samedi 6 août 2022

Psychogeographie indoor (118)

 


« The trouble with modern education is you never know how ignorant people are. With anyone over fifty you can be fairly confident what's been taught and what's been left out. But these young people have such an intelligent, knowledgeable surface, and then the crust suddenly breaks and you look down into depths of confusion you didn't know existed. »  (Brideshead Revisited)


23 février 2022.- Beau ciel fluctuant dans un genre assez Vermeer (14°C). Picoré alternativement dans le Journal des Goncourt et dans les Cahiers de Cioran. Comme tout se corrèle et fricote en ce bas monde, du second sur les premiers le 14 septembre 1966 on peut lire ceci : « Lu quelques pages du dernier volume du Journal de Goncourt avec un dégoût énorme. Est-il possible qu’un écrivain soit concierge à ce point. »

24 février 2022.- Temps dégagé (14°C). La Russie a envahi l’Ukraine. Cet après-midi à mon habitude j’aurais bien fait la sieste, mais je ne l’ai pas faite car y a-t-il quelque chose de plus bête que le nationalisme ?

Chez Claude Roy Georges Duhamel est un poète chinois plein d’ellipses, de silences, d’allusions et de raisonnable et pudique mélancolie.

On peut lire de drôles de choses dans le Journal de Kafka. Tenez le 23 mai 1912 , le soir venu, par ennui, il se lave trois fois de suite les mains dans sa salle de bain. Ce n'est pas rien.

25 février 2022.- Beau temps frais (8°C). Lever 3h30. Labeur. Sieste. Rien d'autre. Ah ! si la guerre s'installe en Ukraine.

26 février 2022.- Soleil (11°C). Je ne vais plus travailler que trois jours par semaine. Voilà un nouveau rythme de vie qui me laissera certainement plus de temps pour le jardinage la sieste et la gymnopédie. Malheureusement pour vous ce nouveau rythme me laissera aussi plus de temps pour la lecture et je crains que vous n’ayez à subir une hausse assez sensible de mes comptes rendus lectoraux. D’ailleurs dès ce matin sans plus attendre et histoire de vous asticoter j’ai croqué benoîtement dans les Bagages enregistrés d’Evelyn Waugh. C’est un livre de voyage largement romancé (sur le côté romancé, la préface de William Boyd est très éclairante) où Waugh rapporte une belle palanquée d’aventures méditerranéennes vécues à la fin des années vingt du siècle dernier. Sur le site de la Fédération nationale d’achat des cadres — la fameuse FNAC —, un certain Bernard habitant à Royan émet un avis un peu réfrigérant sur tout ça. Pour lui Waugh a écrit une sorte de zinzin qu’il ne faut pas lire, car il est plein de préjugés. Quant au style d’écriture n’en parlons pas, il est fade au possible ! Évidemment, vous aurez compris que Bernard de Royan se fourvoie largement dans l’erreur. J’ai lu cent cinquante pages de ces fameux Bagages enregistrés, et je n’y ai trouvé que de l’humour insulaire, un sautillement un brin aristocratique et rien de vraiment saisi par la pesanteur. Pour ce qui est des supposés préjugés, ils ne sont que la preuve assez drôle de ce sentiment qu’ont les Anglais d’être naturellement supérieurs aux autres quidams encombrant ce bas monde (ce qui est assez vrai même si c’est un peu faux). Pour finir, et contrairement à Bernard de Royan, je n'ai pas peur d'affirmer que le style n’a rien de fade. Il est plutôt tout en élégance, Waugh écrit bien habillé et bien peigné, c'est peut-être un défaut pour certains, pas pour moi (la traduction doit être bonne).

