jeudi 15 septembre 2016

Psychogeographie indoor (70)


« Au cours de la route mon compagnon B. me prône une décevante philosophie de l’immobilité, de l’indifférence et de l’échec ; il est intéressant et je le crois absolument sincère. Il prétend que j’ai des illusions, c’est bien le cas. J’en ai beaucoup qui n’attendent que moi pour les rendre réelles ; je crains pour lui qu’il n’ait renoncé aux siennes un peu trop tôt. Il prétend que la joie n’existe pas. Je lui accorde qu’elle est disparue quand on croit la tenir, mais comme la contrebasse d’un orchestre on la devine quand elle nous manque.» (Nicolas Bouvier, Il faudra repartir)


1.

1 mai 2016.-. Averses incessantes, froideur indécente. Mai nous en veut (7 °C). Le fichier Parisien, Montherlant flottille autour des petites filles, caresse deux trois chats en passant et nous parle de son Paris à lui… Pour tout dire on s'ennuie un peu, mais il y a du style : « Et là, sur un banc, parmi les femmes de chambre allemandes déguisées en nurses anglaises, les enfants, les mutilés, les moineaux, les satyres à l’œil douloureux, les retraités promenant leur catarrhe de banc en banc, je tire mes feuillets et j’écris mes bêtises, tandis que tournent autour de moi les petites filles, pleines de poursuites et de cris comme des hirondelles de septembre. »

2 mai 2016.- Sunny day, do not despair (19°C). Triste, on meurt beaucoup trop ces temps-ci. Cervicalgie, lombalgie, Walser, Cioran à dose homéopathique.

3 mai 2016.- Clouds, yet (15°C) No reading. Not in the mood. Dernières acquisitions : Deux dames sérieuses — Jane Bowles, Le Merinos — Calet, La Musique et l'Ineffable - Jankelevitch, Un bon million — Nathanael West, Solomon Gursky — Mordecai Richler…

5 mai 2016.- Journée splendide, tellement printanière qu'on aurait pu la croire estivale, c'est vous dire ! (23 °C). Profitant des conditions météorologiques ultras favorables, j'ai soigné mon petit extérieur. Taille des haies, arrachage des mauvaises herbes, arrosage attentionné de mes quelques fleurs et plantes. J'ai agrémenté mes activités un tantinet agrestes de quelques longues poses panthéistes sur ma chaise de jardin. L'une de ces poses s’est transformée en une profonde sieste et je me suis réveillé hébété avec quelques oisillons gazouillants tout autour de moi. À peu près réveillé et toujours sur la même chaise de jardin j'ai ensuite fini la lecture du Fichier parisien du vieux bouc Montherlant. La tiédeur me titillant la nuque délicieusement ne m'a pas empêché de trouver l'ami Henry un peu problématique. Oh n'y voyez aucun jugement moral de ma part, le Montherlant tournant autour des petits garçons est d'une autre époque et je ne suis pas là pour juger quiconque, non plus simplement Montherlant à beau beaucoup aimer la jeunesse dans le Fichier parisien (qui est pourtant un spicilège étalé sur plus de trente ans) il écrit comme un petit vieux qui n'ose pas vraiment assumer ses penchants. Cette naphtaline du non-dit que l'on ne sent jamais chez le charmant Larbaud qui lui tournait autour des petites filles avec une délicatesse bien rare.

7 mai 2016.- Nombreux nuages « moutonnants », mais tenace « impression de beau temps » (23 °C). Hier : social life, drank too much, mon aujourd'hui fut donc un peu cotonneux. Retour dans L'homme qui a vu l'ours de Jean Rolin, je n'ai toujours pas fini ce formidable recueil d'écrits journalistiques, mais c'est en bonne voie. Aux alentours de la page 750 nous nous retrouvons téléportés en pleine guerre civile yougoslave. La purification ethnique est en marche, Dubrovnik est assiégée tandis que Bihac est cette drôle de poche qui ne demande qu'à être crevée (il y a quelques années j'ai pu voir les stigmates de tout ça, les maisons encore éventrées au milieu des champs, les trous d'obus, les minarets exotiques…). En dehors des guerres yougoslaves, un esturgeon géant danubien avale les petites filles et les petits garçons qu'il a la bonne chance de croiser. Bien plus à l'Est chinois et coréen guérissent leur impuissance en ingurgitant de la bile d'ours noir séchée, en somme le train-train.

