jeudi 12 septembre 2019

Psychogeographie indoor (93)



« Vivre ne fait pas toujours grossir, ou maigrir. Moi, ce qui m'a donné un peu plus de poids, c'est la routine sexuelle. Question de glandes... » (Georges Perros, Papiers Collés)


1.

10 mai 2019.- Temps plutôt nuageux (20°C). Bétonnière à droite, tondeuse à gauche, auto-tune en surcouche. Dans de telles conditions lecture impossible. Ah si, j'ai tout de même, mordillé un strip de l'ami Schulz. Snoopy et son ami l'oiseau ne sont jamais les derniers à vouloir sautiller.

11 mai 2019.- Pluie turpide, vent mauvais, rien de printanier (13°C). Not in the mood, like the weather. Still in Muray’s paper. « On purge bébé… » Great article and great defense of LF Céline’s literary remains attacked from all sides (Bounan and Co). As it happens, c'est aussi le cadavre du roman que Muray défend. Il constate qu'en faisant semblant de tout confondre, Céline et Destouches, puis Destouches/Céline et Bardamu, ses tourmenteurs font aussi fi de la moindre distance entre le romancier et les personnages qu'il a eu l'audace de créer. Or chacun sait que tout cela n'a rien à voir et que le Céline des romans barquignole bien au dessus de son vécu et de ses opinions frelatées ou non. Quelques pages plus loin Muray défend l'Aragon romancier, et il a bien raison de le faire. Plus loin encore bel éloge de Giono, de son Hussard sur le toit et d' Angelo ce personnage comme on en rencontre peu. Pour Muray il faut aussi défendre les personnages et il défend parfaitement l'Angelo de Giono. Que fait Angelo, avec le Cholera, la maladie, les morts et la menace de sa propre mort ? « Ce que fait Angelo, c'est tout simplement : rien » il risque bien sa vie pour sauver quelques malades trouvés sur sa route, mais il le fait sans passion « sans militantisme, sans acharnement caritatif », il n'est pas militant pour un sou, un militant « un engagé, c'est-à-dire un être de ressentiment, se sentirait coupable, ou au moins responsable, des drames qu'il côtoie », or Angelo n'intervient pas, n'est coupable de rien, mieux il traverse une Provence qui pue la mort, mais une mort pleine de charmes. Les cadavres sont parfumés au jasmin, le choléra est érotique, de son bec infecté un oiseau blesse le visage de Pauline de Théus, le camp du bien est loin.

12 mai 2019.- Matinée pleine de crachin puis midi passé un semblant de tempête, des vents à plus de 100 km/h, des nuages en constant excès de vitesse. À 17h00 le ciel était dégagé, le soleil enfin là (17°C). Mort de Jean Claude Brisseau grand cinéaste intuitif comme bonjour, grand naïf rattrapé par l'époque ?
Otherwise, Muray, Malraux, Claudel, Gide, Bataille… et Dieu dans tout ça ?

