samedi 22 janvier 2022

Psychogeographie indoor (113)

 














« Assis sur les bancs verts, les jambes croisées, ils savourent leur cigare, et s'engourdissent dans le silence épais de la pleine campagne. » (Valery Larbaud - Enfantines)


1.


9 août 2021.- Soleil voilé (25°C). Je suis toujours plongé dans l'Ébène de Kapuściński qui est plein de prépondérance du clan sur toute autre organisation, de culte des ancêtres, de communauté contre individualisme, de tribu contre nation, de chaleur ahurissante, de lions, de léopards, d’éléphants, de cobras, de lac Victoria, de pistes latéritiques, de paludisme, de tuberculose, d’esclavagisme et de libération, de coups d’État et de fusils, de machettes et de bâtons, de casquettes d’adjudants…. Par ailleurs, et toujours dans la petite affaire de Kapuściński, sur le port de Dar es-Salaam, un yacht blanc se balance au creux des vagues. Il appartient au jeune sultan du Zanzibar Seyyid Jamshid bin Abdulla bin Khalifa bin Harub bin Thwain bin Said qui a fui l’île, abandonnant son Palais, son trésor et sa Rolls Royce rouge. Pour un peu on se croirait dans une Carte Postale de J.M Levet.

10 août 2021.- Vague tiédeur (30°C). Still with Kapuściński. En Afrique dans les régions où le christianisme et l’islam ne sont pas encore très bien implantés la richesse des prénoms est infinie « Ils (les africains) donnent à leurs enfants des noms comme "Matin agile"(si l’enfant est né à l’aube) ou "Ombre d'acacia" (s’il est né sous un acacia). » C’est là que s’applique la poésie des adultes. Moins poétique, quoique, les cataclysmes politiques, coups d’État, putschs et révolutions appartiennent à l’univers de la nature. On les appréhende comme s’il s’agissait d’une rafale ou d’une tempête, avec fatalisme, et même parfois, avec une belle résignation. Pour le reste en dehors de la poésie et de la résignation le livre de Kapuściński est vraiment épatant. On y tintinnabule autour d’une belle somme d’aventures vécues (ou pas ?), on frôle la mort plus d’une fois, on croise Amin Dada en Ubu tragique, on passe d’un coup d’État au Nigéria à quelques embardées périlleuses sur les hauts plateaux Éthiopiens. Kapuściński explique les causes du génocide rwandais. On a envie de dire que tout cela est passionnant.

11 août 2021.- La chaleur enfle (31°C). Pour Kapuściński l’un des principaux problèmes de l’Afrique se niche dans le fait que les intellectuels africains vivent en dehors du continent – aux États Unis, à Londres, Paris ou Rome… Sur place, en Afrique, il ne reste plus que deux classes. À la base : les masses paysannes obscures abruties, sucées jusqu’au sang, au sommet : la bureaucratie corrompue et la soldatesque arrogante (le lumpen militariat). Cette simple dichotomie où la réflexion n’est jamais présente entraîne un résultat terrifiant. Guerres et famines se succèdent et on se demande comment l’Afrique peut vivre sans ses intellectuels. La thèse de Kapuściński tient relativement bien. Cependant, je ne l’embrasserais pas totalement en constatant que les rares intellectuels ayant choisi de ne pas quitter le continent auront tout de même assez largement contribué au marasme. Les théoriciens du génocide rwandais étaient des intellectuels. Les « révolutions » soudanaises et éthiopiennes et leurs milliers de morts eurent aussi leurs intellectuels. On ne se méfie jamais assez des intellectuels.

Loin de tout ça, je fais mes valises. Demain départ pour Évian-les-Bains.

19 août 2021.- Ciel à moitié nuageux (24°C). Retour d’Évian base arrière idéale pour quelques randonnées raisonnablement montagneuses. Le Lac est toujours là et le paysage est tout juste gâté par l’emprise immobilière. Bu au robinet des Sources Cachat, pris cinq fois le funiculaire. À Thonon du belvédère, juste en face, vu la petite ville suisse de Rolle d’où s’échappaient les minces volutes d’un cigare. Certainement celui de Jean-Luc Godard. Par ailleurs du côté des livres je suis toujours plongé dans l’Ébène de l’ami K. Grand livre parfois terrifiant. Qu’y a-t-il de plus terrifiant que ses esclaves afro-américains affranchis qui au Libéria créeront un nouvel état où ils s’empresseront de mettre en esclavage les descendants de leurs ancêtres communs ? (Oui ma phrase est bancale et presque comique).

