mardi 22 août 2017

Psychogeographie indoor (77)




« Il y a des heures, il y a des jours, il y a peut-être un âge, où les gouttes de pluie glissant sur les vitres, et leur petit bruit sont plus intéressants pour l'homme couché que les lignes du livre gisant là. Elles le mènent plus loin – il ne sait où – elles l'arrêtent, il ne sait, et voudrait vainement savoir – en quel domaine universel. » (Henri Thomas, La joie de cette vie).


1.

21 mars 2017.- Congés. Temps maussade, douceur inutile (16°). Conditions lectorales déplorables. Une tondeuse à gauche, une bétonnière à droite.
Charlie Parker incendiaire de lui-même, Art Pepper junkie définitif, des lactescents qui virent West-coast, une lesbienne de 150 kg et deux petits juifs débutants (Big Mama Thorton, Leiber et Stoller), des gringalets qui se vengent des sportifs et des brutes (Phil Spector, Kim Fowley, Brian Wilson), le corps de Sam Cooke étendu dans les couloirs d'un motel sordide, ces noirs que l'industrie discographique oubliera, la british invasion et les Byrds ces « Dylan beatlesisés », la Californie du Sud ce paradis aryen  et ses hymnes surf, Waiting for the sun est un bouquin formidable. Est-il utile de le préciser ?

22 mars 2017.- Nuages, une éclaircie entre 14h00 et 15h00 (13°C). David Hockney et la « candeur ardente », les symphonies adolescentes de Phil Spector et Brian Wilson, le festival de Monterrey, les fleurs fanées du summer of love, les descentes d'acide, la mort qui rôde, Charles Manson aussi… Comme je l'ânonnais hier Waiting for the sun est un bouquin passionnant. Étant plus fainéant qu'un redneck assoupi dans son vieux rocking-chair je n'en dirai pas plus.

23 mars 2017.- Orages (13°C). Waiting for the sun : « Cass, accueillie par les freaks de l'Amérique pop comme leur Mère Nourricière, fit l'acquisition d'une Porsche dans laquelle elle ne pouvait même pas rentrer…». Le 10050 cielo drive et le parking d’ Altamont, fin du « rêve flower power ». Le sunset strip et sa troupe de musiciens brinquebalants atterrit dans les collines et canyons entourant L.A. Seul Neil Young semble regarder Charles Manson dans les yeux. Gram Parsons meurt tout bleu dans un motel miteux, les Eagles s’envolent, le musical Valium domine.

Lire les chroniques d'Auberon Waugh, fils de qui vous savez.

24 mars 2017.- Averses (12°C). Dans Waiting for the Sun Barney Hoskyns explique très bien comment la cocaïne aura façonné le son du rock californien au milieu des années 70. Indifférence palpable, stérilité clinique et une grande mollesse paradoxale quand on sait qu'elle est en bonne partie engendrée par le plus puissant des stimulants connus par l'homme. Les types, et les filles, de Laurel Canyon vivent dans leurs bulles d’ego avec le nez perpétuellement encombré et seuls les très malins, et très bons, Steely Dan semblent conscient du « problème » (et l'attaquent de l'intérieur). Le retour de manivelle sera underground et ne touchera presque pas ce petit monde-là (les Fleetwood Mac se fichent bien du hardcore, de Black Flag et du punk de plage, ils ont bien autre chose à faire, se tirer les cheveux conjugalement par exemple…)

25 mars 2017.- Ciel désespérément gris (13°C). Une semaine de congé et je n'en ai rien fait. Seuls les quelques livres qui tournicotent autour de moi m'incitent à un tout relatif sautillement.
Pour Barney Hoskyns à partir de la fracture des années 1980 Los Angeles n'est plus qu'une ville un brin méphistophélique où la paranoïa et la violence rôdent un peu partout. Les scènes musicales se succèdent – punk hardcore, rock FM, heavy metal, rap et tout ce que vous voulez –, mais tout semble pourri à la base par une gangue pour le moins malsaine. Ce n'est pas nouveau, le Hollywood « historique » n'avait déjà pas si réjouissant que ça (Cf les petites histoires sybarites de Kenneth Anger) et ont pourrait presque affirmer sans crainte que la période 1958-1969 aura été quelque chose comme une  « parenthèse enchantée » (c'est moi qui souligne). Pour le reste, voilà un livre qu'il faut lire.
Des cercueils miniatures envoyés au grand malheur la malchance, des meurtres plus horribles les uns que les autres, un coupable que tout le monde connaît, mais que personne ne saisit par le colback. J’enchaîne avec Cercueils sur mesure une longue nouvelle où Truman Capote reprend peu ou prou la méthode un brin documentaire utilisée pour In Cold Blood . De l'horrible, du cynisme et de la décontraction. Capote est parfois très bien

Acquis, pour une somme assez modique, Ma route de Provence de Raymond Dumay. Ayant lu les autres routes de l'oiseau je n'envisage que du bon.