27 février 2022.- Beau temps (13°C). Le soleil large et généreux je me suis aventuré pour la première fois de l’année dans les extérieurs où j’ai poursuivi la lecture de Bagages enregistrés. Vous savez ce livre que Bernard de Royan n’aime pas trop. Waugh fait la nouba à Paris, passant d’un night-club l’autre pour finir ses nuits devant une soupe à l’oignon. Tout cela est amusant un temps, mais finit par lasser notre ami insulaire à chapeau mou. Pour lui Paris et même toc et surfaite et le Sud — dans son acception générique — semble une destination bien plus intéressante. C’est pourquoi il débarque sans plus attendre à Monte-Carlo. Manque de pot la ville des Grimaldi est pleine de frimas et recouverte de neige. L’activité la plus trépidante que l’on peut y pratiquer est le tir au pigeon et de surcroît ce n’est qu’une principauté provinciale dont on fait très vite le tour. Refroidit Waugh embarque sans plus attendre à bord du Stella Polaris un navire de croisière norvégien qui l’emmène à Naples, une ville où les chauffeurs de taxi sont plus malhonnêtes les uns que les autres. Puis c’est la Sicile, Catane au pied de l’Etna, Messine et son détroit surfait, autant d’endroits où les commerçants rendent très mal la monnaie. La méditerranée traversée voila l’Égypte, Port-Saïd et Le Caire, des villes où l’autochtone semble n’exister que pour mendier, voler ou perturber le touriste. Évidemment, Waugh pourrait paraître antipathique. Il est seulement drôle.

28 février 2022.- Soleil (13°C). Après avoir visité une Constantinople où les femmes inspirées par Mustafa Kemal jettent leurs voiles au même où les eunuques manifestent contre l’abolition de la polygamie, Waugh débarque à Athènes le jour de Noël orthodoxe. Les rues sont pleines de gens qui se serrent les mains, s’embrassent et s’envoient des pétards à la figure. Il finit sa première soirée dans un night-club tenu par un Maltais unijambiste. La suite de ses pérégrinations athéniennes est moins trépidante. Il croise de jeunes officiers imberbes, une juive hongroise qui exécute des danses orientales en collants de coton rose. Les odeurs d’ail et d’agneaux rôtis flottent un peu partout. Athènes derrière lui voilà Corfou, que Waugh apprécie beaucoup, il pourrait presque y vivre, puis Venise pour deux jours, ce qui n’est pas assez. Viennent ensuite Raguse et Kotor, deux petites principautés civilisées en bord d’Adriatique puis le Monténégro ce royaume digne d’Hergé (Sur Raguse, Kotor et le Monténégro, lire mes livraisons précédentes.) Waugh fini son périple en visitant une tripotée de citées plus méditerranéennes que mon genou gauche. Barcelone, où il est émerveillé par les gros bidules de Gaudi, Alger, encore une ville où l’on traite mal le touriste, Malaga où le vin n’est pas si bon que ça, Séville, peut-être la plus belle ville visitée pendant son petit périple, Lisbonne, qui est très bien et globalement sous-estimé. Voilà le voyage est fini, le livre aussi. Vous pouvez le lire, il est très drôle (vous n’êtes pas obligés de me croire, c’est peut-être Bernard de Royan qui avait raison, après tout). Comme il me reste encore un jour avant de reprendre le travail, j’enchaîne derechef avec un nouveau volume. Il s’agit de Trois heures du matin Scott Fitzgerald de Roger Grenier dans la très bonne collection L’un et L’autre chez Gallimard. Fitzgerald est-il un type trop malin à qui on aurait légué un diamant et qui, très fier, le montrerait à tout le monde ? Un prestidigitateur, un acrobate, qui n’a jamais autant de talent que quand il « rate » ? Un écrivain qui n’est jamais aussi bon que dans le désastre et la détresse installée ? Voilà quelques questions, Grenier apporte quelques réponses. Elles sont pour l’instant fort belles.

1er mars 2022.- Soleil se voilant (14°C). Vaguement malade, petite forme. 