20 août 2021.- Soleil (27°C). Je rouvre la correspondance Valery Larbaud/G. Jean-Aubry. Larbaud est malade, il perd sa mère, fume du tabac de Virginie, a un gros faible pour le Chester et continue sa collection de soldats de plomb… G. Jean-Aubry virevolte de Suisse en France, de France en Angleterre. À Londres il constate que les autobus prennent des allures d’autocars et que l’aimable lenteur de toutes choses tend vers la « précipitation yankee » , un déplorable précipité. Comme tout est dans tout Larbaud écrit quelques mots sur la lenteur dans la revue Grand’Route. Une revue qui n’aura que cinq numéros et qui en dehors d’André Suarès et de Larbaud exclura de sa liste de collaborateurs possibles tous les gens âgés de plus de trente ans.

21 août 2021.- Vague tiédeur (32°C). Conditions lectorales frôlant l’improbable. Dans la rue une bétonnière furibarde posée à deux mètres de mes fenêtres, dans mon semblant de jardin les mornes conversations téléphoniques du voisinage, une scène de ménage et quelques autotuneries de mauvais aloi. Malgré tout ça - un tout ça qui a de quoi laisser n’importe quel arpenteur de lignes circonspect - poursuivi et un peu avancé dans la correspondance Larbaud/Jean-Aubry. Deux types civilisés qui ne devaient pas trop aimer le « bruit ». Larbaud rencontre l’étonnant Pierre Girard (qu’il faut lire, je le répète), Adrienne Monnier oublie de lui verser les droits de sa traduction d’Ulysse (une bien fameuse traduction), il remodèle entièrement sa bibliothèque de Valois, un sacré chantier. Quant à Jean-Aubry, il traduit Conrad, publie une multitude d’articles (il faudrait que quelqu’un les retrouve), reconstitue la bibliographie de Larbaud tout en étant orgueilleux en toute humilité de sa perte de cheveux et de sa calvitie plus que naissante. Il y a les voyages en Italie, en Suisse ou au Liechtenstein. Il y a aussi Musum ce chien indolent, le chien de Larbaud, que Jean-Aubry n’oublie pas de saluer dans chacune de ses lettres : « serrez la patita au Musum, cela va sans dire ».

22 août 2021.- Ciel couvert (26°C). Phil Everly est mort en 2014. Dans le drôle de couple incestueux formé par les deux frères c’était le plus jeune, le plus blond, certainement le plus féminin et le moins apte aux frasques diverses et variées. Phil laissait les solos, la mauvaise humeur et les amphétamines à Don son aîné, le baryton, le petit dur de la fratrie. Comme rien n'est vraiment jamais simple, comme tout tangue inévitablement vers le tragique Don est mort hier, c'est encore une bien triste nouvelle. En « hommage » histoire de ne pas oublier Phil et Don j'ai réécouté Songs Our Daddy Taught Us, le second album des frangins cristallins. La guitare de Don, une contrebasse, un formidable spicilège de standards country and western et puis cette symbiose extraordinaire entre ces deux voix d’enfant de cœur seulement séparées par un quart de ton. Des voix qui montent qui s’entremêlent pour ne devenir plus qu’une. Presque un miracle à écouter seul à l'abri de la pluie, mais avec une petite larme au coin de l'œil.

Je refais mes valises. Demain départ pour Nice.