8 mai 2016.- Belle matinée puis une armée de nuages patibulaires et un ciel finalement assez vite plombé (22 °C). (La bouche pleine de terre — Branimir Scepanovic) Malade et se sachant condamné un homme décide de mieux finir en s’assassinant lui-même. Il retourne sur ses terres d’origine, dans les montagnes du Monténégro, s'égare dans un bois, espère mourir tranquillement pendu à un arbre. Tout serait pour le mieux dans le meilleur des mondes tragiques si son entreprise suicidaire n’était pas contrariée par une troupe d'autochtones agacée par ce type solitaire errant là on se demande bien pourquoi? Commence alors une vague chasse à l'homme. Un parfum de pogrom flotte dans l'air, on assassinerait bien ce type tout en ne sachant pas qu'il voulait en finir… La parabole est cruelle, le type reprend presque goût à la vie, je ne raconterai pas la fin… (Deux monologues intérieurs et un récit où le poids de l'ontologie pèse finalement plus que l'allégorie sursignifiante).

10 mai 2016.- Temps lourd et humide, un peu mekongais sur les bords (23 °C). Labeur semi nocturne, so tired. Notwithstanding still in Stendhal diary. Le 2 septembre 1811, l'ami Beyle prend « les deux culs » d'une fille d'auberge passable tout en entendant une clarinette et un violon qui ne le sont pas vraiment, mais qui cependant lui font plaisir. Le 3 septembre il entre dans Genève, une ville où tout est triste, âpre et brut, et où l'on aurait beaucoup de peine à trouver une fille d'auberge compatissante.

13 mai 2016.- Temps maussade, averses et bourrasques, un fond qui pourrait paraître vaguement tiède, mais qui ne l'est pas vraiment (17 °C). Lu quelques chroniques d'Alexandre Vialatte. Dans l'une d'elles, il évoque ce nez avec lequel Mauriac écrit plus qu'à son tour. Pour Vialatte Mauriac est un olfactif mené par l'odeur. Ses romans sentent la résine, la table de nuit mal aérée et les vieux papiers de notaires. Les chambres des veilles filles y trouillotent le moisi et le suicidé tandis que les paliers reniflent immanquablement la fuite de gaz : « … de temps en temps, il ouvre la fenêtre, et on voit ciel. »
Pour le reste, fait mes valises, demain je m’envole pour le Monténégro, exiguë entité balkanique où la météo ne s'annonce pas aussi belle que je l’espérais.


22 mai 2016.- Fraîcheur et pluie légère (18°C).

« Et les Bouches de Cattaro, où l’on n’en finit plus
De suivre toujours la mer au milieu des montagnes
Crénelées d’inaccessibles citadelles vénitiennes.
O Cattaro, petite boîte, petite forteresse qu’on donnerait
Pour les étrennes à un enfant (il n’y manque pas même
Le poste des soldats verdâtres à la porte) ;
Petite boîte de construction, mais toute pleine
D’une odeur de rose venue on ne sait d’où »

