1.
« Il y a trois choses à considérer : la première, ce qui cherche c’est-à-dire le désir ; la seconde, la manière de chercher ; la troisième, la découverte de la naissance. Il y a aussi dans l’homme trois choses : l’une sensible, la seconde rationnelle, la troisième spirituelle. Toutes les trois sont différentes et elles ne sont pas impressionnées de la même façon, mais chacune à sa manière. La lumière du soleil en elle-même est simple, mais la même lumière est reçue différemment par des verres différents dont l’un est noir, l’autre jaune, le troisième blanc. Par verre noir, on peut entendre la sensibilité ; par verre jaune, la raison ; par verre blanc, l’esprit dans sa pureté et sa simplicité. Quand cette lumière est vraiment bien reçue, toutes les images, formes, figures, tombent et cette lumière ne montre plus que la naissance en vérité. Le ciel est maintenant dans son obscurité naturelle, mais si à cette heure il venait à être changé tout entier en un pur et clair soleil, personne, par suite de cet excès de clarté, ne pourrait voir d’autre image. Quand cette éblouissante lumière brille dans l’âme, les images et les formes disparaissent, et là où cette lumière doit apparaître, la lumière naturelle doit s’éclipser et s’éteindre. » (Jean Tauler, Sermons)
Mon corps est en trop, inutile il ne me sert à rien, il ne m’apporte que des ennuis, si je pouvais je m’en passerais bien. Et puis non en fait il me sert quand même un tout petit peu, par exemple, il me permet d’écrire les lignes que vous lisez et sans lui je ne pourrais pas tourner les pages des quelques livres qui m’inspirent. Mon corps est donc un problème, mais c’est aussi une petite solution. Tout est plus compliqué que je ne le pensais de prime abord. Pour me passer de mon corps pour que je devienne cette abstraction flottante que je désire être au plus profond de moi-même il va certainement falloir que je cesse d’écrire. Abstrait et flottant vous cesserez de me lire, vous serez enfin libérés de moi et cela sera très bien pour vous. En attendant, voilà mon automne en lambeaux.
3 octobre.- Beau temps presque chaud, genre « été indien ».
Toujours ce mal au poignet droit qui me saisit lorsque je note maladroitement deux trois choses « à la main ». Comme ces temps-ci je suis plutôt ranci et d’une inspiration frôlant le létale, je ne pense pas que cela soit un problème. Ce qui pourrait par contre être un problème c’est ce gros orteil droit sur lequel j’ai malencontreusement roulé au labeur ; il est presque déjà noir de sang et j’ose espérer qu’il n’est pas plus cassé que ça. En attendant d’être un peu plus fixé sur la vraie nature de cette toute nouvelle blessure, il me faut, pour me déplacer, sautiller bêtement tel un flamand rose amoindri. J’ai l’air un peu ridicule et les gens pouffent discrètement en me croisant. Quelques pages de Senancour, Renard, journal. Lire René Guénon (qui finira Égyptien).
5 octobre.- Beau temps. Néanmoins, début de fraicheur. Trop saisi par le labeur. Rien lu. Las et végétatif.
6 octobre.- Bleu, gris. Sec puis mouillé. Frais tôt et tard. Mort de Steve Jobs (le type de la pomme). Relu le papier qu’Emmanuel Carrère avait consacré à Alan Turing (la pomme aussi) dans la très bonne Revue de littérature générale. Rien d’autre.
7 octobre.- Temps de demi-saison, gris et pluvieux. Baisse sensible de la température extérieure.
Entamé l’Homme sans Postérité d’Adalbert Stifter. Pour l’instant très bon, raisonnablement montagneux, calme, émouvant et pédestre tout à la fois. Nietzsche aimait beaucoup Stifter, peut-être voyait-il en lui, derrière la simplicité, quelque chose d’essentiel, quelque chose d’ontologique même. Stifter est simple en tout, et si j’étais un peu futé comme l’était le père Nietzsche je pourrais même dire que chez lui le simple, le banal et le précis deviennent de l’essence, de l’essence de littérature. Cette même essence qui lui permet de peindre, tranquillement, modestement, avec de la douceur au coin des phrases. Quand on connaît le destin de Stifter, on ne peut qu’être encore plus pincé par tout ça (se sachant malade il se trancha la gorge). J’ai lu les cent premières pages dans une sorte de nimbe de contentement, je finirai ce livre demain.
