« Vivant seul, en dehors de tous les courants de l'opinion, sans confident, ni censeur, j'ai eu ce tort de toujours écrire pour moi-même, sans me préoccuper de l'état du marché littéraire, de l'offre et de la demande. J'avais l'idée, sans doute erronée, que l'écrivain ne doit pas, comme le journaliste, suivre son temps, mais se placer en dehors de lui, si possible, même au-dessus. Écrire un livre et tenter de la faire publier, c'est une présomption qui frise l'impertinence, surtout pour un homme comme moi qui s'adresse au genre humain alors qu'il serait incapable de discourir devant cinq ou six morveux. »
1.
2 janvier 2017.- Brouillard (1°C) Laborieuse journée post agapes. Lu une chronique de Robert Walser, elle aura fait ma journée. Nouvelles acquisitions : Braudel - L'Identité de la France (3 volumes), Gombrowicz - Journal (Tome 1), Pierre Luccin - Le marin en smoking, Pierre Girard - Les sentiments du voyageur, Charles-Albert Cingria - Bois sec bois vert.
3 janvier 2017 .- Encore du brouillard, indice de la qualité de l’air inquiétant (1°C). Ma pile de livres à lire léchera bientôt le plafond, mais je dois dire que je manque un peu de courage pour l'attaquer vraiment. Trop de labeur, trop de fatigue, je suis adynamique… Malgré tout aujourd’hui j'ai lu une page de Stendhal, trois poèmes de Jean Follain, une notice de…
5 janvier 2017.- On annonce des frimas conséquents, pour l'instant la froideur reste raisonnable. Pluie légère, mais glacée (3°C). La nuit vient de tomber, je bois un thé noir agrémenté d'une touche d'aleo vera. Aujourd'hui je n'aurai presque encore rien lu, deux pages diaristiques de l'ami Beyle qui voit sans plaisir la Cène de Léonard, se souvient de Mne P(ietragrua) et conclu par ceci : « Le voyageur qui s'amuse à écrire tout ce qu'il a vu sur le pays qu'il parcourt peut faire un journal en cent volumes in-folio. Celui qui note seulement ce qu'il a senti est très borné. Il ne peut avoir que l’esprit ; l'autre a la science ».
6 janvier 2017.- Labeur. Beau temps sibérien, les jours s’allongent (-5°C→ 0°C). Toujours avec Jean Follain et Robert Walser, il y a de pires compagnons. Rien (ou presque) : Je déplie des développements parasites, bref je radote
7 janvier 2017.- Beau temps à tendance polaire (-6°C→0°C). Il est communément admis que l'Empire austro-hongrois se serait détruit lui-même avec l'application et le panache de celui qui veut en finir avant l'heure légale. Pour François Fejtö c'est une tout autre histoire ; figurez-vous que la « double monarchie » aurait été assassinée, ni plus, ni moins ! Dans Requiem pour empire défunt, que j’entame sur les bons conseils de Claudio Magris, Fejtö s'attache à expliquer et à renforcer cette thèse sur plus de cinq cents pages et pour tout dire nous sommes posés devant ce qui pourrait être une replète enquête policière historique où les suspects usuels ne manquerait pas : La perfide Albion, l'empire Russe tout entier, la France qui oublie Dreyfus, l'Italie en voie de composition, la petite Serbie, les nationalistes divers et avariés… Pour l'instant – j'attaque bravement la page quatre-vingt-cinq -, Fejtö est plus factuel qu'autre chose, il décrit les diverses forces en présence avec un savoir-faire que l'on imagine non feint.
Par ailleurs et en parallèle, j’entame Complots un court opuscule de Philippe Sollers (oui Sollers le « bon client » au fume cigarette, et alors ?!) qui me semble être une sorte d'appendice aux quatre lourds pavés qu'étaient La Guerre du Goût, Éloge de l'infini, Discours parfait et Fugues. Le Joyaux passeur étant le plus indubitablement sautillant, il n'y a pas de vrais grands risques à prendre.
