lundi 20 août 2018

Psychogeographie indoor (84)





« Presque toutes les sottises que profèrent les intelligents comme les imbéciles viennent d’une arrière-pensée finaliste. (Exemple Fénelon : “ L’eau est faite pour soutenir ces prodigieux édifices flottants que l’on appelle des vaisseaux. ”) (Cioran, Cahiers)



1.

17 mars 2018.- Sans soleil (9°C). Lu cinquante pages de la Note Américaine (David Grann). Plus qu'une enquête sur le meurtre de quelques Indiens Osages à l'orée des années vingt c'est, pour l'instant, une plongée historique au fin fond du Midwest et de l’Oklahoma de ces années là. Dans ces régions pour le moins rudes l’état n'existe quasiment pas, la police est encore balbutiante et d’innombrables conglomérats de bandits multitâches trucident en toute quiétude. La ruée vers le pétrole remplace la ruée vers l'or et les autorités « compétentes » déplacent les Indiens au petit bonheur la chance. Comme le hasard fait parfois bien les choses, la tribu des Osages est déménagée à l'insu de son plein gré sur un vaste et prolifique champ de pétrole et ses membres deviennent soudainement riches à foison. On en voit certains se faire implanter des dents en or et construire de grandes maisons en bois qui font assez vite de l'ombre à leurs anciens tipis. Évidemment, tout cela engendre moult jalousies et voilà bien vite des meurtres, et même des meurtres en série. J'en suis là.
Dans Libé(ration) beau papier de Pierre Bergougnioux (68 et l'ennui, les arides salles d’études et les froids corridors, les blouses grises et les surveillants généraux…)
Tableau du jour : Icare (Jazz) - Henri Matisse : « En art, le réel commence quand on ne comprend plus rien à ce qu'on fait, à ce qu'on sait, et qu'il reste en vous une énergie d'autant plus forte qu'elle est contrariée, compressée, comprimée. Il faut alors se présenter avec la plus grande humilité, tout blanc, tout pur, candide, le cerveau semblant vide, dans un état d'esprit analogue à celui du communiant approchant de la Sainte Table. Il faut évidemment avoir tout son acquis derrière soi et avoir su garder la fraîcheur de l'Instinct. »

18 mars 2018.- Température trop froide pour la saison. À Paris il neige, c'est dire ! (7°C). En lisant la Note américaine, on se demande où David Grann est allé pêcher toutes les informations – et même les photographies – qui forment le squelette de son récit. Sans vraie réponse on ne peut qu'admirer ce travail considérable tout en constatant que les meurtres d’Indiens se poursuivent avec une régularité métronomique qui n'empêche aucunement la variété (Empoisonnements, étouffements, revolverisations de tous calibres, explosions, étranglements...). Les diverses enquêtes périclitent et l'on sent poindre comme un début de conspiration. Aux alentours de la page cent, le jeune Hoover et le FBI naissant entrent en piste, le livre bascule un peu ailleurs (Grann décrit très bien les débuts de la fameuse officine, c'est instructif).

19 mars 2018.- Une belle et longue éclaircie dans l'après-midi (8°C). Profitant d'une journée sans labeur et de quelques rayons de soleil je me suis risqué à lire en extérieur. La demi-saison n'étant pas vraiment là je me suis assez vite retrouvé semi-ravi avec la tête toute chaude et les pieds bien froids (ils étaient à l'ombre). En parlant de pieds froids, je dois bien constater que l'opuscule à tendance indienne de David Grann est tout à fait formidable. Il fait dire que l'on se laisse assez facilement passionner pour toutes ces histoires d'Indiens trucidés, pour ces assassins sans scrupules, par ces primo agent du FBI qui tiennent plus de Buffalo Bill ou de Wyatt Earp que d'autre chose. Sur la fin Grann retourne sur les lieux de l'action, on est même presque ému tout en se disant que finalement, et s'agissant des temps littéraires qui nous occupent, la « non-fiction narrative» est peut-être ce qu'il y a de mieux.
Tableau du jour : Coucher de soleil sur la baie - Philippe Morillon