26 mars 2017.- Temps splendide, appétence printanière (17°C). Conditions lectorales poussives, voire déplorables. Cet après-midi le voisinage était trop bruyant, j'ai dû subir le caquetage incessant de deux voisines plus proche de la poule étêtée que de la Marquise de Sévigné. Je ne comprendrai jamais ce besoin qui pousse une grande partie de l'humanité à vouloir discuter à tout bout de champ et à tout sujet, tout cela est si fatigant ! Malgré les dialogues, plus ou moins sourd et n’incitant en rien la concentration nécessaire à tout lecteur qui se respecte, qui montaient autour de mon moi cérébral je suis tout de même parvenu a finir la lecture de la petite chose de Truman Capote entamée hier (fort heureusement rien de vraiment intellectuel, sans quoi). Capote y discutaillai lui aussi, mais il était plus proche de la pie voleuse que de tout autre volatil et je ne lui en ai pas trop voulu de dialoguer avec un agent du FBI ou avec un multi meurtrier supposé, cela m'a changé des aspirateurs sans sacs, de François Fillon ou d'Emmanuel Macron (deux candidats aux futures élections présidentielles, qui viennent là bientôt). Pour ma lecture suivante, l'hésitation aura été un peu longue, je dois avoir plus de cent volumes en attente, et j'ai finalement choisi Sur les bords de l'Issa de Czeslaw Milosz. C'est un roman qui me fait de l’œil depuis pas loin d'un an et j'espère qu'il me décevra moins que le voisinage et pas plus que la météo.


2.

27 mars 2017.- Météo parfaite, ciel sans nuage, douceur madérienne. Que demander de plus ? (20°C). Enlacé par un soleil amical, bercé par un vent légèrement basculatoire, je me suis assoupi sur ma chaise de lecture et je dois concéder que même le volume censé m'occuper n'aura presque rien fait pour m'en dissuader Trop de tirets anbiduleurs, trop de jeu avec le lecteur, un traducteur plus malin qu'il ne faudrait, allez lire La vie et les opinions de Tristram Shandy sans tomber dans les bras de Morphée ! Le soleil descendant, mon assoupissement passé je suis retourné dans le Journal de l'ami Beyle. Je le lis par petites bouchées gourmandes et il n'est jamais parvenu à m'endormir tout à fait. Cela doit être un bon signe.

28 mars 2017.- Soleil, soleil ! (21°C). Mes mornes activités salariales derrière moi passé l'essentiel de la journée à ne rien faire. L'inactivité est définitivement ce que je préfère en ce bas monde, elle concorde parfaitement à ma nature profonde et je n'ai aucunement l'envie de me trahir moi-même en poussant le chaland plus que ça.
En dehors de deux trois peccadilles dont je ne piperais pas le nom, rien lu ou presque.

30 mars 2017.- Ciel cobalt, température quasi estivale (23°C). Sieste prolongée puis un chapitre de la Vie et les opinions de Tristram Shandy (rien à en dire, je survole ce fameux texte de très haut et pour l'instant c'est un flou persistant qui domine). Depuis quelques jours j'observe dans mon « étrange lucarne » la campagne électorale pour les élections présidentielles. Rien de vraiment capricant et il me faut donc pour sautiller ne serait ce qu'un petit peu me raccrocher à deux trois ressorts burlesques. Pas plus tard qu'hier j'ai par exemple pu constater que le body language du candidat socialiste avait quelque chose des plus belles heures de Ralf Hütter, Florian Schneider et Karl Bartos. C'est déjà ça.