28 août 2021. Soleil, vent frais (22°C). Me voilà rentré et les valises défaites. À Nice visité le Musée Chagall. L’expérience s’est révélée un peu pénible. Les tableaux exposés sont extraordinaires, mais ils sont moins nombreux que les vigiles censés les surveiller. Ces derniers vous suivent avec des airs suspicieux dignes de l’admiration pénitentiaire. Plus charmant fait un petit tour par le Musée des arts naïfs, l’accueil y est très sympathique et plein de volubilité méridionale. Rien de vraiment climatérique, un tableau du Douanier Rousseau, une « porte » de Chaissac, quelques courtes merveilles d’Europe centrale, des couleurs, une simplicité qui serre le cœur. Otherwise, fini la correspondance Larbaud- G. Jean-Aubry. L’épatant Pierre Girard est encore évoqué dans quelques lettres. Jean-Aubry traduit, participe à une multitude de conférences et autres symposiums. Larbaud continue sa collection de Soldats de Plomb, effectue de nombreuses villégiatures thérapeutiques en bord de Léman. En juillet 1935 il visite l’Albanie… C’est au retour de ce voyage qu’il sera victime d’une première attaque. Son état empire. Une aphasie partielle se déclare en novembre ; après une légère amélioration, au début de 1936, il perd l’usage de la parole et de son bras droit. Jusqu’à sa mort le 2 février 1957, il ne pourra plus écrire et ne prononcera plus que cette phrase devenue fameuse : « Bonsoir les choses d'ici-bas ».


2.


29 août 2021.- Le soleil est trop bas pour être honnête, l’été s’achève. Je retourne dans les Agendas de Follain. Beaucoup de messes, beaucoup d’enterrements (celui de Marcel Aymé), des dîners en ville. En filigrane mai 68 sonne comme une petite musique dépeignée.

Demain labeur. Après trois semaines de congés, l’entrain est modéré.

31 août 2021.- Temps plutôt nuageux (23°C). Vidé par le labeur, je résonne comme une casserole. Lilliputien retour dans les Cahiers de Cioran, très concordants avec l'humeur du jour : « Se démettre, "présenter sa démission", abandonner, capituler, prendre congé et surtout congédier, être congédié,… etc., etc… je trouve un plaisir presque sain à toutes les nuances de l’échec. »

1er septembre 2021.- Ciel bleu pâle, beau temps. (23°C). September, October, November, December… Un soleil bas et tardif diffuse ses faibles rayons sur mon auguste physionomie. Plus haut, un peu vertes, les feuilles encore attachées aux branches des arbres me regardent avec un air las et cauteleux. Une semaine, deux semaines, trois semaines… Bientôt elles me tomberont dessus.

Par ailleurs, hormis une chronique de Bernard Frank consacré au fameux cuisinier Vatel (figurez-vous que le bougre s’est suicidé un jour où il n’avait pas prévu de rab au menu), rien lu.

2 septembre 2021.- Les nuages sont là (27°C). Plus qu'une quelconque « rudesse des temps » c'est plutôt l'ennui qui domine. Sur ces bonnes paroles je vais passer l'aspirateur.

3 septembre 2021.- Larges passages nuageux (23°C). Beaucoup trop de labeur, grande fatigue. Résultat : je suis plus aboulique que velléitaire, Nouvelles acquisitions : Pierre Pachet - Le premier venu, Thomas Clerc - Cave, Patrick Deville - Fenua, Philippe Jaenada - Au printemps des monstres, Roger Grenier - Regardez la neige qui tombe.

4 septembre 2021.- Beau temps, dans le genre été tardif (27°C). Entamé Regardez la neige qui tombe de Roger Grenier. C’est une dérive entichée autour de l’ami Tchekhov. De courts chapitres, beaucoup de citations, du biographique non ostentatoire. C’est, pour l’instant, très bien : « Le docteur Tchekhov, du temps qu'il faisait des autopsies, "même en été", a noté dans ses Carnets "Les morts ne connaissent pas la honte, mais ils puent horriblement."Il a retenu aussi cette image insolite qui pourrait figurer comme une allégorie de la vanité humaine : "En déshabillant le cadavre, on a oublié les gants : c'est un cadavre ganté." »

5 septembre 2021.- Tiédeur tardive (31°C). Jardinage, taille des haies qui montaient décidément trop haut. Largement avancé dans le Grenier/Tchekhov, bon livre qui sait frémir : « À la dernière fenêtre du premier étage de la gare est assise une demoiselle (ou une dame, comment savoir) avec un corsage blanc, languissante et belle. Je la regarde, elle me regarde... Je mets mon pince-nez, elle met le sien... Oh ! merveilleuse apparition ! J'ai attrapé une inflammation du cœur et j'ai passé mon chemin. »