8 janvier 2017.- Quelques flocons (0°C). Chez François Fejtö les Hongrois sont de longs et larges Slaves un peu sauvages qui venus des plaines du grand Est ce sont civilisés en butant sur les Carpates. Là comme obligés par l'horizon, ils oublient la chasse et le pillage se sédentarisent et s'adaptent à leur environnement tout en devenant de longs et larges chrétiens. Un peu plus tard, et après moult péripéties qui mériteraient d'êtres contées, voilà le roi Sigismond, un prince lettré parlant sept langues qui incite la noblesse hongroise à moderniser ses demeures et encourage la bourgeoisie à développer ses petites activités commerçantes. Il crée une assemblée nationale et l'on peut affirmer sans crainte qu'en 1440 la Hongrie est assez éloignée de la barbarie et des longs et larges Slaves des plaines du grand Est. Tout irait dans le meilleur des mondes s'il n'y avait les Turcs. Voilà les Turcs…
A quelques kilomètres de la double monarchie je suis toujours dans les petits papiers de Sollers : Lamartine, Dada…
11 janvier 2017.- Nuages, moins de froideur (6°C). Milan, le 12 septembre 1811, l'ami Beyle fait sa petite déclaration à Mme Pietragrua. Le même jour la grande comète de 1811 et à son périhélie (cette même comète apparaît chez Tolstoi, et dans Guerre et Paix sous le nom de Comète de Napoléon ).
Voilà pour aujourd’hui (et pour le 12 septembre 1811).
Rien (ou presque) : Je raisonne par ondes, ce qui n'est pas sans me poser quelques problèmes en société.
12 janvier 2017.- Des nuages, trois éclaircies une température en hausse, cela ne va pas durer : on annonce des chutes de neige, des températures boréales.
Three poems by Jean Follain: admirable. A page from the Stendhal’s diary : delightful. Some thoughts of l'ami Cioran: morose.
13 janvier 2017.- Pluie glacée, les frimas conséquents seront bientôt là (3°C). Still in Stendhal’s diary. Favorite cities : Orvieto, Stresa, Opatija, Kotor, Funchal, Inverness, Riga, Hué, Essaouira, Jaisalmer, San Cristóbal de Las Casas, Santa Fe, Weston-super-Mare, Guéret… Nothing else.
14 janvier 2017.- Matin : giboulées neigeuses. Après midi : beau temps froid. Le pire, suivant l'axe de notre observation, pour demain (-1°C). Après deux trois broutilles de l'ami Joyaux (Shakespeare, Machiavel, le Diable, tutti quanti…) je suis retourné dans le Requiem pour un empire défunt de François Fejtö. C'est un livre passionnant à plus d'un titre. Tout d'abord parce qu’il est bougrement informé ensuite parce qu'il nous confirme qu'il nous faut nous méfier comme de la peste des nationalismes de tous poils. Du côté des informations Fejtö nous rappel qu'au XVIIIe siècle l'Autriche, la Hongrie, la Belgique et la Lombardie formaient un seul et même état, il nous rappelle aussi que le nationalisme — dans le sens que nous lui donnons en terme de nation qui engloberait des peuples entiers —, n'existait pas avant le tournant pris par la culture européenne vers la fin du XVIIIe siècle dans le sillon de Voltaire, Diderot, Rousseau : « ce sont les historiens de l'âge romantique qui ont crée, par référence au passé de leur peuple, la conscience nationale comme force politique revendicative et subversive…».
15 janvier 2017.- Un peu de neige matinale, assez vite fondue, il faut bien le dire. La météorologie nationale qui prévoyait une sorte d’ apocalypse sibérienne serait elle dans l’erreur ? (2°C). Voisinage bruyant, c'est toujours un problème lorsque l'on espère lire en toute quiétude. Malgré cela je suis toujours dans l'Autriche-Hongrie de François Fejtö. Vénitiens, Lombards, Ruthènes, Tchèques, Slovaques, Galiciens, Slovènes, Ukrainiens, Hongrois, Dalmates, Slavoniens, istréens, Illyriens, Grecs catholiques, Grecs orthodoxes, Roms, Italiens, Allemands, Autrichiens, Souabes, Saxons, Juifs assimilés, Juifs traditionalistes… Voilà beaucoup de voisins qui auront vécus plutôt bien que mal ensemble.
16 janvier 2017.- Journée finalement pas si froide que ça (2°C). Trois pages de l'ami Joyaux (je sais il ne faut pas l'aimer), rien d'autre.
