dimanche 23 juin 2013

Artery - Peel Session # 8



1.The Ghost Of A Small Tour Boat Captain (0:07)
2.Louise (4:46)
3.The Slide (8:06)
4.The Sailor Situation (11:54)


samedi 15 juin 2013

Psychogeographie indoor (40)

 
Prévenez-moi si la vie commence
je ne voudrais pas rater ça
les heures deviennent longues
entre les apéritifs.
(Jean Pierre George — Je m’ennuie sur terre)
 
1.
 
14 septembre.- Beau temps plus sympathique et frisquet qu’un printemps groenlandais (17 °C). Retour chez Philippe Muray. Chateaubriand et l’œuvre en viager. Se croyant malin Chateaubriand eut l'idée de vendre ses mémoires en viager, cela lui rapporterait, pensait-il, une petite rente bien utile en attendant la mort. Mal lui en pris, car son éditeur, vénal et cupide comme il se doit, lui imposa une future édition en feuilleton tel le premier Eugène Sue qui passe. S'agissant d'un texte aussi censément essentiel, la perspective pouvait paraitre assez olé, olé mais Chateaubriand du quand même s’y plier. Pour le reste si le vicomte ne fit pas paraitre ses fameuses mémoires de son vivant c’est aussi parce qu’il écrivait absent de lui-même, assis dans son cercueil avec pour uniques compagnons le flot des souvenirs et la prescience de sa postérité future (en feuilleton ou pas). 
Entamé le Dernier stade de la soif de Frederick Exley. Livre « culte » à l’alcoolémie proéminente. Il faut se méfier des livres « cultes », s’agissant de celui d’Exley on parle de Nabokov, de Bukowski et de Thomas Bernhard, j’ai l’impression qu’il y a un lointain rapport entre les trois (je vote pour le premier et le dernier). Édition impeccable (c’est un livre Monsieur Toussaint Louverture), beau papier, belle couverture cartonnée et de l’humour : « L’ouvrage ne mesure que 140 mm de largeur sur 195 mm de hauteur, et son dos, 23 mm. Néanmoins, il est immense ».   À lire : Chris Offutt, le Fleuve et l’enfant

 
15 septembre.- Plus de nuages que de soleil, fraicheur. Le Stade ultime de la soif ressemble à une longue gueule de bois carabinée, avec de brefs hoquets nauséeux et d’angoissantes remontées acides qui vous triturent l’estomac, vous brulent la trachée, vous saccagent le moral. Exley fait avec ce qui reste de tout ça. Avec les souvenirs qui s’évaporent comme l’alcool s’évapore. Cependant, rien ne s’évapore jamais vraiment totalement, il y a toujours une trace – même si elle est homéopathique – qui devient, à la longue une pâte impressionniste, une matière première, qu’Exley – qui est malin – n’a plus qu’à entasser en fine strate pour construire son bouquin. C’est certainement ce qui donne cette saveur si particulière, le mystère de cette narration empilée comme on peut empiler des planches de guingois sans faire tomber la pile de planches plus que ça. Comme le frêle échafaudage tourne autour de l’humain et du terriblement humain, on ne peut qu’applaudir (tout en prenant un rendez-vous chez le psychiatre le plus proche, car voyez-vous toutes ces explications sont bien embrouillées).
 
16 septembre.- Soleil, température agréable. Blouses blanches, insuline, électrochocs. Exley est interné. Voilà un autre Vol au-dessus d’un nid de coucou, plus inquiétant encore, bien plus saisi par l’humeur pathologique en tous les cas. Toujours cette construction heureusement non linéaire. On quitte l’asile puis c’est Chicago, New York et Greenwich Village (on croise Steve Mc Queen), puis encore Chicago (et une multitude de « frasques » sexuelles), puis de nouveau l’asile. Ce qui lie tout ça (dans le temps) ? C’est la passion, fanatique, maladive d’Exley pour le football (américain). Rien d’autre.
 
17septembre.- Soleil voilé, « impression » de beau temps (25 °C). Retour au labeur. Fatigue corrélative. Mes douleurs se réveillent, c’est un petit festival. Quelques pages du bouquin d’Exley qui cède à la tentation nympholepte (comme Nabokov, comme Balthus, comme d’autres…). Deux trois bricoles de Chamfort et Joubert (je vote pour le second).
 
