tag:blogger.com,1999:blog-69805822024-03-13T21:38:40.765+00:00ordet blogto the happy fewPhilippe Lhttp://www.blogger.com/profile/11161966062544589959noreply@blogger.comBlogger1078125tag:blogger.com,1999:blog-6980582.post-37098171403469130932024-03-04T18:23:00.035+00:002024-03-13T21:01:29.131+00:00Psychogeographie indoor (135)<p></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhMRcDYGHen4ekplk6PUjbb3aESk_fM8Q4cUnVEV-FhDhebUX3W3_y65R-X_pHXZ1-DKRqiF3Z45EvWL2ZUV4si2ijr8TP0efRTqaMgasSoP9nEwWuLKU9-UGZS-0-m33ViF8CV5dXXaEW_wG5PDYqR_93_Wc0izT5Kw4PolfWgMv3bG6RlOp4Czg/s1011/Philippe-Sollers-ile-de-Re-1938.jpg" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><span style="font-size: medium;"><img border="0" data-original-height="601" data-original-width="1011" height="238" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhMRcDYGHen4ekplk6PUjbb3aESk_fM8Q4cUnVEV-FhDhebUX3W3_y65R-X_pHXZ1-DKRqiF3Z45EvWL2ZUV4si2ijr8TP0efRTqaMgasSoP9nEwWuLKU9-UGZS-0-m33ViF8CV5dXXaEW_wG5PDYqR_93_Wc0izT5Kw4PolfWgMv3bG6RlOp4Czg/w400-h238/Philippe-Sollers-ile-de-Re-1938.jpg" width="400" /></span></a></div><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><br /></div><div class="separator" style="clear: both; text-align: justify;"><span style="font-size: medium;"><i style="text-align: left;">« Quand on écrit avec facilité, on croit toujours avoir plus de
talent qu'on en a. Pour bien écrire, il faut une facilité naturelle
et une difficulté acquise » </i><span style="text-align: left;">(Joseph
Joubert) </span><i style="text-align: left;">«
Dieu ne veut pas que j'écrive, mais moi, je dois. </i><span style="text-align: left;">» </span><span style="text-align: left;">(Franz
Kafka)</span></span></div><p></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><span style="text-align: left;">21
avril 2023 - Rien de vraiment printanier (18°C). Je tangue dans un
vague ennui. Chez Manchette (</span><i style="text-align: left;">Derrière les lignes ennemies</i><span style="text-align: left;">),
beau côté arrière-cuisine. Nothing else.</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><span style="text-align: left;">22
avril 2023 - On annonçait des éclaircies qui se sont fait attendre
et qui ne sont pas venues (18°C). (Matin) Fini le livre de
discussions de l'ami Manchette. Malgré le côté répétitif des
questions (les journalistes manquent souvent d'imagination), c'est
globalement très bien et en tous les cas plein d'une humanité
bravache. Quelques dézinguages : les successeurs néo-polar, l'art
contemporain, le cinéma post-hollywoodien, la « littérature
d'art », la gauche officielle, mais chez Manchette, il n'y a
jamais la trace d'une quelconque aigreur. Non, plutôt une sorte de
résignation non dupée par les divers événements — intimes,
politiques — qui nous le fait encore plus aimer. (Après-midi) En
1958, dans </span><i style="text-align: left;">La Panoplie littéraire</i><span style="text-align: left;">, Bernard Frank est déjà
plein de lymphatisme goguenard, cela ne l'empêche pas de donner de larges et ouatés coups de
patte dans l'establishment littéraire de son temps. Ainsi, s'il
s'attaque à Sartre et à son secrétaire Cau sans donner
l'impression de les toucher il laisse tout de même quelques traces de griffures derrière lui. C'est ouaté comme je le disais, plein de
fausse torpeur palimpseste pour mieux masquer les méchancetés qui
sont bien là. Ça tangue aussi nonchalamment, part dans des digressions
qui sont autant de caresses contre le sens du poil. Bref, Bernard
Frank, c'est toujours très bien.</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><span style="text-align: left;">23
avril 2023 - Météo vaguement orageuse, vaguement sinistre (18°C). Frank pense qu'en rassemblant philosophie mathématique et
blagues, Queneau aura transformé la littérature en une autre
technocratie. Et puis cette petite voix mièvre de vieille femme
essoufflée. Que voulez-vous Queneau, rien pour lui ! Enfin, je
m’égare, </span><i style="text-align: left;">La Panoplie littéraire</i><span style="text-align: left;"> n'est pas un livre
vraiment consacré à l'oulipien en chef, c'est un livre qui tourne surtout autour du pâle Drieu. Enfin, c'est plutôt un livre sur cette série
d'attitudes dans lesquelles les écrivains se complaisent, ce miroir
qui les avantage, ces faiblesses qui sont des charmes, ce duvet de
l'intelligence. Pour voir tout ça, il faut démonter tout ça,
démonter Drieu ! (Je ne suis pas très clair, je ne suis pas en
forme.)</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="text-align: left;"><span style="font-size: medium;">24
avril 2023 - Deux éclaircies (15°C). (Avant la sieste) Frank : dissection de l'écrivain collaborateur. Ambiguïté de Gide, joie
compliquée de Sartre, sautillements de Rebatet, lucidité
patibulaire de Drieu. Dissection de l'écrivain de droite, de celui
de gauche. Dissection de l'antisémitisme, celui de Drieu tenant plus
de la perversité que de toute autre chose, celui des autres qui est
parfois un antisémitisme d'arrivisme. Frank est un grand dissecteur
légiste qui ne simplifie jamais rien, qui complexifie même, qui
au-delà des constats trouve des causes. Son scalpel a beau découper
avec une tranquillité ronde et bonhomme, il ne laisse rien d'indemne
derrière lui. (Après la sieste) L'écrivain de droite n'est qu'une
tête folle, un gentil garçon, un pur esprit occupé par la beauté
de ses phrases sur les tulipes ou la Perse barbare. On n'aimerait que
ce soit cela, c'est plus compliqué. L'écrivain de droite est aussi
un type qui fait semblant de croire qu'il faut se moquer de la
politique alors que ce sont les circonstances qui l'ont contraint à
le faire. Lorsque ses vraies idées sont au pouvoir, on voit le
résultat. Chez Drieu, c'est terrible. Sa sincérité est de mauvaise
foi.</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><span style="text-align: left;">25
avril 2023.- Belles éclaircies (15°C).(Matin) En 1958, date de
parution de sa </span><i style="text-align: left;">Panoplie littéraire</i><span style="text-align: left;">, la grande affaire pour
Bernard Frank, c'est l'engagement politique. Il faut
dire que l'époque veut que les communistes phagocytent le marigot
intellectuel, que la droite soit suspecte du pire et que les modérés
et les vaguement désengagés n'existent pas, ou presque. Même s'il
offre de merveilleuses perspectives critiques autour de la figure
sacrifiée de Drieu, son livre est donc trop tendu par les
interprétations politiques de son temps, oubliant que le roman est
souvent ailleurs (</span><i style="text-align: left;">Le Feu Follet </i><span style="text-align: left;">n'a qu'un mince verni
politique). Enfin, c'est ce que je pense.</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><span style="text-align: left;">Loin
des rondeurs frankiennes, entamé </span><i style="text-align: left;">En lisant Augustin</i><span style="text-align: left;"> de Miklós
Szentkuthy (Chez José Corti). Tenu une page, c'est bien au-dessus de
mes forces présentes. Encore un type qui dit des choses simples de
façon compliquée alors qu'il faudrait toujours faire l'inverse.</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="text-align: left;"><span style="font-size: medium;">(Après-midi.)
Il faisait presque beau alors j'ai fait un petit tour au cimetière
et j'ai visité mes morts. Dans l'élan — un élan un peu chagrin
et plein de poudre de chrysanthèmes — j'ai poursuivi mon petit
chemin en improvisant une courte séance de psychogéographie qui m'a
emmené vers des lieux de portée limitrophe jusqu'à présent
ignorés de ma personne. Ainsi, sous mes pas, j'ai découvert un
point de vue donnant sur deux fleuves qui se rejoignaient — on
parle de confluent — avec au loin sur l'horizon de très hautes
montagnes blanches qui semblaient jouer avec de gros nuages
d'altitude. Sachant que mon modeste logis est situé à moins de cinq
cents mètres des lieux que je décris si mal et que j'y vis depuis
plus de vingt-cinq ans, on pourra en conclure que je n'ai pas
l'esprit très porté vers l'aventure. C'est en partie faux, car
voyez-vous, je connais assez bien Naples, Biarritz, Cluny ou Phnom
Penh. En fait, je pense que ma connaissance limitée de mon
environnement le plus immédiat est probablement ficelée par un
excès de xénophilie associée à une certaine crainte du prochain.
Cela doit être ça. Enfin bon, cette balade était très bien, je
renouvellerai l'expérience. Quant à mes morts, ils vont bien, ils
n'ont pas bougé.</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">27
avril 2023.- Ciel à demi nuageux, hausse des températures (20°C).
Je ne proteste plus, râler m'empêchait de respirer, j'ai retrouvé
le souffle et je me balance sans effort et je marche et je flâne, je
rôde et je cours et surtout je perds mon temps.</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="text-align: left;"><span style="font-size: medium;">À
ma droite, un couple de perruches, ma voisine s'est trouvé un
compagnon.</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><i style="text-align: left;">Paris-Berry
</i><span style="text-align: left;">de Frédéric Berthet. Gueule de fond de tiroir. Cependant, des
moments.</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><span style="text-align: left;">Rouvert
au hasard </span><i style="text-align: left;">Les Enfants Tanner</i><span style="text-align: left;"> de Walser. Toujours admirable.</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><span style="text-align: left;">28
avril 2023.- Quelque chose de tiède (23°C). Lever à 5h40, labeur,
sieste… Réveillé par la tondeuse du voisin. Détour par les
Cahiers de Cioran. Le bougre peut lire les Journaux d'écrivains, ces
fragments où il y a de la vie, mais de moins en moins les maximes et
les pensées, ces « formules oraculaires » qui signifient tout et
rien… </span><i style="text-align: left;">« Quand je songe que j'en ai écrit moi-même, je suis
pris de dégoût ! Oublions ! »</i></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="text-align: left;"><span style="font-size: medium;">Rien
de plus, je suis fatigué.</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><span style="text-align: left;">29
avril 2023.- Pluie tiède (20°C). Repas familial. Entamé </span><i style="text-align: left;">Un
jeune homme bien élevé</i><span style="text-align: left;"> de Jean-Jacques Brochier. Rien d'autre.</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="text-align: left;"><span style="font-size: medium;">30
avril 2023.- Quelques belles éclaircies (20°C). Vie sociale, peu de
place pour la lecture. Néanmoins, une quarantaine de pages de
Brochier. Le dépréciateur en chef d'Albert Camus raconte ses jeunes
années et ça ressemble à du Modiano bougon.</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><span style="text-align: left;">1</span><span style="text-align: left;">er
</span><span style="text-align: left;">mai 2023.- Averses et vent aigrelet, le soleil sera venu sur
le tard (18°C). Dans son vrai faux roman, Brochier raconte son
passage par l'activité clandestine, les valises qu'il portait dans
les temps que l'on sait, son arrestation, son emprisonnement et l'âge
adulte qui vient. Rien de foudroyant dans ce récit dont on connaît
certaines clés mais rien de problématique non plus. Brochier fait
preuve d’un certain ton à demi détaché et un peu ironique qui
n'est jamais vraiment désagréable. Bref, ce n’est pas si mal que
ça.</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><span style="text-align: left;">2
mai 2023.- Journée venteuse et ensoleillée (18°C). Morne labeur,
enthousiasme modéré. Seule chose à retenir, le mot </span><i style="text-align: left;">juponnard</i><span style="text-align: left;">.
Une invention de l'ami Léautaud que l'on retrouve dans son fameux
Journal et que l'on retrouve aussi dans ses tout aussi fameux
entretiens avec Robert Mallet (que je relis avec une parcimonie
gourmande).</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Juponnard
adj. péjor. ÉROT. « qui court les femmes » - TLF, cit.
Léautaud, 1906. <span style="text-align: left;">*1925
- «[…] il /Valéry/ est devenu très juponnard.» Léautaud,
Journ. Littéraire.</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><span style="text-align: left;">3
mai 2023.- Journée parfaitement printanière (20°C). Conditions
lectorales toujours déplorables. Les chantiers divers et variés
semblent s'agglomérer autour de ma chaise de jardin. Qu'ai-je fait
pour mériter un tel châtiment ? Malgré tout, picoré dans les
Cahiers de Cioran (dans lesquels je m'éternise plus que de raison).
Pour l'ami Emil, l'</span><i style="text-align: left;">Ulysse</i><span style="text-align: left;"> de Joyce est un tissu de potins, la
somme du déconnage, les divagations d'une concierge universelle.
C'est bien vu, je pense à peu près la même chose. Nouvelles
acquisitions : </span><i style="text-align: left;">Adieu</i><span style="text-align: left;"> et </span><i style="text-align: left;">Lettres de la petite ferme</i><span style="text-align: left;"> de
Kléber Haedens (une autobiographie romancée et un recueil de
chroniques), </span><i style="text-align: left;">Le Nageur </i><span style="text-align: left;">de Pierre Assouline (un roman
biographique).</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="text-align: left;"><span style="font-size: medium;">4
mai 2023.- Quasi tiédeur (26°C). Offensive estivale à
brûle-pourpoint. On recherche l'ombre en se disant que tout cela est
peut-être un peu trop précoce.</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><i>Le
Nageur </i>de Pierre Assouline. Avec une telle histoire, un tel
matériel romanesque, difficile de rater son affaire. Assouline ne la
rate donc pas vraiment. Mieux, son livre est presque bon, réellement
passionnant, informé comme il le faut et ne s'égarant jamais dans
les afféteries littéraires qui n'auraient pas leur place ici. (Le
livre raconte l'histoire d'Alfred Nakache nageur juif déporté, son
ascension, sa technique avant-gardiste, sa rivalité avec Jacques
Cartonnet, son double maléfique.)</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><span style="text-align: left;">5
mai 2023.- Tiédeur humide et morose (24°C). Petite forme, rien pour
moi. </span><i style="text-align: left;">Paris-Berry</i><span style="text-align: left;"> de Frédéric Berthet. Pas grand-chose, mais
charmant. Désinvolte, certainement. Mieux, le style est là, c'est
important. Encore dans les Cahiers de Cioran, il perd sa mère, sa
sœur, une dévastation distanciée. Les malheurs qui se répètent
portent à l'insensibilité. Fini par le Journal de Renard, l'odeur
de l'encre fait mourir ses rêves, lui donne de petits épanchements
de cœur…</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="text-align: left;"><span style="font-size: medium;">6
mai 2023.- Beau temps chaud (26°C). Avant-hier je me félicitais du
fait que Pierre Assouline ne versait pas dans la surcharge
littéraire. Aujourd'hui je ne suis plus vraiment du même avis, je
pense même que cet avis pourrait être une erreur. Son roman est
trop sage, trop au ras du factuel et du journalisme. Il ne fait rien
de Jacques Cartonnet qui n'est finalement qu'une ombre antipathique.
Alors si l'histoire d'Alfred Nakache est indubitablement exemplaire,
on se dit sournoisement qu'Assouline se trompe un peu de roman, qu'il
aurait dû se pencher un peu plus du côté du maléfique et moins de
la béatitude. Qu'il aurait dû écrire un livre sur Jacques
Cartonnet, le salopard de toute cette histoire.</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Mort
de Philippe Sollers, comme si c'était possible ! Je l'aimais assez, j'aime
assez les margoulins. J'aime Stendhal, Godard ou Debord qui en
dehors de la diversité étaient eux aussi de sacrés margoulins. Les
autodidactes sont souvent attirés par ce type de caractères pleins
de vernis, d'esbroufe et de bricolage… et je suis autodidacte et
Sollers était plein d'esbroufe… Il était aussi plein d'ironie, de
distance avec ce « lui-même » qu'il portait certainement trop haut
tout en n'étant jamais vraiment dupe de ce qu’il faisait. Il aura
construit de multiples ponts entre la grande génération de
l'entre-deux-guerres et les supposées modernités, ses romans ne
valaient pas un clou, ses écrits critiques frôlaient parfois le
merveilleux, c'était un passeur épatant, ses derniers livres où
l'autobiographie pointait sous le drapé étaient très beaux et
pleins d'une nouvelle sincérité, une sincérité de vieux, une
sincérité <i>old age</i>. Il manquera beaucoup.</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><span style="text-align: left;">Entamé
</span><i style="text-align: left;">L'épreuve de Gilbert Pinfold </i><span style="text-align: left;">d'Evelyn Waugh, un livre où
l'autobiographie se cache sous la cape du roman.</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><span style="text-align: left;">7
mai 2023.- Il pleut (17°C). Un romancier entre deux âges prend des
somnifères et boit plus que de raison. De surcroît, son existence
est troublée par des inconnus. Il décide donc de fuir tout ça en
faisant un grand voyage sur un paquebot de croisière. Mal lui en
prend, en pleine mer il est harponné par des hallucinations de plus
en plus singulières. Voilà l'intrigue de </span><i style="text-align: left;">l'Épreuve de Gilbert
Pinfold,</i><span style="text-align: left;"> un court roman où Evelyn Waugh ne cache pas
l'autobiographie et ses divers problèmes de ciboulot. J'aime
beaucoup Waugh, mais là ça ne prend pas. Je passe complètement à
côté de cette histoire ne parvenant pas à trouver ne serait-ce
qu'un infime point de contact avec elle. J'ai cru discerner quelques
pointes de loufoquerie, mais pour l'essentiel le côté drolatique
m'échappe totalement. Mes antennes du jour ne devaient pas être en
phase. (Autre éventualité, c'est mal traduit.)</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><span style="text-align: left;">8
mai 2023.- Ciel couvert (21°C). Au-delà de l'ennui, le roman de
Waugh n'a rien de vraiment comique. Il est surtout terrifiant…
Terrifiant comme l'aveu d'un type qui ne va pas très bien. Commencé
l'</span><i style="text-align: left;">Apollinaire</i><span style="text-align: left;"> de Pia dans la merveilleuse collection </span><i style="text-align: left;">Écrivains
de toujours</i><span style="text-align: left;">. Quelques activités de nature horticole. D'autre
part, je me prépare pour un examen médical saumâtre.</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="text-align: left;"><span style="font-size: medium;">9
mai 2023.- Pluie (16°C).</span></span></p><div style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size: medium;"><br /></span></div><div style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size: medium;">Joie
des blocs opératoires<br />Paradis
des salles de réveil</span></div><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><i style="text-align: left;">Apollinaire</i><span style="text-align: left;">
par Pia. Exemplaire, le didactisme comme il faut.</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="text-align: left;"><span style="font-size: medium;">Sollers
est toujours mort. Il manque déjà.</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><span style="text-align: left;">11
mai 2023.- Averses et vent aigrelet, rien de printanier (15°C). Pour
l'ami Paul (Valéry), écrire purement en français, c’était un
soin et un amusement qui récompensaient quelque peu son ennui
d’écrire. Quant à la syntaxe, il la voyait comme une faculté de
l'âme : </span><i style="text-align: left;">« La syntaxe est un système d’habitudes à prendre
qu’il est bon de raviver quelquefois et de rajuster en pleine
conscience. En ces matières, comme en toutes, il faut se soumettre
aux règles du jeu, mais les prendre pour ce qu’elles sont, ne
point y attacher une autorité excessive. Ne point tirer vanité de
se rappeler une quantité d’exceptions. Ne point oublier qu’au
temps des plus grands écrivains, les libertés étaient aussi bien
plus grandes. Leur langue était plus complexe, mieux construite,
plus “organisée” que la nôtre ; mais je confesse qu’ils
étaient assez divisés sur la concordance des temps, incertains
quant aux accords, inconstants et parfois surprenants dans leur
manière d’accommoder les participes. »</i></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><span style="text-align: left;">12
mai 2023.- Orages (15°C). Je ne travaille plus que trois jours par
semaine, mais c'est toujours trop. Sinon… Maurice Martin du Gard,
petit cousin de l'autre Martin du Gard, était une drôle de canaille
qui, en bon révolutionnaire nationaliste, s'est frotté un peu trop
aux mollets du Maréchal pendant l'occupation que l'on sait. Voilà
pour le côté pas terrible et non sautillant. Du côté du terrible
et du sautillant, le même Maurice Martin du Gard aura écrit </span><i style="text-align: left;">Les
Mémorables,</i><span style="text-align: left;"> une somme incontournable, un allègre pavé où il
se faisait le fin mémorialiste du milieu littéraire de son temps.