Retour du Monténégro contrée qui tient globalement ses promesses. Séjourné dans les bouches de Kotor, un fjord incongru en de telles latitudes, mais un fjord magnifique, des montagnes noires qui tombent dans une mer bleu vert, des cyprès et palais, des villages vénitiens oubliés (Perast magnifique), une curieuse appétence italo-scandinave. Nichée au fond du Fjord la ville de Kotor est très bien elle aussi, une étroite citée médiévale pas encore vraiment noyée par le flux touristique (ce qu'est devenue la Croate Dubrovnik, que j'ai revisité et qui frôle le pire). En quittant Kotor et en tant qu'amateur averti emprunté la « Serpentine» cette route tortueuse et périlleuse que Pierre Loti évoque dans son épatant Voyage de quatre officiers au Monténégro (Un livre qu'il faut lire et qui est mieux que le Guide du routard).
Le reste du pays vaut également quelques coups d’œils. La façade Adriatique est pleine de charme balnéaire et l'on y sent d'ores et déjà roder les promoteurs immobiliers et  « investisseurs » de tous poils (russes, azéris et tout ce que vous voulez). L’ arrière-pays a pour lui le charme désolé d'un grand tas de pierres enrobé de gros nuages noirâtre tandis que les rares autochtones y ont un air perpétuellement dubitatif. Cetinje est une capitale historique égaré dans une cuvette de moyenne montagne, la palais de l'ex-roi ressemble à une replète maison bourgeoise et un peu plus loin la tour en pierre où les habitants avaient l’ habitude d'accrocher la tête de leurs ennemis turcs somnole dans la brume. La nouvelle capitale Podgorica, est un havre de paix collectiviste décati, il y a une immense cathédrale orthodoxe construite au milieu de nulle part, et les mafieux s'y promènent en toute quiétude holster sous l’aisselle. À quinze kilomètres de là le Lac de Skadar est la plus grande réserve d'oiseaux d'Europe tout en étant le plus grand lac des Balkans. Belle et grande étendue sauvage, l'Albanie n'est pas loin.
Par ailleurs, largement entamé Épépé de Ferenc Karinthy, c'est bien le grand livre annoncé.


2



23 mai 2016.- Crachin et quasi-froideur, rien de vraiment printanier (12°C). Un polyglotte pratiquant une kyrielle de langues allant du vogoul à l'ostiaque tout en passant par le sanskrit, l’ hindi et le serbo-croate, s'envole pour Helsinki afin de participer à un congrès de linguistes en goguette. Par un tour de magie assez carabiné, son avion n’atterrit pas dans la capitale finlandaise, mais dans une ville tentaculaire inconnue et de surcroît surpeuplée par une clique surexcitée parlant une langue incompréhensible. Tout cela est un peu incongru et notre linguiste s'en retrouve un brin chamboulé. Le voilà errant dans une cité qui semble appartenir à une autre planète tout en ne pouvant pas causer le moins du monde avec autrui. S'en suit une multitude d'aventures plus ou moins grises avec quelque chose de kafkaïen qui flotte un peu partout. Tel un autre Champolion notre polyglotte égaré décrypte quelques signes, rencontre une liftière avec qui il flirt un peu, s’enivre d’alcool doucereux, frappe la casquette d'un policier impassible… Voilà la trame magnifiquement simple d'Epépé (il suffisait d'y penser). N'ayant pas plus de talent que d'inspiration, je dirai que c'est un grand livre, tout du moins qu'il y a matière à grand livre, et qu'au-delà de ses arpents parabolistes (sur la communication, sur l'aliénation des grandes villes moderne et tutti quanti) c'est aussi une formidable enquête sur les mots, sur leur origine et le fait qu'il faille parfois les regarder de biais pour ne pas oublier leur vrai sens.

24 mai 2016.- Temps maussade (16°C). Je ne sais plus écrire, les mots ne me viennent plus, j'ânonne sans plaisir. Les quelques lignes laborieuses qui suivent ne feront rien pour m'éloigner de cette impression. Fini l’Epépé de Ferenc Karinthy. Comme dans toutes les allégories vraiment réussies (Kafka, Swift, Orwell…) grande force de la simplicité. (On sent peut-être ce qui aura influencé Karinthy, un voyage au Japon et ses « villes fourmilières », le Printemps de Prague pour la dernière partie, mais ce ne sont que des facteurs déclenchants, le résultat confine à l'universel). Ne voulant pas trahir l’intrigue je ne recopierai pas le dernier paragraphe, sachez seulement que c'est une admirable porte de sortie.
Entamé Black Cherry Blues de James Lee Burke. C'est le troisième volume de la série Dave Robicheaux et l'on y est en terrain connu. As usual style un peu replet, mais le charme du bayou remonte un peu partout (pour tout dire, on se fiche un peu de l'intrigue).

