mardi 4 mars 2014

Psychogeographie indoor (47)



« Je reprends ma joie et mes ailes, et je vole à d’autres clartés ». (Joseph Joubert, Pensées)

1.


31 mai.- Crachin douteux, vent aigrelet, fraicheur hors de propos. (12°C) Malgré la météo douteuse, je sens que quelque chose de sympathique rôde autour de moi. D’ailleurs, voyez-vous là je sautille. C’est donc en sautillant que demain j’entamerai le nouveau livre de Denis Grozdanovitch La puissance discrète du hasard. Titre pelucheux, mais auteur que je tamponne tout à fait (je tamponne en sautillant). Un autodidacte érudit comme on en fait plus, loin de la lactescence, frôlant la TGL sans vraiment tomber dedans, un passeur surtout (L’époque manque de passeurs).

1 juin.- Sourde humidité, fraicheur corrélative. (14 °C) Hier soir « vie sociale » alcoolisée. Passé la journée confit dans un nimbe éthylique. Beaucoup de mollesse, peu d’enclin ontologique assez peu d’inclinaison lectorale. Tout de même, entamé La puissance discrète du hasard de Dénis Grozdanovitch. Pour l’instant joli bric-à-brac autour de la synchronicité et de la sérendipité (deux concepts philosophiques plus hasardeux que mon omoplate gauche). Plaisir de lire Grozdanovitch. Phrases coquettes et méandreuses, digressions sautillantes, citations à l’avenant. Cependant, le livre manque de liant, car certainement tissé à partir des carnets que le bonhomme « tient » depuis son adolescence.

Retrouvé une carte postale que l’un de mes arrières grands oncles avait envoyée à ma grand-mère. Elle est datée du 19/01/1943. Timbre à l’effigie du maréchal Pétain (1F20), Carte expédiée depuis la Poste Paris Sèvre Babylone (Rue Dupin). Il y est question des « calamités actuelles » et d’un gros bébé, mon père.

 
7 juin.- Soleil radieux, ciel IKB. (24°C) Semaine encombrée par de graves problèmes personnels (que je n’évoquerais pas). Rien lu, il arrive que les événements soient plus importants que la lecture elle-même.

 
8 juin.- Indécente masse nuageuse, quelques restes de tiédeur. (22°C) Toujours dans le beau coq à l’âne hasardeux de Denis Grozdanovitch. Éloge de la rêverie, de la flânerie, des femmes écrivains. Esprit scientifique rattrapé par la littérature, citations fleurissantes. Je laisse l’auteur se décrire lui-même, il le fait très bien pour moi : « Procédant par sauts et gambades selon la méthode du chien fureteur mentionné plus haut, accumulant en outre un bric-à-brac d’idées, d’anecdotes et d’impressions tout à fait comparable à celui du collectionneur invoqué par Julien Gracq, ce texte ne fait, je dois l’admettre, que me mener par le bout du nez. Je tiens toutefois, dans la mesure du possible, à rassurer celui qui aurait eu la constance de me suivre jusqu’ici en lui annonçant que, s’il arrive que je sois étourdi moi-même, je ne renonce pourtant pas à rejoindre un jour la destination finale de cette longue élucubration ! Devoir me ranger dans la catégorie des tristes soupe-tout-seul n’ayant jamais été pour moi une perceptive alléchante, j’ose espérer que le charmant éventuel lecteur fera l’effort de m’accompagner un tout petit peu encore… »

 
9 juin.- Nuages, nuages, nuages ! Un ciel céruléen, chaste de tous nuages, peut de temps à autre engendrer  un sourd ennui chez le quidam semi-estival. Cette une éventualité que l’on ne doit pas négliger même si elle devient plus rare qu’une truffe sous un noisetier. Un ciel inondé de nuages me semble bien pire, moins rare ces temps-ci et pour tout dire presque la norme de cet été qui commence. L’idéal est évidemment ailleurs entre les cumulus et les bleus saturés d’un ciel changeant, un ciel de possibilités. Cela dit une belle éclaircie, un beau corridor de lumière entre 15h50 et 16h05.           
Le petit livre de Denis Grozdanovitch n’est finalement pas si petit que ça. Il est même parfois plus ardu que petit, rempli de références philosophiques et d’esprit scientifique azimuté par la littérature. Disons que c’est un livre à tendance humoristique, mais enrobé de sérieux. Les thèses de Grozdanovitch conviendront parfaitement aux nostalgiques, aux insubordonnés ennuyés par les pentes tragiques de l’évolution, aux apolitiques doux. Les autres regarderont certainement dédaigneusement tout cela comme s’ils regardaient une petite collection d’idées obsolètes. Les autres auront tort, l’erreur c’est ce qu’est devenu le progrès (une modernité orwellisée).  
Entamé le Linguiste était presque parfait roman sautillant de David Carkeet. C’est chez Monsieur Toussaint Louverture (qui ne déçoit jamais) et pour l’instant c’est parfaitement drôle (dans une veine Lodge, Westlake, Woodhouse).

