mercredi 21 janvier 2015

Psychogeographie indoor (55)




« On arrive à un moment dans la vie où on n’imite plus que soi ». (Cioran , Cahiers)


1.

28 juillet.- Averses, ciel chagrin. (17°C) La Bulgarie est un drôle de pays. On peut y serrer la main du Président , comme ça au débotté entre deux ruines romaines tandis que le chiendent pousse plus que de raison sur les trottoirs défoncés par le rude climat environnant. Les antiquaires vendent des « souvenirs » nazis pendant que de vrais Roms charbonneux passent assis dans d’ antédiluviennes carrioles traînées par de replets chevaux à la crinière proéminente. Les églises sont bien jolies quoiqu’un peu chargées au niveau de la décoration, les fidèles y ont la curieuse habitude d’embrasser plus que de raison une kyrielle d’ icônes un brin tape-à-l’œil ce qui n’est pas très hygiénique. Il y a de rares mosquées égarées d’où quelques muezzins, certainement turco-bulgares, muezzinent mélodieusement à l’unisson. Le Bulgare de base est globalement massif avec un côté indéniablement râblé qui pourrait faire dire de lui qu’il est fort comme un Turc. La Bulgare de base est globalement affriolante avec la cuisse gracile et ce petit air maussade qui fait toute la différence. Au niveau culinaire tout ce joli monde se nourrit de plats guère enthousiasmants généralement concoctés à base de choux et de pomme de terre. Le vin est presque bon, c’est déjà ça.
Sofia est une capitale un peu décatie, le centre-ville ressemble à celui de Belfort, en plus grand. Plovdiv est une ville médiévale qui s’ignore avec de bien réelles ruines et de bien jolis parcs. Au monastère du Rila, le plus haut lieu touristique du pays, les popes vous regardent un peu de biais. Nessebar est une petite ville classée au patrimoine mondial de l’UNESCO, cela ne va pas durer, car elle est presque totalement envahie par une troupe de marchands du temple s’approvisionnant en République populaire de Chine. Nessebar est également dans ses abords une station balnéaire assez dépravée ou les jeunesses russes, hongroises, polonaises viennent faire la nouba slave. Varna bien qu’également en bord de mer Noire semble plus sage et en tous les cas plus encombrée par des restes de communisme latents. L’Hôtel Odessos est par exemple une sinistre merveille des temps collectivistes. Les ascenseurs ont des velléités homicides tandis que les couloirs sont plus kafkaïens qu’un procès de Moscou intenté à la bonne franquette. L’Interhotel à Veliko Tarnovo est encore pire en mieux. Le hall ressemble à un gymnase et les couloirs sont tellement longs que l’on pourrait y organiser sans problème un défilé du 1er mai. L’éventuel voyageur qui aurait la bonne opportunité de pouvoir se loger dans ce charmant endroit doit savoir qu’il lui faudra déposer son pistolet à la réception et qu’il n’y a pas d’eau chaude dans les douches.

29 juillet.- Météo sinistrement automnale. (17°C) Passé la journée dans une étonnante gangue de mollesse tout en piquant du nez plus qu’à mon tour dans de courts états narcoleptiques. Rien pour moi.
Les Cahiers de Gustav Horn sont éprouvants de lecture (mort, décomposition, pédophilie latente) c’est pourquoi j’ai décidé de les laisser un temps de côté (les lisant il commençait à me venir des airs de bestioles au fond de son terrier). Je me suis rabattu sur une lecture moins perturbante, La pluie de néon de James Lee Burke, premier volume de la série David Robicheaux. Syle parfois ampoulé, mais tout de même pas mauvais. On pourrait dire de James Lee Burke qu’il est pour La Nouvelle-Orléans ce que Michael Connelly est pour Los Angeles, Lawrence Block pour New York, Denis Lehane pour Boston, René Belletto pour Lyon…

30 juillet.- Journée essentiellement pluvieuse avec deux trois éclaircies tout autant tardives que timides.(22°C)
Toujours dans la Pluie de Néon de James Lee Burke. Intrigue violente et embrouillée mais la Louisiane est là, présente, pesante, c’est déjà ça.