Pour Bernard Frank, ces plus de mille pages avaient quelque chose
d'un dictionnaire des écrivains de l'entre-deux-guerres, mais un
dictionnaire incomparable « animé, vivant, en cinémascope ». Pour
François Nourissier, qui ne faisait pas que bourrer sa pipe tout en
caressant un épagneul mouillé, le plus jeune et moins fréquentable
des Martin du Gard était un « Saint-Simon miniature ». Tout étant
dans tout et les choses étant bien faites, j'ai acquis les replets
</span><i style="text-align: left;">Mémorables</i><span style="text-align: left;"> en question chez un bouquiniste un peu torve. Pour
l'instant, je n'ai picoré que quelques pages, elles m'ont semblé
très bien, pas trop au raz de l'anecdote tout en distillant un art
du portrait pas vraiment valétudinaire. J'imagine que cette lecture
ne sera pas décevante.</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><span style="text-align: left;">13
mai 2023.- Temps maussade, printemps raté (16°C). Toujours un peu
dans </span><i style="text-align: left;">l’Apollinaire</i><span style="text-align: left;"> de Pia. Didactisme à l'ancienne, très
bien. Parallèlement, je commence la lecture de </span><i style="text-align: left;">L</i><i style="text-align: left;">a Cité
des rêves</i><span style="text-align: left;">, deuxième épisode de la nouvelle trilogie fomentée
par Don Winslow. Pour résumer à gros traits : les petites
histoires d'Homère, Virgile, Eschyle et Shakespeare transportées à
la fin des années 80 entre mafieux de tous poils (Irlandais,
Italiens, Mexicains) et officines états-uniennes en trois lettres.
Très feuilletonnant dans le bon sens. Reste à savoir si c'est
vraiment de la littérature ou une sorte de synopsis </span><i style="text-align: left;">netflixien</i><span style="text-align: left;">
très réussi. En tous cas, il y a de ça.</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="text-align: left;"><span style="font-size: medium;">14
mai 2023.- Éclaircies tardives (17°C). Le soleil se faufile entre
deux nuages et vient réchauffer mon auguste front qui n'en demandait
pas tant. Ma chaise de jardin est toujours confortable et je poursuis
sans réelle anicroche mon petit chemin dans la grande affaire de Don
Winslow. Il y est un peu question de Hollywood et de ses quelques
rapports avec le crime organisé, de Las Vegas et de San Diego (qui
m'intrigue assez cf Ken Numm). Rien à redire, tout cela est
parfaitement ficelé, les personnages malgré les clichés ont
quelque chose de finalement épais et Winslow est très maître de
ses rouages</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><span style="text-align: left;">15
mai 2023.- Deux, trois belles soleillées, mais une journée
essentiellement chapeautée par une lourde troupe de nuages (19°C).
Un chantier à droite, un autre à gauche, un derrière moi, un
devant moi, des bétonneuses, des ponceuses, des tondeuses, tout un
enfer bruyant et machiniste. De surcroît, les incessants va-et-vient
du voisinage. (Comment expliquer le fait qu'un individu normalement
constitué puisse ouvrir et fermer la même porte plus de soixante
fois en une matinée ?) Aujourd'hui les conditions lectorales furent
donc déplorables, voire impossibles. Cependant et malgré tout, je
suis un vaillant petit soldat et j'ai tout de même fini </span><i style="text-align: left;">La Cité
des rêves</i><span style="text-align: left;">. Winslow tire le fil de son intrigue et se faisant il
la découd en même temps. Nous voilà donc devant des aberrations
narratives, des personnages qui débarrassent trop commodément le
plancher pour mieux boucler une intrigue qui n'avance plus. Il y a de
la facilité dans tout ça, quelque chose qui n'est pas trop
travaillé, pour tout dire quelque chose qui n'est pas trop peaufiné,
alors que le peaufiné est censé être l'une des principales
qualités de Winslow. (Voilà un type d'ouvrage où il ne serait être
question de critiquer un style ou une pensée, non ici il n'y a
qu'une histoire ou alors un scénario, seule l'efficacité mérite
d'être critiquée.) Lu la préface des </span><i style="text-align: left;">Mémorables</i><span style="text-align: left;"> par
François Nourissier (toujours très pipe/chien humide). Elle est
assez chouette et très éclairante… Un constat : le vichysme
supposé de Maurice Martin du Gard est tout juste chuchoté… Par
courtoisie ? D'autre part et pour finir, je suis encore dans
l'</span><i style="text-align: left;">Apollinaire</i><span style="text-align: left;"> de Pia. Le volume sent un peu la noisette. La
prose à l'intérieur un peu aussi, mais pas trop. Juste ce qu'il
faut</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="text-align: left;"><span style="font-size: medium;">16
mai 2023.- Météo abominable, pour un peu, on se croirait à
Reykjavik ou Dunfermline. (Ne pas confondre Dumbarton, ville de
naissance de David Byrne, et Dunfermline où il y a une grosse
cathédrale entourée de ruines et une très longue rue principale
avec une horloge plantée au milieu.) (14°C). On soulève Clemenceau
sur des épaules inconnues, son visage est couvert de larmes, en
dessous d'une marée humaine ses jambes ballottent, nous sommes le 11
novembre 1918. Un peu plus tard Georges Mandel fomente quelques
fourberies, il porte de petites bottines et son visage n'est pas
couvert de larmes, mais d'acné. Francis de Miomandre se fiche de
tout ça, il fait tenir son monocle avec du ruban adhésif. Me voilà
bien plongé dans <i>Les</i> <i>Mémorables </i>de Maurice Martin du Gard (que
dorénavant je nommerais en utilisant l'acronyme MMG, ce qui est plus
simple, il faut bien le dire).</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="text-align: left;"><span style="font-size: medium;">18
mai 2023.- Averses (14°C) (Chambre Verte) La pluie tombe et le vent
est aigrelet. Ce printemps maussade vire à l'automne au mordoré et
au problématique. Ce 18 mai, jour d’Ascension, ressemble à un
jour de Toussaint. Alors, on célébrera Ian Curtis sans entrain sans
vrai espoir de renaissance vernale et avec un petit goût pataud qui
remonte depuis l'épigastre. Que reste-t-il de Ian Curtis ? Un
modeste tas d'os qui disparaît six pieds sous terre. Le souvenir
d'une vie sabotée au profit d'un supposé mythe, celui du christ
post-punk sacrifié sur l'autel des années 80 (du siècle dernier).
Évidemment, tout est bien plus simple et compliqué à la fois. Les
intermittences du cœur, l'emprise amoureuse, les violences que l'on
se fait à soi-même, les petits matins blêmes et la corde à linge
autour du cou… Tout cela et rien pour finir assis à la droite de
Dieu. La mort est une chose idiote (remarquez la vie, aussi), la mort
que l'on se donne c'est de l'idiotie au carré (on à l'air malin).
Alors, on se contentera d'écouter la seconde face de <i>Closer</i>, elle
est toujours très bien. Et puis on espérera les soleillées, elles
viendront, c'est certain… (Après-midi) Jardinage, taille des
haies, rempotage divers et variés.</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><span style="text-align: left;"><span>19
mai 2023.- L'humidité ne démord pas (19°C). J'entame <i>Amazonia </i>le septième tome du projet <i>Abracadabra</i>. Rappelons la nature de ce toutim </span></span><span style="text-align: left;">fomenté par Patrick Deville.</span><span style="text-align: left;"> Ni plus ni moins que l'histoire du monde depuis 1860. Pour ce
faire deux tours du globe, le premier d'ouest en est, le second d'est
en ouest. Deux tours du globe, des pays traversés, de l'histoire,
de la géographie, du personnel et de l'intime qui flotte. Dans
<i>Amazonia</i>, on passe de l’Atlantique au Pacifique en remontant
l’Amazone ; on traverse le Brésil (Belém, Santarem, Manaus), le
Pérou (Iquitos, Guayaquil), le Venezuela, la Bolivie pour finir
mieux aux Galapagos ; on croise Carlos Fermín Fitzcarrald, Lope de
Aguirre ou Werner Herzog… Pour l'intime et le personnel, Deville
est accompagné par son fils, ce qui nous donne à lire quelques
pages émues sur les questions de filiation et de transmission. Je
n'ai lu qu'un tiers de tout ça. Pour l'instant, je ne suis pas
vraiment déçu. </span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="text-align: left;"><span style="font-size: medium;">À
l'alternat chez MMG, Fort et Valéry, l'assassinat de Jaurès, pages
parfaitement senties.</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><span style="text-align: left;">20
mai 2023.- Il pleut, encore, toujours. Fichu anticyclone ! (19°C).
Maussade comme le temps. Des tracas domestiques, un problème
d'ordinateur, la vaisselle à faire, ce genre de désagréments…
</span><i style="text-align: left;">Amazonia</i><span style="text-align: left;">, Deville… Rêverie historique, rêverie
géographique… Histoire des conquêtes, du colonialisme et des
autochtones tués au débotté. Histoires de filiation… Et puis
Klaus Kinski essoufflé au début de </span><i style="text-align: left;">Fitzcarraldo</i><span style="text-align: left;">, son costume
blanc et ses mains ensanglantées… Cendrars descendant l'Amazone,
voguant sur le plus ancien fleuve du globe, <i>« la matrice du monde,
le paradis de la vie terrestre, le sanctuaire de la nature »</i>. On
dira que Patrick Deville est très intéressant et mieux que la pluie
qui tombe, là, derrière les rideaux. Dans Libé(ration) Michel
Crépu bâtit un petit autel à Phillipe Sollers. :</span><i style="text-align: left;"> « … ces
cavernes secrètes où il (Sollers) déposait ses trésors tel
l’adolescent qui ne veut pas être dérangé. »</i><span style="text-align: left;"> Mort d’Ari
Boulogne, fils de la gutturale Nico et de qui vous savez. Belle ombre
fantomale…</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><span style="text-align: left;">21
mai 2023.- Ciel couvert, hausse des températures, une éclaircie
tardive (21°C). Quelques effluves de marijuana me montent dans les
narines. J'en déduis que l'un de mes satanés voisins doit être
adepte des toxicomanies légères. Moins léger, plus toqué
</span><i style="text-align: left;">l'Amazonia</i><span style="text-align: left;"> de Patrick Deville. Des histoires de père et de
fils. Raymond et Edgard Maufrais. Le premier, le fils, aventurier à
l'ancienne, explorateur prétendu, veut traverser
l'Amazonie de la Guyane au Brésil. Il part avec son chien, entame sa
petite aventure sans provisions, emprunte des pirogues, pense chasser
et pécher ce qu'il trouvera sous la main. Évidemment, les bestioles
ne se laissent pas attraper aussi facilement que ça et son voyage
n'est qu'une longue agonie tourmentée par la faim. Il tue son chien,
le dépèce et le mange, note tout ce qu'il fait dans un vague
journal, puis disparaît corps et bien. Un chef indien retrouvera son
sac et son journal. Edgar le père part à sa recherche, pas loin de
vingt expéditions. Le fils reste introuvable, peut-être a-t-il été
dévoré par quelque bestiole ? Un livre est publié puis le père
rentre mourir chez lui. Plus ancien, plus toqué encore, Aguirre et
ses excès. Conquistador fou qui finira découpé en petits morceaux
bien symétriques. Une main par ci, une autre par là, la tête
placée sur un pilori dans une cage en fer. Comme tout ce boucle dans
le bouquin de Deville voilà Werner Herzog, assez toqué lui aussi.
Les tournages </span><i style="text-align: left;">d'Aguirre</i><span style="text-align: left;"> et de </span><i style="text-align: left;">Fitzcarraldo</i><span style="text-align: left;">… Kinski et
Mick Jagger, la violence, la mort… Le tout en milieu très humide
et très chaud.</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="text-align: left;"><span style="font-size: medium;">23
mai 2023.- Couverture nuageuse prononcée. Toujours rien de
printanier (18°C). Tragédies matinales : la biscotte qui se casse,
le pot de confiture qui ne s'ouvre pas, le sachet de thé percé.
Après-midi moins périlleux, jardinage, rempotage. Presque fini
l<i>'Amazonia</i> de Deville. L'Amazonie en dehors du Brésil : la Bolivie,
le Pérou, l'Équateur, la Colombie et le Venezuela. Santarém,
Manaus, et Iquitos… Humboldt, Cendrars et Michaux… Les questions
de filiation. Le patchwork est bien cousu.</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="text-align: left;"><span style="font-size: medium;">To
be continued.</span></span></p><p>
</p>Philippe Lhttp://www.blogger.com/profile/11161966062544589959noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-6980582.post-73157252306454371542024-02-01T18:44:00.015+00:002024-02-03T10:16:16.832+00:00Psychogeographie indoor (134)<p> </p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhA8gVYqlqUUAiFepjGu2BSkv43d43V5KaN9qhN8J7uIC4u3xIHRz00sGsOem5sqmBiyqrHdqdGVdBUrvfG_Ym5SwOrm_2p0RiyxclOQRZ2byP6D9x7imvAVqR-aTuC05p013nX1rp4CUyqfNUu1JkJRAIJJ1CDBBW3JfZv7vwVwypM5YDCDRS2tA/s474/AVT_Jean-Cau_2434.webp" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="341" data-original-width="474" height="288" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhA8gVYqlqUUAiFepjGu2BSkv43d43V5KaN9qhN8J7uIC4u3xIHRz00sGsOem5sqmBiyqrHdqdGVdBUrvfG_Ym5SwOrm_2p0RiyxclOQRZ2byP6D9x7imvAVqR-aTuC05p013nX1rp4CUyqfNUu1JkJRAIJJ1CDBBW3JfZv7vwVwypM5YDCDRS2tA/w400-h288/AVT_Jean-Cau_2434.webp" width="400" /></a></div><br /><p></p><div><br /></div><div><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;">
<span style="font-size: medium;"><i>« Tenir un journal, c’est prendre des habitudes de
concierge, remarquer des riens, s’y arrêter, donner aussi trop
d’importance à ce qui vous arrive, négliger l’essentiel,
devenir écrivain dans le pire sens du mot »</i> <span>(Emil
Cioran - </span><span><i>Cahiers</i></span><span>)</span></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">25
mars 2023.- Humidité latente (16°C). Le voisin d'en face a vendu.
650 000 euros, c'est beaucoup. Les remplaçants, des <i>boboisants</i>
en vélo et trottinette électrique, sont déjà là, dans la place
(la gentrification n'est pas tout le temps une guerre d'usure, elle
prend parfois la forme d'un blitz). Les bougres n'ont pas perdu de
temps pour entreprendre des travaux de grande envergure. Résultat un
bruit pharaonesque toute la journée, une atteinte à mes plus
élémentaires droits lectoraux…</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">N’empêche,
j'ai lu. Bret Easton Ellis et Jean Cau…</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Qu'est-ce
qu’un écrivain ? Qu'est-ce que le roman ? À ces deux questions
que je me pose à moi-même et dont tout le monde se fiche à peu
près, j'ai envie de répondre : potentiellement Bret Easton Ellis et
sa nouvelle affaire : <i>Les Éclats</i>. En tous les cas, l'entame
est très belle. Intime et <i>extime</i>, faussement autobiographique
tout en se permettant d'entrer en collision avec une fiction qui fait
semblant de ne pas en être une. Il y a des pages formidables, une
première de <i>Shining</i> où B.E.E se découvre vraiment
homosexuel (à chacun ses piliers). Quelque chose du temps retrouvé
peut être même quelque chose de Proust. Un Proust chloré bronzé
de la fracture 70/80, un Proust où la fameuse madeleine mémorielle
serait remplacée par le couple cocaïne Xanax — l'une pour la
montée, l'autre pour la descente — un Proust où Duran Duran se
substituerait à la petite phrase de Vinteuil…</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Jean
Cau, <i>Croquis de mémoire.</i> Belle mémoire, plaisir d'écriture,
plaisir de lecture. C’est coruscant en tout sens, c'est très bon.
Mitterrand est un fringuant chasseur de danseuses qui s'est
transformé en Nosferatu auguste et sombre. Pompidou manque d’un
brin de déliquescence et de hauteur désabusée. Giscard est
impeccablement propre <i>« de mains, d’ongles, de chemise, de
crâne, d’oreilles, de barbe et de tout… »</i></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">26
mars 2023.- Temps maussade (14°C). L'heure d'été. On nous vole une
heure de vie pour nous la rendre toute chiffonnée six mois plus
tard, ce n'est pas très fair-play. Par ailleurs toujours avec B.E.E.
<i>Time capsule,</i> belle playlist, un peu d'ennui, mais de
formidables éclats ; c'est dans le titre. Du côté de chez Cau,
extraordinaire portrait de Charles de Gaulle, un hippopotame, un
énorme poisson, une baleine, un fabuleux saurien, un animal —
unique — échappé d'un cirque mystérieux.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">27
mars 2023.- Crachin glacé, un temps de Toussaint, le printemps
attendra (6°C). J'ai peu ou prou le même âge que Bret Easton
Ellis et ce qu'il écrit me parle donc assez. Peut être pas
l'homoérotisme un peu fatiguant, mais le reste, certainement,
beaucoup… Le début des années 80, la fin de l'adolescence, une
sorte de molle déréliction, j'ai vécu la même chose à la même
époque… J'ai aussi écouté les mêmes musiques, vu les mêmes
films, bu les mêmes breuvages, fumé la même chose, tourné autour
de quelques substances psychotropes illicites (en quantité bien
moindre), mon jugement est donc biaisé, un peu floué par une
certaine nostalgie.. Reste que <i>L</i><i>es Éclats</i> me semble un
livre tout ce qu'il y a de bien (j'ai lu 280 pages). Reste aussi que B.E.E
croit encore au roman, ce grand fourre-tout où l'on peut jeter un
maximum de choses. Ici une datation au carbone 14 de la brisure 70/80
en Californie du Sud, avec ses serial killers errant en bord de
highways, ses collégiens propres et déjantés, ses drogues à
foison, sa musique mêlant invasion brit pop et peaufiné javellisé
à goût local. Mais aussi du cul bi, mais surtout très homo, une
dissection autofictive de ce que fut B.E.E à cette époque, une
lucidité amère sur le sable imbibé de l'adolescence qui tourne au
ciment de l'âge adulte. Il peut y avoir tout cela dans un roman.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Otherwise
still with Cau. Toujours très bon. (Sur Boris Vian et l'escroquerie
de Saint-Germain-des-Prés, sur Cocteau, sur d'autres…)</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">28
mars 2023.- Ciel enfin dégagé (12°C). Conditions lectorales
acceptables. Soleil raisonnable, chaise â demi confortable. Je suis
tout juste dérangé par les abeilles qui ont envahi mon hôtel à
insectes (l’aubergiste est trahie par ses murs), tandis que plus
haut quelques oiseaux chantent.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">L'affaire
de B.E.E me semble assez mal traduite, ou alors est elle tout
simplement mal écrite ? Elle est également trop longue, il y a de
nombreux passages qui auraient certainement mérité un petit élagage. Bizarrement je m'en fiche, je l'aime tout de même cette
affaire. Certainement pour les raisons que j'ai évoquées il y a
deux trois jours, une certaine concomitance générationnelle ;
ensuite parce que B.E.E croit vraiment à l'histoire qu'il raconte.
Bon il n'est pas totalement dupe devant ce vieux truc dixneuviemmiste
qu'est le roman, mais il avance dans son intrigue en gardant avec lui
un certain pourcentage de naïveté qui lui permet d'éviter second
degré et cynisme, ces deux plaies des romanciers conscients. Après
que cela soit bien écrit ou pas… dans la mesure où l'intrigue
avance…</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Mieux
écrits, les portraits de Cau. Parfois terribles sur le fond.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Je
fais mes valises, demain départ pour Avignon.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">29
mars 2023.- Soleil non parcimonieux (2023). Avignon. Très agréable
Rocher des Doms, beau surplomb sur le Rhône avec le fameux pont et
plus loin le Lubéron. Frôlé le Palais des Papes sans y entrer.
Chez un bouquiniste par trop torve acquis l'<i>Apollinaire </i>de Pia
dans la collection<i> Écrivains de toujours.</i></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">30
mars 2023.- Ciel se dégageant (20°C). Avignon. Je n'ai pas dansé
sur le fameux pont, j'y ai plutôt promené mon Q. Visite du Palais
des Papes, cette chose est très grande et devait être très
problématique à chauffer. En sortant le Musée du Petit Palais. Un
peu décati, mais deux, trois Botticelli.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">3
avril 2023.- Des nuages, un coup de vent, deux heures vaguement
ensoleillées, le retour des nuages, une certaine froideur (10°C).
