samedi 9 août 2025

Psychogeographie indoor (149)

 


I pay — in Satin Cash —
You did not state — your price —
A Petal, for a Paragraph
Is near as I can guess —

22 juin 2024.– Nuages denses, éclaircies parcimonieuses, vagues averses orageuses. Rien de vraiment estival (22°C). Commencé la lecture d’Outre-Terre de Jean-Paul Kaufmann. Napoléon et la bataille d’Eylau, Balzac et le Colonel Chabert, Antoine-Jean Gros et le préromantisme pictural, Königsberg transformée en Kaliningrad, la déglingue postsoviétique et un voyage en famille. Kaufmann fait avec tous ces ingrédients pour fomenter une petite affaire bien à sa manière. Je n’ai lu que cent pages qui ne m’ont pour l’instant pas déçu. On y voit très bien ce qu’est devenue Königsberg, soit un fief oublié qui a cessé d’appartenir à notre système pour mieux se réaliser comme une sorte d’entité soviético-galactique. On y perçoit aussi ce qui aura formé le Jean-Paul Kaufmann d’âge mûr, un rescapé ayant subi la loi d’individus absurdes (ses geôliers djihadistes), un type dégrisé de lui-même qui pourrait paraître froid, car il garde ses distances pour éviter d’empiéter chez autrui. Tout étant dans tout, peut-être aussi un autre Colonel Chabert ? Allez savoir ?

D’autre part, Libér(ation) publie un long article sur les hommes de la rue du Bac, un réseau rosicrucien à-peu-près gréco-romain et tout à fait pédophile où auraient sévi Gabriel Matzneff, Michel Tournier, Jean-François Revel, Claude Imbert et possiblement Emil Cioran. S’agissant de Matzneff, rien d’étonnant, de Tournier guère plus. L’étonnement est par contre de mise lorsque l’on pense à Jean-François Revel et encore plus à Cioran, que l’on n’imagine guère portant une toge romaine lubrique devant des lardons et lardonnes. Pour le reste, on se fiche totalement de Claude Imbert (supposé chef de la bande).

Élections. Ne votons pas extrême gauche, ne votons pas extrême centre, ne votons pas extrême droite. Votons extrême rien !

23 juin 2024.–  Ciel très nuageux, du vent (22°C).

Matin, dix kilomètres de dérive cycliste, suivis par la suite de l’affaire napoléonienne de Kaufmann (le chat de la voisine ronronnait sur mes genoux). Belle coalescence entre intime et grande histoire. Description terrible du champ de bataille d’Eylau. Un bourbier, un magma gluant de troncs écrasés, de ventres déchirés… Ce magma gluant duquel émergera Hyacinthe Chabert, colonel de son état. L’indifférence de Napoléon face à tout ça, pour tout dire, l’indifférence de Napoléon face à toute chose.

Après-midi, jardinage, taille des haies, rempotages divers et variés. Pour tout dire, guère d’activité sexuelle.