 
10 juin.- Sournoises ondées, nuages compacts, pas l’ombre d’une soleillée. (18°C)  Mon voisin construit toujours sa piscine sous la pluie. Quant à moi je faiblis.     
Onomastique, idiophénomènes, diphtongues centralisées et homicides volontaires, Le linguiste était presque parfait est un drôle de roman policier contaminé par les « thèses » d’Émile Benveniste. Il grouille de policiers grossiers, de linguistes en goguette, de puéricultrices dépassées et de tout-petits qui se font la malle au milieu du brouhaha. Au milieu de tout ça, Jeremy Cook le héros « accusé enquêteur » de David Carkeet ressemble comme un frère au Dortmunder de Donald Westlake, il est certes un petit peu plus intellectuel, mais il est lui aussi rempli de candeur. La candeur est une chose importante. Le livre n’est pas un chef-d’œuvre, mais il est plus qu’à son tour sautillant, que demander de plus… un rayon de soleil? 
Bref retour dans l’Amérique de Jean Baudrillard. Quelques pages au hasard. Pertinentes.

 
11 juin.- Quelques belles soleillées. (22 °C)  À son mitan le bouquin de Carkeet se délite tout à fait. La mécanique comique tourne sur elle-même et l’ennui point plus qu’à son tour. Chose qui m’est rare et que pour tout dire que je déteste je dois avouer avoir sauté une belle palanquée de pages. (Pour moi c’est un principe de base que de finir un livre sans avoir sauté la moindre page). Je suis donc à demi déçu par ce Linguiste était presque parfait, ravi par son postulat de départ, son comique initial, déçu par son horlogerie qui tourne à vide (c’est finalement plus un livre d’intellectuel sournois qu’autre chose).           
Ma lecture suivante sera sans risque. J’entame un roman procédural de Michael Connelly, La défense Lincoln, premier de la série Mickey Haller. Rien de transcendant, mais pas le moindre risque de s’ennuyer.
Encore picoré dans l’Amérique de Baudrillard. Un peu lourd et saisi par les sciences molles. Souvent discutable : « Miracle italien : celui de la scène. Miracle américain : celui de l’obscène. La luxure des sens contre les déserts de l’insignifiance. »

 
12 juin.- Ciel variable, température semi-estivale. (23°C) Ce ciel changeant est un problème. Je ne sais pas s’il faut que je porte chandail ou chemisette. Autre problème saillant, quelques morceaux de ma façade font mine de me tomber sur la tête. Lire en extérieur devient donc pour moi un exercice périlleux qui tient plus du problème à résoudre que du simple plaisir hédoniste. Bon pour ce qui est de ma tenue cet après-midi j’ai opté pour un sweat-shirt raisonnable pas trop enveloppant, pas trop léger non plus. Pour ce qui est des morceaux de façade en chute libre (un crépi centenaire) je me suis contenté de reculer ma chaise de jardin de trois pas. En tenant compte du sens du vent et des lois de Newton ce subterfuge s’est révélé suffisant et il m’a en tous les cas évité les embarras d’un trépas inopportun. Quant au livre que j’ai lu après toutes ces précautions logistiques c’était la Défense Lincoln de Michael Connelly. Oh ! Certainement pas un isthme de littérature, mais plutôt un beau pavé distrayant. C’est déjà ça.  

Lire : La Tombe du tisserand ( Seumas O’Kelly). La cave (Thomas Bernhard). L’expérience de la nuit (Marcel Bealu)…

 
13 juin.- Beau temps mais orageux en fin de journée. (28°C) Vie sociale. Quasi tornade. Fini La Défense Lincoln de Connelly, Pas mal. Rien d’autre

 
14 juin.- Nuages. Une éclaircie entre 17 h 20 et 17 h 35. (17 °C) La psychose vous fait souvent regarder de biais en société quant à la névrose même s’il elle offre la possibilité d’être cachée sous un épais tapis virtuel elle n’offre rien de bien sautillant. Cela dit, il paraîtrait que l’une soigne l’autre et réciproquement. Alors, allons-y !            
Loin de ses faiblardes considérations dans un village irlandais on enterre le tisserand. Petit souci, on ne retrouve pas la tombe qui devait l’accueillir à mottes de terre ouvertes. C’est La Tombe du tisserand le dernier roman écrit par Saunas O’Kelly (écrivain irlandais nationaliste assassiné on se demande bien pourquoi). Plutôt une jolie curiosité qu’un monolithe de très grande littérature. Souvent drôle en noir, curieux mélange de John Ford et de Samuel Beckett. Belle édition, chez Attila.           
D’Irlande en Italie. Alphabets de Claudio Magris. Recueil d’articles parus dans les pages littéraires du Corriere della sera. Comme d’habitude avec Magris, érudition, amour des livres, des écrivains et tutti quanti…

 

2.


15 juin.- Soleil voilé, lourdeur. (28°C) Claudio Magris est plus triestin qu’italien aucun risque de le voir transalpino centré. Il parle plus des romantiques allemands (et assimilés) que de la commedia dell’arte. Belles pages sur Schiller, Novalis, Grillparzer. Ce dernier est un proto Kafka plausible, le premier « homme sans qualités ; un moi dévoré qui endigue ses propres déchirures avec dignité.          
À lire : La persuasion et la rhétorique (Carlo Michelstaedter). Scènes de la vie future (Georges Duhamel).

 
16 juin.- Journée estivale. (30°C)          
 

On espère en espérant             
Qu’arrivera le moment  
Où tout sera terminé     
Sans plus rien à espérer           

(Chanson populaire vénitienne)

Alphabets, Claudio Magris. Éloge de régions inférieures, du renoncement, de la disparition. Éloge de Kafka de Walser de Canetti. Kafka sauvé par ses défaites, pleines, entières, répétées. Walser libre dissimulé sous la livrée du domestique. Canetti fermant les yeux, devenant pierre. Pour ces trois-là, pour d’autres, la vie est impossible à vivre, ils préfèrent la regarder passer comme si elle était un fleuve qui coule au loin. La vérité est peut-être là. Suis un long article sur Prague et sa littérature. Article définitif ou presque.

 
18 juin.- Quasi canicule. (34°C)  Trop de tiédeur. Quelques aphorismes d’Oscar Wilde. Baudoin de Bodinat, Joseph Joubert, drôle d’écho entre les deux. Chez De Bodinat « Le passé n’a plus de présent parmi nous : l’usurpation marchande ne le supportait pas vivant, habité avec du linge aux fenêtres, qui la contredisait toujours : campagnes enchantées du temps de la traction animale, mœurs et usages curieux de ces contrées lointaines peintes à la main, quartiers perdus, rues pensives, paisibles maisons d’avant l’électricité, chansons qu’on chante, profusion des siècles ; qui ne sont plus et qui ne reviendront jamais : jetés tout vivants qu’ils furent dans la chaudière du progrès. » Chez Joubert « Si vous appelez vieilli tout ce qui est ancien ; si vous flétrissez d’un nom qui porte avec lui une idée de décadence et un sentiment de dédain, tout ce qui a été consacré et rendu plus fort par le temps, vous le profanez ». Rien d’autre.

21 juin.- Nuages. (24°C) Mon heureuse misanthropie est attaquée de toutes parts. Il me faut faire face à de sournois attendrissements et me voilà plus contraint que sautillant devant d’inattendues amorces de vie sociale. Tout cela est évidemment diablement fatigant. Fini La Vie sur Terre.

 
22 juin.- Ciel azur tout juste dérangé par de rares cumulus que j’ai regardé passer dans un beau satori méditatif. (25 °C)

« Avoir la prétention de vivre – c’est-à-dire de vivre une existence authentique et de développer dans sa plénitude sa personnalité —, c’est de la mégalomanie ».       

Hier soir, vie sociale. Trop d’alcool, encore embrumé. Retour dans l’Alphabets de Magris. Toujours à mon gout. Ibsen, Musil, Fontane, Conrad. Ce dernier ne parle pas l’anglais couramment, mais il l’écrit très bien. C’est un Kafka homérique sorti au grand air. Il navigue dans les flexuosités les plus boueuses de la modernité et se  faisant il vous permet de mieux comprendre le « renfermé » de son petit collègue à chapeau rond.

 
25 juin.- Ciel maussade, quasi fraîcheur. (19°C)  Trop saisi par le labeur, rien lu depuis trois jours. Le manque guette, le manque est là.

 
26 juin.- Fraicheur matinale. Reste de la journée plus conforme avec la saison censée nous occuper. (23°C) Plus las que là, fourbu pour tout dire. Sans la moindre coalescence avec mon solde de cogito. Malgré cela lu quelques pensées de Joseph Joubert, puis deux trois pages de Miguel De Unamuno. Constatation : Joubert sautille allègrement tandis qu’Unamuno est souvent plus morne que mon genou droit. Nothing eslse.

27 juin.- Soleil voilà, fond de l’air trop frais pour être honnête. (18°C) Malade. Transi. Engoncé. Rien de réjouissant. Toujours chez Magris., Bel aéropage Mitteleuropa. Gregor von Rezzori, Drago Jančar, Boris Pahor.

29 juin.- Crachin chagrin, fraicheur morose. (15 °C)
 
« La vie est trop courte, et Proust est trop long. »          

Les écrivains sont assez souvent décevants. Peut-on imaginer pire salaud que l’Hemingway massacrant des prisonniers allemands sans défense ? Peut-on imaginer pire sadique que le Proust privé ? Que penser des « fautes politiques » de Céline, d’Aragon, de Pound, de tant d’autres ? Bref, les écrivains sont comme le quidam ordinaire, acrimonieux en pire, salauds pour rien, à la seule différence qu’eux laissent des traces, des écrits. Claudio Magris pense que s’agissant de littérature, d’art en général, un heureux anonymat serait bien utile. Il nous permettrait d’éviter les sournois aléas du biographique. Nous serions alors posés devant une œuvre que nous pourrions juger uniquement pour ce qu’elle est. Un bleu Y vaut bien un bleu Matisse, l’essentiel c’est le bleu. D’autre part, Magris constate que les écrivains ne s’aiment pas. Brecht déteste Baudelaire, Ionesco déteste Brecht, Beckett liquide Proust en deux lignes, Arno Schmidt liquide Beckett en une. Nabokov dézingue à tout va, Thomas Mann, Conrad, Cervantès, Camus sont des nullités. C’est un vrai champ de bataille.           

Tant de livre à lire. Hésité longuement devant ma pile. Choisi une petite chose de Roland Jaccard, Le cimetière de la morale. Menu joliment morose : Schopenhauer, Sissi, Leopardi, tutti quanti… Évidemment, cette lecture contredit tout ce que je viens d’ânonner plus haut puisqu’il n’y presque question que de capillarité entre vie et œuvre.

 
1 juillet.- Journée estivale. (26°C)

« Ce globe est un abîme de tristesse, et tout ce que nous gagnons à fouiller ses profondeurs, c’est de découvrir des inscriptions funéraires et des cimetières. La mort est à la base de toute chose et nous ne cessons de creuser comme si nous recherchions l’immortalité. » Eugénie de Guérin.       

Pour Kafka un livre doit frapper comme un coup de poing, il doit vous faire mal, ne pas vous laisser indemne. Le cimetière de la morale (Rolland Jaccard) que j’ai lu aujourd’hui est presque tout l’inverse, il ne m’a frappé aucunement, ne m’a apporté que du plaisir lectoral et au grand jamais une quelconque douleur. C’est pourtant un livre qui ne parle que de choses censément douloureuses, d’êtres septiques face à l’existence, de destins tragiques, mais il le fait d’une façon constamment légère, et agréable. Jaccard sautille avec un plaisir partageur de Leopardi à Alphonse Rabbe, de Challemel-Lacour à Bruce Cummings, de Peter Altenberg à Lou Andréas Salomé. Son livre n’est qu’un petit livre que j’oublierai certainement assez vite, ce n’est pas très important il ne m’a pas fait mal et il m’a donné envie de voir plus loin (chez Marcel Levy, chez Francis Giauque, Chez Amiel…)          

« Je suis pleinement d’accord avec Flaubert qui me disait hier encore qu’on doit juger de la qualité d’un livre à la vigueur des coups de poing qu’il vous a donnés et au temps qu’il faut pour s’en remettre. Un livre, ce n’est pas un salon de thé où papotent les vieilles filles, mais un bordel dont on sort ivre, repu, comblé… »       

Entamé les Cahiers de Cioran.

 
3.
 

2 juillet.- Passages nuageux, semi-moiteur, l’orage rôde. (26°C) Cioran regarde les nuages passer, c’est son activité principale. Que serait-il s’il n’y avait les nuages ?

4 juillet.- Humidité quasi laotienne. (27°C)  Encore dans les Cahiers de Cioran. Lecture guère sautillante ou alors en creux (peut-on sautiller en creux ?). Entamé L’homme qui souriait d’Henning Mankell ; boréal, policier, dépressif…

5 juillet.- Rares nuages, douceur. (23°C) Mankell, Wallender, l’Homme qui souriait. Comme dans toute série on s’attache aux personnages. L’intrigue avance à petits pas sociaux-démocrates, l’ambiance et le climat sont un peu tristounets. Paradoxalement, on ne s’ennuie pas, c’est une lecture distrayante qui n’a rien d’un coup porté au plexus. Cioran dans ses cahiers tape bien plus fort tout en vous faisant bien plus mal. Son seul inconvénient est qu’il vise toujours le même endroit, comme s’il vous plantait perpétuellement le même clou entre les deux yeux avec la morgue d’un post adolescent ontologiquement dubitatif. Je dois avouer que cela m’agace un peu.

6 juillet.- Beau temps estival. (29°C) Trop parasité, trop écorniflé, guère d’inclination, peu de mots me viennent. Mankell again. Joubert, douze pensées.

7 juillet.- Nuages, début de moiteur extrême orientale. (32°C)    

« On ne peut s’empêcher de voir, à moins d’être stupide, que le mal est grand et ordinaire, le bien chétif et rare. Tout dans le monde souffre et gémit. » Paul-Armand Challemel-Lacour.

 
Mollesse, grande mollesse. Léthargie sur canapé. Mankell, encore. Lire Forcenés de Philippe Bordas, ode au cyclisme et aux cyclistes.


8 juillet.- Velléité caniculaire. (34°C)      

« Exister c’est périr ; c’est mourir que de vivre. »           

Labeur, tiédeur, ataraxie. Mankell, Cioran. Lire l’Album d’un pessimiste d’Alphonse Rabbe.


 
9 juillet.- Moiteur mékongaise. Grande mollesse.  (34°C)                       

« Conservons un peu d’ignorance, pour conserver un peu de modestie et de déférence à autrui : sans ignorance point d’amabilité. Quelque ignorance doit entrer nécessairement dans le système d’une excellente éducation. » Joseph Joubert

12 juillet.- Ciel bleu pâle. (28 °C) Le labeur derrière moi je sautillais déjà en songeant aux trois semaines de congés qui m’attendent lorsque rentrant chez moi j’eu la désagréable surprise de retrouver, tout un pan de façade effondré sur l’un de mes modestes toits. Imaginez mon désappointement, pire mon courroux ! Cela ne m’a pas empêché de lire quelques pages d’ Henning Mankell en bord de gravats.

 
13 juillet.- Soleil voilé. (28 °C) Ce matin j’ai croisé un petit vieux qui transportait dans un sac transparent une boite en plastique également transparente laquelle boite transparente contenait un liquide jaunâtre qui avait tout de l’urine. Drôle de rencontre. Il faisait déjà chaud. Je descendais vers le village, le petit vieux remontait du village. Pour le reste, chaleur lourde et les hélicoptères du Tour de France au-dessus de la tête. Fini L’homme qui souriait. En somme assez faiblard, pour l’instant le plus faiblard de la série Wallender. Demain j’entamerai Ada ou l’ardeur de Nabokov. Pic indépassable pour certains, boursouflure superfétatoire pour d’autres.

14 juillet.- Temps lourd, soleil voilé. Des pétards (32°C)

« Le château d’Ardis (les ardeurs et les arbres d’Ardis), voilà le leitmotiv qui revient en vagues perlées dans Ada, vaste et délicieuse chronique, dont la plus grande partie a pour décor une Amérique à la clarté de rêve »

Nabokov, Ada. Début formidable, hermétique et totalement embrouillé comme s’il fallait faire le tri entre vrais et faux lecteurs. Fourmillement de personnages, Anna Karénine, syndrome du qui est qui, roman russe sous substances hallucinogènes. Ce pays imaginaire entre Russie et Amérique, la sensualité retorse de certaines phrases, une belle collection d’allitérations (travail du traducteur revu par l’auteur). Avant tout le plaisir d’écrire de Nabokov. Trop de plaisir d’écrire ?

 
15 juillet.- Ciel céruléen, tiédeur. (30°C)  Quelques tracas du quotidien à gérer. Les suites de cette chute de crépi qui aurait bien pu me faire passer de vie à trépas, une chaudière qu’il faudra bientôt changer (et donc payer), un robinet qui déguerpit plus qu’il ne fuit… Malgré cela, toujours saisis par Ada. Drôle de tour de force où l’on vous roule dans la farine avant de vous faire tomber dans une multitude de chausse-trappes pendant qu’au loin s’élève le chant chicanier des sous-entendus des mystifications et supercheries en tout genre. Ce tourbillon qui confine au maelstrom pourrait noyer, agacer, ennuyer le lecteur. Rien de tout cela, s’il l’est un peu Nabokov n’est pas qu’un petit bonhomme fier de sa mécanique démiurgique sous-tendue, c’est aussi, et surtout un thaumaturge trilingue sautillant autour de son beau toutim. Rien pour agacer, pour ennuyer, tout pour hypnotiser. J’ajouterai qu’en dehors des multiples strates, des panneaux coulissants, du jeu des masques, Ada est aussi un livre terriblement sensuel, terriblement saisi par une humeur si nympholepte qu’aujourd’hui son auteur serait très certainement jeté dans les geôles proprettes du politiquement correct.

16 juillet.- Temps estival, tiédeur. (32°C) Ada sent le coton humide, l’aisselle moussue et les nénuphars (comme la folle Ophélie). Les allitérations fusent, l’inceste rôde, Nabokov sautille. Il est toujours scabreux, jamais vulgaire.

 
17 juillet.- Moiteur, quelques ondées, pas d’orage. (30°C) Mort de Mathieu Bénézet, poète conséquent ; belle voix. Suicide de Jack Alain léger, barde psychédélique, chantre underground, auteur de best-sellers, écrivain polémique. Il était rempli d’autres lui-même éternellement fragiles. Pour le reste toujours dans l’Ada de Nabokov.

18 juillet.- Grande humidité, ciel trempé. (23°C)  Valises, demain Sardaigne. Je laisse Ada de côté. J’emporte un petit bouquin censément drolatique (Alain Guyard, 33 leçons de philosophie par et pour les mauvais garçons).

 
26 juillet.- Ciel incandescent ultra tiédeur. (38°C) Retour de Sardaigne. Une brûlure flottant au milieu de la méditerranée. Côtes splendides, terres arides, terriblement arides. Le Sarde, tout du moins le sarde central, celui qui semble ignorer les quelques mers émeraude qui l’entourent, est un genre de Corse au carré encore plus bougon et moins causant. Cela dit il n’est pas fondamentalement pire que le premier napolitain rempli de faconde qui passe. Pour le reste de vieilles pierres surchauffées, beaucoup de vieilles pierres surchauffées. Des kilomètres, beaucoup de kilomètres…

27 juillet.- Ciel bleu blanc, vent brûlant, tentation saharienne. (38°C) Par temps de grande chaleur, l’homme s’emmaillote dans sa propre mollesse puis il attend et espère, un filet d’air, un petit vent frais. Il ne lui viendrait même pas à l’idée d’aventurer un orteil en dehors de son catafalque d’apathie.   
En dehors de ces considérations météo lymphatiques, je dois ajouter que je n’aurais pas dû laisser choir l’Ada de Nabokov pendant plus d’une semaine. Le rentamant aujourd’hui je lui trouve un gout de soufflé aplati. Un bidule de scribouilleur comme saisi par une pénible drogue chilienne, un torrent bourbeux, une palette onaniste, un grand maître fier de ses tours. Évidemment, Nabokov n’est responsable de rien et quand j’aurai retrouvé un rythme de lecture, un minimum de coalescence avec les couleurs du texte, je mangerai mon chapeau.

28 juillet.- Orages, soudaine fraicheur. (19°C)  Mes mots me lâchent les uns après les autres. Les ânonnements qui suivent n’auront donc qu’un piètre intérêt. Fini Ada. Aimables piperies, nympholeptie, allitérations, néologisme, strates linguistiques, mystification. Nabokov s’amuse comme un petit fou. Certes il risque de perdre le lecteur en route, mais il s’en fiche un peu. Ce livre il l’a écrit pour lui et pas pour les autres. C’est son Everest onaniste, un sommet où il déleste les ballasts de sa lubricité en toute quiétude, alors les « autres », hein ! Cela dit les « autres » seront émus par l’amour de pharaon et de pharaonne qui uni Ada et Van, par le suicide de Lucette bouleversant highlight maritime serti de milles diaprures coruscantes, par bien d’autres choses…
 
To be continued.

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