« Raté. Pour rater sa vie, il faut avoir souhaité une réussite. Qu'est-ce à dire ? Le raté est celui qui a renoncé à l’énergie de sa décision. Qui fait passer par les autres, par leur verdict, leur amour et leur haine, bref leur témoignage, ce qu'il eût dû garder secret. De la grande majorité des hommes nous ne disons pas qu'ils sont ratés. Mais de certains êtres qui donnent à leur situation anecdotique un je-ne-sais-quoi de regrettable. Il y a très peu de vrais ratés. De ratés réussis.» (Georges Perros, N.R.F. nº134, 1er février 1964)
1.
6 octobre 2018.- Journée ensoleillée (25°C). Malade depuis trois jours je n'y suis pas vraiment. Tout de même entamé Impression d'un passant à Lausanne de l'ami Cingria. Au bout de trois-quatre pages, comme rien n'est jamais vraiment simple avec le plus italo-levantin des Helvètes, je suis déjà bien loin de Lausanne, dans les pas de Jean Daniel Abrahm Dovel, un vaudois mystique luttant contre la tutelle bernoise qui sera décapité en 1723.
7 octobre 2018.- Averses, chute des températures (14°C). Encore malade. Fini mon petit Cingria, toujours très bien, éparpillé entre le haut moyen âge, la géographie digressive et la métaphysique pure et simple. Un délice de lecteur averti.
8 octobre 2018.- Temps bien morne et automnal (15°C) Still a little sick. I drink an Indian tea while watching the ceiling. Today I will not have read anything. Nouvelles acquisitions : Sandor Marai - Mémoires de Hongrie, James Ellroy - Reporter criminel, Pierre Guyotat - Idiotie, Michael Imperioli - Wild side.
9 octobre 2018.- Du soleil, mais partiellement (18°C). Encore un peu malade. Lu trois poèmes de l'ami Pirotte. D'une humeur étonnamment velléitaire, j'ai ensuite levé mon séant et me suis dirigé à pas feutrés vers ma bibliothèque. Là, tête de guingois et muscles relâchés, j'ai arpenté mes planches à livre d'un regard semi-attentif et suis tombé sur Big Sur un volume du fameux beatnik réactionnaire Jack Kerouac. Ce n'est pas son livre le plus réputé, mais il est tout de même très bien. L'ami Ti Jean est déjà assez étiolé, mais il est surtout très enquiquiné par tout ce qu'il avait inventé à l'insu de son plein gré : les beatniks, les hippies, la contre-culture ce genre de trucs et machins dépeignés qui le fatiguent bien plus qu'autre chose. Le voilà donc réfugié loin du brouhaha beat à Big Sur sur les bords du Pacifique. Plus panthéiste, bouddhiste et vieux catholique en loucedé qu'autre chose il se noie dans la nature, habite dans une cahute qui ressemble à une grotte augiérasienne, parle aux étoiles et bois un plus que de raison… Évidemment, tout cela ne dure pas, l'ennui, le mal-être, la solitude lui pèsent sur les omoplates avec une lourdeur raisonnablement ontologique. Même la nature semble lui en vouloir et le voilà bientôt de retour dans la ville brumeuse si mal célébrée par Scott McKenzie et Maxime Le Forestier. En somme, la boucle est bouclée, et la boucle est pour le moins méphistophélique.
Puisque j'ai encore la langue un peu levée, je profite de mon bref passage en ces lieux fangeux pour vous signaler que l'ami Kerouac, et notamment l'ami Kerouac terminal, était un type très bien. Un type libre de se tuer dans l’alcool, libre de se gâcher et de ne rien donner à ce consortium problématique que forme la société. Libre de ne pas être concerné par un monde offrant toute une gamme de pesanteurs mordorées. Libre de ne pas être politique au sens merdeux. Nouveau Redneck, il se réfugie dans les jupes de sa génitrice entre deux delirium tremens … On le trouve puant de conformisme, alors que lui n’est que désolation, entre son frère mort, ses problèmes d’identités mal assumés, une vraie féerie morose. Tout ça finira mal dans un genre de glauque divertimento franco-canadien au milieu des reptiles et de la fièvre. Ensuite, le silence, la mort… Les écrits restent.