8 octobre.- Pluie, quasi froideur.
Comme Robert Walser je suis toujours terrorisé à l’idée de réussir quelque chose. C’est certainement pourquoi je préfère la passivité à toute initiative.
Malheureusement je n’ai pas eu le temps de finir le Stifter comme je me l’étais promis hier. Cinquante pages tout de même, toutes très belles, remplies de panthéisme, de banal transcendé et de claustration en plein air.
9 octobre.- Pluie incessante. Froidure.
Dans l’Homme sans Postérité de Stifter, Victor, le héros adolescent, et son oncle, qui le retient prisonnier, ont beau être deux bourgeons issus du même rameau, ils sont deux bourgeons bien différents l’un de l’autre. Victor est « l’aube éclatante » et son regard rempli de douceur irradie vers le futur ; l’oncle n’a pour lui que le déclin, un regard abattu et un passé douloureusement imprimé sur chacun de ses traits. Tout cela pourrait être trop simple et lourd de symboles, mais cela ne l’est pas : l’évidence est là ! Le reste (la nature, les hommes) est de la même évidence, je n’en dirais pas plus, car je n’ai pas assez de simplicité pour vraiment bien en parler. Lisez ce livre, il est merveilleux.
On lira les dernières comme si elles étaient un début de bréviaire : « Si l’on voulait appliquer à l’homme la parabole du figuier stérile, on pourrait peut-être dire ceci : le bon, le doux, le grand jardinier ne le jette pas au feu pour autant ; à chaque printemps il regarde le feuillage stérile, et à chaque printemps il le laisse verdir, jusqu’à ce que les feuilles se fassent de plus en plus rares, jusqu’à ce qu’enfin ne se dressent plus que les branches desséchées. Alors, l’arbre est arraché du jardin, et à sa place on met autre chose. Les autres plantes, elles, continueront à fleurir et à croitre, mais nulle ne pourra dire qu’elle est issue de ses graines, ni que les fruits savoureux qu’elle porte viennent de lui. Toujours et toujours le soleil fera descendre sa lumière, toujours le ciel bleu sourira, de millénaire en millénaire, et la terre se revêtira de son ancienne verdure et les générations descendront leur longue chaine jusqu’au dernier enfant : lui seul est exclu de tout cela, parce que son existence n’a formé nulle image, parce que les bourgeons ne lui permettent pas de descendre le fil du temps. Même s’il a laissé après lui d’autres traces, celles-ci s’effaceront comme s’efface tout ce qui est terrestre, et quand enfin tout aura disparu dans l’océan des jours, les choses les plus grandes, les plus grandes allégresses, lui disparaitra d’abord parce que tout en lui sombre déjà tandis qu’il respire, tandis qu’en lui persiste la vie. »
10 octobre.- Moins d’humidité, presque beau temps, plus de douceur.
La Petite ville de Remy de Gourmont. Portrait de Coutances (Manche). Vieillot et sympathique. Se laisse lire. Journal de Renard. Génial lorsqu’il cingle, assez emmerdant lorsque Jules s’allonge comme un tapir dans des amorces de récits superfétatoires : « Je connais une femme qui ne lit rien, ou plutôt qui ne lit que ce qui est exquis, mais comme l’exquis est rare, cela revient au même, ou quasi. »
11 octobre.- Beau temps. Morne, pas dans le mood, très peu de compassion pour mes contemporains, de l’agacement, pas plus.
Si, ici, je suis de plus envahi par les « citations », ce n’est pas parce que je veux étaler mon bon gout, non, c’est simplement parce que je suis trop fainéant pour avoir la moindre velléité d’écriture. Sachez-le !
