« L'alcool, quel qu'il soit, et le sperme constituent un cocktail que très peu de barmen consentent à nous servir. » (Bernard Delvaille).
9 janvier 2023.- Un coup de vent, plus de nuages, mais la température aura baissé (8°C). Au mitan des mois en R, insensiblement les jours s'allongent, le soleil réchauffe les branches toutes nues tandis que plus bas les feuilles mortes pourrissent dans un contentement penaud.
(Matin.) Holder, Chroniques. Ça tangue, zigzague un peu comme une ivresse et ça nous mène tout de même là où ça veut bien nous mener… vers de l'humain, du doucement humain à défaut d'être du terriblement humain. La haute pointe du Médoc, Le Verdon et Soulac, une rencontre avec Jean Rolin débarqué de son vraquier, les vidanges et ses vendangeuses et vendangeurs, des typesses et types qui zigzaguent eux aussi… L'inverse dans une sorte de parfaite antonymie Renaud Camus et son Journal, Vue d’œil. Pas trop d'humanité en zigzag, mais de la politique comme s'il en pleuvait à gros grains rectilignes. On s'ennuie vaguement, on s'accroche aux rares pages où le châtelain évoque ses lectures. Les écrivains sont toujours trahis par la politique.
(Midi) J'ai fait des chips avec les épluchures des patates d'hier. Avec un Muscadet Sèvre et Maine (vin de petite réputation, mais qui peut apporter quelques menues satisfactions) c’était assez agréable, potable pour ainsi dire.
(Soir.) Quelques repères biographiques autour de l'oiseau Ogor Plotvitch : Naissance en 1953 sur l'île de Krk où il passe une petite enfance tranquille avant de déménager sur le continent dans la ville d'Opatija cette drôle de station climatique pleine de nostalgie austro-hongroise (il y a une petite sirène, le climat est doux). Sa jeunesse venant on le retrouve à Pula une citée Istrienne un peu antique et pleine de joueurs de water-polo puis à Rijeka où il officie comme clerc de notaire dans une officine titiste. Licencié pour de sombres raisons productivistes, il préférait « ne pas » effectuer les tâches que l'on voulait bien lui assigner, il se réfugie à l'ouest, à Trieste où il compte marcher dans les pas d'un écrivain irlandais un peu compliqué. C'est là que nous perdons sa trace.
10 janvier 2023.- Gris poussif (9°C). On me demande de cesser mes préambules météorologiques qui seraient, parait-il, fatigants. Par bravoure je ne vais pas le faire et dès demain je compte même indiquer la pression atmosphérique et le sens du vent au début de mes faibles notules journalières.
Vaccin quatrième dose. Je n'ai toujours que deux bras, mais l'un, le piqué, me fait un peu mal. Toujours à l'alternat entre Vialatte, Holder et Camus. L'un est très attentif aux loups, l'autre à ses voisins quant à celui qui n'est ni l'un ni l'autre je crois que je vais le laisser choir car au bout de quarante courtes pages il m'épuise déjà. Pour le reste et s'agissant de la partie la plus désœuvrée de mon existence j'ai passé l'essentiel de ma journée à essayer le nouveau module d'intelligence artificielle nommé ChatGPT. C'est de prime abord assez bluffant et très amusant. L'application est si bien faite qu'elle peut écrire un article, un poème ou une histoire qui tient parfaitement à partir de quelques simples mots. Les articles sont cohérents, les poèmes pelucheux, les histoires mignardes et tout semble presque parfait. Cependant on se lasse vite de tout ça… On se lasse vite et on est même effrayé, car dès qu'il est question de politique, de choses sociétales ou philosophiques, de transgression des normes en vigueur, l'intelligence artificielle distille une espèce de novlangue pleine de puritanisme. En somme, le langage du néo-libéralisme triomphant énoncé par un disciple de HAl 9000.
12 janvier 2023.- Ciel gris bleu assez indéfinissable, mais rien de sautillant (11°C). Fatigue. Mon corps évoluant dans l'espace avec une peine assez tangible je me contente de très peu de mouvements, l'immobilité sera mon but.