11 octobre 2018.- Beau temps persistant plus que de raison (26°C). Ne m'en voulez pas trop, je suis las sans être vraiment là. Lu deux poèmes ombreux de l'ami Pirotte et puis ces deux lignes déplantées chez Cioran : « Tous ces critiques littéraires, dramatiques, etc. Passer sa vie à juger les productions des autres, faire fonction de dieu, mais d'un dieu stérile, incapable d'un sursaut de vie. » Pas mieux.
12 octobre 2018.- Grande douceur, ciel se couvrant petit à petit, l’automne, enfin ? (25°C). Malgré ses arpents parfois bien fatigants, j'ai aujourd'hui entamé une petite chose de James Ellroy. Il s'agit d'un recueil de deux nouvelles non fictioneuses parues dans le magazine Vanity Fair et publié par chez nous sous le titre de Reporter criminel (Rivages). Rien de vraiment glamour au menu, deux donzelles sauvagement assaisonnées dans un pied-à-terre new-yorkais, l’assassinat pour le moins hasardeux de l’impeccable Sal Mineo dans un cul de sac de West Hollywood… Deux affaires hypra tangibles et loin de la fiction. Après avoir lu trente pages de la première histoire, je suis assez émétisé et guère sautillant.Il faut dire que rien ne nous est vraiment épargné, l'épeurant Ellroy écrit sa petite affaire avec l'appétence d'un autopsieur en chef. Il y même des photographies qui « enjolivent » le texte. On peut y voir des couteaux cassés et de saumâtres taches de sang. Disons qu'à défaut d'être du Capote en mieux, c'est du Capote en pire, c'est déjà ça.
13 octobre 2018.- Le soleil est bien là, mais il est trop bas pour être honnête (26°C).Ellroy écrit comme un croque mort précis et factuel, ou pourrait s'en réjouir, je ne sais pas s'il le faut… En attendant dans la seconde partie de son bouquin (Reporter criminel), il assassine un peu Sal Mineo une seconde fois (visiblement les acteurs trucidés, ou pas, ne lui inspirent pas un très grand respect). Pour le reste, je suis sans trop d'envie et assez morose.
14 octobre 2018.- Ciel changeant (23°C). Grand retour du voisinage. Cris et vociférations festives, mais que font ces gens ? Rouvert le gros volume Quarto de l'ami Perros. Aux environs de la page six cent nous voilà en 1964, Perros vient de faire paraître ses impeccables Poèmes Bleus, il travaille de moins en moins pour le TNP (Georges Wilson vient de remplacer Jean Vilar), correspond avec Jean Paulhan et Michel Butor et écrit toujours de courtes petites choses dépareillées pour la NRF. Ces petites choses dépareillées qui ne sont pas le pire chez lui.
15 octobre 2018.- Nuages, nuages ! (19°C). Inondations dans le Sud de la France. Le sol n’absorbant plus rien, des gens se noient. Il faut dire qu'il n'y a plus vraiment de terre, que l'agriculture est trop intensive, les haies absentes et les routes, ronds-points et parkings trop présents. L'eau ne sait plus où donner de la vague. Otherwise still with Perros (qui parle de Sartre).
16 octobre 2018.- Soleil et douceur (24°C). Chez Perros : « L'ennui, c'est qu'on ne peut être valablement, fortement communiste, que tout seul. » Rien d'autre.
18 octobre 2018.- Pas la moindre goutte de pluie, cet automne printanier dure plus que de raison (23°C). Picoré chez Pirotte, Perros et Thomas. Entamé une petite chose anti libérale de Jean Claude Michéa (Le loup dans la bergerie).
