jeudi 1 février 2024

Psychogeographie indoor (134)

 



« Tenir un journal, c’est prendre des habitudes de concierge, remarquer des riens, s’y arrêter, donner aussi trop d’importance à ce qui vous arrive, négliger l’essentiel, devenir écrivain dans le pire sens du mot » (Emil Cioran - Cahiers)


25 mars 2023.- Humidité latente (16°C). Le voisin d'en face a vendu. 650 000 euros, c'est beaucoup. Les remplaçants, des boboisants en vélo et trottinette électrique, sont déjà là, dans la place (la gentrification n'est pas tout le temps une guerre d'usure, elle prend parfois la forme d'un blitz). Les bougres n'ont pas perdu de temps pour entreprendre des travaux de grande envergure. Résultat un bruit pharaonesque toute la journée, une atteinte à mes plus élémentaires droits lectoraux…


N’empêche, j'ai lu. Bret Easton Ellis et Jean Cau…


Qu'est-ce qu’un écrivain ? Qu'est-ce que le roman ? À ces deux questions que je me pose à moi-même et dont tout le monde se fiche à peu près, j'ai envie de répondre : potentiellement Bret Easton Ellis et sa nouvelle affaire : Les Éclats. En tous les cas, l'entame est très belle. Intime et extime, faussement autobiographique tout en se permettant d'entrer en collision avec une fiction qui fait semblant de ne pas en être une. Il y a des pages formidables, une première de Shining où B.E.E se découvre vraiment homosexuel (à chacun ses piliers). Quelque chose du temps retrouvé peut être même quelque chose de Proust. Un Proust chloré bronzé de la fracture 70/80, un Proust où la fameuse madeleine mémorielle serait remplacée par le couple cocaïne Xanax — l'une pour la montée, l'autre pour la descente — un Proust où Duran Duran se substituerait à la petite phrase de Vinteuil…


Jean Cau, Croquis de mémoire. Belle mémoire, plaisir d'écriture, plaisir de lecture. C’est coruscant en tout sens, c'est très bon. Mitterrand est un fringuant chasseur de danseuses qui s'est transformé en Nosferatu auguste et sombre. Pompidou manque d’un brin de déliquescence et de hauteur désabusée. Giscard est impeccablement propre « de mains, d’ongles, de chemise, de crâne, d’oreilles, de barbe et de tout… »


26 mars 2023.- Temps maussade (14°C). L'heure d'été. On nous vole une heure de vie pour nous la rendre toute chiffonnée six mois plus tard, ce n'est pas très fair-play. Par ailleurs toujours avec B.E.E. Time capsule, belle playlist, un peu d'ennui, mais de formidables éclats ; c'est dans le titre. Du côté de chez Cau, extraordinaire portrait de Charles de Gaulle, un hippopotame, un énorme poisson, une baleine, un fabuleux saurien, un animal — unique — échappé d'un cirque mystérieux.


27 mars 2023.- Crachin glacé, un temps de Toussaint, le printemps attendra (6°C). J'ai peu ou prou le même âge que Bret Easton Ellis et ce qu'il écrit me parle donc assez. Peut être pas l'homoérotisme un peu fatiguant, mais le reste, certainement, beaucoup… Le début des années 80, la fin de l'adolescence, une sorte de molle déréliction, j'ai vécu la même chose à la même époque… J'ai aussi écouté les mêmes musiques, vu les mêmes films, bu les mêmes breuvages, fumé la même chose, tourné autour de quelques substances psychotropes illicites (en quantité bien moindre), mon jugement est donc biaisé, un peu floué par une certaine nostalgie.. Reste que Les Éclats me semble un livre tout ce qu'il y a de bien (j'ai lu 280 pages). Reste aussi que B.E.E croit encore au roman, ce grand fourre-tout où l'on peut jeter un maximum de choses. Ici une datation au carbone 14 de la brisure 70/80 en Californie du Sud, avec ses serial killers errant en bord de highways, ses collégiens propres et déjantés, ses drogues à foison, sa musique mêlant invasion brit pop et peaufiné javellisé à goût local. Mais aussi du cul bi, mais surtout très homo, une dissection autofictive de ce que fut B.E.E à cette époque, une lucidité amère sur le sable imbibé de l'adolescence qui tourne au ciment de l'âge adulte. Il peut y avoir tout cela dans un roman.