25 mai 2016.- Encore des nuages, toujours des nuages ! (20°C). Black Cherry Blues. James Lee Burke passe de la Louisiane au Montana, les paysages sont jolis, l’intrigue est filandreuse et il y a une scène de sexe un peu ridicule (Comme chez Michael Connelly). Bref le train-train et tout de même un peu de plaisir à prendre sous les nuages.

27 mai 2016.- Temps magnifique, tiédeur inespérée (28°C). Profitant du beau temps je me suis risqué dans les extérieurs. 10km de psychogéographie en bord de fleuve où j'ai croisé une carpe, deux trois oiseaux, de rares retraités cheminant à leur rythme, quelques « marginaux » à chien sympathique, mais pouilleux, beaucoup de cyclistes et rollers putrides en douceur, et la ville là une cargaison de « jeunes » hagards buvant bières chaudes et fumant cigarettes suspectes à l'ombre des ponts. Hier la météo étant moins favorable, mais quand même agréable j'avais visité le Musée du cinéma qui occupe les deux premiers étages de la Villa Lumière (ma ville est celle où le cinéma aurait été inventé). Musée un peu vieillot, mais visite finalement émouvante. Sur le retour croisé la queue de comète d'une manifestation « anti loi travail ». Des cégétistes bedonnants, d'autres moins avec un regard très concerné, une végétarienne égarée et une belle quantité de traces de peinture sur la devanture des établissements financiers offerts à la vindicte du monôme. Jet d'eau en main quelques laconiques fils d'immigrés troisième génération commençaient à les effacer.
Du côté des livres toujours chez James Lee Burke. Polar bayou qui vire Montana. Robicheaux est un drôle de gars sur qui tous les malheurs du Monde ne cessent de choir. On peut l'aimer pour ça.

28 mai 2016.- Beau temps, mais orageux en fin de journée (26°C). Fini le bouquin de James Lee Burke qui m'a apporté tout ce que j'attendais de lui. Dans la foulée commencé Broadway mon village quelques nouvelles de Damon Runyon. Voilà un écrivain qui est tout à fait inconnu chez nous et qui selon R.N. Raimbault, préfacier et traducteur, serait très apprécié de l'américain moyen (tout du moins le 3 novembre 1949, date à laquelle mon volume a été imprimé). Parcours atypique, engagé volontaire à l'âge de 14 ans pendant la guerre hispano-américaine , éleveur de chevaux, patron d'une équipe de base-ball, reporter dans de petites feuilles locales, poète, chroniqueur, nouvelliste, auteur dramatique, producteur de films, star de la presse Hearst et écrivain universel. Bref le parcours habituel de l'homme de lettres américain (ou presque). Les deux nouvelles que j'ai eu l’opportunité de lire aujourd’hui étaient très à mon goût : beaucoup d'humour, de l'affection pour le petit peuple de Broadway et un style diablement décontracté (la traduction?)

29 mai 2016.- Averses (19°C). Three stories of Damon Runyon, nothing else.

30 mai 2016.- Météo sinistre, pluie, vent, que de l’abominable (15°C). Lu trois histoires de Damon Runyon, Broadway l'interlope, ses mafieux, bookmakers et actrices légères. On pourrait penser à une version américaine de Flann O'Brien, même drôlerie et des chausses trappes stylistiques qui pointent un peu partout bien malgré la traduction. Otherwise retour dans le toujours passionnant Journal de Maurice Garçon. « Rafle du Vél d'Hiv », sabordage de la flotte à Toulon, opportun assassinat de l'Amiral Darlan. L’Algérie est presque déjà libre. Au-delà de l'histoire en marche, le petit monde littéraire, ses compromissions et quelques beaux portraits : «  Mauriac est venu dîner – il rayonne. Ce grand bonhomme au visage triste, et dont la petite tête d'oiseau semble souvent revenir d'un enterrement était éclatant de bonheur… »

2 juin 2016.- Pluie diluvienne (17°C). Cette météo abominable nous laissant cois et sans dopamine il nous faudrait trouver refuge dans quelques menues lectures un brin solaires chose que nous ne ferons pas, car voyez-vous il faut savoir rester ton sur ton. Ainsi aujourd'hui nous avons arpenté les Cahiers d'un Cioran toujours un poil acrimonieux : « Mon plus grand plaisir serait de pouvoir casser la gueule à qui je veux. Il est tout à fait malsain de refréner les impulsions qui exigent de nous la suppression de ceux que nous exécrons».

