« De toutes les réflexions, les plus futiles sont celles sur la littérature. La critique est ce qu’il y a de plus stérile ; il vaut mieux être épicier qu’écrire sur les autres. Il faut lire un livre et ensuite le jeter ; inutile d’en parler, de le résumer et de le commenter. À quoi bon en peser les mérites et les défauts ? S’il est bon, on se l’incorpore à sa propre substance ; s’il est mauvais, il aura été cause d’une perte de temps. Un point c’est tout Pourquoi réfléchir indéfiniment sur ce qu’on a lu ?» (Cioran, Cahiers)
25 juillet 2024.– Soleil (27°C). Labeur, JO télévisés, je périclite.
26 juillet 2024.– Chaleur (30°C). Labeur, sieste et rien de plus… Incrusté dans mon canapé, je laisse tout flotter autour de moi et je me souviens de ces mots de Jean de Tinan : « Je “descendis en moi-même”… et je n'en fus pas plus renseigné. C'était bien trouble - “en moi-même”. »
28 juillet 2024.– La chaleur enfle (30°C). Depuis trois jours, entre mes petits tours vélocipédiques, les jeux olympiques à la télévision, et une vie sociale raisonnablement remplie, guère de temps de cerveau disponible pour la chose lectorale. Je me suis donc contenté de choses fragmentées, picorant ici ou là, dans L’Éloge de la paresse du très oublié Eugène Marsan, par exemple : « Ils ne causèrent point toute la matinée de Paul Lafargue et du socialisme. Il régnait sur l’Anjou un temps plein de langueur, doux et précaire, couleur de tourterelle. »
29 juillet 2024.– Goût caniculaire (34°C). Jeux Olympiques, tir à la carabine. Spectacle fascinant, être et non-être, beauté de la fixité. La fin de la compétition pleine de suspense hiératique, enrobée de Lexomil, haletante en sous-main… En escrime, chez les sabreuses, de magnifiques concurrentes hongroises.
31 juillet 2024.– Grosse chaleur, pour le moins (39°C). Labeur, malade, rien d'autre.
1er août 2024 – Appétence caniculaire (34°C). Labeur, chaleur, je ne suis plus qu'une flaque. Dans ces conditions, rien lu… Mort d'Annie Le Brun, dernière vigie du surréalisme.
4 août 2024.– Beau temps estival (27°C). Choses sportives : vingt kilomètres de vélo (j'augmente les distances à doses homéopathiques), et JO à la télévision (JO qui sont une parfaite réussite à tous points de vue). Histoire de ne pas être que muscles actifs (les miens) et vues (ceux des athlètes dans le petit écran), j'entretiens un peu mon cerveau et la partie lectorale de mon existence en chipotant dans quelques beaux poèmes de Maurice de Guérin, une sorte de champion du défaitisme. Était-il musclé ?
5 août 2024.– Soleil (29°C). De mauvaises nouvelles : la petite félidée de ma voisine s'est évaporée, les Jeux Olympiques deviennent un peu fatigants. Lu trois ou quatre chroniques de Bernard Frank, sans réelle conviction.