Otherwise still with Cau. Toujours très bon. (Sur Boris Vian et l'escroquerie de Saint-Germain-des-Prés, sur Cocteau, sur d'autres…)


28 mars 2023.- Ciel enfin dégagé (12°C). Conditions lectorales acceptables. Soleil raisonnable, chaise â demi confortable. Je suis tout juste dérangé par les abeilles qui ont envahi mon hôtel à insectes (l’aubergiste est trahie par ses murs), tandis que plus haut quelques oiseaux chantent.

L'affaire de B.E.E me semble assez mal traduite, ou alors est elle tout simplement mal écrite ? Elle est également trop longue, il y a de nombreux passages qui auraient certainement mérité un petit élagage. Bizarrement je m'en fiche, je l'aime tout de même cette affaire. Certainement pour les raisons que j'ai évoquées il y a deux trois jours, une certaine concomitance générationnelle ; ensuite parce que B.E.E croit vraiment à l'histoire qu'il raconte. Bon il n'est pas totalement dupe devant ce vieux truc dixneuviemmiste qu'est le roman, mais il avance dans son intrigue en gardant avec lui un certain pourcentage de naïveté qui lui permet d'éviter second degré et cynisme, ces deux plaies des romanciers conscients. Après que cela soit bien écrit ou pas… dans la mesure où l'intrigue avance…

Mieux écrits, les portraits de Cau. Parfois terribles sur le fond.

Je fais mes valises, demain départ pour Avignon.


29 mars 2023.- Soleil non parcimonieux (2023). Avignon. Très agréable Rocher des Doms, beau surplomb sur le Rhône avec le fameux pont et plus loin le Lubéron. Frôlé le Palais des Papes sans y entrer. Chez un bouquiniste par trop torve acquis l'Apollinaire de Pia dans la collection Écrivains de toujours.


30 mars 2023.- Ciel se dégageant (20°C). Avignon. Je n'ai pas dansé sur le fameux pont, j'y ai plutôt promené mon Q. Visite du Palais des Papes, cette chose est très grande et devait être très problématique à chauffer. En sortant le Musée du Petit Palais. Un peu décati, mais deux, trois Botticelli.


3 avril 2023.- Des nuages, un coup de vent, deux heures vaguement ensoleillées, le retour des nuages, une certaine froideur (10°C). Retour d'Avignon où je n'ai pas fait que baguenauder sur le fameux pont. J'ai aussi vu de l'intérieur le vieux palais que vous savez, effectué de nombreuses séances de Psychogeographie (une grande partie de la ville historique n'est pas encore rénovée et distille un petit charme pas encore totalement gentrifié ; par exemple la rue des Teinturiers) et visité un nombre assez conséquent de Musées. Celui d'Histoire naturelle est le plus amusant dans le sens du décati, il est rempli de bestioles empaillées et les agents municipaux qui y « travaillent » semblent empaillés eux aussi. Celui d'Art moderne (la collection Lambert) batifole moins dans le désuet et il est relativement intéressant. Deux trois Basquiat, Anselm Kiefer et Cy Twombly mais un peu trop de place laissée au minimalisme et aux installations (une sorte de chambre à air flottait dans l'air, on se demande bien pourquoi). Les médiatrices qui ne sont pas empaillées sont collantes et, bien que parfois charmantes, récitent leur mantra moderniste presque à l'unisson…

Repris la lecture des Éclats sous les nuages. Je n'aime pas laisser un livre de côté plus de quatre ou cinq jours. Généralement je suis déçu en le reprenant, le rythme et la coalescence ne sont plus là, il faut me réacclimater. Pas cette fois-ci. Je trouve même la salade composée par B.E.E encore meilleure. Flottant dans une douce inquiétude pleine de langueur… Surtout c'est un vrai roman, un roman-roman, comme si c'était encore possible.


