lundi 25 janvier 2016

Psychogeographie indoor (65)






« Convaincre est infécond. » (Walter Benjamin)


1.

15 octobre 2015.- Ciel gris suicide, froideur indécente (4°C) Cahiers de l'Herne Cioran : la compagne de Cioran s'appelait Simone Boué, elle fut retrouvée morte noyée au pied d'une falaise, cela ne s'invente pas. Notre Alpin quotidien : Moullet parle technique et popote, jugez sur pièce : « Parler,oui, mais du film. De la pluie et du beau temps, en alternative. Surtout ne pas parler à l'électricien sans passer par le chef opérateur : attention au court-circuit ! Il y a un ordre à respecter. Le réalisateur peut en revanche avoir une conversation intime ou des rapports sexuels, pour certains, avec l'assistant opèrateur. Mais il ne doit absolument pas parler de travail. Sauf en cas de problème technique urgent…»

16 octobre 2015.- Petit vent aigrelet, simili froideur, l’automne est bien plantée (6°C). Cahiers de l'Herne, bel entretien entre Laurence Tacou et un Émil Cioran qui serait prête à trucider « tout le monde » s'il en avait le loisir. Il n'est pas le seul, moi-même j'ai parfois quelques capricieuses envies homicides que je réprime tant bien que mal : «  Vous savez, au fond, dans mon cas, je n’ai pas beaucoup écrit parce que je suis assez paresseux ; parce que je trouve qu’il ne faut pas trop écrire ; mais quand j’ai écrit, tout ce que j’ai fait, a correspondu à une nécessité intérieure. Ça peut être une vengeance. On écrit très souvent pour ne pas casser la gueule à quelqu’un. On en fait un portrait en trois lignes. On satisfait un besoin, parfois profond, parfois immédiat. C’est au lecteur de sentir ce qui est vraiment pensé, réelle conviction ou jeu intellectuel. Évidemment on ne peut pas dire à chaque fin de phrase, c’est sérieux ou ça ne l’est pas. Quand j’ai écrit cette phrase à propos de « tuer les gens », cela correspondait à une sensation très forte… Et pourquoi dit-on ce genre de choses ? Parce que la seule façon de se débarrasser d’obsessions et de caprices aussi, c’est de les écrire ».

17 octobre 2015.- Le soleil d’automne donnant sur un bel ensemble de feuilles cuivrées voila un drôle d'halo mordoré (14°C). Ce « journal de lecture » ne me demande pas plus de dix minutes de travail quotidien. Disons que chez moi, il y a essentiellement maturation et que le travail se fait ensuite naturellement, très vite et presque tout seul. J'ai pas exemple songé à ces quelques lignes tout en faisant la vaisselle. Fini les Poèmes bleus de Perros. Admirables en tous points. Des poèmes où les morts font la planche dans éternelle endimanché, des vers de travers où le biographique point à tous crains : la Bretagne, la moto de Perros, sa femme, son fils… De la simplicité surtout, une simplicité magnifique : Sur cette terre qui n’en peut plus/Qui geint/Qui est malade de partout /Qui va bien sauter un de ces jours /Quand on est à bout on se suicide /Les hommes meurent de plus en plus gaiement /Comme s’ils lançaient un à la vôtre /Aux malheureux qui restent. 

Perros encore sur mon épaule je commence la lecture des Déjeuners au soleil, de Léon Paul Fargue. C'est un assez court spicilège paru dans la collection l’Imaginaire. Il y est pour l'instant question d'un Paris d'un autre temps, celui du début du siècle dernier, de ses tramways débutants, de ses fiacres homicides, de ses petits métiers qui n'existent plus. Inutile de préciser que le tout (sur le tout) est délicieux. Fargue est des nôtres.