Retour d'Avignon où je n'ai pas fait que baguenauder sur le fameux
pont. J'ai aussi vu de l'intérieur le vieux palais que vous savez,
effectué de nombreuses séances de Psychogeographie (une grande
partie de la ville historique n'est pas encore rénovée et distille
un petit charme pas encore totalement gentrifié ; par exemple
la rue des Teinturiers) et visité un nombre assez conséquent de
Musées. Celui d'Histoire naturelle est le plus amusant dans le sens
du décati, il est rempli de bestioles empaillées et les agents
municipaux qui y « travaillent » semblent empaillés eux
aussi. Celui d'Art moderne (la collection Lambert) batifole moins
dans le désuet et il est relativement intéressant. Deux trois
Basquiat, Anselm Kiefer et Cy Twombly mais un peu trop de place
laissée au minimalisme et aux installations (une sorte de chambre à
air flottait dans l'air, on se demande bien pourquoi). Les
médiatrices qui ne sont pas empaillées sont collantes et, bien que
parfois charmantes, récitent leur mantra moderniste presque à
l'unisson…</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Repris
la lecture des <i>Éclats</i> sous les nuages. Je n'aime pas laisser
un livre de côté plus de quatre ou cinq jours. Généralement je
suis déçu en le reprenant, le rythme et la coalescence ne sont plus
là, il faut me réacclimater. Pas cette fois-ci. Je trouve même la
salade composée par B.E.E encore meilleure. Flottant dans une douce
inquiétude pleine de langueur… Surtout c'est un vrai roman, un
roman-roman, comme si c'était encore possible.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">4
avril 2023.- Beau temps frais (10°C). J'écris ses lignes faiblardes
en extérieur allongé face au soleil et en utilisant mon téléphone
qui se révèle être un support comme un autre. Je ne sais si <i>Les
Éclats</i> est un « grand livre », en tous les cas je l'ai
beaucoup aimé. Sa douceur <i>valiumis</i><i>é</i><i>e</i>, ses
piscines Hockney, ses grandes villas laissées entre les mains
d'adolescents par encore perdus, mais qui sont sur la bonne voie, ses
longues fêtes qui résonnent comme du Verdurin doré sur tranche
californienne, son érotisme jamais vraiment patibulaire, sa
bande-son, ses couleurs… J'ai trouvé tout ça épatant. Pour
rester dans l'épatant la dernière partie où le roman de formation
rejoint le roman de terreur me semble ce qu'il y a de plus réussi.
Il y a de l'habilité, un certain savoir-faire qui concède à
l'efficacité narrative, mais la façon n'est jamais sournoise,
jamais vraiment popote. Au-delà de tout ça, c'est surtout un très
beau livre sur la fin de l'adolescence, sur ce vertige engendré par
la perte de l'innocence, sur le fait que l'on ne soit pas vraiment
certain de gagner quoique ce soit au change en devenant adulte.
J'écris des banalités, mais parfois ce sont les banalités qui ont
raison.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">5
avril 2023.- Ciel bleu pâle, fond de l'air encore un peu froid
(14°C). Lever 5h45, labeur, sieste… Quatre pages de l'affreux Cau.
Le docteur Lacan en prend pour son grade, c'est très amusant. Trois
pages du Journal de Renard : <i>« Il faut feuilleter les mauvais
livres, éplucher les bons »</i>. Pensé à Thomas Bernhard, plus
feuilleteur qu'éplucheur : <i>« Je n'ai jamais lu un livre jusqu'au
bout, ma façon de lire est celle d'un feuilleteur supérieurement
doué, c'est-à-dire d'un homme qui préfère feuilleter plutôt que
lire, qui feuillette donc des douzaines, parfois même des centaines
de pages avant d'en lire une seule ; mais quand cet homme lit une
page, alors il la lit plus à fond qu'aucun autre et avec la plus
grande passion de lire qu'on puisse imaginer. »</i></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">6
avril 2023.- Éclaircies (14°C). Labeur, longue sieste, appétence
légumineuse. Onzième journée de mobilisation contre la réforme
des retraites. Casseurs contre-productifs, ce sont les meilleurs
alliés d'Emmanuel Macron.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">7
avril 2023.- Éclaircies (14°C). Assez terrassé par le labeur. De
retour dans mon petit intérieur, sieste passée, je feuillette
<i>Derrière les lignes ennemies,</i> un spicilège compilant
quelques interviews de l'ami Jean-Patrick Manchette. Tout étant une
nouvelle fois dans tout il y est question du labeur et de ses aspects
indubitablement terrassant. Quand on demande à l'ami Manchette quel
est, pour lui, le comble de la misère ? En bon situ qui se respecte
encore un peu il répond : <i>« Le travail généralisé, dans la
soumission à l’économie. »</i> Rien à redire, je suis sur cette
ligne-là, très capable moi aussi de défendre la valeur non travail
avec une molle obstination. Sinon par ailleurs j'ai volé
numériquement le dernier opus de Frederic Beigbeder (je n'allais
quand même pas l'acheter). Le basque rebondissant parle de son
addiction à la coco, de son hétérosexualité et de son grand âge
qui point. Rien de tourneboulant, c'est assez grande presse et
bourgeoisement décalé, mais curieusement j'ai envie de défendre le
bonhomme.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">8
avril 2023.- Ciel magnifiquement dégagé, goût printanier (18°C).
Que faut-il pour rendre un homme heureux ? Parmi de nombreuses choses
certainement, un bon livre, une chaise confortable et une météo
favorable. Je ne sais si j'ai été vraiment heureux aujourd'hui,
mais il y a de fortes propensions pour que l'ai été. Ma chaise de
jardin était confortable, la météo favorable et le livre que je
tenais entre mes petites mains ma semblé indubitablement bon. En
fait ce livre c'était le <i>Croquis de mémoires</i> de l'abominable
Cau. Que du bonheur… Du bonheur d'écriture, du bonheur de lecture.
Un talent pur de portraitiste comme on en rencontre peu au service
d'un aréopage bien choisi et foutrement croquignolet. Le teint rose
de Giono qui vire au blême par tristesse et par colère, le casque à
frange de Junger, la déchéance admirable de Carson Mac Cullers, les
pets d'Orson Welles et ses énormes cigares jetés tout allumés sur
les tapis de Palaces, Joë Bousquet gisant adossé aux oreillers de
son lit tout en n'oubliant pas de faire grésiller une boulette
d'opium avec une étonnante dextérité, l'immodestie de Ponge, la
bêtise d'Hemingway (je ne souligne pas totalement), la pingrerie de
Tzara, Aragon qui aurait « retrouvé les pédales » sur
la tard, Barthes tué par une camionnette de blanchisserie, en somme
tué par la vierge et l'immaculé… Tout cela est formidable. Plus
que formidable le dernier portrait consacré à Sartre. Voilà une
sorte de chef-d’œuvre. Cau ne rend pas le futur psalmodieur de
Billancourt plus sympathique (quoique), mais il le rend plus drôle,
plus grossier, plus accorte, en un mot plus humain que l'on n'aurait
jamais pu le penser :</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><i><span style="font-size: medium;">«
- Heidegger ? Il a l'air d'un colonel à la retraite. C'est la
Montagne magique, son bled. En bas, les étudiants, plus haut les
baraques des profs, plus haut celles des autorités de la Fac et, au
sommet, la villa du Vieux. Le Vieux de la montagne c'est exactement
ça.</span></i></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><i><span style="font-size: medium;">-
Il est intact ?</span></i></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><i><span style="font-size: medium;">-
Pas du tout. Il philosophe pur, n'est-ce pas. il vomit l'engagement.
Je lui en ai parlé. Il me regardait avec une infinie pitié. À la
fin je parlais à son chapeau. Il a un chapeau vert de chasseur de
chamois. Enfin… Grand tra-la-la des Doktors… Mais figurez-vous
que quand je suis parti, qu'est-ce que je trouve dans mon
compartiment de chemin de fer ? Des bouquets de roses ! Des brassées
! Tout juste s'il ne m'avait pas offert des coussins et des bonbons.</span></i></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><i><span style="font-size: medium;">-
Des roses ? Et qu'est-ce que vous en avez fait ?</span></i></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><i><span style="font-size: medium;">-
J'ai attendu que je train démarre et , en catimini, je les ai
balancées par la fenêtre. »</span></i></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">9
avril 2023.- Ciel très ensoleillé (18°C). Je reviens à ce salaud
de Beigbeder et à son petit livre d'humeur que j'ai mollement évoqué
il y a deux ou trois jours. Le type du Figaro y surf tranquillement
sur le souvenir de se ses addictions, sur sa supposée
hétérobeauferie et sur diverses autres choses qui flottent dans
l'air du temps. Rien de vraiment pénétrant aussi bien sur le fond
que sur la forme qui est relâchée et pas vraiment travaillée dans
le sens de Rodin et de son fameux burin. Cependant, le côté marrant
prend parfois le pas sur le côté cossard et il y presque une idée
intéressante : les hommes gays sont les seuls qui peuvent encore
parler de leur sexualité sans se voir regardés de biais. Reste à
savoir pourquoi une aussi insignifiante chose semble titiller les
fourches caudines de pas mal de monde (Les Inrocks(uptibles), L'OBS,
Télérama…)</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">J’enchaîne
avec un nouveau livre, <i>Cordon-Bleu </i>le premier très mince
roman de Patrick Deville qui en 1987 donnait apparemment dans le
minimalisme post becketto-echenozien très à la mode de chez Minuit.
(Deville changera d'éditeur et de style par la suite). L'exergue du
roman attribué à Flaubert est assez rigolote : <i>« j'ai
vomi tout mon dîner »</i>. C'est en fait un honteux découpage
de la correspondance du même Flaubert <i>« Quand j'écrivais
l'empoisonnement de Madame Bovary j'avais si bien le goût de
l'arsenic dans la bouche, j'étais si bien empoisonné moi-même que
je me suis donné deux indigestions coup sur coup, - deux
indigestions réelles, car j'ai vomi tout mon dîner. »</i> (Lettre
à Hippolyte Taine, 20 novembre 1866)</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">10
avril 2023.- Temps doux et nuageux (18°C). Jour de Pâques, un an de
plus, je frôle le old age. Effectué quelques menus plantations dans
mon semblant de jardin.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">(Lectures.)
<i>Cordon-Bleu </i>de Deville. Vain et emmerdant. Les limites de
l'école Minuit. N'est pas Jean Echenoz qui veut. Deville le
comprendra très vite.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Trois
poèmes de Louis Brauquier. Rien de lactescent, rien de post-moderne.
Nous sommes là dans les ailleurs.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">12
avril 2023.- Averses (13°C). Labeur, fatigue, inspiration proche du
néant.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">13
avril 2023.- Ciel changeant, une certaine fraîcheur (12°C).
(Jardinage.) Rempoté quelques œillets, deux ou trois géraniums,
d'autres choses végétales de provenance diverse et variée.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">(Lectures.)
James Salter <i>Tout ce qui n'est pas écrit disparaî</i>t.
Entretien donné à la <i>Paris Review.</i> Cent petites pages lues
en moins de deux heures. Salter parle de sa façon d'écrire, de sa
détestation du premier jet, du fait qu'il doive polir ses phrases.
Ce faisant il penche du côté du gros Flaubert et certainement pas
du côté du style télégraphiste et du laisser-aller stendhalien.
(Vous qui lisez ce vague journal écrit à la va-comme-je-te-pousse
auront compris de quel côté je penche). Il parle ensuite de ses débuts
littéraires de son rapport à la France et de son rapport à ses
écrivains. Rien de bien pénétrant, peut-être même un certain
manque de finesse. Tout cela reste viril, mais correct. (Bonne
traduction de Philippe Garnier, il y a une anecdote croquignolette
sur Charlotte Rampling.)</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Moins
américain, plus blouse grise, entamé <i>Les deux beune</i> la
nouvelle petite affaire de Pierre Michon (sa première petite affaire
depuis des lustres). Très beau, très fin, un styliste. Néanmoins,
je me suis endormi à la page trente-neuf : <i>« Je ne crois
guère aux beautés qui peu à peu se révèlent, pour peu qu’on
les invente ; seules m’emportent les apparitions. Celle-ci me mit à
l’instant d’abominables pensées dans le sang. C’est peu dire
que c’était un beau morceau. Elle était grande et blanche,
c’était du lait. »</i></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">14
avril 2023.- Pluies éparses (11°C). Je regarde le plafond, qui est
bien blanc. Rien d'autre.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">15
avril 2023.- Météo abominable, bourrasque et crachin, quasi
froideur, un temps de Toussaint (8°C). J'ai laissé tomber le Michon
à son mitan. Trop de prose caillée, trop de circonvolutions, trop
de mots qui font mine de s'étouffer les uns avec les autres et
malgré un semblant d'humour que je dois être le seul à voir, trop
d'ennui… Par contre rien d'ennuyeux chez Jean Rolin. Je suis plongé
dans son <i>Explosion de la durite</i> et le désœuvrement certain
que j’éprouvai en lisant les alinéas michoniens s’est
immédiatement transformé. Pour tout vous dire, je respire et c'est
comme une libération. Le livre de Rolin raconte comment ce dernier
s'est procuré une Audi maladive tout juste en état de rouler et l'a
expédiée en Afrique, au Congo, où elle a été transformée en un
pétulant taxi capable de subvenir aux moyens de toute une famille.
Évidemment au-delà de l'action caritative, du projet raconté,
Rolin baguenaude tout en cousant son habituel patchwork avec des
bribes et des morceaux. Des bouts de fiction, des bouts de réalité,
des bouts d'Histoire… Sa jeunesse passée au Congo, Patrice
Lumumba, la toque léopard de Mobutu, les guerres de libération, le
bricolage et la déglingue africaine, le récit de voyage, l'amour
des cargos des containers et des bestioles, la précision
journalistique… Rien à redire, tout cela est épatant (Rolin est
souvent épatant).</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">16
avril 2023.- Pluie (10°C). Maussade comme le temps. Mes mots ne
viennent pas, pire ils ne poussent même plus et je suis dans un état
de curieuse jachère.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><i>L'Explosion
de la durite </i>passe par Verdon où Rolin rencontre l'un de ses
amis, un certain Éric. Sans faire de plus grandes recherches que ça
on devine assez vite que cet Éric-là ne peut être qu'Éric Holder
et tout étant dans tout on se souvient d'une chronique de ce dernier
pour <i>Le Matricule des anges</i> (chronique où il racontait sa
rencontre avec Rolin chronique reprise dans le beau volume
<i>l'Anachronique</i> déjà évoqué ici). Ainsi, chaque écrivain
parle de l'autre dans un émouvant champ contre champ et c'est très
beau.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">17
avril 2023.- Ciel couvert (12°C). (Matin.) Le printemps n'est pas
là, la météo est sinistre, l'ennui tend à poindre alors on se
gratte l'omoplate en se disant que de toutes les façons on va tous
crever. On casse ensuite deux ou trois œufs, on fait une omelette.
Il faut savoir faire une omelette. Après avoir mangé son omelette,
le soleil n'est toujours pas là, mais on peut lire. Lire par exemple
les <i>Mémoires d'Outre-France. </i>Ces souvenirs moins moroses que
la météo écrits par Gavin Bowd le traducteur en langue anglaise de
Michel Houellebecq. On y baguenaude dans une jeunesse très
communiste entre groupuscules marxistes écossais, fête de l'huma et
virée dans les pays frères. Le mur que l'on sait tombé on se
retrouve ensuite posé entre Kenneth White et Guy Debord, Bowd évoque
quelques panouilles écrites pour les Inrocks historiques (qui en
prennent pour leur grade), puis c'est sa rencontre avec Houellebecq
qu'il ne porte pas aux nues, mais qu'il dépeint avec une belle
humanité non dupe n'oubliant pas les aspects pour ainsi dire
pathétiques de l'ami Michel, ses dérives idéologiques, ses
provocations, mais aussi son amour pour Clément, son chien Korgi,
son petit bonhomme… (Après-midi.) Le soleil est sorti à 18 h
juste au moment où il était censé tomber sous les toits. Je pense
que c'est une provocation… Parmi d'autres choses les <i>Mémoires
d'Outre-France </i>offrent une vision assez amusante du milieu
intellectuel français de la fin du 20e siècle. Bowd en bon
écossais bourru et moqueur sautille sur pas mal de monde et il y a
une belle palanquée de phrases qui fourmillent en anecdotes plus
croquignolettes les unes que les autres. Un bouquin qui parle tout à
la fois d'Eugène Guillevic et de Mark E. Smith ne peut qu’entraîner
une certaine sympathie chez le lecteur que je me trouve être.
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">18
avril 2023.- Le ciel se dégage enfin (18°C). Conditions lectorales
quasi impossibles. Une bétonnière devant mon auguste enveloppe
corporelle, un marteau piqueur derrière, un vaste chantier à
gauche, une vitupérante cohorte de mouflets à droite. Devant un tel
chambard une seule solution : se boucher les conduits auditifs avec
ce que l'on a sous la main, deux bananes, des boules Quies, de la
musique écoutée très, trop, fort au casque. J’ai opté pour la
musique et les contre-mesures ont pris la forme de <i>Reel to real
cacaphony </i>de Simple Minds et de <i>Entertainment</i> de Gang of
Four, deux maîtres étalons de la raideur post punk.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Je
suis donc retourné sur le Michon avec tout cela entre les oreilles.
Je ne voudrais ni décevoir ni offusquer mon mince lectorat, mais je
dois bien dire qu'au bout de quatre pages il m'est tombé des mains (
Jim Kerr montait dans les aiguës). Il faut savoir laisser tomber le
Michon… Pas découragé j'ai immédiatement enchaîné avec du
surfin en ouvrant le <i>Comme ceci comme cela</i> de l'entité
poétique Jean Tardieu. Tout petit, pas mal, un peu élan éthéré
(la bétonnière de mes voisins vrombissait). Mon appétence
lectorale s'est ensuite orientée vers du plus consistant, du plus
replet, du plus pudding, j'ai réentamé <i>Derrière les lignes
ennemies</i> un volume qui rassemble une belle quantité d'entretiens
donnés par Jean-Patrick Manchette. J'aime beaucoup ce type, l'homme
et l'écrivain. L'homme parce qu'il faisait son politique, son engagé
avec une élégance jamais assommante (de surcroît, je tamponne la
plupart de ses idées), l'écrivain parce qu'il écrivait sèchement
ses petits trucs tout en sachant qu'ils n'étaient que des petits
trucs. Le bouquin est formidable on pourrait citer de nombreux
extraits. Je me contenterais de celui-ci : <i>« Pour Folle à
tuer, j’ai travaillé avec Mocky, avant que Boisset soit finalement
choisi comme réalisateur. Il n’y a rien à en dire, sinon que
Mocky est laid, stupide, et devrait utiliser un déodorant corporel,
et se faire les ongles. Quant au casting, l’accord de Marlène
Jobert a été utile au financement du film, et elle n’est pas mal.