20 mars 2018.- Premier jour du printemps. Vent glacial, appétence polaire (-1°C → 7°C). Journée mondiale du bonheur et du bien-être :
« Je n’ai connu des états de bonheur débordant qu’à la suite de troubles nerveux, d’insomnies prolongées, de douleurs sans raison, et d’anxiétés intolérables. Compensation ou conclusion naturelle ? », « Le malheur est qu’un bonheur conscient n’est plus un bonheur et qu’un bonheur qui s’ignore n’en est pas un davantage. » (Cioran, Cahiers).
« Si seulement le jour et le bonheur pouvaient ne jamais venir ! Si l’espoir pouvait ne jamais connaître la déception de se voir comblé ! » (Pessoa, Le livre de l’intranquillité).

23 mars 2018.- Temps maussade (9°C). J'entame Unknown Pleasures, volume de souvenirs par Peter Hook (bassiste post punk assez réputé). Rien de vraiment littéraire, mais une belle cargaison d'anecdotes croquignolettes.

24 mars 2018.- Une belle éclaircie (10°C). Le « post libéralisme avancé » est un monstre tentaculaire qui peut vous contraindre à des pratiques pour le moins effrayantes. Ainsi la nuit dernière j'ai travaillé de nuit avec une ardeur assez peu sautillante. Conséquence aujourd'hui je n'aurais été qu'une molle masse aboulique assommée par le manque de sommeil. Comme il faut savoir trouver de tranquilles bénéfices à toute situation proposée, je me suis permis une sieste convenable sur ma chaise de jardin. Elle fut indéniablement réparatrice jusqu’à ce que quelques patibulaires Nimbostratus pointent leur nez devant un soleil un peu timide, mais pourtant bien là. En dehors de la narcolepsie et de la météorologie, ma journée aura été occupée par la lecture des mémoires de l'ami Peter Hook. Indiscutablement rien de littéraire, nous ne sommes pas chez Paul Claudel, mais beaucoup de plaisir à prendre. Il faut dire que les débuts de Joy Division tiennent plus des Pieds Nickelés que d'autre chose. Prolétaires enbièrés, working class pas héros du tout, hasards, aléas et grande importance de l'accidentel.

25 mars 2018.- Matinée nuageuse. Trois heures de soleil dans l’après-midi, un miracle ? (15°C). J'entends quelques oiseaux chanter autour de ma tête, ma chaise longue est épatante, le soleil est là, tout est pour le mieux. Comme les souvenirs de Peter Hook sont très bien eux aussi j'entame un début de sautillement intérieur (il faut parfois savoir sautiller intérieurement). Anecdotes croquignolettes (en gros Joy Division = Les Pieds Nickelés + Gérard Labrunie ), émotion, ressentiment un peu (le dénommé Barney en prend un peu pour son grade), et ce simple constat : la  « réussite »  en musique populaire tient souvent de la simple alchimie voire, pire en mieux, du plus pur accidentel (4 petits gars un peu raides rencontrent un sorcier de studio, un graphiste assez imaginatif et un dandy raisonnablement argenté et le tour est joué).
De l'importance d'une sangle de guitare basse et de sa longueur : «  La basse à longueur de bras, c'est une idée que j'ai chopée en voyant les Clash à Belle Vue, où j'avais été fasciné par Paul Simonon, qui avait une classe pas possible ; c'était l'un des types les plus cools que je connaisse. Je le dévisageais en me demandant : Comment ça se fait qu'il ait tellement plus de classe que les autres bassistes ? C'est là que j'ai compris : c'était la sangle. Il jouait avec la basse presque sur les genoux. J'ai décidé sur-le-champ que ma sangle serait longue. Mais en rentrant, j'ai découvert que mon jeu n'avait rien à voir avec celui de Paul Simonon, qui se fait très facilement comme ça. Le mien ? Vraiment difficile dans ce genre de configuration. Mais ça ne m'a pas arrêté pour autant. Rien à foutre : j'ai baissé la sangle d’une quinzaine de centimètres… ça ma poussé à jouer dans les aiguës, ce qui est ma particularité , mais avec la sangle vraiment basse ; plus elle descend, plus il faut plier la main pour jouer les notes, et c'est ce qui est dur, de la plier. C'est aussi pour ça que je fais autant de pains. C'est un peu ma marque de fabrique. Niveau son j'ai surtout été influencé par Jean Jacques Burnel des Stranglers. J'écoutais ses lignes de basse sur “Peaches"  et "5 Minutes” en me disant : C'est comme ça que je veux sonner… J'ai donc un son hérité de Jean-Jacques, et une sangle de Paul Simonon. Heureusement que je ne me suis jamais intéressé à Level 42. »