Retour dans le Journal de Renard. Le 23 janvier 1895, tête en ciment, cervelle en plâtre il est dans l'incapacité d'écrire la moindre ligne, il crache nègre, rends du noir comme une seiche… « J'attends l'inspiration, comme une pompe. Imiter la nature, je veux bien, mais qu'elle commence ! » Pour rester dans le diaristique j'ouvre les Cahiers de l'ami Cioran et je tombe sur ces mots : « Un journal (Tagebuch) empêche peut-être de travailler ; en revanche il rend service, il remplace utilement un ami. C'est déjà quelque chose que de pouvoir se passer d'un confident. »
13 janvier 2023.- Nuages, nuages, nuages… (12°C). Langeur et délitement, rien pour moi. Sans inspiration je passe mon tour (et je le laisse bien volontiers ma place à ChatGPT et à l'intelligence artificielle, qui n'a pas d'états d'âme, elle) :
Le chiendent envahit le jardin
Tandis que je me tords de douleur
Je songe à cette casserole oubliée
Sur le feu depuis trop longtemps
Un lapin effrayé traverse la pelouse
Et vient se blottir contre moi
Il semble comprendre ma peine
Et me réconforte de sa présence
La tapette à mouches reste inutile
Car les insectes ne viennent plus
Ils ont fui cet endroit maudit
Où la souffrance est reine.
14 janvier 2023.- Vent aigrelet soufflant sous un ciel grisâtre, grande maussaderie de l'ensemble (5°C). Fini L'Anachronique d'Éric Holder, je recommande cette lecture. Enchaîné avec Cap Horn un recueil de nouvelles par le « grand écrivain » chilien Francisco Coloane. On me souffle qu'il aurait quelque chose d'un Stevenson austral. Certainement parce que ses histoires se déroulent en grande partie en Patagonie et que cette terre en dehors de convenir parfaitement à l'immense tristesse de Cendrars est indubitablement très austral. D'autre part parce que ses histoires ne sont jamais loin de la navigation, de la grand-voile et des moussaillons, ce qui n'est jamais très loin de Stevenson non plus. Bon, un Stevenson plus bourru qu'Écossais, plus démonstratif et utilitariste, moins fin en somme (c'est ce que laissent transparaître les trois histoires que j'ai lues aujourd'hui).
Pour le faire le compte tout en abordant des rivages qui n'ont rien à voir avec ce que j'ai pu lire dans le reste de ma journée j'ai survolé le fameux entretien entre Michel Onfray et Michel Houellebecq. Ce n'est pas si terrible que ce qu'on en dit dans le Landerneau, il n'y a pas de quoi hululer devant le post fascisme non plus. Les deux disent beaucoup de bêtises… L'un des Michel est très antipathique et calculateur tandis que l'autre me semble plus sincère et en tous les cas plus drôle. Je vous laisse placer les Michel à leur place, je pense que vous ne vous tromperez pas.
15 janvier 2023.- Matinée pluvieuse puis une nette amélioration, un ciel dégagé, un soleil qui darde et quelque chose de printanier. Cela ne va pas durer, on annonce une tempête (10°C). Hier trahie par deux trois nouvelles essentiellement maritimes j'évoquais Stevenson en parlant de Coloane. Or à tout bien réfléchir, il me semble bien plus proche de Jack London. Ses histoires de cow-boys de chiens de troupeaux sont plutôt de cette patte là. Évidemment en largement plus austral. Pour tout vous dire, c'est assez bien, très dépaysant, ça vous donne des envies de pampa, de Patagonie et de Terre de Feu : « Dans la journée, notre sensation d’être sur terre est quelque peu sommaire. Mais la nuit, sous un ciel brillant où l’on distingue clairement les astres, nous avons l’impression d’habiter une île perdue dans l’espace ; la terre s’estompe, nous cheminons les yeux fixés sur la Voie lactée, et le cœur et l’esprit s’élèvent vers le cosmos, puis redescendent pour, un jour, disparaître sous quatre pelletées de terre. »
16 janvier 2023.- Temps à demi hivernal (6°C). Vaguement malade, de surcroît conditions lectorales déplorables. Toujours le voisinage, des travaux limitrophes, j'ai la tête comme une casserole. Néanmoins et malgré tout cela après Coloane et ses trucideurs de bébés phoques je reste exotique puisque j'entreprends la lecture de Je connais des îles lointaines, un gros pavé qui ressemble l'ensemble de l’œuvre poétique de Louis Brauquier. La préface d'Olivier Frébourg est très éclairante, on devrait lire plus souvent les préfaces.
