la mer ou se casser les arbres rien qu’en appréhendant d’y penser. Le naturel, en d’autres termes […] est bien plus surnaturel, étant humain, que ce qui est appelé par l’homme surnaturel, dont il aurait une très grande peur, vite, en tout cas, la satiété, s’il se produisait continuellement. »

Belle étape du Tour de France. Dernières envolées pinotiennes, larmes aux yeux.

23 juillet 2023. - Le soleil se voile, pas la tiédeur (35°C). Par manque de talent, par manque d'inspiration, surtout par fainéantise, je n'écris plus grand-chose. Disons que mon cogito est à sec, qu'il reste en berne et semble satisfait de lui-même. Ce n'est pas le cas de tout le monde, par exemple Jean-Louis Ezine. Son livre, ses Taiseux, est une merveille d'inspiration qui ne sent pas l'effort, qui coule souterrainement dans les soubassements de son existence. Cette enfance, cette jeunesse, l'enfance et la jeunesse d'un « bâtard » né d'une ombre qu'il ne rencontrera pas plus de dix secondes (il y a des relations père-fils plus longues). Pour tout dire, le livre d'Ezine est à la fois un genre de sonate filiale et une enquête qu'il fait sur lui-même... On pense aux brumes modianesques, puis on les oublie. Le ton d'Ezine est unique, c'est son livre, tout le monde porte un livre en lui... Dans l'Équipe, en digne successeur de Philippe Brunel, Alexandre Roos fait l'éloge du romantisme pinotien. Beau papier.

24 juillet 2023. - Orages (24°C). Maussade, toujours des tracas d'ordre domestique. Fini Les Taiseux de l'animal Ezine. Les filiations incertaines — un père qui se révèle, un grand-père qui pourrait être un soldat anglais ou alors un prisonnier allemand — les patins de feutre qu'il fallait chausser pour visiter Aragon, Emmanuel Berl mourant qui discute avec Patrick Modiano tandis que Mireille chantonne dans le fond, Cioran reclus et inspirateur du nouvel hymne roumain. Je dois avouer que tout cela est très bien et que le livre est très bien (et beaucoup plus émouvant que ce que j'en dis).

Pour rester dans l'émotion, une série : Fringe avec Anna Torv.

25 juillet 2023. - Bourrasques et averses, chute drastique des températures (21°C). Toujours prisonnier d'une gangue de morosité que je ne parviens pas à briser. Quelques sautillements chez Dutourd et Georges Fourest.

27 juillet 2023. - Zigzag des températures qui repartent à la hausse (30°C). Mon vélo est toujours en panne et je me sens tiède, très tiède… De surcroît, le travail m'épuise, me laissant incapable de mettre un pied devant l'autre. Il me faudra subir cela deux ans de plus ? Merci le post-libéralisme avancé ! Guère lu, seulement trois pages des Cahiers de Cioran, sensible au météorologique, lui aussi : « Hier soir, en écoutant au téléphone le bulletin météorologique, j’ai ressenti une forte émotion à l’endroit où il était question de “pluies éparses”. Ce qui prouve bien que la poésie est en nous et non dans l’expression, encore qu’éparses ait de quoi susciter une imperceptible vibration. »

28 juillet 2023. - Rares averses (29°C). Pas au mieux, dans une forme frôlant le paralympique. Rien lu. Demain, j'entamerai L'affreux Pastis de la rue des Merles, magnum opus du très réputé Carlo Emilio Gadda. Vu mon état actuel, je prends quelques risques (le risque de m'ennuyer, de m'endormir, de ne rien comprendre, de m'agacer devant une « traduction trahison »…).

