lundi 24 février 2020

Psychogeographie indoor (97)




« C'est un homme ou une pierre ou un arbre qui va commencer le quatrième chant. » (Lautréamont)

1.

10 novembre 2019.- Nuages et fraîcheur (10°C). Au gré de la demande qui commence à croître, Sylvain Tesson trimbale de plus en plus sa drôle de gueule cassée sur les plateaux de télévision. Il est devenu une sorte de petite vedette, remplissant le rôle de l'écrivain un peu sage à qui on ne la fait pas. Son nouveau livre La panthère des neiges est un peu comme ça : plein de courte sagesse circonspecte. En tous les cas, c'est ce que m'a laissé penser la moitié que j'ai lu ce matin. Bon ce n'est pas réellement foudroyant, cela relève plus souvent du « moyen plus » et du « pas mauvais » que de la haute littérature, mais après tout on se fiche un peu de tout ça puisque le plaisir de lire, lui, est là. Tesson et trois acolytes sont plantés sur le haut plateau tibétain à 4500 mètres d'altitude espérant voir passer une rare panthère des neiges. En attendant qu'elle daigne pointer le bout de son timide museau, la panthère des neiges est timide, notre quatuor voit passer yaks, chèvres, loups et autres bestioles moins rares. Tesson écrit de belles considérations sur la chaîne alimentaire, il se souvient de quelques Grecs anciens, tourne autour de l'unité et des croyances. On ne s’ennuie pas vraiment, c'est un authentique faux livre de voyage idéal pour combler les matinées automnales un peu brumeuses. Bref, pas de quoi se plaindre.

11 novembre.- Brume et semi froideur (7°C). Finalement ce qu'il y a de très bien dans La panthère des neiges, c'est la première phrase : « Comme les monitrices tyroliennes, la panthère des neiges fait l’amour dans des paysages blancs. » Je tamponne globalement le reste, mais l'on n'y retrouve rarement le sautillement de cette entame drolatique (peut-être ici : « Le cheminot défend le cheminot. L’homme se préoccupe de l’homme. L’humanisme est un syndicalisme comme un autre. »).
Ma pile de livres en attente commençant à grimper tel un baobab tragique je compte consacrer la semaine qui vient, une semaine qui sera opportunément de congés et donc sans labeur, à la faire ne serait-ce qu'un petit peu descendre. À ce titre dès demain matin je compte entreprendre un nouveau volume. Pour l'instant j'hésite entre Bagages pour Vancouver le second tome des mémoires de Michel Déon et Musique secrète de Richard Millet. Deux beaux stylistes pas vraiment gauchistes, l'un assez antipathique l'autre plus confortable. Je pense que je vais voter pour le plus confortable.

12 novembre 2019.- Beau et froid puis nuageux et doux, une sorte de grand écart (2°C→ 12°C). Ce matin dentiste. Résultat : la langue anesthésiée je n'ai pas ouvert le bec pour le reste de la journée. Comme je n'ai rencontré aucune âme vivante en dehors d'un voisin bonjour-bonsoir et qu'il m'arrive assez rarement de soliloquer dans les recoins de ma cuisine ce ne fut pas un réel problème.
Hier j'oscillais tel un coucou tragique  entre Déon et Millet, finalement j'ai choisi Millet. Sa Musique secrète est si bien écrite qu'au bout d'un certain temps j'ai été comme enivré par les mots, ne sachant plus de quoi il pouvait bien en retourner. Évidemment, Millet étant très malin -—, et certainement beaucoup plus malin que moi —, il est fort probable que son style cornu de charmeur de serpents et sa forme « village potemkime » fassent mine d'absorber son fond pour mieux le retrouver sans qu'il soit nécessaire pour le lecteur de passer par les lourds aléas du cogito (tout du moins pour les lecteurs les plus hébétés et indolents). En somme, il n'est question que de « musique » et je ne sais pas s'il faut que je sautille plus que ça.