1 avril 2017.- Averses, not in the mood (13°C). Des gens qui soufflent dans le derrière des bestioles avec une paille, qui boivent tellement que l'eau de vie prend feu en eux et qu'il faut alors que la juive du bourg s'accroupisse et leur pisse dans la gueule. Sur les bords de L'Issa est pour l'instant assez loin de ce que j’imaginais. Disons qu'il y a plus de croquignolet que de panthéisme : « Peut-être les diables se sont-ils plu sur les bords de l'Issa à cause de son eau ? On dit que ses propriétés influent sur le tempérament des gens qui naissent là. Ils sont enclins à se comporter de manière excentrique, ils ont rarement l'âme en paix, et leurs yeux bleus, leurs cheveux clairs et leur carrure plutôt lourde ne sont qu'une apparence trompeuse de santé nordique »

2 avril 2017.- Pluie légère (13°C). Rien…

3 avril 2017.- Belles éclaircies (19°C). Miłosz et les bords de l'Issa. Nature et bestioles, panthéisme et nostalgie. Nous y voilà.
Rien (ou presque) : Le discernement doit être vu comme un ceinturon bien ajusté sans lequel nous serions plus d'une fois cul à l'air et pantalon sur les chevilles.

4 avril 2017.- Beau temps, tardivement quelques nuages mafflus (19°C). Stendhal (diary), Cioran (Cahiers). L'ami Beyle voyageant de Florence à Bologne trouve que les Apennins n'ont rien de grandiose. Arrivé à Bologne il constate que la ville est entourée d'un tas de petits mamelons quasis croquignolets. Quant à Cioran, sachez qu'il se noie simplement dans l'échec avec un peu d'amertume au coin des entrailles.

6 avril 2017.- Du soleil, trop de vent (15°C). Je me suis longtemps méfié de Roland Topor, je ne voyais en lui qu'un surréaliste tardif un peu à la remorque. Évidemment, je me fourvoyais, plus je vieilli plus je l'aime et pour tout dire à présent je le trouve plus drôle – et parfois émouvant – qu'un congrès de naturopathes en goguette. Tenez, aujourd'hui j'ai lu une grande partie de sa Cuisine cannibale. C'est un spicilège mignonnet où sont énumérées les différentes façons de cuisiner l'homme (ce pékin moyen qui mérite d'être croqué comme les autres bestioles). L'homme gros sel, le myope au gratin, le bébé à la brisac, le con à l'étouffée, la farce d'homme normale. Autant de recettes franchement appétissantes. Ne boudons pas notre plaisir : « Le myope ressemble au presbyte, seulement il a les yeux plus grands et une raie au milieu. Ses lunettes doivent être enlevées afin qu’il tombe dans le gratin. Il se prépare comme le cabillaud. »

7 avril 2017.- Ciel splendide, température idéale (21°C). Tout cabotait chouettement vers une quiétude quasi palpable, la météo idéale je lisais la Cuisine cannibale de l'ami Topor en position semi-allongé sur l'une de mes chaises d'extérieur quand soudain, alors que rien ne le laissait prévoir, voilà que le drame pointa son sale museau pommadé ! Voyez vous que ma voisine (vous savez la bricoleuse) prit l'idée pour le moins sybarite d'activer une « enceinte sans fil » au beau milieu de notre jardin plus mitoyen que commun ! Ces bidules technologiques sans fil étant l'un des pires fléaux des temps qui nous occupent - de surcroît lorsqu'ils diffusent un immonde brouet musical plus proche du Zouk endimanché que de Jean Sébastien Bach - imaginez mon désarroi !
Dans sa Cuisine cannibale, l'ami Topor, qui s'y connaissait en désarroi, mais qui riait toujours très fort, ne nous explique malheureusement pas comment cuisiner cette bestiole nuisible qu'est le voisin, je vais tenter de le faire pour lui. Prenez un voisin (ou une voisine, je ne suis pas misogyne), de bonne constitution, pas trop gras, mais tout de même un peu. Écorchez-le tranquillement en commençant par le bas des gambettes, séparez la tête de la colonne vertébrale, brisez méthodiquement les os et articulations, puis découpez votre voisin en petits morceaux. Salez, poivrez et badigeonnez vos morceaux avec de la moutarde forte puis faites revenir le tout dans un un peu d'huile à feu moyen. Rajoutez quelques garnitures aromatiques (échalote, oignon, persil) et le tour est joué ! Bon appétit !
P.-S. Les plus épicuriens d'entre vous pourront déguster leur voisin en l’accompagnant d'un petit Givry de dessous les fagots, l'« accord » est parfait.

