dimanche 14 juin 2015

Psychogeographie indoor (59)



« On ne dit rien de neuf. On ne pense rien de neuf. Les mêmes conversations reviennent toujours. On sait déjà ce qu'on va répondre. Je me déplais à moi-même en voyant le petit cercle de pensées dans lequel je tourne. C'est de quoi se prendre en guignon, et je conçois qu'on peut former la résolution de ne plus proférer une parole. » (Charles-Joseph de Ligne)

1.

25 janvier 2015.- Froideur patibulaire, vent aigrelet (3 °C). Le Sollers romancier vaut ce qu'il vaut, le Sollers chroniqueur vaut bien plus qu'il n'y paraît. C'est pourquoi j'essaye de ne pas rater les replets spicilèges qu'il fait paraître de temps à autre. Le dernier en date a pour titre Littérature et politique et j'en commence dès aujourd'hui la lecture (avec une légère pointe d’inquiétude, ce sont de courtes chroniques initialement parues dans le Journal du dimanche.) Pour le reste, toujours dans les Greguerias de l'ami Ramon, je n'ai presque plus de Darjeeling Makaibari et je serais bientôt à court de mines 2 H.
Rien (ou presque) : L'un des plus grands miracles de l'amour c'est qu'il permet de créer une tachycardie frémissante et partagée par les deux êtres qui s'aiment (oh ! laissez-moi être sentimental, plein d'une sapidité de rose  !)

26 janvier 2015.- Neige fondue, rien de bien réjouissant (3°C). J'ouvre les Pensées de Joseph Joubert ; je ne suis pas déçu : «  Il est bon, il est beau que les pensées rayonnent ; mais il ne faut pas qu'elles étincellent, si ce n'est rarement. Qu'elles reluisent est le meilleur. »
Rien (ou presque) : Mon esprit s’égarant momentanément, me voilà libre et comme transporté de passion. Bienheureux état qui ne durera certainement pas puisque d’ores et déjà je sens tomber sur mes épaules le torve regard de la raison.

27 janvier 2015.- De belles éclaircies (5°C). Notre âme est si tendue qu'elle éclatera bien un jour en d’infimes écheveaux revêches .

Survivant de mon moi le plus renfrogné, j'irai vers les autres ; en rescapé.

Les remords sont la revanche de la conscience sur l’élan de l'instinct.

29 janvier 2015.- Des nuages, quelques averses, rien de réjouissant (6°C). Guère d’appétence léctorale. Dans les « papiers » politique de Philippe Sollers, mais pas plus que ça.
Rien (ou presque) : Neurasthénie et névrosisme, petit couple infernal.

30 janvier 2015.- Une armée de bourrasques glaciales, puis un ciel bleu, limpide et dégagé : une tranquillité de pierre (5°C). Le Monde que j'achète le vendredi pour son supplément littéraire et le feuilleton d'Eric Chevillard qui aujourd’hui évoquait Musil et la bêtise. Rien d'ontologiquement transcendant, mais deux belles citations, l'une de Cioran : «Le délicat qui raisonne ne peut se mesurer avec le béotien qui prie », l'autre de Musil : « Il n'est pas une seule pensée importante dont la bêtise ne sache aussitôt faire usage » Lire Max Blecher mort précocement en 1938, dans les pas de Kafka, Walser et Schultz.

Rien (ou presque) : Comme tout honnête homme, je travaille ma psychogéographie, en intérieur.

Je serai toujours étonné par les mécanismes de «bouc-émissairisation», c'est comme si j'observais une belle machine à faire tourner rond un semblant de « société ». En un sens une machine qui pourrait être admirable si elle n'était pas si sinistre et créatrice de lourds désagréments pour ses innocentes victimes.

Feindre une émotion ce n'est jamais trahir que le monde.

