« Aujourd’hui encore, on s’accorde à prendre les Juifs pour des créatures habiles, retorses et pleines de finesse, qui auraient engrangé toute la sagesse du monde. Vous ne trouvez pas fascinant de voir comme il a été facile de les berner ? Il a suffi de subterfuges simplets, pour ne pas dire enfantins, pour les parquer dans des ghettos, les affamer des mois durant, les leurrer de faux espoirs, et finir par les faire monter dans les trains de la mort. C’est cette ingénuité qui s’imposait à moi lorsque j’écrivais Badenheim. J’y trouvais la quintessence de l’humanité. Leur aveuglement, leur surdité, leur nombrilisme faisaient partie de cette ingénuité. Les assassins, eux, étaient pragmatiques et ils savaient ce qu’ils voulaient. L’ingénu est toujours un shlemazl, un lourdaud victime du malheur, qui n’arrive jamais à entendre à temps les signaux de danger, qui s’embrouille, se prend les pieds, et finit par tomber dans le piège. Ces faiblesses m’ont enchanté, je m’en suis épris. Le mythe qui veut faire des Juifs des manipulateurs tirant les ficelles du monde s’est révélé quelque peu surfait. »
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