24 juin 2024.– Larges variations. Impression de passer d’une saison, d’un continent à l’autre plusieurs fois dans la journée. Cependant pas la moindre trace d’exotisme corrélatif (26°C). À défaut d’offrir le procès-verbal de mes aventures sexuelles, ce vague journal me permettait jusqu’à présent d’établir le procès-verbal de mes lectures, ce n’était pas grand-chose et c’était toujours ça. Évidemment, au bout d’un certain temps, il est possible qu’une certaine lassitude se soit installée, chez moi et encore plus chez mes hypothétiques lecteurs. Voilà pourquoi je compte diversifier ma petite entreprise en leur proposant désormais le procès-verbal de mes courtes escapades pédestres et vélocipédiques ainsi que le procès-verbal de mes activités potagères (rassurez-vous, toujours rien de sexuel). Ainsi, ce matin ai-je fait une courte randonnée d’une quinzaine de kilomètres qui, entre parcs et jardins, m’aura mené sur un belvédère situé aux lisières de la ville de Lyon. Mon point de vue, surplombant, forcément surplombant, était tout ce qu’il y a de plus stratégique et m’a permis d’observer avec tout le recul nécessaire les divers quartiers. Il me semble que la distance était bonne puisque, de si loin, je n’ai détecté aucune présence humaine dans une agglomération qui compte pourtant plus de deux millions d’habitants. Pour tout vous dire, ce que j’ai vu tenait plus du machinisme que de l’organique humain un peu pénible. Des véhicules, voitures, bus, camions et trains, des grues, des buildings lointains, de vieux toits de tuiles rouges, deux fleuves qui se rejoignent. Ce fut comme un retour à l’enfance, l’enfance des maquettes et surtout pas celle des écoles et des relations humaines. Pour ce qui est de la partie potagère de ma journée, fait un tour dans une jardinerie (heureusement fort dépeuplée) où j’ai acquis quelques œillets, géraniums et autres fleurs que je planterai demain. Ah oui, j’oubliais, pour ce qui est de la partie lectorale de ma journée, bien avancé dans l’Outre-terre de Kaufmann. L’odeur des ex-pays communistes. Une odeur d’œuf pourri (l’odeur de la lignite, un charbon bon marché). Le bruit des champs de bataille napoléoniens. Le son bref et aigu des balles qui frôlent l’oreille et l’âme. Les notes étranges émises par la marine américaine au Liban pendant la guerre du Chouf (une chambre à air qui éclate). Eylau et Beyrouth, tout se boucle (mais rien n’est vraiment sexuel).

25 juin 2025.– Beau temps chaud, comme si c’était possible ! (28°C). Randonnée matinale. Lotissements à la mode américaine, pelouses suburbaines suivies de nombreuses villas bourgeoises de mauvais goût palladien, trois ou quatre vieilles maisons de maîtres en fond d’impasse. Des sentiers, des bois et sous-bois et, au loin, la masse blanche et indifférente de quelques grands ensembles se détachant sur le vert. Peu de présence humaine, guère de circulation automobile. Rien à redire, l’accord entre tout ce que j’ai traversé m’a semblé respecté (notons que mes chemins auront été de traverse). Après-midi, quelques plantations, un chapitre de Kaufmann et puis ces lignes de Maurice de Guérin, qui me semblent être ton sur ton avec mes sentiments du moment : « Paris, le 20 août. Quitter la solitude pour la foule, les chemins verts et déserts pour les rues encombrées et criardes où circule pour toute brise un courant d’haleine humaine chaude et empestée ; passer du quiétisme à la vie turbulente, et des vagues mystères de la nature à l’âpre réalité sociale, a toujours été pour moi un échange terrible, un retour vers le mal et le malheur. À mesure que je vais et que j’avance dans le discernement du vrai et du faux dans la société, mon inclination à vivre, non pas en sauvage ni en misanthrope, mais en homme de solitude sur les limites de la société, sur les lisières du monde, s’est renforcée et étendue. Les oiseaux voltigent, picorent, établissent leurs nids autour de nos habitations, ils sont comme concitoyens des fermes et des hameaux ; mais ils volent dans le ciel qui est immense ; mais la main de Dieu seule leur distribue et leur mesure le grain de la journée ; mais ils bâtissent leurs nids au cœur des buissons ou les suspendent à la cime des arbres. Ainsi je voudrais vivre, rôdant autour de la société et toujours ayant derrière moi un champ de liberté vaste comme le ciel. Si mes facultés ne sont pas encore nouées, s’il est vrai qu’elles n’ont pas atteint toute leur croissance, elles ne feront leur développement qu’en plein vent et dans une exposition un peu sauvage. Mon dernier séjour à la campagne a redoublé ma conviction sur ce point. » (Journal, lettres et poèmes)

27 juin 2024.– Vague tiédeur virant à l’orageux (31°C). Labeur. Sieste impossible. Karcher à droite, ponceuse à gauche. Lu trois pages des Cahiers de Cioran. Nothing else.

