samedi 18 janvier 2020

Psychogeographie indoor (96)



« Il y a des heures, il y a des jours, il y a peut-être un âge, où les gouttes de pluie glissant sur les vitres, et leur petit bruit, sont plus intéressants pour l'homme couché que les lignes du livre gisant là. Elles le mènent plus loin – il ne sait où – elles l'arrêtent, il ne sait, et voudrait vainement savoir – en quel domaine universel. » (Henri Thomas, La joie de cette vie).


1.


20 septembre 2019.- Soleil gâché (28°C). Labeur -> fatigue -> Perros -> déprime.

21 septembre.- Vent tiède (27°C). Vague agoraphobie oblige je fréquente assez peu les cafés. Pourtant grands ou petits, que ce soit à Rome, Tournus, Salzbourg, ou Lisbonne je les aime beaucoup.  En terrasse  et plus encore  en intérieur où assis sur une vieille banquette de moleskine, un tabouret en formica ou une plus banale chaise ils me remplissent à de rares exceptions près d'une belle et tenace félicité. J'aime ces lieux de non-activité latente, de courtes débauches… le bruit et les odeurs, la faune qui stagne ou s'agite là dedans, il y a encore beaucoup de livres à écrire sur tout ça. C'est ce qu'a fait Didier Blonde dans Café, etc. un épatant petit livre qui se lit très vite, mais qui ne laisse que du bon derrière lui... La grâce d'une serveuse, la tristesse moderniste des Starbucks, un petit vieux qui boit un demi de bière et mange quelques frites tous les jours à la même heure, le Rêve ce Café parisien qui porte très bien son nom, Modiano, Sartre, Nathalie Sarraute, Simenon, les chiffonnades surréalistes, Gilberte et Veronika aux Deux Magots, Nadja, au Wepler… Voilà le menu, il est très bien.
On réédite le Journal de Julien Green en version « non expurgée » et pleine d'enculades dans la collection Bouquins. Bon papier de Lançon dans Libé(ration). Quant à moi je suis un poil dubitatif. Ce que l'on pouvait aussi aimer dans le Journal de Green c'était ce qui n'y était pas : cette homosexualité expurgée et virant parfois au métaphorique qui donnait à l’ensemble un goût un peu saumâtre de faux culterie catholique et de culpabilité rentrée un peu partout (si j'ose m’exprimer ainsi).
P.-S. Ne me parlez pas des Papillons de Gide.

22 septembre 2019.- Soleil se couvrant (25°C). Fini le petit livre de Didier Blonde qui s'avère bien émouvant lorsque l'autobiographique et l’intime déboulent en catimini. Pour en revenir à Julien Green et à son Journal, s'il était expurgé de la moindre « aventure sexuelle » et de quelques jugements un peu trop rudes, c'est parce que Green avait aussi, au-delà de l'autocensure, écrit ces choses-là pour lui même et certainement pas pour les autres. En somme, ses oublis n'étaient que du tact… Évidemment, notre époque ne connaît plus ça, le tact, un minimum de « savoir vivre », tout est assommé par la « vérité », la « sincérité ». D'ailleurs, Green avait tout prévu : « Je me suis demandé ce matin ce que deviendra ce journal après ma mort. Il faudrait le confier, non à un ami (le Ciel m’en préserve ! les amis brûlent tout), mais à un ennemi, à un homme résolu à nuire à ma mémoire. Il n’en ferait pas sauter une ligne ».

23 septembre 2019.- Soleil parcimonieux (21°C). Mes mains attaquées par le labeur ne me soutiennent plus. Conséquence j'ai de plus en plus de mal à tenir crayons et stylos et les mots que vous lisez sont donc écrits avec une peine assez quantifiable et en tous les cas une courte douleur. Tout cela est sûrement un peu désolant, mais j'en suis là. Par ailleurs, still with Perros (qui ne sautille pas lui non plus) : « Sûr qu'à ma mort, je hurlerai que c'est injuste, que si j'avais su que c'était pour de bon, j'aurais encore fait moins attention ».

24 septembre 2019.- Temps nuageux (19°C). Mon grand-père paternel avait 21 ans lorsqu'en 1940 lors de la finalement si peu drôle de guerre il fut fait prisonnier et envoyé en Allemagne dans un Stalag saumâtre situé non loin de la frontière hollandaise (Stalag VI-B à Versen). C'est là qu'il contracta la tuberculose qui allait le tuer 25 ans plus tard, en 1965 un an avant ma naissance. Je n'ai donc pas connu ce grand-père et aujourd'hui je dois bien constater, non sans un grand pincement ontologique, que je suis bien plus vieux qu'il ne l'aura jamais été. Si je vous ennuie avec tout ça, c'est parce que j'ai depuis peu en ma possession une belle et unique photographie où ce grand-père apparaît en tenue militaire. Il tient un livre dans la main droite et sourit avec cet air doux et un peu narquois assez caractéristique de la famille. La ressemblance est frappante, mais quelque chose achoppe, le doute demeure, et si ce beau jeune homme n'était pas mon grand-père ? Selon le registre des prisonniers de guerre disponible sur le site Gallica, mon grand-père était Caporal or, le soldat photographié ne semble pas plus gradé que ça. Serais-je dans l'erreur ? Aurais-je affaire à un illustre inconnu, un lointain cousin ? La seule chose dont je suis certain, c'est qu'en regardant cette photographie, je regarde un spectre : « La Photoportrait est un champ clos de forces. Quatre imaginaires s’y croisent, s’y affrontent, s’y déforment. Devant l’objectif, je suis à la fois celui que je me crois, celui que je voudrais qu’on me croie, celui que le photographe me croit, et celui dont il se sert pour exhiber son art. Autrement dit, action bizarre : je ne cesse de m’imiter, et c’est pour cela que chaque fois que je me fais (que je me laisse) photographier, je suis immanquablement frôlé par une sensation d’inauthenticité, parfois d’imposture (comme peuvent en donner certains cauchemars). Imaginairement, la Photographie (celle dont j’ai l’intention) représente ce moment très subtil où, à vrai dire, je ne suis ni un sujet ni un objet, mais plutôt un sujet qui se sent devenir objet je vis alors une micro-expérience de la mort (de la parenthèse) je deviens vraiment spectre. » (Roland Barthes, La Chambre Claire)

26 septembre 2019.- Pluie légère (26°C). J'ai faim. Mort de Jacques Chirac (un peu lourdaud, mais toujours élégant).

27 septembre 2019.- Temps de demi-saison, raisonnable et encore un peu chaud (24°C). Perros impeccable sur Ponge : « Ah Ponge, comme c'est difficile de vous aimer, quand on ne le mérite pas… »,  Ponge un homme d'éthique, de po-éthique : « je suis de tout cœur, de toute âme, de tout ce qu'on voudra, avec Ponge… »
Par ailleurs en juillet 1965 Emil Cioran consacre une semaine pleine et entière à la pratique du jardinage. Résultat : tout à ses petites affaires botaniques il ne pense plus et pour lui ne plus penser est un bonheur : « … du matin au soir, j'ai manié la pioche ». Cioran n'était pas le seul à aimer le jardinage, souvenons-nous de ce mot de l'ami Freud : « J'ai perdu mon temps ; la seule chose importante dans la vie, c'est le jardinage.»

28 septembre 2019.- Ciel nuageux (22°C). Perros et les livres. Il ne les lit pas, il les dévore, les bouffe, s'en goinfre : « les livres je les ouvre comme on le fait d'un poisson encore vivant, qui fume par toutes ses entrailles ; avec un dégoût passionné ». Perros et la solitude, l'ennui : « C'est agréable de souffrir, quand on a quelque chose à mordre, à briser, à faire souffrir. C'est du toc. C'est mou. La vie est molle. Les hommes, les femmes, les autres, sont mous. Dans une certaine mesure ils ont bien raison de se foutre pas mal de vous. Mais dans une autre, on n'a pas tort de s'en rendre compte et d'aller chercher ailleurs le dur, l’indestructible. Le dur, le solide, je crois qu'il ne faut pas le demander aux autres hommes… »

29 septembre 2019.- Ciel dégagé (23°C). On enterre Jacques Chirac. Quant à moi, assailli par de multiples douleurs, je ne suis pas au mieux. Reste Perros et ses Papiers Collés, toujours un peu moroses, mais toujours très justes : « … vivre au jour le jour est impossible. Alors nous nous ménageons de petites durées, des sortes d'étapes, nous minons l' évidence, nous sommes essentiellement pléonasmiques : la jeunesse, l'âge mûr, la vieillesse. Ce qui ne nous empêche pas d'évoquer l'éternité, l’absurde. Nous sommes des croyants sans y croire, aucune certitude ne nous protège, sinon celle de la mort. Nous recommençons bravement à faire des enfants, nous nous imaginons qu'ainsi le couple ambigu que nous formons sera sauvé. Si c'était vrai, et ce l'est généralement, quelle horreur ! L'homme n'a de véritables, de sensibles contacts avec les choses et les êtres, que seul. Je sais cela. Je ne cesserai jamais de le savoir. »

1er octobre 2019.- Nuages noirâtres et tonnerre lointain, on annonce des chutes de grêle (24°C). Picorant dans les Poésies du toujours primesautier Mallarmé, je retombe sur Le Sonneur, ce très beau, mais très peu gloupissant poème :

Cependant que la cloche éveille sa voix claire
À l’air pur et limpide et profond du matin
Et passe sur l’enfant qui jette pour lui plaire
Un angelus parmi la lavande et le thym,

Le sonneur effleuré par l’oiseau qu’il éclaire,
Chevauchant tristement en geignant du latin
Sur la pierre qui tend la corde séculaire,
N’entend descendre à lui qu’un tintement lointain.

Je suis cet homme. Hélas ! de la nuit désireuse,
J’ai beau tirer le câble à sonner l’Idéal,
De froids péchés s’ébat un plumage féal,

Et la voix ne me vient que par bribes et creuse !
Mais, un jour, fatigué d’avoir enfin tiré,
Ô Satan, j’ôterai la pierre et me pendrai.

3 octobre 2019.- Ciel gris suicide, fraîcheur (16°C). Une chronique de Bernard Frank qui dégoupille André Fraigneau et sa petite troupe de suiveurs hussards (en somme, Frank dégoupille ce qu'il a lui-même inventé ou tout du moins nommé). Trois pages des Cahiers de l'ami Emil : « il faut avoir la naïveté d'un écrivain pour croire qu'écrire signifie penser ». Rien d'autre.

5 octobre 2019.- Vague crachin (15°C). J'ai mis mes chaussettes et suis allé me faire couper les cheveux. Toute une expédition… Après le shampoing avec le coiffeur, nous avons discuté de la Coupe du Monde de Rugby et de nos chances respectives de gagner à l'Euromillion. Mes cheveux tout de même coupés, je suis ensuite rentré chez moi, j'ai enlevé mes chaussettes et suis retourné dans les Papiers Collés de Perros (je lis pieds nus). Perros et Stendhal : ce merveilleux célibataire promenant ses dernières mélancolies entre le Louvre et L'opéra et qui y sera brutalement frappé « en plein coeur, en, pleine tête, comme il l'avait souhaité ». Perros et Kierkegaard : cet étrange séducteur aux drôles de pantalons. Perros et Mallarmé : cet oiseau chu féru de virginité donnant primauté au blanc : « sa phrase ne s'envole jamais – ni ne retombe. Le mot trouve d'emblée son altitude… » Perros et Cingria : clochard dandy plein de perception musicale aristocratique à la prose protégée par un cortège d’éléphants de l'Inde aussi bien que de petites chèvres des bords de Loire. Faut-il dire que Perros est moins morose avec les autres qu'il ne l'est avec lui-même ? En tous les cas et pour un peu, il sautillerait.

6 octobre 2019.- Pluie (17°C). Flottant dans des embruns plus ou moins ataraxiques je n'y suis pas vraiment. Cependant, ses Papiers Collés étant encore un peu entre mes mains, il m'arrive d'être piqué par quelques justes et blafardes considérations de l'ami Perros. Ainsi lorsqu’il toupille autour de Jean Paulhan je ne suis jamais vraiment à l’abri d'une « merveille. Pour Perros la prose de Pauhlan voudrait passer inaperçue, être l'égale du vent, de la pluie, des rayons du soleil. On a l'impression de ne pas la mériter, de ne pas en être digne alors on glisse dessus. Toute l'existence de Pauhlan s'emploie à faire oublier cette prose, ce qu'il écrit : « Le nu de la pensée de Paulhan ne ressemble à aucun autre. Mais après tout, il est évident qu'une femme vêtue, ou voilée, ne nous cache qu'une partie de son corps. Une femme nue cache tout. » … et puis, et pour le reste, Perros citant Paulhan, ce n'est pas rien : « Il me semble que ce que j'ai craint très longtemps , c’était beaucoup moins la mort que l'envie de mourir (que je me sentais capable d'avoir d'un instant à l'autre). Mais aussi du contre-suicide, du goût à être émerveillé. Oui je le conçois très bien ne cessant de passer outre à l'ennui, au malheur d'être, à l'angoisse des jours et des nuits. Finissant par trouver le pire et le meilleur tout naturels, dans un degré vraiment zéro de l'existence. Et de la mort. Une fusion joyeuse de tous les contraires. »


2.


7 octobre 2019.- Ciel changeant (16°C) Titillé par une cohorte de douleurs plus ou moins prononcées. Ah ! Polyarthrite quand tu nous tiens !
Malgré tout lu trois poèmes d'Alberto Caeiro (l'un des plus capricants hétéronymes de l'ami Pessoa), trois pages du Zibaldone (de qui vous savez) et dix lignes extrêmes orientales de l’ambassadeur Claudel . Plus tard et sans risque, chapardé numériquement le nouvel opus du nobélisé Modiano. (Encre sympathique, le titre m’inquiète un peu).

8 octobre 2019.- Beau temps doux (23°C). Lassitude, adynamie, marasme, amollissement…

10 octobre 2019.- Météo vaguement automnale (15°C). Je suis un homme qui dort et je songe à l'exergue d'un autre homme qui dort, celui de Perec chipée chez Kafka : « Il n’est pas nécessaire que tu sortes de ta maison. Reste à ta table et écoute. N’écoute même pas, attends seulement. N’attends même pas, sois absolument silencieux et seul. Le monde viendra s’offrir à toi pour que tu le démasques, il ne peut faire autrement, extasié, il se tordra devant toi. » (Franz Kafka, Méditations sur le péché, la souffrance l’espoir et le vrai chemin)

11 octobre 2019.- Useless sun (23°C). Stunned by work.

12 octobre 2019.- Ciel gris, vent tiède (20°C). Lu les cinquante premières pages du nouvel effort romanesque de Patrick Modiano. Unfortunately je les ai trouvées prodigieusement ennuyeuses. (ne vous offusquez pas plus que ça, mon avis est certainement biaisé puisque j'ai tendance à TOUT trouver, je dis bien TOUT dans la plus entière acception ontologique de l'adverbe, d'un prodigieux ennui). Modiano affiche une citation de Maurice Blanchot en exergue et le fond du problème est peut-être là. Les blancs blanchotiens, le jeu un peu théorique autour de la fiction, les interstices mémoriels, les enquêtes vaporeuses, les patronymes exotiques, le boulevard Saint-Michel, le lac d'Annecy, tout cela ne fait rien pour me mettre le nez en dehors de la phase de grosse maussaderie que je traverse actuellement.

13 octobre 2019.- Soleil trop bas, soleil gâché (25°C). Dans le dernier tiers d'Encre Sympathique Modiano change de point de vue. Il passe tranquillement du je au il et de facto transforme son narrateur en personnage parmi les autres. Ce drôle de contre champ qui n'en est pas vraiment un transforme aussi le roman qui de work in progress nébuleux devient un genre d'espèce d'interrogation sur le texte en train de s'écrire. C'est assez réussi et on sent bien que Modiano, peut-être un peu las de ses propres petites histoires brumeuses, s'amuse un peu.

15 octobre 2019.- Il pleut (14°C). Picoré dans le Connaissance de l'Est de l'ambassadeur Claudel. C'est une lecture que je laisse durer, elle est « merveilleuse ».

17 octobre 2019.- Pluie (15°C). Un peu chez Paulhan, mais pas trop. Lassitude (généralisée).

18 octobre 2019.- Temps pluvieux (15°C). Le 7 août 1965, Emil Cioran est victime d'une crise de colère dans le hall de la gare d'Austerlitz. Une employée insolente est responsable de cet emportement que l'on imagine sans peine un peu trop voyant. L'ami Emil en sera malade toute la matinée. Dans l'après-midi, l'accalmie venant il remarquera « que la vie est intolérable dans un pays où tout le monde est aussi irascible que lui [moi] ». Dans les extraordinaires Pensées de Joubert parues 115 ans plus tôt, en 1850, on peut lire ceci : « Il y a dans la colère et la douleur, une détente qu'il faut savoir saisir et presser ». Nothing else.

19 octobre 2019.- Velléités pluvieuses (19°C). Une courte promenade helvétique avec l'ami Cingria, une nouvelle de Chesterton (le Père Brown est diablement proto borgésien). Ce sera tout pour aujourd'hui.

20 octobre 2019.- Douceur grisâtre (23°C). Chez Chesterton avec le père Brown, ce logicien catholique bondissant. C'est très bien, obsolète comme on peut l'aimer. Valery Larbaud n'aura pas eu tort d'aimer lui aussi, et de faire découvrir en France, Chesterton.

21 Octobre 2019.- Pluie (13°C). Hier soir, une modeste tornade a eu la curieuse idée de vouloir passer au-dessus de mon salon de lecture extérieur (appelons là, « Tornade Virilio », c'est un hommage). Résultat, ce matin en ouvrant mes volets avec l’appétence de l'ami Ricoré je me suis retrouvé cloué par un spectacle assez désolant. Jugez par vous même : une serpillière sentant l'urine de chat, un gant de toilette, trois pots de géraniums, une multitude de tuiles réduites en poudre (on se fiche un peu de ces tuiles ce sont celles du voisin), un replet tronc d'arbre certainement échappé de la Forêt de Brocéliande, trois ou quatre branches de plus de cinq mètres de long me donnant l’impression d'avoir à faire à un squelette de bébé brontosaure. Tout cela est bien joli, mas je me demande ce que je vais bien pouvoir en faire. Un ready-made, peut-être ?
Dans ces conditions : rien lu.

22 Octobre 2019.- Averses (12°C). Je regarde par la fenêtre, mon squelette de bébé brontosaure est toujours là . Nonobstant et par ailleurs début de sciatique… et puis… la pluie… la pluie chez Claudel. Dans Connaissance de l'Est la pluie est lumière et eau, ce n'est point de la bruine, point une pluie languissante et douteuse, c'est une pluie à l'attaque puissante et profonde, une pluie qui fait oublier la mare aux grenouilles, une pluie qui laisse disparaître la terre elle-même ; les maisons baignent, les arbres submergés ruissellent, même les fleuves disparaissent dans un horizon noyé.

23 octobre 2019.- Ciel bleu, derniers soubresauts de douceur avant le pire, l'hiver (20°C). Une « Mirlitonnade » du grand Beckett :

chaque jour envie
d’être un jour en vie
non certes sans regret
un jour d’être né

rien d'autre.

25 octobre 2019.- Vague soleil (18°C). Je n'y suis pas.

27 octobre 2019.- Météo virant au pluvieux (21°C). Nous avons évacué mon squelette de bébé brontosaure, il me manque déjà un peu… Hier soir, vie sociale, du vin et des discussions par forcement d'un niveau stratosphérique, rentré fort tard. Ce matin, après une partie de rugby télévisée, lu une nouvelle à tendance policière de ce bon Chesterton. Deux cadavres, deux têtes tranchées, un sabre, des convives apparemment civilisés et un jardin sans issue. Voilà une énigme qui pourrait être problématique à résoudre… il n'en est rien… le père Brown est diablement perspicace.


3.

28 octobre 2019.- Nuages et timides averses (17°C). Heure d'Hiver, la nuit tombe à 17H30, je suis dubitatif. Abruti par le labeur, rien lu. Nouvelles acquisitions : Henri Calet/Raymond Guerin - Correspondance 1938-1955, Jeunesses - Henri Calet, Richard Millet - Musique secrète, Eric Ambler - Le Masque de Dimitrios, Claude Farrère - La mer, l'Orient, l'opium.

29 octobre 2019.- Nuages (16°C). Voix, poésie, littérature, Valéry, rien d'autre :« Longtemps, longtemps, la voix humaine fut base et condition de la littérature. La présence de la voix explique la littérature première, d’où la classique prit forme et cet admirable tempérament. Tout le corps humain présent sous la voix, et support, condition d’équilibre de l’idée…
Un jour vint où l’on sut lire des yeux sans épeler, sans entendre, et la littérature en fut tout altérée.
Évolution de l’articulé à l’effleuré, — du rythmé et enchaîné à l’instantané, — de ce que supporte et exige un auditoire à ce que supporte et emporte un œil rapide, avide, libre sur une page. »

31 octobre 2019.- Journée éminemment pluvieuse (15°C). M'étant plus ou moins écrasé le pouce droit au labeur, je suis dans la quasi-incapacité de tenir la moindre mine… Lire est encore pire, quant à l'auto-stop, n'en parlons pas !

1er novembre 2019.- Pluie de Toussaint (14°C). Malgré mon pouce droit endolori  tout de même largement entamé Une vérité à deux visages le nouvel opus de Michael Connelly qui se trouve être aussi le 25e épisode des « aventures » d'Harry Bosch (ce qui fait beaucoup d'épisodes et beaucoup d'aventures). Ce bon vieux Harry est relégué aux affaires non résolues d'un miteux commissariat de San Fernando (petite ville enclavée dans la grosse L.A), mais cela ne l’empêche pas d'être appelé à la rescousse lorsque deux cadavres tout frais fleurissent pendant le cambriolage d'une officine pharmaceutique un brin douteuse. Tout est bien plus compliqué qu'il n'y paraît de prime abord : point de cambriolage, mais deux exécutions en bonne et due forme, un vague trafic d'Oxycodone (cette drogue sous ordonnance qui aura tué le lubrique Prince, excusez du peu!). Parallèlement, Bosch est rattrapé par un dossier vieux de plus de trente ans : un violeur-tueur qu'il avait alpagué et jeté dans le « couloir de la mort » serait innocent. En tous les cas, c'est ce que semblent prouver d’infimes traces ADN retrouvées au débotté. Là aussi tout est plus compliqué qu'il n'y paraît de prime abord. (Dois-je avouer que tout cela est fort distrayant ?)

2 novembre 2019.- Nuages (17°C). Ma carrière radiophonique fut assez valétudinaire, mais elle eut tout de même le mérite d'exister un peu. Ainsi, j'aurais été lu trois fois chez Bernard Lenoir et deux fois au Masque et la Plume. Je ne sais s'il faut que j'enchâsse dans le lot la « radio locale » qui osa passer l'une de mes chansonnettes sur ses ondes. Je me souviens que l'animateur trouva que malgré une fin un peu brutale mon « oeuvre » n'était pas si mauvaise que ça (alors que bon, hein les fins sont souvent un peu brutales). Pour le reste, et du côté des livres, toujours plongé dans le nouveau Connelly (qui est très bien).

3 novembre 2019.- Averses soutenues et ciel sinistre (13°C). Connelly, Bosh, Oxycodone, LAPD, DEA, Salton Sea. Une série TV : Goliath de David E. Kelley avec l'impeccable Billy Bob Thornton. Nothing else.

4 novembre 2019.- Nuages (14°C). En septembre 1965 Emil Cioran séjourne sur l'île d'Ibiza. Il n'y écrit pas une seule ligne, escamote tous ses problèmes en tentant de vivre au niveau des objets, se laisse aller face au soleil (qui peut être une « réponse »), rencontre un chien qui lui fait fête. Le voilà bientôt tout à fait réconcilié avec les choses et avec lui-même, prêt à chérir l'absence de cogito avec un contentement penaud : « J'ai l'intention d'écrire un essai sur cet état que j'aime entre tous, et qui est celui de savoir qu'on ne pense pas. La pure contemplation du vide ».

5 novembre 2019.- Pluie légère (11°C). La nuit tombe si vite, je n'ai pas ouvert mes volets en rentrant du labeur, mes plantes d'intérieur font grise mine, mes plantes d'extérieur frôlent le trépas, l'automne m'en veut.
Chez le quasi impeccable Dilettante (re)parait La Paix des jardins, un spicilège poétique du jeune Vialatte (voilà une nouvelle sautillante).

7 novembre 2019.- Temps globalement nuageux (11°C). Sciatique, lombalgie, cervicalgie, syndrome de Quervain, hernie inguinale, hypertension artérielle, gastrite chronique. En dehors de tout ça tout va à peu près bien ( ou pour reprendre ce beau mot de Paulhan : « Oh, ça va assez mal ; il n’y a pas à se plaindre » )

8 novembre 2019.- Début de froideur (7°C). Disparition de Lucette Destouches, Madame Céline, 107 ans, toujours légère : « … les danseuses, les vraies, les nées, elles sont faites d'ondes pour ainsi dire !… pas que des chairs, roseurs, pirouettes !… leurs bras, leurs doigts…vous comprenez !… C'est utile dans leurs heures atroces… hors des mots alors ! plus de mots ! les mains seulement ! les doigts… un geste, une grâce… c'est tout. La fleur de l'être… Vous battez du cœur,vous revivez !… » (Féerie pour une autre fois).

9 novembre 2019.- Beau temps frais (9°C). Terminé le Connelly entamé la semaine dernière, c'est un peu routinier, mais tout même pas mal, en définitive Harry Bosch vieillit assez bien. Poursuivi mes pérégrinations lectorales chez Charles Albert Cingria (avouons-le entre Connelly et Cingria la crevasse est grande et le saut encore plus grand ), avec Florides Helvètes un spicilège digressif écrit au hasard de la plume. Berne et ses arcades, Berne et son ours, le bruit bernois, un bruit de juste mesure. As usual with Cingria tout cela est formidable.


To be continued

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