« Qu'une époque manque d'hommes de génie, ce n'est pas grave. L'humanité connaît souvent de ces éclipses. En revanche, il est désolant de constater la décadence de la mauvaise littérature. Une civilisation ne tient que par la bonne qualité des choses médiocres. » (Jean Dutourd – La chose écrite).
14 novembre 2022.- Brume et pluie grise (12°C). Constat, je suis morose et je ne sais plus écrire. Solution ? la recette de l’ami Beyle, le style télégraphiste, peut-être ?… Nouvelle lecture, Blanc du fils Tesson. Cette traversée des Alpes à ski de Menton à Trieste me remontera-t-elle le moral comme une grande tape virile dans le dos ? « En réalité le sommet ne rehausse jamais la valeur de l'être. L'homme ne se refait pas. Quand il atteint les altitudes splendides, il y transporte sa misère ».
15 novembre 2022.- Grisaille marmoriforme, petite pluie cauteleuse, nuit précoce (14°C). Le Blanc de Tesson est assez répétitif, les chapitres sont courts et le motif souvent le même… Ski, escalade, col, refuge, avalanche, descente, on frôle la litanie lactescente… Restent les digressions, les avis sur les temps actuels, la crise du Covid vue de haut, un certain art de l'évitement que je tamponne assez : « Le banc possède son symbole inversé : la trottinette pour adulte. Elle préempte l’espace public au nom de l’intérêt personnel. Mobile, hideuse, individuelle : moderne ».
Histoire de rester décevant pas très téméraire et dans une littérature a priori dépourvue du moindre péril, j’enchaîne avec Sans preuve et sans aveu le nouvel opus du justicier lymphatique Jaenada.
17 novembre 2022.- Fond de l'air torve (14°C). Labeur, lombalgie, céphalées, rien pour moi… Deux chapitres de Jaenada, avec ses airs d'ours bien léché perdu dans le magasin de porcelaine de la justice, on (je) l'aime assez.
Question du jour : faut-il lire Grégoire Bouillier ? (On me souffle que non).
18 novembre 2012.- Ciel changeant (12°C). Court retour dans le Journal inutile du vieux Morand. Toujours bilieux en pire. Les juifs et les huguenots en prennent pour leur grade (mais pourquoi les huguenots ?). Deux chapitres du plus sympathique Philippe Jaenada, est il meilleur écrivain ?
19 novembre 2022.- Beau temps frais (8°C). Je poursuis ma faiblarde entreprise diaristique par vague habitude… le cœur n'y est plus, l'envie encore moins, quant à l'inspiration… Fini le bouquin de Jaenada. Pas de grandes visées littéraires, mais une contre-enquête assez convaincante autour d'une saumâtre erreur judiciaire. Les arguments déployés, la précision des faits rapportés, l'analyse des différents dossiers, tout cela permet d'innocenter le principalis subiectum (un certain Alain Laprie, accusé d'avoir trucidé sa veille tante) qui de coupable idéal devient la victime fortement tangible d'un système qui ne tourne plus rond et vire à l'inconséquence pour ainsi dire létale. (Je me trompe peut-être le livre de Jaenada sera une vraie réussite à la condition que son sujet Alain Laprie soit libéré et innocenté, ce qui ne semble pas a priori si simple que ça.)
Un homme vraiment libre c'est François Fejtő. En 1935 après un an d'emprisonnement il entreprend un long voyage à travers l'Europe centrale dans les miettes madréporiques de l'Empire austro-hongrois. Son Voyage sentimental — livre tiré de son périple que j'ai entamé aujourd'hui — raconte tout cela, ses dérives entre Fiume et Dubrovnik, sa jeunesse à Zagreb… Pour un peu on se croirai chez Josseph Roth…
(Avant son malheureux trépas à l'âge de 98 ans Fejtő fut le grand spécialiste de l'empire austro-hongrois, de l'histoire des pays du bloc de l'est assommés puis chloroformes par « l'hydre communiste », une témoin du xxe siècle et selon la quatrième de couverture du livre que je tiens en mains un personnage éminent de la gauche européenne. [Lire Requiem pour un empire défunt]).