20 septembre.- Soleil voilé, tiédeur empêchée. Fatigue. Douleur genou droit (ménisque interne). Finirai le bouquin d’Exley plus tard. En attendant, je suis toujours dans les pensées de Joubert, celle-ci est très bien : « Il faut recevoir le passé avec respect, et le présent avec défiance, si l’on veut pourvoir à la sureté de l’avenir. »
 
22 septembre.- Ciel bleu pâle, soleil, mais trop d’ombre, c’est une histoire d’angle, une histoire de saison. Perdu mes mots, ma syntaxe avec... Lolita. Impuissance. Dépression. Folie. Exley échoue sur un canapé où il reste comme incrusté pendant six mois avec pour seuls compagnons, un téléviseur, un épagneul breton, une mère soucieuse et un beau-père vaporeux. Dans un pays où le mouvement est la plus grande des vertus, rester allongé aussi longtemps relève du geste grandiose. Cela ne doit pas durer, cela ne peut pas durer, cela ne durera pas. Il faut interner les gens qui restent allongés trop longtemps et Exley est  donc interné. Nous voilà sur le seuil de cet hôpital psychiatrique que nous avions quitté il y cent cinquante pages, mais il n’y a pas plus de cinq minutes (toujours cette structure en « millefeuille »). Exley en sort, puis il se retrouve convalescent avachi sur le canapé d’un avocat (on se demande bien pourquoi). Chez cet avocat on croise une multitude de croquignolets. Mister Blue n’est pas le dernier, c’est un petit bonhomme qui vend des fenêtres en aluminium tout en faisant des pompes et des saltos alternativement. Il est aussi obsédé par la pratique du cunnilingus et vie avec une professeure de gymnastique qui mesure 1m85. Sa fin sera tragique et très américaine (je vous laisse découvrir cette fin). Pour le reste, je dois avouer une somme de points communs assez inquiétante avec Frédérick Exley.
 
23 septembre.- Soleil voilé en matinée puis du vent et des nuages de plus en plus nombreux. « Le problème de l’écriture – que l’écrivain soit talentueux ou non, c’est qu’au bout d’un moment celui qui écrit se détache des relations humaines et devient d’une certaine façon inhumain… »
En définitive, le bouquin d’Exley est plus qu’émouvant. On le referme en se disant que comme tous ces losers d’outre-Atlantique que nous aimons forcément (ouvrir la liste) il n’aura, pour ainsi dire, pas raté sa vie puisque sa vie c’était ce livre et qu’il est loin d’être raté, lui. Conclusion. Ma vie n’a rien de coruscant. Je suis globalement détaché des plus élémentaires relations humaines. Il ne me reste plus qu’à écrire un livre qui tiendra tout seul. Cela devrait venir naturellement sans que l’urgence absolue m’y oblige en pointant sa lourdeur pathologique habituelle.      
La semaine prochaine : retour chez Thomas Browne, finir le journal de Larbaud


 
 
2.
 

 
24 septembre.- Ondée matinale puis plus rien de vraiment notable. Un temps ni froid, ni chaud, un temps indéfinissable. Larbaud, diary. Joubert, pensées : « L’usage du lit, quand on y est seul, est pour la sagesse : “il faut, dit Pythagore, se faire un temple de son lit.” »       
 
25 septembre.- Semi fraicheur, quelques ondées. Assommé par le labeur et sa lourdeur ontologique. Rien lu. Journée inutile.
 
26 septembre.- Pluie continue. Labeur. Trempé jusqu’aux os. Moules et Macon blanc. Ivre. Regardé Claudine Longet chanter Nothing to lose (dans la Party). Andy Williams est mort c’était l’un de ses ex époux non trucidé et, accessoirement, un bon crooner centriste.
 
27 septembre. Belle tiédeur sous les soleillées, sournoise fraicheur sous les cumulus.
« Dal mezzo dell’estate vediamo l’inverno. »  Larbaud, diary. Challes-les-Eaux, Aix-les-Bains, Genève… Traversant Genève Larbaud ressent une exaltation bienheureuse, ce n’est pas rien. Joubert, pensées : « Voir le monde, c’est juger les juges. »
 
 
28 septembre.- Soleil, premières gelées matinales. Tenace gonalgie (ménisque interne droit), toujours assez agoraphobe et vaguement misanthrope. Pour le reste, tout va bien. Larbaud, diary. Grande quiétude des villes d’eaux (en dehors des périodes d’occupation). Entre Annecy et la frontière suisse des montagnes vertes jusqu’au ciel puis le damier rouge des toits de Genève, le bleu du Léman. Beaucoup de couleurs en somme.
 