28 juin 2024.–  Tiédeur orageuse (32°C). Labeur. Problèmes domestiques. Rien lu.

29 juin 2024.– Chaleur humide poisseuse, patibulaire (30°C). Vélo matinal. Quinze kilomètres à la fraîche. Chemin faisant, croisé une sorte de réunion de bourgeois bohèmes. Que faisaient-ils ? Était-ce là un comité de vigilance antifasciste en formation ? Il faut dire que la France tremble, car demain ce sont les élections législatives et la menace gigote. Rentré à bon port, aucun barrage sur ma route, fini L’Outre-Terre de Jean-Paul Kaufmann. Je n’aurais pas dû laisser la soixantaine de pages qu’il me restait à lire en attente. En reprenant ma lecture, je n’ai ressenti qu’un vague ennui (il ne faut jamais laisser un livre de côté pendant quelques jours, il se venge toujours quand on le rouvre). De surcroît, Kaufmann ne parle d’aucune menace fasciste mais plutôt de Napoléon et du collectivisme défraîchi. Disons que l’encombrant n’est pas loin. Après déjeuner, longue sieste, assez dérangé par le petit félidé de la voisine (en fait, il s’agit d’une petite félidée) qui m’a réveillé en me léchant les oreilles et en faisant un semblant de roupillon sur mon large ventre tout en effectuant de grandes séances de patounage. Tout cela était bien périlleux. Je me demande si cette petite bestiole-là n’est pas un peu fasciste elle aussi… Pour revenir au fascisme, relu ce que Pasolini pensait du fascisme et de l’antifascisme dans un monde démocratique dominé par le marché. Évidemment, il avait tellement raison. (Vous pouvez me jeter des pierres, allez-y !)

30 juin 2024.Large plafond nuageux (21°C). Météo maussade, humeur maussade. Journée empreinte d’un lymphatisme plus que prononcé, j’attends le résultat des élections avec un aquabonisme lassé, imaginant sans peine le pire tout en haussant les épaules devant les pleurnicheries de ceux qui l’auront porté à l’insu de leur plein gré. Malgré tout, lu trois ou quatre chroniques de Bernard Frank, représentant d’une gauche plus gastronomique que morale. D’autre part, je fais mes valises. Demain, départ pour l’Auvergne, qui, je l’imagine, sera toujours située en zone libre.

1er juillet 2024.– Murol. Ciel à moitié nuageux (18°C). Arrivé à bon port. Grande quiétude des lieux. Sacrifié un Saint-Nectaire en fondue (plat pas forcément de saison mais il faut bien céder un peu à l’exotisme des lieux), bu un petit blanc local… Sinon, pour ce qui est du monde, ceci : en dehors de quelques irréductibles Bretons, la carte des résultats des élections d’hier soir explique tout. Comme il y a deux Amériques qui vivent dans le même pays mais pas sur les mêmes territoires, il y a deux France qui vivent dans le même pays mais pas sur les mêmes territoires. Une solution : que l’une, la France « périphérique », demande son indépendance et que l’autre, la France Uber Eats, se rallie au grand consortium européen. Soit un cauchemar vaguement pétainiste d’un côté et un cauchemar néo-libéral de droche et de groche de l’autre. Quant à moi, je me fiche un peu de tout ça, je suis ma propre principauté.

2 juillet 2024.– Chambon-sur-Lac. Bruine pour ainsi dire écossaise, rien d’estival (16°C). Château de Murol et tour du lac Chambon, randonnée de faible intensité, miracles de la nature qui parfois reprend ses droits.

3 juillet 2024.–  La Bourboule. Quasi frimas (6°C→15°C). Col de la Croix-Morand, pas de sentiments d’abandon mais un certain pincement d’ordre muratien. Mont-Dore et La Bourboule, architecture et thermalisme, soit une certaine idée de la civilisation.