16 mai 2019.- Ciel bleu se couvrant chastement sur le tard (18°C). Après quelques menus tracas qui m'auront vu fréquenter d'un peu trop près un établissement hospitalier limitrophe, me revoilà, frais et pimpant, prêt à en découdre.
Petit tour chez Valéry (Paul) impeccable lorsqu'il s'agit de l'ami Beyle : « Peut-être l’accroissement de la conscience de soi, l’observation constante de soi-même conduisent-elles à se trouver, à se rendre divers ? — L’esprit se multiplie entre ses possibles, se détache à chaque instant de ce qu’il vient d’être, reçoit ce qu’il vient de dire, vole à l’opposite, se réplique et attend l’effet. Je trouve à Stendhal le mouvement, le feu, les réflexes rapides, le ton rebondissant, l’honnête cynisme des Diderot et des Beaumarchais, ces comédiens admirables. Se connaître n’est que se prévoir ; se prévoir aboutit à jouer un rôle. La conscience de Beyle est un théâtre, et il y a beaucoup de l’acteur dans cet auteur. Son œuvre est pleine de mots qui visent la salle. Ses préfaces parlent au public devant le rideau, clignent de l’œil, font au lecteur des signes d’intelligence, le veulent convaincre qu’il est le moins niais dans l’auditoire, qu’il est dans le secret de la farce, que lui seul sent le fin du fin. « Il n’y a que vous et moi », disent-elles. Ceci a fait merveille pour la fortune posthume de Stendhal. Il rend son lecteur fier de l’être. »
Otherwise, Claudel, la Chine, cette chose un peu drôle qu'est la mort dans l’Extrême Est : « La mort, en Chine, tient autant de place que la vie. Le défunt, dès qu’il a trépassé, devient une chose importante et suspecte, un protecteur malfaisant,— morose, quelqu’un qui est là et qu’il faut se concilier. Les liens entre les vivants et les morts se dénouent mal, les rites subsistent et se perpétuent. À chaque instant on va à la tombe de famille, on brûle de l’encens, on tire des pétards, on offre du riz et du porc, sous la forme d’un morceau de papier on dépose sa carte de visite et on la confirme d’un caillou. »
Nouvelles acquisitions : Philippe Sollers - Le Nouveau, Stefan Zweig – Erasme, Jacques Réda-L'Herbe-des-Talus, Gay Talese - Tout est affaire d'imagination.

17 mai 2019.-Pluie légère (14°C). Stunned by work. I forget this unnecessary day listening to Sittin ‘in my hotel a Ray Davies jewel.

18 mai 2019.- Ciel nuageux, trois éclaircies (17°C). Étant moi-même un peu escroc sur les bords, j'ai toujours beaucoup aimé les escrocs. Que voulez vous, Debord, Godard, Warhol ou le toxicomane Malraux ont toujours eu la tenace capacité de me faire sautiller en dehors de mes gonds de morosité. Philippe Sollers est un peu de cette trempe-là : escroc, margoulin, aigrefin au fume-cigarette, enfumeur en chef (on me souffle qu'il aurait aussi beaucoup de pouvoir, je m'en fiche). Ainsi, Le Nouveau son dernier très court vrai faux roman que j'ai lu dans la matinée (144 pages, c'est peu) est bien la petite chose d'une sorte d'escroc très maître de ses divers tours de passe-passe. Pour ne rien vous cacher, tout cela m'a ravi. Sollers en joyeux redevenu Joyaux y mélange un peu tout tout en nous donnant l’impression d'une homogénéité capillaire (dans le sens des ramifications veineuses et non des cheveux qu'il a d’ailleurs perdus). Son Nouveau est donc échafaudé avec moult éléments disparates : un navire familial, des segments biographiques, un faux roman, Mee Too, le politiquement correcte, la collision de deux étoiles à neutrons, Gide, Céline, Conrad… Shakespeare… surtout Shakespeare. Derrière les divers écrans de fumée, on sent poindre un semblant d’heureuse fainéantise, mais on s'en fiche assez puisque le tour est finalement assez finement joué. On est amusé, on rigole même un peu, tout est badin et non ostentatoire, même l'émotion, cette fin qui approche pour l'entité Sollers, est aérienne, c'est dire.

19 mai 2019.- Nuages, encore (14°C). Curiously asleep and without real desire. Nonobstant, short back in Chekhov’s correspondence.

23 mai 2019.- Ciel bleu Klein, petit goût estival (24°C). Stendhal diary : Chateaubriand est un médiocre, un irrémédiable médiocre qui ne parle que de lui-même « Cet homme shall not outlive his century. Je parierais qu'en 1913 il ne sera plus question de ses écrits ». Quant à Shakespeare il n'est pas mieux considéré. Son Hamlet est un couyon, le troisième acte de Roméo et Juliette sombre dans de ridicules roulades. Bref, l'ami Beyle est un peu acrimonieux. Reste la « conversation », mais je me demande si, en l'occurrence, elle n'est n'est pas pire : « Pour faire la conversation avec quelqu'un, nous étudions ses sentiments actuels et quand ces sentiments-là doivent augmenter à la pointe de notre chagrin, c'est une sottise que de continuer à être avec cette personne ».

