samedi 1 août 2015

Psychogeographie indoor (60)



« Trois heures de conversation. J'ai perdu trois heures de silence » (Cioran, Cahiers)


1.

1 mars 2015.- Deux éclaircies dans un ciel gris chagrin, quelques giboulées gourdes, rien de bien réjouissant. (10°C) L'art de Céline et son temps de Michel Bounan. Intéressant quand Céline est attaqué sur sa biographie bidouillée, dézingué pour son style fabriqué en laboratoire, tympanisé pour son appétence pécuniaire… Assommant quand Bounan tel un Débord chloroformé semble défendre des thèses cochées par avance : Céline comme agent dormant d'Henry Ford et du machinisme marchand, l’antisémitisme idéologie idiote utile du même machinisme marchand…


3 mars 2015.- Larges soleillées. (12°C) Ce qu'il y a de mieux chez Philippe Sollers ? Son armoire à citations, il l'ouvre et nous sommes rarement déçus : « Il ne nous semble pas probable qu'on nous décapite, que l'on nous enferme, que l'on nous bannisse, nos livres ne seront même pas interdits ou brûlés. L'époque aime l'esprit, elle nous aime, quand même nous lui donnerions à entendre que nous sommes des artistes dans le mépris ; que tout rapport avec les hommes nous cause un léger effroi ; que malgré notre douceur, notre patience, notre affabilité, notre politesse, nous ne pourrions persuader notre nez d'abandonner l'aversion qu'il a pour le voisinage des hommes ; que moins la nature est humaine, plus nous l'aimons ; que nous aimons l'art quand il est la fuite de l'artiste devant l'homme, ou le persiflage de l'artiste sur l'homme, ou le persiflage de l'artiste sur lui-même… » ou encore : « Quiconque s'identifie aujourd'hui à un territoire, à une religion, à une croyance, à une idéologie, à une ethnie, à une langue, à une mode, à une couleur ne fait que se dépouiller de sa singularité, de sa vraie et inépuisable richesse, de ce qu'il possède en lui de plus vivant et de plus humain. ». La première citation provient de l’étagère Nietzsche , la seconde de l’étagère situ ( Raoul Vaneigem ce situ conséquent).
Rien (ou presque) : Me voilà quasi chauve, comète sans chevelure.

4 mars 2015.- Giboulées. (8°C) Les hussards m'ont toujours beaucoup ennuyé. Malgré toute la sympathie que j’approuve pour Blondin ses romans me tombent des mains (moins les chroniques sportives). Je trouve Nimier vieux beau avant l’heure légale, corseté quand on le voit désinvolte. Jacques Laurent ne m’intrigue pas du tout. J’aime assez le Pluche de Dutourd mais grand-chose d'autre de lui. Je ne connais pas vraiment Michel Déon. Par contre, j'apprécie à sa juste hauteur la fausse branche socialo gastronomique représentée par Bernard Frank.

5 mars 2015.- Soleil, du vent. (7°C) J'entame Espace et labyrinthes de Vassili Golovanov. Les sources de la Volga, les « espaces infinis » des steppes d’Asie centrale, les confins de la Mongolie… ce genre de choses. De Golovanov j'avais beaucoup aimé L'éloge des voyages insensés, j’ose espèrer que cet autre volume sera du même tonneau ethno-intimiste.

6 mars 2015.- Ciel bleu, humeur maussade, voire pire. (12°C) Ces quelques lignes pertinentes de Roland Barthes :  « Il est seul, abandonné des anciennes classes et des nouvelles. Sa chute est d'autant plus grave qu'il vit aujourd'hui dans une société où la solitude elle-même, en soi, est considérée comme une faute. Nous acceptons (c'est là notre coup de maître) les particularismes, mais non les singularités ; les types, mais non les individus. Nous créons (ruse géniale) des chœurs de particuliers, dotés d'une voix revendicatrice, criarde et inoffensive. Mais l'isolé absolu ? Celui qui n'est ni breton, ni corse, ni femme, ni homosexuel, ni fou, ni arabe, etc. ? Celui qui n'appartient même pas à une minorité ? La littérature est sa voix, qui, par un renversement “paradisiaque”, reprend superbement toutes les voix du monde, et les mêle dans une sorte de chant qui ne peut être entendu que si l'on se porte, pour l'écouter, très au loin, en avant, par-delà les écoles, les avant-gardes, les journaux et les conversations »  (C'est extrait du petit livre à demi hagiographique que Barthes avait consacré à son ami Sollers, si Sollers ne vous convient pas vous pouvez l'échanger contre un écrivain de votre choix, le propos tient toujours…)


