samedi 15 mai 2021

Psychogeographie indoor (108)











 



« Ce qui est acceptable et recommandé pour la plupart des gens l’est encore plus pour le mélancolique, mais seulement si sa maladie n’a pas pour origine cela même, si le malade n’est pas un innamorato frivole, un oisif fantasque, perdu dans ses pensées toute la journée, qui passe son temps à composer des sonnets, des madrigaux à la gloire de sa maîtresse... Dans tel cas la musique est très dangereuse … elle rendra ces mélancoliques fous, et le son de ces gigues perdura dans leurs oreilles … » (Robert Burton)


1.


20 janvier 2021.- Vent violent, quasi tempétueux (12°C). Si une âme désœuvrée avait la drôle d’idée, allez savoir pourquoi, de me demander quel est pour moi le plus bel incipit de la littérature française je n’hésiterai pas plus de deux secondes et je tonitruerai tout en sautillant un « mais enfin voyons, quoi d’autre de mieux que les cinq premières lignes de Point de Lendemain !? ». Comme certains d’entre vous ignorent peut-être encore tout de ces cinq lignes et peut-être tout de leur auteur Vivant Denon, les voilà : « J'aimais éperdument la comtesse de *** ; j'avais vingt ans, et j'étais ingénu ; elle me trompa ; je me fâchai ; elle me quitta. J'étais ingénu, je la regrettai ; j'avais vingt ans, elle me pardonna ; et comme j'avais vingt ans, que j'étais ingénu, toujours trompé, mais plus quitté, je me croyais l'amant le mieux aimé, partant le plus heureux des hommes. » Vitesse, mieux célérité, tout est dit.

21 janvier 2021.- Douceur, du vent (13°C). Par ces temps covideux l’accès aux bouquinistes n’est même plus une sinécure, prohibé par les autorités il est tout bonnement interdit ! En conséquence devant la contrainte l’amateur de papier jauni doit-il se rabattre sur du virtuel pour obtenir sa dose hebdomadaire en vieilles nouveautés. Forcément il y a là du sacrilège, mais quand on ne peut pas faire autrement comment s’abstenir ? Il est parfois nécessaire de commettre quelques menus attentats contre les valeurs que l’on s’est soi-même imposées pour continuer d’exister dans un semblant de sautillement, c’est ainsi et il n’y finalement pas lieu de s’en indigner plus que ça (l’indignation est un sentiment que j’ignore pour ainsi dire totalement). Pour ce qui me concerne, il est temps de tout ramener à moi, il faut que vous sachiez que j’ai pris le risque d'acquérir en ligne deux volumes un brin mordorés. Le risque n'était pas grand, le coût modique (moins de 10 €) et comme tout semble allez parfois pour le mieux dans le meilleur des mondes ces deux volumes m'ont été livrés en temps et en heure, de surcroît en présentiel, par un drôle de type juché sur un genre de mobylette. Le premier volume est un parangon de modernisme déjà un peu obsolète, il s’agit du second numéro de la mythique Revue de Littérature générale fomentée par Olivier Cadiot. Le menu est assez disparate, mais il est tout de même appétissant (James Agee, Eric Chevillard, Freud, Faulkner, Dominique Meens, Charles Reznikoff, Jude Stéfan, Christophe Tarkos, Louis Wolfson). Le second volume est un choix compilant quelques chroniques données au Figaro par Renaud Matignon. L’éditeur à baptisé tout cela d’un péremptoire La Liberté de blâmer et je me demande si ce titre-là n’est pas un peu lourd. Reste que le volume est joliment jauni, que le peu que j’en ai lu est assez léger et qu'il laisse deviner d’heureuses « mises en charpies ». Que demander de plus ? (J’ai fait mon marché dans une petite officine virtuelle qui n’a rien à voir avec le leader du marché et qui tout du moins je l’espère ne disséquera pas mes « préférences culturelles » au scalpel).