19 janvier 2017.- Les jours s'allongent, le froid est toujours là (- 8°C→ 0°C). Malin comme il était l'ami Beyle aura inventé le « lâcher prise » avant l'heure légale. Son S.F.C.D.T (Se Foutre Carrément De Tout)) n'est pas vraiment rien, il faut bien l'avouer.
Rien (ou presque) : Cajoler relève de la pure ingénierie, il faut savoir être méthodique et appliqué tout en gardant pour soi ce côté charmant que n'ont pas toujours les férus de science dure. Voilà encore une gageure qui pourrait, à tout bien regarder, frôler l’antinomique
20 janvier 2017.- Beau temps froid, très froid (- 8°C). Il est 17H30, la nuit tombe doucement, j'écoute Yusef Lateef tout regardant d'un œil distrait l'investiture du nouveau « maître du monde » à la télévision. Ce type, pour ne pas dire cet olibrius, est potentiellement inquiétant. Son fils qui lui ressemble beaucoup, il est pataud comme son père, semble s'ennuyer ostensiblement, on lui filerait bien quelques petites claques sur la caboche pour le réveiller, on ne peut pas, il est dans la télévision.
Quelques minutes avant ce vague barnum étatsunien j'étais encore immergé dans l'Autriche-Hongrie de François Fetjö. Voilà une double monarchie diablement civilisée ! Entre 1860 et 1914 le libéralisme battu et la jeune garde viennoise se réfugient dans l'art, la mélancolie et ce qu'il faut bien appeler le talent (Musil, Broch, Zweig, Doderer, Altenberg… la liste est trop longue). J'espère que l'Amérique de Donald Trump cabotera aussi bien en eaux troubles. « Il y eut réellement un temps à Vienne “où l’individu valait plus que sa nationalité, où la monarchie pouvait être une patrie et aurait pu être un modèle microcosmique du grand monde du futur ”. Au moment où j’écris ces lignes, on réhabilite peu à peu cette Vienne des années 1900, après plus d’un demi-siècle de dépréciation et de défiguration. Nous redécouvrons un essor culturel qui semble aujourd’hui comme une préfiguration non du déclin de notre civilisation, mais d’une Europe unie ; non l’annonce de son morcellement, conséquence d’une guerre absurde, provoquée, en 1914, par une Allemagne devenue mégalomane, mais le signe avant-coureur de l’unité métanationale »
21 janvier 2017.- Brume matinale, ciel bleu pâle par la suite, toujours ce froid, ce grand froid (- 8°C→ 0°C). François Fejtö et son empire défunt. On démembre en sourdine, un bout de Galicie, un bout de Dalmatie, un bout de Bohème, beaucoup de de bouts et en définitive plus rien, il n'y a plus d'Empire austro-hongrois.
Rien (ou presque) : Un angle il faut un angle pour que tout tourne rond.
22 janvier 2017.- Brouillard, froid toujours quasi lapon (-1 °C). Je m'ennuie un peu chez François Fejtö. Trop de diplomatie, trop de négociations, trop de chapitres qui se répètent tout en voulant dire la même chose. Il faut savoir planter son clou assez vite et j'ai l'impression que Fetjö use de trop de tentatives, qu'il ne tape pas assez fort et que son marteau lui tombe sur les pieds après nous être tombé sur le coin du nez.
Par ailleurs, je picore toujours dans un spicilège de l'ami Joyaux. Inégale et ennuyant lorsqu'il lui faut tournicoter autour du fatigant Heidegger, plus heureux et léger lorsqu'il est question de passer vraiment (passer c'est le truc de l'ami Joyaux).
Plus tard, revu le Leopard Man de Jacques Tourneur. Magnifique, toujours magnifique. La nuit, des jeunes filles déchiquetées, une intrigue qui tourne sur elle-même, le génie modeste de Tourneur qui fait avec les moyens du bord. Du désespoir, de la poésie, de la métaphysique oui de la métaphysique !