19 octobre 2015.- Beau temps frais (11°C). Apathique et las, incapable de lire plus de dix pages sans perdre le fil de ma pelote je me suis contenté de quelques fragments (Thomas Bernhard ne lisait que de cette façon-là). Butiné de Léon-Paul Fargue à Cioran, de Cioran à Jules Renard, de Jules Renard à Joseph Joubert. Ce dernier ayant tout pour lui je me permets de le recopier benoîtement tout en le tamponnant à l'unisson : « Les pensées qui nous viennent valent mieux que celles que nous trouvons. Elles naissent sous nos pas, pendant le chemin de la vie, comme ces sources qu’en pressant la terre le pied fait jaillir, sans qu’on y songe. »


23 octobre 2015.- Ciel maussade, quelques gouttes de pluie (13°C). Travaillé nuitamment fatigue. Cela ne ma pas empêché d'entamer le replet pavé biographique qu'Antoine de Baecque (et Noël Herpe) consacre à Éric Rohmer. Lu cent cinquante pages pour l'instant très bien. Après ses deux tomes consacrés aux Cahiers du Cinéma, ses biographies de Truffaut et Godard, voilà une quasi même histoire racontée sous un autre biais, dans un angle différent, celui de Maurice Schérer « grand Momo » ultra sérieux, natif de Tulle et futur ogre papillonnant au milieu d'un parterre de jeunes filles en fleurs. On croise tout le monde, le cinéphile en chef Bazin, la bande des « jeunes turcs », Truffaut, Godard, Chabrol… Paul Gegauff… surtout Paul Gegauff. Tous ces gens-là ne sont pas forcement recommandable. C'est fou comme les gens forcement peu recommandables peuvent produire de belles choses. 

Je me suis longtemps méfié de Cioran, je ne voyais en lui que le chantre facile d'un pessimisme fatiguant… et puis j'ai ouvert ses Cahiers : « Toutes mes contradictions viennent de ce qu'on ne peut aimer la vie plus que je ne l'aime, ni ressentir en même temps et d'une manière presque ininterrompue un sentiment d'inappartenance, d'exil et d'abandon ».


24 octobre 2015.- Grisaille et douceur torve (18°C). Je tiens à préciser que je n'aime guère « faire la vaisselle ». Allergique à la monstrueuse idée moderniste d'une machine qui pourrait accomplir cette tâche pour moi, il me faudrait donc dans l'absolu dégoter un petit personnel prévu à cet effet. Certes, je ne serais alors aucunement à l'abri de quelques encombrants amours ancillaires, mais mes assiettes, couverts et autres casseroles retrouveraient un éclat virginal sans effort superflu et l'essentiel serait sauvé. 

Rohmer, Biobaecque and Herpe. On n'apprend pas grand-chose sur la face intime du grand Momo. Épouse discrète, vie spartiate, il ne ne déjeune jamais, se contente de dîner, bois du thé et va à la messe tous les dimanches matin. Pour le reste bataille des Cahiers (du Cinéma), Jacques Rivette en Robespierre moderniste, Rohmer est débarqué, victime expiatoire d'une bataille qu'il n'aura pas su voir venir ( trop de désengagement). Refuge dans la télévision scolaire, nouvelle source de revenus et joli terrain d'expérimentation. En parallèle, premiers films tournés avec les moyens du bord, des bouts de lumignons et l'aide de quelques comparses fidèles. Création des Films du Losange, voilà la Collectionneuse et ses couleurs, Maud et son blanc et noir, j'en suis là.


25 octobre 2015.- Ciel bleu, douceur (19°C). Selon certains la biographie de Rohmer ne serait pas si bien que ça. On n'y aborderait pas assez la face intime, la vie privée, les rapports père-fils et notamment les rapports entre Rohmer et René Monzat. Je ne sais pas, j'ai des doutes, la « face intime» du grand Momo n'est peut-être pas si intéressante que ça après tout. La façon dont il a bien pu pratiquer sa petite industrie l'est peut-être plus. Quant aux rapports avec son fils un peu connu j'ai la tentation pifométrique de croire qu'il faudrait peut-être les aborder pas le côté fils père. Je propose donc qu'une bonne âme se dévoue pour écrive la biographie de René Monzat, ce grand homme concerné. 