31 juillet.- Quelques velléités estivales, rares nuages, soleil coruscant et température ad hoc. (27°C)
Journée étonnante. Une visite médicale superfétatoire (serais je hypocondriaque?). Un pugilat entre voisins (les voisines se contentant de petits cris accompagnateurs à base de « nique ta mère, enculé »), l’été enfin là, toute cette humanité grasse s’échappant par les fenêtres ouvertes en grand.

Fini La pluie de Néon de James Lee Burke. En définitive pas si mauvais que ça, intrigue filandreuse, mais l’atmosphère de la Louisiane, que voulez-vous…
Lu quelques pages du Journal atrabilaire de Jean Clair. Cette petite somme diariste aurait pu me plaire, mais il n’en a rien été, Clair à beau citer Cioran à tour de bras il ne m’a pas fait sautiller plus que ça. Le lisant j’ai eu l’acrimonieuse impression de lire un vieux schnock courroucé d’un rien et pour rien, un type qui sauterait sur son chapeau en imaginant que le monde s’écroule autour de lui, bref un Muray en pire sans l’humour et la mauvaise foi. Retour dans les Cahiers de Gustav Horn, invariablement troublants. Nous voilà en Norvège, le paysage est fort joli, la mort et la putréfaction sont déjà là.

1 août.- Soleil voilé, moiteur, mauvais présage.(28°C) La Norvège des Cahiers de Gustav Anias Horn n’est pas celle que nous faisons semblant de connaître, pas de tranquillité sociale-démocrate de rente pétrolière et ne niveau de vie surplombant, non au mitan du 20e siècle la Norvège était l’un des pays les plus pauvres d’Europe, une contrée aride et reculée habitée par des hommes un poil archaïques. Entre fjords et vallées, il n’était pas rare de voir moult crimes se commettre. Oh pas des petits crimes ! Non des crimes capitaux et plus définitifs qu’un trépas malvenu (viols, incestes, étranglements, crânes fracassés et tutti quanti). Au milieu de tout cela, le couple inventé par Hans Henny Jahnn (Gustav Anias Horn et Alfred Tuttein) est parfaitement à son aise.
D’autre part toujours dans la petite chose atrabilaire de Jean Clair. Les thèses étayées ne sont pas si indéfendables que ça, mais qu’elle prose corsetée, guindée en pire, quel manque d’humour ! Cela dit Clair pense très mal, c’est déjà ça : « Pourquoi n’eût-on pas plutôt demandé à Buren, avec ses toiles rayées, de commémorer la libération des camps en avril 1945 ? ».

2 août.- Restes orageux. (26°C) Lu le Dictionnaire du parfait cynique, choix d’aphorismes concocté par Roland Jaccard. Agréable sans plus, manque de liant, choix modérément pointus, cynisme pas si présent que ça, bref 5.24/10.
Poursuivi par le Journal atrabilaire de Jean Clair. Rien de vraiment sautillant non plus. Au risque de me retrouver bien haut et victime d’un certain vertige je me suis rabattu sur les Cahiers de Gustav Horn. Pages magnifiques sur la musique : haine de Richard Wagner, doutes face à Beethoven (du stuc baroque), amour de Mozart de Buxtehude de Bach.