6 août 2024.– Chaleur (33°C). Telle une Pomponette des temps modernes, la petite félidée de ma voisine est finalement revenue. Elle a toqué à l'une de mes fenêtres avec sa patte gauche, et la voilà qui ronronne sur mes genoux… En dehors de tout ça, fait mon tour de vélo quotidien, acheté deux nouvelles plantes d'intérieur (il faudra les arroser) et picoré dans divers volumes avant de m'abrutir devant les Jeux Olympiques à la télévision. Rouvert les Mémorables de Maurice Martin du Gard. Lu quelques pages où était convoqué un Valery Larbaud pas encore totalement aphasique ; il y parlait de ses « rapports » avec Stendhal, du côté bon vivant, un peu commis-voyageur à l'esprit fort et soudard de ce dernier. En somme, l'opposé de Larbaud. Pas de paludisme chez Stendhal, pas d'heures à rêver indéfiniment devant des fenêtres vides ou des coins obscurs. Non, rien de tout ça, mais quand même un merveilleux technicien de la langue française à la vision claire et nette, un type intense qui, derrière ses apparentes lourdeurs, ne cachait pas le grand moraliste. Tout étant dans tout, relu la préface qu'avait écrite Bernard Delvaille pour les Cartes Postales de Levet. Larbaud y est évoqué, et puis René Ghil, Roger Allard et John-Antoine Nau, premier prix Goncourt oublié, poète un peu consulaire. Tiens, voilà, aujourd'hui j'ai donc découvert John-Antoine Nau : « Et comment expliquer ceci : je suis à la fois, outré, gonflé de rage - et assoupli comme un gant, - désespéré, navré au-delà du possible - et, par moments, pris d'un fou rire ? »
10 juillet 2024.– Tiédeur (33°). Vélo, JO, dodo…
12 août 2024.– Appétence caniculaire (38°C). Spleen post-olympique, déjà en manque, cherchant mon opium quotidien. De surcroît, la chaleur est si posée qu'il me faut limiter mes activités sportives à la dérive lectorale sur canapé (qui n'est pas encore un sport olympique). Relu une merveilleuse petite conversation entre Valery Larbaud et Léon-Paul Fargue. Nous sommes le 2 mars 1911, dans une limousine filant entre Saint-Étienne et Montbrison, nos deux compères sont sur les traces de H. J.-M. Levet, avec l'intention de rendre visite à ses parents. Il est donc ici surtout question du poète oublié, mais aussi, en passant, de la jeunesse de Fargue et Larbaud. Les souvenirs remontent en kaléidoscope : Montmartre, le Chat Noir, le goût de Levet pour les cartes et atlas où de petits drapeaux plantés claquent au souffle des ventilateurs. On évoque le cosmopolitisme, l'exotisme, les langueurs féminines, les paquebots des messageries maritimes, et les siestes pacifiques. Et puis il y a les iguanes qui volent dans la chaleur, et les souvenirs de musiques bizarres que l'on écoute en buvant des liqueurs des îles bleues et des cocktails roses. Debussy rôde à la tombée du soir autour des pavillons exotiques de l'Exposition universelle, d'où hurlent de bizarres fusées sonores. Fargue se souvient de Levet parlant d' « étranges pays » avec un intérêt déjà sûr. La « poésie consulaire » est déjà en route. La « poésie consulaire » devrait être une discipline olympique, tout comme le spleen sur canapé.
14 août 2024.– Orages (26°C). Labeur et rien d'autre, ou presque. Je n'y suis pas.
15 août 2024.– Un peu de fraîcheur, mais assez relative (28°C). Matin. Entre Poppy, la petite chatte tigrée dépourvue de queue, et Théo, le gros matou rouquin, je me léautaudise à tous crins. Il ne me manque plus que le chapeau bizarre pour faire le compte. C'est donc avec Poppy sur les genoux et Théo sur les pieds que j'ai commencé la lecture de Pronto, une chose polareuse d'Elmore Leonard. Étonnamment, c'est la première fois que je pose mes pénates chez cet olibrius. Pour l'instant, je n’ai lu que soixante pages ; c'est assez à mon goût, drôle en sourdine et apparemment assez bien traduit. S'agissant de cette lecture, j'espère que mes premières impressions ne seront pas trahies. Après-midi : quinze kilomètres de vélo, trois heures de jardinage. Rien pour l'Ascension des âmes, tout pour un certain relâchement, ancré, terrien.
16 août 2024.– Soleil trop torve pour être honnête (30°C). En dehors du labeur, toujours aussi saumâtre, rien lu, rien vécu… Je vire au légumineux.
17 août 2024.– Trop beau temps avant une large amélioration orageuse en fin d'après-midi (28°C). Vélo, jeux avec les chats du voisinage, quelques séquences prolongées de narcolepsie sur canapé, deux, trois choses sportives à la télévision. Rien pour moi, aucune chance d'aventure sexuelle. Poursuivi Pronto d'Elmore Leonard. J'aime assez, ça ne se veut pas trop littéraire malgré quelques allusions à Ezra Pound qui tanguent ici ou là. Caractères esquissés dans des teintes un peu comiques, science du dialogue, intrigue tenant plus du tohu-bohu que du trait appliqué et de la ligne claire… Comme je le disais plus haut, j'aime assez ça.