J'ai pour ma part trouvé très bien les pages consacrées au doux et long ogre Rohmer virevoltant autour de ses fausses fiancées : Haydée Politoff, Laurence de Monaghan ou Béatrice Romand. J'ai la faiblesse de penser qu'il y a là un peu d’intime…

26 octobre 2015.- Beau temps, douceur (20°C). À son mitan la biographie d'Éric Rohmer oublie la chronologie, nous voilà un peu égarés et pour tout dire assez ennuyés. Nothing else.

27 octobre 2015.- Ciel globalement nuageux (18°C). Too tired for anything. We need to know not to work.

29 octobre 2015.- Ciel dégagé (14°C). Grosse fatigue, rien pour moi. Rohmer bio entre deux crises de narcolepsie… Magazine Litteraire que je feuillette sans grande conviction, une belle interview de Claudio Magris: « On éprouve une sorte de mélancolie à se mettre à distance de la vie, à rester en dehors. Thomas Mann y a réfléchi avec beaucoup d’intensité. Je me souviens d’une question formidable que m’avait posée une étudiante chinoise : “Qu’est-ce qu’on perd en écrivant ?“». Il faudrait que je lise l'autobiographie de Mark Twain, on me la recommande. Pour le reste en fermant mes volets précocement j'ai vu passer un jogger quinquagénaire portant une avantageuse petite lampe frontale, la nuit tombe décidément bien ces temps-ci 

31 octobre 2015.- Ciel bleu et feuilles mordorées, douceur hors de propos (20°C). Irrésistible retour de ma voisine bricoleuse. C'est donc entre deux coups de marteau que j'ai poursuivi la lecture de la biographie d’Éric Rohmer. Comme évoqué il y a quelques jours, peu de choses sur la vie privée du « grand Momo », on imagine un beau calme conjugal, le bonheur n'a pas d'histoire, mais beaucoup plus sur la genèse de ses films, sur les acteurs et surtout les actrices avec lesquels il aura travaillé, Amanda, Arielle, Beatrice, Pascale, Sophie… L’évocation des Nuits de la pleine lune ma fait remonter une belle pelote d'émotion au fond de la gorge. C'est un peu le film de ma génération, la mort de Pascale Ogier était assez idiote et injuste, le malheur est plein d'histoire…


1 novembre 2015.- Beau temps doux presque indécent en ce jour des morts (19°C). Rohmer et le théâtre, Rohmer et la musique, Rohmer et l'architecture, Rohmer et l'absence de mélange, le Rohmer « privé » très traditionaliste qui point chez le Rohmer public cinéaste « neutre ». Essentiellement Rohmer et les jeunes filles, Rohmer et… 

L’occasion faisant le larron revu La femme de l'aviateur : Hitchcock (lo-fi) chez Musset ou l’inverse. Trépidante poursuite et carte du tendre. Film de demi-saison toujours rose drôle et émouvant. Anne-Laure Meury géniale en prototype dombaslien (je l’aime, on ne peut que l’aimer… toujours), Philippe Marlaud fantôme touchant, forcement, touchant (je l’aime aussi, j’aime les fantômes…) P.-S. Les montées d’escaliers sont de chez Murnau.

2 novembre 2015.- Brume matinale, ciel dégagé par la suite (17°C). La nuit tombe trop tôt et le temps passe trop vite. Je n'aurais jamais le temps nécessaire pour lire tous les livres qu'il me faudrait lire pour être en accord avec mes désirs. C'est certainement pourquoi il m'arrive de tituber d'un volume l'autre. Tenez aujourd’hui je me suis contenté de picorer quelques phrases chez Léon Paul Fargue (sur le tabac) et d'autres chez Joseph Joubert. Je me permets de citer le second, il ne déçoit jamais et ses pensées sont le plus souvent concordantes avec les miennes : « Le génie commence les beaux ouvrages, mais le travail seul les achève. », ou encore :  « L'oisiveté est nécessaire aux esprits, aussi bien que le travail. On se ruine l'esprit à trop écrire ; on se rouille à n'écrire pas ».