6 septembre 2021.- Tiédeur (31°C). Grenier/Tchekhov. L'écrivain doit être un reporter (celui qui rapporte), il doit noter, ne rien cacher des laideurs de l'existence... Il doit aussi être sec et froid. Cependant, cette sécheresse et cette froideur ne sont pas seulement le résultat d'une esthétique, ce sont surtout les fruits de la nécessité, de l'obligation de livrer de nouvelles histoires à date fixe et même si Tchekhov érige sa froideur stylistique en théorie littéraire c'est surtout la contrainte et le besoin d'argent qui forment finalement son esthétique. (Pour résumer de la sécheresse et de la froideur au service de thèmes et sujets frétillant souvent dans l'émouvant).

Michel Poiccard est vraiment mort. Il y a de quoi être triste.

7 septembre 2021.- Beau temps, on s'en fiche (30°C). À creuser : sécheresse de Tchekhov, style télégraphiste de Stendhal, scatologie de Mozart.

8 septembre 2021.- Ciel bleu pâle, soleil narquois (31°C). La scatologie chez Mozart ce n'est pas rien. Tenez par exemple il y a ce bout de lettre adressée à l'une de ses cousines. Drôle de musique. « Je vous souhaite maintenant une bonne nuit, pétez au lit que cela craque ; dormez bien, étirez le cul jusqu'à la bouche, je m'en vais au lit dormir un peu. Demain, nous parlerons plus raisonnablement, j'ai quantité de choses à vous dire, l'imaginer vous ne pouvez, mais demain bien l'entendrez. Portez-vous bien entre-temps, ah ! mon cul me brûle comme du feu ! Que signifie donc cela ? -- Peut-être une crotte veut-elle sortir ? -- Oui, oui, crotte, je te connais, je te vois, je te sens -- et -- qu'est-ce ? -- Est-ce possible ! -- Dieux ! -- Oreille, ne me trompes-tu pas ? -- Non, c'est bien ça -- quel son long, et triste ! » Rien d'autre.

9 septembre 2021.- Prépondérance nuageuse, rares averses (23°C). Pour Cioran un dîner avec plus de quatre convives était une épreuve. À la vérité, toute « société » le rendait cafardeux, voire furieux. Dans ses Cahiers on peut lire ceci : « J’accepterais d’aller dans le monde si les gifles y étaient permises ».

11 septembre 2021.- Ciel se dégageant (25°C). Il est là, il est de retour le voisin guitariste ! Cet après-midi il s’est pris pour une sorte de John Lee Hooker, mais en plus déchaîné. Quant à ma voisine de gauche, elle est aussi de retour, avec son trop fameux téléphone cellulaire. Ainsi ai-je pu appendre qu’elle avait changé deux fois de « tampon » dans la journée. Voilà une information capitale. Dans ces conditions beaucoup de mal à finir le Regardez la neige qui tombe de Roger Grenier. C’est pourtant un livre qui se révèle aisément lorsque « l’extérieur » ne vous happe pas avec ses grandes pattes saumâtres. Plus on lit Grenier parlant de Tchekhov, plus on aime les deux. Tchekhov qui s’estime comique alors qu’on le voit tragique (il certainement entre les deux, le fameux doux amer), Kafka qui l’aime lui aussi beaucoup, parfois follement… et puis cette fin : « Olga s'approche de Tchekhov mourant et veut poser un sac de glace pilée sur sa poitrine. Il la repousse en disant : "On ne met pas de glace sur un cœur vide" ».

12 septembre 2021.- Soleil (27°C). Back to Follain’s Agendas. Quelques anecdotes croquignolettes. Fargue pour qui Eluard n’était que du « sperme de cure-dent », voire de la « merde blanche ». Une réception chez le Dr Ferdière qui porte comme cravate une fleur de cuivre prise à un attache rideau. Un déjeuner avec Man Ray qui n’aime pas l’harmonie, mais le discordant, traite Léger de « fermier » et porte une chemise rayée pleine de couleurs violentes et comme cravate (encore une cravate!) un mince ruban gris bleu acheté au mètre. On enterre aussi Paulhan, des cravates, mais pas de cérémonie religieuse, « désolante impression de vide ».