22 janvier 2021.- Averses (9°C). Style sec et style sybarite. Pour Paul Valery « Le style sec traverse le temps comme une momie incorruptible, cependant que les autres, gonflés de graisse et subornés d’imageries, pourrissent dans leurs bijoux. On retire plus tard quelques diadèmes et quelques bagues, de leurs tombes ».

23 janvier 2021.- Ciel changeant, baisse des températures (6°C). Première approche de Renaud Matignon et de sa Liberté de blâmer. C’est pour l’instant très bien. Une entrevue ratée avec Audiberti qui se termine dans un restaurant antibois où l’on mange salade niçoise, poissons, fromage et coupe de fruit : « Que faites-vous ici ? Je n’écris pas, je me promène, je me baigne, je vois des amis, je cherche à reconnaître les lieux de mon enfance. » Un autre papier où l’on apprend, par l’entremise de Théophile Gautier, que Balzac avait une aversion pour les grands pieds et les grosses mains. Un éloge de Maurice Barrès où l’on sent que Matignon est tout de même un peu de droite (après tout, ce n’est pas bien grave, il y a bien des gens qui se disent de gauche). Un bel éloge de Louis Aragon, cet homme qui descendait du songe, ce merveilleux styliste au service de rien, qui aura passé son œuvre – comme on passe sa vie – à se rêver lui-même.

24 janvier 2021.- Trois brèves et pâles soleillées, des nuages, de la pluie (7°C). Chez Matignon Antoine Blondin est parfois si ivre qu’il lui arrive d’oublier sa propre adresse, alors il va rôder sous les fenêtres de Nimier : « cette adresse-là, il la gardée, Nimier ne l’a jamais quitté ». Beau portrait, ému, tout en retenue. Côté dézinguage la retenue est moindre, Jean-Louis Bory est un « Spartacus de la braguette », Yves Bonnefoy un poète plus proche du scientifique, du philosophe, ou du botaniste que du troubadour, les avis littéraires de Pierre de Boisdeffre ont des airs de déjà lu quant à Guy Bedos, qui à écrit un livre où il fait part de son admiration pour Emil Cioran, il aura permis à la métaphysique de faire une entrée solennelle dans la grande famille des comiques troupiers.

25 janvier 2021.- Pluie et neige (4°C). Ces mots de Paul Valery, pensé à l’ami Cioran (encore lui) : « Pour les nerveux, tout est exceptionnel. L’imprévu est une espèce de loi. Les extrêmes se prolongent, formant une quasi-permanence de l’excessif. L’homme se fait une voix capable de ses différences émotives. Son registre le peint. Certains n’ont pas de médium. Ils n’ont que le grave et l’aigu. Ce ne sont jamais des gens simples. »

28 janvier 2021.- Humidité plus prégnante que relative (11°C). Quelques menus ennuis de santé, je suis donc plus las que là. Nouvelle acquisition : Allen - Valery Larbaud.