19 octobre 2018.- Ciel partiellement ensoleillé (19°C). Perros dézingue Sollers, pour lui c'est un petit maître es syntaxe qui noie ses mots dans des blancs raisonnables. Huguenin est encore pire, son Journal est une jungle de microbes. Quant à Edern-Hallier, qui le visite pourtant de temps à autre, il ne lui fait ressentir qu'un agacement vaguement résigné. Bref, Perros n'est pas très Tel Quel : « Passe à travers tous ces individus très doués, mais n'allez par leur dire, ça fait vieux jeu, passe un courant d'air de désastreux infantilisme qui les rend d'une susceptibilité dont un romantique de l'an trente aurait lui-même eu honte. »
20 octobre 2018 .- 16h30 ciel bleu jaune, ou jaune bleu, je ne sais pas vraiment qui du bleu ou du jaune domine. En tous les cas rien de vraiment réjouissant même si la douceur est encore un peu là (18°C). Pas plus d'entrain que d'inspiration, je fluctue confusément entre ennui ontologique et vague courroux devant le ressac du quotidien. Cela ne m’empêche pas d'être encore avec Perros, qui est parfois bien chagrin lui aussi. En 1966 il est renvoyé du cours d'art dramatique qu'il donnait dans un lycée douarneniste. Les raisons de ce renvoi sont obscures, mais Perros ne semble pas si affecté que cela. Juste après son éviction il répondra aux questions de Bernard Séverac un militant communiste qui se trouvait être éducateur dans le même lycée. Il y sera question de la Bretagne de Sète et de Paul Valéry, du Théâtre et de la poésie en règle générale. Quand Bernard Séverac lui demandera si le poète écrit pour être lu ou pour lui même, Perros lui répondra avec un poil d'esprit qu’ « un poème est fait pour être lu, comme une femme pour être caressée. Un poème vieux garçon, ça n'existe pas… »
Par ailleurs, quelques pages et quelques mois plus tard ces mots sur Jean Paulhan me semblent très bien : « Rien de plus facile que la lecture de Jean Pauhlan. On se laisse aller, puis tout à coup on se demande ce qu'il se passe. On a fini, mais a-t-on seulement commencé ? Alors on refait la lecture à l'envers. Et on s’aperçoit, en fait que le mystère, c'est l'autre, en l’occurrence soi-même, face à un bloc irréductible. »
19h36 la nuit vient de tomber. Je rouvre le lourd volume qui rassemble les Essais de Philippe Muray. Il tournicote autour de Céline et de ses temps pamphlétaires qui sont tout autant ses temps hygiéniste qu’ antisémites. Disons que de 1936 à 1941, de Mort à crédit à Guignol’s Band c'est le médecin (positiviste?) qui domine.
21 octobre 2018.- Glissement progressif vers l'automne (15°C). Muray, Freud, Camille Flammarion, Auguste Comte, Céline… L'antisémitisme hygiéniste de Céline, un antisémitisme de médecin fou… Les « poèmes positivistes » d’Auguste Comte, cet ordre et ce progrès qui finiront sur le drapeau d'une république du sous-continent américain (en l’occurrence le Brésil de Benjamin Constant Botelho de Magalhães). Les écrits bien étranges de Camille Flammarion, cet astronome défroqué qui finira un brin occulte. Céline et Freud qui auraient pu se frôler pendant l'hiver 1932-1933. Mort à crédit, Guignol’s Band, Le pont de Londres, le génie de Céline qui est, quoiqu'on en dise, aussi niché dans ses abominables pamphlets. Disons que l'on ne s’ennuie pas avec Muray.
23 octobre 2018.- Brouillard matinal, beau temps frais par la suite (15°C). M'étant coupé le bout de l'index droit au labeur j'approuve beaucoup de mal à écrire ces lignes qui seront donc courtes (cela m’arrange bien puisqu'en dehors d'être droitier j'étais sans la moindre inspiration).