13 novembre.- Grisaille et semi-froideur (7°C). Mon moi (dans le sens de la seconde topique freudienne) cycliste pleure la disparition de Raymond Poulidor ce Poupou qui aura été le symbole que la France des années 60/70 s'était inventée pour faire croire qu'elle ne gagnait pas plus que ça (alors que bon hein !). Un type normal et apparemment sympathique, un paysan madré au palmarès plus long que mon bras gauche. En somme, Anquetil à l'envers.
En dehors de cette tragique nouvelle vélocipédique fini le Musique secrète du primesautier Millet. Souvent assez beau, parfois presque émouvant (il y a des pleurs). Millet parle très bien de ce qu'il aime, très mal de ce qu'il n'aime pas (et ne connais visiblement pas vraiment). Son manque d'humour et son sérieux un poil papal sont criants à tous les étages, c'est quand même dommage. Poursuivi ma petite affaire avec le moins antipathique Déon. Dans Bagages pour Vancouver on retrouve le charme et l'élégance de Mes arches de Noé (le premier tome de son diptyque remémorant). Un joli portrait de Chanel précède un magnifique éloge de Giono. Quelques pages plus loin c'est l'olibrius Dali qui pointe le bout de ses moustaches cirées. Pour l'instant je n'ai pas grand-chose à redire à tout ça.

14 novembre 2019.- Premiers flocons (2°C). J'ai bien conscience qu'en faisant un bref et penaud éloge de Bagages pour Vancouver, ce petit livre de souvenirs, que d'aucuns trouveront de droite et poussiéreux, je ne suis pas à la pointe d'une quelconque modernité littéraire, mais c'est ainsi je ne peux pas m'en empêcher. Tout d'abord parce que c'est un livre très élégamment écrit ensuite parce qu'il est aussi, et surtout, plus passionnant à lire qu'à son tour. Il faut dire qu'il y a de la matière, Déon aura rencontré beaucoup de monde, beaucoup de croquignolets et pas que du menu fretin (pour parler grossièrement). Après Chanel et Giono évoqués hier, le voilà à Port Lligat chez Dali où il passe d'intéressantes soirées à parler peinture, monarchie et pets pendant que la terrible Gala se fait lutiner dans une petite barque par deux marins du cru. Puis viennent de beaux et souvent émouvants portraits de Sagan (son « fil » sur la langue et sa blondeur ébouriffée), de Nimier (le champagne), de Blondin (la bière), d'André Fraigneau (si fin, si sarcastique). Déon se souvient de son année passée aux États-Unis (où ne parlant et ne réfléchissant qu'en anglais, il faillit perdre l'usage de la langue française), de son travail pour les éditions Plon (et de ses fameux « correcteurs » noyés sous les manuscrits), du grand stendhalien Henri Martineau (frêle dandy d'un autre temps fomentant une revue également d'un autre temps : Le Divan). Puis ce sont des pages fort amusantes sur les débuts de La Parisienne : « Avenue de Tourville, dans l’appartement sous les combles, des jeunes gens mollement vautrés dans des fauteuils de cuir ou perchés sur de hauts tabourets devant une planche à dessin, étaient supposés travailler à la fabrication et à la mise en page de la revue, tandis que le rédacteur en chef, François Michel – pas le stendhalien, l’autre ! – en robe de bure jouait Scarlatti au piano. Je ne sais où Laurent l’avait rencontré, mais confier à cet étrange et séduisant petit homme aux allures de moine lubrique, le rôle d’animateur de la revue, était une idée géniale, à ceci près que François Michel, somptueux et généreux tout en n’ayant jamais possédé un sou, aimait mener la vie à grandes guides. Ce fut donc la fête aux Invalides. Florence Gould envoyait des caisses de champagne et faisait monter un dîner de chez le traiteur. Charles-Albert Cingria préférait le vin rouge et je crois bien qu’il hissait sa bicyclette jusqu’au 7e étage pour qu’on ne la lui vole pas. Léautaud plongeait un doigt endeuillé dans le corsage des dames pour trouver, dégoûté, qu’elles manquaient de poitrine. Marcel Aymé, hiératique, écoutait Arletty lui vanter les rouges, les blancs, les violets des princes de l’Église : " I’ sont pas fous… i’ z’aiment les belles couleurs. " Morand montait prendre un verre et laissait sur le bureau de François Michel le manuscrit de Hécate et ses chiens… ». Je suis tenté de penser que tout cela est épatant. Le reste du livre l'est tout autant, Déon il tourne beaucoup autour du père Beyle de ses écrits plus ou moins intimes et de ses mémoires touristiques plagiées à la bonne franquette, se paye un peu la tête du Vicomte Chateaubriand et termine par cette merveille de l'ami Tchekhov « Aussitôt l’enfant né, on le lavera avec soin, puis après lui avoir donné le temps de se remettre de ses premières impressions, on le fustigera vigoureusement en lui répétant : “N’écris pas ! N’écris pas ! Ne sois pas écrivain !” Si, en dépit d’une pareille correction, le dit enfant manifeste une inclination pour la littérature, on essaiera alors la douceur. Et si la douceur ne donne pas non plus de résultat, abandonnez donc l’enfant à sa destinée et inscrivez “fichu”. Le prurit littéraire est incurable. »