30 janvier 2021.- Météo nuageuse et pluvieuse (8°C). Hier j’ai dû subir une intervention chirurgicale à demi-bégnine et les temps étant ce qu’ils sont, pas de lit d’hôpital. Résultat je suis déjà de retour chez moi, dans mon petit intérieur, où je chemine chichement tel un Hans Castorp amoindri entre mes toilettes où je me vide d’antalgiques et de narcoleptiques et mon canapé guère médicalisé. Tout cela n’est certes pas très sautillant, mais je suis tout de même parvenu à lire quelques dizaines de pages de Matignon et de sa Liberté de blâmer. L’animal, distingué et féroce, dézingue ses victimes en les appelant Monsieur ou Madame. Ainsi, M. Bruckner et Mme Chapsal en prennent pour leurs grades respectifs. Moins acrimonieux, presque plus doux, Henri Calet et André Breton ont droit à leurs prénoms (ce n’est pas étonnant pour l’un, plus pour l’autre). Calet, Henri donc, est pourtant un « Paul Morand misérabiliste des bidonvilles, un Flaubert de porte cochère » ; ses livres sentent le tabac froid, l’urinoir, le fond de teint qui pleurniche et la fin des bals-musettes qui n’ont jamais commencés, mais il est tout de même plein d’un charme sous-alimenté : « il y a toujours chez lui (Calet) une sensibilité modeste et vraie, une douceur plaintive, une espèce de fraternité des fleurs à 3,50 francs et des cœurs nécessiteux qui ressemblent à une version pas chère de la tragédie ». Quant à Breton, André donc, lourde affaire ! C’est un vagabond inspiré « doublé d’un greffier qui compte les étoiles comme on bricole des points de retraite », un chef de clan excommunicateur, mais aussi, et contre toute attente, une grande vigie du vingtième siècle. Un type qui, finalement et à l’opposé de nombreux de ses ex-compères, ne se sera pas trop trompé. Il dénonce les procès de Moscou … pas en chemise blanche et soixante ans plus tard, mais aussitôt, il pressent la fin du colonialisme, soutient les républicains espagnols, dénonce le nazisme avant l’heure légale, ne dis pas trop de mal de Trotski malgré la doxa en vigueur. Bref, il déroute un peu tout le monde : « il y a chez ce militant un rebelle absolu, réfractaire à tous les militantismes ».

D’un lourd pavé l’autre je suis ensuite retourné dans le dictionnaire de Dantzig. Venant de tourner sa cinq centième page, je ne crains pas d’affirmer qu’il est un peu regrettable, mais pas tant que ça.

31 janvier 2021.- Chichiteuses éclaircies (12°C). Pour Renaud Matignon, Cioran résonne comme un Wagner revu par Patrick Bruel. Cette comparaison est un peu drôle, mais elle est surtout facile. Les premiers ouvrages roumains de Cioran, Le livre des leurres, Sur les cimes du désespoir sont certes un peu boursouflés et empreints d’une solennité un peu torve, mais juger Cioran uniquement sur ses débuts me semble une erreur presque fatale. Il y a bien autre chose chez lui, il y a ses Cahiers (qu’il faut lire, je le répète). Quant à Guy Debord on n’est presque pas étonné de le voir défendu par Matignon. Derrière le révolutionnaire se cache le réactionnaire, ce « vagabond dédaigneux, qui dans une langue de haute mer, ne parle finalement qu’à lui-même ».

1er février 2021.- Météo trop humide pour être honnête (12°C). Convalescent, you will therefore forgive the weakness of the following lines.. On connaît l’appétence de Valery Larbaud pour les paquebots, l’Orient-Express où les chambres luxueuses de quelques hôtels cosmopolites. Dans Allen c’est toute autre chose, un retour vers son pays d’enfance, Vichy le Bourbonnais, un drôle de récit de voyage. Cinq amis se donnent rendez-vous sur le parvis de Notre-Dame (coté statue de Charlemagne), Larbaud, donc, un éditeur, un poète, un bibliophile et un pilote qui conduit tête nue, cheveux au vent, une longue chose toute bleue d’azur et aluminium argenté. Vogue la galère, les voilà déjà parti à l’aventure ! direction les provinces, le duché de bourbon, on imagine l’exotisme de tout ça ! Je n’ai lu que cinquante pages, elles ressemblent à du Cingria en moins foufou et en plus distingué. C’est peut-être étonnant. Quoique. Matignon : éloge de Michel Déon, exécution de Marguerite Duras. Et si tout cela était un peu facile ?

2 février 2021.- Quelques gouttes de pluie, douceur (13°C).Always fluctuating and convalescent.

« Le bleu du pays d’Allen est encore plus beau. Ce n’est pas ce bleu minéral, de saphirs, de bouquets de cristaux, des pays du Midi, mais la couleur pure, la traînée lente du pinceau chargé d’un outremer éblouissant sur la palette porcelaine de l’horizon »
Larbaud aime les villes provinciales endormies. Quand il les traverse, l’envie lui vient de les réveiller. Il a la manie de remonter leurs quelques pendules et horloges, de tout mettre à l’heure, de ranger les choses qui y traînent, de faire reluire le terni et le dédoré caché, d’éclairer l’obscurci. Dans Allen, il fait l’éloge, porte à la lumière, Montluçon, Moulins, Saint-Amand-Montrond ou Bourbon-l'Archambault, ces cités où la civilisation est là, quoi qu’on en dise. Le Duché du Bourbonnais est une principauté mythique, un autre Shangri la, où des filles de 15 ans d’une main jettent des fleurs sous les roues de votre voiture et de l’autre vous envoient des baisers, une contrée où l’unité, le calme qu’il y a, la lumière de chaque journée pérennise l’obsolète.


2.


3 février 2021. - Deux éclaircies, surprenante douceur (15°C). Passant de mon canapé à mon lit aujourd’hui je n’aurais pas grand-chose à dire sur le monde.

Faire disparaître un personnage est souvent difficile. Conan Doyle précipite bien Sherlock Holmes dans les chutes de Reichenbach, mais devant la furie de ses lecteurs il le ressuscite trois ans plus tard, Agatha Christie tue Hercule Poirot dans Hercule Poirot quitte la scène, mais elle ne prenait pas trop de risques, c’était son dernier roman et elle était presque déjà morte en l’écrivant (chose amusante Poirot aura une bien réelle notice nécrologique dans le New York Times), Maurice Leblanc ne tue pas Arsène Lupin, on imagine pas Chandler se débarrassant de Philip Marlowe… Face à ce défi (faire disparaître un personnage et passer à autre chose), la méthode de Michael Connelly me semble presque parfaite : il fait disparaître son Harry Bosch petit à petit par dose homéopathique presque en douceur et au rythme de l’age et des problèmes de santé qui avancent. Dans son dernier roman, Incendie Nocturne, il est encore là, mais on sent bien que cela ne va pas durer et que quand son corps se sera totalement « résumé » Bosch sera remplacé par son nouvel alter ego, Renée Ballard, une femme (symptôme de l’époque). Le livre est vraiment très bien, plein d’histoires qui se recoupent et parfaitement distrayant. Convalescence oblige, j’en ai déjà boulotté une bonne moitié dans la journée. C’est toujours un bon signe.

4 février 2021.- Temps sec et gris (12°C). Dans Incendie Nocturne, Connelly bâcle un peu sa fin. Pour tout dire, on s'en fiche un peu, le projet est ailleurs, le projet c'est de faire disparaître doucement Harry Bosch. Dans cette optique-là, le livre est très ressui.

Profitant d'une convalescence qui devrait encore durer quelques semaines demain je compte entamer Mes voyages avec Hérodote de Ryszard Kapuściński. C'est le dernier ouvrage qu'il aura fait paraître de son vivant et le risque de ne pas être déçu en le lisant est grand.

5 février 2021.- Chape nuageuse présente, mais raisonnable. Douceur hors de saison (15°C). Les Voyages avec Hérodote de Kapuściński commencent par un bel éloge des frontières (ou tout du moins par un éloge du passage de celles-ci). Que voulez-vous pour un jeune polonais les pieds congelés dans le bloc soviétique qu’y avait-il de plus mystérieux et de plus envoûtant que ces lieux indécis ? À quoi pouvait bien ressembler l’autre côté ? Quelles étaient les différences ? Kapuściński n’aspire qu’à vivre le moment où franchira une frontière. Franchir une frontière et revenir aussitôt ! Voilà un acte qui à lui seul pourrait assouvir une faim psychologique qu’il ne parvient pas à s’expliquer lui-même, qui le hante, presque. Des frontières il en passera des dizaines par la suite, mais il n’oubliera pas ses premières fois, un court passage en Tchécoslovaquie (pourtant rien de vraiment dépaysant), un premier voyage en Italie où tout lui semblera aux couleurs d’un autre monde.

Un peu plus tard il ne s'agira déjà bientôt plus de passer des frontières, mais de visiter des pays entiers. Il se rend en Chine pour un reportage qui, révolution culturelle en marche, ne verra jamais le jour, surtout il fait un long voyage en Inde où devant le système de castes sa culture communiste et collectiviste sera mise à rude épreuve. Ce n'est plus un autre monde, c'est une autre galaxie.

6 février 2021.- Ciel jaune… sinistre (10°C). A/ Malgré des conditions lectorales épouvantables, quelques vagues douleurs post opératoire une lumière saumâtre et une pelleteuse tonitrouante à deux pas de mes fenêtres, je prends beaucoup de plaisir en lisant les Voyages avec Hérodote de l’ami Kapuściński. Pour tout dire, c’est presque épatant, un curieux alliage de souvenirs personnels et de badauderie hypocoristique dans l’œuvre du vieux Hérodote. Sur ce dernier on apprend une foultitude de choses croquignolettes et puis il y a le Kapuściński trépidant reporter, en Asie, en Afrique un type qui semble prendre des risques au milieu des guerres civiles, crises diverses et variées massacres et autres. (Selon certains informateurs ayant envoyé quelques pigeons voyageurs à la kommandantur Kapuściński était un grand affabulateur qui n’aurait pas vécu grand-chose de ce qu’il racontait. Forcement, il n’en est que plus précieux à mes yeux).

B / Grâce à Kapuściński et Hérodote on apprend des choses étonnantes. Selon eux chez les Égyptiens ce sont les femmes qui tiennent les boutiques et font le marché tandis que les hommes restent à tisser à la maison. Quant aux cabinets, c’est encore plus étonnant, figurez-vous que les femmes urinent debout et les hommes accroupis ! Moins sautillant, moins inclusif pendant le siège de Babylone par les Perses, les Babyloniens prennent la décision de ne garder qu’une femme par maison. Elle est là pour préparer la nourriture, on a étranglé les autres pour économiser les vivres.

C / Je sais que je recopie un peu bêtement Kapuściński recopiant Hérodote, mais ayant trouvé les deux trois anecdotes qui suivent assez amusantes je ne peux pas m' empêcher de vous les proposer benoitement, jugez par vous même : « Pour un Massagète, la meilleure façon de finir sa vie est d’arriver à l’extrême vieillesse pour être sacrifié par ses proches parents avec les bêtes de son troupeau. On égorge le vieillard, on le fait cuire, et toute la famille s’en régale. Mourir ainsi est, pour un Massagète, la plus belle des morts. Celui qui meurt de maladie n’est jamais mangé. On l’enterre en le plaignant sincèrement de ne pas avoir atteint l’âge des sacrifices ». Par contre : « (chez les Padéens) quand quelqu’un tombe malade, ses concitoyens le tuent. Ce sont ses meilleurs amis qui s’en chargent. Ils lui expliquent que sa maladie lui fait perdre ses forces et le rend moins appétissant. L’autre a beau nier énergiquement, affirmer qu’il se porte bien, on ne l’écoute pas, on le tue et on s’en régale. » Sinon : « Tout Scythe qui a abattu son premier ennemi doit boire son sang. Il doit aussi rapporter au roi les têtes de ceux qu’il a tués, sous peine d’être privé du butin. La plupart du temps ces têtes sont scalpées : on incise le crâne en faisant le tour des oreilles, on le secoue de toutes ses forces jusqu’à ce que seule la peau vous reste dans les mains, on la récure soigneusement avec une côte de bœuf, on la pétrit pour l’assouplir, et on s’en sert comme essuie-mains. »