20 novembre 2022.- Ciel se couvrant (10°C). Un peu déçu par le Voyage sentimental de François Fetjö. Pour l'instant c'est davantage un livre de souvenirs consacré à ses jeunes années de Hongrois perdu au milieu des Croates à Zagreb qu'un vrai livre de voyage. Il y a certes de la délicatesse, mais elle ne contrebalance pas un genre d'ennui. qui laisse trop de place à la « grande marche du monde » et certainement pas assez de place pour l'introspection et le bruissement intime.
Ouverture de la Coupe du Monde de Football qui s'annonce sinistre...et climatisé.
21 novembre 2022.- Pluie intermittente (7°C). Fetjö explique qu'il est incapable d'identifier les arbres ignorant en dehors de l'orme du tilleul et du simple sapin leurs noms. Cela entraîne chez lui une indisputable mélancolie, l'indisputable mélancolie de celui qui passe sa vie entière à côté de la nature et qui de ce fait passe aussi à coté d’un certain goût du bonheur à vouloir connaître toutes les choses, tous les domaines. Mon frère connaissait le nom de tous les arbres, il connaissait aussi le nom de toutes les galaxies répertoriées et c'est moi qui suis mélancolique.
22 novembre 2022.- Nuages (10°C). Dans la seconde partie de son Voyage sentimental Fetjö laisse de côté les souvenirs de sa propre enfance pour mieux raconter un vrai voyage, une sorte de proto croisière en Dalmatie où il navigue allégrement de Split à Korčula tout en passant par Dubrovnik, Herceg Novi, Kotor et ses bouches, Cetinje et et la Sepentine… Autant de lieux un peu charmeurs et chargés d'histoire(s), autant de lieux visités avant lui par Pierre Loti ou Valery Larbaud, autant de lieux que j'ai visités moi aussi (et même deux fois). Fetjö tombe amoureux de Dubrovnik (la fameuse Raguse) tel un adolescent refoulé soudainement éblouie par le charme, la vivacité des couleurs, la chaleureuse ambiance des rues d'une cité à l'obsolescence merveilleuse. Tourneboulé par la grâce des jeunes filles qu'il croise, par les odeurs de treille et de fromage le voilà bientôt sorti de son existence casanière capable d'éprouver les joies du regard, du palais et du toucher. Il y a de belles pages sur le bleu de l'Adriatique, sur la première fois où il aura vu cette mer (voir une mer pour la première fois et toujours émouvant — et même un lac), il y a aussi d'autres belles pages sur la route de la Serpentine, sur Kotor (la fameuse Cattaro) et Cetinje cette capitale champêtre déjà décrépite en bien et qui l'était toujours il y a cinq ans lorsque je l'ai visité…
Pour rester voyageur j’enchaîne mes petites aventures lectorales avec Roman fleuve un livre de Philibert Humm où il est question de remonter la Seine à bord d'un petit canoë valétudinaire. C'est pour l'instant -— je n'ai lu qu'une trentaine de pages — parfaitement drôle dans un esprit très Vialatte, Jérome. K Jerome, si vous voyez ce que je veux dire.
24 novembre 2022.- Temps nuageux (12°C). Journée saisie par le labeur et le Championnat du monde de balle au pied. Rien lu. Mort de Wilko Johnson, sorte d'antonyme très raide de Woody Guthrie. Inventeur de la guitare mitraillette et du moulinet psychotique. Une grande perte.