3 juin 2016.- Inondations. A Paris on a fermé Orsay et le Louvre ressemble à un immense paquebot échoué. Ici journée sans pluie, ce qui tient du miracle il faut bien l'avouer (17°C). Back in Stendhal diary. Le 8 septembre 1811, l'ami Beyle entre une nouvelle fois dans Milan. Son cœur est plein de délices, il est sur le point de pleurer. Voilà une ville où l'art de jouir de la vie’ l'arte de godere, lui parait avoir deux siècles d'en avant de Paris :《on a besoin d'heureux pour être heureux jusque dans les les plus petites choses, comme je crois qu'on peut l'être dans ce pays…》

4 juin 2016.- Belles éclaircies (21°C) Quelques difficultés à pouvoir lire en outdoor. Conditions métrologiques finalement assez favorables, mais présence trop prégnante du voisinage. D'un côté une famille plus nombreuse que de raison, ce qui ne serait pas trop grave s'il elle n'était pas bruyante et assaisonnée d'un marmot en bas âge, de l'autre côté une mère vaguement célibataire incapable de vivre sans petite musique dans les rideaux. Dans mon malheur je n'aurais pas eu à subir les vrombissements d'un rap revendicatif puisque cette voisine-là se trouve être amatrice de machins musicaux middle of the road oscillants entre la fin des années soixante-dix et le début des années quatre-vingt (Supertramp, Eagles, Billy Joel… ce genre de choses pas vraiment déshonorantes). C'est donc entre les piaillements babilatoires d'un mouflet patibulaire et quelques scories sonores middle of the road que j'ai poursuivi la lecture de Broadway Mon Village de Damon Runyon. Certaines histoires n'en valent pas d'autres, mais le spicilège est souvent cocasse et même parfois curieusement émouvant. Les nuages en plus grand nombre et mes voisins de facto moins bruyants j'ai poursuivi mes pérégrinations lectorales en rouvrant le Journal de Stendhal. L'Italie y est toujours ce pays où les habitants ont « mille fois moins, infiniment moins de vanité, plus d’amour pour le plaisir et plus de sensibilité pour le goûter. » Mort de Mohamed Ali, indubitablement le plus grand : « Attendez que je botte le cul de George Foreman. Ses poings ne peuvent pas toucher ce que ses yeux ne voient pas. Là, tu me vois, là tu ne me vois pas. George croit qu'il peut, mais je sais qu'il ne peut pas. Je me suis déjà battu contre un alligator, j'ai déjà lutté avec une baleine. La semaine dernière, j'ai tué un rocher, blessé une pierre, et envoyé une brique à l'hôpital. Je suis tellement méchant, je rends la médecine malade ».

3.


5 juin 2016.- Deux soleillées, timides consolations au milieu d'un ciel maussade (20°C). Conditions lectorales déplorables, le Voisin toujours. Fini les courtes histoires de Damon Runyon, pas extraordinaires, mais en définitive pas si mauvaises que ça. Encore dans le Journal de Maurice Garçon que je picore à petites becquetées. Pour la suite de mes pérégrinations livresques, j'hésite entre plusieurs choses : Le Pleure-misère de Flann O'Brien, L’Art de la contradiction de Jean Paulhan (volume II de ses œuvres complètes), 50 ans d'occupation pavé guitryesque chez Ommnibus…

6 juin 2016.- Presque beau temps et quasi-tiédeur, tout cela tenant du miracle (27°C). Grosse fatigue, physique et presque plus encore morale. Je me délite à petit feu. Picoré faiblement dans les 50 ans d'Occupations de l'ami Guitry, belle collection de portraits, celui d'Alphonse Allais n'étant pas le moins émouvant : «  Et nous qui l'adorons comme un maître éprouverons une joie émue et orgueilleuse, le jour où dans la bibliothèque d'un savant ou dans celle d'un philosophe, nous verrons l’œuvre complète d'Alphonse Allais à côté de Rabelais, tout près de Dickens et pas bien loin de Cervantès. Voilà mon très cher ami, ce que je leur dirai. Je vous adresse un tendre et suprême adieu… »

