lundi 23 avril 2012

Psychogeographie indoor (28)


1.

« Quand il veut dormir, le dauphin flotte à la surface de la mer. Une fois assoupi, il coule lentement jusqu’au moment où il touche le fond et se réveille. Il remonte alors à la surface puis se rendort pour couler de nouveau et se réveiller de la même manière. C’est ainsi qu’il se repose dans le mouvement.» (Benedykt Chmielowski. La Nouvelle Athènes ou l’académie de toutes les sciences)


Pourquoi le labeur ? Dans le règne animal le labeur existe rarement comme « nécessité impérieuse », il y a bien quelques bestioles industrieuses, mais elles le sont, car contraintes par leur milieu (le castor est forcément industrieux) ou par leur essence (chez l’abeille, le labeur n’est qu’un organe de plus). On comprend moins le labeur chez l’homme. Peut-être veut-il se convaincre qu’il n’est pas une bestiole comme les autres ? Mais dans quel but ? Un homme qui ne vit pas au bord d’un torrent agité ou au cœur d’une ruche ne devrait JAMAIS besogner. Il devrait simplement se contenter de trouver un peu de nourriture à ingurgiter (ce qui me semble assez simple sans trop d’excédents de rouages sociétaux et en tous les cas sans cette fameuse « organisation » dont on nous repli les ormeaux à langueur de catéchèse économiste). Pourquoi besogner ? Prenons exemple sur le chat, ce petit félin lorsqu’il est laissé libre et à sa nature se contente de chasser, pour le reste il se loge là où il veut et passe l’essentiel de ses journées à roupiller les pattes allongées en direction du soleil. Le chat est très bien.
Vous remarquerez que je parle de Labeur et non de travail. Kant, lui, parle de travail, mais j’ai l’impression que son travail n’est pas loin de mon labeur. Il imagine que sans travail l’homme s’ennuierait. « L’homme est le seul animal qui doit travailler », blablabla… « si Adam et Ève étaient demeurés au paradis, ils n’auraient rien fait d’autre que d’être assis ensemble, chanter des chants pastoraux, et contempler la beauté de la nature. L’ennui les eût torturés tout aussi bien que d’autres hommes dans une situation semblable. » blablabla… Pour Marx le travail est une pensée, l’animal ne pense pas et c’est pourquoi il ne travaille pas. Chez les nazis le travail « libère » mais c’est certainement de l’ironie.

2 septembre.- Fraicheur matinale, tiédeur ensuite. La demi-saison avance, le soleil se couche déjà plus tôt.
Ecouté le « petit » Defalvard qui passait à la radio. Un jabot fin de siècle égaré, mais certainement pas écrasé par la modestie. Je l’entamerai demain, je sens déjà poindre de l’amphigourique à tendance gongoriste. Un peu de Sénancour (toujours très Cioran avant l’heure légale), un peu du journal Jules Renard (toujours très bien).
Plus que d’inventer avec quoique ce soit : du vécu, des émotions ; il nous faudrait plutôt tenter : avec de l’aléatoire, des contraintes. Prospecter du côté des chiffres. Ne pas commencer par le zéro.


3 septembre.-  Humidité, pluie ; été fuyant.Trop de bruit, pas assez de silence. Toujours cette douleur au poignet droit.
Chez le « petit » Defalvard la prose n’est pas la seule à vouloir naviguer vers de précieux rivages gongoristes, il y a aussi la nourriture, les boissons : Biscuits au café, chocolat bavarois, figues farcies, pâté de fraises, limonade aux clémentines, lait de bananes, chocolat à l’espagnol… Curieusement ces sucreries pèsent modérément sur l’estomac, elles sont même intrigantes, comme les paradigmes syntaxiques du « petit » sont intrigants. Il y a ce quelque chose, ce baroque désincarné qui flotte à l’intérieur d’un petit écrin amphigourique, le petit écrin amphigourique de la vie non vécue (forcement le « petit » est « petit »). Un peu de Senancour (Fontainebleau), un peu de Goethe (Agrigente).