8 avril 2017.- Journée estivale (22°C). Décidément, les technologies sans fil m'en veulent beaucoup ! Hier c'était les enceintes et le Zouk endimanché de ma voisine, aujourd’hui ce fut ni plus ni moins qu'un drone ! J'étais sur les bords de l'Issa avec Czeslaw Milosz et soudain plus un oiseau pour accompagner ma lecture de son chant, non à la place un sinistre bourdonnement ayant tout de la ruche en furie et une caméra pour le moins inquisitrice me scrutant de son orbe glacé… Pour en revenir tant bien que mal à la lecture, il faut savoir que les bords de l'Issa de Milosz sont très peu encombrés par les affres de la modernité, cela n'a rien pour me décevoir. Il y est davantage question de technique que de technologie : comment noyer une portée de chiots, comment tuer un vieux chien qui vous regarde en remuant la queue, comment chasser les vipères avec un simple bâton de bois… Toutes ces choses-là sont certes un peu rudasses sur les bords, mais elles ont l'immense mérite de buter frontalement sur des questions diablement humaines (et la mort dans tout ça?), ce qui n'est pas le cas du numérique, ce saumâtre machin binaire sans conscience.
Je vous laisse, ma voisine vient d' « activer le Bluetooth » de son boîtier diabolique et une problématique mélopée saccadée monte dans les airs.

9 avril 2017.- Journée hors de saison, trop estivale pour ne pas distiller un soupçon d'inquiétude (26°C). Tout semblait frôler les apanages du parfait : un bon livre, un beau ciel bleu et une belle chaise de jardin, et pourtant rien ne fut vraiment parfait… Tout d'abord, le bon livre n'était pas si bon que ça (la ruralité polono-lettonne des bords de l'Issa m'ennuie à petit feu), ensuite le soleil bagarrait si fort qu'au bout d'une cinquantaine de pages je me suis retrouvé avec des teintes plus proches de l'écrevisse embarrassée que du lapin albinos, quant à ma chaise si elle était tout juste confortable elle ne m'a pas fait oublier les conditions lectorales encore pour le moins problématiques. J'ai du me battre à mains nues contre une guêpe pendant une grande partie de l'après-midi, de surcroît l'un de mes trop nombreux voisins, celui qui a engendré un mouflet il y a peu, aura passé l'essentiel de sa journée à babiller et à faire tourner sa progéniture dans une sorte de tourniquet en plastique vert et orange qui grinçait plus qu'une petite troupe de nonagénaires arthritiques. Les voisins, mouflets, tourniquets en plastique et autres bestioles butineuses devraient être interdits, en tous les cas ils n'incitent pas à la lecture.

10 avril 2017.- Labeur. Les nuages arrivent, les nuages sont là ! (24°C) Un an de plus. Lombalgie. Rien lu.

11 avril 2017.- Belles soleillées (17°C). Stendhal’s diary.

Rien (ou presque) :
Vous pouvez voir ce substrat
Il est tombé et change nos mots
les dépares, nous fragilise.

13 avril 2017.- Goût estival (20°C). Je chemine péniblement sur les bords de l'Issa et je dois avouer avoir de moins en moins de points de contact avec ce texte qui se dérobe sans cesse à mon intérêt. Pour un peu je laisserai même choir sans insister plus que ça. Je ne le ferai pas, car j'ai toujours beaucoup de réticence à abandonner une lecture en court de route (et puis après tout lire dans un petit halo d'ennui c'est toujours lire, n'est ce pas ? )

14 avril 2017.- Sunny day, rare clouds (20°C). Thomas le héros de Milosz, tue des bécassines, des coqs de bruyères, sa grand-mère meurt… On se fiche un peu de tout ça, on saute une ligne, des paragraphes, des pages, des chapitres entiers, on s'ennuie.

15 avril 2017.- Soleil voilé, vent et fraîcheur (15°C). Bâclé la fin de Bords de l'Issa, néanmoins j'ai pu saisir, ça et là, quelques beaux passages panthéistes, c'est le meilleur de ce roman qui m'aura globalement assommé. Dans la foulée je commence le nouvel opus de Michael Connelly, rien de vraiment assommant, rien de hautement littéraire non plus, mais toujours cette précision et ce savoir-faire que l'on ne présente plus. (Harry Bosch à la retraite Connelly ne sait visiblement pas quoi faire de son personnage alors il lui invente un futur d’enquêteur qui ne travaille plus pour l'accusation, mais pour la défense, nous verrons bien ce que cela donnera).