26 mars 2018.- Temps maussade (11°C). Je me souviens assez bien de cette Angleterre noire, grise et marron, cette Angleterre qui sentait l'eau croupie, l'Angleterre de la fin des années des années 70 et du début des années 80. C'est cette Angleterre qui aura vu pousser les types de Joy Division (de drôles de fleurs). On bois des pintes de pisse, on mange des tartines de merde, saisies par l'humidité on s'assoie sur des radiateurs surchauffés et on se retrouve avec de grosses hémorroïdes qui éclateront bientôt. On fait des blagues potaches, on jette des asticots et des souris en l'air. On boit beaucoup trop, on est très malade, on se roule par terre, les histoires d'amour sont compliquées… Un jour, au petit matin au petit gris, on se pend à un crochet dans sa cuisine parce que voyez-vous la vie est parfois impossible. Voilà, en gros, ce dont parle le livre de Peter Hook.
Tableau(x) du jour : FACT 50 - Peter Saville / Futurismo Trentino exhibition poster - Fortunato Depero

27 mars 2018.- Averses (11°C). Forcément la fin de la petite chose biographique de Peter Hook n'a rien de vraiment réjouissant. Son « Kafka new wave épileptique » pendu il se sent un peu coupable de n'avoir rien vu venir. Oh pas de vraie mauvaise conscience, non, seulement un persistant goût de fer dans la bouche… Ce goût de fer qui ne m'aura pas quitté de la journée… Finalement, c'est un livre déprimant.
Rouvert les La vie et les opinions de Tristram Shandy à la page 63. J'aurais bien aimé aimer les phrases étalées sous mes yeux malheureusement la traduction de Guy Jovet est pour ainsi dire illisible.
Lu la préface de Portraits crachés de Claude Arnaud (cette replète anthologie m'a été offerte), pas mauvais.
Enquiquiné par une météo décidément pénible et hors de saison demain je descend dans des lieux raisonnablement plus australs (malheureusement, on y annonce des conditions pas plus réjouissantes que celles de mes habituelles latitudes ).

28 mars 2018.- Saint Jean Cap-Ferrat. Ciel changeant (16°C). Cinq heures de route et me voilà enfin dans des bleus quasi matissiens. Petit tour pédestre à Beaulieu Sur Mer, « station climatique » toujours pleine de charme art déco et d'appétence début de siècle (dernier).

29 mars 2018.- Matinée ennuagée. Trois heures de ciel bleu dans l’après-midi puis une troupe de gros cumulus noirâtres plus patibulaires que mon coude gauche (17°C). Visite de La villa Ephrusi, quelques Fragonard et Boucher, de beaux jardins, surtout. Sentiers de bord de mer, chemin des douaniers, quelques petits vieux en goguette, du soleil, un peu.

30 mars 2018.- Beaulieu sur mer. belles soleillées matinales, nuages et pluie pour la suite (15°C).
Après avoir visité la Villa Kerylos (belle copie de bidule architectural antique), détour par le Casino (il pleuvait) où j'ai gagné 22€ (le Casino était rempli de petites vieilles et de joueurs patentés aux airs décavés).

1er avril 2018.- Soleil et ciel céruléen (18°C). Cap Ferrat, sentier des douaniers, aisé petit tour pédestre, un peu de flux touristique, mais pas trop.