17 janvier 2023.- Un certain refroidissement (5°C). Lectures. 1/ Une chronique admirable d’Alexandre Vialatte où il était question du crocodile, du boa et de l'astrobale, de rhubarbe et de cabestan, de Paulhan et de la peinture abstraite, de Braque et de l'oxyde d'aluminium, de Klee et du cornet nasal d'un caniche, de Pollock et du cortex cérébral, d'Arp et du neurone moteur de la moelle épinière. 2/ Et l'au-delà de Suez premier recueil de Louis Brauquier paru à Aix-en-Provence en 1922. Marseille, le grand large, les ailleurs… Écrit à l'âge de 19 ans, c'est déjà très beau et plein de promesses : « Et nous suivons du doigt avec la mappemonde/ La route de nos voiles rousses vers les ports/ Où nous serons aimés par des créoles blondes. » 3/ Simple journée d'été spicilège recueillant une dizaine de nouvelles fomentées par le trop précocement décédé Frédéric Berthet. Soleil et Côte d'Azur, jeunes adultes en espadrilles blanches, alcoolémie légère et pleine de bulles d'air. La nouvelle titre est ce qu'il y a de mieux. Elle est même magnifique et très émouvante sans en faire trop et pleine de ce que l'on pourrait définir comme de la prescience en creux (le protagoniste principal, pour ne pas dire le héros, ivre titube, tombe et s'assomme un peu. Ce sera le destin de Berthet que de tituber, tomber et s'assommer, mais pas qu'un peu, lui). Le reste du recueil même s'il tangue un peu moins bien est relativement épatant. Il y a du charme un peu rohmerien, quelques pointes de Tchekhov et le sentiment curieux et pas si désagréable que ça, que l'ensemble aurait été très bien traduit de l'anglais, ou plutôt de l'américain (disons que quelque chose de Fitzgerald flotte aussi) : « Les années passèrent, c’est-à-dire qu’il fallut diviser par quatre le nombre des saisons. De tout ce temps, aucun mort ne fut à déplorer, quoique régulièrement, à la fin d’une journée un peu plus silencieuse, on crut pouvoir penser qu’une période s’achevait, et elle s’achevait en effet : ainsi sommes-nous chassés lentement. »
19 janvier 2023.- Quelques flocons (3°C). Gamin plus ou moins détecté comme ayant quelques menus problèmes d'attention, certaines bonnes âmes crurent bon de décréter que tous les mercredis après-midi je devais voir un psychologue. Lors de ma première séance avec lui je me retrouvais donc devant un type aux vagues airs socialisants. Il fumait la pipe et me posa des questions d'apparences badines, mais qui me semblèrent tout à fait sournoises. Outre cet interrogatoire qui taisait son noN, il me demanda aussi de dessiner une maison et un arbre. Comme j'étais bien plus malin que lui je le fis en tenant compte de ses possibles futures interprétations, scribouillant un arbre harmonieux positionnant les fenêtres, la cheminée de la maison et l'horizon là où je pensais qu'un mouflet équilibré, en somme un connard, les auraient positionnés. Évidemment, ce fut notre seule séance.
Acquis les trois volumes rassemblant les mémoires de Claude Roy, un ensemble qui me semble intéressant.
20 janvier 2023.- Froideur (2°C). Lever 5h43, labeur, sieste, ouvert l'Herbe des talus de Jacques Réda (vagabond en Solex), David Crosby est mort, c'est triste.
21 janvier 2023.- Beau temps mais un vent sibérien à décorner les cocus renforçant vers le frisquet le côté température ressentie (2°C). Pour de mauvaises raisons liées à mon saumâtre emploi bassement rémunéré, je ne suis pas trop d'humeur. Beaucoup de peine à vouloir entrer dans l’Herbe des talus de Jacques Réda. Cela me semble pourtant très bien, ces atours « mélangés », ce début secoué par les souvenirs d'enfance, la suite dans une belle xénophilie entre Londres, Vienne, Prague, Rome ou Budapest… Rien de vraiment affligeant, mais j'achoppe. Les paragraphes se dérobent à mon regard, mes vagues soucis reviennent sans cesse en remugles patibulaires et ma concentration ne se fixe pas sur l'objet lecture préférant se perdre dans une sorte de frustration incontrôlée, une sourde colère, qui qui me pèse sur les épaules pour mieux m'enfoncer, je ne sais où ? Maudits tracas du quotidien, maudit labeur… Ne travaillez décidément jamais !
22 janvier 2023.- Nuages congelés (1°C). L'herbe des talus date d'une époque où la France provinciale n'était pas encore considérée comme périphérique, il y avait des quincailleries et des épiceries et juché sur son Solex Réda ne rencontre guère de ronds-points. Belle évocation de l'Écosse, d'Inverness et de l'ile de Skye, toutefois je passe globalement à côté de ce livre (certainement pour les raisons énoncées hier).
Air du temps. À la télévision entendu une sorte de neurobiologiste expliquer qu'en gros Mozart n'avait pas de talent et qu'il avait seulement beaucoup et précocement travaillé. Pire, pour elle, considérer que les gens ont du talent, voire du génie, conduirait tout droit au racisme. Trois minutes plus tard, elle tournicotait autour du genre et des inégalités. Dieu que tout cela est fatiguant. N'est-il pas plus simple de dire que certains sont doués pour certaines choses. Quel est le mal dans tout ça ?
23 janvier 2023.- L’hiver, toujours (3°C). Ce matin visite médicale. Mon médecin, le même depuis trente ans, est chenu comme un vieux cep de vigne. Il doit avoir plus de 75 ans. La relève se fait attendre…
Comme tout est dans tout et que ce tout offre des enchaînements, des continuités parfaites, dans le Journal de Bernard Delvaille je lis ceci : « Lu Le Sens de la marche, que Jacques Réda vient de m'envoyer. J'ai toujours aimé Réda, mais je m'en lasse un peu. Son style me semble devenu appliqué, laborieux. Ah ! l'immense liberté de la prose de Cingria ! » Nous sommes en 1990 et Delvaille voyage toujours beaucoup. Belle description de la Riviera, de Villefranche, Beaulieu, Saint-Jean-Cap-Ferrat et Eze. Désamour de Bordeaux, de Toulouse et d'Aurillac. Éloge de Montpellier (où il pourrait vivre). Charme de Vic-Sur-Cère avec ses toits en ardoise au pied de petites montagnes de sapins et de pâturages. Charme des lignes ferroviaires secondaires… Existent-elles seulement encore ? Je ne crois pas… Fini ma relecture des Illuminations. C'est tout de même très bien. Ce Rimbaud savait manier sa balle : « Ce soir à Circeto des hautes glaces, grasse comme le poisson, et enluminée comme les dix mois de la nuit rouge - (son cœur ambre et spunck), - pour ma seule prière muette comme ces régions de nuit et précédant des bravoures plus violentes que ce chaos polaire. À tout prix et avec tous les airs, même dans des voyages métaphysiques. - Mais plus alors. »
24 janvier 2023.- Nuages (3°C). Malade, estomac en charpie, prise de sang et autres joyeusetés…
Toujours avec Bernard Delvaille esprit raffiné baguenaudant entre Londres, Vienne, Trieste, Amsterdam et Venise. Enfin, Venise surtout… Venise et le Le Caffè Florian (le plus ancien café de la place Saint-Marc où se réunissait « Le Club des longues moustaches »). San Michele et ses tombes, cette odeur de décomposition qui se mêle à celle de la résine chaude, Murano et ses couleurs, ce jaune, ce rouge foncé, cet ocre, Burano ses verres et sa grand-place, le Ghetto et ses maison bien hautes, les plus hautes de Venise (quand on vous persécute, on s'élève vers le ciel), les zones obscures de l'autre côté du Canal Grande, les musées, les mouettes, les chats fourbes, le clapotis de l'eau, tout cela est un enchantement : « Pendant tout mon séjour, la lune a été haut dans le ciel. Je reste seul, quelques instants, face au ciel étoilé. Je songe au passé, au bonheur de vivre, à la mort. » Delvaille est mort ici même à Venise quinze ans plus tard.
26 janvier 2023.- Encore des nuages (3°C). Désœuvré et d'une appétence pour ainsi dire légumineuse je butine néanmoins dans quelques Variétés de l'ami Paul (Valéry). Cette chose qui suit par exemple : « Comme la bouche est curieusement sensible, donne un mélange de fortes pressions, de tractions contrariées, d’obstacles et de corps durs interposés, de goûts et saveurs, de touchers humides et de glissements, de présences étranges, – de même la sensation d’ensemble de tout le corps et les mouvements de l’attention dans le corps, comme celui de la langue qui tâtonne et travaille dans son antre. »
27 janvier 2023.- La nuit tombe, j'ai froid aux pieds.
28 janvier 2023.- Froideur, bise légère, morne plaine (3°C). Au moment où l'on annonce une sorte de court métrage d'essence vaguement pornographique mettant en scène un Michel Houellebecq tout autant délité qu'alité je relis son Lovercraft. Cette courte approche du toqué de Providence est peut-être l'un de ses meilleurs textes et en tous les cas elle offre de nombreuses satisfactions au lecteur féru de Fantastique (ou pas, je ne suis pas du tout féru de Fantastique). Rien de fulminent, mais un certaine finesse pour parler d'un type qui malgré ses atours de gentleman discret réservé et bien éduqué ne semblait être venue au monde que pour dépasser les bornes. Un type à la vie réduite au minimum, un type dont toutes les « forces vives auront été transférées vers dans son acception générique littérature et vers le rêve. ». Un puritain loin des affaires sexuelles pour qui le Monde et pourquoi pas l'autre dans son acception générique était l'ennemi. Un ennemi rampant, purulent et pullulant qui le conduisait vers un racisme terrifiant, une névrose. C'est ce que l'on retrouve couché sur le papier dans ses histoires toquées où l'on croise des êtres hésitant entre l'amibe et le pithécanthrope, entre le suintant et le gélatineux. Des êtres qui se débattent entre les larges et fantastiques linéaments de l'âme morbide, de la désintégration et de la décadence… Dans les premières pages, Houellebecq offre une sorte de bréviaire qui excède peut-être Lovercraft lui même : « La vie est douloureuse et décevante. Inutile, par conséquent, d’écrire de nouveaux romans réalistes. Sur la réalité en général, nous savons déjà à quoi nous en tenir ; et nous n’avons guère envie d’en apprendre davantage. L’humanité telle qu’elle est ne nous inspire plus qu’une curiosité mitigée. Toutes ces « notations » d’une si prodigieuse finesse, ces « situations », ces anecdotes… Tout cela en fait, le livre une fois refermé, ne fait que nous confirmer dans une légère sensation d’écœurement déjà suffisamment alimentée par n’importe quelle journée de “vie réelle”. » Ou encore : « Quand on aime la vie, on ne lit pas. On ne va guère au cinéma non plus, d’ailleurs. Quoi qu’on en dise, l’accès à l’univers artistique est plus ou moins réservé à ceux qui en ont un peu marre. »
(Comme rien ne se perd jamais tout à fait, à l’intérieur du Lovercraft de Houellebecq j’ai retrouvé le ticket de caisse apportant la preuve de mon acquisition, le 17 février 2000 à 12h40 dans l’Hypermarché Continent de Francheville dans le Rhône. Constat en 2000 Houellebecq était déjà disponible en Hypermarché). Moins toqué que tout ce qui précède et d’une élégance certainement plus lustrée je suis toujours dans le Journal de Bernard Delvaille. Tiens, il n’aime pas le Danube de Claudio Magris (livre que j’aime beaucoup). Il lui trouve des airs de livre de professeur. C’est certainement un peu vrai, mais il y a de pires professeurs.
29 janvier 2023.- Les nuages sont toujours là (4°C). Hier soir vie sociale. As usual drink a little too much… Ce matin j'apprends la mort de Tom Verlaine. Les yeux humides, presque des larmes, non de vraies larmes deux ou trois. On ne devrait pas pleurer pour les gens que l'on ne connaît pas vraiment... les vedettes. La dernière fois c'était pour Alex Chilton. Mais bon Tom Verlaine était mon guitariste préféré, Marquee Moon l'un des mes trois ou quatre albums préférés, Torn Curtain avec ses ressacs de guitares mercuriales l'un des mes moments musicaux préférés, une chanson, enfin une chanson je ne sais pas, plutôt un morceau comme on dit, où il y était question de larmes, des larmes retenues, jamais versées… alors bon je peux bien les verser ces larmes-là, non ?
Villes moyennes endormies, éclairées de réverbères orange, enseignes de Night-Club perdu en rase campagne, lumières d'un Castorama entre Chalon-sur-Saône, Mâcon et Bourg-en-Bresse. Delvaille voyage en train et ses annotations ne sont que des sensations où les couleurs se mêlent à la vitesse où la lueur bleutée des écrans de télévision provinciaux flotte sur les fleurs et l'herbe des talus en bord de voies. Le train arrêté, la destination atteinte, ce sont les odeurs, les variations de température qui prennent le pas. Le souffle doux du vent sur la Piazza Navona, le ressac et les senteurs de Venise. Autant d'impressions de voyages qui ne concèdent pas grand-chose à la vie intime. Elle est en filigrane, elle y est bien : « Mon journal ne vaudra que pour les voyages et les notes de lectures. Le reste est au plus profond de mon cœur. »
30 janvier 2023.- Deux vagues éclaircies, un peu plus de lumière (5°C). J'aime de plus en plus le Journal de Bernard Delvaille. Pour tout vous dire, je le trouve même délicieux. C'est une source de raffinements et de délicatesses (j’utilise le pluriel à dessein). De surcroît, il me donne de nombreuses envies de lectures. La Mélodie d'Albion de Peter Ackroyd, Les Pierres de florence de Mary McCarthy, Le pays des sirènes de Douglas Norman, La Vie ardente de Pier Antonio Quarantotti Gambini, Le Vain Travail de voir divers pays de Larbaud, Le Parfum des îles Borromées de René Boylesve, L'Altana ou la vie vénitienne de Henri de Régnier. Comme avec la dématérialisation tout est devenu plus simple et trouvable, j'ai déjà acquis numériquement les deux derniers titres cités. Je n'aurais pas le loisir de sentir la douce odeur de noisette chancie qu'ils doivent distiller en version palpable, mais c'est toujours ça. Dans une sorte d'élan clubiste et moustachu, j'ai déjà entamé le Régnier. Pas de senteurs de noisettes chancies, le numérique ne sent rien, mais tout de même du désuet, du charmant du mordoré… On baguenaude dans une Venise fin -début de siècle au milieu des ruelles, des canaux et du souvenir d'une belle palanquée de vieux peintres. Rien à redire, c'est très bien.
To be continued.
2 commentaires:
Je le savais, les singes étaient mes grands frères
Ah te voilà !
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