D'Eric Neuhoff je ne connaissais que la cravate tricotée, quelques bons mots distillés dans le Masque et la Plume (que j’écoute de plus en plus rarement) et une réputation de néo hussard qui commence à dater. Ce matin j'ai ouvert pour la première fois l'un de ses livres. Il s'agit de son Dictionnaire chic de littérature étrangère. Pour tout dire, ce volume qui est parvenu jusqu'à moi par un hasard tout à fait casuel n'est pas vraiment un dictionnaire, mais plutôt un recueil d’articles, il n'y est pas vraiment question non plus de « littérature étrangère », mais plutôt de littérature anglo-saxonne. Disons que l'on est un peu trompé par la marchandise, mais que la marchandise reste chic. Bons mots, bon goût, désinvolture bien repassée, sans voltiger à des altitudes stratosphériques Neuhoff ne déçois pas vraiment. Par ailleurs ce matin également entamé Amère Patrie de W. G. Sebald. Littérature autrichienne, recherche du village initiale, Heimat et paradis perdu… L'altitude est certes bien haute, mais on s'ennuie un peu.
2.
24 octobre 2018.- Beau temps de demi-saison (16°C). Toujours le doigt coupé, je scribouille donc péniblement. Labeur irraisonnablement tardif jusqu’à 4h30. Me suis seulement endormi aux environs de 5h15 pour me réveiller à 7h00 (les poubelles!), j'ai ensuite fluctué dans une demi-somnolence jusqu'à 10h00. Après tout ça, vous comprendrez aisément que je ne sois pas vraiment en mesure de vous expliquer en détail ce qu'est la Heimat. Je dirai seulement, et un peu simplement, que pour Sebald, et Kafka, la Heimat est le « bon lieu », ce berceau que tout émigré voit miroiter tel un Shangri-La liminaire, mais que le « bon lieu » est aussi le cimetière des juifs, le seul arpent de terre baigné de fraîche verdure et de senteurs printanières pour les habitants du ghetto : « il ne vient jamais à l'idée pour un juif de l'Est de planter un arbre ou de semer une fleur, c'est seulement entre les pierres tombales que germe une herbe verte, seulement sur la tête des morts que flotte le parfum des fleurs ».
26 octobre 2018.- Quasi froideur ! Nous serons donc passés d'un interminable été indien à un hiver qui s'annonce d'ores et déjà assez boréal. Il n'y a décidément plus de saisons (11°C). Trois pages de Sebald (sur l'impeccable Altenberg). Nothing else.
27 octobre 2018.- Pluie et froideur (6°C). « À côté de moi est posé le chapeau de feutre gris que je préfère, le petit chapeau impérial de chasseur de chamois. Il me rappelle tout ce que j’ai perdu, TOUT ! Je l’ai acheté à Mürzzuschlag, après avoir longtemps cherché. C’est mon chapeau idéal. Maintenant je le regarde, avec une profonde tendresse, comme s’il détenait encore dans les fibres de son feutre l’atmosphère et les senteurs claires et vivifiantes du paradis du Semmering. »
Pour Sebald Altenberg est un autre Baudelaire, un flâneur qui ne sentant nulle part chez lui déménage une multitude de fois (Baudelaire aura eu quatorze adresses différentes entre 1842 et 1858), un dandy noctambule à la vie vouée à une belle ruine certaine, un merveilleux poète, mais aussi, selon Schnitzler, un Schubiak, une vermine… Tout cela est certainement vrai et le rapprochement de Sebald pas vraiment idiot (si je peux me permettre). Quelques pages plus loin me voilà devant un grand château avec K, un arpenteur pour le moins messianique dont je me demande s'il est en définitive vraiment du côté du bien.