31 janvier 2015.- Un ciel gris, un ciel de pendaison (5°C). J’entame Villes bigrement exotiques. Crad Kilodney est bien le raciste, l’homophobe, le misogyne, le tout ce que vous voulez annoncé, mais il est aussi diablement drôle. Avec lui on sautille d'Oïmiakon en Sibérie (où les prostituées russes on de gros seins) à Nyala en Somalie (où les prostituées russes ont aussi de gros seins), de Kunduz en Afghanistan (où les prostituées russes ont encore de gros seins) à Pyongyang en Corée du Nord (où les autochtones sont toutes plates). À Filadelfia au Paraguay il y a des Allemands mennonites et d'autres Allemands « rescapés » du troisième Reich. Il y a aussi des femmes guaranis avec de gros seins, mais visiblement pas de prostituées russes. En le lisant, j’imagine aisément que feu Kilodney (il a cassé sa pipe assez récemment) n'était pas plus voyageur que moi et que ses voyages relèvent plus du phantasme ricanant que d'autre chose (Le livre parle plus de Toronto, du politiquement correct, du manque de gros seins et de prostituées russes que d'autre chose).
Rien (ou presque) : En jachère, j'attends mon heure tel le chiendent.

1 février 2015.-  Plafond nuageux court de jambes, morne plaine, l’hiver n’est décidément pas ma saison. Tout du moins cet hiver-là, j’imagine que des hivers boréaux auraient bien plus à m’apporter (3°C). Fini Villes bigrement exotiques, ce n’est pas un très grand livre, mais j’ai su l’apprécier à sa juste hauteur. Crad Kilodney tient assez bien ses promesses de loufoque réactionnaire (un Allais en pire?). Plus que des villes, des pays, dont il ignore visiblement à peu près tout, il défouraille sur tout ce qu’il estime être bien pensant : le personnel politique canadien de gauche, les personnalités d’Hollywood, les défenseurs de la cause animale (les recettes qu’il propose, par exemple le ragoût de lama, me semblent assez croquignolettes). On à le droit de trouver tout cela sautillant ou pas quant à moi je dois avouer m’être gondolé plus qu’à mon tour : « La première chose que les voyageurs veulent visiter, c’est le lieu de naissance d’Hô Chi Minh, dans le village de Kim Lien à quelque quatorze kilomètres de Vinh. Vous y verrez des jets d’eau multicolores autour de la statue d’Hô. Il tient deux enfants par la main, et un cocker est assis à ses pieds. La boutique vend toutes sortes de souvenirs d’Hô, et tous les employés sont amputés, alors si vous êtes de gauche, achetez tout ce que vous pouvez emporter ».

2 février 2015.- On annonçait des chutes de neige et je n’ai pas vu l’ombre d’un flocon. Non plutôt une journée vaguement agréable avec de vraies éclaircies sous une froideur de bon aloi (3°C). Assez désœuvré j’ouvre mon armoire à citation, dans un tiroir cette petite chose de Jean Genet;« Ne commets jamais de gestes sans beauté. On en souffre trop de vivre dans la laideur des gestes étriqués. » Dans un tiroir différent cette autre petite chose de Joseph Joubert : « Il est permis de s’écarter de la simplicité, lorsque cela est absolument nécessaire pour l’agrément et que la simplicité seule ne serait pas belle »  Rien (ou presque) : S’agissant des livres traduits d’une langue étrangère à la mienne, j’ai bien essayé de ne lire d’eux que les notes du traducteur en considérant le texte lui-même avec le dédain du cinéphile averti refusant le doublage, mais c’est une sorte de pis-aller un peu snob, ma lecture n’avance pas. N’étant pas plus germanophone que japonisant, je me suis donc fait une raison, tout en étant vaguement agacé je passe par la traduction : cette trahison nécessaire.
Burlesque et champêtre, du mécanique sur du bucolique.