29 septembre.- Pluie fine, fraicheur (16 °C). Je n’expliquerai rien. Tout sera expliqué par ma phrase.Toujours dans le journal de Larbaud. À Milan, des fiacres par centaine. En 1920 Larbaud évoquait « les derniers fiacres milanais », c’était certainement une maladresse, les fiacres dans le centre des grandes villes seront toujours absolument indispensables. Encore plus en Italie où les rues sont une perpétuelle joie pour les yeux et l’esprit. La modernité venant il reste donc à inventer des véhicules capables d’égaler ou de dépasser le fiacre en lenteur. La lente « commémoration avec la rue » n’est pas rien et une vitesse plus absorbante qu’étourdissante est une nécessité pour ainsi dire vitale.
Milan derrière nous voilà bientôt Saint-Marin — Larbaud fait l’éloge des petits états : Andorre, Liechtenstein, Saint-Marin – puis c’est Rimini, de très belles femmes et des hommes élégants, une ville cultivée, d'annunziesque, une ville bien ordonnée par le fascisme qui a tant fait pour elle (Larbaud note toujours les « améliorations apportées par le fascisme, il est heurté par la violence policière, mais les “réalisations” l’intéressent). Bari, elle, n’est pas encore améliorée. L’habitant y est mesquin, pauvre et triste « aussi bien en fait d’habits qu’en fait de manières ». Il est entouré de grandes façades modernes et pour tout dire il est aussi étranger à lui-même qu’il semble étranger à la ville. Demain, Albanie, Tirana…      
Lire les Mémoires d’un touriste de l’ami Beyle.
 
30 septembre.- Temps pluvieux, fraicheur (15 °C).   

« J’ai beau songer longuement à Valery Larbaud, il ne me vient en tête que des noms de mérites et de vertus : la noblesse, la générosité, le recueillement, le dévouement aux lettres, l’inflexible bon goût. Et, si je songe à son œuvre, quelle exquise distribution des ombres et des reflets, des tons clairs et des tons assourdis, quelle science de la limpidité et du dépouillement. »(Jean Paulhan).

Fini le Journal de Larbaud, c’est un livre avec lequel j’aurai vécu plus de deux ans, il y a des relations amoureuses plus courtes. Les dernières pages sont encore très bien. Nous sommes à Tirana, une odeur qui n’est pas celle de Corfou se repend un peu partout. Une odeur d’origine végétale, comme celle du cèdre des crayons. Larbaud en est pénétré à un tel point qu’il se demande si elle ne proviendrait pas de lui-même et de l’eau de Cologne qu’il utilise pour se frictionner au gant de crin. En fait, non l’odeur est bien extérieure à sa personne, les “autres” la sentent en son absence et même dans la campagne environnante. En dehors de son odeur, Tirana est quand même assez bizarre. Beaucoup de ses constructions trop modernes donnent l’impression d’être tombées par erreur sur une vieille ville turque. Bon il reste bien du plus ancien, des ruelles où il est bien difficile de flâner, le pavé est mauvais, il s’agit de veiller « 1 ° à ne pas se fouler le pied ; 2 ° à cheminer de telle sorte que chaque pas que l’on fait ne semble pas une protestation et un reproche à l’adresse des Tiranais ». Le Tiranais que l’on croise est souvent suspicieux, mais pas plus que l’auvergnat, il vous regarde sans discrétion et avec un manque de politesse dont il n’est pas vraiment conscient. Le principal désagrément de la rue tiranaise est ailleurs : les gens y sont globalement sales, les vieillards coudoient les passants, les enfants courent entre les promeneurs et au bout d’un moment, le vent changeant, la douce odeur de cèdre rencontrée partout est remplacée par des relents atroces. Restent des images charmantes, des petites filles sages, des soldats se promenant deux par deux et se tenant par le petit doigt  
Larbaud visite les alentours de Tirana, ces montagnes où la vendetta était l’ordinaire avant qu’elle ne devienne l’exception d’un état qui s’adapte et joue avec elle. Le pays est dirigé par Zog I un roi digne d’Hergé qui fera beaucoup de concessions à Mussolini, mais qui modernisera le pays.
Après l’Albanie, c’est Fiume, Raguse ces petits bouts de quasi Balkans alors italiens, puis Trieste (Svevo, Joyce) et enfin Venise. Le journal s’achève là où il avait presque commencé, sur les bords du Grand Canal. La boucle est bouclée, nous sommes en 1935, dans quelques semaines, quelques jours, Larbaud sera victime de l’attaque qui le laissera aphasique à vie, mais pas pour toujours.
 