28 octobre 2018.- Ciel gris suicide (9°C) Heure d'hiver, la nuit tombe à 17h00, merci bien ! Dans Amère patrie Sebald nous rappel que les états de transes narratives de l'ami Roth étaient certainement atteints grâce à son penchant très prononcé pour les boissons fortement alcoolisées et à son aversion spectaculaire pour les aliments solides (selon quelques-uns de mes informateurs les plus diligents le Roth terminal n'aurait pas pris le moindre repas pendant plus de trois ans) . Sebald nous rappelle aussi, ce que nous savions déjà, que tous les personnages de Roth sont d'une manière ou d'une autre, nostalgique de leur village initial, leur Heimat. Il constate que le Roth approchant de la (sa) mort et le plus proche de la (sa) vérité. Suivent quelques belles pages consacrées à Jean Améry, demi-juif autrichien, émigré, résistant, déporté, rescapé et grand témoin qui finira suicidé dans un Hôtel de Salzbourg en 1978. Trajectoire tragique, trajectoire curieuse, de l'amour de l'Autriche, à sa détestation, une détestation proche de celle de Thomas Bernhard, mais en mieux.
29 octobre 2018.- Pluie légère, mais continuelle, froideur (5°C). Il est 17h28, la nuit est déjà noire, si noire qu'elle pourrait être novalisienne. De son côté Éole, qui n'est pas le dernier à faire le mariole, fait des siennes, on annonce des rafales à plus de 160 km/h sur la Corse, à Venise la place Saint-Marc est déjà sous les eaux. Bref, nous voilà bien. Pour le reste, rien lu, il fait bien trop sombre.
30 octobre 2018.- Trois flocons matinaux, un coup de vent, une belle éclaircie (10°C). Cioran, ses Cahiers, l'amitié : « Ce qu’on demande à un ami, c’est de mentir, c’est de ne pas nous dire la vérité. C’est pour cela que l’amitié est une chose si éprouvante, et si impure. Le souci permanent de délicatesse qu’elle suppose est antinaturel. On se sent à l’aise avec tout le monde, sauf avec les amis. »
1er novembre 2018.- Pluie et brume, nuit précoce, Toussaint morne plaine (9°C). Ces trois lignes du primesautier Novalis qui me semble en parfaite coalescence avec la journée censée nous occuper : « Si notre vie corporelle se consume, il se peut que notre vie spirituelle soit une combustion (mais n’est-ce pas justement l’inverse ?) La mort, donc, serait une modification de la capacité. » (Péché tout cela dans l'Amère patrie de Sebald, ouvrage que j'ai mollement terminé ce matin, ce n'est pas son meilleur). Autrement le dictionnaire chic de Neuhoff est un peu charmant, mais pas très bon. Par ailleurs, dans Le Loup dans la bergerie Michéa, un type portant bonnet, toupille assez rationnellement autour du libéralisme et de ses insidieux suintements vers la gauche morale, il est aussi un peu question des rézosocios, assez judicieusement me semble-t-il : « la différence entre un ami réel et un « ami Facebook » permet de mesurer à quel point le développement du monde ambigu des « réseaux sociaux » et de la connexion généralisée est directement proportionnel au déclin des relations sociales en face à-face) ». Ce sera tout pour cette journée qui fut bien morose.
3.
2 novembre 2018.- Brumes matinales, journée globalement ensoleillée par la suite (11°C). Mon travail de Romain faiblement rémunéré m'ayant contraint à soulever une quantité déraisonnable de lourds produits manufacturés aujourd'hui je fus, une fois rentré chez moi, dans l'incapacité la plus totale d'ouvrir le moindre ouvrage. Que voulez-vous mes épaules, mes bras, mes mains, mes doigts ne fonctionnaient presque plus et étaient en tous les cas bien incapables de fournir l'effort minimum nécessaire à un simple « tournage » de page. C'est bien dommage, car, par goût et par nature, je préfère nettement la lecture volontaire à l'haltérophilie forcée.
3 novembre 2018.- Nuages (9°C). Poursuivi la lecture du Loup dans la bergerie de Jean Claude Michéa. Je partage l'essentiel de ses vues sur les méfaits du post libéralisme avancé (que ce soit dans les domaines culturels, sociétaux ou économiques) mais n'étant pas vraiment marxo-debordien je ne m'en offusque pas plus que ça. C'est un peu le défaut de Michéa, il s'attaque à une idéologie indubitablement totalitaire, soyons clairs Jeff Bezos et Mark Zuckerberg sont effrayants, mais il le fait en pêchant un peu trop systématiquement chez Marx (qui a pour lui le fait de n’être vraiment pas de gauche) et Debord (qui s'il avait eu le moindre pouvoir politique serait devenu une sorte de khmer éthylique).
À l'alternat entamé Eux, et nous de Dominique Meens. C'est le troisième volume de son Ornithologie du promeneur et le premier qui tombe entre mes pattes. Disons que cet objet littéraire rempli de volatiles est pour l'instant bien intrigant. On y passe précieusement de la buse à l'ortolan tout en se demandant sur quelle patte sautiller. Celle d'une heureuse chrestomathie découpée pour l'heureux petit nombre ou celle de l'ennui, pur, simple et massif ?
4 novembre 2008.- Brume, soleil, nuit précoce (9°C). Fini mon Michéa follement anti libéral (un peu fatigant et un peu trop Alain Soral du riche à la longue). Toujours avec Dominique Meens et ses volatiles. Son livre est un objet littéraire déconcertant (un OLD) qui ne se gène pas pour passer des alexandrins à l'histoire naturelle quand ce n'est pas de la poésie lactescente à une sorte de science-fiction assez tarabiscotée et pour le moins toquée. La prose est toute bizarre, tout de guingois. Rien de plus normal, c'est un oiseau qui tient la plume.
8 novembre 2018.- Ciel globalement nuageux (11°C). Victime de quelques menus tracas et autres vicissitudes je n'y suis pas vraiment. Veuillez donc me considérer comme en stand-by.
9 novembre 2018.- Ciel changeant, relative douceur (16°C). D'une humeur peu badine, j'ai refait un petit détour par L'Oberman de Senancour. Je n'aurai pas du, me voilà encore plus morose, spleenétique pour tout dire.
10 novembre 2018,- Pluie et vent, douceur (16°C), Fini le court opuscule de Dominique Meens, Bien difficile à lire, rien de plus normal c'est écrit en oiseau par un oiseau, J’enchaîne avec Dernier jour à Budapest, un objet littéraire plus simple d’accès (c'est traduit du hongrois) où Sándor Márai entre en coalescence avec Gyula Krúdy (l'un de ses maîtres anciens), Flânerie entre Buda et Pest, balade en calèche, bains turcs et nostalgie de la nostalgie, pour l'instant je ne suis pas vraiment déçu.
11 novembre 2018,- Ciel gris jaune, vent moyen et molle douceur (18°C), Humeur aliphatique, conditions lectorales déplorables…du bruit… du bruit… encore du bruit ! A Paris grande parade militaire, on célèbre le centenaire de la « der des ders » Les pompes sont grandes, très grandes. Posé au milieu de la tribune le président américain semble s'ennuyer solidement, il regarde le ciel avec un air de benêt autistique, le président russe s’ennuie aussi, mais d'une façon plus raide, plus martiale, moins fleur au fusil, moins poétique pour tout dire.