3 février 2015.- Ciel pétrifié dans une gangue grisâtre, sans espoir de soleillées (1°C). Pour Pline l'ancien, que l’on a connu plus inspiré, le tigre était un animal languissant et tardigrade qui ne saisissait ses proies que par surprise tout en leur laissant une chance de s'échapper. Je connais deux,trois culs-de-jattes bengalis qui ne partagent pas le même avis.
Rien (ou presque) : Laissons s'agiter les activistes prudhommesques, l'indifférence est notre or.

4 février 2015.- Lire les mémoires de Cellini/Lire les pièces de Bernstein/Lire Tchekhov (Oncle Vania). Relire Tchekhov (la Cerisaie)/Lire Miklós Bánffy/Lire Jean Malaquais/Lire les Pléiades de l’affreux raciste Gobineau, c’est parait-il un livre charmant./Lire Maurice de Guérin (repéré chez Bachelard) : « Seul l’être livré à une rêverie toute pressante peut désirer se balancer, comme un sur-oiseau, à l’extrême cime du plus grand des arbres. »/Lire l’esthétique de la langue française de Remy de Gourmont./Lire Mecislas Goldberg (La Morale des lignes)/Lire Max Blecher/Lire le Cinéma muet avec battements de cœur de Dezső Kosztolányi /Lire les Chroniques d’un patachon de Pierre de Régnier /Lire Sein de Ràmon Gómez de la Serna/Lire le Journal de Voyage d’un philosophe de Keyserling/Lire le Journal de Philippe Jullian/Lire Marcel Conche, philosophe et diariste/Lire quelques suisses en bien : Francis Giauque, Crisinel, Schlunegger (tous suicidés)/Lire la Rose de Thuringe de Pierre Girard /Lire le Journal d’un mort de Marcel Béalu/Lire le piège de Bove/Lire Tragédie à l’Everest de Krakauer/Lire Scoop d'Evelyn Waugh/Lire l’Album d’un pessimiste d’Alphonse Rabbe/Lire La persuasion et la rhétorique et Carlo Michelstaedter/Lire Georges Fourest. croquignolet et rentier. Un autre Raymond Roussel ? /Lire Robert de Goulaine. Ami de Julien Gracq. Viticulteur, chasseur de papillons./Lire Mon plus calme visage ; et autres journaux de guerre de Raymond Dumay/Lire L’Inassouvissement de Stanislaw Ignacy Witkiewicz /Lire Manège des mélancolies d'Yves Martin /Lire Wanderer de Sterling Hayden/Lire le Nabokov « tardif », celui de la Transparence des choses et de Regarde, regarde les arlequins/Lire les journaux de Jacques Brenner et Mathieu Galey/Lire les Mémoires d’un touriste de l’ami Beyle/Relire De la connerie petit livre spirituel de Georges Picard (Chez Corti)/Lire Vincent La Soudière, poète suicidé, écrivain sans œuvre/Lire Vauvenargues : « Il faut avoir de l’âme pour avoir du goût »/Lire le Journal de Maine de Biran /Lire Chardonne, Vivre à Madère (livre de vieux, pour vieux ?)