25 novembre 2022.- Petite onde maussade, baisse des températures (7°C). Je regarde la pluie tomber et c'est toute ma peau qui la voit tomber. Lu un chapitre bien drôle de Philibert Humm. Championnat du Monde oblige regardé trois match de balle au pied sur mon modeste téléviseur. Aucun effort intellectuel à fournir, rien à redire ce fut presque parfait… Pour rester dans le sport tout en restant bien drôle je me souviens de ces lignes de l’ami Paul ((Valéry) : « Je viens de prononcer le mot sport. C’est que je rapporte tout ce que je pense de l’art à l’idée d’exercice, que je trouve la plus belle idée du monde. » N'est-ce pas tordant ?
26 novembre 2022.- Ciel bistre, froideur en amorce (6°C). Trop mangé, trop bu, conséquence : sieste prolongée. Entre mes heureux écarts nutritifs et le temps passé devant le Championnat du monde de balle au pied à la télévision, rien pour le cogito, rien pour moi… Avant tout ça tout de même lu quelques pages de la petite affaire fluviale du dénommé Humm. Voilà une chose qui aurait pu être écrite en 1929 ou en 1953 tant elle cabote tranquillement dans les eaux d’une insouciance drolatique qui oublie – ou qui fait mine d’oublier – tout des affres et lourdeurs du contemporain : « … une partie de foot-ball. Ce jeu anglais largement répandu à travers le monde met aux prises deux équipes, chacune devant introduire avec les pieds un ballon dans l’en-but adverse. »
27 novembre 2022.- Il « fait » gris (10°C). Entre les méandres de la Seine, les silures, les intempéries, les satyres autochtones, les mutineries et les petits vins bus au débotté le petit canoë de Humm tangue sévèrement… Finalement, il y a de la vraie aventure dans tout ça.
Balle au pied : réjouissante victoire des Marocains qui battent des Belges vieillissants.
28 novembre 2022.- Il pleuvait, j'ai fait des pâtes, des pâtes à rien, des pâtes de cocu (8°C). Pour pouvoir espérer écrire il faut vivre ne serait ce qu'un minimum de choses, or je ne vis rien. Je ne suis qu'un isotope d'origine végétale tout juste effleuré par la longue marche du quotidien… Je pourrais certes écrire autour de ce vide là, mais cela me semble à court terme me mener tout droit dans une impasse. Allez aligner des mots, des phrases, une ponctuation, allez articuler une pensée avec si peu ! Un type qui aura vécu des choses c'est l'écrivain italien Mario Rigoni Stern. La guerre (contre les russes), une débâcle, l'enfermement dans un camp de prisonniers. Des choses qu'il raconte comme s'il était un Malaparte tenu par la sèche humanité de Primo Levi (je résume à gros traits et pour simplifier. Je suis très feignant). Dans Le Sergent dans la neige son premier et plus connu récit que je viens d'entamer nous sommes sur le front russe du côté italien sur les bords du Don… Le froid, la saleté, la mort et la camaraderie sont là comme un sombre terreau sur lequel Rigoni Stern fait fleurir autant de fleurs… Son livre est humain, terriblement humain : « Tout est de la même couleur. Les paupières se ferment toutes seules, la gorge est pleine de cailloux qui s'entrechoquent. Nous sommes sans jambes, sans bras, sans tête ; nous ne sommes que sommeil et fatigue et gorge remplie de cailloux. »
29 novembre 2022.- Temps nuageux (9°C). Le corps expéditionnaire italien déployé sur le front russe comptait 200 000 hommes seuls 20 000 en sont revenu vivants. Le Sergent dans la Neige est le livre de cette drôle et tragique affaire là. De cette large bataille qui se transforme en retraite puis en bien réelle débâcle Mario Rigoni Stern aura tiré un récit qui ne s'attache à rien d'autre qu'à l'humain. L'humain dans le froid, au milieu des bestioles, des rats qui rodent, des cochons et volatiles que l'on mange, dans le sang qui coagule sous les flocons, dans la boue et sous la mitraille d'un ennemi qui n'en est pas vraiment un puisqu'il est comme nous, pareil à nous… Il y a des pages bouleversantes dans tout ça, un style modeste et majestueux à la fois qui ne laisse jamais enfler par une quelconque morale. De Mario Rigoni Stern, ce montagnard vicentin perdu en bord de Don, Primo Levi disait que le fait qu'il soit vivant après vécu tout ce qu'il avait vécu tenait du miracle. Miracle d'une survie, miracle d'avoir pu retranscrire tout ça avec une hauteur campée aux antipodes de la violence.