2 avril 2018.- Ciel dégagé se couvrant par la suite (16°C). Village d'Èze, touristes chinois, indiens, italiens, allemands… Vue splendide depuis le Jardin Botanique. Descente par le sentier Nietzsche : « L’hiver suivant, sous le ciel alcyonien de Nice, qui, pour la première fois, rayonna alors dans ma vie, j’ai trouvé le troisième Zarathoustra. Cette partie décisive qui porte le titre : Des vieilles et des nouvelles Tables, fut composée pendant une montée des plus pénibles de la gare au merveilleux village maure Eza, bâti au milieu des rochers — ».

3 avril 2018.-Nice, vent et nuages (15°C). Depuis ma dernière visite, on a un peu barricadé la Promenade des Anglais (il y a des raisons). Pris pour la sixième fois l'ascenseur du Chateau, descente vers la vieille ville, elle est toujours là avec son petit air génois.

5 avril 2018.- Belles soleillées (16°C). Selon quelques-uns de mes informateurs les plus diligents, le Troisième policier de Flann O'Brien serait un roman tout autant loufoque que génial Pourtant, rien n'y fait, après de multiples tentatives je ne suis toujours pas parvenu à l'apprivoiser. C'est une bestiole qui me tombe des mains avec une régularité métronomique. Tenez ce matin, tout juste après mon premier Earl Grey de la journée, j'ai bien essayé de le rouvrir, mais au bout de trois pages ma tête s'est mise à dodeliner inconsidérément et j'ai commencé à éprouver ce bref vertige cotonneux que tout potentiel futur dormeur éprouve avant de piquer tête-bêche dans les bras douillets de Morphée. Bref, je n'ai toujours pas dépassé la page quinze et c'est peut-être un problème. Comme je ne saurais vivre sans lecture je me suis rabattu sur un volume que j'envisage depuis bien longtemps assez à mon goût. Il s'agit du Club des longues moustaches de Michel Bulteau. Après avoir lu une vingtaine pages je suis loin d'être déçu, presque ravi et tout à fait réveillé. Il faut dire que l'évocation de ce club pileux, mais néanmoins distingué à tout pour réjouir le lecteur. J'étais déjà un peu entiché de Francis de Miomandre (Prix Goncourt 1908, soulevé par l'hélium) et je le suis encore plus à présent. Quant à Henri de Régnier, Jean Louis Voudoyer ou Edmond Jaloux je les attends au coin de ma bibliothèque sans appréhension. Que voulez-vous des olibrius moustachus, ou pas, capable d'écrire les lignes qui suivent seront toujours les bienvenus chez moi :« Je suis ce jeune homme en habit que l’on voit, la nuit, boire des boissons américaines dans les bars élégants, entre des créatures aux épaules nues qui ont des chapeaux extravagants. » (Jaloux), « J’aime la tristesse et je hais l’ennui. La tristesse, c’est l’être qui se replie à l’intérieur et constate son malheur ou son infériorité. L’ennui, c’est l’être qui voltige à l’extérieur, comme chassé de sa conscience et souffre des choses plus que de lui-même. » ( de Régnier)…


2.