14 septembre 2021.- Le vent se lève, les orages ne sont pas loin (25°C). Lever 5H00, labeur, sieste, vaisselle, rien lu.

15 septembre 2021.- Moiteur orénoquiène (25°C). Je les cherche, je ne les trouve pas, je suis sans mes mots.

16 septembre 2021.- Orages (23°C). Cioran dans ses Cahiers semble parfois céder à la facilité du bon mot. Quoique, en fait… non : «Je me cramponne au doute pour ne pas tomber dans le désespoir et au désespoir pour ne pas m’enfoncer dans le doute. ». Sinon dans ses Agendas Follain danse la « fricassée » au bal des Merveilleuses.

17 septembre 2021.- Du soleil (24°C). Trois lignes de Cioran, quatre de Follain, une chronique de Bernard Frank, deux articles de l'Équipe, un poème d'Yves Bonnefoy. Nothing else. Lire L'Autobiographie de mon père de Pierre Pachet.

19 septembre 2021.- Queue d’orage, humidité prégnante (19°C). Hier soir « vie sociale ». Un peu abusé de champagne et de Côte de Beaune. Cocktail improbable, je suis assommé… « Dîner Vieux-Papier », ce sont les derniers mots que l’on peut lire dans les Agendas de Jean Follain à la date du mardi 9 mars 1971. Mots tragiques, dîner tragique, car c’est en sortant du Vieux-Papier que le poète sera renversé et tué sur le coup par une voiture homicide au débouché du tunnel du Louvre. Quelques semaines plus tôt, le vendredi 5 février 1971, il notait ceci : « Le Théâtre de la cruauté d’Artaud : il s’agit d’une cruauté ontologique liée à la souffrance d’exister et à la misère du corps humain En lisant ceci, je pense au sentiment de détérioration qui accompagne la vieillesse, qui est affreux ». En résumé le tragique nous permet parfois d‘éviter l’affreux.


3.


20 septembre 2021.- Crachin automnal (15°C). Éditeur perspicace, passeur conséquent, accort zélateur de pessimistes grincheux, Roland Jaccard s'est tué deux jours avant de « fêter » son quatre-vingtième anniversaire. Voilà une forme d'élégance et une façon de perpétuer une tradition bien établie chez de nombreux helvétiques moroses (Giauque, Crisinel, Schlunegger, Roorda).

21 septembre 2021.- Une certaine fraîcheur s’installe (20°C). Le cadavre de Roland Jaccard n’est pas encore tout à fait froid et voilà déjà quelques bonnes âmes qui prennent la peine de sautiller dessus avec des airs satisfaits. Que voulez-vous, les égarements tardifs du bonhomme, son amitié avec Matzneff, ses penchants nympholèptes, tout cela mérite quelques bonnes anathèmes à la mode des temps qui nous occupent (temps que voulait certainement fuir Jaccard en se tuant lui-même). Comme rien ne va sans rien j’ouvre les Cahiers de Cioran et je tombe sur ces mots : « Toute présence me contrarie, me fait mal. Mon obsession du désert vient de tout mon être, de ma physiologie en particulier. J’aurais dû naître avant l’apparition des vivants ».

22 septembre 2021.- Beau temps (25°C). Feuilleté L’après littérature de l’Académicien Finkielkraut. Dérives post MeToo, rivages du politiquement correct, orwellisme rampant, je tamponne une grande partie des thèses étayées tout en me disant qu'elles tendent un peu à l'idée fixe, à la marotte. Au fond, à quoi bon vibrionner contre tout ça ?

