lundi 23 janvier 2023

Psychogeographie indoor (124)

 


« Un journal (Tagebuch) empêche peut-être de travailler ; en revanche il rend service, il remplace utilement un ami. C’est déjà quelque chose que de pouvoir se passer de confident » (Emil Cioran - Cahiers)


30 juin 2022.- Orages conséquents (28°C->15°C). Je ne suis plus cinéphile depuis longtemps. L'ai-je été un jour ? Oui certainement pendant quelques années où jeune et encore vibrionnant jamais me perdre dans quelques salles obscures avec les frissons et le contentement un peu idiot de celui qui sait. Aujourd'hui je ne sais plus, je ne cherche même plus à savoir, je n'ai plus mis les pieds dans un cinéma depuis plus de vingt-cinq ans. Je ne regarde pas plus deux ou trois films par ans à la télévision. J'ai quitté le cinéma comme un amoureux déçu quitte un être qu'il aura beaucoup aimé. Déçu par son sérieux papale, par sa volonté d'être cet art qui se targue d'être global, alors que pour le pire il n'est plus qu'un vague succédané du roman et pour le meilleur un spectacle de foire tout juste amélioré. Déçu parce que les gens qui aiment les films, les supposés nouveaux cinéphiles, les aiment de plus en plus pour leur capacité à être conforme avec l'esprit du temps. Déçu parce que la sociologie et les balises morales ont remplacé ce qui faisait tout le prix d'un art où la façon dont on montrait les choses comptait bien plus que les choses elles même… Bref, je ne suis plus cinéphile, mais l'histoire de la cinéphilie m'intéresse comme peut m'intéresser l'histoire de tous les mouvements culturels du 20e siècle. Ainsi bien après mon divorce cinéphilique j'ai lu la formidable Histoire des Cahiers du Cinéma écrite par Antoine de Baecque, j'ai aussi lu ses biographies de Jean-Luc Godard, François Truffaut et Éric Rohmer. Sur la cinéphilie des années 50 ou la Nouvelle vague ces livres me paraissent tout à fait éclairants. Tout y était abordé avec moult détails, mais peut-être pas assez concernant cette branche théorique un peu raide que fut le macmahonisme. Comme tout se tient par la barbiche en ce bas monde, ce matin dans ma boite aux lettres il y avait l'Histoire du Mac-Mahonisme écrite par Christophe Fouchet. Je ne cacherai pas un certain copinage, Christophe Fouchet est un ami virtuel et néanmoins impalpable depuis plus de vingt ans, reste que son livre me semble tout à fait passionnant. J'ai déjà boulotté une centaine de pages et je n'ai rien à redire… C'est précis clair et didactique, parfaitement documenté et laissant la parole aux protagonistes (belle préface de Michel Mourlet), tout en étayant quelques amorces théoriques qui n'assomment pas le lecteur. Bref, on pourrait presque aimer le cinéma à nouveau après avoir lu tout ça.


2 juillet 2022.- Ciel dégagé, température raisonnable (26°C). Évidemment, lorsque l'on parle du macmahonisme est assez vite en terrain glissant. C'est un mouvement — peut-on parler de mouvement ? — disons plutôt une branche où bourgeonne une cinéphilie censément un peu droitière. L'ami Fouchet ne cache rien, mais il ne juge jamais, et même si c'est une certaine tendance, disons une certaine couleur pas forcement très à gauche qui est bien là, elle se contente de n'être politique que dans ses points de vues esthétiques et jamais vraiment ailleurs (l'ailleurs viendra peut-être plus tard chez un type comme Michel Marmin). Donc pas d'ailleurs idéologique, mais un rappel détaillé des textes, des tendances qui auront fait du macmahonisme une partie très influente de la cinéphilie. Le livre s'achève sûr du plus récent, l'ami Fouchet dégage certaines filiations et parle très bien du Dictionnaire du Cinéma de Jacques Lourcelles (ouvrage conséquent s'il en est), des merveilleux papiers écrits dans Libé(ration) par Louis Skorecki (et de son très bel article écrit conte la nouvelle cinéphilie et paru les Cahiers du Cinéma en 1978). Il y a de grandes figures en premier plan (Michel Mourlet, Pierre Rissient, Jacques Lourcelles…) d’autres plus discrètes en second plan (Bertrand Tavernier, Alfred Eibel…) Il y a aussi un peu d’émotion parce que beaucoup de ces gens ne sont plus là… Au risque de me répéter, c'est net, précis et écrit sans esbroufe. Je recommande chaudement cette lecture.