2 décembre 2022.- Le froid est là, posé (3°C). Je croyais le tragique un peu loin de moi à présent. Mais que voulez-vous tout cela semble cyclique, il revient, les mauvaises nouvelles s'amoncellent au-dessus de ma tête. Qu'ai je fait pour mériter tout ça ? Par ailleurs court retour dans les Cahiers de Cioran qui rencontre Beckett : « Rencontré ce soir vers 23 heures Beckett. Nous sommes entrés dans un bar. Nous avons parlé de choses et d’autres, de théâtre et puis de nos familles respectives. Il m’a demandé si je travaillais. Je lui dis que non, je lui explique l’influence néfaste qu’a le bouddhisme, que je ne cesse de fréquenter, sur mes activités d’écrivain. Toute la philosophie hindoue exerce sur moi des effets anesthésiques. Et puis je lui dis que j’en suis arrivé à tirer les conséquences de mes théories, que je me suis convaincu moi-même de ce que j’ai écrit, et que je suis devenu mon disciple. Et que si je voulais redevenir écrivain il me faudrait faire le chemin inverse de celui que j’ai parcouru. »
3 décembre 2022.- Le plafond nuageux touche l’horizon, la brume est aigrelette, décembre est là (4°C). Fatigue, malade, le Covid ? Encore ?
Qu'est-ce qu’un écrivain ? Principalement, tout le temps et tant mieux, un type qui parle de lui-même, par la bande et des biais détournés, des chemins plus ou moins bucoliques en bord d'abyme, mais c'est ça un écrivain (vous pouvez penser, constater et penser, que mon avis est bien péremptoire, que l'écrivain est un type qui doit se coltiner le monde, je ne vous en voudrai pas d'avoir tort, je ne suis pas susceptible). Je lis Je suis vivant et vous êtes morts la biographie de Philip K.Dick écrite par Emmanuel Carrère. Elle est très bien… très formée et informée à la fois, très impliquée autour de son sujet joliment « atteint du casque » et assez consciente que ce dernier n'inventait presque jamais, rien, que les choses un peu incongrues qu'il racontait n'était nichées que dans son cerveau. Un cerveau rare tourneboulé prescient, toujours d'une lucidité autre… K.Dick n'inventait rien il faisait des rapports directement depuis son cerveau. Beau livre en tous les cas.
4 décembre 2022.- Brouillard (5°C). Selon les spécialistes la bio-DICK de Carrère serait trop romancée pour espérer être tout à fait honnête (on parle même de fumisterie). Quant à moi qui ne suis spécialiste de rien — et même pas de moi même — je n'y trouve guère de griefs à trouver. Les arpents fumistes et margoulins, le côté romancé de la chose seraient plutôt à mettre du côté positif de la balance. En somme, la forme rejoint le fond et le livre n'en est que plus dickien. Carrère mouline la vie de son sujet avec ses romans azimutés, recopie des scènes et des dialogues entiers qu'il reverse dans sa supposée affaire biographique et au fil des pages on ne distingue bientôt plus ce qui relève d'une quelconque vérité, de la fiction ou de quelque chose de bien plus mystérieux encore… Le livre devient alors schizoïde lui aussi et nous laisse flottants entre deux eaux mercuriales. Et si ce que nous lisons était en définitive un autre livre ? Un roman retrouvé de Philip K.Dick à l'intrigue tout à fait sournoise. (Cette intrigue la voila : K.Dick écrit l'histoire d'un écrivain qui écrit sa propre biographie). Et si Emmanuel Carrère n'existait pas ? Et s’il n'était qu'un personnage niché dans le cerveau de K.Dick ? Une invention ?
