« De tous ces voyages, je n’ai jamais rien tiré pour mes livres »
1.
Aussi rebutante soit-elle, aussi narcoleptique soit-elle, j’ai pour principe acquis le fait de ne jamais laisser choir une lecture en route ; j’ai en effet toujours de vagues scrupules à vouloir ainsi abandonner un développeur de syntaxe et de facto sa syntaxe avec en route, la lumière peut toujours surgir par mégarde et puis il y a toujours l’éventualité que je puisse me retrouver, comme par magie, dans les dispositions adéquates : dans le mood iridescent me permettant de discerner un infime point de pression avec le texte qui se dérobe lâchement à ma vision. Toujours est-il que je n’abandonne jamais une lecture en cours… presque jamais… et que je suis bien souvent récompensé par ma ténacité. Ho ! il y a bien d’infimes exceptions aux principes acquis et la règle en vigeur, le rose au front je dois par exemple avouer qu’au bout de vingt courtes pages d’efforts bien réels et inconstatables j’ai laissé choir sur le sol l’Effet Glapion du mage antibois Audiberti ; du mordoré qui vire au chanci, du boulevard au troisième degré, mais alors vieillot, mais vieillot dans le pire sens (pour le meilleur sens lire Jouhandeau) quelque chose de croupi dans l’humour jaune, comme une mauvaise maladie pas drôle qui se voudrait comique, la dernière fois que j’avais laissé choir sur le sol un livre avec un tel bruit mat c’était la morne valse d’Albert Cohen : Belle du Seigneur ; une sacré maladie, la maladie du sommeil… Peut-être, qu’en fait, j’ai un problème avec la faconde méditerranéenne en littérature ? Peut-être que ce baroquisme à la petite semaine m’ennuie, m’agace, voir pire en mieux m’endort ! Enfin j’exorcise tel un nyctalope tatillon car le reste d’Audiberti est souvent très bien, rempli de pierres biscornues et de mots gisant sous les oliviers, et puis c’était un type bien, la preuve il ne se nourrissait que de boites de sardines à l’huile (ou presque) … comme Brassens un autre méditerranéen, mais moins loquace lui.
2.
En 1925 Raymond Roussel se fit construire une roulotte automobile, une voiture-salon, une Rolls-roulotte bien à lui. Outre un cabinet de toilette, un salon avec lit escamotable, un secrétaire, un bar et une cuisinière, on y trouvait un dortoir amovible (et versatile) destiné au petit personnel (deux chauffeurs et un valet.)
Quelques quidams inquiets et néanmoins piétons du siècle dernier auraient vu ce curieux attelage (anxiogène, tel un corbillard surdimensionné) arpenter certaines routes européennes d’Alsace en Suisse, de Turquie en Italie, d’Italie en France et de France en Italie… Mussolini l’aurait visité en 1926 tout comme un nonce apostolique envoyé là par un pape curieux...un pape curieux et futé, puisque flairant intuitivement une proto papamobile plausible.
Lassé par le tourisme grandissant, la banalité croissante des Palaces, Raymond Roussel finit par s’enfermer dans sa Rolls-roulotte (son palace à lui) où, reclus, il fit mine de vivre en compagnie de sa maîtresse officielle, Charlotte Dufrène… Jolie couple en très petit indoor avec la domesticité amovible sur les côtés… Le véhicule, chambre noire inhalant couple et lumière, n’était plus « quitté » que pour de lumineuses activités liées à une toxicomanie galopante, White Light comme dirait l’autre…
NB : Raymond Roussel est mort d’un accès de barbiturique dans la nuit du jeudi 13 au vendredi 14 juillet 1933, entre minuit et deux heures du matin c’était dans la chambre n°224 (aujourd’hui n°225) du Grande Albergo delle Palme à Palerme un palace non motorisé où le tintammaresque Wagner avait précédemment composé Parsifal, vous voyez le truc qui fait crincrin ?
Ps : La Rolls-roulotte fut présentée au salon de l’automobile 1925. Les derniers mots de Raymond Roussel (à Charlotte Dufrène ) : « Ne t'inquiète pas ».
On quittera un instant les vrais faux fous littéraires et on rejoindra nonchalamment les bords de la méditerranée : celle de JD Pollet, celle du « plus con des suisses pro-chinois »… la méditerranée de la vengeance des Dieux celle où au deuxième jour des Anthestéries athéniennes (la fête des fleurs ) on confiait à chaque Athénien une outre de vin : il s’instituait alors un genre d’espèce de tournoi plus éthylique qu’athlétique ; le vainqueur était celui qui avait le premier vidé son outre. Le lendemain le troisième jour des Anthestéries athéniennes était consacré aux marmites (la fête des marmites) ; quand on sait que dans ces marmites là il y avait l’âme des morts qui flottait, on frémit rétrospectivement et, pour se rassurer, on débouchonne un Guigual qui n’attendait qu’à être débouchonné.
Ah oui j’oubliais ! le Cefalù de l’ami Durell commence comme du Graham Greene sans espions pour finir panthéiste, très panthéiste, magnifiquement panthéiste… Dans le creux d’un Eden crétois avec la mer qui plus bas scintille dans le bleu. Le reste est une histoire d’éboulement, le reste est très bien aussi, vous n’avez qu’à lire le reste.
NB : Loin des Athéniens zigzagants outre en main, lors des Purim, le Talmud enseigne que l’on doit boire jusqu’à ne plus reconnaître l’un des deux cris particuliers à la fête proposée : « Maudit soit Aman !» et « Beni soit Mardochée ! »
Ps : Chez les Chinois ancestraux on creusait des étangs que l’on emplissait de vin, sur ces étangs on aurait pu faire tournoyer des navires.
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