Lonsdale est un plaisir, comme toujours. Le reste est sans intérêt
et je m’en fous. »</i></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">19
avril 2023.- Beau temps, enfin ! (19°C). Toujours vaguement malade,
quant au labeur ne m'en parlez pas ! Le bouquin d'entretiens avec
l'ami Manchette est diablement intéressant, souvent drôle et plein
de fines analyses sur la contre et para culture. Voilà un type qui
savait très bien se juger lui-même ce qui est toujours mieux
lorsque l'on se risque à juger les autres.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">20
avril 2023.- Averses (14°C). Saisi par la pesanteur je suis de moins
en moins aérien. Peut-être alors serais je sauvé par la fluidité
? Après tout, les fleuves, les rivières, les ruisseaux, tout cela
ne coule pas dans les airs… Un risque : finir flaque. En dehors de
ces considérations liquides, je suis toujours chez l'ami Manchette.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="text-align: left;"><span style="font-size: medium;">To
be continued.</span></span></p><br /></div>Philippe Lhttp://www.blogger.com/profile/11161966062544589959noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-6980582.post-18705266699430094682023-12-26T12:25:00.011+00:002023-12-26T17:43:44.974+00:00Psychogeographie indoor (133)<p> </p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhbx0R9SK-PiRkBs0dkYnpqi2xg2b40uRsOzuseU9bRtMklFgn24BOlrCRQAkom9Tf4CTOmt5XyGLwljOzZ1KIsY7xYqdTMsLjFaMVQYPd5o4CNClzKEbHlo4zQMimnV8eg8XeeT-wM3tK90pKp_7X7EnewTEffmUqBnYGzox9E8XX9arTJCEePmQ/s525/duma.jpg" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="396" data-original-width="525" height="301" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhbx0R9SK-PiRkBs0dkYnpqi2xg2b40uRsOzuseU9bRtMklFgn24BOlrCRQAkom9Tf4CTOmt5XyGLwljOzZ1KIsY7xYqdTMsLjFaMVQYPd5o4CNClzKEbHlo4zQMimnV8eg8XeeT-wM3tK90pKp_7X7EnewTEffmUqBnYGzox9E8XX9arTJCEePmQ/w400-h301/duma.jpg" width="400" /></a></div><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><br /></div><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><br /></div><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><span><i style="text-align: left;">« J'ai consumé ma vie en lectures, j'ai lu au lieu de vivre et
les livres m'ont tué de mon vivant. »</i><span style="text-align: left;"> </span><span style="font-size: 10pt; text-align: left;">(August
von Platen cité par Marthe Robert dans </span><span style="font-size: 10pt; text-align: left;"><i>Livres
de lecture</i></span><span style="font-size: 10pt; text-align: left;">).</span>.</span></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">27
février 2023.- Froides éclaircies (5°C). (Matin.) Fini <i>Les
Chemins de l'évasion</i> de Graham Greene. Malgré quelques belles
pages sur Evelyn Waugh c'est un livre décevant qui donne souvent
l'impression d'avoir été bidouillé au magnétophone. Pas la
moindre appétence littéraire, un ensemble d’anecdotes plus ou
moins intéressantes et un côté baroudeur qui pourraient être
l’œuvre d'un mythomane qui ne s'ignore pas. Bon il n'y a rien de
mal à vouloir verser dans la mythomanie, enfin de mal sauf si l’on
se barbe et là c'est le cas. (Après-midi.) Longtemps je me suis
couché assez tard et pour mieux m'endormir j'écoutais <i>Du Jour au
Lendemain</i> l'émission d'Alain Veinstein sur France Culture. C'est
là dans les strates du demi-sommeil que j'ai pu entendre une flopée
d'écrivains que je pourrais caractériser comme contemporains de mon
morne passage sur cette terre. C'est aussi là que j'ai pu entendre
Pierre Dumayet parler de son <i>Autobiographie d'un lecteur.</i> Je
me souviens que ce soir-là me réveillant à moitié je crus
comprendre qu'il était question de Kafka ce qui était tout à fait
ton sur ton et tenait assez du réveil éveillé dans lequel, mon
corps et mon reste de cerveau disponible se trouvaient être. Cet
après-midi, vingt ans plus tard, j'ai commencé la lecture de ce
livre et comme tout se tient toujours par quelque chose — même un
petit doigt — il se trouve que Dumayet commence son récit par une
sorte de rêve éveillé… Pour le reste, il tire le fils de ses
souvenirs et forme avec une merveilleuse pelote pleine de coq à
l'âne et de digressions : <i>« Il me semble qu’à ce moment-là,
juste après la guerre, se mit en place une sorte de nouveau ciel que
l’on regardait en baissant la tête. Il était composé d’étoiles
ou d’astres qui avaient entre eux une parenté d’un type nouveau.
Il y avait d’abord Franz Kafka, que les occupants avaient essayé
d’étouffer et dont, maintenant, on espérait, presque chaque jour,
un nouveau fragment. Nous lisions Kafka comme on lit, après coup, un
prophète. »</i></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">28
février 2023.- Temps nuageux et froid (4°C). (Matin.) Dumayet,
éloge de l'ORTF, éloge de ceux qui écrivent, de ceux qui lisent.
Souvenirs de toutes ses émissions de télévision qui n’avaient
rien d'élitiste et qui mettaient la culture à la portée de tous.
Souvenir de Max-Pol Fouchet, de Nicole Vedrès, de Pierre Desgraupes,
d'autres… Beaux sautillements entre Flaubert, Kafka et Proust. Le
fait qu'il soit possible de vraiment interroger les phrases de ces
trois trois là, car nous savons <i>— </i>peu ou prou <i>—</i>
tout de leur œuvre et même tout de leur œuvre cachée (tout est
édité ce n'est pas las le cas pour les écrivains contemporains).
Les différentes façons de lire : pour le plaisir, pour s'instruire,
pour travailler, parfois pour les trois en même temps. Dernière
partie : les lecteurs et cette belle émission que fut <i>Lire c'est
vivre</i>. Des quidams et des quidamesses ordinaires. Des ménagères,
des instituteurs (et trices), des ingénieurs, des ouvriers, des
collégiens qui interrogés par Dumayet parlent de leurs lectures, de
littérature, d'Emma Bovary ou de Gregor Samsa. Cette émission qui
malgré la prolifération indéfinie des moyens de transmission
serait impossible aujourd'hui. Pour conclure : beau livre. <i>« Je
ne crois pas qu'un texte puisse être offensé par une lecture trop
personnelle. Un texte est d'autant plus riche qu'il peut être lu de
mille manières. Un texte qui serait lu de la même façon par des
millions de personnes n'aurait pas plus d'intérêt que : “Il est
dangereux de se pencher par la portière”. »</i></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">(Après-Midi.)
Court retour dans le <i>Dictionnaire égoïste </i>de Charles
Dantzig. Pas mal sur Musil : <i>« Les Désarrois de l'élève
Törless est un livre non « construit » (comme souvent les très
bons livres, dont la devise pourrait être : “La maçonnerie suivra
!” Et voilà comment il peut y avoir des livres de génie sans
talent.) » </i>Moins convainquant sur Nabokov dont il parle en
amoureux déçu, lui reprochant sa vanité, son mauvais goût et une
certaine couardise qui l’aurait poussé à vouloir protéger sa
sensibilité derrière le cynisme. Nabokov est certes un peu tout ça,
mais il ne me déçoit pas encore assez pour que je ne voie pas
toujours ses nombreuses qualités.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">2
mars 2023.- Éclaircies (8°C). Le trop-plein, l'inspiration :
Cioran et Valéry (Paul). Nothing else : <i>« Malheureusement le
culte du travail a tout gâché, en art spécialement. De lui, de ce
culte, vient la surproduction, véritable fléau, qui est funeste à
l’œuvre, à l’auteur, au lecteur même. Un écrivain ne devrait,
dans le meilleur des cas, ne publier que le tiers de ce qu’il a
fait . » </i>… <i>« Un poète — ne soyez pas choqués de mon
propos — n’a pas pour fonction de ressentir l’état poétique :
ceci est une affaire privée. Il a pour fonction de le créer chez
les autres. On reconnaît le poète — ou du moins chacun reconnaît
le sien — à ce simple fait qu’il change le lecteur en "inspiré".
L’inspiration est, positivement parlant, une attribution gracieuse
que le lecteur fait à son poète : le lecteur nous offre les mérites
transcendants des puissances et des grâces qui se développent en
lui. Il cherche et trouve en nous la cause merveilleuse de son
émerveillement. »</i></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">3
mars 2023.- Météo de saison, comme on dit (7°C). Semaine
trépidante au labeur. Lundi, mardi et jeudi alerte à la bombe. Dans
un e-mail inquiétant, un supposé djihadiste voulait nous faire
sauter au nom d'Allah. Aujourd'hui le type est arrêté sur place par
la gendarmerie, la Police nationale et la B. R. I. C'est l'un de mes
collèges pas plus musulman que ça, un gamin maigrelet de 18 ans à
la couleur de cheveux changeante (grise, rouge ou bleue, selon les
jours et la température ambiante). Plaqué au sol, menotté puis
entouré par plus de vingt malabars en bleu il a l'air tout penaud.
Une mèche de couleur inracontable dépasse de son bonnet noir posé
obliquement sur sa petite tête qui vire au blême. Il regarde ses
chaussures de sécurité, tremble, ferme les yeux : un moinillon
valétudinaire tombé de sa mauvaise blague.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Bouquinistes,
bonne pioche : <i>Fuite et fin de Joseph Roth </i>- Soma Morgenstern,
<i>La France fugitive </i>- Michel Chaillou, <i>Le livre de
l'hospitalité </i>- Edmond Jabès, <i>Voyage</i> - Sterling Hayden,
<i>Vu sur la mer</i> - Jean Rolin, <i>La panoplie littéraire </i>-
Bernard Frank, <i>Comme une fantaisie - Béhanzigue - Lettres à
soi-même </i>- Paul-Jean Toulet, <i>Vivre à Madère</i> - Jacques
Chardonne, <i>En lisant Augustin </i>- Miklos Szentkuthy, <i>Mes
débuts</i> - Paul Morand. Le tout pour moins de 15€, une aubaine.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">4
mars 2023.- Soleil voilé (8°C). <i>Mes Débuts</i>, Morand. C'est
tout petit, c'est très bien. Loin du Morand tardif et acrimonieux —
celui du <i>Journal Inutile </i>— un Morand quadra(génaire) qui se
souvient de ses propres débuts multiples et variés. Débuts dans la
littérature, débuts dans la vie mondaine, débuts dans la
diplomatie, débuts dans l'art du voyage… Belle forme qui ne
s'oublie jamais élégante jusqu'aux deux dernières pages consacrées
à ses débuts dans le cinéma ; un art, si c'est un art, aux
mains d'une <i>« nuée d'intermédiaires internationaux qui
sont les maîtres invisibles du cinéma »</i>. Voilà le Morand
bistre, le reste est délicieux.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Lire
<i>Monsieur Vénus </i>de Rachilde.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">5
mars 2023.- Beau temps frais (8°C). Hier soir, vie sociale. Une
bière, un verre de vin, pas plus et c'est déjà beaucoup.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Je
persiste avec Morand en lisant <i>J'ai eu au moins cent chats</i> aux
Cahiers Rouges. Un spicilège ressemblant un choix de papiers
distillés par le Morand chroniqueur, pas journaliste, mais presque.
Comme dans <i>Mes débuts</i> son enfance, sa famille, ses amis et
ses voyages sont convoqués au petit confessionnal de la mémoire…
Il parle aussi de Proust, Larbaud ou André Maurois, de ses chats,
peut-être pas cent, mais tout de même bien nombreux. C'est un
Morand finalement assez intime, un Morand qui frôle souvent le
merveilleux. Comme je suis assez sans mes mots, je laisserai
l'artiste s'exprimer en le recopiant bêtement : <i>« Minuit. C’est
l’heure où, dans les villas du Cap-d’Ail, les ministres
concussionnaires jouissent en paix de la pergola de leurs rêves ; où
les vieilles Américaines du Cap-Martin disent à leur chauffeur :
“Appelle-moi maman ! ” ; où les fumeurs d’opium de Toulon ou
de Beauvallon congédient leurs domestiques et déroulent leurs
matelas et leurs fumées ; où les réfugiés allemands de
Juan-les-Pins se baignent sous la lune et se jouent du Schumann sur
disques Polydor ; où le gangster italien, embarqué à Brooklyn,
passe sa tête par le hublot et se croit déjà arrivé à Gênes ;
où le dernier train, celui de minuit vingt, amène à Vintimille les
voyageurs éreintés d’avoir traversé d’une traite toute la
France. C’est le moment où les Russes se relaient dans l’atrium
de Monte-Carlo pour jouer le deux cent millième coup d’une
martingale sûre ; où les jeunes lords phtisiques de 1880 et les
princesses allemandes hydropiques de 1890 sortent de leur lit en
marbre de Carrare du cimetière de Menton et retournent jouer à la
roulette… C’est l’instant où les coffres des rades, agités
par quelque houle sous-marine, grincent autour de leur chaîne
rouillée, avec un gémissement qui sort des profondeurs de la mer,
comme le soupir des trépassés. »</i></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Lire
<i>La femme abandonnée</i> de Balzac.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">6
mars 2023.- Demi-soleil (11°C). Lourds aléas extralectoraux sur
lesquels je ne reviendrais pas.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Quittant
Paul Morand je reste ligne clair en poursuivant mes pérégrinations
lectorales avec Michel Déon et <i>À la légère</i>, quatre
nouvelles écrites pour <i>La Parisienne, Le Figaro Littéraire</i>
ou <i>Votre beauté </i>au mitant des années 50. Pas extraordinaire,
mais un certain charme, de la désinvolture fifties, un peu de
désenchantement, un soupçon d'érotisme goujat et une pointe de
misogynie badine qui n'est certainement plus de notre temps. La
meilleure nouvelle est la troisième : <i>Inconstante Constance</i>
(un aréopage de délégués de la Société des Nations louche sur
le corsage et les gambettes d'une sténodactylo, l'un des diplomates
en tombe amoureux. Il y aura de la fantaisie et de la déception).</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Lire
<i>Akrivie phrangopoulo </i>de Gobineau.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">7
mars 2023.- Il pleut (10°C). Malade, retour des symptômes. Guère
d'appétit lectoral. Commencé <i>La</i> <i>Femme abandonnée</i> de
Balzac qui m'est tombée des mains au bout de quatre pages. Replis
dans le Journal de Renard qui déçoit rarement et convenait
parfaitement à mon humeur morose. Une cinquantaine de pages. Grande
présence de Marcel Schwob, quelques lourdeurs, des merveilles.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Lire
<i>Le Naufragé </i>de Thomas Bernhard.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">9
mars 2023.- Radoucissement (16°C). Je croque dans <i>L'Autofictif
repousse du pied un blaireau mort,</i> la saison 2019-2020 de
l'animal Chevillard. Le sautillement est très vite là, le kangourou
est convoqué : <i>« Souffrant d’une entorse, il apprit à
sautiller entre deux cannes anglaises. Après quelques semaines,
guéri, débarrassé de ses béquilles, le kangourou continua
pourtant sur sa lancée à progresser par bonds et nul n’a jamais
osé — l’animal est belliqueux — lui faire remarquer qu’il
pouvait maintenant marcher normalement. »</i> Constat : dans toute
l’œuvre de Paul Valéry il n'est jamais question du kangourou, il
n'est pas non plus question du Koala, le docte Sétois doit avoir un
problème avec les marsupiaux.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">11
mars 2023.- Pluie intermittente (15°C). À l'image du <i>Kafka</i>
de Max Brod le <i>Fuite et fin de Joseph Roth </i>de Soma Morgenstern
est un autel dressé par un écrivain à la mémoire d'un autre
écrivain ; un autel de l'amitié, de la reconnaissance, un
autel informé aussi. Il y a de pires lectures. J'ai entamé ce
livre, celui de Morgenstern, ce matin. Rien à redire pour l'instant.
Nostalgie austro-hongroise, nation éclatée, Shtetl, « village
initial » et souvenirs qui remontent, c'est émouvant et très
bien.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Otherwise,
a few pages of the Chevillard’s Autofictif. Still funny.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">12
mars 2023.- Nuages épars, quasi beau temps (16°C). Repas dominicale
familial, bu un verre de vin, c'est beaucoup. Chez Soma Morgenstern
rencontre entre Musil et Roth. Les deux parlent de Kafka. Un
intellectuel et un naïf. Je pencherais plutôt du côté du naïf.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">13
mars 2023.- De la douceur du soleil et du vent (21°C). Alcoolisme et
littérature, grande histoire. Morgenstern parle beaucoup de cette
pente tragique qui aura emporté bon nombre d'écrivains. Évidemment,
Roth est un parangon titubant de cette chose qui le fait verser vers
le pire pour lui-même et vers le meilleur pour ceux qui le lisent.
Enfin peut-être... rien n'est moins sur. Il pense que sans alcool il
ne serait qu'un bon journaliste et rien de plus. Que l'inspiration ne
lui vient qu'en buvant. Morgenstern pense l'inverse. Pour lui
l'alcoolisme de Roth n'est qu'une tragédie et certainement pas une
quelconque source d'inspiration. L'alcoolisme et le sac de sel…
Être ami avec Roth c'était <i>« manger un sac de sel avec
lui »</i>. Le manger ad vitam æternam…</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Sinon
en dehors de l'alcoolisme et des sacs de sel ingurgités avec ses
amis, Roth était extrêmement poli, avec tout le monde et même avec
les chiens, ce qui lui faisait un point commun avec Ernest Renan.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">14
mars 2023.- Vent tempétueux (12°C). Pas au mieux, toujours malade…
Les lignes qui suivent seront faiblardes</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Le
livre de Morgenstern n'est pas chronologique, il est même plutôt
soumis au flux des souvenirs. On passe du Ring à la Rue de Tournon,
de Vienne à Munich, de l'assassinat de Dolfuss à l'anschluss, des
émigrés à Paris en 1938 aux persécutions subies par les juifs
dans les débuts du pire. Seules les dernières pages apportent une
sorte de linéarité. Une linéarité poignante et tragique,
l'alcoolisme de Roth, ses <i>delirium trémens,</i> sa fin
inéluctable qui tombe comme un couperet (le livre est très bien).</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Plus
joyeux, relu la première aventure de <i>Gil Jourdan </i>par Tillieux
(c'est une BD).</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">17
mars 2023.- Ciel voilé (17°C). Me revoilà… Je picore dans
<i>L'Autofictif</i> de Chevillard qui malgré quelques rares baisses
de régime reste globalement sautillant. (Être pertinent 365 jours
sur 365 jours me semble relever de la gageur.) Moins joyaux l'ami
Cioran qui dans ses Cahiers perd sa mère. (Cette mort c'est comme sa
propre mort puisque sa mère lui avait transmis toutes ses
infirmités.)</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Ce
sera tout pour aujourd’hui.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">18
mars 2023.- Soleil voilé (18°C). (Matin.)</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"> <span style="font-size: medium;"><i>«
La vie s’est écoulée, pour moi, dans les trains de banlieue ; si
j’ajoute mon enfance immémoriale, un autre monde, je perds pied,
une sorte d’éternité m’habite ». </i>
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Mon
refus persistant de m'engager pour quoi que ce soit — causes
politiques, affaire sentimentale — est certainement lié à ma
fainéantise ontologique. Pourquoi bouger alors qu'il est si commode
et même si réconfortant de ne rien faire ? En attendant d'être
emporté puis empaqueté par les affres du velléitaire je suis
plongé dans le <i>Vivre à Madère</i> de Chardonne. Voilà un livre
doux et peu velléitaire lui non plus (bien qu'un peu plus que moi).
C'est la seconde manière de Chardonne qui est à l’œuvre, la plus
tardive, la plus douce, la plus libre et gracieuse, avec cette
tonalité qui donne l'impression d'avoir à faire à des phrases qui
ne doivent plus grand-chose aux contraintes du prosaïque et du
naturel ; dans une sorte de flottement aérien,
tellement concordant avec les douceurs madériennes. (Je ne dirai
rien de l'intrigue, vous n'avez qu'à vous renseigner).</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">(Après-midi.)
Allongé en position horizontale de sécurité sur ma chaise de
jardin de jardin je suis toujours avec Chardonne. Comme tout est
certainement dans tout, page 163, je tombe sur ces mots qui me
semblent tomber à brûle-pourpoint : <i>« J’étais étendu sur
une chaise longue devant la maison, près de la grille, depuis le
déjeuner. L’après-midi fondait vite, tandis que je pensais, ou
plutôt je rêvais. Depuis des années, ne voulant plus écrire,
craignant la manie que j’avais autrefois de noter et d’approfondir
des idées et des imaginations, qui ne valent que pour un instant,
j’ai appris à les dissoudre quand elles se forment. J’ai poussé
assez loin l’art de ne rien faire ; je peux rester inoccupé tout
un jour dans un brouillard d’idée. Cette rêverie inoffensive
n’est pas vide. »</i></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="font-style: normal; font-variant: normal; line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">
19 mars 2023.- Quelques averses, une éclaircie (14°C). Qui est le
vrai Chardonne ? Le romancier délicat et poignant de <i>Vivre à
Madère </i>qui préfère dormir devant l'adversité où l'épistolier
bistre et atrabilaire que l'on constate et subit dans sa
correspondance avec Morand ? Certainement les deux… On préférera
le premier, un Dr Jekill plutôt enchanteur, on oubliera le second,
ce Mister Hyde vitupérant devant une somme de choses qui n'en
valaient pas vraiment la peine. Autre cas, encore une dichotomie :
Gobineau. Je vadrouille dans son <i>Mouchoir rouge,</i> une nouvelle
que l'on pourrait définir comme délicieuse. Rien de l’<i>Inégalité
des races</i>, plutôt un condensé de ses heureuses <i>Pléiades</i>.
Rien à redire, c'est très beau, pour preuve : <i>« Du reste, il
était de mœurs simples, et allait dans les rues en habit noir râpé,
en cravate d’un blanc douteux, quelquefois en pantoufles, fidèle
en cela au laisser-aller italien, et toujours sans le moindre ruban à
sa boutonnière. On lui en savait gré.»</i></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><span style="font-variant: normal;"><span style="font-style: normal;">Dernière
lecture du jour (l'orage point, en mars c'est étonnant), Chevillard
et son </span></span><span style="font-variant: normal;"><i>Autofictif</i></span><span style="font-variant: normal;"><span style="font-style: normal;">.
