En 1981 j'ai traversé deux fois la Manche. Une fois pour me rendre en Angleterre du Havre à Portsmouth et une autre fois pour revenir d’Angleterre de Portsmouth au Havre. Ma première traversée se déroula sans anicroche, la mer était d'huile et je me souviens avoir écouté tout au long de mon tranquille périple un spicilège assez exhaustif des Kinks sur un antédiluvien magnétophone Philips (vous savez celui qui était pourvu d'une touche Rewind-Fast Forward foutrement sybarite). Ma seconde traversée fut bien plus périlleuse la mer était très agitée et la plupart des voyageurs incommodés par des creux indubitablement lunaparkesques. Ainsi, on voyait de grandes rangées, d'hommes et de femmes et même d'enfants, se vomir sur les pieds avec des airs bien gris ce qui il faut l'avouer est un spectacle guère ragoutant.
Quant à moi j'étais tout juste dérangé et presque assez amusé par la situation proposée jusqu'au moment où prenant l'air sur le pont j’eus l'infortune de croiser un jeune sujet britannique blanc comme un cachet d'aspirine égaré dans une conférence de Maurice Blanchot. Ce foutriquet d'aspect chétif était à une dizaine de mètres de moi lorsqu’il se mit à vomir un long et généreux jet jaunâtre qui, je vous le donne en mille, finit sa course sur ma joue droite fraîche, rose et encore imberbe. J'avais mal estimé la force du vent et mon inexpérience me coûta beaucoup en terme d'amour propre. Assez courroucé par la situation, après avoir vilipendé le jeune émétique insulaire et nettoyé ma joue qui ne demandait rien à personne, je retournai dans les tréfonds du navire où sur un fauteuil sentant la fesse ramollie j'écoutai en boucle Heroes une musicassette pleine de berlinades synthétiques que j'avais dérobée trois jours plus tôt dans une échoppe de Carnaby Street.
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