3 novembre 2015.- Brume, soleil, nuit précoce (16°C) Not in the mood, too much labour, tired. Thoughts of Joubert yet : « Ce ne serait peut-être pas un conseil peu important à donner aux écrivains, que celui-ci : n’écrivez jamais rien qui ne vous fasse un grand plaisir ; l’émotion se propage aisément de l’écrivain au lecteur. » 

Rien (ou presque) : La nuit tombe bien vite, les temps sont moroses. Je bois mon Darjeeling avec circonspection.

5 novembre 2015.- Labeur. Douceur (20°C). Grosse fatigue. Le temps passe, on laisse passer…

6 novembre 2015.- Brumes matinales puis un ciel bleu et une étonnante douceur (21°C). Le labeur me laissant bientôt quelques jours de répit, je pense entamer le Stechlin de Theodor Fontane. Le volume est certes replet, mais on m'en dit le plus grand bien. En attendant, je suis toujours plongé dans la biographie d'Éric Rohmer. Elle s'éternise mollement, traîne dans l'analyse de film, oublie un peu l'homme et tournicote trop autour de l’œuvre en marche, c'est dommage pour biographie (qui commençais bien). Pour finir, et histoire d'accompagner mon Darjeeling du soir, une chronique de Bernard Frank : Sagan, Proust, Flaubert… la correspondance des deux derniers, la beauté garçonne de la première, on imagine Frank presque amoureux de tout ça.


7 novembre 2015.- Soleil (trop bas) et douceur (mièvre), à quoi cela rime-t-il en cette saison ? (21°C) Rohmer et Schérer ne font plus qu'un sur leur lit de mort commun, la biographie de Rohmer est finie. Me voilà avec l'envie de voir ses derniers films que j'ai évités comme j'évite le cinéma depuis bientôt vingt ans. 

Un peu des Déjeuners de soleil de Fargue, presque rien d'autre, mauvaise humeur.


2.


8 novembre 2015.- Du printemps sur du mordoré, drôle de temps (21°C). Largement croqué dans Le serpent à sornettes de Roger Price, vrai délice nonsensique à ranger de biais entre Benchley, les Marx Brothers et Will Cuppy. Price y invente l'évitisme une théorie optimiste conçue pour sauver l’homme moderne de lui-même . Rien de bien compliqué, le principe de l’Évitisme est simple : un Évitiste évite les choses, tout simplement : « Il les évite, car le non-évitement conduit à l’implication, source de tous les problèmes de l’homme. ». Tout cela est foutrement limpide et de surcroît très bien expliqué avec moult croquis hautement croquignolets. On lit Price avec un sourire au coin du nez tout juste dérangé par quelques hoquets d'hilarité sautillante : « Né avec un seul œil au milieu du front, Stanley connut une petite enfance difficile. Sa mère, déboussolée par toute l’affaire, n’arrêtait pas de lui fourrer du linge sale dans la bouche, car elle le prenait pour une machine à laver ».

9 novembre 2015.- Toujours ce beau temps incongru (19°C). Je regarde mon plafond puis l'angle droit de l'une de mes fenêtres. Le bruit sec et régulier produit par l'une de mes pendules me rappelle que le présent n'est qu'un perpétuel devenir. Il est bien possible que je sois un peu morose. Je n'ai rien lu aujourd'hui.