4 avril 2023.- Beau temps frais (10°C). J'écris ses lignes faiblardes en extérieur allongé face au soleil et en utilisant mon téléphone qui se révèle être un support comme un autre. Je ne sais si Les Éclats est un « grand livre », en tous les cas je l'ai beaucoup aimé. Sa douceur valiumisée, ses piscines Hockney, ses grandes villas laissées entre les mains d'adolescents par encore perdus, mais qui sont sur la bonne voie, ses longues fêtes qui résonnent comme du Verdurin doré sur tranche californienne, son érotisme jamais vraiment patibulaire, sa bande-son, ses couleurs… J'ai trouvé tout ça épatant. Pour rester dans l'épatant la dernière partie où le roman de formation rejoint le roman de terreur me semble ce qu'il y a de plus réussi. Il y a de l'habilité, un certain savoir-faire qui concède à l'efficacité narrative, mais la façon n'est jamais sournoise, jamais vraiment popote. Au-delà de tout ça, c'est surtout un très beau livre sur la fin de l'adolescence, sur ce vertige engendré par la perte de l'innocence, sur le fait que l'on ne soit pas vraiment certain de gagner quoique ce soit au change en devenant adulte. J'écris des banalités, mais parfois ce sont les banalités qui ont raison.


5 avril 2023.- Ciel bleu pâle, fond de l'air encore un peu froid (14°C). Lever 5h45, labeur, sieste… Quatre pages de l'affreux Cau. Le docteur Lacan en prend pour son grade, c'est très amusant. Trois pages du Journal de Renard : « Il faut feuilleter les mauvais livres, éplucher les bons ». Pensé à Thomas Bernhard, plus feuilleteur qu'éplucheur : « Je n'ai jamais lu un livre jusqu'au bout, ma façon de lire est celle d'un feuilleteur supérieurement doué, c'est-à-dire d'un homme qui préfère feuilleter plutôt que lire, qui feuillette donc des douzaines, parfois même des centaines de pages avant d'en lire une seule ; mais quand cet homme lit une page, alors il la lit plus à fond qu'aucun autre et avec la plus grande passion de lire qu'on puisse imaginer. »


6 avril 2023.- Éclaircies (14°C). Labeur, longue sieste, appétence légumineuse. Onzième journée de mobilisation contre la réforme des retraites. Casseurs contre-productifs, ce sont les meilleurs alliés d'Emmanuel Macron.


7 avril 2023.- Éclaircies (14°C). Assez terrassé par le labeur. De retour dans mon petit intérieur, sieste passée, je feuillette Derrière les lignes ennemies, un spicilège compilant quelques interviews de l'ami Jean-Patrick Manchette. Tout étant une nouvelle fois dans tout il y est question du labeur et de ses aspects indubitablement terrassant. Quand on demande à l'ami Manchette quel est, pour lui, le comble de la misère ? En bon situ qui se respecte encore un peu il répond : « Le travail généralisé, dans la soumission à l’économie. » Rien à redire, je suis sur cette ligne-là, très capable moi aussi de défendre la valeur non travail avec une molle obstination. Sinon par ailleurs j'ai volé numériquement le dernier opus de Frederic Beigbeder (je n'allais quand même pas l'acheter). Le basque rebondissant parle de son addiction à la coco, de son hétérosexualité et de son grand âge qui point. Rien de tourneboulant, c'est assez grande presse et bourgeoisement décalé, mais curieusement j'ai envie de défendre le bonhomme.


8 avril 2023.- Ciel magnifiquement dégagé, goût printanier (18°C). Que faut-il pour rendre un homme heureux ? Parmi de nombreuses choses certainement, un bon livre, une chaise confortable et une météo favorable. Je ne sais si j'ai été vraiment heureux aujourd'hui, mais il y a de fortes propensions pour que l'ai été. Ma chaise de jardin était confortable, la météo favorable et le livre que je tenais entre mes petites mains ma semblé indubitablement bon. En fait ce livre c'était le Croquis de mémoires de l'abominable Cau. Que du bonheur… Du bonheur d'écriture, du bonheur de lecture. Un talent pur de portraitiste comme on en rencontre peu au service d'un aréopage bien choisi et foutrement croquignolet. Le teint rose de Giono qui vire au blême par tristesse et par colère, le casque à frange de Junger, la déchéance admirable de Carson Mac Cullers, les pets d'Orson Welles et ses énormes cigares jetés tout allumés sur les tapis de Palaces, Joë Bousquet gisant adossé aux oreillers de son lit tout en n'oubliant pas de faire grésiller une boulette d'opium avec une étonnante dextérité, l'immodestie de Ponge, la bêtise d'Hemingway (je ne souligne pas totalement), la pingrerie de Tzara, Aragon qui aurait « retrouvé les pédales » sur la tard, Barthes tué par une camionnette de blanchisserie, en somme tué par la vierge et l'immaculé… Tout cela est formidable. Plus que formidable le dernier portrait consacré à Sartre. Voilà une sorte de chef-d’œuvre. Cau ne rend pas le futur psalmodieur de Billancourt plus sympathique (quoique), mais il le rend plus drôle, plus grossier, plus accorte, en un mot plus humain que l'on n'aurait jamais pu le penser :