Goût de greguerias, goût de Ramón Gómez de la Serna. Pas de cas
étrange, pas de double personnalité. Chevillard penche du bon côté.
Peut-être un peu trop, allez savoir ?</span></span></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="font-style: normal; font-variant: normal; line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">
20 mars 2023.- L'hiver finissant, ce nuage qui passe devant le
soleil, je le hais (13°C) François Gorin fut avec Michka Assayas
celui qui aux débuts des années quatre-vingts dans les colonnes de
Rock & Folk ouvrit mes écoutilles (pour ne pas dire mes
oreilles). J'ai une immense dette envers lui et je ne me voyais pas
penser le moindre mal de son <i>Carnet vert </i>que j'ai lu dans la
matinée. Je ne le ferais donc pas, tout d'abord par fidélité avec
mon moi jeune adulte et quasi-adolescent ensuite parce que c'est un
livre que j'ai trouvé très à mon goût. Ce n'est qu'une petite
affaire littéraire, mais elle est très bien. Elle est échafaudée
à partir d'un modeste carnet retrouvé au fond d'un tiroir, un
modeste carnet où Gorin notait les numéros de téléphone d'une
petite armée de gens qu'il aura croisé au fil des ans et dont il se
souvient. Des garçons, des filles, des gens que l'on croit deviner
connaître, d'autres qui resteront anonymes et un peu indistincts, un
peu gris… Le résultat aurait pu être problématique cédant au
petit ton, à la petite musique, ce n'est pas le cas. Je dirai que
nous sommes plutôt dans quelque chose de Perec et de Modiano en
pleine coalescence sur une bruine mémorielle. Il y a un vrai art du
portrait, une délicate attention au temps qui passe, un certain
pincement. C'est pas mal du tout : <i>« Je chasse les souvenirs avec
un filet à papillons percé, et je ne vois que ton visage, tes
fantastiques cheveux, ta nuque, tes jolis pulls, la carnation de tes
joues. Tout cela est très joli, mais… »</i></span></p>
<p align="justify" style="font-style: normal; font-variant: normal; line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">
Par ailleurs, toujours avec Chevillard le grand ami de Frédéric
Beigbeder.</span></p>
<p align="justify" style="font-style: normal; font-variant: normal; line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">
Lire <i>Les éclats </i>de Bret Easton Ellis.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="font-style: normal; font-variant: normal; line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">
21 mars 2023.- Légère couche nuageuse (16°C). Examens médicaux,
une échographie abdominale, résultat, j'ai le foie trop petit. Trop
grand je veux bien, mais trop petit, qu'elle est donc cette histoire
?</span></p>
<p align="justify" style="font-style: normal; font-variant: normal; line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">
Dans son <i>Autofictif</i> Chevillard liste les personnalités qu'il
aura « vues de ses yeux vues, de ses yeux vivants vus ». Comme je
suis assez désœuvré (en fait, je prends ma retraite à moitié
avant l'heure légale), j'ai moi aussi démoulé ma petite liste, la
voilà (mes personnalités étant pour l'essentielle moins mortes que
vivantes, je triche et biaise un poil la proposition chevillardienne)
: Carlos, Carole Laure, Bernard Thevenet, Paul Lederman, Pierre
Tchernia, Gérard Jugnot, Marie Myriam, Marc Lavoine, Gérard
Collomb, Ogor Plotvitch, Henri Pescarolo, Laurent Wauquiez, Eric
Champ, Bruno Gollnisch, Alain Maneval, Lyn Byrd, Nic North et Oliver
North, Peter Zaremba, Raoul Lachenay, Victor Wembanyama,
Eric-Emmanuel Schmitt.</span></p>
<p align="justify" style="font-style: normal; font-variant: normal; line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">
Extraballe footballeurs et footballeuses : Pascal Olmeta, Sonny
Anderson, Michael Essien, Franck Gava, Sydney Govou, Wendy Renard,
Fleury Di Nallo, Rémi Garde, Bernard Lacombe…</span></p>
<p align="justify" style="font-style: normal; font-variant: normal; line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">
Chose étonnante, tout étant décidément dans tout, je n'ai pas
fini de poser mon <i>Autofictif</i> qu'ouvrant au hasard le Journal
de Renard à la date du 5 août 1893 je tombe sur une autre
Chevillard. Celui-ci n'a rien à voir avec l'homme de chez Minuit
c'est un escrimeur plein de retraits d'une grâce imprévue. Tout son
jeu est une composition de haut style : « sa phrase
d'armes est presque littéraire. »</span></p>
<p align="justify" style="font-style: normal; font-variant: normal; line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">
Rien (ou presque) : Mon hôtel à insectes est une franche réussite,
colonisé par une horde d'abeilles, il va falloir que je le détruise.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="font-style: normal; font-variant: normal; line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">
22 mars 2023.- Appétence printanière (20°C). Bel douceur, je
tangue. Court retour dans les Cahiers de Cioran que je lis avec
parcimonie, faisant durer le plaisir. Rien à redire je taponne
presque tout. Ceci par exemple : <i>« La sagesse est de
laisser les choses en l’état. Chaque fois que j’ai essayé d’y
remédier, je m’en suis trouvé plus mal, à cause de complications
imprévues et à vrai dire imprévisibles, inhérentes à tout
changement, même en bien. »</i>ou encore <i>: « L’héroïsme
est puéril. Il faut regarder plus loin. »</i></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="font-style: normal; font-variant: normal; line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">
24 mars 2023.- Pluie (14°C). Labeur, fatigue… Dans les rues,
émeutes, le son de l'explosion. Nouvelles acquisitions, ma pile de
livre à lire devrait bientôt traverser le plafond : <i>Tout ce qui
n'est pas écrit disparaît</i> et <i>Une vie à brûler </i>- James
Salter, <i>L'ombre infinie de César: Regards sur la Provence</i> -
Lawrence Durrell, <i>Siegfried et le Limousin </i>- Giraudoux, <i>La
maison Mélancolie</i> et <i>Mauvais genre </i>- Nourissier,
<i>L'Explosion de la durite </i>- Jean Rolin, <i>L'épreuve de
Gilbert Pinfold </i>- Evelyn Waugh, <i>Un château en forêt</i> -
Norman Mailer, <i>Cordon-bleu</i> - Patrick Deville, <i>Le dernier
ange</i> - Robert de Goulaine, <i>Les Chemins parcourus</i> - Edith
Wharton, <i>Un jeune homme bien élevé</i> - Jean-Jacques Brochier,
<i>En haine du roman </i>- Marthe Robert, <i>Les taiseux</i> -
Jean-Louis Ezine, <i>Comme ceci comme cela</i> - Jean Tardieu, <i>Amour
Noir</i> - Dominique Noguez, <i>Croquis de mémoire</i> - Jean Cau.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="font-style: normal; font-variant: normal; line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">
To be continued.</span></p><br /><p></p>Philippe Lhttp://www.blogger.com/profile/11161966062544589959noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-6980582.post-5611529615665451492023-11-25T23:15:00.021+00:002023-11-26T11:04:06.039+00:00Psychogeographie indoor (132)<p><span style="font-size: medium;"> </span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;">
</p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiRCBswSq4sznZO0aNMX1g9vE49aAthaqLS0406l3llcALT4OlECSsbJj6u_mgj6HW1jgzCQc0FpaNxkIZofhY2mB0FKS9syJmr7C0fljpSBa5JbQm-3rXpstJxlAmzE3UGd1BZCZkIL1OVZArHLXTzRK24KZ7QBgPpXhdVBYWFROWcA0pZBRxEzg/s650/dhotel-4.jpg" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="484" data-original-width="650" height="297" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiRCBswSq4sznZO0aNMX1g9vE49aAthaqLS0406l3llcALT4OlECSsbJj6u_mgj6HW1jgzCQc0FpaNxkIZofhY2mB0FKS9syJmr7C0fljpSBa5JbQm-3rXpstJxlAmzE3UGd1BZCZkIL1OVZArHLXTzRK24KZ7QBgPpXhdVBYWFROWcA0pZBRxEzg/w400-h297/dhotel-4.jpg" width="400" /></a></div><br /><br /> Les casinos sont vides <br />comme ton cœur <br />et les restaurants de fruits de mer <br />ont des aquariums violets sous la pluie<div><br />
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">31
janvier 2023.- Éclaircies (6°C). Lombalgie, radiographie de la
colonne. Résultat : net pincement discal l5-S1 accompagné d'une arthrose facilement carabinée. Tout cela est
certainement entraîné par le labeur. On ne se fait pas mal au dos
en tournant les pages d'un livre (en dehors du labeur c'est mon
activité principale). En parlant de livre, acquis pour moins de 10 €
les deux premiers volumes du Journal de Bernard Delvaille. Ouvert le
premier au hasard et suis tombé sur de sombres histoires de
pissotières. J'espère qu'il ne sera pas question que de ça. Le
second volume sent le tabac froid…</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">2
février 2023.- Radoucissement (10°C). Cioran aurait aimé sans
aucune restriction la naïveté si il avait pu la distinguer de la
bêtise. Je suis sur la même ligne, mais je remplacerai la naïveté
par la candeur et la bêtise par le pelucheux.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Jamais
vraiment bête, naïf je ne sais pas, candide certainement, un peu, je
fais un petit tour chez Valéry (Paul). Il parle du mouvement et de
sa capacité à rendre la sensibilité plus vive : <i>« Après un
choc, on n’ose bouger. C’est un nexus étrange où les idées,
les mouvements, la variation de la sensibilité se brouillent
curieusement. »</i></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">3
février 2023.- Beau temps relativement doux, quelque chose de
printanier (10°C). Lectures picorantes : Delvaille, Brauquier,
Renard, Valéry… Rien à redire, c'est très bien. De surcroît,
mon canapé est confortable.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">4
février 2023.- Ciel changeant, continuité relâchée (11°C). Mes
cheveux poussent, je prends des airs hirsutes, des airs anachorète,
des airs un peu grecs. En attendant de me diriger vers une officine
de coupeur de cheveux, pour ne pas dire un coiffeur, je lis <i>Sunset
Limited </i>de James Lee Burke. Rien de vraiment tiré par les
cheveux, mais pas grand-chose à en dire. Burke écrit toujours un
peu le même livre, son territoire m'est connu. As usual, je m'ennuie
tout d'abord un peu me disant que la répétition sur le motif à
parfois quelques limites. Puis, petit à petit, pour ainsi dire
insidieusement, un certain charme s'installe. Je me retrouve sur un
chemin de terre en bord de bayou, dans un bouge cajun entre une
prostituée toxicomane et deux types turpides. Les senteurs de junk
food montent dans l'air tiède, les bières à col long sont
fraîches, tout cela est un peu vaudou.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">5
février 2023.- Le gris domine (9°C). En dehors de la Louisiane de
ses paysages et de sa nourriture calorique ce qu'il y a de mieux chez
James Lee Burke ce sont les portraits qui sont parfois dignes
d'Albert Dubout, celui-ci par exemple : <i>« Une de ses jambes était amputée
au ras du bassin, l’autre au dessus du genou. Il était énorme et
son ventre se pressait en couches tremblotantes contre le tissu de
son jean démesuré couleur d’encre noire. Il avait la peau aussi
rose et lisse que celle d’un bébé, mais autour de son cou un
couple de goitres pendouillait comme un collier d’œufs de cane.»</i></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">6
février 2023.- Ciel gris suicide, indicible maussaderie (6°C). Je
chemine tranquillement dans la Lousiane burkenienne. La tiédeur est
là, les paysages sont jolis, la nourriture est bonne, mon canapé
est confortable mais l'intrigue poussive, très poussive… Ce midi
sur France Culture Charles Dantzig parlait de Jules Huret et de sa
fameuse <i>Enquête sur l’évolution littéraire</i>. Paru en 1891
c'est un spicilège de portraits et d'entretiens qui tournicote
aimablement autour du gratin de l'avant-dernier fin de siècle.
(Mallarmé, Lemaitre, Barrès, Gourmont, Joséphin Péladan, ce bon
Raoul Ponchon…) C'est aussi et surtout le seul ouvrage où l'on
peut se délecter d'un entretien avec le très mal embouché
Verlaine. Évidemment, c’est génial : <i>« Comme je lui demandais
une définition du symbolisme, il me dit :</i></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">—
<i>Vous savez, moi, j’ai du bon sens ; je n’ai peut-être que
cela, mais j’en ai. Le symbolisme ?… comprends pas… Ça doit
être un mot allemand… hein ? Qu’est-ce que ça peut bien vouloir
dire ? Moi, d’ailleurs, je m’en fiche. Quand je souffre, quand je
jouis ou quand je pleure, je sais bien que ça n’est pas du
symbole. Voyez-vous, toutes ces distinctions-là, c’est de
l’allemandisme ; qu’est-ce que ça peut faire à un poète ce que
Kant, Schopenhauer, Hegel et autres Boches pensent des sentiments
humains ! Moi je suis Français, vous m’entendez bien, un chauvin
de Français, — avant tout. Je ne vois rien dans mon instinct qui
me force à chercher le pourquoi du pourquoi de mes larmes ; quand je
suis malheureux, j’écris des vers tristes, c’est tout, sans
autre règle que l’instinct que je crois avoir de la belle
écriture, comme ils disent !</i></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><i><span style="font-size: medium;">Sa
figure s’assombrit, sa parole devint lente et grave.</span></i></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">—
<i>N’empêche, continua-t-il, qu’on doit voir tout de même sous
mes vers le… Gulf Stream de mon existence, où il y a des courants
d’eau glacée et des courants d’eau bouillante, des débris, oui,
des sables, bien sûr, des fleurs, peut-être… »</i></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">(Du
même Huret, lire les épatants <i>Voyages en Amérique.</i>)</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">8
février 2023.- Beau temps froid (-3°C→6°C). Labeur. Toujours
vaguement malade, lombalgie, tenace et divers problèmes de
tuyauterie pas follement croquignolets. Un peu picoré dans l'enquête
sur l'évolution littéraire de Jules Huret. Belle réponse de Raoul
Ponchon : <i>« Mon cher Huret, Vous feriez bien mieux d’aller voir
des filles plutôt que de me raser avec votre interview. D’abord,
tout ce que je pourrais vous dire, vous le savez déjà. C’est que
mes amis seuls et moi avons du génie. Et encore, mes amis ?… »
Cordialement vôtre, Raoul Ponchon. »</i></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><span style="text-align: left;">À
l'alternat, lu un chapitre légèrement sanguinolent de James Lee
Burke. Ce sera tout pour aujourd'hui.</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><span style="text-align: left;"><br /></span></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">9
février 2023.- Soleil frisquet, comme si c'était possible ! (7°C).
Première lecture en extérieur de l'année, dans les frimas, les
pieds à l'ombre, mais la tête au soleil. Ma chaise de jardin est
toujours confortable…</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Je
m'éternise chez James Lee Burke entre un tueur nain qui mange les
testicules de ses victimes et un vieux cow-boy sadique qui a la
drôle de particularité d’avoir une carotte qui lui pousse dans la
tête. Autrement chez Jules Juret Gourmont dézingue France et Zola
tout en prédisant que la littérature prochaine sera mystique et
d'un catholicisme un peu spécial, une héritière qui régnera sur
l'art tout entier. Il cite aussi Francis Poictevin « brodeur de si
fines étoles ». Un éloge en cinq mots.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">10
février 2023.- Soleil pour ainsi dire polaire (-5C°-> 5°C). Le
labeur m'ayant contraint à passer l'essentiel de la journée dans un
entrepôt où la température ne dépassait pas les trois degrés,
j'ai tout du Lapon congelé. Mes pieds sont froids, mes mains sont
froides et je crois que mon cerveau est bien froid lui aussi. Bon une
fois rentré dans mon petit intérieur, toute cette froideur derrière
moi, j’ai tout de même repris quelques menues lectures. Sous un
plaid et parfaitement chaussetté, je suis retourné chez James Lee
Burke (qui est raisonnablement tiède). J'ai ensuite feuilleté un
volume du très toqué Francis Poitcvin (Double) pour mieux finir
dans l'enquête de Jules Huret où Henry Céard était convié à
émettre quelques avis sur la production littéraire de ce bon vieux
19e siècle. Rien sur Francis Poitcvin, mais cet avis sur Stendhal,
qui est finement raisonné, mais que l'on n'est pas obligé de
partager : <i>« Il faudrait discuter un peu sur Stendhal et ses
qualités. C’est un psychologue, oui, mais un mystificateur. Ce
qu’on nomme sa psychologie résulte seulement de l’effort qu’il
fait pour échapper à son instinct et à sa sensation. Voilà son
intérêt ; il ne consiste pas dans la réalité de ce qu’il nous
raconte, mais dans le travail de mensonge qu’il apporte dans ses
analyses. Il faut tenir compte de cette nuance. La plume à la main,
il se dupe lui-même et essaie de duper ses lecteurs, et je crois que
tout son agrément vient de l’excès de son artifice. Sans doute,
il est merveilleux, ce jeu d’esprit joué sur l’échiquier mental
d’Helvétius et de Condillac, mais il faut le prendre pour ce qu’il
vaut et s’en délecter, par virtuosité d’esprit, mais sans y
attacher de souveraine importance. »</i></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">11
février 2023.- Weather mostly sunny (7°C). Quarante minutes de
lecture en outdoor, juste le temps pour que mes pieds se
refroidissent. Repli sur mon petit intérieur (ce n'est pas une image
fœtale) où j'ai fini la lecture du <i>Sunset Limited</i> de James
Lee Burke. Rien de vraiment affligeant, mais c'est le dixième
ouvrage mettant en scène le très bougon Dave Robicheaux et comme
c'est un peu toujours la même chose avec lui je commence à sentir
une certaine lassitude pointer au milieu des marais louisianais. Par
contre, je ne me lasse pas du Journal de Bernard Delvaille dans
lequel je suis retourné avec pas mal de satisfaction au coin du bec…
Naples et le Vésuse ce volcan qui ressemble à un gros chien
malheureux qui jadis aura fait de grosses bêtises, Pompéi, Sorrente
et Capri que Delvaille trouve sublime (alors qu'il se méfie
généralement du sublime)… La Toscane et l'Ombrie, Florence et
Sienne, Urbino et Cortone… Hyde Park et les bancs de la Serpentine,
Eton et Richmond… Autant de lieux traversés et racontés par un
esprit raffiné qui ne concède rien à l'affliction et tout à un
certain bonheur stendhalien d'exister.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">12
février 2023.- Le soleil brille sur les branches mortes (8°C). Cet
après-midi je n'ai pas pu vraiment profiter de mon temps de soleil
disponible, car ma voisine la plus limitrophe telle une musaraigne en
manque de vitamines D a pris l'idée de s’extraire de sa tanière
tout en entamant l'une de ses habituelles conversations
téléphoniques. Comme ses avis pénétrants sur tout et sur rien ne
m'intéressent que très vaguement et que, de surcroît, ils
barbifient assez largement mes velléités de lecture, je me suis vu
contraint de rejoindre mon petit intérieur où tel un ours courroucé
j’ai fini la lecture du Journal de Bernard Delvaille. (On pourra
dire que la musaraigne domine l'ours, c'est dans l'air du temps.) À
l'abri je suis parvenu à mes fins et j'ai bien fait puisque ce
Journal-là est en définitive globalement merveilleux. Delvaille ne
comprend rien aux nouvelles formes de civilisations, au Rap et au
trucmuche qui le hérissent, il déteste la bureautique, la
domotique, l'informatique et le téléphone portable. Il s'étonne
même que l'on puisse téléphoner depuis un avion et que celui-ci ne
tombe pas aussitôt. Rien pour les nouvelles technologies et rien
pour la nouveauté en règle générale, mais tout pour le plaisir
hédoniste de baguenauder à travers l'Europe entre vieux tableaux,
vieux écrivains et joies de la table. Tout pour une autre
civilisation, tout pour Londres et surtout tout pour l'Italie. Un
pays qui l'enchante et qui n'est qu'une source de joies diverses et
variées. Quoi de plus beau que le brouillard qui tombe sur la place
du Duomo de Parme ? Quoi de plus extraordinaire que la vue du
belvédère de Tragara à Capri ? La mer baignée de soleil, d'un
bleu indéfinissable, quelque chose de sublime, mais pas un sublime
humain, un sublime organisé par les Dieux… Son Journal s'achève à
Venise en même temps que s'achève le XXe siècle. J'ai lu le
troisième Tome (qui me semblait intuitivement le plus intéressant)
je lirai les deux autres. Delvaille a-t-il écrit un quatrième Tome
avant de rejoindre la vaste communauté des trépassés en 2006 ?