6 avril 2018.- Conditions météorologiques splendides, quasi estivales (21°C). J'écris ses quelques lignes rabougries sur ma chaise de jardin en position longitudinale de sécurité. Un oiseau chante joyeusement, mais un peu trop – sans doute un satané pinson - l'air est presque tiède et s'il n'y avait deux, trois lointains éclats bruyants les conditions lectorales frôleraient le parfait.
Terminé le Club des longues moustaches avec beaucoup de contentement au creux de l'envie (merci Bulteau). Belle marqueterie, beau bouquet de fleurs, joli patchwork, adorable armoire à citation (le livre n'est pas très « structuré », on s'en fiche!). Comme les choses sont parfois bien faites, il se trouve que j'ai en ma possession un volume d’Émile Henriot : La rose de Bratislava. Ayant d'autres projets de lectures plus immédiats je me suis contenté de picorer dedans. Chemins de fer et délicatesse début de siècle (dernier), le peu que j'ai lu était charmant. Il faudrait que ce livre passe sur le dessus de ma pile de livres à lire (qui ressemble à un mamelon jurassique). En attendant, j'ai pour ainsi dire dévoré une grande partie de Kornelia, un opus à « tendance sportive » écrit par Vincent Duluc (la seconde plus belle plume de l'Équipe derrière Philippe Brunel). C'est très bien informé, souvent émouvant. On y retrouve un jeune Duluc assez émoustillé par quelques naïades seventies (Kornelia Ender, Shirley Babashoff), il y a des odeurs de chlore, la statsi qui rôde, des seringues qui piquent, des épaules qui enflent, la nostalgie ne retombe pas : « Dans les vestiaires de la piscine de Montréal on parlait des nageuses de l’Est à voix basse, et elles répondaient d’une voix grave. Un jour que Shirley Babashoff était allée tester la piscine, son eau et son chlore, elle avait entendu des voix monter du vestiaire, s’était demandé si elle s’était changée par mégarde chez les garçons, avait commencé de remonter sa serviette par réflexe avant de voir les Allemandes de l’Est passer devant elle. En quittant la piscine, elle avait été harcelée de questions par les journalistes, et avait lâché, amère et vipérine, qu’à part la voix grave et la moustache, elles avaient l’air d’aller bien ».

7 avril 2018.- Nuages et vent, une éclaircie (20°C). Fini le livre de Vincent Duluc (recommandable et finalement assez personnel), détour par les Portraits crachés de Claude Arnaud (Montaigne premier autoportraitiste convainquant), Hymne à la haine de Dorothy Parker (acrimonieux en bien). Nothing else for today.

8 avril 2018.- Ciel maussade, pluie légère (18°C). Un chapitre d'Émile Henriot, souvenirs flottants, amour de caserne, mordoré années folles. Dorothy Parker, Hymnes à la haine. Vachard et chouettement obsolète. Je n'ai pas lu la préface de Benoite Groult :

Il y a d’abord les Penseurs Austères :
On devrait faire une loi contre eux.
Ils voient la vie en sombre, derrière leurs lunettes cerclées d’écaille,
Ne cessent de passer une main lasse
Sur un front toujours blême.
Ils parlent de l’Humanité
Comme s’ils venaient de l’inventer :
Ils se doivent de l’aider, de la soutenir
Ils se réjouissent des grèves,
Signent sans fin des pétitions,
Accomplissent des choses merveilleuses au nom des Prolétaires,
Vont jusqu’à s’installer parmi eux…
Ils vivent dans la fébrile attente
De voir les Masses à la « une » des kiosques,
Et lisent tous ces romans russes,vous savez…
Ces best-sellers du sexe !

Demain labeur, l'entrain est modéré.

10 avril 2018.- Trois belles soleillées (18°C). Un an de plus, l'addition commence à être salée (« 8 avril 1967. Mon anniversaire. Passons » Cioran, Cahiers). Poésie, Thomas : « A Chatou le long de la Seine / un printemps fleurit de nouveau, / sur la nature je promène / le poème comme un râteau, / quand le poème n'est pas même / une feuille glissant sur l'eau… »

12 avril 2018.- Cette tache jaune pâle. derrière les nuages c'est le soleil, on aimerait le voir moins timide (18°C). Few pages of Stendhal diary. Reading conditions unfortunately bad. Too many different and varied noises : a tiring bird, a barking dog, a kid babbling and his singing grandmother… Bref, je cherche sérieusement un phare abandonné pour y habiter…
Nouvelles acquisitions : Frédéric Jacques Temple – Divagabondages, Philippe Brunel - Vie et mort de Marco Pantani, Bernard Quiriny – Monsieur Spleen…

13 avril 2018.- Soleil voilé (18°C). Claude Arnaud, Portraits crachés, tranquillement et sans forcer, pas plus de trois pages. Découverte de Charlotte-Amélie de Tarente, tout juste cinq ans, des yeux noirs un peu trop petits, le visage rond, d'humeur bien douce, mais parfois dépitée. C'est la benjamine de l'anthologie de Claude Arnaud.
Rien (ou presque) : Les « luttes » ont beau converger, j'ai froid aux pieds.