Un peu du journal de Renard. Une jolie arête dans le goitre de l’acteur, car en plus d’être fat, l’acteur est souvent goitreux : « Le regard quêteur que l’acteur promène circulairement, même dans ses préoccupations les plus graves, afin de s’assurer qu’on le regarde et qu’il est reconnu… »
12 octobre.- Temps mou et venteux, comme si c’était possible. Le labeur nous épuise, nous vide en nous faisant croire qu’il nous nourrit. Le marchéfinancier nous tuera, ce sera le coup de grâce… Un peu dans le journal de Renard « Les phrases de Villiers de L’Isle- Adam : des hochets d’os où sonneraient des grelots d’or.». Bien vu, pas faux.
14 octobre.- Temps de demi-saison. Un peu frais. En nous faisant avaler son histoire de « triple A » comme de l’huile de mauvaise foie de morue, le marchéfinancier nous en veut vraiment. Renard, Journal. Flaubert, Correspondance. Entamé l’Amour Triste de Bernard Pingaud. Pour l’instant assez « moderne cinquante », un peu maussade et conjugal (pendez vos femmes !). Néanmoins quelques beaux fragments, délicats et périssables comme des bulles de savons au-dessus d’un symposium « nouveau roman ».
2.
15 octobre.- Beau temps.
« Je n’ai évidemment pas choisi ce sujet par hasard. Je l’ai choisi parce que j’ai quelque chose à dire sur les relations d’un homme et d’une femme dans le mariage. Ce “quelque chose ” est fait de ma propre expérience. C’est un contenu vague d’images, de mots, de souvenirs, d’idées, qui n’existent qu’en puissance dans la perception confuse que j’en ai, et dont le poids est en même temps assez lourd, la présence assez forte pour que je souhaite, en écrivant, m’en délivrer »
L’amour de Bernard Pingaud est incontestablement triste. Il est aussi gris, âcre et plombé. Avec une telle chape nauséeuse, on se demande même si c’est vraiment de l’amour. En tous les cas, c’est presque un vrai livre. Pingaud cherche et trouve la bonne distance, le fameux mouvement de recul de l’écrivain qui posant devant lui la chose qui le tourmente s’en éloigne un peu et la regarde un peu de biais, pour mieux ensuite l’exprimer par les mots, pour mieux la dominer par les mots.
16 octobre.- Beau temps (je suppose) Rien. Rugby. Renard. Pingaud. Primaire socialiste.
17 octobre.- Beau temps. Presque douceur. Fatigue.
Rien. Renard (journal). Joë Bousquet : « On ne pense pas de manière continue, pas davantage qu’on ne sent d’une manière continue ou qu’on ne vit d’une manière continue. Il y a des coupures, il y a intervention du néant. La pensée bat comme la cervelle et le cœur. Notre appareil à penser en état de chargement ne débite pas une ligne ininterrompue, il fournit par éclairs, secousses, une masse disjointe d’idées, images, souvenirs, notions, concepts… Tel est le vers essentiel et primordial, antérieur aux mots eux-mêmes : une idée isolée par du blanc. Avant le mot une certaine intensité, qualité et proportion de tension spirituelle. »
18 octobre.- Beau temps encore un peu tiède.
Rien. Abandonné par l’inspiration. Tenté par l’abandon (de tout).
Je pense que je suis presque parvenu à atteindre les divers « points limites » que je m’étais fixé : ne plus exister pour quiconque, ne plus « être au monde », évoluer vers l’invisibilité et finalement devenir une sorte d’entité vaguement chimique ; un corps pur avec une seule molécule et un seul type d’atome. Voilà en fait je me rapproche petit à petit de l’Azote. L’Azote est très bien, il est incolore, il n’a aucune conductivité électrique, il est un peu utile, mais on ne le voit pas, il est presque idéal.
Senancour (Oberman). Renard (Journal).
20 octobre.- Quasi froidure matinale. Beau temps frais par la suite.
Rien lu.
Plus qu’un quelconque point de friction avec le monde, il me faut rechercher la distance, cet écart sans lequel je ne serai vivre, cet écart qui peut aussi être un blanc, une marge, un interstice. Voilà pour pouvoir vivre, il me faut des blancs, des marges, des interstices ! Donnez-moi des blancs, des marges, des interstices !