Sera-t-il publié ?</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><i><span style="font-size: medium;">«
Venise, ville des êtres solitaires, qui caressent de la main, tel un
visage, le parapet des ponts, se donnant ainsi l’illusion de
suspendre le temps. Ainsi va notre vie, dans le silence et dans les
songes, en attente des cendres. </span></i><i><span style="font-size: medium;">Ici
s’achève le XXe siècle »</span></i></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">13
février 2023.- Soleil, grande amplitude thermique (-5°C ->
14°C). Pas de voisine tintamarresque, quinze minutes de soleil en
plus.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Il y
a quelques années j'ai visité la Pologne, du nord au sud, de
Varsovie à Cracovie tout en faisant une étape que je pensais
nécessaire par Auschwitz et Birkenau. Un voyage forcement un peu
touristique, mais pas tellement dans les vestiges des deux camps que
l'on sait qui me sont apparu comme des lieux de mémoire assez
préservés par la disneylandisation. Dans <i>Nein, Nein, Nein !</i>
livre que j'ai entamé ce matin Jerry Stahl raconte peu ou prou le
même voyage sauf que lui voit du problématique là où je voyais du
préservé. Son récit, cette Shoah en autocar qui pourrait de prime
abord laissez craindre une sorte de reportage gonzo croquignolet
n'est vraiment pas si mal que ça. C'est assez touchant, parfois
drôle et souvent féroce. Il y a bien une cafétéria dans le camp
d'Auschwitz j'ai du passer à côté sans la voir.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">14
février 2023.- Soleil et douceur (16°C). (Outdoor.) Habile
stratagème ! Je déplace ma chaise toutes les dix minutes et au bout
d'une heure j'aurai gagné pas loin de cinq minutes de soleil. C'est
toujours ça de pris sur l'hiver ! Retour dans l'enquête de Jules
Huret qui rencontre Octave Mirbeau. Quand le premier demande au
second ce qu'est pour lui la littérature, le second prend une
poignée de feuille morte l'éparpille machinalement dans l'air et
affirme doctement : <i>« La littérature ? Demandez plutôt aux
hêtres ce qu'ils en pensent ! »</i></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">(Indoor.)
Comme tout est décidément dans tout — et même le pire — par
des biais détournés Jerry Stahl m'a mené jusqu'à la fiche
Tripadvisor de la cafétéria du Musée d'État d'Auschwitz-Birkenau.
Les avis partagés sont assez étonnants on ne sait pas si on doit
s'esclaffer ou s'offusquer en les lisant. Par exemple, il y a un type
qui trouve le cadre du restaurant assez mignon, un autre que
l'accueil est aussi froid qu'il y a 75 ans et d'autres — des
autochtones — que le prix de la tasse de café est trois fois plus
cher que celui pratiqué sur la place du Marché de Cracovie. Tout
cela me semble assez bien résumer l'esprit du livre de Stahl qui
malgré une traduction a priori un peu aléatoire m'aura globalement
très bien convenu. (Bon il y a des raccourcis un peu faciles entre
Hitler et Trump, un côté gonzo toxico déglingué parfois agaçant,
mais c'est tout de même drôle, bien informé sur le sujet et le
plus souvent poignant que glucidique.)</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">16
février 2023.- soleil voilé (12°C). <i>Lettres de Château</i> de
Michel Déon. Sur Larbaud : « Barnabooth, lui, est un Larbaud
agrandi, mythifié, supraterrestre, délivré des misères de la
trivialité. » C'est bien vu.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">18
février 2023.- Une certaine douceur (15°C). Malade depuis plus de
quinze jours. L'estomac et ses affidés, certainement quelque chose
d'ulcéreux. Je vais un peu mieux, les diverses pharmacopées font
sans doute effet. Le pire, la saveur des eaux plates, cette diète
que je dois m'imposer. Rien de vraiment sautillant dans tout ça.
<i>Lettres de châteaux</i> de Michel Déon. Ces lettres sont des
remerciements. Déon les a écrites à l'âge de 88 ans en 2008.
Elles sont adressées à Apollinaire, Braque, Stendhal, Larbaud ou
Morand. Rien de fulminant, la sagesse et le bon ton du grand âge
sont de mise. C'est tout de même bien agréable, un peu comme un
robinet d’eau tiède qui remplirait une baignoire où l’on
n’aurait aucune peine à vouloir se prélasser (il faut faire
l’éloge du robinet d’eau tiède). Cela et aussi quelques pointes
d'émotion qui piquent ça est là, dans les histoires de q d’
Apollinaire dans le Journal inutile du vieux Morand, un type pourtant
difficilement aimable (c'est moi qui souligne). Rien ne se perdant
jamais tout à fait le vieux Déon (il n'y a pas que Morand pour être
vieux), m'a donné l'envie de relire un peu les <i>Contrerimes </i>du jeune
Toulet. Dans le sens de l'obsolescence non programmée, c'est
toujours très bien :</span></p><br />Trottoir de l’Élysé’-Palace <br />Dans la nuit en velours <br />Où nos cœurs nous semblaient si lourds <br />Et notre chair si lasse ; <br /><br />Dôme d’étoiles, noble toit, <br />Sur nos âmes brisées, <br />Taxautos des Champs-Élysées, <br />Soyez témoins ; et toi, <br /><br />Sous-sol dont les vapeurs vineuses <br />Encensaient nos adieux – <br />Tandis que lui perlaient aux yeux <br />Ses larmes vénéneuses. <br /><br />
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Rien
(ou presque) : Dans ce monde nouveau qui avance par petits entrechats
pleins d'éthique même la transsexualité ne transgresse plus rien.
Nous allons bien nous embêter.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">19
février 2023.- Ciel couvert (10°C). Un jeune gandin s’ennuie dans
son village, il veut connaître le vaste monde, s'engage dans un
paquebot transatlantique où il officie comme steward. Quelque part
dans le Pacifique l'un de ses camarades un brin facétieux le jette à
l'eau d'un large coup d'épaule. Voilà notre jeune gandin barbotant
au large d'une île inconnue. Il est sauvé du naufrage par une nuée
d'inquiétants oiseaux de fer qui le dépose sur un canot sans
conducteur. Par ce moyen diablement automatique il est conduit sur
l'île inconnue où il est examiné par des entités sonores et
invisible et bientôt chapeauté par des robots régisseurs un peu
sinistres, mais très polis. Il rencontre une psychologue diaphane
qui pour mieux l'adapter à son nouveau milieu l'oriente vers divers
travaux d'horlogerie. Sa vie est alors régulée par ce qui pourrait
bien être une forme d'intelligence artificielle avant l'heure
légale. Autour de lui tout semble flotter dans une sorte de bonheur
uniforme et les hommes et les femmes qui l'entourent sont d'une
placidité heureuse et sans problème. Pour vivre loin des anicroches
dans cette société, cette communauté îlienne, il suffit que notre
jeune gandin ne pose pas de questions non prévues, qu'il ne sorte
pas des routes et des programmes imposés par une mystérieuse et
omnisciente machinerie que l'on imagine aisément binaire. Ceux qui
posent des questions inattendues et qui se risquent à mettre un pied
en dehors de tout ça se voient irrémédiablement rattrapés puis
trucidés à coups de becs et de griffes par les fameux oiseaux
métalliques que j'ai évoqués plus haut. Or, comme rien n'est
jamais simple, un jour notre jeune gandin dérègle un peu tout : les
robots, l'intelligence artificielle, les oiseaux mécaniques. Il
parle d'amour, les robots s'échauffent, l'intelligence artificielle
ne sait plus quoi résonner et les oiseaux trucideurs ne répondent
plus aux commandes de leurs modérateurs détraqués. Notre jeune
gandin s'échappe en compagnie de la jeune psychologue diaphane du
début dont il est tombé amoureux. Revenu dans son pays il découvre
que le bonheur était là (et dans les tartes aux cerises du
dimanche). Voilà résumée à gros traits patauds l'intrigue de
<i>L</i><i>'Île aux oiseaux de fer,</i> court roman d'André Dhôtel
que j'ai lu dans la matinée. Cette dystopie autour du machinisme en
marche et de ses inévitables effets est un peu à part dans l’œuvre
du brumeux Ardennais. Cela ne l'empêche pas d'être admirable et
d'une prescience étonnante à l'heure des drones de Chatgpt et
autres fariboles transhumanistes. (C'est l'amour et la douceur qui
nous sauveront du pire). (To be reworking)</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">20
février 2023.- Météo splendide, quasi printanière (17°C).
Toujours malade. Joies du Gaviscon et de l'Ésoméprazole, de l'eau
plate et de la diète.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Lu
le <i>Nietzsche</i> de Zweig. Pas une biographie, pas une analyse
philologique, mais quelque chose de plus intime, de plus bruissant,
aussi. Des histoires de corps. Le corps de Nietzsche, cette
physiologie si particulière qui lui fait ressentir la présence du
monde par tous ses organes. Son rapport à la maladie, à la
convalescence, cette autre naissance. La découverte du sud le soleil
que Nietzsche sent passer en lui, encore une naissance. Nietzsche
était un homme de naissances multiples. (Belle élégance de Zweig
qui comme avec Stendhal parle en amoureux.)</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Entamé
<i>Rue Involontaire </i>de Sigismund Krzyzanowski (grand oublié
soviétique).</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">21
février 2023.- Les nuages auront succédé à la brume et du soleil
prévu par la météorologie nationale je n'aurais vu que quelques
rares rayons (15°C). Fait un tour par le cimetière. Mes morts sont
toujours là…</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Ce
vague journal de lecture m'ennuie de plus en plus, c'est presque
devenu une corvée que de le tenir. Peut-être faudrait-il que je
sache changer d'objet, que je substitue aux livres que je lis le vide
qui m'entoure.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Selon
quelques-uns de mes informateurs Sigismund Krzyzanowski serait l'un
des génies littéraires les plus oubliés du XXe siècle… Un type
qui, encombré par les lourdeurs de la Russie stalinienne, n'aura
rien publié de son vivant. Il aura cependant écrit des carnets, des
récits et romans plus de trois mille pages que l'on redécouvre
petit à petit au fil de leur édition avec un bonheur qui semble
égal. À son sujet on parle de Kafka, de Borges, d'histoires un peu
toquées arrosées par la vodka. Ce matin j'ai lu <i>Rue involontaire
</i>un recueil de sept lettres et deux textes découverts dans les
archives du KGB. Les lettres sont envoyés au hasard avec ses timbres
qui pour les Russes faisaient office de monnaie. Dans le dernier
texte l'intelligence des personnages se réfugie dans un chapeau qui
passe d'une tête l'autre. Il y a certes de la fantaisie, un certain
cocasse avec quelque chose de réchauffé par la vodka, mais bon
Kafka et Borges sont tout de même loin. Plus conséquent et
certainement avec plus de chair à tripoter : Graham Greene. Je suis
plongé dans <i>Les chemins de l'évasion </i>l'un de ses trois
livres de mémoires. Pas d'anecdotes croquignolettes, de choses
indicibles et dites, de tourments intérieurs étalés, non c'est une
affaire totalement expurgée de l'intime. Greene ne parle que de ses
romans et de la façon dont ses propres expériences auront influé
sur eux. Pour lui la vie n'est qu'une accumulation de matériel,
elle n'est pas toujours facile, pas sans fatigue, sans souffrances et
même sans peur, mais elle n'est que ça (tout du moins dans ses
souvenirs).</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">24
février 2023.- Le vent se lève, l'air refroidi les nuages se
forment, tout change (14°C). Pour en revenir à la physiologie et
au roman, ces quelques lignes de Valéry (Paul) qui est tout de même
un champion : <i>« Comprendre quelqu’un, c’est avoir aussi une
idée de sa physiologie et de sa sensibilité et des habitudes de son
organisme – lesquelles sont singulières, très puissantes et très
cachées. Le secret de bien des conduites est dans la politique de
préservation des habitudes physiologiques : besoins parfois
bizarres, et, quoique besoins acquis, plus forts parfois que des
besoins naturels, véritables parasites de la vie neuro-viscérale,
inventeurs de dissimulation et de manœuvres extraordinaires. Rien ne
dessine plus une « personnalité ». Mais c’est encore un aspect
que le roman connaît assez peu. Même Balzac. Il est vrai que ce
sujet va vite à l’ignoble, à l’immonde et au comique. Pratiques
inconcevables, qui tiennent de la superstition, du tic, de la magie,
et qui deviennent obligatoires, sortes d’intoxications de
l’habitude et de monstruosités dans l’ordre des actions. Il y a
une tératologie des fonctionnements. »</i></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Physiologie
toujours (enfin presque), dans les Cahiers de Cioran : <i>« On
est écrivain parce qu’on n’a pas pu être orateur… D’après
mes théories, les bègues devraient tous être des génies…»</i></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">25
février 2023.- Vagues éclaircies cependant la balance penche tout
de même dans le nuageux (9°C) (Matin.) Moins malade, coiffeur et
toujours dans les souvenirs de Graham Grenne. Un côté
arrière-cuisine un peu popote. Intéressant, mais pas plus que ça.
Meilleur lorsque qu’enfin l'intime ne se cache plus et en entre en
collision avec les grandes affaires du Monde. L'espionnage à demi
avoué, le blitz, un voyage en Malaisie, quatre hivers au Vietnam à
suivre les « opérations françaises », quelques semaines dans la
Pologne stalinienne de 1956, une colonie de lépreux dans les
derniers jours du Congo Belge. (Faut-il encore rappeler ici combien
le Congo Belge fut terrible ?)</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">(Après-midi.)
Retour de bouquinistes, nouvelles acquisitions : <i>Amazonia</i> –
Patrick Deville, <i>Autobiographie d’un lecteur </i>– Pierre
Dumayet, <i>À la légère</i> – Michel Déon, <i>Le Carnet vert</i>
– François Gorin.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">26
février 2023.- Vent violent, ciel dégagé, température glaciale
(3°C). Lecture en extérieur impossible, c'est dommage.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Greene
me tombe des mains. Ses nombreuses pages sur la révolte des Mau Mau
sont par exemple soporifiques en diable. Ce n'est pas que le sujet
soit si inintéressant que ça — un sujet quoiqu'il puisse être
est toujours intéressant en soi —, mais Greene à beau malaxer des
informations, de la matière historique, cela ne prend pas, il n'en
fait pas grand-chose, il n'y a pas la moindre trace d'un quelconque
bonheur d'écriture dans tout ça et on s'ennuie ferme.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">To
be continued.</span></p></div>Philippe Lhttp://www.blogger.com/profile/11161966062544589959noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-6980582.post-85140712877781090732023-10-15T11:51:00.008+00:002023-10-16T08:39:22.086+00:00Psychogeographie indoor (131)<p><span style="font-size: medium;"> </span></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjPRGmnXv3e3GeJf6wibvpYBrhVwiW6qQFlHkvzupMDnazW38Y85nq40wuRMrLYX6I2CbXfksm_spGEBC7dQTNq4ZlWyPTdsG3OZSYS04HivFhS5okaCgTbICk_kc8NQnRgk5xDsaf-LRu2c1iyuavpGNf2CFWGp0AiM2BvA81EaM7Iv-c0VmtH0A/s665/117707748.jpg" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><span style="font-size: medium;"><img border="0" data-original-height="665" data-original-width="452" height="400" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjPRGmnXv3e3GeJf6wibvpYBrhVwiW6qQFlHkvzupMDnazW38Y85nq40wuRMrLYX6I2CbXfksm_spGEBC7dQTNq4ZlWyPTdsG3OZSYS04HivFhS5okaCgTbICk_kc8NQnRgk5xDsaf-LRu2c1iyuavpGNf2CFWGp0AiM2BvA81EaM7Iv-c0VmtH0A/w273-h400/117707748.jpg" width="273" /></span></a></div><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><i>« L'alcool, quel qu'il soit, et le sperme constituent un
cocktail que très peu de barmen consentent à nous servir. »</i>
<span>(Bernard Delvaille).</span></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="text-align: left;"><span style="font-size: medium;">9
janvier 2023.- Un coup de vent, plus de nuages, mais la température
aura baissé (8°C). Au mitan des mois en R, insensiblement les jours
s'allongent, le soleil réchauffe les branches toutes nues tandis que
plus bas les feuilles mortes pourrissent dans un contentement penaud.</span></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">(Matin.)
Holder, Chroniques. Ça tangue, zigzague un peu comme une ivresse et
ça nous mène tout de même là où ça veut bien nous mener…
vers de l'humain, du doucement humain à défaut d'être du
terriblement humain. La haute pointe du Médoc, Le Verdon et Soulac,
une rencontre avec Jean Rolin débarqué de son vraquier, les
vidanges et ses vendangeuses et vendangeurs, des typesses et types
qui zigzaguent eux aussi… L'inverse dans une sorte de parfaite
antonymie Renaud Camus et son Journal, <i>Vue d’œil</i>. Pas trop
d'humanité en zigzag, mais de la politique comme s'il en pleuvait à
gros grains rectilignes. On s'ennuie vaguement, on s'accroche aux
rares pages où le châtelain évoque ses lectures. Les écrivains
sont toujours trahis par la politique.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">(Midi)
J'ai fait des chips avec les épluchures des patates d'hier. Avec un
Muscadet Sèvre et Maine (vin de petite réputation, mais qui peut
apporter quelques menues satisfactions) c’était assez agréable,
potable pour ainsi dire.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">(Soir.)
Quelques repères biographiques autour de l'oiseau Ogor Plotvitch :
Naissance en 1953 sur l'île de Krk où il passe une petite enfance
tranquille avant de déménager sur le continent dans la ville
d'Opatija cette drôle de station climatique pleine de nostalgie
austro-hongroise (il y a une petite sirène, le climat est doux). Sa
jeunesse venant on le retrouve à Pula une citée Istrienne un peu
antique et pleine de joueurs de water-polo puis à Rijeka où il
officie comme clerc de notaire dans une officine titiste. Licencié
pour de sombres raisons productivistes, il préférait « ne pas »
effectuer les tâches que l'on voulait bien lui assigner, il se
réfugie à l'ouest, à Trieste où il compte marcher dans les pas
d'un écrivain irlandais un peu compliqué. C'est là que nous
perdons sa trace.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">10
janvier 2023.- Gris poussif (9°C). On me demande de cesser mes
préambules météorologiques qui seraient, parait-il, fatigants. Par
bravoure je ne vais pas le faire et dès demain je compte même
indiquer la pression atmosphérique et le sens du vent au début de
mes faibles notules journalières.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Vaccin
quatrième dose. Je n'ai toujours que deux bras, mais l'un, le piqué,
me fait un peu mal. Toujours à l'alternat entre Vialatte, Holder et
Camus. L'un est très attentif aux loups, l'autre à ses voisins
quant à celui qui n'est ni l'un ni l'autre je crois que je vais le
laisser choir car au bout de quarante courtes pages il m'épuise
déjà. Pour le reste et s'agissant de la partie la plus désœuvrée
de mon existence j'ai passé l'essentiel de ma journée à essayer le
nouveau module d'intelligence artificielle nommé ChatGPT. C'est de
prime abord assez bluffant et très amusant. L'application est si
bien faite qu'elle peut écrire un article, un poème ou une histoire
qui tient parfaitement à partir de quelques simples mots. Les
articles sont cohérents, les poèmes pelucheux, les histoires
mignardes et tout semble presque parfait. Cependant on se lasse vite
de tout ça… On se lasse vite et on est même effrayé, car dès
qu'il est question de politique, de choses sociétales ou
philosophiques, de transgression des normes en vigueur,
l'intelligence artificielle distille une espèce de novlangue pleine
de puritanisme. En somme, le langage du néo-libéralisme triomphant énoncé
par un disciple de HAl 9000.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">12
janvier 2023.- Ciel gris bleu assez indéfinissable, mais rien de
sautillant (11°C). Fatigue. Mon corps évoluant dans l'espace avec
une peine assez tangible je me contente de très peu de mouvements,
l'immobilité sera mon but.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Retour
dans le Journal de Renard. Le 23 janvier 1895, tête en ciment,
cervelle en plâtre il est dans l'incapacité d'écrire la moindre
ligne, il crache nègre, rends du noir comme une seiche…
<i>« J'attends l'inspiration, comme une pompe. Imiter la
nature, je veux bien, mais qu'elle commence ! » </i> Pour
rester dans le diaristique j'ouvre les Cahiers de l'ami Cioran et je
tombe sur ces mots : <i>« Un journal (Tagebuch) empêche peut-être
de travailler ; en revanche il rend service, il remplace utilement un
ami. C'est déjà quelque chose que de pouvoir se passer d'un
confident. »</i></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">13
janvier 2023.- Nuages, nuages, nuages… (12°C). Langeur et
délitement, rien pour moi. Sans inspiration je passe mon tour (et je
le laisse bien volontiers ma place à ChatGPT et à l'intelligence
artificielle, qui n'a pas d'états d'âme, elle) :</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="text-align: left;"><span style="font-size: medium;">Le
chiendent envahit le jardin</span></span></p><div style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size: medium;">Et
s'accroche à mes hémorroïdes<br />Tandis
que je me tords de douleur<br />Je
songe à cette casserole oubliée<br />Sur
le feu depuis trop longtemps<br />Un
lapin effrayé traverse la pelouse<br />Et
vient se blottir contre moi<br />Il
semble comprendre ma peine<br />Et
me réconforte de sa présence<br />La
tapette à mouches reste inutile<br />Car
les insectes ne viennent plus<br />Ils
ont fui cet endroit maudit<br />Où
la souffrance est reine.</span></div>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">14
janvier 2023.- Vent aigrelet soufflant sous un ciel grisâtre, grande
maussaderie de l'ensemble (5°C). Fini <i>L'Anachronique</i> d'Éric
Holder, je recommande cette lecture. Enchaîné avec <i>Cap Horn</i>
un recueil de nouvelles par le « grand écrivain »
chilien Francisco Coloane. On me souffle qu'il aurait quelque chose
d'un Stevenson austral. Certainement parce que ses histoires se
déroulent en grande partie en Patagonie et que cette terre en dehors
de convenir parfaitement à l'immense tristesse de Cendrars est
indubitablement très austral. D'autre part parce que ses histoires
ne sont jamais loin de la navigation, de la grand-voile et des
moussaillons, ce qui n'est jamais très loin de Stevenson non plus.
