mercredi 29 avril 2015

Solitude de l'audionaute de fond (14)



21 avril 2015. Silver Apples – Silver Apples (1968) Certainement la plus grande influence du suicidaire Alan Vega. Des grands précurseurs, inventeurs du punk synthétique dix ans avant l'heure légale. Un primo synthé zigouigoui (le Simeon, neuf oscillateurs et quatre-vingt-six commandes manuelles), une cacophonie bourdonnante, des tambours mécaniques et un chanteur psychobilisant.
Pour rester punk synthétique et psychotique, l'auditeur averti pourra écouter les Screamers, un combo furieux de Los Angeles, l'un des plus beaux représentants de la tendance synth-punk sur laquelle il est bien possible que nous revenions plus en détail un jour (je vous épargne leur ode à Eva Braun, elle fait mal aux oreilles…. Et aux yeux)

22 avril 2015. Vadrouillé un grande partie de la soirée sur la page YouTube de la radio de Seattle KEXP qui propose quelques sessions de groupes plus contemporains que ma rotule gauche. Même s'il faut faire le tri entre hipsters tendance barbe broussailleuse et hispters tendance chapeau bariolé, il y a quelques pépites à dénicher. Une session du sympathique Mac Demarco avec ses amis normcores moustachus, deux titres croustillants (les deux premiers) et quelques saillies drolatiques. Une autre session de Matthew E. White qui chuchote occasionnellement comme pourrait chuchoter l’hypothétique arrière petit fils hippie de Whispering Jack Smith. En parlant de ce dernier et en faisant un joli salto arrière de 90 ans, je vous laisse écouter l'une de ses plus belles choses (Me And My Shadow), une merveille de délicatesse ( le niveau monte assurément).

23 avril 2015. Musicalement j'ai dû cesser d'être vraiment avec mon temps aux environs de 1985. Le punk et le post-punk étaient déjà une histoire ancienne et à côté des garçons coiffeurs il y avait peu de groupes sur lesquels je pensais devoir pouvoir compter. Les Smiths un temps, Aztec Camera ou Prefab Sprout, d'autres bricoleurs tâtonnants de la pop en anorak aujourd’hui oubliés, chez les Américains ces groupes qui tournicotaient autour du bidule rock  : Gun Club, Unknowns, Cramps, Wall Of Woodoo ou X. Du côté des choses vaguement bruitistes Hüsker Dü, Dinosaur Jr ou les Replacements (ne me parlez pas de Sonic Youth!). Plus délicats, il y avait bien les petits gars du Paisley Underground, ce faux vrai mouvement déjà un peu rétro, mais je suis globalement passé à côté, le découvrant plus tard et presque par la bande. En parlant de rétro et de découverte tardive, il me semble que c'est en 1986 que j'ai pour la première fois acheté un disque qui n'était pas de mon temps, cela devait être un spicilège des Beach Boys, je ne me souviens plus très bien. En tous les cas, c'était pour moi, le début d'une curieuse lame de fond qui allait m’entraîner vers des antiquités de plus en plus mordorées. Pendant quelques années (une demi-décennie), en dehors de deux trois exceptions notables (Pixies, Sebadoh, Nirvana) je n'écouterais plus que des vieilleries, des songwriters tout à fait décédés (Tim Buckley, Tim Hardin, Nick Drake…) ou quasi décédés (Scott Walker, Arthur Lee …) du jazz « historique », peu de java. Avec l’avènement des musiques électroniques je tenterais bien de rattraper l'époque, mais quant au Rock et à ses succédanés (pop, indie, folk à bougies et tout ce que vous voulez) le mal était là, insidieux inoculé, je n'aurais pas le grand plaisir de découvrir Blur, Oasis ou Radiohead avec tout le monde. Imaginez mon grand désarroi.

24 avril 2015. Richard Barone – Cool Blue Halo (1987) Deux guitares, un piano, un violoncelle, des chansons… Le premier album solo de Richard Barone enregistré live au Bottom Line club de New York en 1987. Des chansons, nouvelles et anciennes, des reprises bien choisies : Bolan, Bowie, Beatles... C'est un assez bon disque ; bien fixé dans ses limites (les limites de l’unplugged) avec toujours ce que l’on aime chez Richard Barone (et les Bongos), cette voix suave, cette petite touche italo-romantique, cette légère blessure et ce calme nerveux ; rien de crucial, mais juste la sensation rassurante de se glisser dans un rêve pop-rock perdu.
Moins sophistiqué, moins précieux, j'écoute Country Dick Manitoba, un cow-punk au baryton abyssal (Indigo River). Il est mort d'une mauvaise crise cardiaque en 1995 à l'âge de 40 ans et ont lui doit quelques belles croquignoleries bouseuses avec son groupe les Beat Farmers. Pour rester un tantinet bouseux, il y a cette belle prestation des Blasters datant de 1981 (I'm Shakin) et comme tout est un peu dans tout il y a cette vraie merveille d'Illinois Jacquet parfaitement secondé par la guitare de Tiny Grines (The Blues That's Me).

25 avril 2015. Je passe de Junior Kimbrough (Sad Days, Lonely Nights) à Ali Farka Toure (Heygana), de Vieux Farka Touré (Touri) à Boubacar Traoré (Mariama), du blues et du sublime, forcement sublime. Comme il me reste un peu de temps, j'écoute The Rev. Sister Mary M. Nelson, un prêcheur pentecôtiste de Menphis. Il a enregistré 4 faces en 1928, une voix pleine de graviers.

26 avril 2015. Sloan – One Chord To Another (1996) Ce combo canadien est responsable de quelques jolis albums dans un genre plus power-pop qu'autre chose. Celui-ci pourrait bien être leur meilleur. Guitares resserrées, évidence mélodique, qualité des arrangements. Rien de fulminant, mais un court plaisir un peu partout.
Paul Desmond – Glad to be Unhappy (1963) Paul Desmond plaisantait à moitié lorsqu'il se décrivait comme l'altiste le plus lent du monde. Il suffit d'écouter cet album où il n’accélère jamais le tempo pour s'en rendre vraiment compte. Parfaite coalescence cool avec Jim Hall (guitariste « séminal » s'il en fut), contrebasse moelleuse et drums effleurées-brassées. Par-dessus tout la pureté de timbre de Desmond qui flottille tendrement. Tout pour être heureux d'être malheureux .
Mark Eric - A Midsummer's Day Dream (1968) Beau, blond, bronzé, avec de grandes dents, une voix de fausset et une petite science de la pop douce et ensoleillée Mark Eric avait presque tout pour lui. Il n’en fera pourtant quasiment rien abandonnant une « carrière musicale » légèrement prometteuse pour se recycler piteusement dans cette sale chose qu’est le cinéma (une rainette gluante vaguement art global qui se veut plus grosse qu’un bœuf). C’est assez dommage, car son seul et unique effort discographique, ce A Midsummer's Day Dream dont il est ici question, est vraiment bien. Un peu planté en 1965 quand nous sommes en 1968 mais ce n’est pas très grave, les arrangements de cordes qui rappellent les meilleures productions de Curt Boettcher sont bien plus révolutionnaires que nombre de pavés lancés au petit bonheur la chance. On passera sur le falseto un brin aléatoire de Mark Eric - celui de Brian Wilson l’est presque tout autant - et on sautillera doucement tout en l’écoutant gazouiller un peu de travers ses histoires de surfeurs mélancoliques. Pour vous faire une courte idée écoutez Take Me With You, orchestration luxuriante, joli vibraphone et cœur fragile, de la sur-variété comme on en fait plus.


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