23 janvier 2017.- Brouillard et froideur (-1°C). Hier j'étais peut-être trop injuste avec le requiem historique de François Fejtö. C’est certainement un bon livre, voire un très bon livre, qui a juste le tort de vouloir être vraiment exhaustif sur son sujet, ce n'est pas un défaut, c'est une qualité (c'est aussi un livre qui a le mérite de nous rappeler que nous vivons encore et toujours sur ce qui a été décidé en petit comité à la fin de la Première Guerre mondiale : le démembrement austro-hongrois, les rafistolages frontaliers n'étant aucunement étrangers aux conflits qui nous préoccupent cent ans plus tard : Syrie, Irak , Palestine, Ukraine, tutti quanti…)
Demain je pense entamer La vie et moi de Marcel Lévy. C'est un livre qui me lance des clins d'yeux depuis environ deux mois et je dois avouer avoir déjà un peu cédé à ses avances en ouvrant quelque une de ses pages au hasard. Pour l'instant j'ai plus été ravi que déçu et c'est une lecture que j’envisage très bien.
2.
24 janvier 2017.- Brouillard, froideur et pollution, il neige de la pollution ! (-7°C → -2°C). À l’automne 1992 paraissait La vie et moi premier ouvrage d'un jeune auteur de 93 ans, Marcel Lévy. Cet ouvrage je l’entame aujourd’hui – 25 ans plus tard – et je dois dire qu'au bout de seulement soixante pages il me plaît déjà sacrément. Chacun sait, ou devrait savoir, que les bons livres nous donnent une voix à entendre, et incontestablement là il y une voix, une voix légère, drôle et pince- sans-rire, un Cioran qui ne s'en ferrait pas plus que ça, un Léautaud non chafouin, un Chamfort téléporté au XXe siècle, oui nous sommes dans ces tonalités là. Voilà une vraie fausse autobiographie où un jeune barbon nous raconte sa vie en nous faisant croire que c'est celle d'un raté. Évidemment rien de raté, ou alors que du raté en bien, puisqu'au final il y ce livre qui n'est pas rien. Je me répète, je n'ai lu que soixante pages, mais elles comptent déjà beaucoup, le terne et le gris y sont éclairés par la finesse d'un style comme on n'en rencontre plus guère et les idées de Lévy sur la littérature, le cinéma ou le monde moderne sont toutes formidables (et tamponnées par moi). Bref, voilà un livre que je ne suis pas près de lâcher ! « Je suis né. Je n'insisterai pas sur ce fait, peu caractéristique en lui-même. Mais ce petit malheur devait être le premier maillon d'une chaîne de calamités du même ordre : imposées par les circonstances, jamais librement acceptées. L'homme vient au monde d'une façon peu digne, indépendante non seulement de sa propre volonté, mais souvent même de celle des auteurs responsables. Ainsi la naissance est-elle une leçon de choses, la première, mais non la moins magistrale. La nature nous dit, comme elle nous le répétera plus tard jusqu'à la nausée : « Tu es le plus faible, tu dois te laisser faire. » Naître n'est que la première étape d'une longue série noire. On commence en se laissant enfanter ; puis on se fait nourrir, instruire, éduquer, et l'on devient ainsi, petit à petit, la proie des hommes, des femmes et des événements. Et l'habitude est si bien prise qu'il devient bientôt impossible de remonter le courant… »
Ce matin fini le spicilège (Complots) d'un Sollers toujours un peu margoulin et fumiste, on peut l'aimer pour ça.