19 août 2024.– Ciel dégagé, température idéale (25°C). Fini le polar de Leonard. Tout le monde tue un peu tout le monde et tout s'achève dans une sorte de pied de nez assez drolatique. Rien de transcendant, mais des moments, une certaine truculence… Pour rester dans ladite truculence, enchaîné avec quelques chroniques du chat Bernard Frank. Vacheries plus matoises que sournoises, ici, c'est le moelleux des coussinets plus que les griffes qui est à l'œuvre. Par exemple, dans ce passage où Frank décrit une émission d'Apostrophes où Modiano dézingue un peu Sollers : « Sa sortie faite, Pivot se tourne vers Modiano : “Et vous, que pensez-vous de Philippe Sollers ?” Et, comme sortant d'un songe, avec son bégaiement inimitable : “Oh ! pour moi, Philippe Sollers, c'est vieux, ça me fait penser à Sacha Distel, Scoubidou." » Cet après-midi, tour par la jardinerie, acquis deux ou trois plantes, un rosier, et quelques jouets pour les chats du voisinage. Il faut savoir s'occuper.
21 août 2024.– Averses matinales laissant place à un ciel bleu pâle (24°C). Labeur. Je n’y suis pas. Ce vague journal devient homéopathique, tendant vers la disparition. Lectures : un peu des Cahiers de Cioran, une lettre de Flaubert ; tout cela doute.
22 août 2024.– Beau temps, température parfaite, quelque chose de madérien (26°C). Entamé Moi, je, premier volume de la trilogie autobiographique de Claude Roy. Assez étonnant, très éloigné du « livre de souvenirs », comme on pourrait l'entendre communément. Roy commence son affaire par de l'intra-utérin, par des anémémoires où il se souvient fœtus. C'est assez salé. Plein de scansions que l'on dira poétiques. Son corps n'est qu'une petite flaque de lait caillé, il n'est pas encore déployé, mais on le sent là, posé dans un ventre, celui de sa mère. Ailleurs, à l'extérieur de ce ventre, c'est la Grande Guerre, et on bascule de l'un à l'autre, du fœtus de Roy pas encore né aux tranchées où son père pourrait bien mourir. C'est assez tordu, quelque part viscéral. On a lu des choses moins étonnantes. Le fœtus né, révélé, déployé nous sommes en 1940, lors de la drôle de guerre. Roy n'est plus niché dans un ventre mais comme encastré dans un char d'assaut, on tue des motocyclistes allemands à grand coup de canon puis nous voilà dans des choses assez sexuelles, les débuts de l'auteur. Tout cela bien cru, mais aussi parfois aérien, Roy voyant son corps comme un élément chimique entre l'hydrogène et l'azote, poids plume plus proche de la famille des ondes, des vagues, des vibrations, des nuages et des fusées d'artifice qui retombent. Revoilà le poète. (Conditions lectorales 8,969/10. Matin : divers bancs publics avec un peu trop de présence humaine. Après-midi : ma chaise de jardin avec une présence féline pour ainsi dire raisonnable).
24 août 2024.– Soleil voilé et vent saharien. On annonce des orages (32°C). Toujours plongé dans Moi, je de Roy. Ce n'est certes pas L'Enfance d'un chef, mais plutôt l'enfance d'un poète, une autobiographie assez étonnante, tant elle ne cède guère à l'anecdote, préférant explorer des choses plus secrètes, profondes, enfouies. L'odeur d'une mère (on pense à Proust) ; les années de pensionnat comme des années de prison ; les engelures, les coups et les douches prises le vendredi ; la crasse et les pieds puants « galopant dans des pantoufles de feutre » ; les haricots mal cuits ; une « caserne à humanité » remplie de roulements de tambours. Tout cela bien mieux que ce que j'en dis, évidemment. Pour le reste, petit tour de vélo quotidien, jeu avec les chats. Une fille dont je fus jadis vaguement amoureux — j'imagine que ce n'était pas réciproque — est morte… Voilà pour aujourd'hui.
P.-S. Y a-t-il des poètes chefs, ou des chefs poètes ? Breton est-il un exemple ?