3 août.- L’orage nous aura tourné autour toute la journée pour mieux nous tomber sur le coin du nez en fin de journée. Pluie vigoureuse, similis grêlons, bourrasques. (26°C)
Toujours dans les Cahiers de Gustav Anias Horn, encore dans le Journal Atrabilaire de Jean Clair. L’un est toujours gênant en bien et ardu de lecture, je commence à appréciez un tout petit peu l’autre. Oh rien de bien sautillant, mais deux trois choses que je pourrais tamponner, celle-ci par exemple : « La mélancolie quelque chose à voir avec l’excrément, le stercus. Difficulté à digérer, ruminations hypocondrie, bile noire et recuite. Soleil charbonneux des viscères. Nabokov a raison de penser que le « cafard » est en réalité un scarabée, roulant sa bouse en caparaçon d’or. »

5 août.- Quasi beau temps. (25 C) Très saisi par le labeur. C’est plus qu’un problème et il est bien possible que je me délite corps et âme dans ce saisissement là.
Voisins bruyants. Tenté de lire quelques poèmes de Patrice de la Tour du Pin (poète catholique conséquent), entre deux éructations tenant plus de l’homme des cavernes que du langage articulé (en l’occurrence les éructations d’une femme, une nouvelle Lucie, allez savoir ?)

7 août.- Impression de beau temps.(26°C) Quelques pages des Cahiers de l’équilibriste Roumain Cioran. Goethe, Kleist, Proust, Rilke. Ce dernier abusant d’un ton poétique proprement intolérable (je ne souligne pas).



2.


9 août.- Ciel changeant, tiédeur humide, sournoise. (30°C) Malade, enrhumé. Nouveaux voisins, bruyants comme il se doit. En contre-mesure écouté les Variations Goldberg de l’ami Bach (l’ami Gould chantonne très bien) puis la symphonie concertante ( pour hautbois, clarinette, basson, cor, orchestre et tout ce que vous voulez) de l’ami Mozart dirigée par l’ami Barenboim. Deux beaux moments musicaux raffinés qui m’ont un peu soustrait de la pesanteur avoisinante.
Tiens en parlant de musique je me suis fait à celle de Jean Clair elle a beau être grincheuse, bougonne, stridente en pire en refermant son Journal Atrabilaire je dodelinais presque de la tête en signe d’acquiescement. Picoré dans le Bardadrac de Gerard Genette. Faux dictionnaire réjouissant par un ancien doctrinaire à qui on ne la fait pas. Picoré dans les Mémoires d’un touriste du père Beyle. Le Dauphiné, Chambéry pas vraiment française et presque italienne…
Poursuivi les Cahiers de Gustav Henny Horn. Chevaux et « grande musique ». Saillies pour les uns, piano mécanique pour l’autre : « … ma symphonie va être jouée dans l’une de ces grandes villes, par un de ces grands orchestres, sous la direction d’un grand chef. Et qu’un de ces grands chœurs – des garçons qui ne se masturbent pas encore, des femmes capables d’avoir des enfants, des hommes qui ont souvent procréé – se plonge dan les harmonies étranges, dans les mesures que j’ai construites avec des signes – et toutes les bouches comme une seule, les jeunes comme les vieilles prononcent le texte, ce texte que j’ai choisi parce que je n’en ai pas trouvé de meilleur. Et tous entendent ce flot, le déchaînement et les plaintes des instruments et supposent peut-être que les violons et les cors, bassons, flûtes, trompettes, clarinettes, basses et trombones paraphrasent le même texte…  »

11 août.- Restes orageux. Quelques ondées, une fraîcheur qui tend à poindre plus que de raison. (21°C)

« Pour un écrivain, il est préférable d’écrire sans rien dire que de lire. L’écriture est un exercice, la lecture ne l’est pas… Écrire une carte postale se rapproche plus d’une activité créatrice que de lire la Phénoménologie de l’esprit ».

Mort de Simon Leys. Sinologue conséquent et pourfendeur in vivo du grand timonier et de toute sa clique de révolutionnaires culturels semi-béats. Grande perte, au-delà du scientifique parfois partial (les années 1970 voulaient cela), un vrai écrivain…
Toujours dans les Cahiers de Cioran, en parallèle et à l’alternat entamé un court opuscule d’entretiens avec le même Cioran (chez José Corti). Becqueté un petit bout du Bardadrac de Gerard Genette, livre tout à fait réjouissant.