24 mai 2019.- Weather mostly sunny (25°C). Le mercredi 24 mars 1813, Stendhal est froid, absent de toute passion, spleenétique pour tout dire. Le samedi 27 mars 1813, sa froideur perdure. Le mercredi 31 mars 1813, il se rend chez Mme Durbeill qu'il trouve insignifiante de bêtise. Voilà une « faveur passée » comme une fleur (elle était belle en 1810).
Nouvelles acquisitions : Karel Capek - Voyage vers le Nord, David Grann - Le Diable et Sherlock Holmes, Stefan Zweig – Érasme.


2.

25 mai 2019.- Lente dégradation nuageuse, orages tardifs (24°C). Entamé Le Diable et Sherlock Holmes un dodu recueil rassemblant quelques « non-fictions narratives » écrites par le toujours impeccable David Grann. Faux suicides et vrais meurtres, innocents échinés et coupables en goguette, le menu proposé semble appétissant. En tous les cas, les deux premières histoires, que j'ai boulotté dans la matinée étaient épatantes (un spécialiste de Conan Doyle est retrouvé mort avec un lacet autour du cou et une cuillère en bois dans la main, un pauvre bougre accusé d'avoir fait frire ses trois enfants dans un incendie très volontaire est rectifié par l'état du Texas, seul petit hic, le pauvre bougre était peut-être innocent…)

26 mai 2019.- Beau temps peu nuageux (22°C). J'écris ces lignes valétudinaires à l'ombre, le séant posé sur ma fidèle chaise de jardin et les jambes allongées sur une autre chaise, rouge et de « cuisine ». Quelques infinitésimaux moineaux me tournent autour des oreilles en gazouillant joyeusement et s'il n'y avait pas une lointaine conversation téléphonique tout serait presque parfait.
Qu'il parle du « caméléon » Frédéric Bourdin, d'un pompier amnésique retrouvé dans les décombres du World Trade Center ou d'un calamar géant David Grann est avant tout un formidable raconteur d'histoires. Si j'étais un peu malin, je dirais même que chez lui la réalité « fictionne » à qui mieux mieux.

28 mai 2019.- Temps pluvieux, éclaircies tardives (16°C). Pour diverses raisons je n'y suis pas. Ne voulant pas vous emmouscailler plus que ça je n'en dirai pas plus, motus bouche cousue.

30 mai 2019.- Belle journée ensoleillée (23°C). Morning. Dans l'un de ses reportages David Grann évoque les Sandhogs ces chiens de sable qui auront construit le système souterrain permettant aux New Yorkais d'avoir une eau pour ainsi dire potable dans leurs robinets et autres pommeaux de douches. Étrange synarchie souterraine qui quand elle ne creuse pas quelques proéminents tunnels trépasse de décapitation, décède sans jambes ou sans bras, meurt de chutes de pierres, de treuils et de stalactites, de noyade ou de plongeon de plusieurs dizaines de mètres. Les plus vieux et résistant expirant de silicose. Cependant rien d’absolument tragique, malgré la mort qui rôde tout ce petit monde aime son métier et ne semble ne pas s'en faire plus que ça. Que voulez-vous creuser des tunnels sans fin sous une grosse pomme doit être un poil grisant et en tous les cas pas à la portée de n'importe quel pousse wagonnet venu. Dans un autre reportage Grann tournicote autour de Forrest Tucker, un cambrioleur septuagénaire et un incontestable « roi de l'évasion » . Grande précision des informations, dialogue avec un peu tout le monde (la femme du héros, le héros lui-même, les policiers qui l'on appréhendé, la blanchisseuse du héros… presque), grand sens du portrait également. Grann est vraiment épatant et le lisant on se demande si son surjournalisme ne serait pas tout simplement de la littérature, c'est une piste à creuser.
Afternoon. J'ai fait l'acquisition de quelques fleurs de saison que j'ai rempotées gaillardement sous un soleil quasi estival. En menant ma petite affaire et les mains pleines de terre, je me suis souvenu de ces deux traits d'humour par deux des plus grands esprits du siècle dernier :
« J'ai perdu mon temps ; la seule chose importante dans la vie, c'est le jardinage.» (Sigmund Freud) « Pour réussir dans la vie, l'homme doit posséder une brouette.» (Alexandre Vialatte)