2.

15 novembre 2019.- Le ciel est bas, gris, sinistre. La neige abondamment tombée cette nuit fond comme une fausse promesse de pureté. Guère de réjouissance en perspective (2°C). Je lis Une tâche pour l’éternité de James Lee Burke. Prose toujours exagérément lyrique, appétence un peu trop prononcée pour le sombre - Robicheaux le héros de Burke semble être né pour s'attirer de tragiques et répétitifs embarras – cependant pas trop d'ennui, intrigue relativement bien troussée et, surtout, la Louisiane est là.

16 novembre 2019.- Beau temps frisquet (5°C). Dans Une Tache sur l’éternité James Lee Burke fait un petit tour par Angola cette ferme-prison un brin terrifiante où seront passés une somme de bluesmans non négligeable (Leadbelly, Robert Pete Williams,Hogman Mathew Maxie) puis il se remémore la catastrophe de Texas City, près de six cents morts dans l’explosion d'un cargo français (oui français!) rempli de nitrate d’ammonium, l'une des plus grandes catastrophes industrielles de tous les temps. En dehors des trépas divers et variés, de la nature, de la nourriture, des bières Jaxx et autres huîtres frites, le bouquin de Burke est donc aussi ancré dans l'Histoire, ce qui je dois le dire me réjouit assez (même s'il n'y a pas de quoi se réjouir vraiment).

18 novembre 2019.- Ciel globalement nuageux (8°C). Finalement dans la trop spectaculaire « affaire Polanski » au milieu des militants et militantes moralisateurs et des thuriféraires tremblotants la personne la plus sensée, la seule qui soit juste, c'est la victime.
Rien (ou presque) : Chères amies et chers amis sachant qu'au grand jamais je ne scribouillerai en écriture inclusive, il me faut donc pour être un tantinet au goût du jour utiliser moult doubles flexions et autres mots épicènes ce qui je dois bien le dire me fatigue assez (notamment les doubles flexions). À ce titre si les femmes pouvaient définitivement prendre tous les pouvoirs ce serait quand même plus simple.

20 novembre 2019.- Cieux moroses (5°C). Les années(20)10 ne me laisseront pas un très bon souvenir, tout le monde ou presque est mort un peu trop inconsidérément autour de moi, les nouvelles normes morales en vigueur ont permis la victoire du pelucheux et du mignardeux sur cette bonne veille transgression, les identités « nichées » n'ont pas cessé de croître à l'unisson des indignations diverses et variées, le rock est devenu ce qu'était le jazz (un truc mort piteusement célébré par de vieux kroumirs), cette sale chose « art global » qu'est le cinéma est devenue pire qu'elle ne l'aura jamais été (comme si c'était possible), les barbes ont poussé tandis que la haine du poil et l'épilation généralisée ont régné pour le reste des corps. Au risque de choquer l'assistance, je n'évoquerais rien d'autre… Ah si une chose : les années 20(20) seront pires, pendez-vous donc préventivement !