12 août.- Temps frôlant le sinistre, nuages grisâtres et température semi-automnale. (20°C)
Plombé par le labeur. Sans envie, sans cogito. Je ne suis plus qu’une abstraction contrariée.

14 août.- Nuages, nuages ! (21°C) Rien.

15 août.- Averses mollassonnes puis un ciel changeant piqueté de soleillées tout autant rares que bienvenues. Fraîcheur relative. (21°C)
Il est bien possible qu’à la longue les Cahiers de Gustav Anias Horn soient d’une lecture assez plombée-plombante. C’est peut-être pourquoi il faut savoir les laisser mariner dans leur vil coin métaphysique pour mieux les reprendre avec un œil qui à défaut d’être plus léger sera à coup sûr moins embourbé. Pour combler l’attente, pour laisser mariner, je me suis rabattu sur Ma famille et autres animaux opuscule raisonnablement épais de Gerald Durrell et je dois dire que je ne suis absolument pas déçu. Loufoquerie familiale à tous les étages, humour anglais autour des bestioles, Corfou et cette magie insulaire qui vous enveloppe aussi doucement et de façon aussi tenace que du pollen… Le frère cadet de Lawrence Durell est vraiment très agréable à lire, sautillant, frais, drôle…

18 août.- Journée étonnamment estivale. (26°C)

« Tout son dans la musique doit avoir un écho ; toute figure doit avoir un ciel dans la peinture ; et nous qui chantons avec des pensées et qui peignons avec des paroles, nous devrions aussi, dans nos écrits, donner à chaque mot et à chaque phrase leur horizon et leur écho »

Depuis quatre mois j’ai pour voisin (dans l’immeuble situé à gauche par rapport à ma chaise de jardin) une sorte de rasta blanc invariablement accompagné par un chien galeux. Oh je n’ai rien contre les rastas blancs pas plus que je n’ai quelque chose contre les chiens galeux, le seul problème est que mon rasta blanc à le grand défaut de vouloir écouter une sorte de Ska festif à fort volume. Ce qui n’était au début qu’un léger désagrément accompagné d’une pointe de mépris goguenard de ma part, s’est transformé à la longue en un vrai problème. En effet J’ai bien du mal à lire quoique ce soit dans un tel tintamarre revendicatif (le ska festif est souvent revendicatif en plus d’être festif…). Ma concentration se perd dans de sournoises volutes d’agacement et presque à coup sûr je laisse choir mon volume avec un soupir résigné. J’ai bien essayé de lancer quelques cailloux par-dessus le mur qui nous sépare, mais sans effets visibles notables, mon voisin blanc à dreadlocks persiste à vouloir écouter son brinquebalant brouet musical (le ska festif est souvent brinquebalant). Voilà j’en suis là… .
Dans ces conditions tenté de lire quelques pages de Cioran (Cahiers, entretiens), Joubert (Pensées), Genette (Bardadrac).

21 août.- Quasi beau temps. (26°C) Lu quelques pensées de Joubert face au soleil : « Ceux qui ne pensent jamais au-delà de ce qu’ils disent et qui ne voient jamais au-delà de qu’ils pensent, ont le style très décidé. » Planté quatre fleurs, arrosé mes plantes, regardé un nuage passer tout en mangeant un très bon croissant, en somme rien d’épuisant.

22 août.- Belle journée, soleil, douceur… néanmoins quelques nuages tardifs. (25°C) Vaguement malade, barbouillé. Lu quelques poèmes de Patrice de la Tour du Pin , lumière chrétienne à tous les étages, petit halo sur le palier : « Dieu ne demande pas l’impossible, il le donne. »

23 août.- Repos. Journée péniblement maussade, nuages à foison, fraîcheur hors de propos.(19°C)
Hier soir, vie sociale, trop de vin. Enténébré pendant une grande partie de la journée. Poursuivi la lecture de Ma famille et autres animaux de Gérald Durrell. Merveilleux bestiaire : insectes divers et variés, volatiles circonspects, hibou apprivoisé, chiens fidèles et frères et sœurs excentriques.