« - Heidegger ? Il a l'air d'un colonel à la retraite. C'est la Montagne magique, son bled. En bas, les étudiants, plus haut les baraques des profs, plus haut celles des autorités de la Fac et, au sommet, la villa du Vieux. Le Vieux de la montagne c'est exactement ça.

- Il est intact ?

- Pas du tout. Il philosophe pur, n'est-ce pas. il vomit l'engagement. Je lui en ai parlé. Il me regardait avec une infinie pitié. À la fin je parlais à son chapeau. Il a un chapeau vert de chasseur de chamois. Enfin… Grand tra-la-la des Doktors… Mais figurez-vous que quand je suis parti, qu'est-ce que je trouve dans mon compartiment de chemin de fer ? Des bouquets de roses ! Des brassées ! Tout juste s'il ne m'avait pas offert des coussins et des bonbons.

- Des roses ? Et qu'est-ce que vous en avez fait ?

- J'ai attendu que je train démarre et , en catimini, je les ai balancées par la fenêtre. »


9 avril 2023.- Ciel très ensoleillé (18°C). Je reviens à ce salaud de Beigbeder et à son petit livre d'humeur que j'ai mollement évoqué il y a deux ou trois jours. Le type du Figaro y surf tranquillement sur le souvenir de se ses addictions, sur sa supposée hétérobeauferie et sur diverses autres choses qui flottent dans l'air du temps. Rien de vraiment pénétrant aussi bien sur le fond que sur la forme qui est relâchée et pas vraiment travaillée dans le sens de Rodin et de son fameux burin. Cependant, le côté marrant prend parfois le pas sur le côté cossard et il y presque une idée intéressante : les hommes gays sont les seuls qui peuvent encore parler de leur sexualité sans se voir regardés de biais. Reste à savoir pourquoi une aussi insignifiante chose semble titiller les fourches caudines de pas mal de monde (Les Inrocks(uptibles), L'OBS, Télérama…)


J’enchaîne avec un nouveau livre, Cordon-Bleu le premier très mince roman de Patrick Deville qui en 1987 donnait apparemment dans le minimalisme post becketto-echenozien très à la mode de chez Minuit. (Deville changera d'éditeur et de style par la suite). L'exergue du roman attribué à Flaubert est assez rigolote : « j'ai vomi tout mon dîner ». C'est en fait un honteux découpage de la correspondance du même Flaubert « Quand j'écrivais l'empoisonnement de Madame Bovary j'avais si bien le goût de l'arsenic dans la bouche, j'étais si bien empoisonné moi-même que je me suis donné deux indigestions coup sur coup, - deux indigestions réelles, car j'ai vomi tout mon dîner. » (Lettre à Hippolyte Taine, 20 novembre 1866)


10 avril 2023.- Temps doux et nuageux (18°C). Jour de Pâques, un an de plus, je frôle le old age. Effectué quelques menus plantations dans mon semblant de jardin.

(Lectures.) Cordon-Bleu de Deville. Vain et emmerdant. Les limites de l'école Minuit. N'est pas Jean Echenoz qui veut. Deville le comprendra très vite.

Trois poèmes de Louis Brauquier. Rien de lactescent, rien de post-moderne. Nous sommes là dans les ailleurs.


12 avril 2023.- Averses (13°C). Labeur, fatigue, inspiration proche du néant.


13 avril 2023.- Ciel changeant, une certaine fraîcheur (12°C). (Jardinage.) Rempoté quelques œillets, deux ou trois géraniums, d'autres choses végétales de provenance diverse et variée.