Paris qui n’est qu’une défaite, le krach de 29 et des types qui se jettent par la fenêtre, Scott et Zelda, Zelda et Scott, Fitzgerald et Hemingway, un philistin asocial, un snob de province en manque de reconnaissance qui se noie dans l’alcool et les femmes, la folie, la maladie et puis la mort. Il y a tout ça dans le livre de Grenier et ce n’est pas très joyeux. Il y aussi des héros qui vivent dans un rêve enchanté, un rêve plein de couleurs chatoyantes, un paradis imaginaire que la matérialité du monde vient détruire et qui les laisse brisés. Tout cela n’est pas très joyeux non plus (mais le livre est très bien, j’aime beaucoup Roger Grenier).

3 mars 2022.- Temps plutôt beau (13°C). Que faire en attendant la guerre thermonucléaire ? Vous pouvez vous gratter le nombril en regardant le plafond. Vous pouvez aussi courir nu autour de votre canapé tout en ponctuant votre course de quelques sautillements capricants. Voilà pour la partie la plus sportive, la partie gymnopédique. Pour ce qui est de la partie intellectuelle, vous pouvez vous coucher tranquillement sur votre canapé (toujours le même, j’imagine que vous n’en avez qu’un) et lire des choses inconnues de la morne piétaille. Vous pouvez par exemple lire  Le dilettantisme - Essai de psychologie, de morale et d'esthétique  par Claude Saulnier (Librairie philosophique J.Vrin, 1940). Cet assemblage de lexies, de syntagmes, de lignes et d’interlignes, de paragraphes et d’alinéas offre quelques satisfactions. Jugez par vous-même : « La pure contemplation serait vite fastidieuse pourtant, si elle n’était que passive et si elle s’opposait d’une façon absolue à l’action. Or, il est bien évident qu’une pure contemplation parfaitement inactive est inconcevable : elle est d’ordre esthético-mystique et, si elle se réalise, elle aboutit à une ataraxie, à un “bouddhisme”, qui se détruit elle-même. En réalité, le dilettantisme est essentiellement actif, mais d’un mode d’activité tout particulier et fort différent de l’action sociale. Il n’y a contemplation esthétique que par un rythme, une alternance, et ce rythme est porté au maximum d’intensité, chez le dilettante, dont toute l’attitude se réduit finalement à la pure virtuosité. »

4 mars 2022.- Ciel changeant (11°C). En baguenaudant dans les Mauvaises pensées et autres de l'ami Valéry ( Paul ) je tombe sur ces quelques mots qui auront fait ma journée : « Les êtres sensibles n’ont pas la voix puissante, ou bien ne la donnent pas. Plus ce qu’ils disent les affecte, plus ils la baissent. Il y a une pudeur auditive. Et il en est de même du ton. S’entendre dire certaines choses est pénible. Le son de sa propre voix rend ennemi de soi-même, etc. »

5 mars 2022.- Belle journée dans un genre primo printanier (13°C)

I. Selon Cioran La Fêlure était la seule vraie réussite de Fitzgerald. Il lui reprochait de se fourvoyer dans le roman, d’ignorer sa nature, de manquer de fidélité à son échec et de ne pas suffisamment l’approfondir : « c’est d’un esprit de second ordre que de pouvoir choisir entre la littérature et la “vraie ruine de l’âme" ». J’ai la vague intuition que Cioran se trompe un peu, qu’il est par essence allergique à l’élan fictionnel aux frasques romanesques, à Gatsby et aux concessions d’un Fitzgerald scénariste dans les « mines de sel » d’ Hollywood. Cioran se trompe peut-être, mais il se rattrape : « Mais que voulait-il qu'il fît d'autre ? (…) Eut-il été au bout de ses abîmes, qu'il serait sans doute moins attachant. plus profond peut-être, mais n'est-ce pas une élégance suprême que de ne pas l'être ?" »

2. Le vendredi 13 décembre 1940 Fitzgerald dîne chez Dorothy Parker avec Nathanael West. Huit jours plus tard le 21, il meurt d’un accident coronarien. Le lendemain Nathanael West se tue en auto avec sa compagne Eileen dans une collision près D’El Centro (Californie). On enterrera Fitzgerald dans le cimetière communal de Rockville (Maryland). Nathanael West et sa compagne seront enterrés au cimetière de Mount Zion dans le Queens à New-York. Devant le cadavre de Fitzgerald, son ami, la seule à veiller, Dorothy Parker répétera comme une drôle de litanie chagrinée « The poor son-of-bitch, the poor son-of-bitch, the poor son-of-bitch  » (c’était l’oraison de Jay Gatsby). Elle est morte des suites d’un crise cardiaque le 7 juin 1967. Son corps sera incinéré, on perdra son urne funéraire. C’est une longue histoire.