25 août 2024.– Baisse sensible de la température extérieure (23°C). Choses sportives vues à la télé : le premier match très raté de Kylian Mbappé pour le Real Madrid, une belle étape du Tour d'Espagne en Andalousie. Plus matinalement, une quinzaine de kilomètres à vélo dans des rues à peu près vides (chérissons les dimanches). Du côté lectoral, Roy. Texte étrange, pas une autobiographie comme on l'entend usuellement, mais un « essai » autobiographique. Toute la différence est dans le mot essai. Qu'est-ce qu'un essai, si ce n'est une tentative ? Or Moi, je est une somme de tentatives. Roy escalade sa vie, les souvenirs qu'il en a, par différentes faces. La face poétique, la face de la mémoire embrumée par le fil du temps, la face physiologique – se raconter, c'est aussi raconter son corps – la face de la grande Histoire, de la drôle de guerre, et des engagements qui finissent toujours mal (Maurras, l'extrême droite, le parti communiste, Budapest et les procès de Moscou). Toutes ces faces abordées par autant de voies, on pourrait dire qu'elles rejoignent une voix, un ton, presque une langue avec ses étrangetés ; on y revient.
Du côté du monde, attaque contre une synagogue à La Grande-Motte, plus de roquettes sur Israël, le train-train en somme.
25 août 2024.– Ciel
bleu, mais le fond de l'air est frais, ce qui n'est pas pire
(23°C).
A/ 6 km de randonnée pédestre matinale. Découverte
de nouveaux chemins de traverse louvoyant entre les propriétés de
haut standing. Impression d'être un flibustier psychogéographe ou
l'inverse.
B/ « Ce qui est évident, c’est que l’absence d’espoir en la compensation d’un autre monde rend plus poignant le désir de rendre celui-ci vivable. Si on ne peut pas rejouer la partie dans une autre salle, autant essayer de gagner dans celle-ci. » Roy et la politique. Grande affaire du socialo-maurrassisme au socialo-communisme pour mieux finir modéré ; en somme pour mieux finir démocrate. Une suite de mutations intérieures, des chimères abandonnées : aristofascisme et son utopie amère élaborée en vase clos, l'adhésion au PCF, une autre forme d'aristocratie. Le bouquin de Roy devient moins intime, quitte le « je » pour se transformer en une belle galerie de portraits. On croise le jeune Mitterrand et surtout une petite troupe de maurrassiens hérétiques : Thierry Maulnier, un grand dadais myope et timide, Maurice Blanchot, très diaphane et fragile comme une apparition portant un plaid écossais à l’instar de Mallarmé, Brasillach rond et sentimental, finalement le moins politique de la bande, Dominique Aury, rayonnant déjà de douceur souveraine en sourdine. Belle galerie.
C/ Tout étant dans tout et Albert Cossery étant partout, on peut le voir entre Delon et Ronet dans La Piscine. Il ne nage pas, mais est assis sur un canapé avec tout l'apragmatisme aristocratique qu'on lui connaît. Disons que ce n'est pas rien.
28 août 2024.– Retour des pics de chaleur (31°C). Des travaux de voirie dans ma rue. On fait encore des trous à grand coup de pelleteuse. C'est ainsi, tous les deux ou trois ans, on creuse furieusement et mes murs vibrent pendant que les conditions lectorales deviennent quasiment impossibles. Seule solution face à un tel capharnaüm, la fuite. C'est ce que j'ai fait, j'ai fui. Vers ma coiffeuse qui m'a coupé les cheveux en me parlant de la météo, puis vers ma libraire où j'ai acheté le nouveau roman d'Abel Quentin, Cabanes. Passant à la caisse, ma libraire m'a affirmé doctement que le précédent ouvrage du même Quentin, Le Voyant d'Etampes, était très poétique. Or, rien de moins poétique que ce gros roman balzacien ! Il faut parfois savoir se méfier des libraires. Sur mon chemin, dégoté La guerre à neuf ans de Pascal Jardin dans une boîte à livres (joli livre de poche, belle couverture où Pascal ressemble terriblement à son fils Alexandre, c'est assez inquiétant). Un peu plus loin, assis sur un banc à l'abri et loin du maelström, poursuivi les souvenirs de Claude Roy. Rien de chronologique, mais plutôt le flux de la mémoire à l'œuvre : un dépucelage, l'armée, la captivité en Allemagne, le passage de la droite extrême au parti communiste, les débuts feutrés dans la résistance et puis la littérature, les livres… Adrienne Monnier rayonne doucement sur ses rayons de miel où les livres craquent sous le beau papier cristal tandis que la voix de Paulhan monte dans les aiguës. La littérature avec le monde, la littérature contre le monde, il faut parfois se fier aux avis de nos libraires.