24 août.- Fond de l’air assez frais contrebalancé par de larges et franches soleillées. (23°C)
Terminé Ma famille et autres animaux, livre charmant souvent très drôle et parfois vraiment captivant. Il faut dire que chez le plus jeune des frères Durrell un combat entre un Gecko et une mante religieuse prend des allures homériques (les autres bestioles plus ou moins croquignolettes qui sautillent un peu partout ne sont pas en reste). Les esprits retors reprocheront un certain goût pour l’anthropomorphisme, chaque bestiole ayant pour elle une personnalité bien marquée, ils auront tort ce n’est que de l’écume, le livre est vraiment très bien. (La famille Durell est aussi constituée de bestioles croquignolettes sautillant un peu partout, une mère presque indifférente dans les maelstroms divers et variés, une sœur qui ne pense que bronzage et lotion anti-acné, un frère qui tire sur tout ce qui bouge, un autre frère, le fameux Larry, cassant et presque toujours cocasse dans ses répartis).
Fini l’après-midi dans les Cahiers de Cioran, ce petit mot : « On arrive à un moment dans la vie où on n’imite plus que soi ».

25 août.- Nuages, nuages, nuages… (23°C) Nuageux, comme le temps. Retour dans le Journal de Stendhal, quelques dames aisément foutrables et des comptes d’apothicaires. Retour dans les pensées de Joubert : «  Il faut, dans les comparaisons, passer du proche au loin, de l’intérieur à l’extérieur, et du connu à l’inconnu. Il ne suffit pas en effet qu’elles soient justes, il faut encore qu’elles soient claires, et elles ne peuvent le devenir que lorsque l’objet auquel on compare est plus familier, plus apparent que l’objet comparé. »
à lire : Journal de Voyage d’un philosophe (Keyserling), Villes bigrement exotiques (Crad Kilodney), Journal (Philippe Jullian)…

28 août.- Beau temps chaud. (27°C) D’humeur assez badine. Taillé ma haie, arrosé mes plantes, Lu quelques pages du journal de Stendhal. 1811 est une assez bonne année, pas de maladie à signaler alors qu’en 1810 une vérole et pire, en 1809, une vérole et DEUX chaudes-pisses. Stendhal à 28 ans, il vadrouille là et ailleurs, envoie des fleurs artificielles à Mme Daru, se regarde vivre avec délectation…

29 août.- Ciel chargé et chaleur atrabilaire, l’ humidité rôde, l’humidité est là. (27°C) Saumâtre labeur, j’y perds mon temps, ma santé et mon moral. Nonobstant retour dans les Cahiers de Cioran. Crise « funèbre » tout prend à ses yeux yeux un visage de mort . Rhumatisme et névrite par temps de grands froids ou de grandes chaleurs, il traîne la patte gauche (moi c’est la droite). Rien pour lui, rien pour moi…


3.



30 août.- Journée agréable, soleil tout juste voilé par quelques nuages épars. Température agréable. (25°C)

« L’art consiste à faire éprouver aux autres ce que nous éprouvons, à les libérer d’eux-mêmes, en leur proposant notre personnalité comme libération particulière. L’impression que j’éprouve, dans sa substance véritable qui me fait l’éprouver, est absolument incommunicable : et plus je l’éprouve profondément, plus elle est incommunicable. Pour que je puisse par conséquent, transmettre ce que je ressens à quelqu’un d’autre, il me faut traduire mes sentiments dans son langage à lui, autrement dit exprimer exprimer les choses que je ressens de telle façon qu’en les lisant, il éprouve exactement ce que j’ai éprouvé »