3. Vous me pardonnerez les quelques digressions et appogiatures qui précèdent. Sachez simplement que le livre de Grenier est très bien qu’il est impressionniste et joliment émietté tout en étant toujours très informé. Surtout, c’est un livre émouvant, ce qui je dois bien le dire n’est pas rien.

4. Le livre de Grenier ayant quitté ma pile de livres en cours de lecture pour rejoindre ma bibliothèque (ou les places deviennent rares), j’enchaîne sans attendre avec Soul Circus de George Pelecanos. C’est le troisième opus des enquêtes de Derek Strange et Terry Quinn et je suis en territoire connu (les bas fonds de Washington, la misère, la drogue et la Philly soul).

6 mars 2022.- Beau temps frais (8°C). Il fait beau, mais la saison nous en veut. Tenez par exemple malgré le soleil la lecture en extérieur offre quelque chose d’insidieux. Cet après-midi sur ma chaise de jardin j’avais la tête toute chaude et les pieds bien froids. Tellement froids qu’il m’a fallu enfiler des chaussettes. Voilà qui est périlleux et engendre une somme d’effort assez quantifiable. De surcroît l’ombre ayant vite rattrapé le soleil, qui est encore bas, je me suis retrouvé trop vite avec la tête presque aussi froide que les pieds. Comme je n’allais tout de même pas enfiler un bonnet péruvien en plus de mes chaussettes, je suis sagement retourné dans mon petit intérieur afin de poursuivre ma lecture sur mon canapé. Ne voulant en aucun cas accomplir un nouvel effort inutile, j’ai gardé mes chaussettes. Sinon, et pour le reste, Soul Circus n’est pas si mal que ça. On retrouve les qualités de George Pelecanos, son goût maniaque pour les détails (armes, automobiles, vêtements, playlists soul seventies) et ses préoccupations sociétales. Petit hic, l’intrigue n’est pas foudroyante, on s’ennuie un peu. Il faut dire que les histoires de petites frappes peuvent lasser.

7 mars 2022.- Beau temps frais (8°C). Desert Eagle, Don Wesson, Hi-Point 9mn, Glock 17, Ak-47, Sig-Sauer, Smith & Wesson Ladysmith, couteau Buck, barre PayDay, mon historique de recherche Google fait peur et pourrait laisser à penser que je m’apprête à m’embarquer pour une horrible équipée homicide, une dérive terroriste, une tuerie de masse, allez savoir ? Rassurez-vous, rien de tout ça, je lisais simplement le livre de Pelecanos tout en recherchant quelques informations complémentaires afin de mieux visualiser ce dont il pouvait être question. En l'occurrence, Google à très bien rempli son office (d’ailleurs à ce titre je me demande si Pelecanos n’écrit pas un peu avec Google et Wikipédia). Bon j’ai fini le livre sans être interrompu par le GIGN ou une quelconque autre officine policière, ce qui signifie que je ne suis pas trop surveillé (je me demande si c’est si rassurant ). Ce n’est pas si mal que ça, je dirai que ça pourrait être un épisode inédit de la série The Wire, sans vrai « arc narratif », mais avec une petite intrigue homicide au raz du trafic à la place.