5 décembre 2022.- Beau temps frais (6°C). Encore des questions. Et si Philip K.Dick existait encore 1993 ? Et si cette année-là il avait écrit un livre censément écrit par un autre type qu’il aurait inventé ; un certain Emmanuel Carrère ? Un livre qui parlerait de Philip K.Dick et donc de lui-même ? Plus vertigineux encore — et en tous las cas encore plus compliqué — et si je n'existais pas moi-même ? Et si ce que vous êtes en train de lire n'était écrit que par nul autre qu'un Philip K.Dick prenant un malin plaisir à écrire sur moi écrivant sur Emmanuel Carrère écrivant sur Philip K.Dick ? Et si vous qui me lisez n'existiez pas non plus ? Je n'ai pas de lecteur. Je parle avec moi-même. Ou tout du moins, Philip K.Dick me fait parler avec moi-même, c'est dire avec lui-même. Qui suis-je ? Suis-je vivant ?
Le livre d'Emmanul Carrère (s'il existe) est comme les lignes qui précèdent, plein de chausse-trapes en gigogne… Un peu bricolé, un peu fumiste, mais intriguant… pour le moins.
6 décembre 2012.- Froideur (1°C). Fini la bio-DICK de Carrère. Alors oui elle est échafaudée à la diable puisant certainement beaucoup chez les autres (les biographies anglo-saxonnes), recopiant des pages entières de Dick pour faire avancer l'ensemble dans un genre de romanesque un peu tordu et azimuté. Malgré cela il y a de l'intérêt. Le plus gros défaut ? Peut-être l'absence du surmoi carrèrien, cette singularité onaniste qui poindra dans ses livres suivants.
7 décembre 2022.- Nuages (4°C). Labeur, lombalgie, rien pour moi… Pour en revenir à Emmannuel Carrère dans les Cahiers de l'ami Cioran je lis ceci : « Un écrivain qui parle d'autre chose que de soi commet un abus. »
8 décembre 2022.- Brume et frimas (4°C). Fatigue, retour de chagrin, rien lu.
10 décembre 2022.- Ciel gelé, quelques flocons (1°C). Lu Un an dans la forêt petit bouquin que François Sureau à écrit sur les relations entre Blaise Cendrars et Élisabeth Prévost. Rien de fulmiginant (je viens d'inventer ce mot) cependant l'intérêt est certain. Intérêt tout d'abord parce que l'on apprend des choses sur notre manchot helvétique préféré, intérêt ensuite parce que dans ce court récit Sureau trouve l'espace pour émietter quelques parcelles de lui-même (sa jeunesse, ses années de légionnaire).
Pour rester tout à fait helvétique et avec Cendrars j'entame d'Outremer à Indigo. C'est un assemblage de cinq nouvelles pas follement cité lorsqu'il est question de la bibliographie du bonhomme. N'empêche, je le sens d'ores et déjà très bien et j'imagine que son beau titre n'y est pas pour rien.
11 décembre 2022.- Appétence sibérienne (-2°C). Vie sociale, repas dominical. Quelques pages chaloupées de l'ami Cendrars. Rien d'autre.
12 décembre 2022.- Froideur patibulaire, tout est gelé (-1°C). Les histoires du vieux bouc Cendrars sont exotiques et drôles, on croirait des affabulations de Bernard Lavilliers où l'on rencontrerait des loups-garous tropicaux, des boas constrictors qui gobent des vaches et des vieux marchands juifs, des crocodiles ancestraux qui font de larges siestes dans la vase avant de tenter de vous croquer tout cru… Cendrars qui est censé raconter des histoires vraies invente à qui mieux mieux dans une sorte de préambule magique à sa fameuse tétralogie qui surviendra bientôt. Je veux parler de ses mythobiographies que sont l'Homme foudroyé, Bourlinguer, La Main Coupée et Le Lotissement du Ciel.