7 février 2021.- Quasi beau temps (10°C). Philippe Brunel fraîchement retraité de l’Équipe a écrit un court roman qui tournicote autour de la belle Laura Antonelli. Je l’ai lu ce matin, manque de pot c’est assez raté, modianesque en pire et assez assommé par un style globalement apprêté. Malgré la sympathie que je peux éprouver pour le bonhomme, sa petite affaire ne me semble pas vraiment écrite et en tous les cas pas « éditée ». ll y a des phrases gênantes, les adjectifs capotent dans le signifiant à tout crin et puis c’est mal fagoté, pas équilibré pour un sou, faussement brumeux. Cependant, deux bons points, Brunel aime vraiment son sujet et pour y avoir été correspondant pendant des années il connaît parfaitement l’Italie. On pourra donc sauver deux trois pages assez émouvantes et quelques détails de spécialiste. C'est toujours ça.


3.

8 février 2021.- Ciel très nuageux, pluie faible (10°C). Je poursuis mes pérégrinations lectorales avec Dixie City septième opus de la série Dave Robicheaux. Constat, James Lee Burke c’est un peu toujours la même chose, une intrigue assez filandreuse (ici une vague histoire de sous-marin embourbé et de nazis sadiques), un très net relâché sur le procédurale (nous ne sommes pas chez Michael Connelly) une emphase plus que certaine, mais le tout est sauvé par la nature décrite, les us et coutumes de la Louisiane, les digressions autour de la Junk Food (Burke donne faim et soif).

9 lévrier 2021.- Nuages, nuages, nuages (7°C) Quand il est question de littérature policière ne jamais oublier les acolytes, les watsons. Chez James Lee Burke, il y a Clet Purcel, un Falstaff louisianais, un majestueux boudiné, un Bérurier en pire. Dans Dixie citie Burke lui fait danser un incertain boogie salace sur fond de Fats Domino, le passage est très bien : « Tandis que les doigts en saucisses embaguées du Fat Man dansaient d’un bout à l’autre du clavier de piano, accompagnés par le claironnement des saxophones et des trompettes derrière lui, Clete se démenait au beau milieu de la piste en bois dur, le feutre rond incliné à l’oblique sur le devant du crâne, la figure pointée entre les seins de sa petite amie, à balancer des fesses comme le ferait un éléphant ; l’instant d’après, ses épaules se redressaient, tandis qu’il cognait et toupillait des hanches et du pubis, le ventre tressautant, les poings serrés barattant l’air, le visage tourné de côté comme s’il se trouvait au beau milieu d’un orgasme... »

Vu un vieux numéro d’Apostrophes sur Internet (Femmes, femmes, femmes - 1978). Devant les soupirs et les regards condescendants des féministes assermentées de l’époque concernée soudain un bloc de lucidité, Annie Le Brun : « Dans militantisme, il y a militaire; je suis du côté des déserteurs. Il faut en finir avec les meutes hurlantes, avec tous les corporatismes et singulièrement le corporatisme sexuel. Écoutez-les, ces néoféministes en sont venues à vouloir exercer un abominable terrorisme idéologique. Ce qu'elles veulent, c'est censurer Bataille, Lautréamont, Sade...»
Malgré un non-bunuelisme plus passif qu'actif, j'aimais bien Jean-Claude Carrière, c'est un type qui me donnait l'impression d'être un peu intelligent lorsque je l'écoutais (alors que bon, hein). Tristesse : il est mort aujourd'hui. Constat : la relève tarde à poindre.

10 février 2021.- Temps nuageux (10°C). Toujours convalescent. Fini Dixie City, pas vraiment mauvais, mais tout de même presque raté. Cependant, la fin, nautique et en haute mer, est très réussie. Là Burke semble un peu incarner la violence dans son écriture (ce qui n’est pas le cas ailleurs où la violence n’est là que pour contreplaquer une intrigue qui n’avance pas sans elle).