30 août 2024.– Appétence caniculaire (34°C). La chaleur plantée tel un totem torride, le moindre mouvement l’augmentant, il faut savoir éviter les efforts superfétatoires et les fariboles labeuristes au service du libéralisme triomphant. C’est pourquoi, ce matin, après mon petit tour de vélo à la fraîche, j’ai sereinement pris possession de mon canapé pour mieux poursuivre la lecture des mémoires de Claude Roy. L’Occupation, le passage de l'Action française aux Lettres françaises, la Résistance en sourdine, L’Humanité distribuée au débotté et le petit marigot littéraire parisien. Giraudoux flotte comme un spectre soulevé par un hélium fantomal, Eluard passe en coup de vent… Malgré son engagement du bon côté, Roy pardonne beaucoup, il pardonne même Brasillach, soutenant que l'on n'aurait pas dû le trucider comme ça au petit matin (néanmoins, il refusera de signer sa demande de grâce en 1945). Tout cela est très bien raconté, sans souci spectaculaire, mais avec un ton flottant, un ton de peintre cherchant ses couleurs dans sa mémoire. (Évidemment, tout cela est bien mieux que ce que j'en dis.) Sinon, au risque de paraître bête, désagréable et tout ce que vous voulez, je dois dire que les Jeux paralympiques vus à la TV ressemblent à une sorte de tableau de Jérôme Bosch. (Fouettez-moi !)
1er septembre 2024.– Temps nuageux et chaud, quelques averses tièdes (32°C). Septembre est là et c'est déjà l'été qui s'enfuit. Tout finit, tout est appelé à recommencer, mais l'homme est maussade. Disons qu'il ne s'y fait jamais, certainement parce qu'il sait que les cycles de la vie, les saisons reviennent, mais que tout cela s'amenuise, que bientôt tout finira, car tout est appelé à finir, même le cyclique. De surcroît, l'homme est aussi maussade parce qu'un mouflet piaille dans la rue et le rappelle à sa propre finitude. Et puis il y a la voisine de droite qui discute sans interruption depuis bientôt dix heures avec la voisine du dessus. Tout cela pour vous dire qu'aujourd'hui les conditions lectorales étaient pitoyables et quasi impossibles. Néanmoins, fini le Moi, je de Roy. Livre que j'aurais assez aimé, même si ses dernières pages virent à une sorte de panégyrique d'Aragon assez fatigant. (Rassurez-vous, mon agacement est certainement lié aux maussaderies évoquées plus haut. L'humeur du lecteur est parfois plus importante que ses cogitations, elle les étouffe, les embrasse.)
2 septembre 2024.– Ciel à moitié nuageux (27°C). Forme paralympique. Douleurs cervicales et dorsales. Visite chez mon vieux médecin. Pour lui, tout est normal : c'est l'âge ! Relu Les Mémoires d'un tricheur de Guitry. C'est presque aussi bien que le film. L'entame est toujours géniale, la fin est étonnamment émouvante et le reste n'est pas en reste. Célérité, esprit, aujourd'hui Guitry n'est plus possible. La vitesse est ailleurs, quant à l'esprit, n'en parlons pas, y en a-t-il encore quelque part ? (je vais encore passer pour un vieux réactionnaire. Tout se boucle, tout se tient : c'est l'âge !). Pour la suite de mes pérégrinations lectorales, j'hésite entre plusieurs volumes : La guerre à neuf ans de Pascal Jardin, Cabanes d'Abel Quentin, le nouveau petit machin non fictionnant de Philippe Jaenada (je sais, je sais, rien de vraiment transcendant dans tout ça).