31 mai 2019.- Appétence estivale (25°C). Le soleil est enfin là et avec lui une multitude de petits oiseaux qui tournent autour de mon auguste tête en chantant joyeusement. J'ai passé une grande partie de mon après-midi en leur compagnie. Autant la disgracieuse poule, et en règle générale le gallinacé, est un oiseau assez peu captivant à observer, autant le petit oiseau chanteur, le moineau, le pinson, l'étourneau - pour tout dire le passereau - est savoureux à écouter quand il n'est pas plaisant, gracile et mignon à regarder. Pour tout vous dire, il me frappe le cœur. Ce faisant, entre deux regards enamourés sur mes petits volatils, j'ai tout de même poursuivi la lecture des Cahiers de mon ami Cioran. Je les picore chichement par petites becquetées gourmandes, il ne faudrait pas que je sois rassasié trop vite : « La seule manière de rejoindre autrui en profondeur, c’est de s’occuper de soi et uniquement de soi, de ce qu’il y a de plus profond en soi. Les “altruistes”, les philanthropes, les esprits “généreux” ne comprennent et n’aident réellement personne ; ce sont des gens qui ont de l’énergie à dépenser, un point c’est tout ».

1er juin 2019.- Quasi chaleur (28°C). Toujours plongé dans les « papiers » de David Grann, qui sont, je dois bien l'avouer, bien à mon goût. Un gang de suprématistes blancs embastillés qui pourrait être la plus grande organisation criminelle des États-Unis. Quelques paragraphes plus loin, une mafia locale (et donc universelle) et un shérif avarié, un comté de l'Ohio totalement corrompu et le FBI aux abois. Lisant tout ce toutim à on se demande si le socle de la société américaine ne serait pas tout bonnement le crime sous toutes ses formes. En tous les cas, c'est que laisse penser Grann.

2 juin 2019.- Beau temps presque trop chaud (31°C). Ce matin, jardinage, encore. Cet après-midi lu le début de White un assortiment d'articles où Bret Easton Ellis dézingue l'époque - les réseaux sociaux, le sérieux papale des jeunes - tout en se souvenant avec un poil de nostalgie de sa jeunesse à lui. Bref, voilà un de « vieux con » et comme moi aussi j'en suis un, je me permets de trouver tout cela très bien.

3 juin 2019.- Temps tiède et nuageux, orages lointains (30°C). N'étant pas les des plus grands zélateurs de son œuvre romanesque j'ai abordé le White de Bret Easton Ellis sur mon quant-à-moi et en méfiant tout de même un petit peu. Après cent cinquante pages d'une lecture assez attentive je dois dire que mes réserves préalables n'étaient pas vraiment fondées, tout d'abord parce qu’il n'y pas la trace du moindre romanesque dans tout ça, ensuite parce que je tamponne à peu près tous les avis développés par BEE. Sur une époque qui juge tout le monde à travers le prisme de la politique identitaire, qui expulse ceux qui osent interroger un tantinet le nouveau conformisme ambiant… sur le fait qu'aujourd'hui ânonner ne serait ce qu'un infime doute face à la doxa environnante résonne comme un tambourinant « crime de pensée »… sur les millennials ces gros bébés offusqués par leurs propres ombres… sur le sexe, les marchandises, les biens culturels si accessibles que le moindre désir s'est envolé depuis belle lurette… Évidemment d'aucuns trouveront tout cela « réactionnaire », ils auront tort, la manivelle de la morale  tourne sans cesse et l' obscurantisme sait se nicher chez ceux qui pensent le combattre (ce n'est pas une nouveauté) : « Ne pas être capable ou ne pas vouloir se mettre dans la peau de quelqu’un d’autre – afin de voir le monde d’une façon complètement différente de la vôtre – est le premier pas en direction de l’absence d’empathie, et c’est la raison pour laquelle tant de mouvements progressistes deviennent aussi rigides et autoritaires que les institutions qu’ils combattent ».