Court retour dans le Journal de Galey (que je vais bien devoir finir un jour). François Mitterand n’y est qu’un automate au sourire de porcelaine sur un visage de cire. Une peau parcheminée où le sang ne circule pas : « seuls vivent les yeux qui n’ont pas été revus par Séguéla ». C’est bien vu.

11 février 2021.- Beau temps froid (2°C). Ce matin lu Easy Money de David Simon. David Simon est le « créateur » de The Wire supposée plus grande série télévisée de tous les temps (c’est peut être un peu vrai, elle est sacrement addictive). Easy Money en est la matrice, un reportage allongé sur le trafic de stupéfiants dans la ville de Baltimore et le portait de Little Melvin Williams un chef dealer plus futé que la moyenne. C’est écrit à la diable, sans aucune tentation stylistique, et certainement mal traduit, mais tout de même assez passionnant. On retrouve ce qui fait une partie de l’intérêt de The Wire, un exposé minutieux des techniques en œuvre dans les deux groupes interindividuels concernés (les dealers, la police), les pagers et cabines téléphoniques d’un côté et les écoutes de l’autre, la violence illégitime des uns et la violence plus ou moins légitime des autres, le décompte scrupuleux des cadavres engendrés par tout ça... Si Simon ne sociologise pas, le terreau sociétal n’est jamais omis et il n’y aucune trace de bonne ou de mauvaise conscience, ce qui vu le sujet proposé n’est certainement pars un défaut. (Du même Simon lire Baltimore, 900 pages consacrées au même sujet).

Renaud Matignon est tendre ou pas avec ses anciens amis. Jean-René Huguenin est neuf comme un matin, c’est un mort de 26 ans pour l’éternité (pages émues) quand Jean-Edern Hallier est un charlatan dont on ne retiendra que quelques lignes bouffonnes écrites approximativement : « Quand on n’a pas de voix pour se faire entendre, il faut bien crier. C’est ce que fait Jean-Edern Hallier depuis quinze ans, depuis qu’il est en âge de pratiquer le langage désarticulé. Mais son cri est silencieux. Pour se faire entendre au grand cirque du succès, c’est l’échec assuré. Alors, conscient de son destin pathétique, il a trouvé une solution. Il s’est suspendu à ses cordes vocales, comme Tarzan à sa liane, hurle un silence assourdissant et , au moins, se fait remarquer. » (Hallier a peut-être eu le tort de ma mourir vraiment jeune, permettez-moi de souligner cette hypothèse tangible).
Sur les conseils de quelques amis tout autant virtuels qu’impalpables, j’entame la lecture de Ma vie avec Apollinaire court opuscule de François Sureau (Ma vie avec… c’est une nouvelle collection chez Gallimard). Bon pour l’instant pas de quoi sautiller dans les azurs. C’est informé, nostalgique, un peu joli… c’est surtout très sage.

12 février 2020.- En attendant la neige, pluie verglaçante (1°C). Le petit livre de Sureau n’est si mal que ça. Il ne concède pas vraiment au biographique est construit heureusement à l’envers - on commence par la fin d’Apollinaire et on fini pas ses débuts – et il offre quelques digressions bienvenues… La rouerie de Picasso, le joli conseil de Flaubert à Maupassant : « Trop de putains, trop de canotage ! », et surtout un bel éloge de la matière face aux concepts : « Commentant Orwell, Simon Leys écrivait que le diable habite plus souvent le domaine des idées que celui du simple fait. Chesterton avait eu une réflexion semblable, soulignant qu’au rebours des conceptions communes, l’amour de la matière fait moins de dégâts que celui des concepts. »

Cependant - et mon cependant prendra la forme d’un hic - Sureau à voulu mettre quelque chose de trop personnel dans ses pages, et en même temps il n’en a pas mis pas assez. Il tourne autour de lui-même évoque sa jeunesse et nos temps covideux, ce n’est pas assez profond, trop rajouté, c’est un autre livre. Il aurait dû savoir se contenter d’Apollinaire.


To be continued.

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