16 avril 2017.- Quelques belles éclaircies (15°C). Je fais le tour des restaurants de LA avec Harry Bosch. Musso & Frank m'a tout l'air d'être le plus appétissant (le Traxx d'Union Station me semble pas mal non plus). Par ailleurs, jardinage : taillé mes haies, rempoté deux trois choses, le train-train du micro jardinier hâbleur.

17 avril 2017.- Nuages. Maussade, not in the mood (16°C). Le bouquin de Connelly est un bon page turner qui devient encore plus distrayant lorsque l'on prend l'idée, pas si idiote que ça, de le lire en s'accompagnant de l'application Google Maps. Aujourd’hui en bon touriste virtuel j'ai donc visité sans risque le Hollywood Forever Cemetery (ce cimetière où les restes de quelques stars dorment sous de petites plaques de marbre), puis j'ai arpenté le Santa Monica Boulevard de long en large (les Studios RKO et Paramount avec leur château d'eau sont justes en dessous), j'ai fini la journée dans les boutiques de luxe de Sunset Plaza (sur Sunset Boulevard)… Voilà pour le tourisme.
Moins virtuellement, mais dans une optique toujours un tantinet touristique, préparé la plus petite de mes valises. Demain départ pour la Côte d'Azur et Menton ( cet Hospice en plein air). Fâcheusement on annonce une météo hasardeuse, ce qui s'agissant de Menton relève du pur et simple manque de chance, il faut bien le dire…

23 avril 2017.- Congés. Ciel IKB, température agréable, que demander de plus ? (19°C). Retour de la Côte d'Azur et de Menton où j'ai passé l'essentiel de ma semaine. Est-il utile de préciser que la météo y était au beau fixe ? Menton mérite mieux que ça réputation, il y a certes un peu partout des chiens de petit calibre qui traînent des barbons et barbones aux lisières du trépas, mais il n'y a pas que ça. Il y a de beaux jardins botaniques – je les ai presque tous arpentés d'un pas capricant – une belle vieille ville qui en dehors d'une rue piétonne trop achalandée résiste encore un peu au flux touristique, de beaux palaces surannés et surtout un cimetière marin d'une beauté quasi létale. J'ai visité tout cela en marchant beaucoup et en ne m'en faisant pas trop. Juste à côté de Menton Roquebrune et son Cap Martin ne sont pas mal non plus. On peut faire le tour du Cap en empruntant un sentier très praticable qui longe une côte joliment déchirée. Le panorama est parfois splendide, homérien qui vire au problématique lointain quand apparaît la principauté russo-méditerranéenne de Monaco. Seuls les joggers et quelques hurluberlus connectés sur leurs outils de torture musicale sans fil ont l’outrecuidante d’agacé le quasi-randonneur.
Par ailleurs fini le nouveau dernier Bosch de Michael Connelly, toujours distrayant et presque touristique (s'agissant de L.A).
En dehors du balnéaire et des livres aujourd'hui Élection présidentielle, voté sans enthousiasme (je pense que l'on ne m'y reprendra plus).

24 avril 2017.- Beau temps chaud, teintes estivales (23°C). Impossible de lire quoique ce soi en extérieur, trop de bruits parasites, des éclats de voix tout à fait hispaniques, de la Makina (sous-genre musical de la techno hardcore ayant émergé en Espagne au début des années 1990) sur une enceinte sans fil surpuissante, le franquisme était mieux.

27 avril 2017.- Météo exécrable, humeur à l'unisson (10°C). Trop de labeur, fatigue, impossible de lever les bras, de lire, d'écrire, de vivre… presque.



3.

28 avril 2017.- Temps toujours maussade, froid et sans soleil (11°C). Le 27 septembre 1811 Stendhal est à Florence. Les yeux et les jambes fatigués par les voyages il s'ennuie un peu, se promène tout de même, va à l'Opéra tourne autour de la tombe de Machiavel et de Galilée, s'extasie sur la douceur des vers de Virgile. En somme le train-train de l'ami Beyle.