13 décembre 2022.- Il neige, l'immaculé se gâche (-1°C). Lever 5h00, trois kilomètres à pied dans la neige fraîche, labeur, trois kilomètres à pied dans la neige fondue, sieste, quatre lignes de Cendrars. Soir, Championnat du Monde de balle au pied : victoire des Argentins fiers et fourbes.
14 décembre 2022.- Flaques et redoux (4°C). Pour Alexandre Vialatte Cendrars dorait des éléphants dans un monde exalté. Il dorait des éléphants, des vrais et des faux, des monstrueux, des incroyables… Pour Kléber Haedens, Cendrars avait la main pleine d'oiseaux et de diamants bleus. Cendrars, lui-même, se voyait comme un poulpe lâchant son nuage d'encre… Tout cela pour vous dire que je barbote toujours entre l'outremer et l’indigo de l’ami Blaise.
15 décembre 2022.- Pluie glacée (3°C). [Matin] Fini la fabulation romancée de Cendrars qui malgré quelques rares pages d'ennui mordoré m'a globalement ravi. Cela dit — et c'est certainement ce qui implique le soupçon d'ennui mordoré — le meilleur de Cendrars, son génie singulier n'est pas niché là (dans cette période faux reportages en couleurs). Je dirai plutôt — au risque de me tromper — qu'il est à l’œuvre dans sa fameuse tétralogie terminale, cet Everest que des esprits calés ont cru bon de caractériser comme mythobiographie… D'ailleurs, à ce titre et afin de revérifier tout cela par moi-même, il faudrait certainement que je relise derechef L'Homme foudroyé, La Main coupée et Bourlinguer… Il faudrait aussi que je trouve le temps de lire enfin Le Lotissement du ciel chose que je n'ai jamais faite. On me sifflote que des quatre enchantements biographiques cendrarsiens ce serait le plus léger, le plus aérien… Forcement dans le ciel… En attendant de revenir chez le sublime manchot suisse je barbote dans le troisième tome du Journal de Bernard Delvaille. Rien de manchot, rien de suisse… Pourtant, il y a tout de même du ton sur ton, Delvaille ayant écrit sur Cendrars et… Cingria.
[Après-midi] Bernard Delvaille ressemble à un personnage de Valery Larbaud égaré dans un roman rapide de Paul Morand (ou l'inverse, je suis sournois). Valery Larbaud parce qu'il est délicat attentif aux éléments aux odeurs, dans une certaine synesthésie… Paul Morand, parce qu'il y a aussi de la vitesse chez lui, un cosmopolitisme par vifs sauts de puces. Ainsi en quarante pages passons-nous de Paris à Montréal, de Québec à Quiberon, de Londres à Venise. Le reste qui est très bien est une question d'élégance. L'élégance d'un type cultivé, d'un grand lecteur qui peut avouer s'ennuyer chez Maurice Blanchot et ne rien comprendre à Wittgenstein.
[Soir] J'enfile mon costume d'Ogor Plotvitch — cet hétéronyme de moi-même dont vous ignoriez tout jusqu'à présent — et j'écris ces quelques lignes :
j'attends,
j'attends sous le soleil sibyllin,
dans le clairon des rafales.
J'attends et des langueurs me viennent,
j'ai l'existence sur le bout des lèvres.
16 décembre 2022.- Grésille (3°C). [Matin] Dans son Journal Bernard Delvaille, n'évoque jamais vraiment frontalement ses affaires sexuelles que l'on imagine aisément pas si simples et pour l'instant ce n'est pas un vrai problème. Ce serait même plutôt une qualité, l'intimité n'étant pas qu'une question d'hormones et de désir renflé. Donc rien de faussement indicible de soumis au goulet des envies, mais un type qui laisse deviner ses penchants, mais qui ne nous assomme pas avec. C'est la différence entre les inclinations et le goût et Delvaille, dans son Journal, est un homme de goût, un esprit cultivé, comme on dit.