(Lectures.) James Salter Tout ce qui n'est pas écrit disparaît. Entretien donné à la Paris Review. Cent petites pages lues en moins de deux heures. Salter parle de sa façon d'écrire, de sa détestation du premier jet, du fait qu'il doive polir ses phrases. Ce faisant il penche du côté du gros Flaubert et certainement pas du côté du style télégraphiste et du laisser-aller stendhalien. (Vous qui lisez ce vague journal écrit à la va-comme-je-te-pousse auront compris de quel côté je penche). Il parle ensuite de ses débuts littéraires de son rapport à la France et de son rapport à ses écrivains. Rien de bien pénétrant, peut-être même un certain manque de finesse. Tout cela reste viril, mais correct. (Bonne traduction de Philippe Garnier, il y a une anecdote croquignolette sur Charlotte Rampling.)

Moins américain, plus blouse grise, entamé Les deux beune la nouvelle petite affaire de Pierre Michon (sa première petite affaire depuis des lustres). Très beau, très fin, un styliste. Néanmoins, je me suis endormi à la page trente-neuf : « Je ne crois guère aux beautés qui peu à peu se révèlent, pour peu qu’on les invente ; seules m’emportent les apparitions. Celle-ci me mit à l’instant d’abominables pensées dans le sang. C’est peu dire que c’était un beau morceau. Elle était grande et blanche, c’était du lait. »


14 avril 2023.- Pluies éparses (11°C). Je regarde le plafond, qui est bien blanc. Rien d'autre.


15 avril 2023.- Météo abominable, bourrasque et crachin, quasi froideur, un temps de Toussaint (8°C). J'ai laissé tomber le Michon à son mitan. Trop de prose caillée, trop de circonvolutions, trop de mots qui font mine de s'étouffer les uns avec les autres et malgré un semblant d'humour que je dois être le seul à voir, trop d'ennui… Par contre rien d'ennuyeux chez Jean Rolin. Je suis plongé dans son Explosion de la durite et le désœuvrement certain que j’éprouvai en lisant les alinéas michoniens s’est immédiatement transformé. Pour tout vous dire, je respire et c'est comme une libération. Le livre de Rolin raconte comment ce dernier s'est procuré une Audi maladive tout juste en état de rouler et l'a expédiée en Afrique, au Congo, où elle a été transformée en un pétulant taxi capable de subvenir aux moyens de toute une famille. Évidemment au-delà de l'action caritative, du projet raconté, Rolin baguenaude tout en cousant son habituel patchwork avec des bribes et des morceaux. Des bouts de fiction, des bouts de réalité, des bouts d'Histoire… Sa jeunesse passée au Congo, Patrice Lumumba, la toque léopard de Mobutu, les guerres de libération, le bricolage et la déglingue africaine, le récit de voyage, l'amour des cargos des containers et des bestioles, la précision journalistique… Rien à redire, tout cela est épatant (Rolin est souvent épatant).


16 avril 2023.- Pluie (10°C). Maussade comme le temps. Mes mots ne viennent pas, pire ils ne poussent même plus et je suis dans un état de curieuse jachère.


L'Explosion de la durite passe par Verdon où Rolin rencontre l'un de ses amis, un certain Éric. Sans faire de plus grandes recherches que ça on devine assez vite que cet Éric-là ne peut être qu'Éric Holder et tout étant dans tout on se souvient d'une chronique de ce dernier pour Le Matricule des anges (chronique où il racontait sa rencontre avec Rolin chronique reprise dans le beau volume l'Anachronique déjà évoqué ici). Ainsi, chaque écrivain parle de l'autre dans un émouvant champ contre champ et c'est très beau.