4 juin 2019.- Temps semi-nuageux, chaleur lourde (29°C). Lectoralement parlant aujourd'hui je me suis peut être un peu trop éparpillé. Pour commencer j'ai fini le livre de Bret Easton Ellis (la dernière partie où sont convoqués Kenny West et Donald Trump est moins intéressante) ensuite j'ai entamé ni plus ni moins que deux nouveaux volumes : le Modèle Italien de l'impeccable Fernand Braudel et Stockholm 73 un reportage initialement paru dans le New Yorker où un certain Daniel Lang raconte la prise d'otage ayant donné son nom au fameux syndrome scandinave. Je sais pertinemment qu'il faut dans la mesure du possible éviter les lectures multiples, mais là voyez-vous je n'ai pas été décontenancé plus que ça. Pour tout vous dire, je suis passé gaillardement des préliminaires chez Braudel au captivant début écrit par Daniel Lang. Pour couronner le tout et ne rien arranger j'ai même fini la journée en ouvrant un quatrième volume, en l’occurrence le second tome des Papiers Collés de l'ami Perros et voilà sur ce quoi je suis tombé : « La morale, c'est de savoir ce que pensent les autres, et d'essayer de les redresser pour qu'ils pensent comme nous. Rien de plus bête ». En somme du BEE en mieux, décidément tout est dans tout.


3.

14 juin 2019.- Temps pluvieux (21°C). Retour de la Côte Basque. Biarritz est très étonnante, elle ne ressemble pas à une ville provinciale. Le quidam en villégiature s'y sent comme dans la capitale d'un pays étranger imaginaire. Tout à la fois à Paris, en Espagne, en Russie, en Angleterre, et même au Pays Basque voyez-vous . Il faut dire que depuis le milieu du 19e siècle c'est une ville qui aura été bâtie par une foule d’aristocrates plus bigarrés les uns que les autres, des Anglais, des Russes, des Allemands, des Français Second Empire (plus tard c'est une petite armée « année folle » qui prendra le relais). La diversité architecturale frappe les yeux, il y a de grandes maisons basques, des palais napoléoniens (la Villa Eugénie), des cottages anglais, de faux palais et de vraies villas tordues à toit pointu, des bâtiments Art déco, des hôtels brutalistes soixante-dix en bord de falaise un village de pêcheur (de baleine), une grande église orthodoxe. Bref, tout est hétéroclite et hautement romanesque (cette ville est un appel à la fiction). Cinq, six kilomètres plus au nord sur les bords de l'Adour Bayonne est nettement moins hétéroclite. C'est une ville médiévale qui pèse tout le poids de son long passé. Belles fortifications, belle cathédrale, quais ensoleillés bordés par de multicentenaires maisons colorées… rien pour décevoir le visiteur. Au sud de Biarritz le village de Bidart est très bien aussi, authentique comme on dit avec son fronton de pelote locale et ses grandes maisons du cru. De surcroît, on y mange très bien. Pour rejoindre Saint-Jean-de-Luz, il suffit de passer par la petite Guéthary où est enterré Paul Jean Toulet et le tour est joué. Posée dans un décor féerique au pied des Pyrénées et au bord d'une baie épatante c'est une ville qui a peu de peine à paraître formidable aux yeux du visiteur. L'océan tente de la détruire depuis plus de six cents ans, mais Vauban et une bonne pelletée de gars du coin ont su y construire une grande digue protectrice. Belles maisons et belles villas encore. Seule ombre au tableau Le Casino, un gros pudding Art déco démoulé par Robert Mallet-Stevens qui cisaille le bord de mer et de facto coupe la ville en deux. En dehors du citadin la Côte Basque offre de multiples satisfactions pour qui sait s'égarer. Larges plages , rochers homicides, vagues à foison, surfeurs lointains… Ah j'allais oublier l'essentiel : l’autochtone ! Il est globalement asses fière de ses « racines », souvent diablement sympathique et en tous les cas prompt à la discussion.