Bon, un Stevenson plus bourru qu'Écossais, plus démonstratif et
utilitariste, moins fin en somme (c'est ce que laissent transparaître
les trois histoires que j'ai lues aujourd'hui).</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Pour
le faire le compte tout en abordant des rivages qui n'ont rien à
voir avec ce que j'ai pu lire dans le reste de ma journée j'ai
survolé le fameux entretien entre Michel Onfray et Michel
Houellebecq. Ce n'est pas si terrible que ce qu'on en dit dans le
Landerneau, il n'y a pas de quoi hululer devant le post fascisme non
plus. Les deux disent beaucoup de bêtises… L'un des Michel est
très antipathique et calculateur tandis que l'autre me semble plus
sincère et en tous les cas plus drôle. Je vous laisse placer les
Michel à leur place, je pense que vous ne vous tromperez pas.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">15
janvier 2023.- Matinée pluvieuse puis une nette amélioration, un
ciel dégagé, un soleil qui darde et quelque chose de printanier.
Cela ne va pas durer, on annonce une tempête (10°C). Hier trahie
par deux trois nouvelles essentiellement maritimes j'évoquais
Stevenson en parlant de Coloane. Or à tout bien réfléchir, il me
semble bien plus proche de Jack London. Ses histoires de cow-boys de
chiens de troupeaux sont plutôt de cette patte là. Évidemment en
largement plus austral. Pour tout vous dire, c'est assez bien, très
dépaysant, ça vous donne des envies de pampa, de Patagonie et de
Terre de Feu : <i>« Dans la journée, notre sensation d’être sur
terre est quelque peu sommaire. Mais la nuit, sous un ciel brillant
où l’on distingue clairement les astres, nous avons l’impression
d’habiter une île perdue dans l’espace ; la terre s’estompe,
nous cheminons les yeux fixés sur la Voie lactée, et le cœur et
l’esprit s’élèvent vers le cosmos, puis redescendent pour, un
jour, disparaître sous quatre pelletées de terre. »</i></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">16
janvier 2023.- Temps à demi hivernal (6°C). Vaguement malade, de
surcroît conditions lectorales déplorables. Toujours le voisinage,
des travaux limitrophes, j'ai la tête comme une casserole. Néanmoins
et malgré tout cela après Coloane et ses trucideurs de bébés
phoques je reste exotique puisque j'entreprends la lecture de <i>Je
connais des îles lointaines,</i> un gros pavé qui ressemble
l'ensemble de l’œuvre poétique de Louis Brauquier. La préface
d'Olivier Frébourg est très éclairante, on devrait lire plus
souvent les préfaces.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">17
janvier 2023.- Un certain refroidissement (5°C). Lectures. 1/ Une
chronique admirable d’Alexandre Vialatte où il était question du
crocodile, du boa et de l'astrobale, de rhubarbe et de cabestan, de
Paulhan et de la peinture abstraite, de Braque et de l'oxyde
d'aluminium, de Klee et du cornet nasal d'un caniche, de Pollock et
du cortex cérébral, d'Arp et du neurone moteur de la moelle
épinière. 2/ <i>Et l'au-delà de Suez</i> premier recueil de Louis
Brauquier paru à Aix-en-Provence en 1922. Marseille, le grand large,
les ailleurs… Écrit à l'âge de 19 ans, c'est déjà très beau
et plein de promesses : <i>« Et nous suivons du doigt avec la
mappemonde/ La route de nos voiles rousses vers les ports/ Où nous
serons aimés par des créoles blondes. »</i> 3/ <i>Simple
journée d'été </i>spicilège recueillant une dizaine de nouvelles
fomentées par le trop précocement décédé Frédéric Berthet.
Soleil et Côte d'Azur, jeunes adultes en espadrilles blanches,
alcoolémie légère et pleine de bulles d'air. La nouvelle titre est
ce qu'il y a de mieux. Elle est même magnifique et très émouvante
sans en faire trop et pleine de ce que l'on pourrait définir comme
de la prescience en creux (le protagoniste principal, pour ne pas
dire le héros, ivre titube, tombe et s'assomme un peu. Ce sera le
destin de Berthet que de tituber, tomber et s'assommer, mais pas
qu'un peu, lui). Le reste du recueil même s'il tangue un peu moins
bien est relativement épatant. Il y a du charme un peu rohmerien,
quelques pointes de Tchekhov et le sentiment curieux et pas si
désagréable que ça, que l'ensemble aurait été très bien traduit
de l'anglais, ou plutôt de l'américain (disons que quelque chose de
Fitzgerald flotte aussi) : <i>« Les années passèrent, c’est-à-dire
qu’il fallut diviser par quatre le nombre des saisons. De tout ce
temps, aucun mort ne fut à déplorer, quoique régulièrement, à la
fin d’une journée un peu plus silencieuse, on crut pouvoir penser
qu’une période s’achevait, et elle s’achevait en effet : ainsi
sommes-nous chassés lentement. »</i></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">19
janvier 2023.- Quelques flocons (3°C). Gamin plus ou moins détecté
comme ayant quelques menus problèmes d'attention, certaines bonnes
âmes crurent bon de décréter que tous les mercredis après-midi je
devais voir un psychologue. Lors de ma première séance avec lui je
me retrouvais donc devant un type aux vagues airs socialisants. Il
fumait la pipe et me posa des questions d'apparences badines, mais
qui me semblèrent tout à fait sournoises. Outre cet interrogatoire
qui taisait son noN, il me demanda aussi de dessiner une maison et un
arbre. Comme j'étais bien plus malin que lui je le fis en tenant
compte de ses possibles futures interprétations, scribouillant un
arbre harmonieux positionnant les fenêtres, la cheminée de la
maison et l'horizon là où je pensais qu'un mouflet équilibré, en
somme un connard, les auraient positionnés. Évidemment, ce fut
notre seule séance.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Acquis
les trois volumes rassemblant les mémoires de Claude Roy, un
ensemble qui me semble intéressant.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">20
janvier 2023.- Froideur (2°C). Lever 5h43, labeur, sieste, ouvert
l'<i>Herbe des talus</i> de Jacques Réda (vagabond en Solex), David
Crosby est mort, c'est triste.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">21
janvier 2023.- Beau temps mais un vent sibérien à décorner les
cocus renforçant vers le frisquet le côté température ressentie
(2°C). Pour de mauvaises raisons liées à mon saumâtre emploi
bassement rémunéré, je ne suis pas trop d'humeur. Beaucoup de
peine à vouloir entrer dans l’<i>Herbe des talus</i> de Jacques
Réda. Cela me semble pourtant très bien, ces atours « mélangés
», ce début secoué par les souvenirs d'enfance, la suite dans une
belle xénophilie entre Londres, Vienne, Prague, Rome ou Budapest…
Rien de vraiment affligeant, mais j'achoppe. Les paragraphes se
dérobent à mon regard, mes vagues soucis reviennent sans cesse en
remugles patibulaires et ma concentration ne se fixe pas sur l'objet
lecture préférant se perdre dans une sorte de frustration
incontrôlée, une sourde colère, qui qui me pèse sur les épaules
pour mieux m'enfoncer, je ne sais où ? Maudits tracas du quotidien,
maudit labeur… Ne travaillez décidément jamais !</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">22
janvier 2023.- Nuages congelés (1°C). <i>L'herbe des talus</i> date
d'une époque où la France provinciale n'était pas encore
considérée comme périphérique, il y avait des quincailleries et
des épiceries et juché sur son Solex Réda ne rencontre guère de
ronds-points. Belle évocation de l'Écosse, d'Inverness et de l'ile
de Skye, toutefois je passe globalement à côté de ce livre
(certainement pour les raisons énoncées hier).</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Air
du temps. À la télévision entendu une sorte de neurobiologiste
expliquer qu'en gros Mozart n'avait pas de talent et qu'il avait
seulement beaucoup et précocement travaillé. Pire, pour elle,
considérer que les gens ont du talent, voire du génie, conduirait
tout droit au racisme. Trois minutes plus tard, elle tournicotait
autour du genre et des inégalités. Dieu que tout cela est
fatiguant. N'est-il pas plus simple de dire que certains sont doués
pour certaines choses. Quel est le mal dans tout ça ?</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">23
janvier 2023.- L’hiver, toujours (3°C). Ce matin visite médicale.
Mon médecin, le même depuis trente ans, est chenu comme un vieux
cep de vigne. Il doit avoir plus de 75 ans. La relève se fait
attendre…</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Comme
tout est dans tout et que ce tout offre des enchaînements, des
continuités parfaites, dans le Journal de Bernard Delvaille je lis
ceci : <i>« Lu Le Sens de la marche, que Jacques Réda vient de
m'envoyer. J'ai toujours aimé Réda, mais je m'en lasse un peu. Son
style me semble devenu appliqué, laborieux. Ah ! l'immense liberté
de la prose de Cingria ! » </i>Nous sommes en 1990 et Delvaille
voyage toujours beaucoup. Belle description de la Riviera, de
Villefranche, Beaulieu, Saint-Jean-Cap-Ferrat et Eze. Désamour de
Bordeaux, de Toulouse et d'Aurillac. Éloge de Montpellier (où il
pourrait vivre). Charme de Vic-Sur-Cère avec ses toits en ardoise au
pied de petites montagnes de sapins et de pâturages. Charme des
lignes ferroviaires secondaires… Existent-elles seulement encore ?
Je ne crois pas… Fini ma relecture des <i>Illuminations</i>. C'est
tout de même très bien. Ce Rimbaud savait manier sa balle : <i>«
Ce soir à Circeto des hautes glaces, grasse comme le poisson, et
enluminée comme les dix mois de la nuit rouge - (son cœur ambre et
spunck), - pour ma seule prière muette comme ces régions de nuit et
précédant des bravoures plus violentes que ce chaos polaire. </i></span><i style="text-align: left;"><span style="font-size: medium;">À
tout prix et avec tous les airs, même dans des voyages
métaphysiques. - Mais plus alors. »</span></i></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">24
janvier 2023.- Nuages (3°C). Malade, estomac en charpie, prise de
sang et autres joyeusetés…</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Toujours
avec Bernard Delvaille esprit raffiné baguenaudant entre Londres,
Vienne, Trieste, Amsterdam et Venise. Enfin, Venise surtout… Venise
et le Le Caffè Florian (le plus ancien café de la place Saint-Marc
où se réunissait « Le Club des longues moustaches »). San Michele
et ses tombes, cette odeur de décomposition qui se mêle à celle de
la résine chaude, Murano et ses couleurs, ce jaune, ce rouge foncé,
cet ocre, Burano ses verres et sa grand-place, le Ghetto et ses
maison bien hautes, les plus hautes de Venise (quand on vous
persécute, on s'élève vers le ciel), les zones obscures de l'autre
côté du Canal Grande, les musées, les mouettes, les chats fourbes,
le clapotis de l'eau, tout cela est un enchantement : <i>« Pendant
tout mon séjour, la lune a été haut dans le ciel. Je reste seul,
quelques instants, face au ciel étoilé. Je songe au passé, au
bonheur de vivre, à la mort. »</i> Delvaille est mort ici même à
Venise quinze ans plus tard.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">26
janvier 2023.- Encore des nuages (3°C). Désœuvré et d'une
appétence pour ainsi dire légumineuse je butine néanmoins dans
quelques <i>Variétés</i> de l'ami Paul (Valéry). Cette chose qui
suit par exemple :<i> « Comme la bouche est curieusement
sensible, donne un mélange de fortes pressions, de tractions
contrariées, d’obstacles et de corps durs interposés, de goûts
et saveurs, de touchers humides et de glissements, de présences
étranges, – de même la sensation d’ensemble de tout le corps et
les mouvements de l’attention dans le corps, comme celui de la
langue qui tâtonne et travaille dans son antre. »</i></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">27
janvier 2023.- La nuit tombe, j'ai froid aux pieds.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">28
janvier 2023.- Froideur, bise légère, morne plaine (3°C). Au
moment où l'on annonce une sorte de court métrage d'essence
vaguement pornographique mettant en scène un Michel Houellebecq tout
autant délité qu'alité je relis son Lovercraft. Cette courte
approche du toqué de Providence est peut-être l'un de ses meilleurs
textes et en tous les cas elle offre de nombreuses satisfactions au
lecteur féru de Fantastique (ou pas, je ne suis pas du tout féru de
Fantastique). Rien de fulminent, mais un certaine finesse pour parler
d'un type qui malgré ses atours de gentleman discret réservé et
bien éduqué ne semblait être venue au monde que pour dépasser les
bornes. Un type à la vie réduite au minimum, un type dont toutes
les <i>« forces vives auront été transférées vers dans son
acception générique littérature et vers le rêve. »</i>. Un
puritain loin des affaires sexuelles pour qui le Monde et pourquoi
pas l'autre dans son acception générique était l'ennemi. Un ennemi
rampant, purulent et pullulant qui le conduisait vers un racisme
terrifiant, une névrose. C'est ce que l'on retrouve couché sur le
papier dans ses histoires toquées où l'on croise des êtres
hésitant entre l'amibe et le pithécanthrope, entre le suintant et
le gélatineux. Des êtres qui se débattent entre les larges et
fantastiques linéaments de l'âme morbide, de la désintégration et
de la décadence… Dans les premières pages, Houellebecq offre une
sorte de bréviaire qui excède peut-être Lovercraft lui même : <i>«
La vie est douloureuse et décevante. Inutile, par conséquent,
d’écrire de nouveaux romans réalistes. Sur la réalité en
général, nous savons déjà à quoi nous en tenir ; et nous n’avons
guère envie d’en apprendre davantage. L’humanité telle qu’elle
est ne nous inspire plus qu’une curiosité mitigée. Toutes ces «
notations » d’une si prodigieuse finesse, ces « situations »,
ces anecdotes… Tout cela en fait, le livre une fois refermé, ne
fait que nous confirmer dans une légère sensation d’écœurement
déjà suffisamment alimentée par n’importe quelle journée de
“vie réelle”. »</i> Ou encore : <i>« Quand on aime la vie, on
ne lit pas. On ne va guère au cinéma non plus, d’ailleurs. Quoi
qu’on en dise, l’accès à l’univers artistique est plus ou
moins réservé à ceux qui en ont un peu marre. »</i></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">(Comme
rien ne se perd jamais tout à fait, à l’intérieur du Lovercraft
de Houellebecq j’ai retrouvé le ticket de caisse apportant la
preuve de mon acquisition, le 17 février 2000 à 12h40 dans
l’Hypermarché Continent de Francheville dans le Rhône. Constat en
2000 Houellebecq était déjà disponible en Hypermarché). Moins
toqué que tout ce qui précède et d’une élégance certainement
plus lustrée je suis toujours dans le Journal de Bernard Delvaille.
Tiens, il n’aime pas le <i>Danube</i> de Claudio Magris (livre que
j’aime beaucoup). Il lui trouve des airs de livre de professeur.
C’est certainement un peu vrai, mais il y a de pires professeurs.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">29
janvier 2023.- Les nuages sont toujours là (4°C). Hier soir vie
sociale. As usual drink a little too much… Ce matin j'apprends la
mort de Tom Verlaine. Les yeux humides, presque des larmes, non de
vraies larmes deux ou trois. On ne devrait pas pleurer pour les gens
que l'on ne connaît pas vraiment... les vedettes. La dernière fois
c'était pour Alex Chilton. Mais bon Tom Verlaine était mon
guitariste préféré, <i>Marquee Moon </i>l'un des mes trois ou
quatre albums préférés, <i>Torn Curtain</i> avec ses ressacs de
guitares mercuriales l'un des mes moments musicaux préférés, une
chanson, enfin une chanson je ne sais pas, plutôt un morceau comme
on dit, où il y était question de larmes, des larmes retenues,
jamais versées… alors bon je peux bien les verser ces larmes-là,
non ?</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Villes
moyennes endormies, éclairées de réverbères orange, enseignes de
Night-Club perdu en rase campagne, lumières d'un Castorama entre
Chalon-sur-Saône, Mâcon et Bourg-en-Bresse. Delvaille voyage en
train et ses annotations ne sont que des sensations où les couleurs
se mêlent à la vitesse où la lueur bleutée des écrans de
télévision provinciaux flotte sur les fleurs et l'herbe des talus
en bord de voies. Le train arrêté, la destination atteinte, ce sont
les odeurs, les variations de température qui prennent le pas. Le
souffle doux du vent sur la Piazza Navona, le ressac et les senteurs
de Venise. Autant d'impressions de voyages qui ne concèdent pas
grand-chose à la vie intime. Elle est en filigrane, elle y est bien
: <i>« Mon journal ne vaudra que pour les voyages et les notes de
lectures. Le reste est au plus profond de mon cœur. »</i></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">30
janvier 2023.- Deux vagues éclaircies, un peu plus de lumière
(5°C). J'aime de plus en plus le Journal de Bernard Delvaille. Pour
tout vous dire, je le trouve même délicieux. C'est une source de
raffinements et de délicatesses (j’utilise le pluriel à dessein).