3 juillet 2022.- Ciel se couvrant tardivement (31°C). Je lis Mon siècle de Bernard Frank. C'est un replet spicilège de chroniques données entre 1952 et 1960. On retrouve le fameux et historique papier Grognards et hussards, deux trois choses sur Benjamin Constant, un joli dézingage de Maurice Sachs, un presque éloge de Drieu la Rochelle. On passe de l'Observateur aux Temps modernes, d'Arts aux Cahiers des Saisons (ce sont des revues, je précise pour les béotiens). Il est beaucoup question de la rivalité Sartre/Camus et de l'actualité littéraire mid early fifties. Forcement l'obsolète rôde et domine, mais on s'en fiche tout à fait, car Frank est déjà ce gros matou patelin et gourmand, (ce qui ne l'empêche pas d'être perspicace).


4 juillet 2022.- Ciel se dégageant au fil de la journée (26°C). Still in Frank’s papers. Marcel Aymé is not extolled, Nimier not really either… Je fais mes valises, demain départ pour Chamonix et ses grandes montagnes.


12 juillet 2022.- Amorce caniculaire (31°C). Retour de Chamonix où je n’avais pas reposé les pieds depuis 1982 ou 1983. En quarante ans, oui quarante ans, le flux touristique semble avoir enflé proportionnellement à la fonte des glaciers. Celui des Bossons n’est plus en bord de route, celui d’Argentière n’est plus que le vague résultat d’une suite de chutes de séracs terreux quant à la langue de la Mer de Glace, elle ne ne lèche plus grand-chose, Beaucoup de changements donc, mais les montagnes sont toujours là avec leur petit air immuable. Comme je suis encore doucement sportif et pas encore réellement grabataire, je suis remonté dessus avec une appétence confusément nostalgique pour y effectuer quelques menues randonnées (j’ai triché un peu en usant de divers télésièges, télécabines et autres téléphériques bien à même d’aplatir les dénivelés proposés). La vue sur le Massif du Mont-Blanc en haut du Brévent est splendide, à Vallorcine une quiétude tout à fait helvétique est encore de mise (magnifique Col des Posettes). Le petit train rouge chemine toujours en fond de vallée, pour un peu on en oublierait le réchauffement climatique. Mes valises défaites entamé Nos vies en flammes de David Joy. Crise des opioïdes, misère des Appalaches, origines du trumpisme. On m’a dit beaucoup de bien de ce livre-là. Pour l’instant je suis assez déçu, ça ne décolle pas vraiment au-dessus du polar de base.


13 juillet 2022.- Grosse chaleur (33°C). Seringues dans les bras, les cuisses, la gorge, mobile homes décatis, overdoses au petit matin, David Joy est assez sinistre, cependant il y a quelque chose chez lui, un regard empathique qui pourrait excéder le simple cadre du roman policier. C'est peut-être ce que certains ont vu dans Nos vies en flammes (notamment Philippe Garnier dans Libé(ration)). Plus germanopratin je suis aussi dans le Siècle de Bernard Frank. Ses premiers et longs papiers pour les Temps modernes sont très bien. Par ailleurs dans le domaine du sport télévisé, étape du Tour de France homérique .


14 juillet 2022.- Journée torride (36°C). La chaleur est telle que ce soir je n'irais pas au bal. Poursuivi le polar de David Joy, sans vrai entrain mais avec distraction.