Sans perdre de temps, j’ai tout de même fait la vaisselle, je suis déjà plus ou moins plongé dans un autre livre. Il s’agit de l’Amérique de Jean Baudrillard, ouvrage déjà entamé il y a quelques années et abandonné par ennui à la page 9. C’est donc une nouvelle tentative et non une nouvelle lecture. Cette fois-ci j’ai atteint la page 22 sans vrais embarras. Baudrillard n’est pas si emmerdant que ça, il est seulement un peu emphatique et résolument vieillot 1980 (Constat le vieillot 1980 est plus vieillot que le vieillot 1920).

8 mars 2022.- Grand soleil (13°C). Baudrillard cherche « l’Amérique sidérale », celle de la liberté vaine et absolue des freeways, jamais celle du social, des individus et d’une quelconque culture, jamais celle de l’Amérique profonde et jamais celle des mœurs et des mentalités. Aux interactions sociales il préfère l’espace, la vitesse désertique, les motels vides où les téléviseurs sont toujours allumés, la surface minérale des buildings et le flux continuel des automobiles. Dans son Amérique tout semble vide d’humain. À New York, il ne croise que des spectres, des gens seuls qui marchent seuls qui mangent seuls et écoutent de la musique qu’ils sont seuls à entendre (c’est le fameux Walkman). Même le Marathon et ses dix-sept mille participants n’est qu’un assemblage de solitudes, une sorte de suicide qui fait mine d’être collectif. Dans cette ville chacun semble vivre dans son propre couloir virtuel et seuls les fous, junkies, alcooliques et autres punks, conservent quelque chose du sens commun. Les fous, les punks et les Rappers. Les Rappers sont des types qui effectuent un genre de gymnastique, une sorte de prouesse acrobatique au coin des rues. À la fin de leur danse, ils se figent le coude au sol, la tête nonchalamment appuyée au creux de la main comme s'ils prenaient la pose indolente de leur propre mort. Si New York est amoureuse de sa verticalité (les fameux buildings), Los Angeles est amoureuse de son horizontalité sans limites. On y trouve des joggers qui courent droit devant eux comme enveloppés par la tonalité des leurs Walkman, indifférents au sacrifice solitaire de leur propre énergie : « Les primitifs désespérés se suicidaient en nageant au large jusqu’au bout de leurs forces, le jogger se suicide en faisant des allers et retours sur le rivage. ». La seule détresse comparable à celle de l’homme qui court seul est celle de l’homme qui mange seul debout en plein cœur d'une ville où personne ne se regarde. Downtown un homme déguisé avec un bec des plumes et une cagoule jaune pourrait circuler sur les trottoirs sans que quiconque ne le regarde. Regarder un autre c’est encourir le risque d’une demande insupportable d’affection. Baudrillard fait lui aussi semblant de ne pas voir ce qui forme « société ». Bref, il passe à côté de l’homme (l’homme américain générique), de sa violence somnambulique et de son air fantomal. Il préfère les nuages, l’espace (l’espace c’est la culture américaine). Les plus belles pages, et elles sont fort belles, magnifiques même, sont consacrées au désert et à la Vallée de la mort. Tout y est dit. Les rochers, le sable, les cristaux, les cailloux sont éternels. Ils sont loin de la corruption du corps qui s’achève, de la « transition du corps vers l’inexistence charnelle ». Le désert est au-delà de la phase maudite de la pourriture, de la phase humide du corps, de l’organique. Tout cela est bien éloigné de l’homme, et on se demande si ce n’est pas mieux ainsi.

(Autre chose malgré son côté parfois désuet 1980, il y deux trois presciences dans le livre de Baudrillard. Il est un peu question de choses sexuelles qui changent, de gender studies, d’universalisme et de communautarisme, d’Europe et D’Amérique).

10 mars 2022.- Passages nuageux (9°C). Un poème de Mallarmé, deux pages de Cioran (Cahiers). Rien d'autre, le labeur.

Nouvelles acquisitions : Bonjour, Jeeves - P.G Wodehouse, Exercices d'admiration - Cioran, Le secret de Joe Gould - Joseph Mitchell, L'hippopotame - Stephen Fry, Féroces infirmes retour des pays chauds et Tarte aux pêches tibétaines -Tom Robbins.