4 juillet 2024.– Besse. Bruine et vagues éclaircies, temps pour ainsi dire breton (15°C). Saint-Nectaire : en dehors du fameux fromage, magnifique église romane. Besse, jolie et médiévale, un peu piège à touristes. Tour du lac Pavin. Sur mon chemin, croisé Mathieu Madénian, l’acteur druckerien, et une équipe de tournage de TF1 pleine de professionnels de la profession : des cuistots, des régisseurs en veux-tu en voilà, un type préposé au café et un autre aux cakes aux fruits. Madénian, posé sur une petite chaise en plastique, semblait s’ennuyer comme un ragondin sous la bruine. Je crois qu’en me voyant passer, il a failli me demander un autographe.

7 juillet 2024.– Beau temps avec quelques nuages élevés (24°C). Retour du Sancy que j’ai quitté avec une certaine nostalgie. Ici, tout semble plus terne, moins vert, lourd. Dans la matinée, lu Neuf mois, court récit où, dans une première partie, Philippe Garnier raconte l’agonie de sa femme : son cancer de l’estomac, la morphine, son refus de s’alimenter pour accélérer une fin qui devient programmée… La seconde partie est moins dure, c’est plutôt un autel, une « chambre verte ». Garnier se souvient de sa rencontre avec celle qui deviendra sa femme pendant plus de trente ans. On retrouve sa précision habituelle, son goût du détail un peu maniaque, mais cette fois-ci appliqué à sa propre histoire. Le tout, cette première partie et cette seconde partie, donne un résultat sec et beau, et laisse le lecteur avec quelques nœuds dans la gorge. On pense un peu aux livres-autel de Joan Didion, c’est un compliment. (Je n’en dirai pas plus, je ne suis pas très inspiré)

8 juillet 2024.– C'est l'été (28°C). En Auvergne, tout le monde répondait à mes bonjours. Ce matin, lors de ma petite promenade, une seule personne a répondu à mon bonjour, c'est peu. Peut-être que ceux que j'ai croisés étaient des électeurs du Rassemblement national ? Hier ils étaient plus de dix millions et ils ont perdu face aux six millions du camp d'en face, ce qui, en y réfléchissant, n'est guère compréhensible et expliquerait certainement ce manque d'entrain face à mes bonjours. J'ai cependant des doutes, car il me semble avoir croisé quelques spécimens non labellisés fascistes. L'impolitesse me semble assez bien partagée. Sinon, mes voisins sont toujours aussi bruyants, au-dessus, à côté et encore à côté… Ils me disent bonjour quand je les croise, mais je sens bien qu'ils se forcent. Ont-ils voté utile ? Quant à moi, je ne vote plus depuis quelques années, je ne fais plus « barrage », tout cela me fatigue assez… Un autre type qui fut assez fatigué par la politique, c'est Alain Chany. « Tiré à part », fils de Pierre Chany (meilleure plume de L'Équipe ad vitam æternam), auteur de L'Ordre de dispersion, livre culte sur l'après 68. Assez à l'image de ce qu'avait pu faire avant lui un Joseph Delteil, il disparaîtra, se repliant dans le Gévaudan, en Haute-Loire, comme s'il repliait un décamètre, comme ça, par lassitude et peut-être aussi un peu par distraction. Dans Une sécheresse à Paris, l'un des rares écrits qu'il a laissés avant de trépasser avant l'heure légale dans un accident vaguement agricole, on le retrouve un peu de guingois, zigzaguant entre Belleville et Auvergne, trébuchant dans d'heureuses alcoolémies alimentées par son philosophe préféré : Heineken. On pense parfois à une sorte de Vialatte moins cintré, on pense à Henri Calet, on pense à l'Éric Holder des chroniques, ce genre de types un peu à côté de tout, avec les autres mais loin des grandes affaires du monde, souvent tanguant, mais toujours avec une belle patte humaine. La patte humaine, c'est parfois simple comme un bonjour…