7 mars 2015.- Soleil voilé. (12°C) Golovanov, Espace et labyrinthes. Impossible de me concentrer plus que ça, gêné par de ramenards problèmes extra lectoraux. C'est fort dommage puisque le peu qui me parvient vraiment de cette lecture me sied tout à fait. L'évocation de Velimir Khlebnikov le vrai faux jumeau futurien de Maïakovski, un égaré « surétrange » qui finira mal… Astrakhan et le delta de la Volga, la Caspienne cette mer qui n'est qu'une chose clapotante au fond d'une cuvette géologique qui ne ressemble à rien. Un peu partout ce « mal d'Asie » comme il y a un « mal d'Europe », les steppes en amorce et déjà quelque chose de la spiritualité tibétaine : «  Les gens s'imaginent que la cervelle de l'homme se trouve sous son crâne ? Pas du tout : elle est apportée par le vent soufflant de la Caspienne » Rien (ou presque) : L'importance d'une montagne ne se mesure pas forcement à sa hauteur, ainsi la colline qui s’élève au-dessus du lac Boskantchouk à la frontière de la Russie et du Kazakhstan ne s’élève pas à plus de 149 mètres, mais on peut la distinguer à pas moins de soixante kilomètres de là en bords de Volga.

8 mars 2015.- Soleil, mais voilé et trop bas. (13°C) Golovanov , Espace et Labyrinthes. Bakounine ? Il raisonnait comme un philosophe des lumières, la rage en plus. Les barricades, les insurrections faisaient monter en lui une émotion spirituelle, une « ivresse véritable ». Et puis cette vie que voulez-vous ! Une vie de révolutions avortées, d’exils, de claustrations, de relégations, d'évasions, le tout cycliquement, rien du petit Marx, que de l'aventure, la révolution est une aventure (si elle ne l'est pas elle vire au pire). Golovanov s’intéresse aussi au père de Bakounine, l'un des tenants de la Philosophie des jardins, certes moins aventureux, pas trop révolutionnaire, mais bien émouvant tout de même (Golovanov semble pencher du côté du père). Il est question du domaine de Priamoukhino domaine que Bakounine père avait façonné à sa façon un brin rousseauiste et domaine qui est aujourd’hui « préservé » par une petite armée d'anarchistes bon teint. Visitant ce coin de Russie, entre Moscou et Saint-Pétersbourg, je suis passé à côté sans même le voir, j'étais certainement encore ivre de Vodka. (En dehors de l'Histoire et du biographique, quelques belles pages panthéistes).
Rien (ou presque) : Je ne suis pas du tout anarchiste, c'est-à-dire que je le suis vraiment.

9 mars 2015.- Quelques nuages, vent modéré. (14°C) J'ai découvert Huysmans grâce à Patrick Eudeline, Raymond Guérin grâce à Sylvain Vanot, Julien Green grâce à Michka Assayas… S'agissant de littérature les meilleurs « prescripteurs » sont souvent très éloignés du marigot… Quant aux professeurs ils ne m'ont jamais rien passé (et presque rien appris).
En parlant de passeur toujours dans les papiers de Sollers (très bon passeur Sollers). Une belle citation de Voltaire qui résonne parfaitement avec les temps présents : « Ce sont d'ordinaire les fripons qui conduisent les fanatiques, et qui mettent le poignard entre leurs mains ; ils ressemblent à ce Vieux de la Montagne qui faisait, dit-on, goûter les joies du paradis à des imbéciles, et qui leur promettait une éternité de ces plaisirs dont il leur avait donné un avant-goût, à condition qu'ils aillent assassiner tous ceux qu'il leur nommerait. Il n'y a eu qu'une seule religion dans le monde qui n'ait pas été souillée par le fanatisme, c'est celle des lettrés de la Chine. Les sectes des philosophes étaient non seulement exemptes de cette peste, mais elles en étaient le remède ; car l'effet de la philosophie est de rendre l'âme tranquille, et le fanatisme est incompatible avec la tranquillité. Si notre sainte religion a été si souvent corrompue par cette fureur infernale, c'est à la folie des hommes qu'il faut s'en prendre. »
Rien (ou presque) : Bienheureux les inconsistants, car le royaume des vents est à eux.