/Lire le Journal d'Odilon Redon (lire les peintres qui écrivent, lire les musiciens qui écrivent, lire les… ) /Relire Erik Satie parce qu’il est drôle comme un chapeau mou/Lire le très obsolète Gustav Kahn/Lire La Route interrompue de Patrick Leigh Fermor/Lire René Guénon (qui finira Égyptien)/Lire l’Autobiographie de Jung-Stilling et les Gens de Selwyla de Gottfried Keller, lire aussi les Conversations de Goethe avec Eckermann (Ces lectures sont recommandées par Nietzsche, ni plus, ni moins)/Lire Johann Joachim Winckelmann/Lire Les lois fondamentales de la stupidité humaine de Carlo M. Cipolla/Lire Seeland de Robert Walser/Lire Nescio (hollandais volant)/Lire Les aventures d'Augie March de Saul Bellow/Lire Le guide des chasseurs de nuages de Gavin Pretor Pinney /Lire Londres de Morand/Lire Epépé de Ferenc Karinthy/Lire de profundis Americæ d'Henri Thomas /Lire La Description du malheur : A propos de la littérature autrichienne de Sebald/Lire Kenneth White/Lire Le Miroir de l'âme de Lichtenberg/Lire La Vie et les Opinions de Tristram Shandy de Laurence Sterne/Lire Villes bigrement exotiques de Crad Kilodney/Lire Artistes sans oeuvres: I would prefer not to de Jean-Yves Jouannais/Lire Notes, ou, de la réconciliation non-prématurée de Ludwig Hohl/Lire Mémoires d'un vieux con de Roland Topor/Lire Tous cambrioleurs de P.G Wodehouse/Lire Le Murmure des vagues d'Eduard von Keyserling/Lire Une autre mer et Loin d'où de Claudio Magris/Lire L'art de Céline et son temps de Michel Bounan
/Lire L'oiseau Moquerie, Le aye-aye et moi et La forêt ivre de Gerald Durrell /Lire La Culture du narcissisme et L'homme assiégé de Christopher Lasch /Lire Les Coups de Jean Meckert /Lire Orwell ou l'horreur de la politique de Simon Leys/Lire 2666 et Les détectives sauvages de Roberto Bolaño/Lire Umberto d'Ernesto Saba/Lire La jeunesse de Theophile de Marcel Jouhandeau/Lire La rue profonde de Paul Gadenne /Lire La Tourmente de Vladimir Sorokine/Lire Le gang de la clef a molette d'Abbey Edward/Lire Le Schizo et les langues de Louis Wolfson/Lire La defaite de Pierre Minet/Lire La Victoire à l'ombre des ailes de Stanislas Rodanski/Lire Modernité viennoise et crises de l'identité de Jacques Le Rider /Lire Divorce à Buda de Sándor Márai /Lire L'enregistré de Christophe Tarkos /Lire Paradiso de José Lezama Lima /Lire Perrudja d'Hans Henny Jahnn /Lire Allemagne un voyage de Wolfgnang Büscher /Lire Raymond Guérin 1905-1955, 31 allées Damour de Jean Paul Kauffmann/Lire Le vaisseau des morts de B.Traven/Lire Le Réactionnaire Authentique de Nicolas Gomez Davila /Lire La vraie vie est ailleurs de Jean Forton/Lire L'Art de se promener de Karl Gottlob Schelle /Lire Place des angoisses de Jean Reverzy/Lire L'oeuvre d'art et ses significations d'Erwin Panofsky /Lire Moscou sur Vodka de Vénédict Erofeiev /Lire les Mémoires d'un gentilhomme corsaire d'Edward John Trelawney /Lire le Journal de Jean-Patrick Manchette/Lire Soleils brillants de la jeunesse de Denton Welch.