10 novembre 2015.- Ciel gris-bleu (18°C). Et revoilà les petits tracas de l’existence ! Ce matin j'ai été réveillé par des bruits pour le moins massifs et inquiétants provenant de l'extérieur. Ouvrant tant bien que mal mes volets je me suis retrouvé le nez posé devant un chantier public improvisé devant mes fenêtres. Il y avait là quelques ouvriers pittoresques en gilets orange, moult outillages sonores parmi lesquels j'ai cru distinguer une pelleteuse et déjà, creusé à même la chaussée, une bien large tranchée. À bien y regarder et après une courte investigation, je pense que ce barouf tout autant matinal que machiniste avait pour but l'enfouissement de deux trois menus câbles électriques qu'une bonne âme aura jugé inesthétique, car suspendus aux façades des immeubles de ma rue. Au diable les bonnes âmes et l'esthétisme ! J'avais devant moi quelques jours de congé que je destinais à la lecture du Stechlin de Theodor Fontane et me voilà comme emprisonné entre décibels et tremblements. Agacé, mais ne perdant pas le Nord, j'aime choisir mes prisons, j'ai, après mon croissant du matin, enfoui deux boules Quies dans les organes me servant à capter le son et j'ai pris la ferme décision de lire malgré l'adversité environnante. Bien m'en a pris, j'ai fini le petit livre drolatique de Roger Price qui est vraiment délicieux, je le recommande chaudement, puis j'ai courageusement entrepris la lecture du Stechlin de ce bon vieux Fontane. L'entame est très bien, presque délicieuse elle aussi. Mon canapé vibre un tantinet, mais je suis tout de même en bord de Stechlin, ce lac étrange, parfois miraculeux qui quand un volcan se met en éruption dans le monde commence à bouillonner inconsidérément, qui quand une révolution se prépare en sourdine voit un large jet d'eau lui monter en plein cœur. Sur le bord du Stechlin vivent un vieux baron, son fils et quelques quidams qui passent leur temps à discuter finement entre deux repas à base de gibier. Il y a, pour l'instant, beaucoup de choses sautillantes dans ce roman, une extrême finesse, une attention drolatique aux choses et aux gens, de la bonté, oui de la bonté, la bonté se trouve plus souvent dans mes livres que dans les travaux publics : « “La situation prime le style ” aujourd'hui on choisit toujours les endroits les plus laids. Le Moyen Age ignorait les lunettes, mais on y voyait mieux ».

11 novembre 2015.- Brume puis soleil, moins de douceur (16°C). Fait un tour chez les bouquinistes. Pêche aléatoire, mais raisonnable, acquis huit volumes pour 14 €. Du mitteleuropéen : L'élève de Joyce de Drago Jancar, Sur les bords de l'Issa de Czeslaw Milosz ; de l'anglais sautillant : Le cher disparu d'Evelyn Waugh ; de l'américain oublié : Les Aventures de Wesley Jackson de William Saroyan, de l'américain expatrié : Le Journal (1943-1945) de Julien Green ; du belge éthylique : Cavale de Jean Claude Pirotte ; du lyonnais médicinal : Les passants de Jacques Chauviré ; pour agrémenter le tout d'une petite touche musicale un biographie de Lester Young par Alain Gerber. Ces sept volumes s'empilent sur la trentaine déjà en attente. Où trouver le temps pour lire tout ça ? En attendant, j'ai trouvé deux heures pour poursuivre le Stechlin de Fontane. Roman charmant, rempli de discussions spirituelles et de méfiance face au monde en marche.

12 novembre 2015.- Brume et frimas, nous y voilà presque (10°C) Retour du chantier public évoqué il y a deux jours. Pelleteuses, marteaux piqueurs, gilets oranges et vogue la galère ! Je ne remercierais jamais assez la société Quies et ses fameuses boules de cire qui m'ont permis de poursuivre tant bien que mal la lecture du Stechlin de Fontane. J'ai failli choir de mon canapé deux trois fois, de larges plaques de goudron voltigeaient dans la rue, mais je suis tout de même parvenu à trouver un rythme de lecture acceptable. Résumons à gros traits : avancé du monde moderne, progression de la sociale démocratie, un court voyage à Londres, des fiançailles qui se préparent et toujours ce lac qui bouillonne.

13 novembre 2015.- Brume et froideur en amorce (9°C). Les travaux dans ma rue semblent du passé. Après un dernier coup de pelleteuse et une coulée de goudron tiède les ouvriers, j'ai constaté qu'ils avaient un fort accent lusitanien, m’ont tout l'air d'avoir remballé leur petit matériel. Qu'ils ne m'en veuillent pas, mais je ne les regretterais pas. En dehors de mes tracas quotidiens et s'agissant des livres il faut savoir que la fin du Stechlin est empreinte d'une tonalité douce amère assez formidable. Un vieux baron meurt et c'est comme si le 19e siècle tout entier mourait avec lui. Fontane peut s'en aller lui aussi, c'était son dernier livre, il a fait son travail : expliquer le monde par les sentiments, ce n'est pas rien. Par ailleurs sur les conseils avisés d'un ami tout autant impalpable que virtuel j'ai fait l’acquisition de quelques numéros de la revue Confluences (sur le site de la BNF Gallica). Cette revue lyonnaise dirigée par René Tavernier (le père de) était sous l'occupation une sorte de refuge pour les intellectuels de tous poils. Elle se définissait elle-même comme la « Revue de la Renaissance française » et il y avait un peu de ça. Aujourd’hui la « Renaissance française » est un peu loin et Confluence ressemble à une belle malle aux trésors d'où l'on peut ressortir les premiers textes de Paul Ricoeur, quelques notes de lectures par Joë Bousquet, de belles réflexions articulées par l’héroïque Jean Prévost, sur Valery Larbaud et l'exotisme, entre autres…


3.



15 novembre 2015.- Soleil (16°C). Massacres parisiens. Not in the mood. Interroge sur les états de mon cœur, à chaque aube, le vent /Pour être heureux, interroge-moi, qui suis triste /Dans le meurtre de l'innocent, il y aura un risque pour toi /Interroge tes yeux, ces magiciens. Rūmī (1207 – 1273)

17 novembre 2015.- Froideur matinale. Depuis vendredi dernier et les événements que l'on sait je n'y suis plus vraiment. Quasiment rien lu, une broutille de Bruno Schulz dans les Cahiers de L'herne consacré à l'ami Kafka, une histoire de Sidney Joseph Perelman qui m'a arraché un demi-sourire.


19 novembre 2015.- Météo indulgente, douceur tâtonnante (17°C). Étendu sur mon canapé en position horizontale de sécurité, je laisse affres et apeurements me passer au-dessus la tête. Il n'y aura pas eu de fusillade aujourd’hui. Nonobstant le cœur n'y était tout de même pas. Me levant un court instant, et de facto prenant quelques risques inconsidérés, rempoté quelques fleurs hivernales, des pensées, peut-être une forme d'exorcisme, allez savoir ?

20 novembre 2015.- Ciel maussade, la météorologie nationale annonce une baisse drastique des températures pour les jours qui viennent (18°C). Prise d'otage à Bamako, une semaine après les carnages parisiens, deux jours après le Fort Chabrol de Saint Denis. L’actualité est bien fatigante. Malgré tout trouvé quelques minutes pour lire une broutille de Léon-Paul Fargue consacrée au printemps, qui n'est pas de saison…


21 novembre 2015.- Chute vertigineuse de la température extérieure, giboulées glacées, nous y sommes (4°C). Guère d'entrain lectoral. Toujours dans les Déjeuners de soleil de Léon Paul Fargue, ouvrage où le charme pèse plus que le désuet. Fargue tournicote autour de quelques volatiles, des hiboux, des chats huant, deux trois grands-ducs, un cacatoès qui ressemble à un directeur de cirque anglais, un héron qui sent la chaussure de garnison. Ce petit monde à plumes vol tant bien que mal dans les cages du Jardin des plantes. En dehors de ses drôles d’oiseaux un peu cloitrés, Fargue croise quelques jeunes filles, elles sont une « nécessité cosmique », une loi de la nécessité animale, aussi puissante que la pesanteur, aussi indispensable que le sourire. Les jeunes hommes l'inquiètent beaucoup plus… il a bien raison. 