15 juillet 2022.- Ciel bleu blanc gris, chaleur patibulaire (33°C). Transcender le social pour le faire passer du côté du roman c'est certainement le but de David Joy. Malheureusement dans Nos vies en flammes cela ne fonctionne pas vraiment, rien ne décolle et même si le social, la vie des poor white trash mans, forme bien un terreau, il n'y a pas d'incarnation par un style, une écriture qui pourrait être autre chose qu'un véhicule concédant à l'efficacité de l'intrigue. Joy ne semble rien faire de la palette de couleurs qu'il s'était mise à disposition lui-même, il se contente d'une peinture naturaliste un peu faiblarde, d'une teinte sociale un peu concernée au milieu d'une histoire où il n'y a guère de dépassement par l'écriture. Loin des white trash et de la crise des opioïdes, Pascal Pia grande ombre tutélaire s'il en est. Demain je commencerai la lecture du petit livre que Roger Grenier lui a consacré (Pascal Pia, ou, Le droit au néant). J'aime beaucoup Roger Grenier, j'imagine un joli tombeau (Pia était son ami).


16 juillet 2022.- Chaleur raisonnable (30°C). Drôle de croquignolet que Pascal Pia. À 15 ans il rencontre Pierre Louÿs et Apollinaire, fricote avec le non moins croquignolet Fernand Fleuret, traficote un peu de coco, croise Artaud et publie deux trois poèmes qu’il renie aussitôt. Quelques années plus tard il est le grand ami du margoulin Malraux (le primo Malraux était très margoulin), et comme par capillarité il devient lui aussi un peu margoulin. Le voilà spécialiste de l’ombreux et du licencieux. Il déterre une flopée de textes plus cochons les uns que les autres, devient un grand érudit de la chose. À l’alternat c’est aussi un faussaire capable de tout et même du meilleur dans le pire. Il invente des inédits de Rimbaud, découvre un facteur rural qui se nomme Paul Valéry et lui fait écrire une petite cargaison de poèmes qu’il édite en tirage de luxe, ce qui selon les uns, provoque la fureur du vrai Valéry et, selon les autres, le fait bien rire. Sa réputation enfle un peu, mais il n’en fait rien préférant rester dans l’ombre. On le retrouve en Algérie où il fait rencontre d'un certain Camus qui sera très important pour lui. La guerre puis l’occupation bien plantée il devient résistant (l’ombre toujours), puis gaulliste pur et dur avant de ne plus se laisser embobiner par les sornettes des divers engagements. Il est le rédacteur en chef de Combat passant 20 heures sur 24 au marbre, puis feuilletoniste littéraire et alimentaire pour l’hebdomadaire Carrefour. Il refuse d’écrire plus qu’il ne le faut et en bon nihiliste il meurt en réclamant que l’on brûle tous ses écrits et que l’on oublie même son passage sur terre. Voilà ce dont parle Pascal Pia, ou, Le droit au néant. Un beau livre d’ami qui ne respecte pas les consignes, un tombeau qui trahit et qui rend hommage à celui qu’il trahit. Roger Grenier est le Max Brod de Pascal Pia.


17 juillet 2022.- Tiédeur mais pas cette canicule terrible que l'on nous annonçait depuis une semaine, il y a de l'air (30°C). Encouragé par quelques inconscients j'ai décidé de rassembler mes Psychogéographies Indoor en volume. Outre le fait que ma modestie en prend un sacré coup, le projet est assurément fou, anapurnesque, himalayesque, que dis-je ! c'est un Nix Olympica ! Il me faut trier, compiler, relire, corriger, éditer plus de mille pages assez badines et foutraques, dix ans de diary plus ou moins sautillant avec des moments un peu gênants et d'autres un peu plus conséquents (certainement à l'insu de mon plein gré). Constat en dix ans entre mes premiers épanchements et mes plus récents épanchements j'ai beaucoup évolué. Disons que je ne pense plus vraiment et que ce sont mes phrases qui pensent toutes seules. Disons que j'ai découvert le secret d'une certaine fainéantise. En parlant de fainéantise — de fausse fainéantise —, je suis toujours un peu plongé dans le Siècle de Bernard Frank. Rondeurs vachardes et madrées, excommunication de Robbe-Grillet — qui le mérite tout de même — bel éloge en creux de Sagan, sans donner l'impression de copiner tout en faisant le moindre effort. Toute une époque aussi, la fin des années 50. La domination des intellectuels de gauche, Sartre, Camus, les hussards… Le temps des revues et de la grande presse : Les Temps modernes, La NRF, la Parisienne…