29 juillet 2023. - Sourde aquosité (25°C). Ce que j'écris n'intéresse pas grand monde, et même pas moi. J'imagine que ma finalement trop longue aventure diaristique arrivera bientôt à son terme. En attendant, je me suis méfié de Gadda et de son traducteur, et je l'ai lâchement laissé tomber pour m'aventurer sur du moins risqué. Je veux parler du premier Belvédère d'André Pieyre de Mandiargues. Un mélange, comme on dit, des textes un peu hétéroclites, louvoyant entre littérature, critique d'art et récits de voyage. La langue de Mandiargues a beau sonner comme si elle était un peu étrangère — rythme capricant, syntaxe en corolle, adjectifs en queue-de-cochon —, elle est tout de même précise, limpide et frôlant quelque chose de vitreux (dans le sens du quartz hyalin). Il y a un bel éloge de Larbaud et Cingria, une ode un peu trop respectueuse à Breton (nous sommes en 1958, c'est le ton de l'époque, le cadavre de Staline n'est pas encore entièrement décomposé), un voyage dans les Pouilles qui donne envie de les revisiter… Sinon, et pour le reste, court détour dans les Maximes de Chamfort. Le bougre déçoit rarement… : « La Société n'est pas, comme on le croit d'ordinaire, le développement de la Nature, mais bien sa décomposition et sa refonte entière. C'est un second édifice, bâti avec les décombres du premier. On en retrouve les débris, avec un plaisir mêlé de surprise. »

30 juillet 2023. - Ciel dégagé, température raisonnable (25°C). J'ai passé l'essentiel de la journée dans mon semblant de jardin. Taille des haies, rempotage de deux trois choses plus ou moins végétales. Tout de même fini le premier Belvédère de Mandiargues. Texte très intrigant sur le Parc des Monstres de Bomarzo (un lieu à visiter, c'est proche de Rome). Toujours dans la Chose écrite de Dutourd. Au menu Kipling, la Vie de Rossini de Stendhal, Pierre Louÿs, Gobineau, Tristan Bernard, Maurice Sachs, Conan Doyle… Pas grand chose à redire, Dutourd, qui n'a rien d'un trissotin et s'évite professeur, reste un passeur épatant. Pour faire bonne mesure, quelques Maximes de Chamfort ; épatant lui aussi.

31 juillet 2023. - Journée convenablement ensoleillée (29°C). (Matin.) Regards de Cingria. Un déjeuner chez Fernand Léger. Accord parfait entre une blanquette et un Pouilly raisonnablement sec « sentant la pierre et le dégringolement des vipères dans les sarments ». (La blanquette est un peu grise, un peu paysanne, mais merveilleuse.) Au moment du café, les portes du salon s'ouvrent et voilà des jaunes qui luttent avec de prodigieux noirs, des ondulations et des virages de couleurs. Le teint de Léger lui-même est framboisé, « son front est celui d'un dieu heureux à moustaches de cuivre ». (Son chimpanzé Mistigri distrait l'assistance c'est lui qui ouvre les portes)… Quelques pages plus tard, Léger, ses couleurs et son singe savant sont derrière nous. Cingria, rentré dans son petit intérieur, compare le neuf et le moderne — les deux n'ont rien à voir : il y a un usuel du neuf qui existe, qui n'est pas le moderne — ensuite il pleut dehors, il pleut tellement que Cingria se rassote d'aquosité : « Chez moi — car je n'ai pas ce confort — je tremble d'humidité. Je fume et j'oublie de tirer, donc tout le temps mes cigarettes s'éteignent et tout le temps je fais craquer des allumettes soufrées dont la plupart avortent. Quand je sors, n'en pouvant plus, je m'étonne de vivre. »

Les Mémorables de MMG. Le monocle de Radiguet, son cheveu gros et rebelle, son poil adolescent en haut de la joue, la kleptomanie de Rigaud, le long manteau de ratine blanc de Larbaud. (Après-midi.) Brève randonnée vers la pagode située à moins de trois kilomètres de mon domicile. Grande quiétude des lieux.

1er août 2023. - Courtes averses, ciel fluctuant (25°C). Dal mezzo dell'estate vediamo l'inverno. Voilà août que je n'aime pas ; août c'est toujours le début de la fin.

Lu cent pages de Cingria en deux jours et c'était comme une aventure, une errance bercée par une prose étrangère à laquelle on s’habitue. Elle se révèle, on apprend à la comprendre, les merveilles tombent : « Mon air du mois c'est moi qui le fais tandis que je lance du vent de poumons d'astres et d'âme à travers des dents qui mâchent qui sont mes consonnes. Car le ciel est tarot. Et puis souvent je me déplace et le mois diminue ou augmente, selon les degrés. »

3 août 2023.- Vague beau temps (25°C). Humeur stagnante, lassitude, guère de velléités, j'attends. Un soupçon de Chamfort et Cioran, le ton sur ton est de mise.