16 juin 2019.- Orages et pluie diluvienne, devant l'apocalypse en marche j'ai du mettre mes géraniums à l’abri (23°C → 15°C). Les conditions météo étant ce qu'elles sont, lu au sec, en intérieur. Braudel et l'Italie. Cités états et capitalisme avant l'heure légale, mécènes éclairés et concurrence par les arts. En dehors de deux trois broutilles entre 1450 et 1650, l'Italie pourrait bien être impeccable.

17 juin 2019.- Ciel dégagé température idéale (22°C). Chez l'ami Braudel entre 1550 et 1650, l'Italie connaît des temps extraordinaires. Elle crée le théâtre moderne, crée l'opéra, crée les bases de la science fondamentale, devient un surprenant laboratoire politique où tout le monde donne son avis : le barbier, l'artisan, l'homme de culture, le paysan, le passant qui sifflote en bord d'Arno. Milan recrute musiciens et violonistes, Crémone fabrique luths et violons, Mantoue est remplie d'une troupe de comédiens, une masse grandissante d'Italiens participe au fleurissement des arts et du bon goût. Bref, on se demande si les temps décrits par Braudel ne seraient pas mieux que les nôtres, mornes, numériques et proprets.

18 juin 2019.- Temps tiède et nuageux (30°C). Je n'ai pas vu venir le printemps et voilà l'été. La sève ne dort plus, une sorte de gaieté luit sur les feuilles, mais il fait déjà presque trop chaud, et j'envisage dès à présent, de confuses soifs, une horrible sécheresse. Pour le reste, rien ou presque, je suis assommé par le labeur.

20 juin 2019.- Temps tiède et orageux (28°C). L'été enflant j'exhume pantacourt et espadrilles. Il faut savoir préférer le confort le plus immédiat aux diktats de la mode et du supposé bon goût. Retour dans les Cahiers du toujours primesautier Cioran : « Si on cesse d'avoir peur de la mort, la vie devient tout à coup belle, fascinante, et entièrement inutile ». Georges Perros n'est pas pire : « On cloue les cercueils comme si on avait peur que les morts s'envolent ».

21 juin 2016.- Averses (24°C). Ce soir c'est la fête de la musique, heureusement il pleut. Nothing else.

22 juin 2019.- Temps torve et changeant, quelque chose se prépare, on annonce des températures sahariennes pour la semaine prochaine, la méfiance s'impose (23°C). Fini mon Braudel italien, très instructif. Pour mes lectures suivantes, je ne sais pas encore sur quel moignon sautiller. Je pense finir le Journal de Stendhal, finir la correspondance de Tchekhov, retourner un peu dans les Papiers Collés de Perros.

23 juin 2019.- Journée ensoleillée et frôlant la tiédeur (29°C). Hier soir vie sociale, un peu trop bu (la soirée était étonnante, j'ai croisé un chat borgne)). Ce matin réveil tardif. Cet après-midi après un déjeuner léger lu trois lettres de Tchekhov avant de tomber dans une sorte de léthargie post alcoolique qui s'est bien vite transformée en vrai sommeil. À mon réveil lucide, mais encore un peu flottant, pris la direction d'une jardinerie et fait l'acquisition de quelques fleurs qui ne me demandaient rien. Je viens de les rempoter chichement avant d'écrire les trois lignes que vous êtes en train de lire. Pour tout vous dire, j'en suis là.

24 juin 2019.- Amorce caniculaire (33°C). La chaleur pointant le bout de sa truffe attiédie, le courage de lire me quitte pour ainsi dire derechef. Malgré cela j'ai tout de même lu quatre pages du gros Cahiers de l'ami Cioran. Rien de vraiment frais, rien de sautillant, mais je tamponne les quelques mots qui suivent de mon sceau de haut parage : « Ce sentiment étrange lorsqu'on est lâche, qu'on le sait et qu'on savoure sa propre lâcheté »


To be continued.


1 commentaire:

JackSummers a dit…

pudding Art déco démoulé par Robert Mallet-Stevens