Pour le reste, en dehors du commémoratif béat, je suis toujours planté à Budapest avec Sándor Márai et Gyula Krúdy. Voilà d'incontestables Hongrois. Le hongrois est (était) généralement un type robuste, mais assez nostalgique. Il faut dire que pour la robustesse il a (avait) de qui et de quoi tenir. Que voulez-vous il découle d'une peuplade qui des steppes d'Asie Centrale à l'Oural, de bords de la Mer Noire à la Pannonie ne cessa de gigoter pour mieux se fixer dans une plaine européenne, ou presque . Quant à la nostalgie, n'en parlons pas. Le hongrois primitif ayant eu bien du mal à tenir en place son descendant inconsciemment ou pas sera toujours nostalgique des territoires, qui l’on fait, mais qu'il n'a pas occupé ou traversé ( disons que le hongrois est nostalgique de sa steppe initiale). Dans le livre de Márai, qui est tout de même très hongrois, tout ne peut donc être que nostalgique et un poil robuste. On se trempe dans les bains turcs tout un faisant un bel éloge des bedaines proéminentes et de leurs plis secrets, on s’enivre dans les Cafés littéraires tout en se souvenant d'un temps qui ne valsait pas encore avec les normes hygiénistes. Márai décrit merveilleusement les bords du Danube. Sa prose enfle au fil des pages, se phrases se rallongent, ses mots prennent des teintes quasi orientales… Bref, tout cela est décidément très hongrois : « … le rôle de l’écrivain n’est pas de prêter attention à ses poumons et à son cœur, non, le rôle de l’écrivain est de prêter attention à son âme et à son esprit et, d’accord, le café n’est pas du tout bon pour la santé, au sens médical du terme ou du point de vue sportif, mais au sens littéraire, le café est le seul milieu sain où les écrivains sont quelque peu protégés des tentations du monde, des tracasseries administratives et de la brutalité de l’argent ; certes, la nicotine et la caféine useront leurs poumons et leur cœur, mais leur esprit s’épanouira, ce qui est le plus important. Votre Grandeur sait, et moi aussi, ce que tous les anciens écrivains savaient : il n’y a pas de littérature sans les cafés. Monsieur Petőfi n’allait pas faire du ski mais il allait au Pilvax, monsieur Vörösmarty ne fréquentait pas la plage, mais le Taureau d’or. Oui, la différence est énorme. Pourquoi irais-je lire les vers d’un poète dont je saurais pertinemment que, tous les matins, il obéit aux instructions du Mein System et pratique ses mouvements de gymnastique et que, à l’aube, obéissant cette fois à la radio, il s’allonge sur le parquet pour jeter ses jambes en l’air, à l’instar des courtisanes qui assurent leur subsistance en gardant leur ligne ?… Moi, je n’accorde aucun crédit à une telle littérature, monsieur. Que la littérature reste fidèle à elle-même, à ses règles, à son atmosphère, ses plats, ses boissons, son mode de vie et à tout ce qu’il faut à un homme pour que, parfois, lui vienne à l’esprit ce qui n’est encore jamais venu à l’esprit d’un autre et qu’il l’exprime ensuite également sous la forme d’une œuvre d’art. Il se peut que les écrivains qui ne jouent pas au billard, les écrivains qui vivent de façon hygiénique, les écrivains dont l’ambition est de devenir de bons coureurs de fond ou des nageurs de brasse, soient des gens sains mais, dans leur âme, ils sont infidèles envers la littérature, laquelle n’est jamais vraiment une forme de santé, mais quelque chose de différent, quelque chose de dangereux et d’antinaturel. »
13 novembre 2018.- Temps nuageux et assez doux pour la saison (16°C). Étant pour le moins saisi par moult tracas liés « aux petits aléas du quotidien » je n'y suis pas vraiment. Cependant, j'ai tout de même achevé la lecture du Dernier jour à Budapest de l'ami Márai. Soupe et pot au feu, bière et tokay, hôtel miteux et petits suicides au débotté. Voilà une Budapest qui ne manque pas de sel. La mienne en manquait un peu. J'ai visité cette ville en vitesse il y a déjà huit ans et je me souviens tout juste d'un gros pudding en bord de Danube (le parlement), de deux trois splendeurs décaties posées sur une colline, du Marché des Pécheurs, des traces de balles sur les façades, de quelques cuisses graciles aux alentours de la gare Centrale. Bref, rien de vraiment austro-hongrois.
To be continued.
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