18 juillet 2022.- Oui elle est là, la canicule (37°C). La perspective de reprendre le labeur demain après trois semaines d'heureuse non-activité me rend bien maussade. Si à cela j'ajoute le brouhaha du voisinage et la chaleur qui enfle pour un peu je ne sautillerais plus du tout. Malgré tout cela lu quelques papiers de Bernard Frank. Il donne toujours l'impression d'être en rondeur, mais lorsqu'il s'attaque à Camus ou Anatole France, c'est un vrai champ de bataille. Camus et un gros rouge courant, un dix ou onze degrés, Anatole France est mou, gélatineux, plat, sans vertèbres, sans carcasse.


19 juillet 2022.- Vraie chaleur (38°C). Reprise du labeur. Cuit bouilli, rien lu.


21 juillet 2022.- Tiédeur persistante malgré un vent du Nord léger (33°C). Toujours avec Bernard Frank et son Siècle. Exécution de Henri Guillemin, cet admirable historien affamé qui surgit des bois (Frank est drôle, mais un peu injuste, Guillemin est souvent très bien), descente en règle de Maurice Druon ce type bouffi de vanité qui n'est pas un écrivain, mais qui fait seulement partie du paysage littéraire. Évidemment, tout cela est un peu violent, les joutes intellectuelles des années 50 avaient de l'allure. Aujourd'hui tout se passe sur les plateaux des chaînes d'informations en continu ou dans le marigot des réseaux sociaux, la violence est peut-être pire, mais elle ne porte pas, elle est insignifiante.

Sinon pour le reste belle étape du Tour de France pleine de fair-play. Le cyclisme est peut-être le dernier sport encore un peu chevaleresque.


22 juillet 2022.- Ciel couvert, pluie imminente (35°C). Je ne travaille plus que trois jours par semaine. C'est encore trop. Les douleurs diverses et avariées me saisissent toujours avec leurs grandes pattes frémissantes. Ne plus travailler du tout serait certainement la solution pour m'éloigner de ces pincements saumâtres, mais c'est une solution problématique, car il me faut bien manger. En attendant de trouver une solution plus conforme à mes aspirations, je suis écroulé sur mon canapé, regardant le plafond avec le regard vide d'un Ubu hébété. Dans ces conditions, rien lu, ou presque. Ah si ! Une petite chose de Dominique Noguez : Pensées bleues. 48 aphorismes tranquilles avec de belles illustrations de Pierre Le-Tan. Noguez et Le-Tan sont partis trop tôt, c'est dommage ils avaient du talent: « Le glaçon tinte dans le verre comme un grelot de cristal au cou du whisky ».