25 janvier 2017.- Brouillard et froideur, toujours (-3°C). La timidité est une maladie qui vous fait vivre un peu de côté, à l'ombre des risques. Que voulez-vous les timides sont plus conscients des dangers, ils ont la peau plus fine et des antennes plus sensibles, ils évitent la moindre lutte, le moindre frottement avec leurs congénères, ils vivent dans un hors là qui n'a que très peu de rapports avec le monde des dominants, des fanfarons, des sûrs d'eux-mêmes. En tant que membre de la grande confrérie des timides Marcel, Lévy ne pouvait donc vivre qu'une vie pleine d’insuccès, multiples et prolongés. Cela ne serait pas grave, le succès n'est pas grand-chose après tout, s'il n'y avait les femmes, les sentiments, les intermittences du cœur, ce qu'il faut bien appeler l'amour, cet état fébrile nécessaire à tout homme, qui à beaucoup de peine à se réaliser lorsque la timidité point avec ses petites pattes tremblantes. Malgré tout, et s'il n'arrive à rien, Marcel Lévy sera tout de même amoureux, et aimé, trois fois ; dans une vie de grand timide, c'est beaucoup. Voilà donc de bien belles pages sur ces amours-là. On passe sur un amour de jeunesse, où il est le seul à être amoureux dans l'affaire - l'être aimé ignorant tout de lui – pour se retrouver un peu plus tard avec une Marie Louise qui sera le grand amour de sa vie. Amour jamais consommé, grande affaire un peu tragique, grande affaire bien émouvante. Ensuite viens un amour enfin charnel avec une fille un peu amoindrie (à l'âge de trente ans, c'est un peu beaucoup pour un seul homme) puis un mariage avec une dame respectable qui virera assez vite au saumâtre : les liaisons commencent dans le champagne et finissent dans la camomille. Mine de rien les moments que Marcel Lévy consacre à sa vie amoureuse, si rachitique soit-elle, sont magnifiques et on est plus d'une fois pincé en les lisant. Le temps me manque pour vous parler du reste, ces pages admirables sur la bêtise qui n'est qu'un rétrécissement de l'horizon mental, un manque d’imagination plutôt qu'un manque d’intelligence ; ces pages acrimonieuses sur la technique et ses précaires avatars, le mouvement, le bruit…
26 janvier 2017.- Beau temps froid (- 8C°→ 2°C). La vie et moi s'achève par un curieux éloge de la merde et de ses divers aspects. C'est un peu croquignolet et Marcel Lévy sautille tel un gamin de 93 ans en nous parlant de tout ça. Demain je pense entamer Bois sec, bois vert de Cingria. Ainsi d'un quasi suisse – Marcel Lévy était un peu zurichois sur les bords – je passerai à un tout à fait Suisse un peu Albanais sur les bords.
3.
27 janvier 2017.- Du maussade, rien que du maussade (3°C). On comprend aisément pourquoi Paulhan l'aimait beaucoup : Cingria a la prose toute bizarre ! Une sorte de franco-albanais-turc un peu sybarite et assez singulier. Des assemblages comme on en rencontre peu, des phrases secouées dans une grande boite avant d'être jetées sur le papier. Tout cela est bien curieux, le lecteur peut être décontenancé. Le début de Bois sec bois vert est dans cet apparent bancal là. On est ennuyé ou charmé, j'ai choisi d'être charmé, j'ai choisi d'être charmé, je pense ne pas m'être trompé.
Plus tôt retour dans les Essais de Philippe Muray. Il faut les lires à doses homéopathiques, le risque est moins grand de se voir un assommé par les mêmes idées un peu ressassées, c'est ce que je fais.
28 janvier 2017.- Averses, hausse de la température extérieure (7°C) Lire Cingria est une drôle d'expérience, un mot suffit et voilà une multitude de digressions, qui plus qu'elles ne s'empilent, voltigent les unes avec les autres puis retombent sur leurs pattes avec quelque chose de ravi au coin du nez. Voilà donc un beau développeur de lexies, un peu baroque, toujours croquignolet et mine de rien très informé. Il peut parler de ce qu'il veut, Dante ou un hippocampe, ça voltige : « L'on s'en fout de ce qui va mal qui, dans le fond, va bien, puisqu'un peu d'inconfort est salutaire. »
29 janvier 2017.- Douceur en amorce (11°C). Not in the mood.
Il faut que les mots jaillissent comme par hasard, sans intervention du cogito. Rien d'articulé, n'articulons pas, laissons faire le crayon, le flux du crayon, il n’y que le flux du crayon, ce bruit, ce crissement sur le papier et l'ombre de notre main qui danse.
Je ne comprends pas l'époque et comme elle ne me comprend pas elle non plus nous sommes deux à ne pas nous comprendre.
La peur de l’extérieur ma façonnée entièrement, c'est ma charpente. Voilà peut-être pourquoi je suis si bancal.
