mercredi 30 mars 2005

Peut-on mourir devant un tableau ?

Peut-on mourir devant un tableau ? A cette question Proust répond oui, Bergotte meurt devant la Vue de Delft de Vermeer ou plus précisément c’est un détail de ce tableau qui l’entraîne dans une ivresse fatale, ce détail c’est un petit pan de mur jaune à l’extrême droite du tableau, un détail qui isolé de l’oeuvre devient une matière précieuse qui l’étourdi au point de lui faire comprendre la vanité de son œuvre littéraire. Proust avait vu le tableau de Vermeer en 1902 à La Haye et lors d’une exposition au jeu de paume en 1921 ou il fut victime comme Bergotte d’un malaise « depuis que j’ai vu au musée de La Haye La Vue de Delft j’ai su que j’avais vu le plus beau tableau du monde . »
Cette toile en elle même est assez singulière pour Vermeer c’est son seul grand tableau de paysage alors qu’habituellement il privilégie les intérieurs peuplés de personnages souvent féminins, la Vue de Delft est d’une grande exactitude topographique, extraordinairement minutieuse dans les détails et hantée par une lumière admirable.


Vermeer - Vue de Delft. Mauritshuis. La Haye. 98 x 117,5 cm. v.1661.

« il mourut dans les circonstances suivantes : Une crise d’urémie assez légère était cause qu’on lui avait prescrit le repos. Mais un critique ayant écrit que dans la vue de Delft de Vermeer (prêté par le musé de La Haye pour une exposition hollandaise), tableau qu’il adorait et croyait connaître très bien, un petit pan de mur jaune (qu’il ne se rappelait pas) était si bien peint qu’il était, si on le regardait seul, comme une précieuse œuvre d’art chinoise, d’une beauté qui se suffirait à elle même, Bergotte mangea quelques pommes de terre, sortit et entra à l’exposition. Dès les premières marches qu’il eut à gravir, il fut pris d’étourdissements ; Il passa devant plusieurs tableaux et eut l’impression de la sécheresse et de l’inutilité d’un art si factice, et qui ne valait pas les courants d’air et de soleil d’un palazzo de Venise, ou d’une simple maison au bord de la mer. Enfin il fut devant le Vermeer qu’il se rappelait plus éclatant, plus différent de tout ce qu’il connaissait, mais ou, grâce à l’article du critique, il remarqua pour la première fois des petits personnages en bleu, que le sable était rose, et enfin la précieuse matière du tout petit pan de mur jaune. Ses étourdissements augmentaient ; il attachait son regard, comme un enfant à un papillon jaune qu’il veut saisir, au précieux petit pan de mur. « C’est ainsi que j’aurais du écrire, disait-il. Mes derniers livres sont trop secs, il aurait fallu passer plusieurs couches de couleur, rendre ma phrase en elle-même précieuse, comme ce petit pan de mur jaune. » Cependant la gravité de ses étourdissements ne lui échappait pas. Dans une céleste balance lui apparaissait, chargeant l’un des plateaux, sa propre vie, tandis que l’autre contenait le petit pan de mur si bien peint en jaune ; Il sentait qu’il avait imprudemment donné la première pour le second. « Je ne voudrais pourtant pas, se dit-il etre pour les journaux du soir le fait divers de cette exposition. » Il se répétait : « Petit pan de mur jaune avec un auvent, petit pan de mur jaune. » Cependant il s’abattit sur un canapé circulaire ; aussi brusquement il cessa de penser qe sa vie était en jeu et , revenant à l’optimisme, se dit : « c’est une simple indigestion que m’ont donnée ces pommes de terre pas assez cuites, ce n’est rien. » Un nouveau coup l’abattit, il roula sur le canapé par terre ou accoururent tous les visiteurs et gardiens. Il était mort. Mort à jamais ? Qui peut le dire ?

Marcel Proust - La Prisonnière.


2 commentaires:

Anonyme a dit…

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Anonyme a dit…

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