4 septembre.- Orages. 
Passé la journée dans cet état de demi-sommeil qui n’est pas loin d’être du demi-éveil. Entre les songes en moi et le palpable qui m’entourait, récupérant de mes fatigues, m’oubliant dans le végétatif. 
Chez Defalvard, au milieu de l’ennui, des isthmes de fulgurances. Et puis cette absence totale d’incarnation. Oh ! Pas les relations, le charnel… non un minimum de présence des corps.

5 septembre.- Humidité et demi-saison. Humeur maussade (le labeur). Mal au poignet droit (le labeur). Lu deux pages du journal de Stendhal, pas plus. « Je regarde comme perdue toute journée où je ne m’instruis pas… »

6 septembre.- Vague tiédeur. 
J’ai la fâcheuse impression de vieillir dans un Disneyland porno, c’est suffisant pour être de mauvaise humeur.
La finesse quitte parfois Jules Renard, on le lit alors en se demandant s’il faut sautiller ou s’offusquer devant sa soudaine lourdeur. Je vous laisse juger de tout ça en vous proposant ces quelques mots, ils vous permettront peut-être de vous faire une « idée » : « Madame, dit une dame mûre à une jeune dame pour la rassurer, quand j’accouche c’est comme si je faisais un gros caca. »
Ouvrant le Livre de l’intranquilité au hasard je retombe sur un autre moi-même, le hasard fait bien les choses : « La présence d’autrui (toujours si déroutante pour moi) devient de jour en jour plus douloureuse, plus angoissante. Parler aux autres me donne des frissons. Si l’on s’intéresse à moi, je prends la fuite. Si l’on me regarde, je sursaute. »
Avec un peu plus de conviction (et de talent), j’aurais peut-être pu écrire ces lignes. Allez savoir.

8 septembre.- Vague tiédeur, fond de l’air frais. Tous les désagréments des fins d’été : soleil trop bas et humeur maussade.

Ma pensée plus élevée que mon être, il m’arrive parfois de considérer ma propre vie comme ridicule. Je me regarde alors me perdre dans des ténèbres inextricables et je ricane sournoisement, c’est un problème.
Un peu chez Pessoa et Senancour. Chez Pessoa : « Considérant que chaque événement de ma vie était un contact permanent avec l’horreur du Nouveau, que chaque personne nouvelle que j’approchais était un nouveau et vivant fragment de l’inconnu, que je plaçais sur ma table pour une méditation quotidienne, remplie d’épouvante – j’ai décidé de m’abstenir de tout, de ne viser à rien, de réduire l’action au minimum, de me dérober enfin le plus possible, pour n’être retrouvé ni par les hommes, ni par les évènements, de raffiner sur l’abstinence et de pousser cette abdication à la dernière extrémité. Tant le seul fait de vivre me terrifie et me torture. »
Five favorite writers : Alexandre Vialatte, Robert Walser, Fernando Pessoa, Valery Larbaud, Gaston Bachelard.

9 septembre.- Temps chaud. Ciel IKB, vert des arbres encore saturé. Grosse fatigue. Toujours mal au poignet droit. Quasi impossibilité d’écrire quoique ce soit « à la main ». Comme j’écris les mots que vous lisez « à la main », je souffre donc un peu à cause de vous, je ne vous remercie pas. Pour moins souffrir, il faudrait que j’affine mon style, que je perde un peu de graisse et qu’ainsi je parvienne à trouver l’os et l’essentiel. Trouver l’os pour moins souffrir : curieux paradoxe.
Senancour, Goethe et Jules Renard. De Renard j’aime beaucoup cette petite saillie qui ne paie pourtant pas mine : « Mon gros libraire, qui ne connait des livres que leurs titres m’a dit, en me remettant le Disciple de Bourget, avec une voix bonne enfant, un ton convaincu et un air imbécile : “c’est amusant, mais c’est un peu dur, par exemple” »

10 septembre.- Beau temps, vent chaud. Thé gout russe. Gaufres hollandaises. Feuilleté aux fruits de mer. Quenelles. Sylvaner. Pas de relation humaine, ou si peu. Rugby, coupe du monde. Mauvais match des Français, qui gagnent. Bon match des Argentins, qui perdent. Defalvard. Coquille vide ? Faux suranné, vraie imposture ? Musique des mots qui se suffisent à eux même ? Saccage du roman-roman par le style ? Et alors !

11 septembre.- Temps lourd et gris, changé plus que changeant. 
Si l’isthme defalvardien est incontestablement ennuyeux, il faut quand même s’y accrocher, car il ne nous met jamais à l’abri d’une trouvaille, d’un néologisme ou d’une description moirée. Le « petit » est très bon avec les villes (Lyon, ses couleurs, la neige), assez bon avec la nature, moins bon et plus fluctuant lorsque le monde est là (quant aux êtres on convoquera l’hypothétique voire le néant, peut-être ce manque de vécu ?)


12 septembre.- Beau temps.
Vidé par le labeur. Rien d’autre. Le travail rend libre, mon œil ! Il faut vraiment être crétin et nazi (c’est souvent le cas) pour oser pondre une formule aussi sotte. Disons plutôt que le travail aliène et que, suivant les conseils d’un fameux situationniste éthylique, il faudrait que nous sachions nous en libérer. Defalvard un peu, en survol et sans conviction.
« Le travail use la force nerveuse dans des proportions extraordinaires, et la soustrait à la réflexion, à la méditation, aux rêves, aux soucis, à l’amour et à la haine, il place toujours devant les yeux un but minime et accorde des satisfactions faciles et régulières. Ainsi, une société, où l’on travaille sans cesse durement, jouira d’une plus grande sécurité : et c’est la sécurité que l’on adore maintenant comme divinité suprême. »

13 septembre.- Temps gris, hésitant. Quelques restes de tiédeur.
Quant aux « sentiments », je ne ressens pour ainsi dire plus rien. Mon cœur n’est plus cet organe chaud et prêt à la palpitation qu’il fut pendant des lustres, non ce n’est plus qu’une pierre, une lourde pierre qu’il me faut sans cesse porter. Voilà peut-être pourquoi je ne parviens plus à m’élever : j’ai une ancre nichée à l’intérieur du thorax. 

Goethe (Sicile) et Renard. L’Etna et du mauvais esprit…Si Senancour a certainement quelque chose de Rousseau, il a aussi quelque chose de presque moderne (bovien avant l’heure légale ? )
«  Il voit tout, et tout lui est refusé : il devine les sons qu’il aime, il les cherche et ne les entends pas. Il souffre le silence de toutes choses au milieu du bruit du monde. Tout se montre à lui, il ne saurait rien saisir : l’harmonie universelle est dans les choses extérieures, elle est dans son imagination, elle n’est plus dans son cœur : il est séparé de l’ensemble des êtres, il n’y a plus de contact : tout existe en vain devant lui, il vit seul, il est absent dans le monde vivant »


16 septembre.- Beau temps en matinée, large dégradation par la suite. Du bleu qui se délite, qui vire au gris. Drôle de peinture.Trop de labeur. Sieste prolongée, léthargie. Quasiment rien lu. Trois pages de Marien Defalvard, quatre de Senancour. Deux beaux stylistes, l’un assez chamarré, mais plein de vide, l’autre plus lactescent, mais plein d’âme. La comparaison n’est pas à l’avantage du plus récent


2.



17 septembre.- Temps de saison, vaguement gris avec quelques restes de tiédeur.
Après avoir fini le faux roman du jeune Defalvard (du style de l’ennui, mais des promesses), je suis retourné flâner dans les Promenades philosophiques du vieux daim Remy de Gourmont. Il y était question de deux trois croquignolets et notamment de Racine. Racine issu d’une famille de névropathes, de mystiques exaltés et dont les dernières années n’échappèrent pas aux « pires exagérations de la dévotion la plus extravagante ». Ainsi De Gourmont rapporte que le Racine « terminal » imaginait des processions à l’intérieur même de sa maison. Il portait une croix et toute la famille, gens compris, le suivait dans les escaliers tout en chantant des litanies et des cantiques. Goethe n’était pas mieux en pire. Jeune il était plus cyclothymique que ma main gauche. On le voyait diablement expansif puis brusquement taciturne, abominablement coléreux puis soudainement affaissé. L’âge aidant il devint curieusement détaché et d’une indifférence affective telle qu’il était difficile de ne pas y voir quelque chose de singulier. Pour s’en convaincre, il y a la « fameuse » anecdote de la mort de sa femme. Elle mourût subitement pendant une promenade qu’ils faisaient tous deux en compagnie d’Eckermann. Goethe ne trouva rien d’autre à dire que ceci à celui-ci : « On va être bien étonné à la maison ». Pour finir Gourmont se demande si Flaubert n’était pas encore pire. Il était d’une violence terrifiante et l’on s’étonne qu’une œuvre si calme, si noble, si belle soit sortie du cerveau malade d’un grand barbare tout autant vulgaire qu’entêté.

19 septembre.- Crachin, quasi-froideur.
De Gourmont, 10 pages… Découverte de Gabriel Tarde. Philosophe leibnizien, sociologue concurrent de Durkheim, l’un des premiers criminologues sur le marché (le crime n’est pas que physique d’origine, c’est surtout la société qui crée des criminels…)
« À chaque instant, chacun de nous, êtres éphémères, parmi ses amours ou ses combats, traverse un état singulier, unique, goûte un plaisir qu’il n’a plus goûté ou ne goûtera plus, ou souffre une souffrance inouïe, inconnue à tout autre et à lui-même. Cela est, n’a plus été, ne sera plus, et cela semble être la raison d’être de tout ce qui se répète, s’adapte et s’oppose ! Et, à travers cela, quelque chose d’inaccessible est poursuivi, une plénitude, une totalité, une perfection, platonique passion de toute âme et de toute vie. La poursuite de l’impossible à travers l’inutile : serait-ce donc là vraiment le dernier mot de l’existence ? » (Gabriel Tarde, L’opposition universelle)

20 septembre.- Fraicheur, mais du bleu. Levé cinq heures. Labeur, fatigue, rien d’autre … Je vis avec ma fatigue comme d’autres vivent avec leur femme (leur homme, leur bonzaï). Nous formons un couple assez dissymétrique. Je suis bancal, ma fatigue est bien rectiligne, c’est un problème.


Très peu lu, si peu lu… Quelques aphorismes de Remy de Gourmont. Certains forts plaisant, d’autres plus embarrassés par le limon du temps.
« Qu’est-ce que la vie ? Une suite de sensations ? Qu’est-ce qu’une sensation ? Un souvenir. On ne vit pas. On a vécu. La vie c’est un regret ». « Les révolutionnaires me font penser à celui qui, ayant un piano désaccordé, dirait “brisons ce piano et jetons-en les morceaux au feu ; à la place, nous installerons une harpe éolienne ” ».

22 septembre.- Beau temps frais. Fatigue, un peu malade, un peu maussade, assez misanthrope. Curieux hasard, drôle d’écho, moi qui suis à l’alternat entre l’Obermann de Sénancour et le journal de Renard, voilà que je « tombe » sur ces quelques mots chez le plus facétieux des deux : « Commencé Obermann de Sénancour. Illisible. Non, vraiment, je ne peux pas aller jusqu’au bout. C’est insensé, ce culte de l’ennui. Était-ce assez idiot, cet ancien “vague à l’âme ” ! L’âme ce n’est pas grand-chose, mais cette école-là arrivait à en faire rien du tout. » (On notera l’oubli de la négation chez Renard, ce qui fait la phrase toute bancale).

23 septembre.- Beau temps, pour rien. Grande fraicheur des intérieurs. Souffreteux, encore. Cédant à la fameuse pression de la non moins fameuse « rentrée littéraire » j’entame le Limonov d’Emmanuel Carrère. Comme Carrère est souvent très bien j’ai de grandes chances de ne pas être déçu par cette lecture-là (même si les couvertures de chez POL jaunissent trop vite).

24 septembre.- Plate grisaille, vague fraîcheur. Moins malade, mais toujours mal au poignet droit (de la mécanique planquée dans du vivant).
Carrère et Limonov. Soviétisme. Éthylisme. Hooliganisme. Jeunesse, glauque, verdâtre, poisseuse. Couteau à cran d’arrêt, viol en réunion, poésie en réunion, suicide, hôpital psychiatrique, ce genre de réjouissances. Les débuts de Limonov ne sont guère recommandables non plus, tellement peu recommandables que l’on sent déjà poindre une fascination plus que flottante chez Carrère. Certainement la fascination de l’écrivain installé qui se laisse piquer dans le dos par son sujet vicieux (la soudaine vulgarité « plaquée » de certains paragraphes). Cependant beaux débuts et beaucoup plus que du journalisme, comme de bien entendu.


25 septembre.- Beau temps (enfin, je suppose) Toujours cette douleur au poignet droit qui m’empêche d’écrire « à la main ». C’est un problème.
Limonov. De l'underground moscovite à l’underground new-yorkais. Du noir et blanc à la couleur. Mais Limonov n’aime pas la couleur non plus. Ce qu’il aime un peu pour l’instant c’est Elena : cette fille aux petits seins ronds, cette fille qui se pense plus irrésistible qu’elle n’est. Carrère est biographique en bien, il passe seulement du côté de « l’objet littéraire », de l’imaginaire et des rivages du roman-roman lorsqu’il lui faut un peu décrire les corps en action. Les interminables érections de Limonov, les jouissances sans fin de la frêle Elena à longs coups de godemichés. Cette frêle Elena qu’il ne cesse de sodomiser, qu’il sodomisera même en regardant un Soljenitsyne libre passer à la TV… (Carrère à certainement péché ces détails-là en lui-même . Enfin, plus que dans la bouche de Limonov, me semble-t-il).

26 septembre.- Beau temps. Chaleur floue, assez hors de saison.
Limonov. New York. Beuverie (Zapoï). Clochardisation. Limonov devient vaguement homosexuel (pour mieux se comporter « comme une petite pute »), vaguement proxénète (pour mieux s’habiller comme un « mac black »), vaguement trotskiste (pour mieux haïr les « mous »). Il est question d’enculage au clair de lune, de gout du sperme et de tracts distribués. Le tout ultra précis. Carrère est ultra précis.

27 septembre.- Rien.

28 septembre.- Temps estival, presque 30°.
Les échos qui me parviennent du Kadhafi « privé » sont unanimes et concordants. Dans le « civil », celui que d’aucuns voient comme un autocrate sanglant serait un type plutôt charmant. Un type prévenant avec son épouse, aimant avec ses petits et grands enfants… Bref un type bien et attentionné, tellement bien et attentionné qu’un halo de bonté semblerait parfois s’échapper au-dessus de sa belle chevelure bouclée. Tout cela bruisse, tout cela n’est pas rien, tout cela est presque tout et je ne dis pas cela parce que je trouve le Livre Vert de Mouammar très bien écrit.
Limonov. Il y a trois jours je me demandais où Carrère avait bien pu pécher les détails scabreux qui parsèment sa limobio. J’ai une réponse aujourd’hui et il faut dire que sur ce coup-là j’ai frôlé l’idiotie la plus mononeuronal qui soit ! Eh bien, voyez-vous, tous ces détails scabreux, Carrère les a pêchés chez Limonov lui-même ! Dans les livres de Limonov ! Il faut vraiment être tordu d’esprit comme moi pour avoir osé penser à du plus compliqué ! Pour avoir extrapolé sur de l’imaginaire en marche, ce genre de machin ! Non, tout est dans les livres ! D’ailleurs la vie elle-même, quoi qu’en en dise, est souvent bien plus dans les livres qu’ailleurs.

30 septembre.- Beau temps, curieusement chaud.Mal au poignet droit. Arrosé mes arbres.
Limobio. Encore New York. Mutation de Limonov en larbin sympathique, enfin larbin sympathique en façade, mais larbin odieux et vitupérant dans le fond. Il y l’épisode Kurt Waldheim (qu’il « met en joue » de loin), l’épisode du petit voisin leucémique (dont il souhaite secrètement la mort), il y toutes ces filles qu’il baise dans les draps en satin du patron, tous ces grands vins bus à même le goulot et avec la satisfaction du moujik qui attend son heure. Pour le reste début d’ennui, Limonov est un sale type qui écrit des choses intéressantes, et alors ? Carrère n’est pas assez là, sa Limobio vire à la bio et elle manque trop de point de frictions entre les deux écrivains qui sont censé nous occuper. Peut-être dans la partie parisienne ? Pour l’instant j’ai l’impression que tout cela vise trop global, grand retour du monde, et universel.


1 octobre.- Beau temps, frais à l’intérieur, tiède à l’extérieur. Mal au poignet, abandonné par mes mots, pas d’idées, pas trop d’envie non plus.
Hier, un peu dur avec la Limobio, finalement ce n’était que soupçons d’ennui. New York oublié et Paris là tout le toutim devient plus surement passionnant. Il faut dire que Carrère, sa vie, ses points de concordance et de friction avec Limonov, sont un peu plus présents. À Paris il y a le marigot branché, il y aussi la bande de L’Idiot International, la bande d’Edern Hallier, cette bande qui est le plus exact antonyme de ce que Carrère est censé être : un écrivain lactescent de chez POL et Minuit. Un écrivain bien peigné aussi, fils de qui l’on sait, mais qui se poursuivra plus hirsute, moins de droite et plus de gauche, comme ça parce qu’il le faut. Rien de crucial comme chez Limonov, en somme. Plus loin, après Paris, c’est la chute de l’empire soviétique, puis la guerre dans les Balkans, en « ex-Yougoslavie ». Tout est compliqué, Limonov pourrait bien être un salaud, mais qui sont les salauds dans tout ça ? Un salaud, peut-être, un gamin surtout. Il y a cette scène (cette séquence), la rencontre entre Limonov et Radovan Karadzic sur les hauteurs de Sarajevo. Limonov interviewe le fameux psychiatre poète génocidaire, il y a des explosions dans le fond, des crépitements, et pour tout dire notre héros ressemble à un petit garçon déférent qui passe les plats. La suite est encore plus gamine, il y une mitrailleuse et Limonov, Limonov qui s’amuse avec en arrosant Sarajevo plus bas. (Cette scène est visible sur You Tube, elle est impressionnante de tranquillité belliciste).


2 octobre.- Toujours cette tiédeur des extérieurs. Il est censé faire chaud, mais il y a trop d’ombre dans mon jardin.
Fini la Limobio. Somme toute passionnante. L’histoire récente de la Russie, le faux vrai mou Gorbatchev, Eltsine ivre qui ne tremblera pas devant les putschs, le terrible Poutine, double de Limonov. Les prisons de Limonov, la spiritualité qui rode dans les montagnes de l’Altaï où il s’est un peu réfugié (passage plus Dersou Ouzala que nature). On aurait bien envie de les connaitre ces montagnes-là, cette Asie extrême centrale, loin de tout, du monde et de son « grand retour ». Le problème de Limonov c’est que pour se croire vivant, il lui faut le monde et sa présence, des hommes plus que des montagnes, il ne cherche qu’à être un chef, car au monde il faut des chefs, et parmi ses chefs, surtout des chefs qui vomissent les tièdes et les bien-pensants. L’intérêt d’être le chef de quoi que ce soit m’échappant totalement je me serais personnellement contenté des montagnes de l’Altaï. Bon d’un autre côté je n’ai rien de Limonov, si c’était le cas cela se saurait.
to be continued...

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