9 juillet 2024.– Premières chaleurs qui ne vont pas durer, car là, au-dessus de mon auguste personne, c'est un nuage et puis du vent. L'orage n'est pas loin (34°C). Lever huit heures, douche, petit-déjeuner, lecture de l'Équipe du jour. Cabrioles avec la petite félidée de la voisine de gauche, suivies par dix kilomètres de dérive vélocipédique assez inspirés par les méthodes helvétiques jadis importées par Charles-Albert Cingria. Emprunté quelques chemins de traverse pas forcément autorisés (que voulez-vous, je suis un maverick, un outlaw). Cependant, trop de voitures, retour assez rapide vers mon petit intérieur, posé mon vélo, changé de chaussures – c'est à cet instant de la journée que la petite félidée de la voisine m'a léché les pieds – puis départ pour une courte virée pédestre. Tour par le cimetière (mes morts étaient toujours là), tour par l'hôpital et son parc de quatre hectares où, sur un banc ombragé et à côté d'une poule, d'un poney et d'une chèvre (ce sont des animaux thérapeutiques), j’ai poursuivi la lecture de la petite affaire d'Alain Chany entamée hier (on notera que l'hôpital fait office de maternité et de maison de retraite, avec le cimetière avoisinant, tout est parfait, tout est bouclé). Au bout d'une heure, le charme des lieux se dissipant peu à peu, choisi de changer de spot de lecture et me suis dirigé vers un autre parc et un autre banc situé à moins de cinq cents mètres de là. Fini le Chany, on peut y lire des choses comme celle-ci : « Pour contribution sociale à la vie vacancière – et, m’étant mis en tête, ce soir-là, de croire aux vertus de l’idiotie estivale – j’allai, tel un employé du Club Méditerranée dont certains collègues se demandent quand même s’il ne tient pas un journal, à la cuisine, chercher des boissons fraîches et des fruits de la passion. » Il y a pire.

Nouveau retour vers mon petit intérieur, enlevé mes chaussures, bu un litre d'eau d’Évian et repris une douche. À treize heures, déjeuner de prolétaire : salade de tomates, steak haché, frites, pomme, café et rosé d'Ardèche. Sieste consécutive (le rosé d’Ardèche, que voulez-vous) puis léger retour dans le Journal de Julien Green où il était question de Gide et du yoyo… Toute une histoire : « Rivière nous racontait que Gide, étant venu déjeuner chez lui, la conversation était tombée sur le yoyo qui fait fureur à présent. “Quel jeu stupide !”, s’écrie une dame. — N’est-ce pas, madame ? », répond Gide, et il sort aussitôt de sa poche un yoyo qu’il lance en avant avec une habileté consommée. Il est parti peu après, disant qu’il avait rendez-vous avec un professeur de yoyo, un “type épatant”. »

Voilà, j'en suis là, la petite félidée de qui vous savez ronronne sur mes genoux, je vais regarder l'arrivée du Tour de France cycliste à la télévision.

10 juillet 2024.– Tiédeur et queue d'orage (27°C). Journée légumineuse et patibulaire. Guère de motivation. Lu dix pages de Cingria et trois chroniques de Bernard Frank. Tour de France et valises. Demain, direction l'Ardèche.

12 juillet 2024.– Vals-les-Bains. Les orages se dissipent au fil de la journée (27°C). Visite d'Aubenas : joli château, joli centre historique, mais beaucoup de devantures abandonnées, encore les stigmates d'une France périphérique à l'agonie. Le petit village d'Ailhon est moins déprimant : église romane, maisons en pierre, sentiers bucoliques et tranquillité palpable. Rien à redire, c'était parfait.