Par ailleurs toujours chez Cingria. Des mots qui partent comme des fusées, des digressions qui explosent un peu partout, du sibyllin…
30 janvier 2017.- Pluie légère (9°C). J'ai toujours trouvé que le fait de travailler pour avoir de quoi exister était un peu incongru. Évidemment, je parle de travail dans le sens du labeur, de l'usure et non dans celui du travail noble, du peaufiné, du bidule crée et fini par soi même toutes choses n'existant presque pas (et plus). C'est d'ailleurs pourquoi sachant que je ne verrai rien de concrètement fait par moi-même j'ai choisi presque par hasard le travail le plus abrutissant possible, c'est pourquoi dans ce travail-là je me suis créé moi-même de faux objectifs à atteindre : soulever tant de kilos, empiler tant de matériel, ouvrir et fermer tant de choses… Mes « patrons » me pensent bon élément alors que mon stratagème me permet simplement de ne plus être le maillot d'une chaîne invisible tirant le chaland vers un but abstrait… Ainsi, je parais concerné par ma tâche alors que je ne suis concerné que par moi-même, par les buts que je me fixe tout seul. Cette « méthode créative » me permet certainement d'atteindre un genre de détachement favorable au cogito et à la rêverie, s'il n'y avait l'épuisement physique ce serait presque une bonne façon de travailler !
(Lectures, Follain, Cingria).
31 janvier 2017.- Ciel fluctuant (11 °C). Douleurs diverses et variées, impossibilité de tenir un livre.
2 février 2017.- Vent, étonnante douceur (15°C). (17h50) Chez Cioran on hurle à faire peur aux anges, chez Cingria on meurt la nuque plantée dans un tesson d'eau minérale tandis qu'une (la) Vierge aux voiles sorbétiques nous aspire. Tout cela n'est pas encore vraiment ce qu'il nous faut.
4 février 2017.- Vent tempétueux (13°C). Vivre sans corps tel une abstraction flottante, c'est peut-être un but à atteindre. En attendant, je grossis, j'enfle, je pèse de tout mon poids.
En parlant de flottant, Cingria l'est , flottant, ou tout du moins sa prose.Voilà du léger et du capricant au service d'un baroque comme on en rencontre peu. Charles Albert écrit sur ce qu'il veut, on s'en fiche, l'essentiel est ailleurs, l'essentiel c'est l'ailleurs, ce léger capricant et cet ailleurs qui sautille. Me suis je bien fait comprendre ?
- C'est charmant.
- Non ce n'est pas charmant. Je n'aime pas ce qui est charmant. J'aime ce qui est carré, bruissant, énorme, chevalin, humain, divin.
5 février 2017.- Ciel renfrogné, humidité relative (9°C). Le voisin est là sur nos bords et il nous en veut. Ainsi très tôt ce matin j'ai dû secourir une très vieille voisine en danger — pour ne pas dire une très vieille voisine aux bords du trépas. La bougresse avait chuté en son très modeste logis — en fait une sorte de boui-boui innommable à tendance capharnaümique — et ce qui reste de son époux tout autant grabataire qu'elle fit appel à moi, allez donc savoir pourquoi, pour un « relevage » dans les règles de l'art. Cette chose faite tant bien que mal, et après quelques formalités d'usages liées à la politesse, je rentrai chez moi quand je suis tombé nez à nez avec un jeune gandin qui se comportait d'une façon tout à fait délictueuse avec un bac à poubelle qui ne lui demandait rien (cette autre courte histoire a failli s'achever en pugilat). Les vieux et les jeunes voisins sont fatigants, et je ne parle pas des enfants !
Tous ces petits tracas ne m'ont pas empêché de finir le Bois sec bois vert de Cingria. C'est un livre qui se mérite, mais quand on trouve un point de friction avec il est le plus souvent merveilleux (difficile de ne pas aimer le dernier texte consacré à Rome). La prose albano-helvétique de Cingria derrière moi j'ai entamé deux nouveaux volumes que je compte lire à l'alternat : une plus ou moins petite biographie de Lester Young par Alain Gerber et un ouvrage autrement alpestre : le Tristram Shandy de Laurence Sterne. S'agissant de ce dernier, et après seulement deux pages, j'ai un sombre pressentiment, je sens poindre une traduction trop moderniste et donc vieillotte, j'espère me tromper
« Pour éviter d'être antiquaire, il faut rendre hommage aux quartiers neufs qui sont peut-être à Rome plus saisissant que les vieux. Parce que les entrepreneurs — je ne sais pas si c'est conscient — ont trouvé le moyen de faire du moderne naturel, c'est à savoir du moderne qui n'a pas l'insolence d'un endoctrinement »
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