Pierre Desproges n’était qu’un rigolo un peu lettré, rien de plus, mais c’est déjà ça. Je pense que lui-même ne se voyait pas plus haut que ce qu’il se savait être. Il faudrait plutôt condamner ses nombreux thuriféraires qui voyaient, voient, verrons, en lui un genre d’espèce de phare spirituel alors qu’il n’offrira jamais que de la rigolade un peu fine. Bon, en attendant j’exorcise tel le diacre tatillon devant un curé envouté, car je n’échangerais pas mon baril de Desproges contre un tanker de Coluche.
21 octobre.- Froidure. Pas plus de 7 °. Nous y voilà.
Toujours cette main droite avec laquelle je ne peux plus écrire. Je suis donc sur ma seconde main, elle n’est pas pire.
Le journal de Renard a beau être une besace à citation dans laquelle tous les lourdauds puisent sans vergogne, il est quand même très bien. (Et surtout très vache concernant la vie littéraire de l’autre « début fin de siècle »).
22 octobre.- Beau temps frais (presque trop frais). Un peu désœuvré, guère concerné par grand-chose (vivre, regarder les autres vivre), plutôt alangui, toujours stoïque.
Kadhafi mort il devient curieusement sympathique (comme Mussolini ou les époux Ceausescu).
Lisant le début de merci Jeeves de Woodhouse j’ai la gloupissante impression d’être en la constante compagnie d’un genre de demi-gandin insulaire qui jouerait perpétuellement du banjo. Imaginez le côté croquignolet de la situation.
23 octobre.- Froideur. Léthargique, trop apathique pour être vraiment honnête envers moi-même. Guère lu, une dizaine de pages de P.G Woodhouse, rien de plus.
Un film. Revu Poussiere d’Ange d’Edouard Niermans. Encore bien. Plus vaporeux que polareux. Anthracite, beige, mordoré avec quelques pointes de vert de gris et trois simples taches rouge vif (une écharpe, une enveloppe, une gorge tranchée…). Toujours cette jolie idée : la ville patchwork (Marseille + Lyon + Paris). Le vide et le retranché d’une intrigue faiblarde qui ne tient que par ses personnages. Le meilleur rôle de Giraudeau (lourd-léger alcoolisé qui trébuche sur lui-même tout en se noyant dans un trop grand manteau), le meilleur rôle de Fanny Bastien (agaçante, gamine, adorable, attifée comme un épouvantail à blaireaux).
24 octobre.- Temps de saison.
« Il était si laid que lorsqu’il faisait des grimaces il l’était moins. »
Un peu de P.G Woodhouse. Un peu de Jules Renard (diary). Malgré ces deux « peu » à fort potentiel rigolo, je reste bien morose.
« Là où il y a danger, croît aussi ce qui sauve »
28 octobre.- Temps terne avec quelques pointes de gris. Température fade : mi froide, mi douce, sans consistance.
Les mots me viennent dans un désordre assez peu recommandable et j’ai parfois la désagréable impression qu’ils se fanent instantanément, comme ça, sur pied, dans ma tête. Voilà peut-être pourquoi mes phrases finissent par s’écrouler sur elles-mêmes.
On ne remerciera jamais trop P.G Woodhouse d’avoir réhabilité le doux prénom de Marmaduke. D’ailleurs à ce sujet il faut que vous sachiez que si un jour j’ai l’hypothétique chance d’engendrer une progéniture mâle il est fort possible que je la prénomme Marmaduke.
Je vais tenter de rester le roi de l’euphémisme.
29 octobre.- Temps doucereux, un peu faux et en tous les cas gâté par une persistante brume automnale. Un peu ivre, un peu désœuvré. Refait de la musique, mollement, sans conviction. Toujours avec P.G Woodhouse, qui est bien drôle, lui.
30 octobre.- Temps de saison. Encore un peu doux. Heure d’hiver. La nuit tombe à 18 h 00. Pour rien. Toujours chez P.G. Woodhouse. Assez embrouillé, toujours drôle, parfois hilarant. Quelques pages du journal de Stendhal. Une excursion dans le massif de la Sainte-Baume. À Saint Zacharie il voit une petite fille morte : « ses petites mains jointes, coloris de la mort fort, son œil à moitié fermé, sa bouche comme exhalant sa dernière prière. Profonde expression de tout son corps, de son œil ; rien d’horrible ». Cette vision touche Stendhal, elle ne l’offense pas, il y voit quelque chose de la pure beauté… Un peu plus tôt dans son Journal il y avait eu cet autre mort, plus effrayant lui : « J’ai vu hier, sous mes fenêtres, un mort dont la bière s’était ouverte ; on voyait le visage, les mains jointes, habillé avec un drap, une petite croix sur la poitrine. Cela me glaça.»
31 octobre.- Ciel bleu pâle. Encore une certaine douceur. Toujours dans le Journal de Stendhal. À Marseille il « branle », puis « enfile », une certaine Rosa. La scène est parfaitement graveleuse. Le « ménage occasionnel » est éclairé par un réverbère éloigné de vingt-cinq pas. Il y a de la lumière aux fenêtres des maisons alentour. L’ami Beyle pense qu’il ne reverra certainement jamais cette Rosa, elle le dégoute un peu. Bon il pourrait éventuellement la revoir pour « l’enculer », mais pas plus.
3.
1 novembre.- Pluie grasse.
Cette nuit qui tombe à 17 h ne me dit rien de bon.
Stendhal, Journal. Marseille, Toulon, Grenoble. Drôle d’excursion, beaucoup de sexe au débotté. Beyle plus télégraphique que jamais. Muray et la festivosphère. Les rollers, Jack Lang, cette hyène ludique, les chiennes de garde et l’homophobie. Si Muray est souvent drôlement perspicace et acrimonieux (en bien), il est aussi beaucoup trop dans son cercle ; ce cercle globalement « préjugeant » qu’il dessine en manquant de doute et d’euphémisme ; ce cercle qu’il dessine et dans lequel il s’enferme (en devenant une cible trop facile).
2 novembre.- Un peu d’humidité (inhérente à la saison). Douceur (assez incongrue).
« Il est bien malheureux que notre gout avance quand notre talent ne bouge pas ».
Renard, pas plus.
4 novembre.- Pluie diluvienne (sans arche sans Noé, mais croisé six chats sur ma route).
Le labeur m’ayant contraint à passer plus de trois heures sous une pluie diluvienne me voici plus proche de l’éponge inutilement imbibée que du roseau pensant les pieds dans l’eau.
Le problème des sentiments c’est qu’ils ne nous laissent jamais à l’abri du sentimentalisme. Voilà peut-être pourquoi je préfère rester ce salaud au cœur sec que vous connaissez tous. L’antipathie notoire me sied parfaitement, elle a beau être le plus souvent ce qu’elle est, elle n’est généralement guère compatible avec les rivages gluants du sirupeux.
« Pisser sans péter, c’est aller à Dieppe sans voir la mer ». Il faut décidément que je lise l’Art de péter de Pierre Thomas Nicolas Hurtaut.
5 novembre.- Crachin, Vague douceur. Des feuilles mortes. Muray. Roller, citoyen, touriste. Saumâtre triptyque.
Et si la délicatesse était à Giraudoux ce que la politesse est à Vialatte ? Allez savoir ! En tous les cas, il n’y a rien de plus merveilleusement délicat – et automnal – que ses Provinciales. On me souffle que trois feuilles mortes d’aulnes cabotant au grès d’une flaque d’eau comme autant d’Ophélie végétales seraient peut-être plus merveilleusement automnales, mais rien n’est moins sûr. En attendant le mordoré n’est pas que chez Giraudoux, le mordoré rode, le mordoré nous guette, le mordoré est presque déjà là, il suffit d’ouvrir ses volets pour s’en convaincre.
6 novembre.- Vague humidité.
Vous m’excuserez d’être trop naïf avec les choses que j’aime et de l’être moins avec celles que je n’aime pas.
Muray. Paysans méprisés, vaches délaissées, chimpanzés festivocrates… Giraudoux délicat, mais sans mièvrerie, précieux, mais pas ampoulé : « Voilà que pour pleurer, je dois penser à ce qui m’est indifférent, à ce qui ne souffrira pas : à des linges effilochés, au vernis des pieds de table, qui brûlent d’ un feu sans lueur ; à un petit couteau que j’ai perdu dans un champ où il y avait une mare, des barrières, des ombres, des poiriers, et que je devine si rouillé, si désorienté entre le gravier et les herbes, que c’est mon Dieu, à désespérer. »
8 novembre.- Temps de saison. Encore assez doux.
Stendhal, Journal. Chez Hobbes « les hommes d’une imagination prompte ont, toutes choses égales, plus de prudence que ceux dont l’imagination est lente, parce qu’ils observent plus en moins de temps. ». Je n’ai plus aucune imagination, elle n’est pas plus prompte que lente, elle n’est simplement plus là.
9 novembre.- Temps morne, relativement humide, mais pas plus que ça.
J’utilise toutes mes forces au labeur, je n’en ai plus pour écrire. Pourtant, je persiste dans l’idée de vouloir écrire, aveuglément, un peu par bravade inconsciente envers ma fatigue, dans des phrases qui ne s’élèvent plus, des phrases qui perdent tout sens, toute musique, des phrases pour rien. Tiens ouvrant le Journal de Stendhal je tombe sur celle-ci de phrase : « Je n’en puis plus, je suis usé, épuisé jusqu’à la dernière goutte, au moral et au physique, mais il faut que j’emploie cette dernière goutte à décrire ce qui m’a mis dans cet état ». Il n’y a rien de plus en accord avec mon état actuel que cet épanchement las de l’ami Beyle, cette fameuse goutte je l’utilise, aussi et ici, quotidiennement, elle est là pour vous rappeler mes épuisements, que mes épuisements me font, que je ne suis plus qu’épuisement et que sans eux et la goutte qui les authentifient, je serai, sec et muet, comme une carpe en plein air…
10 novembre.- Brume et crachin.
Journaux : Stendhal, Renard. Stendhal toujours télégraphiste de lui-même. Renard toujours matois envers les autres. Chez Marcel Schwob il rencontre le jeune Gide, l’auteur des Cahiers d’André Walter, un imberbe enrhumé du nez qui parle avec une voix de crécelle. Mâchoires exagérées, yeux entre deux bourrelets il est amoureux d’Oscar Wilde un autre imberbe très distingué « qu’on a récemment découvert ».
to be continued...
2 commentaires:
Vous savez, j'aime vous lire... mais cette mélancolie chronique est trop désuète. Comme je vous l'ai déjà fait remarqué (excusez mon insistance et ma maladresse) vous devriez écrire un roman court, concis : comme une monolithe. Votre style me fait penser fortement à Thomas Bernhard. J'ai comme l'impression que ce journal est destructeur. Une sorte d'affaissement des jours. La répétition de la météo gâche un peu l’atmosphère, si j’ose dire.
Il y a deux choses que je trouve faibles dans Toute œuvre d’art : la météo et le téléphone ce sont les deux amants impuissants de la viduité.
C'est drôle ce que vous dites sur l'abstraction du corps. Imaginez qu'il y a une cinquantaine d'année, un de mes amis cher, mort il y a un peu plus d'une décade, en sirotant un whisky dans un club a commencé à m'expliquer que le destin de l'humain était de terminer en une abstraction vivante. Autour de nous c'était ras les pâquerettes et, arrogants au possible, nous imaginions monter des pentes plus escarpées que celles de Zarathoustra.
Farioli Daniel
Vous savez ce « journal », c’est quinze à vingt minutes par jour. Il n’est pas travaillé et ne parle que de mes lectures (la météo dans le ciel, et la météo intime ne sont que des robinets). Je pense ne pas avoir le courage de faire plus.
Merci de votre intérêt.
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