mercredi 17 octobre 2007

Psychogeographie indoor (3)

« Il faudrait que je retrouve la liste des rues qui ne sont pas seulement des zones neutres, mais des trous noirs dans Paris. Ou plutôt des éclats de cette matière sombre dont il est question en astronomie, une matière qui rend tout invisible et qui résisterait même aux ultraviolets, aux infrarouges et aux rayons x. Oui à la longue, nous risquions d’êtres aspirés par la matière sombre. »



Nostalgie, ennuie, éternel retour, zones neutres, la brume chez Modiano est un trou noir. La brume modianesque comment ça marche ? fin abrupte, Debord et « In girum imus nocte et consumimur igni ». Café et jeunesse perdue, Larronde, et Adamov, petite musique, plus que petite musique… point y de la modernité, point y de la nostalgie, psychogéographie ? En fait tout part de In Girum… regardez In Girum et vous saisirez pourquoi… enfin lisez plutôt In Girum c’est surtout un texte, l’un des plus beaux de la langue française toutes périodes confondues. Ouvrez In Girum pages 34,35 et vous me saisirez. Voilà comment marche Modiano cette fameuse nostalgie qui en fait n’est qu’un prétexte, une doxa poétique, où les souvenirs ne seraient que le fil qui passe dans la trame, car les souvenirs se contentent de piquer l’imaginaire, ce territoire de la fiction(1). Alors si Modiano a bien connu une vague Louki (l’héroïne suicidée de ce roman) elle est aussi la Youki de Robert Desnos… et tout est toujours ainsi chez lui... Modiano… le vrai, le vécu et le vécu des autres mélangés, mêlés… dans une pâte légère, un mortier cristallin, drôles d’ingrédients pour sculpter une brume impressionniste... drôle d’idée que de vouloir sculpter du brouillard… Alors, voilà que tout est dans tout et que tout est éventuellement possible : Desnos qui était l’ami du Docteur Ferdière, celui qui soignait Antonin Artaud… Arthur Adamov qui lui était l’ami d’Antonin Artaud, les amis de mes amis sont mes amis… Pour en revenir à Modiano à sa vie et à une réalité plausible « La place de l’étoile » son premier roman récupérait sans le savoir un titre de Desnos. Modiano découvrira tout ça un soir de déprime chez le Docteur Ferdière « J'étais défait. J'avais l'impression d'avoir volé ce titre à Desnos, à cet homme qui était mort l'année de ma naissance, dans les conditions qu'on sait, des conditions qui ont été si importantes pour ma génération et qui marquent tellement mon travail.» La place de l’étoile, la place du cœur, tout est dans la brume, mais tout est imbriqué, et derrière la brume, un précipice, un trou noir… Le Docteur Ferdière était l’éditeur posthume de Desnos, Ferdière Antonin Artaud, Arthur Adamov les ennemis des mes amis sont mes amis, c’est la ronde… de nuit..
Dans le nouveau Modiano il n’est jamais question du Dr Ferdière, d’Artaud ou de Desnos, il n’est même pas question de ce beau trou noir qu’était Guy Debord autrement que par cette citation en épigraphe (2) qui elle était déjà de la pluie éthylique autour de Dante Alighieri.. Il n’est donc pas question de ces heureux ( ?) absents et disparus mais ils sont tous là en filigranes, un peu flottants parmi une cohorte d’évoqués explicites : Arthur Adamov, Olivier Larronde, Jean Babillée, Maurice Raphaël…
Arthur Adamov suicidé de la société aux yeux liquides, Olivier Larronde, le dernier poète maudit, épileptique, opiomane et alcoolique, mort à l'âge de 38 ans … un Rimbaud qui se serait perdu dans l’absinthe plus qu’en Abyssinie… Jean Babilée parce que c’est un nom qui sonne bien… Maurice Raphaël, collaborateur et tortionnaire sous Vichy auteur de polars sous le nom d'Ange Bastiani….
Il y a bien dans ce nouveau Modiano ce que son lectorat supposé cherche, un programme minimum, la jeunesse perdue, la nostalgie et une intrigue embrumée que je vous laisse découvrir, il y a bien le territoire de Modiano, le territoire des souvenirs… un vague ennui à faire avec la petite musique.. Terme peu ragoûtant… On pourrait y voir pourtant plus qu’un roman rembruni et routinier , une matière pure, avec des spirites, du situ light et une fin abrupte et émouvante… On pourrait voir surtout et au-delà du flottant poétique, l’amour des livres et l’envie de lire tous ces drôles de types, écrivains et poètes … Guy Debord, Dante Alighieri , Arthur Adamov, Olivier Larronde , Robert Desnos, Antonin Artaud, Edgar Poe, James Hilton, Jean Maillard, Theodor Sturgeon, Friedrich Nietzsche, Patrick Modiano, Georges Perec…

Finalement, la petite musique embrumée pour lectrice de « Elle » n’est que nécromancie, gisons dans les livres il y a des fantômes dedans.

(1) « Le Paris où j'ai vécu et que j'arpente dans mes livres n'existe plus. Je n'écris que pour le retrouver. Ce n'est pas de la nostalgie, je ne regrette pas du tout ce qui était avant. C'est simplement que j'ai fait de Paris ma ville intérieure, une cité onirique, intemporelle où les époques se superposent et où s'incarne ce que Nietzsche appelait «l'éternel retour.»

(2) « À la moitié du chemin de la vraie vie, nous étions environnés d’une sombre mélancolie, qu’ont exprimée tant de mots railleurs et tristes, dans le café de la jeunesse perdue. »

3 commentaires:

skorecki a dit…

http://fr.youtube.com/watch?v=oK2m-N7GKXA
réalisation: chino laatita, 14 ans

c'est du blues noir si blanc et si génial que tous les intégristes l'ont ignoré pendant un demi siècle

Philippe L a dit…

Pendant que je vous tiens Louis faites un tour par-là : http://eldiablotuntun.blogspot.com/

c’est mal très mal du compressé diabolique , on y trouve American Primitive Vol. 2 pour zéro dollars par exemple

Philippe L a dit…

et le Butch Cage est très beau pour le moins, c’est vrai…