29 avril 2017.- Journée enfin conforme avec la saison censée nous occuper (18°C) Conditions lectorales presque idéales, en dehors d'un déménagement lointain peu de bruits parasites, le voisinage n'était pas vraiment là, il doit être en villégiature dans des contrées que j'imagine semi-lointaines. Largement entamé Ma Route de Provence de Raymond Dumay. Je ne suis pas déçu, il faut dire que je suis en terrain conquis, que j'ai déjà arpenté avec bonheur deux autres routes en la compagnie de Dumay (Bourgogne et Aquitaine) et qu'il n'y a aucune raison pour que sa route de Provence ne soit pas du même tonneau. Toujours juché sur Pégazou, cette moto Terrot dotée d'une forte personnalité, Dumay entre en Avignon. La ville est remplie de belles filles, de jeunes gens lustrés qui tremblent pour leurs plis de pantalon, d'opulents directeurs sportifs qui « font terrasse » et parlent hygiène tout en buvant moult pastis. Plus loin deux amoureux s'embrassent en paix Rue des Trois Colombes, une fillette pleure Impasse du Lapin-Blanc. Il y a des rossignols qui chantent et l'on se souvient si peu des papes que l'on semble presque oublier leur passage dans la cité.
Après avoir évoqué une belle kyrielle d'écrivains plus provençaux que mon coude gauche (Daudet, Mistral, Pétrarque exilé) Dumay grimpe sur Pégazou et s'envole au-dessus du bitume, il atterri à L'Isle-sur-la-Sorgue cette Venise Provençale où l'Adriatique aurait été remplacée par les champs de melon et de carottes. On évoque René Char, raide surréaliste de terroir, on rencontre M.Jouve habile boulanger et grand écrivain inconnu, on retrouve Pétrarque, Mistral… La route est encore longue.

30 avril 2017.- Du vent, trop de vent (17°C). Yesterday evening social life, drunk a little too much. Ce matin encore un peu ivre, poursuivi la Route de Provence de Dumay, zigzagué entre les vignes et voltigé au-dessus des écrivains de tout poil (c'est le très bon livre d'un désuet charmant). Cet après-midi jardinage, rempoté quelques fleurs, taillé un bout de haie, le tout sans trop m'en faire.

1 mai 2017.- Quelques belles éclaircies puis de gros nuages anthracite, l'orage ne saurait tarder (15°C). Toujours sur l'épaule de Raymond Dumay avec un bonheur égale. Il faut dire que sa Provence pleine d'écrivains plus fameux les uns que les autres n'a rien pour décevoir. Parmi ceux-ci Vauvenargues n'est pas le dernier à sautiller, il est un peu chétif, trop vite trépassé, mais ses belles pensées sont encore là. Dumay pense qu'il écrit un « français pur » et il n'a pas vraiment tort de penser cela. Après avoir tournicoté autour d'Aix, ce bouillonnant repaire de scribes conséquents (Joachim Gasquet, Maurras, Léo Latil le plus doué qui fut tué au front…) nous atteignons Marseille sans encombre. La Canebière là nous voila aux lisières du vieux port et d'une autre belle palanquée d'écrivains. Marseille est tout de même la ville des « grands anciens » Jean Cassien, Jean de Ceppède ou Georges de Scudéry (pour un temps), et la ville des « petits nouveaux », Elémir Bourges, Edmond Jaloux, Francis de Miomandre, Pagnol (forcement Pagnol), c'est aussi la ville où Antonin Artaud naquis à la poésie, où trois types épiques firent de longs séjours pendant leur jeunesse (Conrad, Stevenson, Stendhal). Bref, littérairement parlant Marseille compte tout de même un peu plus qu'il n'y paraît de prime abord. De Marseille à Cassis, la distance est courte et il en faut peu pour être assez vite dans les pas de Germain Nouveau, ce garçon raisonnable qui pour notre plus grand bonheur virera très vite au pire. C'est un poète qu'il ne faut surtout pas oublier. On n'est pas l'ami de Rimbaud ou de Verlaine pour rien. Nouveau est un grand frémissant et un grand rêveur aussi. Trop dépeigné il n'entrera jamais vraiment dans la vie, après moult aventures on le verra mendier et chercher sa nourriture dans les poubelles, un dimanche où il tendait la main à la porte d'une des églises d'Aix Cézanne lui jettera cent sous… Il trépassera de faim volontaire, oublié de tous, un jour de Pâques.

2 mai 2017.- Averses (14°C). À Sanary Raymond Dumay rencontre Cilette Ofaire, une Suissesse égarée sous le soleil du midi, une frêle femme au visage tanné qui a écrit presque au débotté l'un des chefs-d'œuvre de l'aventure vraie ( Le San Luca livre où elle raconte comment à bord de bateau d'eau douce elle aura, à travers l'Europe, parcouru quelques milliers de kilomètres de canaux et rivières ). Après être passé par Golf Juan et Antibes (où il est question de Napoléon et du « mage » Audiberti). Nice (où l'ami Nietzsche flotte encore un peu) Dumay approche de la rade de Villefranche et de la citadelle Cendrars (il passe une journée avec notre manchot helvétique préféré, les pages qu'il consacre à cette rencontre sont épatantes).