24 septembre 2021.- Ciel dégagé (25°C). Ennui tenace, solide, quasi palpable. Comme tout est parfois simple, baguenaudant dans les écrits du vieux Valéry (Paul), je tombe sur ces deux trois lexies : « L'ennui est le sentiment que l’on a d’être soi-même une habitude, et de vivre… une non-existence sensible, comme si l’on eût la propriété de percevoir que l’on n’est pas. Percevoir que l’on n’existe pas ! L’ennui est finalement la réponse du même au même. »

25 septembre 2021.- Le vent se lève, le ciel se couvre (24°C). Finkielkraut est trop vitupérant, trop batailleur pas assez résigné, presque encore trop vivant... Car enfin, voyons, le vingtième siècle est derrière nous... et il le sera toujours.

26 septembre 2021.- Temps vaguement nuageux (23°C). Samuell Brussell est éditeur (Anatolia), il est aussi un peu écrivain. Aujourd’hui j'ai entamé l’un de ses livres, Alphabet triestin une courte petite chose qui tourne autour de Trieste, de ses librairies anciennes, de ses écrivains et de leurs textes perdus… C’est un peu fouillis et éclaté, tenant plus de la note diaristique ou du journal intime que de l’essai étayé, mais c’est tout de même assez joli. On croise Roberto Blazen cet écrivain sans œuvre qui ne publiera que des notes de bas de page (on le retrouve dans Le Stade de Wimbledon du fraîchement trépassé Daniele Del Giudice), Joyce, Svevo, Saba, Rilke… On se prélasse au Café San Marco… Bref, tout est presque pour le mieux.

Pour le reste bref retour dans le Dictionnaire de littérature mondiale de Dantzig, toujours agaçant. Rien (ou presque) : Ce qui fait le plaisir d’un journal, c’est l’accumulation.

27 septembre 2021.- Couverture nuageuse raisonnable, mais bien là (23°C). Hier Championnat du Monde de Cyclisme sur route. Magnifique victoire du pétulant Julian Alaphilippe. Ce matin dans l'Équipe beau papier enflammé d'Alexandre Roos qui perpétue la tradition des Pierre Chany, Antoine Blondin et autres Philippe Brunel : « Alors, voilà, il faut bien tenter de définir ce à quoi nous avons assisté dimanche, d'en déterminer la magnitude. L'an passé, nous avions écrit que le sacre d'Imola était la plus grande victoire du cyclisme français du XXIe siècle. Là, nous sommes tentés d'avancer que le triomphe de Louvain, ce doublé arc-en-ciel, est un des plus immenses exploits du sport français des vingt dernières années. Mais à vrai dire, c'est encore trop réducteur, tant la secousse n'est pas quantifiable, impalpable. Chacun l'aura ressentie à sa manière. Ce fut un tremblement de terre intime. Dimanche, nous avons touché au sublime. »

Nothing else.

28 septembre 2021.- Les nuages s'agrègent dans un bel élan bachelardien (20°C). Dans son Dictionnaire égoïste et mondial, Charles Dantzig recommande la lecture d'Histoire d'une ville de Mikhaïl Saltykov-Chtchédrine. Style rabelaisien et prescience des petites affaires bolcheviques, le menu est assez appétissant (Plus que Dantzig qui est toujours un peu fatiguant même s'il passe deux trois choses).

30 septembre 2021.- Ciel dégagé (18°C). Labeur saumâtre. Divers menus problèmes de santé. Je ne sautille pas. Picoré dans le Dictionnaire de Dantzig. Lu deux pensées de Milosz. Regardé trois peccadilles à la télévision (surtout pas un film). Scruté le plafond (de loin la chose la plus intéressante de cette journée) .

1er octobre 2021.- Grisaille (21°C). Dans le livre de Samuell Brussell, on apprend que la librairie d’Umberto Saba avait l’aspect d’une sacristie, d’une chapelle où l’on aurait presque pu venir prier. En somme un lieu de culte (comme toute librairie « authentique »). Une vitrine désordonnée, au sol et sur les étagères des livres en piles, une lumière pâle, des zones d’ombres et au milieu de tout ça, le poète, et accessoirement libraire, Saba. Les lieux étaient visités par Bruno Pincherle, un grand beyliste devant l’Éternel, par Giani Stuparitch, il y a quelque part un cliché photographique où on peut le voir papoter avec Saba, par Roberto Balzen (l’homme sans œuvre). Du beau linge.

Pour rester triestin, lire le Journal d’Anita Pittoni.

To be continued.


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