3.

14 avril 2018.- Ciel couvert (16°C). Par le plus grand des hasards je suis tombé sur interview vidéo où Romain Gary semblait avoir tout compris quarante ans avant l'heure légale… Staline, Mai 68, les impasses de l'engagement, la puissance croissante des médias, la télévision, Internet et même ces fameuses « niches » dont les gens qui savent nous rebattent les oreilles à longueur d’analyses pénétrantes : « Je crois que contrairement à ce qu'avait prédit Orwell dans 1984 nous n'allons pas du tout vers une centralisation morbide. Je crois que nous allons vers un éclatement fécond des sociétés en infrasociétés ou si vous préférez en multisociétés. C'est-à-dire que sous couvert d'une société matérielle, technologique, électronique, etc… il y aura une multitude, un infini de groupements humains, de minis sociétés si vous voulez, lesquelles vivront suivant leurs propres codes, leurs propres goûts, leurs propres façons de s'habiller et de penser, d'une manière presque tribale, sans donner aucun sens primitif et péjoratif à ce mot. Je crois que la télévision, notamment, l'électronique va lier, va permettre de créer des circuits entre les gens d'une manière qui se dessine déjà qui leur permettra peu à peu de se rencontrer, de se connaître et de communier dans les mêmes croyances, les mêmes opinions, le même goût, le même mode de vie de plus en plus libre avec à l'intérieur de ces minis société, à condition qu'elles n'aillent pas, évidemment, contre une société, la société ombrelle, la société toit, laquelle deviendra, à mon avis, de moins en moins visible… »
Par ailleurs toujours dans les Portraits crachés de Claude Arnaud. Ce mot merveilleux de Mme de Chastenay : « une âme qui a rencontré par hasard un corps et qui s'en tire comme elle peut ».
Nouvelles acquisitions : John le Carré - L’héritage des espions, Philippe Lançon - Le lambeau.

15 avril 2018.- Impression de beau temps, comme on dit (20°C). Conditions lectorales épouvantables. Des cris peu de chuchotements, des claquements de portes comme s'il en pleuvait, la babille quasi ininterrompu d'une mouflette bien pénible. Seule solution pour espérer lire dans un tel tohu-bohu, les fameuses Boules Quies ™ (heureuse invention). Grâce à deux d'entre elles habilement enfournées dans chacune de mes oreilles je suis parvenu à lire soixante pages de John Le Carré. L'héritage des espions est pour l'instant assez intéressant. Un espion plus que vieillissant est rattrapé par une nouvelle génération un brin lactescente qui tente de l’assommer à grands coups de pelles politiquement correctes. Il doit défendre et justifier ce qu'il avait fait cinquante ans plus tôt, dans une autre époque, presque une autre planète où les pratiques étaient certes coupables, parfois injustes, mais toujours humaines, terriblement humaines :« La génération immaculée d’aujourd’hui face à votre génération coupable. Qui expiera les péchés de nos pères, même s’il ne s’agissait pas de péchés à l’époque ? »

16 avril 2018.- Journée quasi estivale jusqu'à ce que, sur le coup de 16 heures, une armée de nuages fasse sa patibulaire apparition (20°C). Spitting portraits by Claude Arnaud. Beckett par Cioran : « … il ne vit pas dans le temps, mais parallèlement au temps. C'est pour cela qu'il ne m'est jamais venu à l'esprit de lui demander ce qu'il pensait de tel ou tel événement. Il de ces êtres qui font concevoir que l'histoire est une dimension dont l'homme aurait pu se passer », « Avec les écrivains qui n'ont rien à dire, qui n'ont pas un monde à eux, on ne parle que littérature. Avec lui, très rarement, en fait presque jamais. N'importe quel sujet quotidien (difficultés matérielles, ennuis de toutes sortes) l'intéresse davantage – dans la conversation bien entendu… » Ce sera tout pour aujourd’hui.