21 novembre 2019.- Nuages, nuages (9°C). Entre le labeur et le calendrier solaire hivernal, je ne vois pour ainsi dire plus le jour. Je vis dans une nuit qui semble ne jamais finir et s'il ne me restait pas un petit fond de nyctalopie j'aurais tout du lapon morose. Puisque tout est dans tout je poursuis mes sournoises explorations lectorales en retournant chichement chez le primesautier Emil (qui est bien morose et souvent un peu nyctalope, lui aussi) : « Personne autant que moi n’a peut-être souffert davantage de la présence immédiate des êtres. Tout voisinage, de quelque sorte soit-il, me rend littéralement malade. J’ai le « complexe » du voisin. »

23 novembre 2019.- Averses, température plus douce (10°C). Mes maigres activités rémunératrices m'ayant un peu trop saisi ces derniers jours il m'a fallu attendre aujourd'hui pour espérer finir Une tâche pour l'éternité de James Lee Burke. C'est chose faite et je peux vous dire que l'histoire finit dans de belles moresques pelucheuses, le bien triomphe du mal, les gentils domptent les méchants. Pour un peu on n’en demanderait pas plus.


3.

24 novembre 2019.- Ciel gris trépas (10°C). En lecture comme en toute autre chose, les détails sont importants. Il est par exemple bien utile de choisir un marque-page agréable lorsque vous savez devoir passer quelques longues semaines un replet volume entre les mains. Tenez pour le Journal intégral de Matthieu Galey que j'ai entrepris gaillardement pas plus tard que ce matin – tout de même neuf cent quatre-vingt-trois pages – j'ai choisi une simple carte postale qui offre une belle rigidité et représente de surcroît, en son recto, deux amazones années folles attifées dans de beaux oripeaux Coco Chanel. Tout cela peut paraître un peu dérisoire, mais pour moi il n'en est rien, je m'attache à ce type de détails comme la pie voleuse s'attache au clinquant. Voilà un minimum pour un homme civilisé, tout du moins me semble-t-il. Sinon et pour l'instant, je n'ai lu que quinze pages, le Journal de Galey semble tenir toutes ses promesses. D'ailleurs à ce titre j'ai déjà repéré une première phrase un peu titillante : « Désolant d'être aussi peu doué pour la pureté ».

25 novembre 2019.- Ciel dégagé, douceur relative (12°C). Lever 4h, labeur (saumâtre et pitoyable), sieste (vaguement réparatrice)… Galey passe son BAC visite son ami Pierre Joxe, « fait l'amour » toute la nuit pour ses vingt ans, tout cela est diablement sérieux. Drôle d'impression : à 20 ans Galey était-il donc déjà vieux ?

26 novembre 2019.- Le soleil mort, tout nous abandonne (14°C). Butiné dans Les Complaintes de Laforgue, que de merveilles !

28 novembre 2019.- Ciel dégagé (13°C). Lombalgie, nuit à 17 heures, black friday sinistre frénésie consumériste, trois complaintes du précocement trépassé Laforgue, nothing else.

29 novembre 2019.- Nuit noire, grosse fatigue.

30 novembre 2019.- Appétence grisâtre, petite pluie (8°C). Le jeune Galey tournicote autour de la figure de Raymond Radiguet, visite Cocteau, Brancusi et Kessel, rencontre Sagan aux Deux Magots, croise Genet au Flore… À Science-po il a pour maître de conférences un normalien tombé dans la finance qui porte un nom digne de Labiche : M.Pompidou : « Très dilettante, il n'a pas l'air de nous prendre au sérieux, une cigarette au coin du sourire. ». Pour le reste, en dehors de ce beau linge, passé, futur et présent, le jeune Galey n'est pas très sympathique. Quant à ses histoires de Q, j'ai l'impression qu'elles ne vont pas me passionner plus que ça (Galey, diary). Par ailleurs, j'ai acquis pour un assez modeste pécule le premier tome rassemblant les chroniques de Gérard Bauër (ayant déjà lu le second tome des mêmes chroniques je sais où je pose les pattes je ne serais sans doute pas déçu). Comme tout est décidément dans tout Bauër apparaît dans le Journal de Galey, page 48 on peut l'entendre parler de Sagan: « Voici une jeune fille qui peut sortir sans sa bonne ! ».