Et puis il y a Paris, Paris est une fête : « C’est, du Luxembourg aux Champs-Élysées, au Bois, le long des rues, et dans l’âme de chaque square, et partout, malgré les ténèbres de la guerre, un ballet de terrasses et de passants, une agitation discrète et joyeuse qui mêle balustrades et véhicules, bêtes et gens, dans un même tourbillon de générosité soudaine et de tendresse. Un bonheur nouveau se met à circuler dans les veines invisibles de la ville, comme un sang de poésie ».

22 novembre 2015.- Petite pluie glacée, appétence hivernale (4°C). Journée cotonneuse, de la buée sur mes vitres, un extérieur bien froid. Vague narcolepsie, longue sieste… Du côté des livres dans les Déjeuner de soleil il n'est jamais question de guerre, d'occupation allemande, le livre est pourtant paru en 1942. Il est seulement question d'une exposition de dessins d'enfants à la gloire du Marechal, rien d'autre. Paris est occupée mais c'est comme si elle ne l'était pas, est-ce un problème ? Peut-être, je ne sais pas. Il n'y a pas un si grand nombre d'écrivains résistants, après tout…


23 novembre 2015.- Ciel gelé, les nuages frissonnent (4°C). Joubert pense que pour certains écrivains rien ne se groupe, ne se drape et ne se dessine. Chez eux la page blanche n'est qu'une surface plane sur laquelle ils font rouler leurs mots. Fargue ne doit pas faire parti de cette bande d’écrivains là, dans ses poésies, les mots ne roulent pas vraiment, ils dégringolent plutôt : « Que je m'écroule, pauvre ossuaire qui s'éboule, ou pauvre sac d'outils dont la vie se débarrasse, d'un coup d'épaule, dans un coin… ». 

Nouvelles acquisitions : Broadway mon village (Damon Runyon), La promenade (Walser), Azur et L'honorable Monsieur Jacques (Dhôtel), Le Sentiment géographique (Michel Chaillou).

26 novembre 2015.- Nuages anthracite, vent mauvais (6°C) Tracas domestique et labeur. Rien lu depuis deux jours. On nous incite à vouloir agiter quelques drapeaux tricolores pour honorer les assassinés d'il y deux semaines, j'ai des doutes. Sur Internet vu la chambre verte de Serge Klarsfeld dédiée aux enfants de la déportation, larme à l'oeil, coeur serré…

28 novembre 2015.- Rares solleilées (5°C). Je relis La promenade de Robert Walser. C'est toujours ce petit texte merveilleux où les mots voltigent, font des cabrioles joyeuses tout en vous transportant de ravissement et d'enthousiasme. Pour Walser la promenade était indispensable, elle lui donnait la vivacité pour maintenir ses liens avec le monde. C'était « l’expérience sensible » sans laquelle il n'aurait jamais pu écrire. Il mourra lors de l'une de ses promenades, mais elles l'auront fait vivre à l'air libre : «  Sans la promenade et la vision de la nature qui s’y attache, sans cette information aussi plaisante qu’instructive, aussi rafraîchissante que constamment monitoire, je me sens comme perdu et je le suis en fait. C’est avec la plus grande attention et sollicitude que celui qui se promène doit étudier et observer la moindre petite chose vivante, que ce soit un enfant, un chien, un moucheron, un papillon, un moineau, un ver, une fleur, un homme, une maison, un arbre, une haie, un escargot, une souris, un nuage, une montagne, une feuille ou ne serait-ce qu’un misérable bout de papier froissé et jeté, où peut-être un gentil et bon petit écolier a tracé ses premières lettres maladroites. ».


To be continued.