samedi 16 juillet 2016

Psychogeographie indoor (69)


« Des zigzags sont évidemment chose importante pour se délasser. Jean-Louis Barrault m'a raconté qu'ayant travaillé toute une journée à Brangues avec Claudel, le poète avait soudain demandé : “qu'on fasse venir la voiture automobile et qu'on me fasse faire des zigzags. ” »


1.

29 mars 2016.- Temps maussade (16 °C) hier « vie sociale », trop de vin, les quelques lignes qui suivent seront donc encore nimbées de volutes alcoolisées, cela expliquera certainement leur faiblesse (voilà une bonne excuse).
(Les années anglaises, Canetti) Les chutes et autres fonds de tiroirs consacrés aux années anglaises d'Elias Canetti me semblent avoir été rassemblées à la diable, sans vrai sens éditorial et avec la sourde volonté de gaver le lecteur avec de l'inédit. Il y a bien deux trois éclairs, une page sur Dylan Thomas, une autre sur le balayeur du coin de la rue, quatre sur Bertand Russell, mais pour l’essentiel on s'ennuie beaucoup dans cette galerie de portrait qui ne nous apprend rien et manque du plus élémentaire croquignolet (pas d'analyse en profondeur, pas d’anecdotes croustillantes, non rien que du constat dans un genre assez : « Tenez, j'ai croisé X, figurez vous que c'est un grand philosophe! », ou encore : « Tenez, j'ai croisé Y, figurez vous qu’il ne vaut pas tripette ! »). Bref le moins musical hall des frères Canetti, mérite mieux.

30 mars 2016.- Ciel bleu et douceur puis, insidieusement, un vent de plus en plus conséquent et une armée de nuages noirâtres sur l'horizon. J'en suis là (21°C). Les conditions climatiques étant assez favorables j'ai poursuivi la lecture de mon Canetti en extérieur. Eh bien figurez-vous qu'en extérieur je suis mieux entré dedans ! Oh c’est toujours ce machin remémorant échafaudé de guingois avec des fragments plus ou moins solides, mais j'y ai trouvé plus à picorer que je ne le pensais de prime abord (en extérieur il me prend des airs de poule pensante inspirée). Certes Canetti ne semble connaître l’Angleterre que superficiellement, mais il connaît par contre assez bien Hampstead cette entité bucolique du Grand Londres peuplée d’intellectuels de tous poils où il aura passé l’essentiel de ses années anglaises. Plus que toute autre chose il fait donc le portrait de ses voisins : Fred Uhlman, Henry Moore, Franz Steiner ou Oskar Kokoschka … Rien de puissamment littéraire, encore moins de philosophique, nous sommes un peu au raz de l’anecdote, mais du factuel et parfois de belles vacheries (Sur T.S.Eliot ou Iris Murdoch, cette ex-compagne dont il dresse un portrait quand même un peu désamouré). On dehors d'Hampstead  et du voisinage on n'apprend pas grand-chose sur la vie du Canetti « anglais » (il y paraît il pourtant matière à…). Les avions de la Luftwaffe passent dans un ciel un peu embrasé et Margaret Thatcher s’invente des guerres exotiques pour mieux se faire oublier, rien de plus ou presque : « Lorsque je le revis au début de la guerre – deux ou trois ans après notre première, rencontre à Prague -, nous étions pas ensemble depuis plus d'une demi-heure qu'il me confessa une faute véritablement monstrueuse commise par lui. Il estimait que la guerre avait eu lieu par sa faute, et cela tenait à ce que Hitler, qui voulait initialement devenir peintre, avait dû se lancer dans la politique. Car tous deux, Kokoschka et Hitler avaient concouru pour la même bourse offerte par l'Académie de Vienne. Kokoschka avait été admis, Hitler recalé. Si Hitler avait été admis à la place de Kokoschka, il ne serait pas entré en politique, il n'y aurait pas eu de parti national-socialiste et la guerre n'aurait pas eu lieu. Et c'était donc la faute de Kokoschka si l’on était en guerre… »
Les Années anglaises de Canetti aussitôt finies et refermées, entamé un recueil de W.G.Sebald dans la foulée (La description du malheur – À propos de la littérature autrichienne). Je l'envisage très bien, en tous les cas les cinquante premières pages m'ont déjà plus apporté que les deux cent cinquante du Canetti anglais. Il faut dire que le menu est alléchant : Grillparzer, Stifter, Schnitzler, Hofmannsthal, Roth, Bernhard… Des enterrés vivant, des dépressifs, des dépersonnalisés, des suicidés. Bref des habitués du malheur, mais des habitués du malheur qui font quelque chose de leur habitude, le malheur est parfois un drôle de ciment : « Il n'est aujourd’hui plus possible de balayer d'un revers de main la constatation de Kafka écrivant que toutes nos inventions ont été faites une fois la chute déclenchée. Le dépérissement d'une nature qui continue de nous maintenir en vie en est le corollaire chaque jour plus évident. Mais la mélancolie, autrement dit la réflexion que l’on porte sur le malheur qui s'accomplit, n'a rien de commun avec l'aspiration à la mort. Elle est une forme de résistance. Et au niveau de l'art, éminemment, sa fonction n'a rien d'une simple réaction épidermique, ni rien de réactionnaire… »

1er avril 2016.- Averses, chute des températures, le printemps n'est déjà plus là (8°C). (Sebald, le malheur, l’Autriche) Pour Sebald les « grands Viennois » sont tous plus ou moins saisis par de lourds problèmes de sexualité (tout du moins leurs personnages). Stifter est fasciné par de bien trop jeunes filles au cœur blême (aujourd’hui on le regarderait vraiment de travers), Schnitzler valse entre syphilis et nécrophilie tandis qu'Hofmannsthal éprouve un peu de mal à vouloir regarder la sexualité de ses personnages en face. Bisexualité refoulée, fétichisme (ah les pieds!) et pornographie latente. Nous voilà en pleine féerie turpide et Sebald, bien aidé par le père Freud, tire de belles et sourdes conclusions (La symbolique de la mort est le signe d'une pratique de l'amour comprise entre légalité et illégitimité. L'amour est un « désir de voir » archaïque et frémissant d'horreur qui peut s'exercer sur un « objet mort »)…
…(plus tard) Canetti et la puissance (et donc la violence), Bernhard, faux réactionnaire et vrai satiriste (dans les pas de Swift). Ces mots de Bernhard : « … c'est une erreur de croire que les gens mettent des enfants au monde. C'est trop facile. C'est des adultes qu'ils ont, pas des enfants. Ils engendrent un cafetier ou un monstrueux tueur en série, qui sue, qui est abominable et qui a un gros ventre, c'est ça qu'ils engendrent, et non des enfants. Ils parlent de chérubin, mais en réalité ils se retrouvent avec un octogénaire qui fuit de partout, qui pue et qui est aveugle, qui boite et qui ne peut plus se remuer à cause de la goutte, c'est ça qu'ils mettent au monde. Mais celui-là, ils ne le voient pas, pour que la nature continue de s'imposer et que toute cette merde puisse continuer. Mais je m'en fous. Ma position ne peut être que celle d'un grotesque… je ne dirais même pas perroquet, ce serait déjà bien trop grandiose, d'un grotesque petit oiseau qui piaffe et récrimine. Çà piaille quelque chose et ça disparaît et puis c'est plus là. La forêt est grande, l'obscurité aussi. Parfois on y trouve un drôle d'oiseau du genre chat-huant qui ne vous laisse pas de répit. Je ne suis rien de plus. Et je ne demande rien de plus non plus. »

2 avril 2016.- Temps maussade, trois timides micros éclaircies (12°C). (Sebald, le malheur, l'Autriche) Les pages consacrées à Peter Handke me sont tombées des mains (Handke ne m'a jamais vraiment intéressé). Celles consacrées à Ernst Herbeck , pas du tout. Il faut dire que s'agissant de ce poète-brut je ne savais pas grand-chose. Sa jeunesse morne et aphasique, son bec de lièvre que l'on tente d'opérer, sa schizophrénie, sont internement en hôpital psychiatrique jusqu'à sa mort. Voilà un type incapable de communiquer avec autrui qui lorsqu’on lui prête une feuille et un crayon se transforme en dynamiteur de syntaxe, les des plus singuliers (des plus grands?) poètes en langue allemande du 20e siècle.

Le rêve est un papier
le rêve est à la nuit
alors vint le portier
qui ouvre les huis.

le rêve est claire lumière
la mort est la femme
et Le jour est le rêve
et l’arbre est le rêve.

3 avril 2016.- Trop de nuages !(15°C). Retour dans le Journal de Maurice Garçon c'est toujours cet extraordinaire document sur le temps de l'occupation. Garçon à beau être un grand bourgeois hautain, on sent qu'il est du côté du majoritaire, de cette France silencieuse qui ne collabore pas avec l'ennemi, n'aime pas le régime de Vichy mais qui s'offusque lorsque quelques actes de résistances viennent à survenir. Pour un attentat, un assassinat, les Allemands raflent cinquante personnes, les passent par les armes (Guy Moquet sera du nombre), la majorité silencieuse tremble puis devient paranoïaque, elle a bien raison de le devenir.
Par ailleurs toujours le petit monde littéraire et ses petites compromissions avec l'occupant. Les voyages plus ou moins forcés que feront de nombreux artistes français en Allemagne. Une visite à Georges Mandel détenu dans la forteresse du Portalet : « Comme j’avais quitté le fort et passé le petit pont jeté sur le torrent, j’ai entendu un appel. Au-dessus de moi, à mi-flanc du rocher, s’élevait le fort. À une fenêtre, Mandel me hélait pour me saluer de la main. Le bruit a dû attirer l’attention des autres. Plusieurs fenêtres s’ouvrirent et j’aperçus, se tenant aux grilles et me faisant des signes, outre Mandel, Daladier, Blum et Paul Reynaud. Quatre présidents du Conseil comme des singes au zoo ! »

5 avril 2016.- It is still raining, another day without sun, where’s the sun ? (16°C) Back to work. Too tired to hope to turn any page. Then write one !

7 avril 2016.- Quelques belles éclaircies (16°C). Longue sieste réparatrice face au soleil. À mon réveil rouvert les Greguerias de l'ami Ramón Gómez de la Serna. Elles sont toujours pleines de choses mignonnes et obsolètes, celle-ci par exemple : « La personne en visite qui vous demande un verre d'eau est un conférencier frustré » , ou encore cette autre : « Les paquebots on la cheminé penchée comme s'il portaient le haut-de-forme de façon canaille ».
Dernières acquisitions : Morceaux de prose (Walser), Être sans destin et L'ultime auberge (Kertesz), Le dehors et le dedans (Bouvier), Le fichier parisien (Montherlant).

8 avril 2016.- Météo maussade voire plus (12°C). Sans envie et très las de moi-même je ne suis plus vraiment à ma psychogégraphie indoor et ce n'est pas ces quelques mots pêchés chez le très peu sautillant Étienne Pivert de Senancour qui feront quelque chose pour m'extirper d'une morosité que j'espère passagère : « Très inquiets et plus ou moins malheureux, nous attendons sans cesse l'heure suivante, le jour suivant, l'année suivante. Il nous faut à la fin une vie suivante. Nous avons existé sans vivre… »


2.


9 avril 2016.- De belles éclaircies jouant avec quelques gros cumulus accrochés. Un fond de l'air encore un peu trop frais, mais quelque chose de tout de même printanier malgré tout (14°C). Gérard Bauër était le petit fils naturel d'Alexandre Dumas. Sous le masque un tantinet proustien de Guermantes, il écrivit pendant plus de trente ans une somme appréciable de billets pour le Figaro où il se faisait le chroniqueur des spectacles légers du monde. Le volume que j'entame aujourd’hui rassemble ses chroniques données entre 1954 et 1964 et je dois dire qu'elles ont tout pour réjouir le lecteur. Style net et chantourné, légèreté de touche et une bien belle façon d'oublier les vastes problèmes du Monde. On passe de la Riviera au Maréchal Lyautey, d'André Billy à Gina Lollobrigida, on se souvient de choses et d'autres, le délice n'est pas loin.

10 avril 2016.- Météo parfaite, douceur et ciel dégagé sur lequel on pouvait voir se dessiner la trace de quelques avions lointains. Voilà donc le printemps et sa cohorte de félicités… ou presque (20°C). Profitant du beau temps j'ai poursuivi la lecture des Chroniques de Gérard Bauër en outdoor, face au soleil et avec pour compagnons deux trois oiseaux pour ainsi dire gazouillants. Pour faire court, je dirai que les Chroniques de Bauër sont délicieuses et gazouillantes elles aussi. Il faut dire qu'elles parlent d'un Monde qui n'existe plus vraiment : ces années cinquante qui se souvenaient encore de ce qui les avaient précédées et où la « société de consommation » commençait tout juste à déployer ses grosses pattes assommantes. Ainsi s'il y a déjà quelques réfrigérateurs, téléviseurs et autres microsillons exposés derrière les vitrines des magasins, les vendeurs portent encore de bien belles blouses et n'emploient pas encore la saumâtre novlangue des temps qui nous préoccupent. La douceur flotte, on s'embrasse sur les bancs publics et Gérard Bauër évoque avec légèreté tout ce qui lui passe à portée de main (Mozart et Bruno Walter, César Ritz et les petites tables, Bernard Buffet et Fantin Latour, Henri Heine et la fille du bourreau de Dusserdolf, Bade et le bonheur de vivre…)

11 avril 2016.- Ciel partiellement ensoleillé, du vent. (20°C) Walser short stories. Travaillé ma psychogéographie, regardé par la fenêtre, rien trouvé

12 avril 2016.- Journée globalement ensoleillée (21°C). Cioran, Cahiers. Je surligne tellement de passages que mon volume sera bientôt plus surligné qu'autre chose. J'ignore si c'est un bon signe ou pas, en tous les cas c'est un constat : «  Dés que je me suis mis à réfléchir, j'ai pris le ton du désabusement et ne l'ai plus quitté depuis. »
Encore quelques textes courts d'un Robert Walser toujours lumineux, entre lui et Cioran voilà un grand écart et un drôle d'écho «  Le ciel est au-dessus de moi. Tant que je vivrai, je ne perdrai pas l’habitude d’élever mon regard vers lui. J’ai les pieds sur la terre : elle est mon point d’appui. Les heures plaisantent avec moi, et moi avec elles. Je ne saurais imaginer plus précieux commerce. Le jour et la nuit sont toute ma société. Je suis à tu et à toi avec le soir et le matin. Et là-dessus, avec ses amitiés, vous salue ».

14 avril 2016.- Beau temps (20°C). Trois chroniques de Gérard Bauër . Dans l'une d'elles, il évoque le « prince du vice » Jean Lorrain. Ses bagues trop lourdes, ses poses décadentes et ses vers parfumés à l' éther. Bauër pense que Lorrain est un type qui aura mis son talent dans sa vie beaucoup plus que dans son œuvre. En somme un Gide raté, un Gide qui aurait oublié d'enlever la cape ridicule qu'il portait dans ses jeunes années, un Gide qui ne se serait pas repris… Je suis presque du même avis que l'ami Bauër, mais je n'oublie pas que Monsieur de Phocas était tout de même un roman assez merveilleux (dans le croquignolet).
Puisque tout est dans tout et pour rester un peu décadent, Robert de Montesquiou me semble être le prototype du genre « ma vie c'est mon œuvre », voilà un garçon qui rangeait ses cravates et chaussettes dans une vitrine, comme dans une bibliothèque, et je ne vous parle pas du reste.

15 avril 2016.- Humidité, restes orageux (20°C). Ce petit exercice diariste à certainement tout pour ennuyer, mais je le poursuis tout de même cahin-caha parce qu'il le faut, parce que la force de l'habitude malgré ses arpents sclérosants est pour ainsi dire une nécessité vitale.
Aujourd'hui une chronique de Bauër deux textes de Walser, quelques broutilles par d'autres et ailleurs…

16 avril 2016.- On annonçait une journée soumise aux orages pourtant les éclaircies furent plus souvent au rendez-vous que les paquets de nuages. La météorologie sait parfois se tromper en bien, nous n'allons pas nous en plaindre (22 °C). C'est entouré de belles senteurs printanières que j'ai donc poursuivi la lecture des chroniques de Gérard Bauër. Même une si une belle légèreté est bien présente on sent bien que le propos n'est finalement pas si léger que ça. Il y a de la nostalgie, un voile de tristesse, des choses qui pincent. Bauër retrouve en « plaques bleues » au dessus des rues les noms de ceux qui furent ses amis et qui auront eu la malencontreuse idée de partir avant lui (Giraudoux, Valery, Fargue…) Les voilà inscrits sur le plan de Paris, dans la mémoire des chauffeurs, sur l'enveloppe des commerçants et sur les « faire-part et billets tendres ». Dans une chronique émouvante, forcément émouvante, il salue la mémoire de Valery Larbaud qui vient de disparaître après être resté enfermé pendant près de quinze ans dans un silence où ne pénétrait plus que le souvenir : « Il y avait en lui une droiture spirituelle, une volonté d'être ce qu'il était sans fléchir : le représentant d'une civilisation à laquelle il ne survivrait pas. Il n'était pas fait pour un monde en guerre, ni pour les fanatismes, ni aucune des vulgarités dont on a terni ce qu'il avait aimé. Ce qu'il nous en laisse est précieux : des fruits d'une haute saveur, des leçons d'amour vraiment tendres. Larbaud n'est plus, ni ce qui l'inspira. Mais il vit encore, et ce qu'il a préféré de la vie nous le recevons de son talent qui gardera un parfum de paradis perdu ». Plus joyeuses et sautillantes ces quelques considérations sur Stendhal :  « Mais il est un autre plaisir de lire, qui n'est plus une méditation statique, mais au contraire une évasion, et nous rend au mouvement de la vie. Stendhal est de ces endiablés. Je sais bien que, sans lui, il est des voyages que je n'aurais pas accomplis ni de joies que je n'aurais pas éprouvées de la même façon. L'heure est-elle maussade ou assombrie par les violences de notre temps j'ouvre Stendhal son journal, ses lettres, à n'importe quelle page, et me voici dans un autre monde, ce monde d'élans de cœur, de fantaisie, d’anecdotes surprises, d'ambitions rêvées, qui nous font, dans l’instant, échapper aux servitudes de l’heure.
Il est peu d'écrivains qu'on reconnaisse aussi disponibles devant chacune de ses journées, aussi prêt à en apprécier les découvertes, aussi charmés en dépit de toute solitude ou de tout échec, d'avoir un nouveau jour à vivre. C'est une disponibilité de célibataire; mais n'est-ce pas là précisément, la sorte d 'écrivains qui s'est acquis le plus de fidélités, le plus d'amitiés posthumes : Casanova (bien que trop bas dans ses fins) Stendhal, Mérimée, Flaubert, Maupassant, Huysmans, Marcel Proust auxquels on peut joindre Balzac, si longtemps célibataire, et Montaigne qui sut maintenir prudemment son épouse à l'écart de sa “librairie” et donner à l'amitié des gages éminents? Les femmes apprécient moins Stendhal, que les hommes. Cela se comprend fort bien, quoiqu'il les ait beaucoup aimées. Car il est un complice pour les hommes qui le lisent, un camarade entraînant et qu'on ne saurait trahir. “Ils ont leurs tapis volants ”, dit Lia la femme jalouse, en parlant des maris dans Sodome et Gomorrhe. Stendhal est l'un de ces tapis volants… Il vous emporte ailleurs dès qu'on le lui demande! »

17 avril 2016.- Orages (15°C). Toujours dans les Chroniques de Gérard Bauër. Il parle littérature, cinéma, théâtre, peinture, croise une multitude d'artistes (la liste est trop longue), papillonne tel un mémorialiste léger et profond. Bref voilà un bon livre.

19 avril 2016.- Beau temps (18°C). Je me suis encore endormi sur le Journal de Charles Du Bos. Il faut dire que cette somme diaristique me donne toujours l'impression de mâchonner une sorte de valériane littéraire. Me voilà donc encore somnolent devant des pages qui devraient pourtant tout avoir pour me laisser éveillé. Du Bos fait parti de la grande génération critique de l’entre-deux-guerres, il a connu beaucoup de gens et pas des moindres, mais rien n'y fait sont style amidonné me tombe des yeux, son gidisme proéminent m'assomme avec une régularité quasi helvétique. Aujourd’hui il comparait les mœurs un brin dissolues de Wilde et Gide, le côté non revendicatif de l'un, le côté finalement revendicatif de l'autre. Toutes ces histoires de geôles humides et de papillons me sont tombées des yeux, puis c'est ma tête qui est tombée sur l'une de mes épaules qui ne lui demandait rien, heureusement le soleil était en face de moi et j'ai pu somnoler dans une douce quiétude.
En complément : une chronique de Gérard Bauër, un magicien et un lapin, de l'obsolète qui aura eu le mérite de me réveiller un peu.

21 avril 2016.- L'humidité rôde (21°C) (Jaccottet chroniques). Benjamin Constant est un fantôme vivant qui voit sa vie s'enfuir comme de l'eau. Pour la retenir, il choisit d'écrire un journal, ce sera son barrage « en parlant de lui même, des événements de sa vie, en les écrivant et en s'écrivant, il leur donne une sorte de consistance et à lui-même une espèce de continuité… »
Constant laisse donc pendre sa vie, il en livre les dehors à qui veut bien s'en emparer, mais en faisant cela il s'enlève du temps et des forces et son intérieur reste comme entouré par une sorte de froide barrière invisible. Voilà donc un homme qui en se livrant aux autres, en laissant dépasser de petits bouts de lui-même se retrouve avec l'air penaud d'un fantôme gelé par sa propre solitude : « … il retrouve son gel intérieur, ou bien il se lance dans la politique pour oublier ce qui est inoubliable : qu'un homme comme lui n'est qu'un fantôme. Mais ce fantôme nous est cher et respectable, parce qu'il ne s'est pas tu ».

23 avril 2016.- Pluie et grande fraîcheur. Ce printemps n'aura-t-il donc duré que trois jours ? (10°C). Au début des années soixante Gérard Bauër est déjà un vieux monsieur civilisé qui voit un monde tout autant civilisé que lui disparaître à petit feu. Ses chroniques sont donc toujours un peu saisies par une belle nostalgie. Oh rassurez vous rien d'ombreux chez lui, sa nostalgie est plus souvent pétillante que plombée par l'amertume. Ainsi si Johnny Hallyday est ce jeune milliardaire qui met le bruit à un tarif impressionnant (il nous casse les oreilles pendant que son public casse des chaises) l'amateur de musique peut toujours écouter Massenet ou voir Karajan diriger un symphonie par-ci, par-là. On dit adieu à l'Orient express, mais il y a toujours un train pour vous mener en plein cœur de Venise. La société moderne a beau être un peu horrible, la vie ne l'est pas encore, il y a toujours du bonheur dans l'air (rappelons que nous sommes en 1962, le constat ne serait certainement plus le même aujourd’hui). « Qu'on ne m'accuse pas de tourner le dos à mon époque – car je crois la regarder de face – en vantant cet avantage du passé, à savoir que les distances, si elles impliquaient un effort et du temps pour les parcourir, du moins, parfois vous sauvegardaient. Aujourd’hui, les distances ne vous protègent plus des mauvaises nouvelles, ni de leurs conséquences. En bref, pour me résumer, j'écrirai que le monde n'a plus d'abris. »


3.


24 avril 2016.- Averses et quasi-froideur, nous voilà bien (10°C). Je profite d'une rare éclaircie pour écrire ces lignes face à un soleil tout autant fugace que tardif. Fini le volume de chroniques de Gérard Bauër qui était délicieux de bout en bout. Il faudrait que je me procure ses autres chroniques éditées par les bons soins de la maison Gallimard dans la collection blanche (deux volumes 1934-1953 et 1965-1967). En chinant bien cela devrait être de l’ordre du possible. Pour mes lectures suivantes, je n'ai que l'embarras du choix et plus d'hésitation que de certitudes. Je pense que je vais opter pour le Fichier parisien de Montherlant , c'est encore un volume de la blanche chez Gallimard et je ne serais pas dépaysé par le logo Nrf.

25 avril 2016.- Replets cumulus noirâtres. Fraîcheur hors de saison (12°C). J'ai toujours beaucoup de peine à vouloir ranger dans ma bibliothèque un livre que j'ai aimé et avec qui j'aurai vécu quelques jours d'heureuse coalescence. Voilà comme une petite mort et des quasi-obsèques corrélatives où quoiqu’on en dise l’émotion est bien présente. Faisant fi de mon chagrin il me faut trouver une place pour le nouvel occupant de mon cimetière à planches ouvertes (il ne serait être question d’incinération, cette pratique hindoue). Une fois cette place trouvée le deuil peut seulement commencer. Je regarde pendant deux trois jours mon livre comme égaré au milieu d'une foule d’autres livres un peu trépassés. Il y a de la nostalgie, elle se fane comme se fanent les fleurs.
Aujourd'hui j'ai rangé les Chroniques de Gérard Bauër dans mon armoire à livres. Je leur ai trouvé une place entre Valery Larbaud et Robert Walser*, le petit pincement au cœur était là…
Otherwise, back in Stendhal diary.
*(rien de commun entre ces trois là, si ce n'est la couverture beige de chez Gallimard)

26 avril 2016.- Toujours ce printemps automnal aussi sympathique qu'une cris d'urticaire (10°C). Le Journal de Stendhal ne se lasse pas d'être glutineux dans le coquin, pour preuve ces quelques lignes écrites le 18 août 1811 : «  J'ai trouvé dans mes courses (Au Raincy), the little π. Je lui ai parlé par désœuvrement. Elle manque de tétons et d'esprit, two great wants ! Par désœuvrement aussi j'ai hasardé quelques libertés, il n'y a pas de résistance. De manière que, hier, ne sachant que faire, je suis monté en cabriolet et ai paru à Villemomble. Il y avait grand monde ; j'ai passé sur la terrasse, la petite m'y a suivi, je lui ai pris le bras et un peu la taille, ensuite, dans le salon, les genoux et la cuisse. Ses yeux m'en ont remercié par l'air de l'amour, à cela près c'est l'innocence même. Mais je reconnus sur la terrasse une grande vérité. La nouveauté est une grande source de plaisir, il faut s'y livrer. J'étais sûr de coucher le soir avec la jolie Ang[éline] auprès de laquelle je ne b[ande] qu'avec effort et ne d[écharge] qu'en songeant à une autre femme. π , au contraire, inférieure de toutes manières, me mettait dans un état superbe. »
Nothing else…

28 avril 2016.- Quelques velléités de beau temps gâchées par une armée de cumulus patibulaires. Ce printemps est décidément bien loin à venir. (15°C). Stendhal toujours coquin et anglomane entame un long périple en Italie. Nous sommes en 1811, ce long périple sera crucial, est-il utile de le préciser ? (diary).

29 avril 2016.- Ciel Klein/Matisse. Un peu de tiédeur suspendue nous y voilà enfin, ou presque (3 °C-> 20 °C). Still in Stendhal diary. Une comète, des diligences et des compagnons de voyage pas toujours reluisants, l'Italie est encore loin. On notera les nombreux, dessins, croquis et autres crobards qui agrémentent le texte de l'ami Beyle de façon tout à fait charmante.
« Dijon est, suivant [moi et] une plate expression, une grande villasse. Position plate, pas de rivière, un ruisseau nommé Douche… »

30 avril 2016.- Averses et grande fraîcheur. La journée d'hier n'était elle donc qu'un leurre ? (10°C). En 1910 les États Unis sont en crise et la viande vient à manquer. Devant ce constat un brin perturbant, comment vivre sans un bon steak ? Une petite troupe d'hommes trouve une solution et un drôle de plan tout à la fois : il suffit d'importer des hippopotames, de les faire paître dans les bayous de la Louisiane et de convaincre les Américains de les manger. Rien de bien compliqué en somme ! C'est cette histoire qui est racontée dans l’Hippo d'Amérique un long reportage — et un petit bouquin — que j'ai lu dans la journée (l’auteur un certain Jon Mooallem est journaliste pour le New York Times). Rien de puissamment littéraire, mais quelque chose de formidable qui flotte partout. Il faut dire qu'il y a de la matière, l'hippopotame est épatant, l'histoire racontée est passionnante et ses protagonistes encore plus. C'est ainsi que j'ai découvert l'existence de Fritz Duquesne (Aventurier Boers, chasseur de fauves, espion qui travaillera pour l'Allemand par haine de l'Anglais, plus encore…) et Frederick Russell Burnham (Roi des éclaireurs, héros des guerres indiennes source d'inspiration du scoutisme, plus encore…)



To be continued


1 commentaire:

D.F. a dit…

Intéressant comme toujours, mais beaucoup de coquilles...