4 août 2023.- Chute des températures (19°C). Labeur et grande fatigue corrélative. Tout mouvement relevant du domaine de la torture je ne bouge pas et devient pour ainsi dire un homme de pierre.

Malgré tout, lu quelques lignes de Valéry (Paul), qui lui sait faire quelque chose de ses fatigues :

« Qu’il est rare de penser à fond sans soupirer. À l’extrême de toute pensée est un soupir. »

5 août 2023. - Temps nuageux avec de courtes éclaircies (23 °C). La température enfin raisonnable rend la lecture en extérieur à nouveau possible. Ainsi, cet après-midi, ai-je rejoint une chaise de jardin qui m'attendait avec des airs pas trop languissants. Séant posé, un semblant de fraîcheur frôlant ma belle tête de brute sélénite, j'ai largement boulotté Un diable au Paradis de l'érotomane en chef Henry Miller. C'est vraiment très bien, loin du Miller parfois un peu assommant des « romans profonds » ; ici, nous sommes posés devant le Miller chroniqueur de lui-même. Dans ces quelques deux cents pages, il raconte comment il a recueilli chez lui — à Big Sur — un certain Conrad Téricand, astrologue de son état et pauvre hère, qui se révélera plus problématique que moins. L'expérience durera trois mois, le type aux jambes recouvertes de gale se comporte comme un enfant gâté ; il vire au doppelgänger poisseux à l'Albert Cossery, en pire. Le ton est parfait, drôle et presque émouvant, car il y a tout de même un peu de tragique qui rôde dans toute cette histoire. Il y a aussi Big Sur, l'océan, la nature, le côté relâché de Miller qui le fait écrire comme s'il pensait en français, comme s'il était un peu fou et crétin. C'est un petit livre qui vaut certainement beaucoup de ses supposés plus grands. Par ailleurs, mes nouveaux voisins ont commencé leurs travaux d'embellissement. Va-et-vient et grands coups de burin en catimini. Tout cela empêche un tantinet mes velléités de lecture, je vais tenter de m'y faire.

6 août 2023. - Météo quasi automnale, tout semble déréglé (19 °C). Mon nouveau voisin sort de sa rutilante Audi et se présente : — Bonjour, moi c'est Maxence, je suis kiné et ma femme est avocate. Je lui réponds : — Bonjour, moi c'est Philippe, je ne suis pas grand-chose, mon vélo est en panne et ma femme est enterrée dans le jardin.

Du côté de mes lectures, l'invité de Miller vire au quasi méphistophélique, au vieux hibou guindé, au gros pédant mélancolique. Il faut pour s'en débarrasser, ce ne sera pas une chose aussi simple que ça. En définitive, livre parfaitement délassant et pas si futile que ça. Il y a certains pincements.

Championnat du monde de cyclisme. Le petit-fils de Raymond Poulidor l'emporte dans une sorte de tourniquet écossais. Course homérique.

7 août 2023. - Ça fluctue (23 °C). Déposé mon vélo chez le réparateur. Les nouveaux voisins — ceux situés à gauche de ma chaise de jardin — manient toujours le burin (j'imagine qu'ils font tomber des cloisons, l'éboulement n'est pas loin). Hésitant entre plusieurs livres, je n'ai pas fait de choix et me suis contenté de picorer dans du déjà entamé. Ainsi suis-je retourné dans le Dictionnaire égoïste de l'entité écrivante Charles Dantzig. Toujours un peu pédant, souvent agaçant, mais l'olibrius a ses moments. Celui-ci, par exemple, il doit être question de Nietzsche : « Nietzsche est si bouillonnant d'idées et d'intelligence (de là sa souffrance, il devait n'en plus pouvoir, de concevoir une idée en croisant le moindre moineau) qu'il serait illusoire de chercher en lui une construction, une progression, une cohérence, un artisanat. C'est un oiseau coloré de la jungle, à moustache, qui chante seul en haut d'un grand arbre. » Jamais agaçant et aucunement pédant (c'est même l'inverse), j'ai aussi picoré dans La Chose écrite du père Dutourd. Voilà un ouvrage qu'il faut savoir savourer à petits coups de becs joyeux. Il ne déçoit pas.


To be continued.


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