17 avril 2023.- Ciel couvert (12°C). (Matin.) Le printemps n'est pas là, la météo est sinistre, l'ennui tend à poindre alors on se gratte l'omoplate en se disant que de toutes les façons on va tous crever. On casse ensuite deux ou trois œufs, on fait une omelette. Il faut savoir faire une omelette. Après avoir mangé son omelette, le soleil n'est toujours pas là, mais on peut lire. Lire par exemple les Mémoires d'Outre-France. Ces souvenirs moins moroses que la météo écrits par Gavin Bowd le traducteur en langue anglaise de Michel Houellebecq. On y baguenaude dans une jeunesse très communiste entre groupuscules marxistes écossais, fête de l'huma et virée dans les pays frères. Le mur que l'on sait tombé on se retrouve ensuite posé entre Kenneth White et Guy Debord, Bowd évoque quelques panouilles écrites pour les Inrocks historiques (qui en prennent pour leur grade), puis c'est sa rencontre avec Houellebecq qu'il ne porte pas aux nues, mais qu'il dépeint avec une belle humanité non dupe n'oubliant pas les aspects pour ainsi dire pathétiques de l'ami Michel, ses dérives idéologiques, ses provocations, mais aussi son amour pour Clément, son chien Korgi, son petit bonhomme… (Après-midi.) Le soleil est sorti à 18 h juste au moment où il était censé tomber sous les toits. Je pense que c'est une provocation… Parmi d'autres choses les Mémoires d'Outre-France offrent une vision assez amusante du milieu intellectuel français de la fin du 20e siècle. Bowd en bon écossais bourru et moqueur sautille sur pas mal de monde et il y a une belle palanquée de phrases qui fourmillent en anecdotes plus croquignolettes les unes que les autres. Un bouquin qui parle tout à la fois d'Eugène Guillevic et de Mark E. Smith ne peut qu’entraîner une certaine sympathie chez le lecteur que je me trouve être.


18 avril 2023.- Le ciel se dégage enfin (18°C). Conditions lectorales quasi impossibles. Une bétonnière devant mon auguste enveloppe corporelle, un marteau piqueur derrière, un vaste chantier à gauche, une vitupérante cohorte de mouflets à droite. Devant un tel chambard une seule solution : se boucher les conduits auditifs avec ce que l'on a sous la main, deux bananes, des boules Quies, de la musique écoutée très, trop, fort au casque. J’ai opté pour la musique et les contre-mesures ont pris la forme de Reel to real cacaphony de Simple Minds et de Entertainment de Gang of Four, deux maîtres étalons de la raideur post punk.


Je suis donc retourné sur le Michon avec tout cela entre les oreilles. Je ne voudrais ni décevoir ni offusquer mon mince lectorat, mais je dois bien dire qu'au bout de quatre pages il m'est tombé des mains ( Jim Kerr montait dans les aiguës). Il faut savoir laisser tomber le Michon… Pas découragé j'ai immédiatement enchaîné avec du surfin en ouvrant le Comme ceci comme cela de l'entité poétique Jean Tardieu. Tout petit, pas mal, un peu élan éthéré (la bétonnière de mes voisins vrombissait). Mon appétence lectorale s'est ensuite orientée vers du plus consistant, du plus replet, du plus pudding, j'ai réentamé Derrière les lignes ennemies un volume qui rassemble une belle quantité d'entretiens donnés par Jean-Patrick Manchette. J'aime beaucoup ce type, l'homme et l'écrivain. L'homme parce qu'il faisait son politique, son engagé avec une élégance jamais assommante (de surcroît, je tamponne la plupart de ses idées), l'écrivain parce qu'il écrivait sèchement ses petits trucs tout en sachant qu'ils n'étaient que des petits trucs. Le bouquin est formidable on pourrait citer de nombreux extraits. Je me contenterais de celui-ci : « Pour Folle à tuer, j’ai travaillé avec Mocky, avant que Boisset soit finalement choisi comme réalisateur. Il n’y a rien à en dire, sinon que Mocky est laid, stupide, et devrait utiliser un déodorant corporel, et se faire les ongles. Quant au casting, l’accord de Marlène Jobert a été utile au financement du film, et elle n’est pas mal. Lonsdale est un plaisir, comme toujours. Le reste est sans intérêt et je m’en fous. »


19 avril 2023.- Beau temps, enfin ! (19°C). Toujours vaguement malade, quant au labeur ne m'en parlez pas ! Le bouquin d'entretiens avec l'ami Manchette est diablement intéressant, souvent drôle et plein de fines analyses sur la contre et para culture. Voilà un type qui savait très bien se juger lui-même ce qui est toujours mieux lorsque l'on se risque à juger les autres.


20 avril 2023.- Averses (14°C). Saisi par la pesanteur je suis de moins en moins aérien. Peut-être alors serais je sauvé par la fluidité ? Après tout, les fleuves, les rivières, les ruisseaux, tout cela ne coule pas dans les airs… Un risque : finir flaque. En dehors de ces considérations liquides, je suis toujours chez l'ami Manchette.


To be continued.


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