17 avril 2018.- Beau temps, douceur (21°C). Lever 6H00. Labeur (soulevé 53 téléviseurs, surtout des gros ce qui fait beaucoup). Sieste prolongée sur ma chaise de jardin (blanche et fidèle). Me suis vraiment endormi. Réveillé par un rayon de soleil un peu trop insistant. Un oiseau chantait avec une régularité pour le moins métronomique. Guère de voisinage, conditions lectorales quasi optimales. Rouvert la somme de Claude Arnaud au petit bonheur la chance. Suis tombé sur un portrait du chat ( petit félidé domestique) par ni plus ni moins que Buffon (fameux naturaliste). En gros je dirai que l'ami Buffon n'aime pas les chats, qu'ils les trouvent trop retors pour être honnêtes. Il a bien tort, le chat est simplement libre, très libre : « ils (les chats) prennent aisément des habitudes de société, mais jamais des mœurs : ils n'ont que l'apparence de l'attachement ; on le voit à leurs mouvements obliques, à leurs yeux équivoques ; ils ne regardent jamais en face la personne aimée ; soit défiance ou fausseté, ils prennent des détours pour en approcher, pour chercher des caresses auxquelles ils ne sont sensibles que pour le plaisir qu'elles leur font. »

19 avril 2018.- Beau temps à tendance caniculaire (28°C). Lever 6H00. Labeur (soulevé une bonne cargaison de produits manufacturés en Chine). Légère sieste. Une heure de jardinage (planté deux, trois fleurs, arraché quelques mauvaises herbes). Retour dans les Cahiers de Cioran.

20 avril 2018.- Appétence caniculaire (29°C). Il fait déjà presque trop chaud, je suis dubitatif. Lu trois strips de Charles M Schulz. Charlie Brown et Snoopy sont deux de mes maîtres à penser les plus éminents.
J'ouvre l’Histoire vécue d'Artaud-Mômo au hasard et je tombe sur ces lignes :  «Je ne vais pas faire une conférence élégante et je ne vais pas faire une conférence. / Je ne sais pas parler, / quand je parle je bégaye parce qu'on me mange mes mots, / et pour manger il faut des bouches, etc. / Voilà, j'ai voulu quelques personnes parce que j'ai quelque chose à dire / et je veux qu'on l'entende et qu'on m'entende, / les Sociétés se croient seules et il y a quelqu'un […]». Rien à ajouter, le fou de Rodez est des miens.

21 avril 2018.- Journée estivale (29°C). Environnements déserts, silence pour ainsi dire monacal, le voisinage semblant s'être dirigé vers de plus australes villégiatures, je ne me plaindrai pas de tout ça, aujourd’hui les conditions lectorales étaient quasi parfaites.
Chez Le Carré c'est un peu le foutoir, les époques se télescopent et donne un goût de flottement mémoriel à son dernier opus. Pour un peu on se croirait chez une sorte de Modiano britannique, en plus espion, avec un chapeau mou.

22 avril 2018.- Beau temps chaud, quelques nuages en amorce sur le tard (29°C). Après une matinée consacrée à la lecture semi-attentive du nouvel opus de John Le Carré (je dois avouer avoir piqué du nez ici où là), j'ai un poil baladé mon museau dans les extérieurs. Que voulez-vous la météo était au beau fixe et il faut savoir profiter d'elle sans vergogne. Promenade sur les quais de la grande ville située à moins de quatre kilomètres de mon modeste logis (Seconde agglomération de France). Pour l'essentiel croisé des types barbus et tatoués qui portaient des pantalons très serrés et trop courts (les spécimens féminins étaient plus difficiles à caractériser). Détour par les bouquinistes. Ne trouvant rien du Club des longues moustaches en dehors d'un volume d’Émile Henriot trop chanci pour être honnête, je me suis rabattu sur un petit livre de Frédéric-Jacques Temple, Le tombeau de Medora. La quatrième de couverture m'apprend que ladite Medora était la fille que Lord Byron aurait eue avec sa demi-sœur Augusta Leigh. Tout cela est diablement intrigant.