1 octobre.- Temps maussade loin d’un hypothétique été indien (September, October, November, december…)
So tired. J’ai eu beaucoup de mal à faire entrer le Journal de Larbaud dans ma bibliothèque, autant par manque de place — le volume est si replet — que par nostalgie.     
Livres acquis aujourd’hui : un Morand tardif et balnéaire (Bains de Mer), un roman austro-hongrois du polonais Andrzej Kusniewicz (Le roi des Deux-Siciles), un spicilège de l’ami Saki (La fenêtre ouverte), un autre du matois Bernard Frank (Un siècle débordé), un roman « culte  de Jean Malaquais (Planète sans visa) et pour finir l’indispensable Guide du vin de l’indispensable Raymond Dumay (pour 90 centimes, une aubaine).


 
 
 3.



2 octobre.- Ciel bleu pâle, température agréable (20 °C).       Cherchant mes mots et ne les trouvant pas je laisse parler l’ambassadeur Claudel à ma place      : « Il y a quelqu’un qui m’a enfoncé les doigts aussi loin qu’il peut dans la bouche et je vomis. De temps en temps il vient des morceaux d’homme de lettres : que voulez-vous que j’y fasse ? Et cette poussée, cette acclamation torrentielle de temps en temps, cette vocifération, ça va tout seul, en ordre, en désordre, comme une armée qui remplit le ciel et la terre… Explosion. Une série d’explosions quelquefois !» (Art poétique). Pour le reste, Joubert, pensées. Renard, diary…
 
3 octobre.- Soleil voilé. Levé 4h30. Labeur. Sieste puis quelques pages du journal de Stendhal qui achète d’un cabriolet « très à la mode », 2100 francs, investissement modeste. Pour le reste, il se lève assez tôt – entre 6h45 et 7h30 – et rencontre toujours autant de femmes, qu’il tient généralement par la main.

4 octobre.- Les nuages d’automne n’ont rien de merveilleux. Trop de labeur. Si las que je ne suis plus là. Lire les journaux de Jacques Brenner et Mathieu Galey.

5 octobre.- Tiédeur de l’outdoor (25°C), fraîcheur de l’indoor (18°C). Gonalgie, again. Besson chroniques, again. Rouge-brun centriste germanopratin parfois drôle. Demain, Morand : Bains de Mer (un salaud balnéaire ?)
 
6 octobre.- Soleil, mais voilé et beaucoup trop bas. Grande douceur de l’outdoor, sournoise fraicheur de l’indoor qui garde tout de la nuit et rien du jour.   
Le Bains de Mer de Morand n’est certainement pas un grand livre, il est petit, mais c’est tout de même une merveille. Disons un savoureux catalogue-souvenir où notre « écumeur de globe, détrousseur de continents » note ses choix aquatiques aux quatre coins de la planète. C’est aussi un livre d’histoire qui sautille jusqu’à l’antiquité et sa cohorte de baigneurs assumés. Les Grecs se baignaient, les Romains se baignaient aussi. Ils nageaient des îles Lipari à Syracuse, se trempaient à Ostie, dans le golfe de Naples avec Capri dans le fond. Après l’antiquité — il y a beaucoup de choses après l’antiquité —, il faudra attendre un certain temps avant que la baignade revienne au goût du jour. La toute fin du XVIIIe siècle verra, outre quelques têtes malencontreusement coupées, une mince cohorte se risquer à remettre un orteil dans l’eau. La trempette « renaîtra » petit à petit et presque insidieusement tout au long du XIXe siècle. On barbotera, mais toujours en habits et à l’abri des regards. Les bains de mer de l’impératrice Eugénie se faisaient, par exemple, dans des baignoires que l’on avait au préalable remplies d’une eau forcement tiède. Il faudra attendre 1900 pour voir le baigneur déshabillé, en vêtements de dessous, et 1925 pour voir la première nageuse nue, une « nudité intrépide ». Morand en bon salaud balnéaire parle très bien de tout cela, de ces «bains dans le temps» ; du crawl et des baigneuses de Saint Sebastian qui font trempette avec des bas de soie noire. Il raconte les luttes homériques entre partisans et détracteurs du short. Les maillots de bain qui s’écourtent, les épaules qui se dénudent peu à peu. Tout est merveilleux, une nage indienne tendre et languide, jusqu’à ce que Morand soit rattrapé par ses habituelles marottes, cette haine pathologique du grouillant, du non rectiligne qui lui fait confondre haine du monde et haine du peuple. Il voudrait garder toutes les plages pour lui, mais voilà des vacanciers, des estivants, des touristes aquatiques qui prennent toute la place. Se baigner devient une sinécure, le peuple avance comme les déserts. Morand est déjà vieux, il est presque touchant, avec son slip de bain, son petit ventre blanc et son monde derrière lui.  
Demain, Bains de l’espace : Portugal, Espagne, Tanger, Dalmatie…    

        
7 octobre.- Nuit pluvieuse, matinée humide, le pire est à envisager pour la suite.    

« La plage d’Arcachon est trop tiède, trop lointaine, trop élégante, trop casquette de yachting »

La conclusion de Bains de Mer barbote dans un saumâtre bouillon mêlant détachement smart-gentry et mauvaise nostalgie. Les paradis d’autrefois sont devenus des enfers balnéaires, les grattes ciels de Mar del Palta ont les pieds dans les vagues et Copacabana est une fourmilière humaine. La quasi-nudité règne un peu partout et les peaux sont des tôles laquées rouges qui virent au « négrescent » sur le sable blanc. La Côte d’Azur ressemble à un salon nautique où les canots pneumatiques gonflables et les radeaux en plastique donnent l’impression d’un naufrage permanent. Les « vivants » pullulent au milieu du désastre et la plage est devenue un tableau de Jérôme Bosch. Voilà donc un Morand acrimonieux en pire. Ce Morand bistre qui pointe sous la légèreté d’un style toujours impeccable, on le préfère nostalgique en mieux, lorsqu’il se souvient de celui qu’il fut trente-cinq ans plus tôt, crawlant et plongeant en solo, bien avant que des milliers d’exemplaires de lui-même ne le pousse à devenir la caricature de son propre personnage.

 
8 octobre.- Matinée sèche mais semi-maussade. Après-midi bruineux. Levé 6h10. Marche, 2,5 km. Labeur. Michel Crépu, Journal (Renan, Kafka, Palach…). Rien d’autre.
 
11 octobre.- Brume matinale puis un ciel dépourvu de tous nuages. Vague tiédeur.           
Persistante gonalgie qui me donne des airs de diable boiteux. Trop parasité par les « autres » pour écrire quoi que ce soit. Le manque guette. Lu quelques pensées de Joseph Joubert : « Ne coupez pas ce que vous pouvez dénouer », quelques pages du Journal de Renard.

 
12 octobre.- Ondées matineuses suivies d’une série de soleillées sous lesquelles tentait de monter une vague tiédeur ne voulant pas vraiment s’affirmer. Gonalgie aidant je ne sautille plus, je boitille.Entamé La Fenêtre ouverte spicilège de l’impeccable Saki, je l’envisage très sautillant. En tous les cas, la préface de Graham Greene est très bien. Elle vous laisse imaginer de longs après-midi paresseux, des thés but dans des porcelaines les plus fines possible, des sandwiches au concombre, de l’humidité insulaire et de la cruauté comme s’il en pleuvait. Entamé le Guide du Vin de l’indispensable Raymond Dumay (j’entame à foison). Le bouquin est beaucoup plus qu’un guide, Dumay est beaucoup plus qu’un auteur de guides, c’est un guide lui-même. Il s’est permis d’écrire une autre bible, plus goûteuse, avec toujours du vin, mais beaucoup moins de crucifixions. Pour l’occasion j’ai ouvert cette bouteille de Sauternes, que j’avais quasiment volée il y quatre, cinq ans. Les grands Sauternes sont des vins choyés comme des enfants à la mamelle avant de devenir le « lait des gourmets ».
 
13 octobre.- Ciel ocre, température automnale. Dédoublé, me survolant plus qu’étant avec moi-même. Alors, être avec les « autres »…  
Saki ou l’art de la chute. Plus elle est subtilement cruelle, plus nous sautillons. (La Fenêtre ouverte et Sredni Vasthar sont bien les merveilles annoncées ; des merveilles qui caressent accortement la littérature fantastique dans le sens de la cruauté). Quelques pages de Raymond Dumay. Comment choisir un bon restaurant, comment lire une étiquette, comment déboucher une bonne bouteille ; toutes choses bien utiles.           
Je vais me risquer à lire le Sentiment tragique de la vie de Miguel De Unamuno. C’est un ouvrage certainement très peu sautillant et plus apprêté par la lourdeur ontologique qu’autre chose, mais il faut parfois savoir douter en bien.

14 octobre.- Pluie fine, fraicheur automnale. Chez Saki il n’y a que les enfants et les bêtes pour être vraiment sympathique. Les « autres », le monde, cette société édouardienne que l’on griffe en sautillant, n’est qu’un aréopage de duchesses trop précieuses, de tantes acariâtres, de femmes légères et d’hommes si ternes qu’ils pourraient virer au beige clair sans crier gare. Il y a bien quelques dandies cyniques, mais ils sont plus drôles que sympathiques. Bref, l’antipathie règne, sans ostentation, toujours légère et sans semelles de plomb.       
Pour en revenir à l’umour insulaire on pourrait voir Saki comme un primo Wodehouse resserré.

 
15 octobre.- Cieux changeants, mais toujours engoncés par une quasi-froideur automnale (13°C). Guère sautillant. Tired. Trop de labeur. Pas d’inspiration. L’inspiration est une énigme. Dumay, Guide du vin, savoir tirer parti d’un restaurant. Rien d’autre.
 
16 octobre.- Premières gelées matinales. Plus tard, chape nuageuse sans l’ombre d’une soleillée. Levé 6 h 10. Marche 2,5 km. Un chat mort sur la route. Labeur. Sieste. Grand calme. Lu une nouvelle de Saki (adorable et indigne) puis quelques pensées de Joseph Joubert. « Penser ce que l’on ne sent pas, c’est mentir à soi-même. Tout ce qu’on pense il faut le penser avec son être entier, âme et corps ». Bu un thé indien périmé dans un nouveau mug bleu Klein. Rien de plus.
 
18 octobre.- Restes tempétueux, ciel gris-jaune, douceur hypocrite. Levé 6h10. Marche 2,5 km à vive allure. Labeur. Sieste. Saki, Joubert, Renard : joli triumvirat. Nothing else.
 
To be continued

 

jeudi 13 juin 2013

mercredi 12 juin 2013

Boards of Canada – Tomorows harvest (2013)

 
Boards of Canada n’a jamais été un groupe dans le sens où le quidam amateur de musique l’entend. Non Boards Of Canada n’a été, n’est, ne sera jamais qu’un concept et rien de plus. Un beau concept à vrai dire, clos autour de lui-même, limite autiste dans sa claustration rétro savante. Trouver du renouvellement possible dans ce bidule musical plus barricadé qu’un symposium de physiciens nucléaires en goguette me semble une gageure guère tenable. Les Boards of Canada, ces deux Écossais vaporeux qui nous concernent, sont donc condamnés à la répétition à la déclinaison au travail sur le motif. Leurs disques ne peuvent être que la redite étiolée de leur petit big bang conceptuel initial (le « génial » Music Has the Right to Children…). D’aucuns trouveront qu’il n’y a aucun intérêt à vouloir écouter une redite étiolée. Permettez-moi d’y trouver quant à moi un petit charme, le petit charme de l’inventeur noyé ad vitam aeternam dans l’embrun de sa propre trouvaille. Et puis que voulez-vous j’aime les fanfares de synthétiseurs analogiques, la rêverie froide, la nostalgie et les concepts sans tiroirs.