(Pour un peu plus encore enfoncer le clou de ce que je viens d'écrire et pour en revenir à la chose diaristique, la crudité, le « tout dit » c'est ce qui gâche un peu le Journal de Mathieu Galey, c'est aussi ce qui gâche un peu la récente réédition de celui de Julien Green) [Après-midi] « Deauville, 15 avril. Au Tréport. Je couche au Dormy House, à Etretat. Puis, en taxi, jusqu'à Deauville. Le Normandy est quasi désert. Les cuisines étant en réfection, je dîne, fort mal, au restaurant des Ambassadeurs. Puis, au Casino. Trois musiciens jouent des airs lents et désuets. Il y a de grosses corbeilles d'hortensias roses. Je vois la mer, dans une brume obscure, et je lui parle. »
On voyage vraiment beaucoup dans le Journal de Delvaille. Des voyages courts, d'autres plus lointains. Il y a La Rochelle, Orléans, Malakoff, Trouville, Strasbourg, Bruxelles, Marseille, Aix-en-Provence, Rouen, Cabourg ou Vichy (dans les traces de Larbaud). Il y a aussi Ostende, Amsterdam, Cologne ou Berlin. Il y a un voyage en URSS (comme on disait à l'époque) où il est invité pour une sorte de symposium poétique soviétique. Belles pages sur la Place Rouge, sur le musée de l'Hermitage (qui déçoit un peu), sur la déglingue collectiviste… De ce voyage en URSS Delvaille ne retiendra pourtant pas grand-chose… Ah, si ça : « la mollesse automnale de l'air sur les jardins et la beauté, la nuit, des quais de la Neva, avec les réverbères. Ça, c'est beau. »
[Soir] En deux ans, j'ai écrit une sorte de tout petit roman par courtes strates de cinq minutes sur ma chaise de jardin face au soleil et après la sieste. J'ai fini de le retranscrire aujourd'hui sur mon ordinateur. C'est un peu aérien, un peu walserien, un peu bachelardien, je ne sais pas si c'est si bien que ça.
17 décembre 2022.- Beau temps sibérien (-1°C). Réveil tardif. Très fluctuant. Buée sur mes fenêtres. Rien à faire dans les frimas. Je resterai calfeutré chez moi (je ne suis pas sorti depuis trois jours).
Quelqu'un qui sort souvent de chez lui c'est Bernard Delvaille (dans une vidéo qui traîne sur Internet on le voit discuter avec Olivier Barrot, il lui dit que quitte à rester enfermer entre quatre murs autant être mort dans un cercueil). Il est toujours par monts et par vaux, c'est le Portugal, Cintra et son château comme un jouet, le Cap Roca, la pointe la plus occidentale de l'Europe (pensé à Dominique de Roux), Lisbonne et ses ruelles, son tramway… Pour un peu on croirait chez Pessoa il ne manque qu’un chapeau mou (j'ai visité tout ça, je sors parfois de ma chambre). C'est aussi Menton, Nice et Monte-Carlo (il est un peu question de Nietzsche, le plus méditerranéen des philosophes)… Corfou pour un énième congrès de poètes en goguette… La Cornouailles qui me semble très bien et que je devrais visiter un jour… Delvaille aime les chambres d'hôtel, les soupers au débotté, les trains (pas les TGV qui ne lui permettent pas de voir les fleurs sur les buttes en bord de voie ferrée). Tout cela est larbaldien, très larbaldien , diablement larbaldien.
Cet après-midi après la sieste je suis sorti jusqu'à ma boite aux lettres où j'ai récupéré L’Âme sensible du bougon Dutourd. C'est parait-il son meilleur livre, je l'entamerai demain.
To be continued
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