23 juillet 2022.- Deux orages hier soir, la température redevient plus raisonnable, pour un peu on sautillerait comme un rajasthanais (28°C). Déjeuné copieux, trop mangé, trop bu. Une large sieste dans les courants d'air — petit goût de moucharabieh —, tiède torpeur, rêves exotiques. À mon réveil, pour rester ton sur ton, retour dans les papiers du chat Frank. Il donne toujours l'impression de se réveiller, de s'étirer, d'en faire le minium tout en gardant pour lui une tranquille marge de sécurité face aux divers sujets dont il parle… Fausse impression, évidemment. L'art de Frank, grand maître de la chronique, est immense, c'est un art du ronronnement, de la fausse digression, de l'érudition gourmande et matoise. C'est aussi un art de la griffure. Frank, comme tous les félins, est un faux lymphatique. Je ne connaissais pas ses critiques cinématographiques données à l'Express en 1959. Une dizaine de notules qui visent en plein cœur de la cible tout en faisant semblant de viser ailleurs. Elles sont rassemblées dans Mon Siècle et elles sont très amusantes. Notre chat ne rivalise pas avec ses savants confrères des Cahiers du Cinéma, mais il est certainement plus intuitif. Célébration de Certains l'aiment chaud, coup de griffe sur la joue gauche du cinéma américain engagé (Le Monde, la chair, et le Diable), belles circonvolutions matoises autour de Bergman qu'il donne l'impression d'aimer (ce n'est pas tout à fait certain), doutes devant la critique cinématographique qui ne fait rien d'autre que d'imiter la méthode qu’employait Diderot dans ses salons : « Il y a une naïveté en face du cinéma qui s’est perdu à force de bavardages. Il serait nécessaire de réapprendre à “voir dans le noir”, et pour que vous n’ayez pas l’impression d’avoir gâché votre temps, pour que vous ne sortiez pas du Studio Publicis les mains vides, je vais vous donner un tuyau : regardez l’actrice Ingrid Thulin. Bergman est un prodigieux “animalier” de femmes. » Par ailleurs — allez savoir pourquoi ? —, j'ai pris la drôle d'idée de relire le Journal de Renard que j'avais lu il y a une dizaine d'années. L'entreprise est périlleuse, je verrais bien si nous avons changé, lui et moi.


24 juillet 2022.- Tiédeur lassante (35°C). Je relis le Journal de Jules Renard tout en finissant le Siècle de Bernard Frank et comme tout est dans tout en ce bas monde, par une étrange capillarité, le second parle très bien du premier. De sa façon de concasser la réalité « en phrases sèches qui étaient de noirs cercueils ». De ces évènements dérisoires, de ces dialogues rapportés, de ces traits d’esprit et de réflexions sur l’humanité qui ne sont que les réflexions d’un homme qui haïssait son époque « qui était fait pour une autre vie », mais qui supportait tout ça avec dignité tout en gardant les mâchoires serrées : « Après chaque ligne de son Journal, on se dit que Renard va s’arrêter de respirer. Ce n’était pas une impression : il mourut à quarante-six ans presque au milieu d’une phrase. »


25 juillet 2022.- Cette chaleur qui ne tombe pas est décidément trop prégnante pour être honnête (35°C). Acquis trois courts opuscules de Pierre Le-Tan. Quelques collectionneurs, Paris de ma jeunesse et Memory Lane (avec Patrick Modiano). Pour simplifier les choses, j'ai commencé par lire le premier. C'est tout petit, c'est très bien, un peu snob, plein de curiosité affectée, jet-set et Germanopratin, mais on s'en fiche. Le-Tan — qui est parti trop tôt, je le répète — parle de quelques collectionneurs, qu'il aura rencontrés ici et là. Des types un peu étranges capables d'amasser une somme de choses pour le moins disparates. Des poupées, des papiers froissés, des têtes humaines qui se révèlent être le modelage en cire de criminels morts sur lesquels on a greffé leurs propres cheveux, une boîte à mégots bricolée par Picasso, des tableaux de petits maîtres, des choses et d'autres… Le-Tan était lui-même un grand collectionneur, il aura beaucoup acheté et aussi beaucoup vendu. Dans son petit livre, il parle aussi de sa collection et constate que finalement ce n'est pas tant le fait de posséder un objet qui est important, mais plutôt le fait de le trouver. Il aimait les ventes de collections, les ensembles ayant appartenu à une personne. Quand il vendait quelques pièces par nécessité — il faut bien manger — il le faisait sans regret. Bref, il était bien plus dénicheur qu'empileur (même s'il empilait tout de même beaucoup).

N.B. Le petit monde de Le-Tan ressemble à une nouvelle de Borges où des personnages de Proust évolueraient dans une brume modianesque. Il y a de ça.