14 juillet 2024.– Vals-les-Bains. Beau temps (30°C). Hier, visite de Vogüé et Balazuc, deux villages en bord d'Ardèche. Le premier est très bien avec un beau château et de belles ruelles (on parle de calades). Le second pourrait l'être aussi, mais il est totalement envahi par le flux touristique et des hordes de Bataves s'exprimant dans leur idiome barbare. C'est dommage. Aujourd'hui, visite d'Antraigues, village perché où le chanteur contestataire Jean Ferrat aura passé une grande partie de sa vie. Fait un tour au cimetière, sur sa tombe, et dans la maison qui lui est consacrée (ce n'est pas sa vraie maison, mais plutôt un petit musée sacrifiant un peu au culte de la personnalité). Sur mon chemin, croisé quelques clones moustachus, dont l'un portait un tee-shirt à l'effigie de son idole. Tous ces gens me semblaient assez imprégnés par les lieux et comme en pèlerinage. Poursuivi jusqu'à Mézilhac et son col (1119 m). Beau panorama sur le Gerbier de Jonc. Fini la journée dans la piscine de mon hôtel, tel une baleine échouée.

15 juillet 2024.– Vals-les-Bains. Nuages mordant les montagnes. Bruine (25°C). Journée en partie gâchée par une cervicalgie tenace. Néanmoins visité Meyras et Jaujac, deux villages assez préservés du flux touristique.

17 juillet 2024.– Journée estivale (27°C). Retour d'Ardèche. Cervicalgie toujours tenace, quasi impossibilité de tourner la tête vers la gauche, ce qui, en termes politiques, pourrait m'attirer quelques ennuis. Commencé Les chemins parcourus, l'autobiographie d’Edith Wharton. Très élégant voyage à rebours, chic du style (bonne traduction), éloge du teint, de la transparence de coquillage, du blanc lactescent, des joues roses et des mains opalines que l'on aimerait tenir dans les nôtres, qui le sont moins. Évidemment, cela n'arrivera pas. La jeunesse d'Edith Wharton, c'était il y a cent ans. On aurait aimé papillonner à cette époque (enfin, en tant que bourgeois, cela va sans dire).

18 juillet 2024.– Tiédeur (33°C). Courte randonnée pédestre matinale. Entre parcs publics et petits coins à l'ombre, continué la lecture des Chemins parcourus d'Edith Wharton. La jeunesse d'une cocotte opaline. Ses voyages en Europe, Paris et l'Italie, du canotage et même de la navigation en haute mer. Un mariage, et puis quelque chose de proustien, des réminiscences, des lumières, des couleurs, des étoffes… « Les volants et les traînes glissaient alors sur le tapis de velours rouge de l’escalier jusqu’au salon blanc et or avec ses fauteuils capitonnés de satin pourpre et ses volumineux rideaux de même tissu frangés de festons bouton-d’or. Les messieurs se rasseyaient devant leur bordeaux ou leur madère de bonne importation, bientôt suivis de café et de havanes. » Mort un peu trop brutale de Benoît Duteurtre. Quand je pense à son caractère, je pense à une chose toute simple : la gentillesse. On peut être acerbe et gentil tout à la fois, c'est même une forme d'élégance.

19 juillet 2024.– Éclaircies et passages nuageux parfois denses (30°C). Dix kilomètres à pied. Me suis un peu perdu dans un bois. Étonnement devant la nature qui reprend ses droits, là, à moins de quinze kilomètres de la deuxième agglomération française. Après ces efforts pédestres, avancé assez faiblement dans les souvenirs d'Edith Wharton. Lu une petite cinquantaine de pages sur ma chaise de jardin avec un chat ronronnant sur les genoux. Les débuts de Wharton dans le milieu littéraire, des débuts qui auront tenu du concours de circonstances, de l'accidentel, ce genre de choses…

Mort de Patty Waters, chanteuse mallarméenne assez oubliée qui savait faire avec la beauté. Pour l'occasion, qui est triste, je recopie ce petit texte écrit il y a une dizaine d'années :