Parmi les quelques inconvénients de la lecture en outdoor il y a bien évidemment les nuisances sonores qui éparpillent votre concentration et vous laissent posé dubitatif devant un texte que vous ne comprenez plus. Il y a aussi la météo capricieuse, le sens du vent, les nuages et même de temps à autre quelques bestioles qui vous tournicotent autour (insectes, petits félins domestiques, volatils divers et variés). Tenez, pas plus tard que cet après-midi un oiseau sournois tout autant qu’incommodé s’est permis de fienter sur la page 317 du Livre de l’intranquillité que je venais de rouvrir. Vous allez me dire qu’une page barbouillée c’est toujours moins pire qu’un crâne souillé (je suis globalement assez chauve), mais ce n’est pas une raison. Cette fiente était certes assez peu conséquente, une petite goutte marron foncé que j’imagine sans peine avoir un goût de noisette, mais elle ma sournoisement fait dériver au plus près des rivages ensablés du désappointement. Pour le reste, je suis toujours en parfait accord avec Fernando et plein d’une affection toute confraternelle : « Encore des crépuscules, des tenues négligées, des éventails refermés : et cette lassitude d’avoir été contraint de vivre… ».
Plus tôt dans la journée achevé la lecture du premier tome des Cahiers de Gustav Anias Horn. En somme un grand livre malade, un grand livre terrifiant, un grand livre perturbant, un grand livre tout ce que vous voulez ! « Nous nous étions couchés l’un sur l’autre comme si nous étions fondus en devenant du purin. Comme les morts, les vrais morts. Et au dessus de nous, tel un immense couvercle de cercueil la montagne de diamant de la gravitation avec toutes les étoiles gelées ».

31 août.- Temps fluctuant, tanguant plus souvent vers le morose que vers le lumineux. Cependant, une belle éclaircie accrochée entre 14h30 et 16h05. (23°C) Lu le tapuscrit d’une amie non virtuelle et vraiment palpable, scientifique sensible, bachelardienne, presque… Toujours avec Pessoa, tamponnant avec une amabilité touchée la plupart de ses affirmations… Son désespoir tranquille, son effacement et sa façon de ne pas être au monde, car le monde appartient à ceux qui ne ressentent rien. Pour le reste voisins toujours bruyants, un « barbecue tapageur » à gauche, des enfants sautant dans une piscine à droite. Le Ska festif de mon rasta blanc flottant un peu partout. Cela ne va pas durer, une voisine acariâtre à prévenue la Police, qui est passée.

1 septembre.- Ciel dégagé, du vent. (22°C)

« Lorsque l´automne vient, Je me souviens
   Et dans mon cœur Soudain, j´ai peur »

Septembre là, me voilà posé devant un soleil déjà trop bas, fermant les yeux et me laissant dominer par mes sensations, tentant d’oublier le temps qui passe, écoutant September Song chantée par Jimmy Durrante, c’est certainement la plus belle version de cette merveille concoctée par l’ami Weill (les versions de Johnny Hartman et Jean Sablon son très bien aussi). Lu quelques planches de Charles M Schultz, il y était question de feuilles mortes et de « rentrée »), lu une chronique de Vialatte, il y était encore question du grand retour du mordoré et de septembre : «  Voici septembre et sa lumière oblique, la plus belle lumière de l’année. Elle frise argente et fait des ombres longues. Le colchique fleurit dans les prés froids. La Voie lactée occupe le tiers du ciel. On l’appelait le chemin de Saint-Jacques. Jamais il n’y eut tant d’étoiles. On entend au loin rentrer un char… »

2 septembre.- Ciel nettoyé, vent frais. (23°C) Drôle d’écho entre Pesso et Cioran : « Seule est noble, seule est digne la stérilité. Seul le meurtre de ce qui n’a jamais été est rare, sublime autant qu’absurde » Rien d’autre.

4 septembre.- Beau temps chaud… inespéré. (27°C) Le labeur loin de moi et le soleil devant moi je me suis quasi endormi sur ma chaise de jardin et après une petite heure de flottement entre sommeil et lymphatisme triomphant je me suis retrouvé presque au-dessus de moi-même. C’est dans cet état que j’ai rouvert le Livre de l’intranquilité de l’ami Soares. Expérience étonnante, mémorable.


To be continued



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