23 avril 2018.- Matinée nuageuse, après-midi ensoleillée (26°C). Je tangue à demi conscient sur ma chaise de jardin. De vagues mélopées autotunées montent dans le ciel puis se mêlent au chant des oiseaux avec pour résultat un brouhaha sonore qui serait charmant s'il n'était pas numérique (autotune est un bidule numérique) plaqué sur du vivant (à plumes). Je viens de lire un poème d'Henri Thomas où quelques bestioles étaient convoquées : « Rue Monsieur-le-Prince, le soir,/ un passant s'étonne et regarde / par un soupirail évclairé / de l'Ecole de Médecine / il pensait voir des macchabées, / or il voit des lapins vivants, / quelque assistant blousé de blanc / studieusement examine / les petits museaux innocents / qui frémissent aux ouvertures / des cages, cherchant la nature . » Plus tard j'ouvre la Cerisaie de l'ami Tchekhov et je tombe sur ces lignes : « GAÏEV. – Quoi qu’on fasse, il faudra mourir. / TROFIMOV. – Qui sait !… Et que signifie cela, mourir !… L’homme a peut-être une centaine de sens, et, à sa mort, il n’en meurt que cinq que nous connaissions ; les quatre-vingt-quinze autres restent vivants. ». Voilà pour aujourd’hui.

24 avril 2018.- Not sea, not sex, but sun (25°C). Pretty idle, day for nothing… ou presque.

26 avril 2018.- Parfait équilibre en nuages et soleil (17°C selon la métrologie nationale, mais le « ressenti » me semble bien plus tiède). Estourbi par le labeur, rien pour moi, restent les Cahiers d'un autre estourbi : Cioran : « Toute ma vie j’ai rêvé d’un ennemi passionné et cependant honnête. Malheureusement, je n’ai rencontré sur mon chemin que des ennemis dont j’ai eu à rougir. (Le malheur de n’avoir recruté que des ennemis dont on a eu à rougir.) »

27 avril 2018.- Ciel changeant, belle douceur (23°C). Un peu flottant et endormi. Beaucoup de mal à me passionner pour le dernier Le Carré. Son gout de ratatouille mijotée avec de larges retours en arrière n'y est certainement pas pour rien (j'ai aussi l’impression que c'est assez mal traduit).

28 avril 2018.- Temps maussade (17°C). Le roman de Le Carré vire aux sentiments, ce n'est peut-être pas pire.

29 avril 2018. Nuages et vent (20°C). Le voisinage ayant quelques velléités festives, nuit agitée, pas trouvé le sommeil avant trois heures du matin. À mon réveil, devant mes fenêtres, une flaque de vomi, quelques cadavres de bouteilles, des mégots suspects à forme conique. Décidément de nos jours les gens savent s'amuser (jeune j'étais bien pire que tout ça, mais je n'emmerdais personne). Fini le roman de John Le Carré, qui est globalement décevant. Entamé Le Lambeau de Philippe Lançon (rescapé de ce que vous savez). C'est un livre qui a tout pour intimider lorsqu'il ne terrifie pas. Malgré deux trois gouttes de pluie, taillé mes haies dans l'après-midi, c'est toujours un plaisir (le ramassage des feuilles un peu moins).

30 avril 2018.- Ciel entre le zist et le zest, étonnantes giboulées, les Normands ont vu tomber de gros flocons de neige, tout cela relève de la blague de mauvais goût (16°C). L'un de mes voisins ayant pris l'idée d'écouter quelques mélopées autotunées sur son système audio sans fil cet après-midi la lecture en extérieur fut un tantinet problématique. Néanmoins grâce à deux trois techniques de concentration vaguement extrêmes orientales je suis tout de même parvenu à lire quatre poèmes d'Henri Thomas au milieu du pandémonium. Je ne voudrais pas me vanter, mais voilà un vrai tour de force.


To be continued.


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