10 mars 2015.-Faux beau temps assez fourbe (16°C). Dans l'inépuisable série « littérature et engagement » ces quelques lignes du camarade Aragon : « Ce prix porte le nom du plus grand philosophe de tous les temps ; de celui qui éduque les hommes et transforme la nature ; de celui qui a proclamé que l'homme est la plus grande valeur sur terre ; de celui dont le nom est le plus beau, le plus proche, le plus étonnant dans tous les pays pour tous ceux qui luttent pour leur dignité, le nom du camarade Staline. » Sinistre n'est-ce pas ? Les débuts du petit Louis n'avaient pourtant presque rien de sinistre. Le Traité du Style et le Paysan de Paris sont d'un tonneau assez léger, ils ne préoccupent pas de faire le bonheur du peuple et c'est très bien ainsi. Aurelien est un beau témoignage sur l'immédiate après première guerre mondiale (le Gilles de Drieu se voudrait d'un tonneau avoisinant, il n'en est rien, ou presque…). Les voyageurs de l'impériale et la Semaine sainte sont presque séduisants, presque sans graisse, presque hypocaloriques … Comment Aragon en est-il arrivé là ? Une somme de lourdeurs, croire qu'il y a du bien et du mal un peu partout, et puis vivre, vivre est un problème…

12 mars 2015.- Ambiance printanière (16°C). Sur les bons conseils de Bernard Frank petit tour chez Charles-Albert Cingria : « Je hais le roman, qui n'a plus aucun rôle puisque les dames sont en short et qu'il n'y a plus de société. Ce que je fais, c'est des petits voyages sur le plein air et les ferrailles et un peu de pensée – dialectique pure – et des voyages dans l'histoire quand cette passion me prend et me surprend ». Voilà quelques mots qui n'alentiront pas mon indisputable goût pour les Suisses obsolètes.
Rien (ou presque) : Le tambourineur de rumeur trompe son ennui en tambourinant dans le vide. Il a une petite crête de cheveux virtuels sur la tête, des petits bras satisfaits et beaucoup de bonne conscience en lui.

13 mars 2015.- Nuages et soleillées, à l'alternat (13°C). Le Guide du voyageur court texte de Paul Gadenne qui resterait anecdotique s'il n'était conclu par ces quelques lignes : «  À présent j’habite un pays où les branches noircissent rapidement, se dessèchent ; une immensité de poussière s’élève et perpétuellement retombe. On essaye de se taire, mais il est trop tard. Voici déjà une charrette prise au tournant ; puis c’est un couple d’amants encore tout frais. « Jure-moi … » disait-elle. Mais il n’eut pas le temps d’étendre la main. Nous sommes un peuple trop vieux pour les serments. Et nos enfants naissent soucieux. Eux aussi sont guettés par la poussière ». On me recommande encore une fois les Pléiades de Gobineau. J'hésite. Dans son Histoire de la littérature française Kleber Haedens traite Gobineau de « Rousseau gentillâtre », ce n'est pas vraiment un compliment. Bon c'est le Gobineau théoricien de l'inégalité des races humaines que vise Haedens, le Gobineau idiot en somme… Le Gobineau romancier lui plaît par contre assez, il ne le brocarde pas du tout et voit en lui « un promeneur divertissant » et un « compagnon digne de Stendhal ». Quant aux Pleiades c'est un roman riche de lyrisme, d'humour, de fantaisie et d'imagination… Je pense que je vais faire le pas qui s’impose (Haedens est souvent de bon conseil, c'est un bon demi d'ouverture réactionnaire).
Rien (ou presque) : L'égotiste est un être opaque que la lumière ne saurait traverser.