« Qu'est-ce que la beauté ? L’agonie des amours, la naissance de la rancune ? Qu'est-ce qui est laissé après ? Qu'est-ce qui sait s’endommager en moi (nous) ? Encore, encore dans vos yeux, moins d’électricité. Pourquoi de si vaporeuses pensées ? La beauté, c’était Patty Waters et son album Sings (1966). Écurie ESP et tout le tremblement. Sept splendides ballades écroulées et un titre total free : Black is the Colour of My True Love’s Hair, entre Dolphy, Ayler et la manière compliquée de Buckley père ; un disque « sublime », mais d’une tristesse… L’agonie des amours, la naissance de la rancune et la boule qui monte du creux de la poitrine vers le fond de la gorge. Qu'est-ce qui sait s’endommager en moi (nous) ? Alors, il reste les fragrances oubliées qui remontent avec (et dans les souvenirs), et le disque qui tourne… C’est beau à pleurer et on pleure. Le disque tourne et la beauté apaise et déchire, cloue sur place comme une lance. La beauté est une lance, me voilà cloué et stoïque. »

20 juillet 2024.– Première grosse tiédeur (35°C). Journée essentiellement consacrée à la chose cycliste. Matin : une vingtaine de kilomètres, plus de cinq cents mètres de dénivelé positif. Après-midi plus tranquille, entre deux phases de narcolepsie, Tour de France télévisé. Étape dans l’arrière-pays niçois, pas mal. Rien de vraiment fatiguant. Par ailleurs, quelques pages de Mademoiselle Wharton. Les débuts un peu croquignolets de l’automobilisme, Henry James qui pointe son nez. Ce genre de choses.

21 juillet 2024.– Orages se dissipant (26°C). Vaguement malade, guère d’entrain. Un peu ennuyé par Les chemins parcourus de Wharton. On a beau y trouver un Henry James rieur, taquin, jubilant et malicieux, le reste, notamment les histoires de bourgeoisie londonienne, tombe un peu des yeux.

22 juillet 2024.– Matinée nuageuse, après-midi ensoleillée, ainsi vont les choses et la météo (26°C). Toujours un peu malade et léthargique. Motivation frôlant le létal, rien pour moi. Dans le livre d’Edith Wharton, le milieu culturel parisien remplace avantageusement la grande bourgeoisie londonienne. On peut y croiser Jacques-Émile Blanche, Charles du Bos, Henri de Régnier et son monocle et un très jeune Jean Cocteau. Wharton rencontre aussi Rilke (en Allemagne), découvre Proust et est toujours très amie avec Henry James (qui parle un français parfait et sans accent). Tout semble aller pour le mieux, mais voilà l’assassinat d’un archiduc à Sarajevo, voilà la Première Guerre mondiale. Tout se complique.

23 juillet 2024.– Larges éclaircies ponctuées par quelques passages nuageux parfois denses (27°C). Toujours un peu malade, sans envie notable de sautiller plus que ça. Néanmoins, j’ai fait un petit tour à pied, cinq kilomètres d’effort modéré, c’est toujours ça… Pour ce qui est de la partie la plus lectorale de ma faible existence, j’ai finalement été un peu déçu par les mémoires d’Edith Wharton. Le début est très bien, plein d’effluves que l’on pourrait croire proustiennes, mais on se perd trop vite dans les mondanités, le « carnet d’adresses ». Surtout, Wharton ne parle que très superficiellement d’elle-même, ce qui pourrait ressembler à un léger problème. Rien sur ses multiples dépressions, rien sur ses relations un peu particulières avec un époux assez toqué, rien sur le vrai amour de sa vie, le journaliste Morton Fullerton. Il y a certes des portraits, deux ou trois récits de voyages, de belles pages sur son amitié avec Henry James, et quelques jolies figures oubliées qui passent en filigrane (Charles du Bos, Henri de Régnier, Jean-Louis Vaudoyer), mais tout est sage, bien peigné, trop bien peigné.

Demain, retour au labeur après quatre semaines de congés. Perspective que j’envisage sombre et qui explique peut-être mon état physique depuis quatre jours (le psychosomatisme serait-il en cause ?).



To be continued




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