2.



5 février 2015.- Des flocons (0°C). Toujours chez Joubert : « Quand on écrit avec facilité, on croit toujours avoir plus de talent qu'on en a. Pour bien écrire, il faut une facilité naturelle et une difficulté acquise ». Un peu chez Kafka : « Dieu ne veut pas que j'écrive, mais moi, je dois. »
Rien (ou presque) : Je ne me lasse pas de tromper les attentes que l'on place en moi, c'est l'une de mes façons d'être libre. C'est pourquoi, je m'applique à rester décevant.


6 février 2015.- Triumvirat patibulaire : nuages, vent, froideur (1°C). Not in the mood. Lire William Gaddis (les Reconnaissantes, JR, Gothique charpentier). Compliqué paraît-il, trop compliqué pour être lu en traduction ?
Les théories de Renaud Camus ne m'inspirent qu'un ennui vaguement outré, cela ne m'empêche pas de reconnaître en lui l'écrivain conséquent. Ces quelques lignes repérées dans son journal d'hier me semblent par exemple tout à fait sautillantes : « Je suis toujours très étonné, mais je suis sans doute le dernier, que les gens se présentent devant leurs juges, comme aux messes d’enterrement, comme partout désormais, comme devant leurs classes, devant leurs patients, vêtus comme s’ils avaient l’intention de se livrer incontinent, dans leur garage, à des travaux de bricolage très salissants. Moyennant quoi, par réaction, je tombe dans l’excès inverse. » (Il comparaissait pour incitation à la haine raciale, ce qui n'est pas peu et peut-être vrai, mais en attendant le style est là).
Rien (ou presque) : Il est des jours où l'univers tout entier me saute sur les épaules Ma « légèreté naturelle » s'en trouve passablement contrariée.

7 février 2015.- Nuages, nuages… (2°C). Lymphatique, quasi endormi toute la journée. Entre deux narcolepsies tenaces deux éclairs un peu comateux, un bref retour dans les Essais de Philippe Muray. Il y était question de ce que devrait être un romancier (un type qui travaille les mœurs de son époque à larges coups de poing). Inévitablement beaucoup pensé à Michel Houellebecq et au « débat » autour de son dernier roman. Un autre bref retour, pas plus de quarante pages de Pierre Loti. Les pagodes d'or, évocation d'un court séjour qu'il fit à Rangoon en Birmanie. Petit ouvrage délicieux, plein de charme et d'ors coruscants ; on y croise de délicieuses autochtones, des groupes de lépreux, tout un monde… Pour finir cette phrase de Lautréamont que je tamponne tout à fait : « Lutter contre le mal est lui faire trop d’honneur ».
Rien (ou presque) : Contester c'est parfois mâchonner ses rancœurs. Je préfère m'abstenir avec pour moi l'avantage de l'élégance.

8 février 2015.- Violentes bourrasques, forcement moins de nuages (5°C). Oscillant entre deux Philippe, Muray et Sollers. Les « papiers politiques » de l'un, les « essais » de l'autre. Sollers commente l'actualité et s’égare là où il veut bien s'égarer : il parle de Loft Story (une émission de télé-réalité), évoque ses héroïnes Kenza et Loana, commente la destruction des Bouddhas géants de Bamiyan par les talibans, virevolte autour de Jean Paul II, fait aussi un peu le coq. Muray est beaucoup plus sérieux, il cherche des bébés à manger dans les traces de Swift, il évoque Céline (Muray est toujours très bon s'agissant de Céline), les hôpitaux et les fins de vies qui s'y trament (texte très émouvant).
Rien (ou presque) : L'engagement n'est rien, l’assaut quotidien, solitaire contre les normes changeantes de toute société est tout

9 février 2015.- Belle journée froidement ensoleillée (5°C). Lire Jean Pierre Georges, poète conséquent, pour preuve les trois petites choses sautillantes qui suivent : « On vise la réalité, et puis finalement on tire n'importe où » ; « le poisson rouge, à l'abri de deux fléaux majeurs : l'ennui et la rage de l’expression » ; « Aboie petit chien / dans la nuit aboie / bon petit chien de garde / garde bien tes maîtres / ta pâtée et les galaxies ». Nothing else.
Rien (ou presque) : J'ai un humour tellement subtil qu'il m'arrive de ne plus rire de moi-même.

10 février 2015.- Des Brumes matinales assez vite dissipées dans un beau ciel IKB délavé. Froideur, toujours (2°C). Muray, Sollers, Ràmon (Gómez de la Serna). Quelques notules, une notice explicative, deux formulaires professionnels, un article du monde. Rien d'autre.
Rien (ou presque) : Les tribuns sont toujours subordonnés par leur orgueil logorrhéique, leur morgue ergotante. Quant à moi je balbutie en public avec toute l'aptitude déclamatoire d'une rose effarouchée.

12 février 2015.- Soleil, étonnante douceur (15°C) Dans un entre deux livres assez problématique. Trop de choses à lire, mais incapable de choisir quoi lire, peur d'être déçu. En attendant j'exorcise dans du fragmenté, quelques articles de Philippe Muray, une chronique de Vialatte, trois pensées de Joesph Joubert, deux strips de Schulz.
Rien (ou presque) : Ma tour d'ivoire, mon éther.

13 février 2015.- Rares nuages, douceur (15°C). Lu le Monde des livres sans grande conviction. Chevillard égaré, menu guère affriolant. Plus convaincantes, plus affriolantes ces quelques lignes pêchées dans les Choses vues du grand Hugo (qu'il faut relire) : «  Dans le ciel tout est en suspens. Sur la terre tout se précipite. Différence qui contient tout le mystère. Là, tout se soutient ; ici, tout tombe. Sur le globe, la chute. Hors du globe, l'équilibre ».
Rien (ou presque) : La virtuosité est admirable lorsqu'elle est au service du minimum.
En avoir sous le pied, être dans une belle marge, voleter au dessus de sa propre technique, y a-t-il une plus belle façon d'être libre ?

14 février 2015.- Ciel changeant, averses et éclaircies parcimonieuses (10°C). J'entame le sixième épisode du Roman d'un crime de Maj Sjöwall et Per Wahlöö (Meurtre au Savoy). Qualités habituelles du couple mètre étalon du roman policier scandinave. Imbrications sociétales, détails procéduraux, humour un peu et puis des seins flasques, des fesses en gouttes d'huile, des toisons pubiennes abondantes, du tabac froid soit la routine de la charnière 60/70.
Rien (ou presque) : Je suis dans une forme paralympique.

15 février 2015.- Petite pluie glacée (5°C). Un excellent reportage du Monde consacré aux frères Kouachi (les tueurs de Charlie Hebdo). Orphelins rattrapés par les programmes sociaux éducatifs, jeunesse entre football et rap, petite délinquance, radicalisation fatale et cette conclusion :« Deux jeunes Français ordinaires qui ne savaient simplement pas quoi faire de leur vie »
Meurtre au Savoy de Sjöwall et Wahlöö. Que je lis avec un entrain modéré. Coupe transversale de la société suédoise, déliquescence des mœurs, affairisme et autres broutilles.
Rien (ou presque) : On s'ennuie de tout et même de l'ennui.

16 février 2015.- Nuages gris-jaune, semi-froideur (5°C). Trop saisi par les mornes vicissitudes du labeur faiblement rémunéré, fatigue, abattement, apathie frôlant l'adynamie. Rien lu ; une journée sans lecture est toujours une journée inutile.
Rien (ou presque) : Le galéopithèque est un petit mammifère originaire d’Asie du Sud-est doté d'une membrane judicieusement tendue entre pattes et queue qui lui permet de planer d’arbre en arbre. Vu de loin cette bestiole pourrait donc ressembler à un écureuil volant mais avec un corps de chat et une tête de petit chien, ce qui est bien curieux, il faut bien l'avouer.

17 février 2015.- Nuages (5°C). Vadrouillé dans un court opuscule compilatoire consacré aux « écrits critiques » de Louis Ferdinand Céline : Le Style contre les idées. Ensemble disparate, préfaces, postfaces, entretiens, lettres , mais une constatation qui lie le tout ; l'émotion est un socle : « Dans les Écritures, il est écrit : “Au commencement était le Verbe.” Non ! Au commencement était l'émotion. Le Verbe est venu ensuite pour remplacer l'émotion, comme le trot remplace le galop, alors que la loi naturelle du cheval est le galop ; on lui fait avoir le trot. On a sorti l'homme de la poésie émotive pour le faire entrer dans la dialectique, c'est-à-dire le bafouillage, n'est-ce pas ? »
Rien (ou presque) : Les insectes aux ailes membraneuses et à l'abdomen pédonculé sont souvent très organisés (Abeilles, guêpes, fourmis…) L’homme quant à lui agite les bras en tous sens, bombe le torse et improvise.

19 février 2015.- Soleil radieux, quasi-douceur (15°C). Un chapitre de Sjöwall et Wahlöö (beaucoup de trémas, des maris qui cognent leurs femmes, une femme qui estourbit son mari à grands coups de fer à repasser, une mère célibataire qui jette son bébé par la fenêtre…), une chronique de Bernard Frank (sur Sainte Beuve et ses « fameux » Lundi), trois éditoriaux de Phillipe Sollers (sur un peu tout : Bernadette Chirac, Jean Marie Le Pen et une sinistre élection présidentielle que l'on n’est pas prêt d'oublier…)
Pour le reste, j'ai parcouru ma bibliothèque d'un œil distrait et voilà qu’étonnamment trois volumes en sont ressortis : Diane Lanster de Jean Didier Wolfromm (classique mid-giscardien rudement attachant), Un jeune couple de Jean Louis Curtis (classique late-gaulliste assez relégué dans le goulag de ma mémoire) La culture des idées de Remy De Gourmont (classique « de chevet » et somme incontournable).
Rien (ou presque) : Le ciel a beau être bleu le catatonique reste écroulé en lui-même tel un prince inerte. Belle noblesse.

21 février 2015.- Flocons matinaux, froideur prognathe (2°C). On se perd parfois en lisant les romans de Sjöwall et Wahlöö ( beaucoup de trémas), il arrive toujours un moment où l'on confond un peu tout : les multiples et foisonnants policiers scandinaves (on se croirait un peu égaré dans un Guerre et paix criminel en bord de Baltique), les pays : la Suède, le Danemark, les villes : Stockholm, Malmö ou Copenhague… Bon j'ai fini Meurtre au Savoy dans un peu brillant demi-sommeil consécutif à une semaine de rude labeur, mais je me demande si c'est une raison valable pour autant me perdre.
Rien (ou presque) : Le grand défaut des autodidactes, en faire trop, vouloir prouver, une sorte de vengeance.



3.



22 février 2015.- Chape nuageuse, vent aigrelet, deux éclaircies. (3°C) Quand tout est déjà arrivé, trois courts récits par Julian Barnes. Les deux premiers aériens (Nadar et l'invention des clichés aérostatiques, Sarah Bernhardt, un tour de montgolfière avec un officier anglais), le troisième qui pourrait être une chute (vivre au-delà de la perte de l'être aimé ). Lu les deux premiers récits, de l'humour, de la précision historique, de l'aérien, mais pas plus que ça. J’imagine le dernier récit d'une altitude plus conséquente, on me l'annonce comme tel.
Pour le reste, et quant à la musique, ces quelques mots de l'amiral Nietzsche : « Je me pose la question : que veut donc de la musique mon corps tout entier ? Car il n'y a pas d'âme… c'est, je crois, son allégement ; comme si toutes les fonctions animales devaient être accélérées par des rythmes légers, hardis, turbulents ; comme si l'airain et le plomb de la vie devaient oublier leur pesanteur grâce à l'or, la tendresse et l'onctuosité des mélodies. Ma mélancolie veut se reposer dans les cachettes et les abîmes de la perfection ; voilà pourquoi j'ai besoin de musique. »

23 février 2015.- Quelques trouées bleues dans un ciel gris suicide (8°C). Dévitalisé par le labeur. Plus de souffle, plus d'inspiration, rien pour moi, rien pour les autres … Retour dans les Cahiers de Cioran : « Il est indécent de dire “je”, quand le “on” conviendrait beaucoup mieux. C'est possible, mais le “je” est tellement plus commode, plus agréable ! Hypocrisie de l’impersonnalité. Je ne suis pas né du côté de l'objet ».
Rien (ou presque) : Aux fanfaronnades, aux crâneries ventilées à tous les vents, je préfère le quant-à-moi et la circonspection, c'est ainsi.
Je suis donc du côté du moi nouménal, laissant le moi phénoménal aux extravertis.

24 février 2015.- Les giboulées sont là. Ma barbe pousse. Je faiblis (8°C). Sans rien à lire je deviens un lypémane maussade détrempé par son propre ennui. Nothing else.

26 février 2015.- Ciel gris-jaune, rien pour lui (8°C). Labeur, gonalgie, lombalgie. Peu d’appétence lectorale. Une chronique de Bernard Frank, deux de Sollers (tout deux assez petits-bourgeois). Quelques phrases de Cioran, le Journal de Stendhal ouvert au hasard. Le dimanche 8 septembre 1811 : « Mon cœur est plein. J'ai éprouvé hier soir et aujourd’hui des sentiments pleins de délices. Je suis sur le point de pleurer… »
Rien (ou presque) : L’âge aidant je ressemble de plus en plus à une œuvre d'Henry Moore. Un grand bonhomme de pierre. Cependant, le cœur bas encore.

27 février 2015.- Pluie glacée, neige ratée (5°C). Fini le court opuscule de Julian Barnes entamé la semaine dernière (Quand tout est déjà arrivé). Les deux premiers récits étaient assez « grande-presse » (pour ne pas dire petit-bourgeois)) le troisième est bien plus conséquent et en tous les cas très émouvant. Barnes évoque son épouse décédée, le travail du deuil, le fait de devoir vivre sans l'être aimé, ce genre de choses poignantes :« C'est ce que ne comprennent souvent pas ceux qui n'ont pas franchi le tropique du chagrin. Le fait que quelqu'un est mort peut signifier qu'il n'est pas en vie, mais ne signifie pas qu'il n'existe pas » Se souvenir d'Henry James et de son Autel des morts, de François Truffaut et de sa Chambre Verte.
J'ai mis de côté Céline depuis des lustres, par paresse, par commodité morale, par peur d'aimer ce que je devrais pas aimer, pas crainte de ne pas m'offusquer, je n'aurai pas dû. De lui je lis ce petit livre : Le Style contre les idées et je dois bien avouer qu'il crépite à tout va : « Mais non ! J’écris comme je parle, sans procédé, je vous prie de le croire. Je me donne du mal pour rendre le “parlé ” en “écrit ”, parce que le papier retient mal la parole, mais c’est tout. Point de tic ! Point de genre en cela ! De la condensation c’est tout. Je trouve quant à moi en ceci le seul mode d’expression possible pour l’émotion. Je ne veux pas narrer, je veux faire Ressentir. » Ou encore : «  Proust : remarquable, mais il vivait dans une famille de cliniciens. Il remarquait bien les gens. Bien, mais style lourd ! Architecture lourde. Puissant écrivain, il payait : snob, mondain… Joyce : observation proustienne, naturalisme, pointillisme, mais moins intéressant que Proust. Et puis c’est un Anglais ! »
Évidemment, il arrive toujours un moment où avec Céline les choses se gâtent : «  Le Nègre est anti-musicien, il est rythmé. J’ai vécu chez les anthropophages… une plantation de cacao. Chanter, pour un Nègre, est artificiel. Il aime jouer du tam-tam… le rythme. Avec nos sons, on les agace. » Achevé l'après-midi par lecture de quelques papiers de Jean Rolin. Guerres balkaniques, implosion soviétique et déjà cette forme d’islam intégriste qui rode en attendant son heure. Nous y sommes, les statues tombent.

28 février 2015.- Un ciel bleu mais pour rien. (7°C) Maussade. Journée sinistre. toujours dans Le style contre les idées, petit opuscule capricant. Céline son style machin-chouette et ses trois petits points…



To be continued