14 mars 2015.- Humidité prégnante (8°C) On regarde la Russie de biais et se faisant on est hémiplégique (du regard), on ne voit pas sa grande partie Asiatique et encore moins ce « désir d’Asie » qui est l'un des ingrédients les plus enfouis de l'âme russe. Dans Espace et Labyrinthes, Golovanov se balade dans ce désir-là, dans cette Asie-là, dans cette Sibérie qui n'existe pas uniquement pour la relégation. Les Monts de l’Altaï (un Oural réussi, un Himalaya raté), la République de Touva (un peu Mongol, presque tibétaine, la Shangri-La des producteurs de Cannabis), des steppes et des fougères, le souvenir du terrifiant Baron Von Ungern, des shamans un peu partout ; ils vénèrent les vaches, le vent, les hérissons et les arbres rouges, tout est pour le mieux. Demain : Platonov.
Rien (ou presque) : Les lèvres sont les portes heureuses du langage articulé, c'est certainement pourquoi les ventriloques ont toujours ce petit air contrit et renfermé. Quant aux muets…

15 mars 2015.- Soleil voilé (10°C). Fatigue, céphalées, rien pour moi. Lu la fin d’Espace et Labyrinthe sans grand enthousiasme. Platonov que je ne connais pas vraiment m'ennuie tout à fait (métaphysique certes , mais trop politique). En complément trois chroniques de Bernard Frank…

16 mars 2015.- empty slot



2.




17 mars 2015.- Nuages gris-jaunes assez sinistres (16°C). Deux chroniques de Bernard Frank. Parcouru un vieux numéro de l'Infini (Nº 37, Printemps 1992), beau texte d'Hemingway (Collines comme des éléphants blancs). Ouvert Les Enfants Tanner de Walser et suis tombé sur ces quelques mots : «  J'aime bien dépendre comme cela du bon plaisir d'autrui, parce que d'une façon générale j'aime être dépendant de quelqu'un pour le chérir et me demander toujours si je mérite encore sa bonté. » Relire L'homme difficile d'Hugo von Hofmannsthal…
Rien (ou presque) : Les plaisants, les charmants d'apparence, traîtres envers eux-mêmes, ne font que se conformer aux désirs d'autrui.

19 mars 2015.- Ciel bleu pâle, pic de pollution (16°C) Bref retour dans les Cahiers de Cioran, ces quelques lignes que je pourrais tamponner : «  Ce n'est pas de la mort que j'ai peur, c'est de la vie. De si loin qu'il me souvienne, c'est elle qui me paraissait insondable et terrifiante. Mon incapacité de m'y insérer. Peur ensuite des hommes, comme si j’appartenais à une autre espèce. Toujours le sentiment que sur aucun point mes intérêts ne coïncidaient avec les leurs. »
Rien (ou presque) : Le phacochère est un pétulant mammifère suidé qui prospère dans la savane africaine. Ses habitudes alimentaires non rien de bien sorcier puisqu'il se nourrit facilement avec ce qui lui passe à portée de groin : quelques brins d'herbe, des fruits pourris un reste de charogne font son bonheur. Une fois sustenté il se roule dans la boue puis il galope à des vitesses proprement hallucinantes (50 km/h!) À la différence de l'homme, on ne lui connaît pas plus d'ennemis que d'habitudes sournoises, il faut dire qu'en dehors des périodes de rut il vit essentiellement seul, ce qui aide…

20 mars 2015.- Labeur. Éclipse solaire et brouillard, drôle de cocktail (16°C) Nouvelles acquisitions : Soudain un bloc d'abîme, Sade d’ Annie Le Brun, les Ecrits sur l'art de Michel Leiris, L'homme-dé de Luke Reinhardt, Herzog et La planète de M. Sammler de Saul Below, Ernesto d'Umberto Saba, Guerre et Guerre de László Krasznahorkai, Pélerin parmi les ombres de Boris Pahor, Une-certaine-absence@gmel.ie de Claude Lucas, le Dictionnaire chic de philosophie de Fréderic Schiffter, Dans la ville en feu de Michael Connelly… Du crucial, de l'élégant, de l’agréable (mais dispensable), du presque expérimental, du distrayant… S'agissant du distrayant, entamé cette pile de livres (à demi virtuelle) par le dernier cité, le « nouveau » Connelly. Les débuts sont promoteurs et le contrat est pour l'instant rempli ( précision topographique, minutie journalistique, Connelly’s touch).
Rien (ou presque): J'ai fait tomber mes maracas puis j'ai raté l'éclipse, elle était là, mais le brouillard aussi.

22 mars 2015.- Pluie légére (7°C) Las, céphalées. Connelly. Junk food, boulevard du crime, Beretta 9mm, Desert Storm. Nothing else.

24 mars 2015.- Temps de demi-saison, pas vraiment convaincant (16°C). Humeur très maussade. L'avantage du puits sans eau c'est que l'on ne s'y noie pas, on s'y écrase.
Toujours dans le nouvel opus de Michael Connelly, je le lis sans vrais efforts tout en m'accompagnant de l'application google maps et en écoutant quelques gigs tardifs d'Art Pepper. Livre distrayant, as usual, contrat rempli. En complément une paire de Greguerias de Ramón Gómez de la Serna, celle-ci : «  ils étaient si distingués et ennuyeux que lorsqu'ils se réunissaient, il commandaient une bouteille de spleen »

26 mars.- Ciel bris-bleu pas vraiment convainquant (11°C) Airbus suicidé et humeur brinquebalante. Rien lu ou à peu près. Quelques mails, une notice, trois pages d'un mauvais livre que je ne citerai pas. Ouvert les Les Poésies de A.O. Barnabooth de mon grand ami Larbaud, qui ne m'a pas déçu : « J’ai senti pour la première fois toute la douceur de vivre, Dans une cabine du Nord-Express, entre Wirballen et Pskow… »

27 mars 2015.- Soleil voilé (13°C) Larbaud, Poésies, Barnabooth : « Dans le clair petit bar aux meubles bien cirés / Nous avons longuement bu des boissons anglaises… » Fini le « nouveau » Connelly. Mal couturé, filandreux, assez bâclé. L'inspecteur Bosch devrait-il passer la main ? (à sa fille Maddie ?)

28 mars 2015.- Ciel patibulaire, température mignarde, drôle de printemps (10°C) Travaillé nuitamment, fatigue, sieste prolongée, état flottant.
Assommé par une production un tantinet pléthorique je dois confessé avoir un peu oublié l'ami Chevillard et son double « romanesque » Albert Moindre. En entament Vu du Ciel je les retrouve. Moindre n'est pas au mieux puisqu'il est tout à fait décédé. Chevillard, quant à lui, voudrait parler de la mort de façon élégante et légère. Pari pour l'instant réussi puisque son livre me semble assez badin. Poursuivi ma relecture des Poésies d'A.O Barnabooth. Légèreté (encore), élégance (toujours) : «  Nous avons longuement bu des boissons anglaises ; C'était intime et chaud sous les rideaux tirés. Dehors le vent de mer faisait trembler les chaises » ou encore : « Prenez, prenez, vous n'avez rien. Et où que j'aille, dans l'univers entier / Je rencontre toujours / Hors de moi comme en moi / L'irremplissable Vide/ L'inconquérable Rien »
Rien (ou presque) : La cristallisation stendhalienne certes, mais qu'en est-il de la minéralisation chardonnienne ?

29 mars 2015.- Petites averses, humeur flottante (13°C) (Chevillard). Albert Moindre n'est plus qu'un corps spectral, astral et sans matière. Il navigue entre deux nuages, visite le Bureau des élucidations où tous les mystères de sa vie passée sont éclairés (belle accumulation perecquienne), consulte le service des réclamions où on lui rappelle une délicate histoire de pollution nocturne et le service des rétributions (Jules Laforgue est davantage rétribué qu'Arthur Rimbaud). Une fois toutes ces activités un tantinet bureaucratiques faites il tourne autour d'une urne où sont rassemblées ses propres cendres, se remémore son trépas inopportun (une camionnette fatalecomme Barthes). On s'ennuie un peu, Chevillard est convenablement aérien encore globalement drôle, mais on l'a connu plus inspiré : «  Et n’est-ce pas une bien cruelle ironie encore d’avoir doté la vache d’une solide paire de cornes puis de lui avoir donné pour seule ennemie la mouche ? ». Pour le reste toujours chez Larbaud et Barnabooth, légèreté et confort cosmopolite…
Rien (ou presque) : Cervicalgie. Ne pouvant lever mes yeux vers le ciel je regarde mes pieds : triste spectacle.


3.



30 mars 2015.- Ciel chargé et petite pluie, une éclaircie (13°C) Ce passage à l'heure d'été ne me dit rien qui vaille, les journées sont plus longues, mais le temps passe plus vite. Picoré chez Larbaud, Sollers et Gracq. Valises, demain départ pour Nice et plus de soleil… j'imagine.

7 avril 2015.- Ciel bleu, azur, céruléen, ecchymose! (15 °C) Back to Nice. Quelques belles journées de psychogéographie outdoor par beau temps (Flux touristique raisonnable, Musée Matisse, Musée d'Art Comtemporain, Klein son IKB et toute sa clique). Dans l'avion (un Airbus A320 parvenu à bon port), feuilleté un Nº de Rock & Folk, un papier, décousu, mais attachant, de Patrick Eudeline consacré aux bandes de rockers, le « verbatim » d'un discours improvisé par Dylan lors d'un gala de charité, beaucoup de nostalgie old age…

8 avril 2015.- Journée printanière, ciel IKB, quasi tiédeur (19 °C) Le troisième volume du Journal de marche de Patrick Leigh Fermor était manquant, perdu avec d’autres papiers dans un château moldave. On la retrouvé en 1965, publié en 2014 et je le lis en 2015. Cette Route interrompue (c'est le titre de ce troisième volume) avait tout pour me plaire et je dois dire qu'au bout d'une petite centaine de pages elle ne me déçoit aucunement (rien de bien étonnant puisque les deux premières parties déjà publiées frôlaient le magnifique voire plus). Fermor entre en Bulgarie visite le Monastere du Rila, Sofia, Plovdiv, Tarnovo ou Kazanlak autant de lieux et de villes que j'ai moi-même visités pas plus tard que l'année dernière. Ma Bulgarie était triste, terne, délavée, comme dévitalisée par son long coma communiste et déjà assommée par les mirages du consumérisme conditionné. La Bulgarie de Fermor est vivante, terriblement vivante! Des arômes furibards sorte de quintessence balkanique flottent un peu partout, un mixte de sueur, de poussière, de corne brûlée, de sang, de fumée de narguilé, de crottin, de mouton grillé, d'essence de rose… la nourriture semble encore vivante sur les étales et les garçons sont trapus, solides et brutaux quand les filles sont sauvages et occasionnellement libérées…
Pour le reste, et pour l'instant, Fermor est formidable, captivant lorsqu'il s’agit d'Histoire, panthéiste devant les paysages, humain forcement humain lorsqu'il évoque les êtres qu'il croise. Vivement la suite !

9 avril 2015.- Belle appétence printanière, ciel bleu, soleil et température idéale (20°C) Toujours sur la route avec Patrick Leigh Fermor. Nous entrons dans Roussé (Roustchouk) en bord de Danube à la frontière entre la Bulgarie et la Roumanie. Belle petite ville diablement civilisée. Je laisse Patrick vous en parler un peu, il est manifestement bien plus doué que moi : « Puis, tandis que la mare de pluie s’élargissait autour de mes brodequins sous la table, je m’adossai confortablement, en toussotant de bonheur sur l’un de ces cigares autrichiens, presque noirs, en goûtant les lumières, le sec et l’eau, l’agréable mélange d’activité et d’oisiveté. J’avais l’impression d’être un voyageur plein d’usage et de raison, expert ès Balkans, Europe centrale et Russie, sorti des pages de Saki. Je regardais la rue brillante au-dehors, liquéfiée, fragmentée comme un tableau pointilliste par les gouttes diffractant la lumière qui éclaboussaient les carreaux, s’y tortillaient, savourais cette étendue de lourdes tables à plateaux de marbre (merveilleuse surface pour dessiner discrètement au crayon, ou mieux encore, au stylographe) et, près de la porte, l’architecture branlante de boîtes de chocolats enrubannées, si souvent, inexplicablement, sommées d’un poupon de celluloïde ou d’une marquise poudrée en robe de satin à paniers – car j’étais dans un établissement evropaiski, qui répugnait à servir du café turc, où l’on défaillait si l’on osait évoquer un narguilé. Or j’y avais tout de suite pris goût et passais des heures à gargouiller dans leurs rets, en marmonnant des quatrains d’Omar Khayyam (que je connaissais presque entièrement par cœur grâce à une édition de poche envoyée par ma mère) dans de plus humbles cafés à treillages. Mais celui-ci, outre ses empilements complexes de gâteaux occidentaux, de croissants fourrés, brillants, à la crème, aux graines de pavot et saupoudrés de carvi, ses pretzels dignes de Struwwelpeter, n’était pas si européen qu’il bannisse un éventail de douceurs orientales, notamment le kadaif, sorte de plat de blé doux râpé, et encore meilleur, le baklava… » Roussé abandonnée derrière nous, voilà bientôt la Roumanie et Bucarest, un mixte de Byzance décadente et de France proustienne, nous y faisons la nouba, rencontrons Arthur Rubinstein et quelques comtesses. Les moustaches et hauts de formes à bords recourbés, les monocles et cigarettes nonchalamment allumées y font flores. Le zbucium une sorte de blues moldo-valaque flotte dans l'air, mélancolie des steppes, tristesses des plaines, mélancolie insaisissable, et la preuve que tout est vain. Nous avons eu beaucoup de mal à quitter cette Roumanie-là, sa douceur et sa distinction francophone, il le faut. Revoilà, la Bulgarie, Varna et la Mer Noire, bientôt ces restes de l'Empire ottoman qui sont le but de notre voyage…

10 avril 2015.- Ciel limpide, immaculé puis un vent solide et un agrégat de nuages de plus en plus conséquent (20°C) Je bois un thé russe dans un mug Keith Haring, je dois être un peu snob. Dans la Route interrompue Patrick Leigh Fermor (Paddy) bois beaucoup de thé russe, mais il n'est jamais vraiment snob. Quittant Varna il s'égare en bord de Mer Noire et tombe dans un trou d'eau. Une bande de pécheurs grecs le recueille. Il fait la nouba avec eux, bois de longues rasades de raki et du thé russe fortement sucré (nous y revenons). Il faut dire que les pécheurs grecs sont diablement hospitaliers. Sec et repu, plus loin le voilà à Burgas, une petite bourgade flottante, où tout est abîmé, gauchi, inondé, rouillé et tombant en ruine. Un endroit idéal, un endroit totalement bulgare. Il y passe quelques jours de quiétude panthéiste puis c’est la descente vers Constantinople et les zélateurs d'Ataturk. Curieusement nous ne saurons rien de son passage en Turquie. Il n'en parle pas du tout et son récit reprend par un long appendice terminal consacré à sa découverte du mont Athos. Il arpente cette presqu’île neigeuse égarée en mer Égée de long en large, n'y croise pas plus de femmes que de bestioles maternantes (elles sont, comme chacun le sait, interdites dans ces contrées là), se lie d'amitié avec des Popes charbonneux, visite une multitude de Monastères plus accueillants les uns que les autres. Belle fin. Merci pour tout Paddy.


To be continued



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