3 septembre 2024.– Ciel se couvrant (30°C). Lombalgie carabinée, je me déplace chichement avec toute l'habileté d'un vieillard valétudinaire. Retour dans le journal de Julien Green. Il voit Freaks, « une atrocité » qui le rend malade de dégoût. Deux pages plus loin, il enchaîne avec une longue digression sur la masturbation anale dans l'Antiquité et sur Dionysos qui, selon les traditions grecques, se branlait en s'enfonçant un doigt dans le cul. Tout cela est bien lourd ; je me demande si ce n'est pas plus dégoûtant que Freaks, qui est tout de même un bon film. Voilà les limites du nouveau journal de Green. Le non-expurgé prend le dessus sur l'expurgé, qui devient la part congrue. Tout le problème est là, car on sent bien que si l'expurgé est un peu travaillé (forcément, il était destiné à la publication), ce n'est pas le cas du non-expurgé qui est, comme je le disais plus haut, assez lourd, pas travaillé et redondant comme une mauvaise habitude (forcément, il n'était pas destiné à la publication). Voilà, ce que je dis est un peu embrouillé, mais j'ai mes raisons, j'ai mal au dos… Demain, labeur.
5 septembre 2024.– Ciel nuageux se dégageant totalement (31°C). Labeur. Nouveau premier ministre. Journée inutile.
Rien (ou presque). Profondeurs satinées, abris discrets où j'attends mon heure, qui viendra, ou pas.
6 septembre 2024.– Dernière journée estivale avant les frimas qui attendent, qui seront bientôt là (29°C). Toujours lombalgique, flottant dans une molle narcopée antalgique, sans inspiration et sans envie, perdant mon temps dans un rien pour ainsi dire ontologique. Une journée de plus gâchée, chiffonnée, jetée à la poubelle.
La guerre à neuf ans de Pascal Jardin. Ne pas se fier aux premières pages et à leur ton que l'on pourrait trouver un poil acrimonieux, par exemple à cette propre merde qu'une maîtresse voudrait que l'on bouffe. Non, le livre de Jardin vaut mieux que ça, disons qu'il est plus de mauvaise humeur qu'acrimonieux, donnant l'impression d'avoir été écrit par un gamin mal peigné, triste d'être un peu adulte avant l'âge légal. Pour le reste, c'est bien ce qu'on en dit : une belle galerie de portraits, Vichy regardé de biais et tout ce que vous voulez…
8 septembre 2024.– Ciel couvert, pluie fine, température en baisse, on en frissonnerait presque (20°C). Ma lombalgie s'éloigne, petit tour de vélo, pas loin de 20 km à une allure modérée qui m'aura semblé plus proche de Cingria que de Morand. Fini La guerre à neuf ans. Outre la qualité des portraits (la 4e de couverture parle d'un Saint-Simon en culottes courtes, nous n'en sommes pas loin), une certaine science de l'accélération historique, Vichy en synthèse avec la célérité d'un gamin qui comprend trop vite. Pour tout dire, ce n’est vraiment pas si mal que ça et c’est à coup sûr de la littérature.
« Coco Chanel porte le tailleur de collégienne androgyne qu'elle porte depuis vingt ans, celui-là même qu'elle a obligé un certain nombre de Françaises à porter jusqu'à nos jours. Elle me manifeste un intérêt qui me touche mais qui est fait d’agressivité permanente. Cette nuit-là, escortée de Missia Sert, elle m’attaque bille en tête : – Mon cher Pascal, tu ne sais rien, tu ne sauras jamais rien faire, tu es un bon-à-rien. En conséquence, il faut que tu apprennes à devenir maquereau. Ignorant la signification de ce terme, je le lui demande. Elle me l’explique. Vexé, je refuse. Méchamment, elle insiste, précisant que je devrais commencer tout de suite en lui faisant des frais. — Vieux poulet déplumé. Pourquoi ai-je dit cela ? Peut-être parce que j'avais sifflé les fonds de verre de plusieurs invités. La voilà qui prend une tête d’Indien sur le sentier de la guerre. Elle triture un moment son fabuleux collier de perles, qui a dû coûter la vie à cinq cent mille huîtres et à cinq cents plongeurs, puis elle me baille une calotte qui me fait exploser des pétards en pagaille à l’intérieur de la tête. Elle est sur sa lancée, moi aussi. Je lui retourne un soufflet qui sonne méchamment sur sa joue mate d’Aztèque. »
Je prépare ma valise. Demain, départ pour les rives du lac d'Annecy, où, malheureusement, la météo s'annonce loin d'être au beau fixe.
To be continued.
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