11 mars 2022.- Il pleut (16°C). Toulet pense qu’ il y a des pluies de printemps délicieuses, où le ciel a l’air de pleurer de joie. C'est joli, mais le printemps ne sera là que dans neuf jours et en attendant c'est moi qui pleure sous l'averse (j'ai oublié mon parapluie). Hormis tout ça, preuve que tout est décidément dans tout, je constate que c'est la guerre en Ukraine qui aura eu raison du fameux virus qui nous tailladait les mollets depuis trois ans.

12 mars 2022.- Temps pluvieux, un peu anglais, mais sans l’humour (13°C). Comment concilier la « petite graine de l’état poétique » avec les exigences d’une quelconque activité professionnelle ? C’est ce qu’évoque Georges Haldas (suisse lémanique pour ne pas dire genevois) dans le Temps des rencontres, cinquième volume de ses chroniques autobiographiques. La quatrième de couverture promet de l’humour, de l’ironie et des scènes hilarantes. Pourtant, j’attaque gaillardement la page 48, et jusqu'à présent je n’ai guère trouvé tout ça. Oh ! il y bien quelques traces de ce qui pourrait bien être de l’humour, mais elles sont délayées comme aquarellisées par un style assez précieux et peut-être même un peu ampoulé. J’espère me tromper tout en sautillant dans une flaque d’a priori, cependant j’ai la sourde impression que je vais devoir passer deux jours avec un livre qui ne me siéra pas tout à fait. Un peu comme si je devais me rendre sans vraie envie à un symposium sur le char à voile ou le macramé avec un pantalon trop court. Or j’aime être à l’aise, et même dans mes lectures.

13 mars 2022.- Nuages (11°C). Il y a bien des histoires et des personnages cocasses dans les chroniques de Georges Haldas, mais l’ensemble semble anesthésié par un style tout en appogiatures et périphrases, un style qui ne va jamais droit au but, un style serpent qui noie le poisson (d'autre part, il n’y a quasiment aucune image littéraire, ce qui est bien étonnant pour un type qui se dit gouverné par la « petite graine de l’état poétique »). Évidemment, j’analyse tout ça avec mon humeur du moment, humeur qui n’est pas peut-être pas compatible avec les circonvolutions de phrases qui finissent pas se consumer elles-mêmes dans une sorte d’autophagie un peu problématique. Ces phrases peut-être faudrait-il que je les apprivoise avant de les dompter un peu (Haldas est certainement très bien, enfin c’est ce qu’on dit). En l’occurrence, et pour l’instant, je suis un bien piètre dompteur et je m’ennuie.

14 mars 2022.- Ciel couvert (13°C). Nuageux comme le temps, fatigué aussi. Lu un poème de Jacques Chessex et deux pages de Schopenhauer, chez qui les évènements n'ont d'importance aux yeux de la connaissance philosophique que comme manifestation des idées. Ainsi :


Les nuages sont une vapeur élastique,
bons bougres ils se rassemblent,
se dispersent,
se dilatent et se déchirent sous le choc du vent.
C'est leur nature,
leur petite idée,
de n'être que des figures particulières,
qui n’existent que pour l'observateur individuel,
qui se dit :
oh ! tiens un mouton.
Alors que non,
c'est encore un coup,
de l'accidentel.

15 mars 2022.- Tempête de sable, comme si c'était possible (16°C). J'ai beau travailler de moins en mois, mes journées de labeur me pèsent de plus en plus. Quelle drôle d'idée que d'avoir inventé le salariat ! Rien lu, ou presque.

