jeudi 6 octobre 2005

Fuir - Jean Philippe Toussaint (2005)



Je dois avouer à ma grande honte un intérêt flottant pour l’œuvre de Jean Philippe Toussaint, je me souviens avoir lu il y a une éternité, La Salle de Bain et un autre livre dont j’ai oublié le titre et même l’intrigue - il faudrait que je retourne dans ma bibliothèque tel un varappeur sournois pour le retrouver-. Dans mes souvenirs Toussaint c’était un peu les oripeaux du nouveau roman, avec une petite musique faite de distance de cocasse et un humour vaporeux, agréable à lire mais pas crucial, manquait surtout un peu d’âme, sachant que poser son âme sur le papier n’est pas toujours un gage de qualité en littérature je me trompais sûrement, je dois avouer que dans des territoires pas si lointains et toujours chez Minuit, je préférais largement Jean Echenoz

Donc j’ai lu Fuir le nouveau Toussaint et on retrouve tout cela, la distance, le cocasse, une sorte d’abstraction, mais bizarrement mon intérêt est devenu moins flottant comme plus attiré, l’age avançant, je m’accorde certainement mieux à la musique de Toussaint, au lieu d’éprouver une vague satisfaction je le comprends mieux ou est ce lui qui m’appréhende mieux.
On sent que l’intrigue est faite de choses un peu intimes qui structurent un récit alibi ; Une rupture amoureuse, un voyage en chine, une vague intrigue policière, un non-tourisme assidu, la renaissance du sentiment amoureux… Tout cela dynamisme en creux, l’intrigue est un petit véhicule, le grand véhicule est ailleurs. Dans par exemple cette histoire de téléphone portable qui fait le lien ; tour à tour, intriguant, insignifiant ensuite mortifère… dans cette vision de la chine qui doit plus à Jacques Tati qu’à quiconque, car il y a du Tati chez Toussaint, même burlesque lunaire, même attention à l’apparence qui serait aussi la vérité, même bonheur dans la description de l’urbain, même absence de communication ou alors par des fils secrets ; Des néons dérisoires aux périphériques incertains.

Il y a aussi cette impression de lire un roman vraiment actuel, pas loin de questions et de représentations que travaillent l’art contemporain, une attention à la poésie non manifeste des choses, une vraie qualité cinétique …

Il y a le Bund de Shanghai, un train de nuit cocasse, des villes en construction, on passe devant la cité interdite à toute vitesse pour finir dans un bowling clinquant et chamarré.
Le récit est fluide, tout passe évidemment, avec un naturel magique, sans les à-coups d’une psychologie hypothétique qui n’est ici qu’affleurante, les personnages sont en constant décalage et se déplacent dans un monde qui semble ne pas exister en dehors des lieux qu’ils traversent, existe avec instance, seulement la chaleur, moite en chine, sèche sur l’île d’Elbe, le bitume, le décor en en règle générale, la cruelle velléité d’un monde qui cherche à exister.

Il y a au cœur de Fuir un passage, une scène ? On n’est pas loin d’un film potentiel transcrit par des mots tout au long du roman, une scène donc merveilleuse d’intelligence, qui mêle tout, c’est la scène qui se passe dans un train de nuit entre Shanghai et Pékin ; Désir, séduction, humour bancal, sexe, mort, village global, ressentiment, culpabilité, résignation, regrets, pour ces quelques pages qui font basculer le récit vers une mélancolie modeste, fuir est déjà beaucoup.


PS : je déteste aussi les téléphones et encore plus les téléphones portables moi aussi.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

J’ai bien aimé votre article. En voyageant de site en site à la recherche de réactions au roman de Toussaint, je suis notamment tombé sur un papier de l’affreux Pivot qui est une des choses les plus illisibles qui m’ait été donné de lire récemment – et ceci en plein milieu du site des Éditions de Minuit. Allez-y voir, ça vaut le déplacement.