1er décembre 2019.- Nuages et frissons (7°C). Conditions lectorales très altérées. Va-et-vient , portes claquées, tondeuses, perceuses et guitares électriques couinantes même sur les bords de l'hiver mes voisins ne me laisseront donc pas en paix. Cela dit et malgré tout cela, je suis toujours tout de même un peu plongé dans la petite affaire de Galey. Lors d'un court périple en Bourgogne il croise le ministre Mitterand, député du coin, beau brun à la lèvre lourde puis il part part s'encanailler en Hollande, pour deux mois. À son retour ce voyage-là restera un beau souvenir tout rond qu'il caressera dans sa mémoire, les jours tristes. Brancusi meurt, Sagan effectue son fameux dérapage en Aston Martin qui lui fera frôler la mort et le mythe tout court. Galey batifole dans le milieu littéraire, taquine l'écrivain tous azimuts. Jean Louis Curtis, Jean Wahl, André Dhôtel, Roger Caillois, Jean D'Ormessonn Jacques Brenner quoique souvent bien cruels, les portraits se succèdent, ils sont presque tous très bien. Constat : pour l'instant dans le Journal de Galey tout ce qui concerne la vie intellectuelle, le côté ragots et petite cuisine, est formidable à l'opposé tout ce qui concerne l’intime, les multiples histoires d'amour et nombreuses affaires de Q, n'est finalement pas très intéressant et pour tout vous dire me tombe  des mains.

2 décembre 2019.- Ciel couvert, vent du nord, vent frisquet (5°C). « Le sadisme, aristocratie de la perversité » Matthieu Galey a le sens de la formule pour lui, c'est déjà ça.
Vu la dernière petite affaire de Quentin Tarantino. Pour une chose cinématographiée, ce n'est pas si mauvais que ça. La reconstitution de la Los Angeles hyper late sixties est par exemple assez réussie. Elle tient davantage du songe brodé de couleurs saturées et de chromes pétaradants que de la sacro-sainte docufiction, mais ON s'en fiche pour ainsi dire puisqu'en l'occurrence NOUS fluctuons dans un genre d'espèce de conte, de fées je ne sais pas, mais de conte oui… vraiment. Les déplacements automobilistiques offrent d'épatants moments pétaradants et colorés, il faut dire que les modèles de véhicules proposés n'ont rien du bouddhisme, mais tout du bon gout assumé (Cadillac Coupe de Ville, Volkswagen Karmann-Ghia, MG TD, Ford Galaxie), quant aux lieux traversés ils ne sont pas en reste avec leurs arpents mythologiques (Sunset Strip, Capitol Records Building). Tarantino est toujours fétichiste d'un tas de trucs et je n'ai pas vraiment à m'en plaindre, puisque contrairement à certains je n'ai rien contre les pieds de jouvencelles, les minishorts et les bottes faites pour marcher tout en conservant un petit côté altier. Sinon, le film ne raconte presque rien, il se contente d'être ce qu'il se trouve être avec des bouts, des machins et des incises, comme si Tarantino prenait l'idée de renverser et de recycler le contenu d'une poubelle un brin mélancolique. Leonardo DiCaprio et Brad Pitt sont deux parfaits perdants (notamment Brad Pitt qui sautille dans un très heureux continuum cool newmano redfordien). La fin est idiote, peut-être de mauvais goût, mais tout à fait merveilleuse, les hippies en prennent pour leur grade, la mort au travail se venge de la mort. Pour un peu on en serait pincé.

5 décembre 2019.- Brouillard (1°C). Ayant travaillé plus de 7 heures par des températures avoisinant les deux degrés Celsius j'ai pour ainsi dire le cerveau congelé (et tout du lapon transi).
Une page de Matthieu Galey, accromieuse, désagréable, mais non dépourvue de talent. Un poème épatant du camarade Pirotte (dois-je avouer mon immense sympathie pour ce dernier ?) :

si vous voulez disparaître
commencez donc par apparaître
ce sera l’occasion ou jamais
de vous faire une belle jambe


quand vous aurez la belle jambe
envoyez-moi les côtelettes
à défaut de jambon à l’os
le temps s’en va, las ! le temps bosse


pour s’assurer que chacun tombe
identiquement médaillé
au fond du fond des catacombes
la vie est belle elle est ma tombe
je dirai que je suis tombé


(à Roland Dubillard)


6 décembre 2019.- Brume et froideur (-1°C). Chez Galey Blondin bois des douzaines de bières au débotté, il a été fichu à la porte par sa femme, voudrait en finir, mais il a tout de même un petit sourire en coin, un sourire de gosse qui donne envie de le protéger, de l'embrasser sur le front. Ah oui ! chez Galey il y a aussi André Dhôtel, un magicien, un être en contact direct avec le surnaturel !

7 décembre 2019.- Une éclaircie, température plus douce (10°C). Le Journal de Galey est parfois un drôle de cabinet proustien où se s'ébattent quelques figures littéraires aujourd'hui plus ou moins oubliées : Pierre de Lacretelle (qui chuinte précieusement entre deux chicots), Marie-Laure de Noailles (un corps étrange, un buste de jeune fille posé sur un corps d’éternelle parturiente), Jean Louis Bory (frétillant, minuscule, volubile, délicieux), d'autres… et puis il y a Gérard Bauër : « Pierre Bergé que je vois souvent ces temps-ci m’emmène chez Gérard Bauër, près du Champ-de-Mars. Guermantes, l'esthète, bâfre seul dans son salon ; entre chaque bouchée, il émet une sorte de sifflement de locomotive exténuée. Il y a de la momie dans ce très ancien jeune homme à la mèche barrésienne, qui paraît figé dans l'adolescence malgré les rides et les cheveux gris. De longues mains, regard bleu clair, un peu chaviré, lèvres minces closes sur un sourire sinueux, indulgent, indifférent. Il ne dit rien, il s'en fout, il mange, ce grand maigre ». Par ailleurs, Galey fréquente du linge encore un peu connu par les temps qui nous occupent, il y a des pages fort amusantes autour de Ionesco, Jouhandeau est très doucereux avec son drôle de chapeau et son chameau de femme, Chardonne est parfaitement déplaisant quant à Blondin avec ses habitudes d'enbierré et son envie de toujours vouloir mourir il a peu de peine à être mon préféré.

8 décembre 2019.- Nuages, douceur mielleuse (14°C). Quoiqu'on puisse en dire ici où là le Journal de Galey restera un document passionnant sur le Paris littéraire du second demi vingtième siècle. Tout le monde est là et tout le monde passe, les « hussards », le « nouveau roman », « Tel-Quel », les survivants du premier demi-siècle (Chardonne, Jouhandeau, Morand), les francs tireurs (Dhôtel, Thomas, Follain), les petits jeunes (Sagan, Huguenin, Fernandez, Del Castillo, Poirot Delpech). Au bout d'un moment on se demande même comment Galey a bien pu papillonner autour d'autant de monde. La fréquentation de quelques salons bien choisis ? Les mondanités ? Peut-être, allez savoir !

9 décembre 2019.- Du vent ! (10°C). Cioran, toujours: « Je ne mets de passion que dans les futilités et les questions métaphysiques. Tout ce qui s’étend entre les deux, c'est-à-dire la “vie”, me déroute et me paralyse ; je n'y adhère en tout cas pas ».
Galey, antipathique, invariablement malplaisant. On s'en fiche : sa qualité de « trait » emporte tout.

12 décembre 2019.- Brume, vent léger, mais frisquet (5°C). Lassitude patente, cependant picoré chez Paul (Valéry) : « Les amis, à la longue, finissent par se classer dans l'ordre de la délicatesse de leur tact ».

14 décembre 2019.- Il pleut (10°C). Galey, Journal. Jouhandeau joue de l'harmonium et chante des cantates, Morand a des problèmes de domestiques, Chardonne est toujours aussi antipathique, Nimier meurt, on s’ennuie un peu. Ah si tout de même une anecdote croquignolette : sa fille travaillant mal au lycée Ionesco prit l'idée d'écrire pour elle l'une de ses dissertations, résultat un beau quatre sur vingt et cette appréciation du professeur : « puéril ». Sinon Perros, Papiers collés : « Il est sûr que le langage s'ennuie dans le langage, qu'il y est à l'étroit ; que la poésie n'est pas autre chose que le résultat brut d'une opération qui constitue à le dépecer, comme on le fait d'un lapin, lequel s'en trouverait plus à l'aise pour courir. (Mais on le mange) »


To be continued.


2 commentaires:

L’autre a dit…

Je vous lit depuis des années, en passant, de temps à autre....le plaisir de vous lire se trouvant exacerbé par ces temps de confinement

Philippe L a dit…

Merci l'autre.