4 mai 2017.- Nuages, humidité 63 %, vent 11Km/h (15°C) Not in the mood, slight return to Joseph Joubert, nothing else :« Platon, Xénophon et les autres écrivains de l’école de Socrate, ont les évolutions du vol des oiseaux ; ils font de longs circuits ; ils embrassent beaucoup d’espace ; ils tournent longtemps autour du point où ils veulent se poser, et qu’ils ont toujours en perspective ; puis enfin ils s’y abattent. En imaginant le sillage que trace en l’air le vol de ces oiseaux, qui s’amusent à monter et à descendre, à planer et à tournoyer, on aurait une idée de ce que j’ai nommé les évolutions de leur esprit et de leur style. ce sont eux qui bâtissent des labyrinthes, mais des labyrinthes en l’air. Au lieu de mots figurés ou colorés, ils choisissent des paroles simples et communes, parce que l’idée qu’ils les emploient à tracer, est elle-même une grande et longue figure.»

05 mai 2017.- Labeur. Journée enfin printanière (22°C). Toujours sur la route de Provence avec Raymond Dumay. Chez lui Monaco est une Suisse méditerranéenne parfaitement ripolinée, elle est policée à un tel point que les sens interdits foisonnement par centaines, les agents vous sifflent à tout bout de champ, pour oui, pour un non, on dirait des pinsons endimanchés. En dehors d'être un Suisse septentrional Monaco est une ville de plaisir sérieuse et ordonnée ce qui n'est pas le cas de toutes les villes de plaisir, il faut bien le dire. Une paire de pages et de kilomètres plus loin , à Menton, Dumay visite le jardin de Fontana Rosa. Ce « jardin des écrivains » que j'ai moi-même visité pas plus tard qu'il y à deux semaines. Chez Dumay il est totalement à l'abandon, les escaliers s'écroulent, les murs se lézardent, les bougainvillées envahissent un peu tout, ce n'est plus qu'une gloire qui s’effrite. Pour moi il n'était que semi-décati - puisqu'un peu rénové il y a quelques années- mais toujours d'un charme un poil broussailleux. Je me suis assis sur des bancs diablement chamarrés, devant une belle fontaine, le buste de Blasco Ibáñez me regardait et tout allait pour le mieux. À la sortie Dickens, Balzac, Hugo et Dostoïevski m’ont salué…

6 mai 2017.- Repos. Pluie légère, mais persistante (14°C). Dumay visite Saint-Paul-de-Vence ce nid d’aigles littéraires (un peu à côté, à Vence, il rencontre Albert Paraz et Marc Chagall), à Gréoux les bains il passe une journée avec Jean Giono. Sa route provençale s'achève dans le mas d'Henri Bosco, elle était très bien. 
Comme je suis d'une velléité de loutre, j'ai décidé de sortir de mon apathie en lisant entièrement la Comedie Humaine de l'ami Balzac. Le projet est vaste, je ne pense pas le mener à son terme de mon vivant, mais je vais tout de même le tenter. Je commence par le début avec La Maison du chat-qui-pelote, ce grand petit roman frémissant qui étaye finement sa thèse (en gros l’amour n'est que chimère).


To be continued.



samedi 19 août 2017

My favorite tracks (1)



On découvre Robert Pete Williams dans la prison d’Angola où il est enfermé pour meurtre. Là, on l’enregistre au petit hasard et le résultat est sidérant, c’est une découverte comme on fait peu. L’homme peut paraitre fruste, mais ses blues sont d’une complexité jamais entendue. De longues mélopées spectrales, bouleversantes, transperçantes. Ces enregistrements seront une libération au sens propre comme au sens figuré (jurisprudence Leadbelly). Magie des techniques modernes l’internaute sagace pourra voir et entendre Robert Peter Williams. Il y a ces vidéos enregistrées en 1971. Un homme simple et pas compliqué, un ferrailleur qui se souvient. Lorsqu’il prend sa guitare et prend l’idée de chanter le voilà bien loin, presque en Afrique, d’un delta l’autre.

Robert Pete Williams - Scrap Iron Blues