7 juin 2016.- Ciel partiellement ensoleillé (28°C)
« Je connaissais enfin une nouvelle espèce d’amitié, qui n’est point basée sur des goûts communs, et une espèce de passion de laquelle le désir n’est qu’un des éléments. Un sentiment non explicable en mots humains, et que je m’apprêtais en vain à traduire en un poème. Je commençais :
Tais-toi. N’explique rien : Tais-toi… J’ai suivi le conseil… J’ai connu l’irrésistible puissance de la douceur… Et j’ai appris à manger les oranges d’une certaine façon… » (Valery Larbaud, A.O. Barnabooth)

Nothing else.

9 juin 2016.- Beau temps ou approchant (25°C). Je tangue au son d'une barcarolle basculatoire, le soleil est là, ma conscience s'envole en heureuses fumerolles. Le monde devra faire sans moi.
Slight return in Cioran Notebooks : « être un fanatique du laconisme, et vouloir gagner sa vie comme écrivain ». Rien (ou presque) : Aujourd’hui c'est le silencieux, le quasi invisible qui dérange. Faites du bruit, agitez les bras en tous sens, brassez des « idées » tapageuses et vous ne dérangerez personne.

10 juin 2016.- Matinée splendide suivie d'une lente et sournoise dégradation (25°C) Un peu de mal à vouloir entrer dans le Pleure Misère que j'entame avec une appétence un brin circonspecte (il faut dire que le volume est édité à la diable).

Le championnat d'europe de balle au pied commence avec une rencontre France - Roumanie que j'envisage très bien :
« - Les autres lieux de votre enfance revêtent-ils aussi une signification à part?
- Oui, en particulier le cimetière. Le fossoyeur était mon ami. C'était un homme très sympathique et il savait que mon plus grand plaisir était de recevoir des crânes. Lorsqu'il enterrait quelqu'un, j'accourais pour voir s'il ne pouvait pas m'en donner un.
- Pourquoi cette attirance pour les crânes?
- Ce qui me plaisait, c'était… c'était de jouer au football avec. J'avais un faible pour les crânes. Aussi, j'aimais bien voir le fossoyeur les déterrer.
- Était-ce un plaisir morbide ou un jeu innocent?
- Les deux, je crois. En tout cas, j'aimais jouer au football. Je me souviens, quand je suivais des yeux le crâne qui tournoyait en l'air et que je me précipitais pour l'attraper… C'était plutôt un sport naïf. Je savais qu'il n'était pas permis de jouer au foot avec des crânes, j'étais bien conscient qu'il s'agissait d'une chose anormale. D'ailleurs, je n'en parlais à personne. Pourtant, cela ne relevait pas d'un sentiment morbide, mais procédait plutôt d'une sorte de familiarité avec l'univers de la mort; il y avait la proximité du cimetière, les enterrements…» (Cioran, toujours).

11 juin 2016.- Des nuages, trop de nuages (24°C). Journée un peu « saisie » par quelques retransmissions télévisées sportives. Finalement assez peu de temps consacré aux livres, mais j'ai toutefois constaté que dans le Pleure Misère on mange beaucoup de pommes de terre, on boit de l'eau de pluie et les cochons portent des culottes fort saillantes, c'est déjà ça.

12 juin 2016.- Ciel changeant, belles éclaircies (23°C). Fini le Pleure misère sans jamais être vraiment entré dedans. Je vois bien les qualités, il y a des paragraphes formidables, mais je m'y suis globalement ennuyé. J'ai l'intuition que la « singularité » s’évapore beaucoup dans la traduction (malgré le talent du traducteur). J'ai aussi l'impression que l'humour un poil parabolistique de l'ami O'Brien n'est pas vraiment à mon goût. C'est certainement dommage, mais c'est ainsi.


To be continued.



jeudi 1 septembre 2016