À l’alternat, ma relecture du Journal de Renard se passe très bien. Pour preuve lors de ma première visite, j’étais passé à côté de ceci : « Le plus artiste ne sera pas de s'atteler à quelque gros œuvre, comme la fabrication d'un roman, par exemple où l'esprit tout entier devra se plier aux exigences d'un sujet absorbant qu'il s'est imposé ; mais le plus artiste sera d'écrire, par petits bonds, sur cent sujets qui surgiront à l'improviste, d'émietter pour ainsi dire sa pensée. De la sorte, rien n'est forcé. Tout a le charme du non voulu, du naturel. On ne provoque pas : on attend. »


26 juillet 2022.- Un peu de vent, un peu d'air, les températures baissent enfin (28°C). Réorganisé ma bibliothèque. Rajouté trois planches. J'ai ainsi pu de ranger une cinquante de volumes qui végétaient empilés. Mine de rien, tout ça, c'est du boulot.

Poursuivi ma relecture du Journal de Renard. Enfin fini le deuxième Tome des Papiers collés de Perros. Magnifique, mais un brin déprimant. Perros n'est pas tout le temps un joyeux drille. Cependant, il écrit des choses comme celle-ci : « La mauvaise littérature : vous allez dans un hôpital. Vous vous apercevrez qu'il manque des lits, des infirmières, que les malades sont mal traités, etc. Au lieu de vous scandaliser sur place, d'aller voir le maire, d'ameuter les journaux, etc., vous écrivez un texte que vous envoyez ) votre éditeur. Texte qui risque de vous rendre célèbre pour votre “humanité”.

La bonne : être malade. »


27 juillet 2022.- Température enfin raisonnable (27°C). Lever 5h00. Labeur, épuisé, deux pages du Journal de Jules Renard. Pas plus.


28 juillet 2022.- La tiédeur enfle à nouveau (32°C). Labeur. Guère d'entrain. Renard, encore. Travaillé ma psychogeographie en intérieur, fais la vaisselle, arrosé mes plantes. Rien d'autre.


29 juillet 2022.- Quelques nuages en approche, la pluie est espérée (28°C). Court retour dans les Cahiers de Cioran. Les lignes qui suivent auront fait ma journée : « L’homme qui me déprime le plus, c’est le satisfait de soi. Je n’entre pas dans ses raisons, sa réussite ne m’en paraît pas une, la vanité qu’il en tire me semble ridicule ou démente, même si elle est considérée comme légitime par tous. C’est que pour moi toute réussite extérieure est pire qu’un échec, et je prends en pitié quiconque s’élève selon le monde ». Nouvelles acquisitions : Ferveur de Borges – Jacques Réda, Mes inscriptions (1945-1963) – Louis Scutenaire, Un autre Monde – Michka Assayas, L’ambition de Vermeer – Daniel Arasse.


31 juillet 2022.- Toujours cette chaleur patibulaire (33°C). Retour d'un long week-end semi-montagnard et tout à fait champêtre. Vu beaucoup de vaches, rien lu, trop bu.


1er août 2022.- La température monte, toujours, encore (35°C). Voilà août que je n'aime pas, que je n'ai jamais aimé et que je n'aimerai jamais. Un peu morose, sans grande envie, assez légumineux. Nonobstant lu Un autre monde de Michka Assayas. Petit livre qui en vaut de supposés biens plus grands. Peut-être le meilleur de son auteur. Assayas se souvient de ses jeunes années, de sa découverte de la musique, de son amour pour certains groupes plus prog rock que moins, de l'irruption du punk qui pour lui aura tout de l'expérience intime, de ses débuts de journaliste où il défendra une petite palanquée de groupes gris regardés de biais par la doxa journalistique… Il se souvient de tout ça puis il raconte comment il a reconstruit des liens de plus en plus distendus avec son fils en faisant de la musique avec lui. Assayas est un piètre musicien, un bassiste plus art brut que Pastorius, et cela nous donne à lire quelques pages fort drôles qui frôlent le burlesque. Cela lui permet aussi de réfléchir sur son rapport à la musique, sur le fait qu'il écrit dessus depuis des décennies sans y connaître finalement grand-chose (le rythme, le solfège, la technique). Le livre est parfaitement tenu, sincère, sans mauvaise nostalgie et il est souvent plus émouvant qu'autre chose. Les dernières pages, où Assayas évoque la mort de son ami le cinéaste Laurent Perrin, sont magnifiques.



To be contiued.




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