16 mars 2022.- Plafond nuageux patibulaire (16°C). Que deviennent les larmes que l’on ne verse pas ? Jules Renard disait que la plus sotte exagération était celle des larmes. Elles l’agaçaient comme un robinet qui ne ferme plus. Pour lui chaque pensée absorbant une larme, il n’était pas question de penser et pleurer en même temps. Cela ne l’empêchait pas d’avoir le cœur rempli de feuilles mortes. Il y a un beau poème de Léon-Paul Fargue qui tourne autour des larmes taries, les larmes non versées d’un type qui vacille au sommet du désespoir. Il monte, monte… il monte au-dessus des hommes, il a du chagrin, il souffre, il n’y a plus de coton dans son cœur. Chez Mallarmé on ne se contient pas, les larmes ont un pouvoir lustral. C’est l’eau limpide de sa douleur et il suffit de lire les notes écrites sur la mort de son fils Anatole pour avoir les yeux humides et le cœur pincé.

17 mars 2022.- Du vent (14°C). Que retiendrais-je de George Haldas et son Temps des rencontres ? Pas grand-chose, une page, une belle page consacrée à Charle-Albert-Cingria. Son béret usé, sa nuque d’éléphant, ses avant-bras poilus (Haldas parle d’avant bras velus et simiesques), son petit maillot bleu et blanc moulant un torse épais et grassouillet, ses pantalons de golf et ses puissants mollets blancs. Voilà un personnage intéressant, des images et un croquis qui oublie l’afféterie des circonvolutions aquarellistes. Malheureusement, il n’y a que cette page pour être de ce tonneau-là. Le reste ma beaucoup ennuyé (pour ne pas dire pire), j’ai sauté de nombreux passages ce qui m’est extrêmement rare. Comme je m’ennuyais et que l’engagement politique un peu rampant d’Haldas m’ennuyait aussi (on aura compris qu’il est du bon mauvais côté), j’ai par pure distraction composé ce petit poème stalinien antonymique que voilà :

Tes moustaches sont si perçantes qu'en me dressant j’ai vomi


J'ai deviné toutes les lunes venir s'y noyer
S'y accrocher à vivre tous les exaltés
Tes moustaches sont si perçantes que j'y ai repêché l'oubli

Au soleil des poissons c'est la rivière limpide
Puis le mauvais temps petit à petit se pose et tes moustaches demeurent
L'hiver taille la terre aux blouses des terreurs
L'enfer est toujours rouge comme il l'est sur les phlomides

Le calme fuit utilement les joies du nuage
Tes moustaches moins humide que lui lorsqu'un sourire y pâlit
Tes moustaches rendent débonnaire l'enfer d'avant la pénurie
La cruche est toujours si rouge qu'à son apanage

Père des quatre bonheurs ô ombre sèche
Quatre boucliers ont bouché le faisceau des ombres
La nuit est moins consolante qui fuit entre les gongs
Le poil bouché de clarté moins bleu d'être en crèche

Tes moustaches dont le bonheur ferme la simple clôture
Par où se crée la certitude des masses
Lorsque le cerveau flopé elles oublient d'êtres coriaces
La tunique de Jésus gisant dans la pâture

Une langue manque aux semaines d'octobre lexical
Pour toutes les cacophonies et pour tous les vivats
Assez d'une terre pour de rares vacarmes
Il leur fallait tes moustaches et leurs vérités sagittaires

Le vieillard partagé par les bassesses sauvages
Recroqueville les siennes plus pauvrement
Quand tu rases tes petites moustaches je sais si tu sens
On dirait que l'éclaircie ferme des lies sages

Montrent-ils des éternités dans cette pestilence où
Des fourmiliers géants refont leurs haines de tamanoir
Je suis éloigné de l'attraction des trous noirs
Comme un berger qui vit sur sa montagne fin août

J'ai ajouté cet uranium dans l'autunite
Et j'ai congelé mes coudes à ce flegme oxydé
Ô enfer jamais reperdu retrouvé
Tes moustaches sont ma Géorgie mon caillou unique

Il advint qu'un drôle de matin le néant s'ajusta
Sur des plages que les secoureurs sauvèrent
Moi je voyais s’éclipser en dessous de la terre
Les moustaches de Joseph les moustaches de Joseph les moustaches de Joseph.

Prochaine lecture Les derniers jours de Pékin de l’animal Loti. Je n’imagine que du bien.


To be continued.


Aucun commentaire: