« Je suis lourd seulement — de tant de livres !
Je ne fais que tomber sans cesse
Pour tomber, enfin, jusqu’au fond ! »
Je ne fais que tomber sans cesse
Pour tomber, enfin, jusqu’au fond ! »
1.
28 mai.- Ciel IKB,
bonne tiédeur (28°C), pour combien de temps ?
Taine : Voyage en Italie. La Rome de Taine n’est pas
celle de Stendhal, elle est beaucoup plus sale ; une saleté de bric-à-brac,
avec des toiles d’araignées, l’odeur du moisi et la vue de toutes ces choses
autrefois précieuses maintenant laissées à l’abandon : « dédorées, mutilées,
dépareillées ». Elle ressemble à l’atelier crasseux d’un vieux peintre mal
peigné qui aurait fait faillite. Tout cela vous donnerait presque des idées
funestes.
À Genoux. Connolly de consommation courante. Pas mal. Distrayant.
29 mai.- Beau
temps mais orageux en fin de journée.
Connelly, Senancour. Grand écart entre l’efficacité de l’un
et la belle morosité de l’autre. Lire Vincent La Soudière, poète suicidé,
écrivain sans œuvre : « On me croit immobile dans le fleuve. C’est que je nage
à contre-courant et que ma force est égale à celle du courant ».
31 mai.- L’orage
rode, il nous tourne autour comme le loup tourne autour de sa proie en
attendant son heure.
Oberman toujours morose : « Ce que peut avoir de séduisant
la multitude de rapports qui lient chaque individu à ceux de son espèce et à
l’univers ; cette attente expansive que donne à un cœur jeune tout un monde à
expérimenter ; ce dehors inconnu et fantastique, ce prestige est décoloré,
fugitif, évanoui. Ce monde terrestre offert à l’action de mon être est devenu
aride et nu : j’y cherchais la vie de l’âme, il ne la contient pas. »
Taine et Rome.
Orangers tranquilles, palmiers jetés au hasard, âme gaie et sereine sous une
pluie tiède.
1 juin.- Beau
temps chaud. Malade. Cioran si peu. Senancour guère plus. Obermann pourtant
toujours très bien, morose et faussement épistolier.
Retour dans l’Odessa d’Isaac Babel. Je l’ai arpenté sans grande
conviction, en la survolant presque. Peut-être n’étais-je pas dans les
prédispositions requises pour lire une vague histoire de parricide bariolé,
peut-être étais-je d’une humeur trop peu concordante pour pouvoir apprécier ce
climat sudiste, cette faconde presque méditerranéenne. Allez savoir ? D’humeur
grise et morose je me suis donc réfugié dans l’Obermann de Senancour. C’est un
texte si maussade qu’à la moindre pointe de mélancolie l’on peut s’y glisser
comme le randonneur fourbu peu se glisser dans un enveloppant duvet d’oie.
Senancour est toujours inquiet, il ne sait pas qui il peut bien être, il ignore
tout du monde. Il est navré au milieu de la foule et ravi quand il croise un
arbre solitaire. Il aime « les cieux d’orages et le vent qui siffle à travers
les branches… » (Kléber Haedens). Bref, ce type est insortable : « Je ne suis point l’esclave des passions,
je suis plus malheureux, leur vanité ne me trompera point ; mais enfin ne
faut-il pas que la vie soit remplie par quelque chose ? Quand l’existence est
vide, peut-elle satisfaire ? Si la vie du cœur n’est qu’un néant agité, ne
vaut-il pas mieux la laisser pour un néant plus tranquille ? Il me semble que
l’intelligence cherche un résultat : je voudrais que l’on me dît quel est celui
de ma vie. Je veux quelque chose qui voile et entraîne mes heures ; car je ne
saurais toujours les sentir rouler si pesamment sur moi, seules et lentes, sans
désirs, sans illusions, sans but. Si je ne puis connaître de la vie que ses
misères, est-ce un bien de l’avoir reçue ? Est-ce une sagesse de la conserver ?
»
3 juin.- Pluie
incessante.
À Rome Taine tourne
autour des statues, il tourne tellement autour qu’il se retrouve à Athènes.
C’est un drôle de tour de force, mais que voulez-vous toutes ces poitrines,
tous ces dos, toutes ces échines et tous ces tendons sont plus grecs qu’autre
chose. (Grecs dans le sens où Homère l’était terriblement ; il connaissait
diablement l’anatomie, le bougre). Demain Panthéon.
Philippe Muray, Rabelais, Sade. Le premier défend les deux
autres comme s’ils avaient besoin d’être défendus. Pour se faire, il utilise
son petit arsenal habituel : l’époque nous en veut, l’époque est sinistre,
Orwell était dans le vrai… Pour l’essentiel les boulets de Muray me sont passés
au-dessus de la tête.
4 juin.- Temps
variable, quelques gouttes de pluie, de rares soleillées, température
raisonnable (21 °C).
Ensaché dans ma toute
nouvelle légèreté, je m’élève vers la richesse des hauteurs.
Bachelard était plus souvent ensaché par sa propre légèreté
que plombé par la gravité. Jules Renard était soulevé par ses petits ballons.
Pour Novalis la pesanteur était une entrave qui empêchait la fuite vers le
ciel. Nietzche flottait dans l’air comme un lourd-léger ; la profondeur était
au-dessus de lui. Milosz tombait de bas en haut dans l’abîme divin. LF Céline
trouvait les hommes bien lourds…
5 juin.- Temps
variable avec quelques belles soleillées.
Stendhal, diary. On badine. On se fait branler. On est
charmé au point de se sentir sur le bord de l’amour. On contracte les habitudes
raisonnables qui assurent le bonheur.
Rouvert l’Innommable de Beckett, sans le relire, en le
humant simplement en le caressant. Belle expérience.
7 juin.- Du bleu,
du vent, du gris, de l’humidité suspendue, une vague tiédeur.
Plus las que là.
Pour Taine la Rome antique est une civilisation parfaite et différente,
parfaite et différente comme peuvent l’être le mastodonte qui précède
l’éléphant moderne ou le mammouth qui devance le proboscidien raffiné. Taine
est parfois pachydermique. Pour le reste, Panthéon, Colisée et tutti quanti…
8 juin.- Matinée
pluvieuse, après-midi oscillant entre le pire et le meilleur.
Nous ne désirons pas comprendre ce qui nous attire vers l’abime, non ce que
nous désirons c’est l’énigme, le non-organisé, le non-résolu de l’abime.
Chestov (Aphorismes) : flottant, très flottant. Donald Westlake (les cordons du
poêle) : Mafia et cadavre volé. Distrayant, drôle et frôlant le burlesque.
Taine (Vatican, peinture). Moins drôle, assez peu burlesque, mais quand même
pas mauvais. Raphael est un peintre heureux qui ne pose pas de question sur la
vraie nature de sa petite entreprise. Michel Ange est très physique, il se
promène toujours avec un petit poignard ; il faut dire que l’époque est
périlleuse, on s’y bat souvent et même les artistes les plus raffinés ont pour
eux les rudes manières de leur temps : « L’habitude de donner des coups de
poing et d’épée, de sauter, de lancer la paume, de jouter en lice, la nécessité
d’être fort et agile remplissait l’imagination de formes et d’attitudes. » Ce
côté brut et athlétique est peut-être l’un de secret du grand art renaissant,
l’habitude des corps que voulez-vous…
9 juin.- Temps
variable, comme l’humeur.
Le voyage de Gide au Congo commence très bien : « On ne bercera jamais assez
les enfants, du temps de leur prime jeunesse. Et même je serais d’avis qu’on
usât, pour les calmer, les endormir, d’appareils profondément bousculatoires.
Pour moi, qui fus élevé selon des méthodes rationnelles, je ne connus jamais,
de par ordre de ma mère, que des lits fixes ; grâce à quoi je suis aujourd’hui
particulièrement sujet au mal de mer. ». Rien de plus.
10 juin.- Pluie,
fraicheur et neurasthénie ambiante.
Achevé Les cordons du poêle de Donald Westlake ; parfois drôle, toujours
de consommation agréable. Un peu de Taine en Italie (Raphael peintre heureux).
L’humeur étant sinistre, comme le temps, j’ai tenté de la dulcifier en lisant
quelques pages du journal de Renard. J’y suis presque parvenu puisque je sens à
présent une petite pointe d’allégresse me titiller l’estomac. Fini la journée
chez Alphonse Allais, il est toujours rempli d’aise sautillante et ne déçois
jamais.
Quelques histoires d’Alphonse Allais, croquignolettes, forcément
croquignolettes. Quelques vers d’Oscar de Milosz, prince lituanien exilé, poète
aérien et parfois envoutant. Il savait parler aux oiseaux : « … le lieu où
nous sommes, Malchut est le milieu de la hauteur. »
13 juin.- Temps
oscillant entre le moyennement humide et le vraiment humide. Toujours hors de
saison (18°C).
Dans le journal de Stendhal le français qui parle cherche toujours à relever sa
propre importance, le but d’une conversation n’est jamais qu’un moyen de
relever quelque chose d’aimable sur lui-même. Et puis le français qui parle est
toujours tatillon, tellement tatillon que son tatillonnage devient l’un des
alliés secrets du comique (c’est moi qui souligne, Stendhal dit un peu l’inverse…)
L’allemand qui parle est plus bonhomme, il ne voit pas plus loin que la
conversation auquel il participe. L’italien qui parle est quant à lui toujours
ardent et rempli de volupté, l’habitude qu’il contracte dans ces deux états
fait qu’il parle avec un naturel qui est tout à son honneur.
Levé 3 heures. Labeur, sieste puis retour dans les récits Odessites d’Isaac
Babel. Assez déçu (la fatigue ?), ces récits-là ont beau n’être qu’un court
préambule à la bien plus fameuse Cavalerie Rouge, ce n’est pas une raison ; je
m’y suis ennuyé comme un pinson ennuyé s’ennuie au bout de sa branche (j’écris
pinson car j’entends un oiseau chanter au bout de sa branche, il ne doit pas
être enroué, il ne doit pas être ennuyé non plus.) Fini l’après-midi face au
soleil et dans les chroniques de Patrick Besson (j’ai failli écrire Eric besson
!), toujours très bien quand elles ne frôlent pas les pourtours de la
compromission germanopratine en faisant l’éloge du pire (je ne parle pas de la
Serbie, je parle, bien évidemment, de Florian Zeller et de tous ses clones
trentenaires et dépeignés…)
15 juin.- Beau
temps estival.
À Rome Hippolyte Taine traverse en fiacre une quantité considérable de rues
vides et tortueuses ; il passe sur le pont San-Sisto et des deux côtés du
fleuve qu’il franchit il voit un long pêle-mêle de bicoques tout de guingois.
Plus loin c’est un long cloaque d’arcades suintantes, plus loin encore, un amas
de bouges d’un aspect plus moyenâgeux que Jeanne sur son bûcher. Tout cela
n’existe que pour mieux tromper l’ennemi, car au bout d’un moment au détour
d’une rue encore plus tortueuse que les autres voilà un Palais renaissant, la
fameuse villa Farnesina. L’intérieur est diablement bien décoré, il y a une
fresque de Raphael, une « psyché » de Raphaël qui n’est pas piquée des
hannetons. (En fait, Raphaël n’exécuta que les dessins de cette fresque, il en
laissa la juste réalisation à ses élèves, Giulio Romano, Francesco Penni,
Giovanni da Udine…)
Demain, congés, Entre fleuve et forêt suite du journal de marche de
Patrick Leigh Fermor, je l’envisage très bien.
2.
16 juin.- Beau
temps chaud, un peu de vent, quelques cumulus tardifs (ou précoces ?).
J’avais laissé Patrick Leigh Fermor sur un pont entre la Tchécoslovaquie et la Hongrie, je le retrouve comme si je ne l’avais jamais quitté. La saison n’est seulement plus la même, c’est le printemps, le chant des oiseaux éclate avec frénésie, les hirondelles et les martinets planent de toutes parts, les lézards fusent sur les rochers, les bancs de poissons abondent et les grenouilles plongent à l’approche du moindre quidam qui passe. La nature n’est pas en reste, collines et rivages, pieds fleuris de violettes sauvages et de primevères, grands arbres sertis de lichens… Les saisons, les bestioles, la nature, mais voilà bientôt Budapest. Buda et Pest, Buda et ses petites rues qui vous donnent l’envie de chuchoter, Pest plus aplatie, plus ordinaire, mais avec ce monument si singulier en bord de Danube, ce parlement qui ressemble à un gros gâteau néo-gothique. Fermor reste une dizaine de jours à Budapest, il est recueilli par un couple d’aristocrates diablement civilisés, il ne fait pas trop de folies, bois un peu, visite raisonnablement puis il part vers la grande pleine Hongroise. Cette grande plaine qui a vu passer tant de peuplades bigarrées est la plus occidentale des steppes européennes, elle est recouverte de champs verdis par le jeune blé, le maïs y est encore vert pâle et l’on y croise des bohémiens plus qu’à son tour. La bohémienne est bien jolie, elle est toute débraillée dans des volants verts, jaunes ou magenta, elle vous fixe de ses yeux brulants, sa démarche est ondulée, la souplesse fragile de ses poignets et chevilles vous pince le cœur. La bohémienne à quelque chose d’indien, on pourrait la croire encore sur les berges de l’Indus.
17 juin.- Beau temps chaud.
Entre fleuve et forêt, la Hongrie de Fermor est bien jolie, on y boit du Tokay
avec des aristocrates désenchantés, on y croise de grands oiseaux, ces outardes
si sauvages que les gens du cru les associent à tort aux autruches. La zone
frontalière entre la Hongrie et la Roumanie est une belle zone floue qui semble
immuable malgré ses incessants changements de nationalité (la nature est moins
changeante que l’homme). Le charme et la douceur de vivre flottent dans des
décors surannés. Tout compare à enchanter (cela ne durera pas). Plus loin voilà
des forêts, des collines en plus grand nombre, c’est la Transylvanie. Est-il
utile de préciser que Fermor raconte les hommes, l’histoire, la nature des
lieux qu’il traverse avec une intuition, une culture sans pareille ?
18 juin.- Chape
nuageuse, tiédeur. L’orage rôde.
Entre Fleuve et Forêt. En Roumanie c’est le solstice d’été, l’époque du mais
grillé, des truites de montagne, des cerises et des pêches. Le paprika écarlate
vous saute à la figure, la liqueur d’abricot vous brule le gosier, les violons
et clarinettes vous ensorcellent les oreilles. Plus au nord tout est moins
chamarré. C’est la nuit des longs couteaux ; on égorge méthodiquement. Hitler et
Goering peuvent sautiller au-dessus du bel effroi qu’ils ne cessent d’inventer.
Voyageant Fermor ignore l’effroi, il tout à ses « humanités nomades ». C’est en
sifflotant qu’il entre en Transylvanie. Cluj est une belle ville affublée de
pas moins de huit noms (Cluj en roumain, Kolozsvár en hongrois, Klausenburg en
allemand, Kloiznburg en yiddish, Kluż, en polonais, Kluž en tchèque, Kaloşvar
en turc). Le matin on y est réveillé par la cacophonie de cloches «
mutuellement schismatiques ». Le soleil jette des bandes colorées sur les
couvres lit, les croissants sont bons. Une grande minorité hongroise vit au
milieu d’une mer de roumain, les synagogues sont debout, tout est calme,
immuable, le pire viendra plus tard.
Pendant que Dollfuss est assassiné par les nazis (les nazis assassinent
beaucoup), Fermor quitte Cluj pour s’approcher au plus près des Carpates. La
région est essentiellement peuplée de Saxons et pour un peu l’on se croirait
mille kilomètres plus à l’ouest (mais sans les croix gammées). En dehors des
Saxons c’est aussi un pays de canyons obscurs, de prés obliques et de pâturages
escarpés. C’est aussi le pays de Vlad III ce souverain qui savait se battre
contre les Turcs, mais qui n’avait qu’un petit défaut celui de vouloir
systématiquement empaler ses ennemis. (Quant à Dracula il n’a jamais existé,
c’est une invention touristique montée en épingle autour d’une dérive
linguistique : Vlad Dracul, le fils du dragon…)
Pour le reste Senancour et Milosz. L’un toujours morose, l’autre toujours
vaporeux.
19 juin.- Nuages,
quelques ondées. Tiédeur relative.
Fini l’Entre fleuve et forêt de Patrick Leigh Fermor. Bohémiens, bois,
collines et pics acérés, loups et autres bestioles sauvages. Vingt-quatre
heures passées dans les Carpates prennent l’aspect d’une vie entière : « la
transparence de l’air montagnard, les sens aiguisés, l’entassement des détails,
ce kaléidoscope de changements donnent au parcours un gout d’éternité… ». Dans
ces montagnes Fermor croise une communauté juive, elle est établie ici depuis
les débuts de l’Empire romain elle ne survivra pas bien longtemps. Les Portes
de fer ne survivront pas bien longtemps non plus, cette gorge sauvage du Danube
sera noyée par le vaste barrage de l’un des plus grands ensembles
hydroélectrique du monde. Une bien belle idée des camarades Tito et Ceausescu.
(Le journal de marche de Fermor reste inachevé, manque la troisième partie : de
Transylvanie au Bosphore, précipitez-vous sur les deux premières, elles sont
merveilleuses).
Entamé le Passage de Jean Reverzy. Reverzy était « médecin des pauvres »
comme Céline, et Lyonnais comme Jacques Chauviré. Le Passage est son premier
Roman. On y passe de Lyon à Tahiti sans décalage horaire, la mort y rôde en
permanence et pour vraiment dire, c’est un bouquin qui a tout de la sourde
sonate eupeptique.
3.
20 juin.- Matinée
pluvieuse, après-midi ensoleillé.
« Il est des moribonds ménagers des heures qui leur restent à vivre, qui
mesurent leurs mouvements, leurs regards, leurs pensées. La mort s’arrête un
moment devant leur désir de vivre. Souvent, à la fin des maladies longues, un
changement se produit, qui étonne : les visages des martyrs sanctifiés par
d’immenses souffrances se renfrognent comme ceux des avares. »
« Vous avez un gros foie ». On pourrait croire qu’il est charmant de mourir
sous les tropiques, rien n’est moins sûr. Prenez Palabaud le « héros » de Jean
Reverzy dans le Passage, il se sent mourir, il sait qu’il va « crever », mais
il n’est pas si ravi que ça de le faire sous la tiédeur de Bora-Bora. Là-bas la
lumière du jour est si intense qu’elle déforme l’aspect des heures et des jours
; le mourant perd tout contact avec le passé, tout espoir quant à l’avenir. En
somme, il fait l’expérience du temps et ce qu’il regarde devant lui est sans
intérêt, sans effroi. On l’ausculte, il est tout juste intéressé, il n’est pas
encore mort, mais déjà ailleurs, dans une indifférence lucide qui ne terrifie
que les autres.
« Vous avez un gros foie ». Palabaud retourne « crever » à Lyon. Il traverse
les océans avec sa Vahiné. Plus le continent approche plus elle devient grosse
et grise. Palabaud vomit son foie tous les matins. Tout cela vous laisse un
gout amer dans la bouche. Le récit est froid, clinique, coupant comme un
bistouri ontologique. On imagine le pire, une fin terrible, je la lirai demain
matin.
21 juin.- Courts
orages et larges soleillées.
Dans le Passage Lyon n’est jamais nommée. Pourtant, on reconnait très
bien l’endroit indistinct et faussement honteux que décrit Reverzy. Lyon est
bien cette ville sans forme : des maisons qui s’empilent sur des collines,
soudées les unes aux autres ; des ruelles qui escaladent des monticules
escarpés ; des escaliers de milliers de marches. Plus bas un fleuve et une
rivière qui se rejoignent parmi les usines « voilées de bleu ». Il y a
cette grande place, ces bâtisses bourgeoises qui communiquent entre elles à
travers des couloirs compliqués. Lyon est une ville où l’on se meurt « d’un
ennui vague, d’absence d’horizon, de désœuvrement ». C’est la ville
parfaite pour un moribond tranquille et patient comme Palabaud. Il ressemble à
un poisson desséché, à une momie sans bandelettes, sa peau n’est plus qu’un
cuir très fin. Il suce des pastilles à la menthe en attendant la mort. De
moribond il devient agonisant. On le recueille dans un hôpital. On l’observe
comme un « cas » ; son gros foie intrigue. Lui se fiche un peu de tout ça, il
repense aux mers du Sud et attend son heure tout en suçant ses dernières
pastilles à la menthe. Bientôt il n’y a plus rien, plus d’univers, plus qu’une «
lumière floue, une saveur lointaine glacée de menthe qui s’abiment »
Palabaud est mort. On autopsie son cadavre. On dispose ses viscères sur une
table à la façon d’un étal de triperie. Poumons, cœur, reins, foie monstrueux.
Tout est examiné de façon implacable, méthodique. Le travail
d’observation fait on rassemble les viscères épars et on les remet dans le
cadavre que l’on recoud à gros point. C’est un pantin éventré qui pourrira dans
un cimetière de banlieue. L’âme de Palabaud, elle, continuera de flotter
au-dessus des mers du Sud.
To be continued
To be continued
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire