dimanche 29 avril 2007

Journal d’Alexandrie (2)

Je viens de terminer « Balthazar» le second volume du « Quatuor d’Alexandrie » et même si l’enchantement est d’une autre nature, je reste ébloui par la finesse et l’intelligence pour tout dire émouvante de Lawrence Durrell. Chacun sait qu’il est important pour un roman que se niche en lui-même un secret, il ne faut pas par exemple que le lecteur sache en entamant son hypothétique lecture de quelle manière finira le récit. Eh bien l’émotion procurée par « Balthazar » est dans ce secret que nous détenions au creux de la main à la fin de « Justine » Un secret qui s’évapore et se régénère devant nos yeux ébahis dans un tour de magie relativiste. Car comme disait ce vieil Albert (le type avec la langue) dans le « Quatuor » tout est relatif ! « Balthazar » n’est qu’une « Justine » vue de biais dans une autre perceptive , un décalage subtil qui éclaire la trame d’une manière radicalement différente empoignant certains personnages avec une épaisseur insoupçonnée (Nafouz, Scobie, Pursewarden) d’autres prenant la consistance de spectres un peu vagues là au fond dans l’arrière-plan (Melissa, Justine.) Le récit brille et frôle la lumière, l’enchâssement doit toujours à Schnitzler, mais la ronde n’est plus la même. L’effet Rashomon jouant à plein, Justine n’est plus vraiment amoureuse du narrateur, mais d’un autre écrivain , Pursewarden, qui se tuera non par dépit, mais par lassitude. Nessim n’est plus le prince détaché que l’on imaginait, il complote en sourdine contre l’occupant anglais, il a un frère Narouz, fruste et affligé d’un bec de lièvre vivant en reclus à la lisière du désert. Scobie le vieux britannique folklorique, finira lui assez mal, travesti sur le port d’Alexandrie et rattrapé par un vieux fond de civilisation , « camp » et vieille morale Anglo-Saxonne faisant bon ménage en l'occurrence. Tout s’achèvera ou fera mine de s’achever dans un carnaval tragique où comme à Venise les sens se libèreront Enfin rien n’est moins sûr, car tout est relatif : Qui aime qui ? Les miroirs sont biaisés, jeux de masques, roman à « panneaux coulissants » palimpseste médiéval peut-être, Courbet et l’amour ? L’origine du monde : c’est l’amour… Pour rester un peu concret et didactique, Durrell joue encore avec le temps et les strates narratives, pour l’essentiel ce second volume n’est que le commentaire de « Justine » Une exposition différente permettant au récit de s’emboîter, un puzzle à deux segments (pour l’instant), mais deux segments composés d’infinitésimales et infimes pièces : les pièces de la trame et du passage du temps. Balthazar retrouve Darley (le narrateur) et lui rend le manuscrit de « Justine » annoté, commenté. Il devient ainsi une sorte de co-auteur qui révèle au lecteur -et d’une manière un peu plus étonnante au narrateur - ce qu’ils ignoraient réciproquement. Dans un second temps, Darley (Durrell ?) mélange d’autres souvenirs au commentaire fourni par Balthazar formant une matière sensible et émouvante jouant avec le passage du temps et la nécessaire modification des sensations face à l’histoire. Les sentiments ondoient évoluent et changent, la manière de les percevoir compte finalement plus qu’une vérité propre et qu’un quelconque écoulement temporel, la forme se fait irrémédiablement impressionniste. Le flottement des sentiments ne serait faire oublier qu’il y a une profondeur du sujet - peut-être qu’avec « Justine » Durrell n’avait pas atteint la vraie profondeur de son sujet - et Batlhazar serait une tentative de redescendre par palier, en apnée... ivresse des profondeurs. S’il y a de la mécanique, il faut l’oublier ou la laisser se faire oublier, car Durell est également un grand poète. Un poète solaire et méditerranéen, Grec pour tout dire ! . Dans « Balthazar » L’Égypte se fait plus présente moins cosmopolite Il faut lire ces pages magnifiques sur la vie à la campagne ; sur le poulain dressé par Narouz, c’est la lumière d’Homère qui ressurgit, aveuglante ! Une prose poétique et exigeante évocatrice d’une ville et d’une terre que Durrell connaît parfaitement et d’ont il restitue les couleurs, les odeurs, le mystère et le rythme languissant avec l’intuition et la patience d’un peintre voire la quiétude affleurante des plus beaux récits antiques.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Je me demande s'il ne faudrait pas remplacer dans ton texte "Homère" par "Virgile".
Homère n'est pratiquement pas un poète, chez lui tout est conditionné par l'action et rien n'est suspendu sous la lumière.

Philippe L a dit…

Ben si quand même ça chauffe sous le soleil l’action et les sirènes ne sont pas trop nordiques enfin quoi merde quasi siciliennes les sirènes

Anonyme a dit…

Je reste assez sceptique. Tu as relu récemment l'Odyssée ? C'est plutôt une épopée virile qu'un hymne à la sieste sous les oliviers.