De surcroît, il me donne de nombreuses envies de lectures. <i>La
Mélodie d'Albion</i> de Peter Ackroyd, <i>Les Pierres de florence</i>
de Mary McCarthy, <i>Le pays des sirènes </i>de Douglas Norman, <i>La
Vie ardente</i> de Pier Antonio Quarantotti Gambini, <i>Le Vain
Travail de voir divers pays </i>de Larbaud, <i>Le Parfum des îles
Borromées</i> de René Boylesve, <i>L'Altana ou la vie vénitienne
</i>de Henri de Régnier. Comme avec la dématérialisation tout est
devenu plus simple et trouvable, j'ai déjà acquis numériquement
les deux derniers titres cités. Je n'aurais pas le loisir de sentir
la douce odeur de noisette chancie qu'ils doivent distiller en
version palpable, mais c'est toujours ça. Dans une sorte d'élan
clubiste et moustachu, j'ai déjà entamé le Régnier. Pas de
senteurs de noisettes chancies, le numérique ne sent rien, mais tout
de même du désuet, du charmant du mordoré… On baguenaude dans
une Venise fin -début de siècle au milieu des ruelles, des canaux
et du souvenir d'une belle palanquée de vieux peintres. Rien à
redire, c'est très bien.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><br /></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">To
be continued.</span></p>Philippe Lhttp://www.blogger.com/profile/11161966062544589959noreply@blogger.com2tag:blogger.com,1999:blog-6980582.post-38064192703895759982023-09-05T11:39:00.001+00:002023-09-05T11:39:34.907+00:00Psychogeographie indoor (130)<p><span style="font-size: medium;"> </span></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEg2sbKB241LtbeHcZXuNMc7uUgiOaiSv16sPAaIdk-e5gTHZW6ukvkrQ4Wkl9R_cRD61ts4ii54MYfaLFhpMF7PDGMZXAjyQPOydGJjN1cn0hOiBZ1XaXzNB-PPRu7K3N_XRoCkmssPr7PxqJIBIxmeY2bwMxHT2Wk_Jxpa-1Oi53HLN89YVcle4w/s1200/avec_andre_gide.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><span style="font-size: medium;"><img border="0" data-original-height="908" data-original-width="1200" height="303" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEg2sbKB241LtbeHcZXuNMc7uUgiOaiSv16sPAaIdk-e5gTHZW6ukvkrQ4Wkl9R_cRD61ts4ii54MYfaLFhpMF7PDGMZXAjyQPOydGJjN1cn0hOiBZ1XaXzNB-PPRu7K3N_XRoCkmssPr7PxqJIBIxmeY2bwMxHT2Wk_Jxpa-1Oi53HLN89YVcle4w/w400-h303/avec_andre_gide.jpg" width="400" /></span></a></div><span style="font-size: medium;"><br /></span><p></p><p align="justify" style="font-weight: normal; line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none;">
<span style="font-family: Liberation Serif, Times New Roman, serif;"><span style="font-size: medium;"><i>« Puis
vient une sorte de calme et j'entends, par-dessus mes oreilles, le
faible bruit du monde... </i><i>E</i><i>t la vie de nouveau, le
soleil par les interstices et par le nez, par la peau, aussi. »
</i><span style="font-variant: normal;"><span style="font-style: normal;">(Ogor
Plotvitch – </span></span><i>Un drôle d’oiseau</i><span style="font-variant: normal;"><span style="font-style: normal;">)</span></span></span></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><span style="text-align: left;">18
décembre 2022.- Ciel dégagé ce qui n'empêche pas les frimas, bien
au contraire (1°C). Il y a trente ans pour moi Jean Dutourd c'était
l'ennemi. L'un des pires représentants de la droite pipe veston, le
type des Grosses têtes. En somme, quelque chose de l'horreur
absolue. Aujourd'hui, peut-être suis-je plus résigné et indolent,
je n'éprouve aucun scrupule à le lire, le trouvant plus qu'à mon
tour épatant. Ainsi vont les goûts et les intérêts. Il y a trente
je ne voyais que le Dutourd terminal, le Dutourd en roue libre, le
Dutourd gaulliste persistant au charme un peu lourdaud. Ce n'était
pas l'écrivain dans sa globalité, son œuvre était derrière lui
et je pense qu'il s'en fichait, préférant s'amuser avec un ton
goguenard plus qu'autre chose. Dans l'</span><i style="text-align: left;">Âme sensible</i><span style="text-align: left;">, nous
sommes à une distance respectable de la tribune des Grosses têtes,
la sensibilité, l'esprit vif, mais pas pour rien, sont à l’œuvre.
On pourrait dire que ce n'est pas un livre sur Stendhal, mais un
livre de Dutourd écrivant sur Mérimée écrivant sur Stendhal. On
pourrait dire cela, mais ce serait verser dans une sorte
d'enchâssement un peu trop malin. Non L'</span><i style="text-align: left;">Âme sensible </i><span style="text-align: left;">malgré
son apparence gigogne est un livre consacré à Stendhal et si
Mérimée est bien là, c'est avant tout comme robinet… Un robinet
ouvert par Dutourd et qui laisse couler l'ami Beyle, l'appétence
stendhalienne… Le ton est léger, agréable, jamais docte et sans
aucune prétention de spécialiste — les spécialistes, les
universitaires restent à la porte du bal et critique les costumes
des invités —. Dutourd lui est au milieu du bal… avec son regard
malicieux, oui c'est bien lui.</span></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Coupe
du Monde de balle au pied. Match homérique, victoire méritée des
Argentins, mais il y a tout de même de la déception. Comportement
lamentable de notre président de la République, qui visiblement
aime beaucoup se frotter à de jeunes corps en sueur.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">19
décembre 2022.- Coup de vent et hausse sensible des températures
extérieures (14°C). Noria des camionnettes amazoniennes, Noël
approche.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Chez
Dutourd éloge su style, éloge du premier jet. Il ne faut pas
écouter les annotateurs, critiques, les professeurs de littérature
et les messieurs de la Sorbonne. Non, le travail, le labeur, la
transpiration sur le texte, la relecture à foison ne sont pas tout.
Il n'est pas forcement nécessaire qu'un texte sente l'huile ou que
l'on y entende les sourds échos des coups de gueule flaubertiens.
L'essentiel est ailleurs. Il suffit de lire Stendhal pour s'en
convaincre… Voilà un olibrius qui ne repeint jamais dix fois sur
le même tableau, non, il préfère peindre dix tableaux, le meilleur
est le dernier, mais pas toujours <i>« le premier jet est
décourageant. Il prouve que le talent existe, qu'à la rigueur, il
pourrait se suffire à lui-même, sans travail. »</i></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Pour
le reste, le livre de Dutourd est formidable (pour ne pas dire
épatant), il bruisse de mille choses que l'on pourrait citer. Il y a
même de l'intime, du personnel qui transparaît pudiquement ;
sans ostentation. <i>« Flaubert polit les détails à l'infini et
fait une littérature de myope. Ses livres ressemblent aux peintures
léchées, qui brillent trop, par plaques, et dont l'ensemble, à
force de modifications imperceptibles est devenu morne. Le grand art
consiste à préserver, au milieu des corrections, ce premier jet,
qui est proprement le style, c'est-à-dire la respiration de
l'auteur, le battement de son sang, la forme inimitable de sa pensée
lorsqu'elle naît. Stendhal montre souverainement la façon d'y
parvenir. »</i></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="text-align: left;"><span style="font-size: medium;">20
décembre 2022.- Le vent est violent et la température molle, comme
si c'était possible (15°C).[Matin]</span></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><i style="text-align: left;"><span style="font-size: medium;">«
Wish I had lipstick on my shirt Instead of piss stains on my shoes »</span></i></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><span style="font-variant-alternates: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-numeric: normal; text-align: left;"><i> Friday Night, Saturday Morning</i> </span><span style="text-align: left;"> c’était le<i> Friday on my Mind </i> des Easybeats, mais abordé par sa face raide et
blafarde. Cette lymphatique musique de train fantôme… Les « joies
» du vendredi soir : descendre une multitude de pintes dans la boite
du coin, regarder les filles, mais pas plus… Les « joies » du
samedi matin : rentrer seul, attendre un taxi, une tourte à la
viande dans la main, un pied dans une flaque de vomi… Bref, Terry
Hall (qui est mort) était un sacré « écrivain de chansons. »</span></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><span style="text-align: left;">[Avant
la sieste] </span><i style="text-align: left;">L'Âme sensible </i><span style="text-align: left;">n'est pas qu'un merveilleux livre
sur Stendhal. Dutourd y a mis beaucoup de lui-même. C'est son
enfance qui revient — cet âge qu'il n'aime pas, on s'ennuie dans
les églises —, ses débuts dans la vie — sera-t-il peintre ou
écrivain ? Il sera écrivain, car l'investissement matériel est
moindre, une plume, un bloc note et le tour est joué — ses années
de guerre, de résistance où arrêté par la milice il craint le
pire avant de s'évader en sifflotant presque. Tout cela est évoqué
sans en faire trop, mais c'est bien là sous nos yeux : </span><i style="text-align: left;">« L'image
des bonheurs passés ressuscite avec des couleurs éclatantes qui
sont celles de la vie même. Je me souviens que, quand j'étais
jeune, je m'enfuyais parfois au milieu d'un plaisir ou d'un bonheur,
je n'hésitais pas à le couper net afin d'en savourer tranquillement
les détails dans la solitude. En d'autres termes, le souvenir des
choses me faisait plus plaisir que la chose elle-même, qui passait
trop vite, qui m’entraînait dans un tourbillon où je ne me
contrôlais plus. C'était là, certainement, un trait d'homme
d'imagination ou d'artiste. »</i></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">[Après
la sieste] En dehors de quelques pages virant au meeting gaulliste
(le livre ayant été écrit en 1958, c'est certainement quelques
scories de l'époque idoine) le livre de Dutourd ne se lasse pas
d'être formidable. C'est bien simple si vous n'êtes pas
stendhalien, vous le deviendrez après l"avoir lu… Comme tout
est dans tout <i>L'Âme sensible </i>m'a donné l'envie de lire ni
plus ni moins que le vieux Alain, vous savez ce philosophe
poussiéreux, Chartier ce Valéry en pire ! Dutourd le cite trois ou
quatre fois — Alain a écrit une petite chose sur Stendhal — et
je dois dire que ce qui m'est parvenu m'a paru tout à fait
engageant.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="text-align: left;"><span style="font-size: medium;">21
décembre 2022.- Weather mostly cloudy (13°C). Aujourd'hui c’était
le solstice d'hiver. C'était aussi la journée mondiale de
l'orgasme. Alors, j'ai fait du riz.</span></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Il y
a 20531 jours, le 5 octobre 1966, Emil Cioran ne célèbre aucune
journée mondiale de quoi que ce soit. Non, simplement, le soir venu,
durant sa promenade habituelle autour du Luxembourg, il ne cesse pas
de fredonner des airs espagnols. Tellement fort que tout le monde se
retourne derrière lui. Le voilà dans l'une de ses crises où
l'exaltation l'emporte sur la dépression : <i>« On devait, de
l'extérieur, me prendre pour un fou ou, vraisemblablement, pour un
heureux (non de la terre mais de Dieu sait quoi). Et en un certain
sens, je l'étais, heureux. »</i> (Cahiers)</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="text-align: left;"><span style="font-size: medium;">23
décembre 2022.- Averses (14°C). Réveil précoce, labeur, sieste et
pas grand chose d'autre. Incapable de lire quoi que ce soit. Alain,
Cingria, la moindre ligne se dérobe à mon regard… Quant au monde
c'est l'excitation consumériste de Noël et agapes. La pire période
de l'année.</span></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="text-align: left;"><span style="font-size: medium;">24
décembre 2022.- Grisaille et douceur (15°C). Vaguement malade, je
me prépare sans entrain pour les bombances. Hier fusillade à Paris.
Un illuminé tue trois Kurdes et c'est une sorte de guerre civile
turco-kurde qui se téléporte sur les bords de la Place de la
Nation.</span></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Bernard
Delvaille, Journal, année 1986. Beaucoup de voyages, encore…
Londres où le délire sexuel des années 50 a laissé place au
manque de risque ou d'enthousiasme (ce sont les fameuses années
SIDA), Florence cette ville tout en toits de tuiles, de façades de
pierre jaune, de statues autour desquels tournent une flopée de
jeunes gandins presque tous pieds nus dans des mocassins ou des
sandalettes, Sils Maria dans les pas de Nietzsche…</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><span style="text-align: left;">26
décembre 2022.- Temps doux et nuageux (15°C). Vaporeuse journée
post agapes. Je lis </span><i style="text-align: left;">Syd Barrett le rock et autres trucs</i><span style="text-align: left;"> de
Jean-Michel Espitallier. Pas vraiment mauvais, pas foudroyant non
plus. Pas si mauvais parce que l'on apprend tout de même deux trois
choses sur l'elfe cyclothymique Barrett. Pas foudroyant — et même
un peu pénible —parce que l'auteur quitte un peu trop souvent les
rivages du factuel pour tenter de s'élever vers quelque chose qui se
voudrait littéraire et qui n'apporte rien de vraiment intéressant à
l'ensemble… De surcroît et pour tout dire, c'est assez mal écrit,
notamment le début qui frôle le pire ( le tout manque certainement
d'un coup d’œil éditorial).</span></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><span style="text-align: left;">27
décembre 2022.- Beau temps plus froid (7°C). (Matin) Jean-Michel
Espitallier compare Syd Barrett et Arthur Rimbaud et je ne suis pas
certain que cela soit si bien vu que ça. Il y a certes le retrait,
la disparition des deux, mais l'un disparaît en s'enfermant jusqu'à
ce que mort s'ensuive dans un pavillon de banlieue tandis que l'autre
disparaît en s'enfuyant dans les « ailleurs ». L'un est
incontestablement toqué et rien ne dit que l'autre le soit vraiment
(tout dit même l'inverse tant le Rimbaud en retrait semblait avoir
la tête bien arrimée sur les épaules). Il y a du conscient chez
l’un pas trop chez l’autre. C’est une comparaison qui ne tient
pas, ou alors pas longtemps… Quant à l’importance des deux
loustics, elle n’est certainement pas la même. L’un, le plus
érythréen, est crucial, l’autre, l’adepte des </span><i style="text-align: left;">nursery tunes</i><span style="text-align: left;">,
n’est qu’un imprévu magnifique et c’est déjà beaucoup… Le
reste du livre n’est pas plus convaincant que cette mise en
parallèle un peu pataude. Les considérations sur la culture rock,
les piques amusées dans le dos de Bono, Phil Collins ou Yes tout
cela frôle la facilité et le faiblard. Bref, et là j’écris
comme les donneurs d’avis sur Amazon, j’ai perdu mon temps en
lisant ce livre. Comment commencer une nouvelle lecture après un
ouvrage qui m’aura plus agacé qu’enchanté ? C’est bien simple
ne voulant pas être déçu en pire une nouvelle fois j’ai bien
failli entreprendre la lecture de </span><i style="text-align: left;">La Recherche du temps perdu.</i><span style="text-align: left;">.
Ni plus, ni moins… Bon je n’ai finalement relu que les trois
première pages qui sont très bien (un type se souvient qu’enfant
il se couchait très tôt, il y avait des raies de lumières sous les
portes) avant de changer d’avis. L’entreprise est trop périlleuse
en termes de temps et de planning. Pour rester ne serai ce qu’un
petit peu enchanté je suis alors retourné dans les Chroniques
d’Éric Holder, elles déçoivent rarement. Holder c’est un
Vialatte mâtiné de Tchekhov et de Calet, un écrivain : </span><i style="text-align: left;">« "
Vous-même… Dans la vie ? “ Ils étaient présents, attentifs.
Ils avaient cette qualité d’écouter tout en n’exigeant rien.
Mais que pouvais-je répondre ? Que je tournais autour d’un diamant
dur, lequel, sans cesse se dérobant, fait qu’on ne trouve pas les
mots ? Que c’est justement pour ça qu’on écrit ? Que j’écrivais
? Oh, bon sang, ne jamais dire à quelqu’un qu’on fait des
livres, inventer n’importe quoi… Soudain, j’eus un geste qui
dut les déconcerter. J’avais un journal dans les mains.Je me
cachai derrière. Les écrivains arrivaient sur le quai.Ils parlaient
haut, ils avaient des valises coûteuses. »</i></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">(Après
la vaisselle) Quand il ne regard pas le plafond avec des airs
courroucés tout en prononçant le nom d’Hannah Arendt à l’unisson
Alain Finkielkraut est de temps à autre intéressant. Aujourd’hui
dans son émission il parlait de Philip Roth avec Alice Ferney et
Éric Neuhoff (l’homme à la cravate tricotée). Rien à redire, il
y en à certains qui ne devraient jamais parler que de ce et ceux
qu’ils aiment.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">(Après
la sieste) Ça ne paie pas de mine la chronique chez Holder,
trois-quatre pages, pas plus, mais c’est très bien, c’est la
juste mesure. Delvaille, Journal. Voilà un type qui ne semble vivre
que lorsqu’il se déplace. Les amours, les livres tout cela est
certes important, mais l’essentiel est ailleurs, l’essentiel
c’est de bouger.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Pour
faire bonne mesure et en revenir au début de ma journée, relu <i>Le
Bateau ivre</i>, rien de vraiment barrettien plutôt un sublime
préambule larbaldien : <i>« J’ai heurté, savez-vous ?
D’incroyables florides. »</i></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="text-align: left;"><span style="font-size: medium;">28
décembre 2022.- Météo indéfinissable, douce, fraîche,
semi-nuageuse ou pas, on s'y perd (10°C). Labeur, fatigue, rien lu.</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="text-align: left;"><span style="font-size: medium;"><br /></span></span></p>
<div style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size: medium;"><span style="text-align: left;">Noël et ses agapes passées,<br /></span><span style="text-align: left;">j'ai
mangé une pizza que l'on dit fermière,</span><br />lorgnant
tranquillement l'année qui vient,<br />qui
viendra,<br />qui
sera bientôt là.</span></div><div style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size: medium;">puis
j'ai fini les bouteilles.<br /></span></div><div style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size: medium;"><br /></span></div>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="text-align: left;"><span style="font-size: medium;">30
décembre 2022.- Il pleut (13°C). Pelé est mort ce qui m'a rendu
bien triste. Cependant, certainement par un indéfectible atavisme
pour les perdants magnifiques, ma mythologie personnelle lui a
toujours préféré son âme damnée : Garrincha… Garrincha et sa
démarche chaplinesque, résultat d’une méchante polio acquise dès
l’enfance. Garrincha et ses guibolles hors normes qui
transformaient le valétudinaire en poésie. Garrincha et sa
gestuelle miraculeuse, quelque part entre le ridicule et le sublime,
une sorte de suave équilibre. Garrincha ce créateur d’arabesques,
de mouvements incongrus alimentant la stupéfaction de l’adversaire
plus partenaire inconscient de l’œuvre en mouvement qu’autre
chose. Pelé lui plus lisse n’était que sensualité et
intelligence, rien de sybarite, quelque chose de plus rectiligne, de
plus moderne, un type sain de corps et d’esprit qui restera fidèle
en amour et finira couvert d’honneurs… une sorte de collaborateur
de la normalité. Garrincha lui brûlait sa vie comme ses
adversaires, baisait toutes les filles qui pouvaient lui tourner
autour (il était paraît-il doté d’un sexe surdimensionné et il
l’utilisait), fumais et buvais plus que de raison. Après des
années d'extrême détresse et de delirium tremens il est mort à
Rio do Janeiro le 20 janvier 1983 à 49 ans. Lors de ses obsèques,
des milliers de pauvres hères descendus des favelas suivront son
cercueil juché sur un rutilant camion de pompiers. Garrincha n'aura
jamais joué au cosmos de New York.</span></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><span style="text-align: left;">31
décembre 2022.- Beau temps, douceur indécente (18°C). (Matin)
Tiens Éric Holder m'a donné l'envie de lire Dezső Kosztolány. Les
choses sont bien faites j'ai deux ou trois livres de lui dans ma pile
de livres en attente, </span><i style="text-align: left;">Alouette, Néron, le poète sanglant, Anna
la douce</i><span style="text-align: left;">… Kosztolány est un écrivain hongrois de la première
moitié du 20e siècle (il est mort en 1936). Pour Holder c'est un
peu l'équivalent magyar de Fernando Pessoa, il le place même plus
haut. Pour le reste en dehors des recommandations énamourées autour
des lexies et unités phonologiques hongroises </span><i style="text-align: left;">L'Anachronique</i><span style="text-align: left;">
est un recueil parfait. On y baguenaude avec plein d'attention parmi
les gens de peu, au milieu de causes imparfaites et amicales, dans un
bonheur qui est aussi conjugal, mais qui n'exclut pas une certaine
pente tragique et éthylique. Vous avez dit Calet ?</span></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">(Après-midi)
Je suis dans <i>La gloire des petites choses </i>nouvelle affaire que
Denis Grozdanovitch aura fomentée à partir de ses fameux carnets de
lecture. Le titre mal choisi (par qui ? L'éditeur ?) pourrait
laisser deviner un soupçon de peluchisme delermiste, ce n'est pas
vraiment le cas. Grozdanovitch s'attache certes aux petites choses,
mais il le fait sans réelle mignardise avec son habituel
savoir-faire de passeur, un savoir-faire d'ancien tennisman (les
sportifs devraient écrire plus souvent). Le menu est assez à mon
goût : indolence, lutte en sourdine contre le monde moderne avec
pour alliés Dhôtel, Schulz, Nietszche, Hofmannnsthal, Haldas (sur
ce dernier et sa fameuse petite graine poétique, j'ai de sérieux
doutes. Grozdanovitch sera-t-il me convaincre ? Suspens…)</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><span style="text-align: left;">1er
janvier 2023- </span><i style="text-align: left;">« L’homme se réveille en janvier lentement au
milieu des jardins déserts, l’esprit encore tout embrumé des
vapeurs de la Saint-Sylvestre ; ses idées flottent, sa femme lui
apporte de l’aspirine, ses enfants marchent sur la pointe des
pieds. Les champs sont nus jusqu’à l’horizon… »</i><span style="text-align: left;">
(Alexandre Vialatte, Un abécédaire)</span></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="text-align: left;"><span style="font-size: medium;">2
janvier 2023.- De larges bourrasques tempétueuses puis un calme plat
et quelques gouttes filiformes (13°C). L'année commence et les
haillons des camionnettes amazoniennes dégueulent toujours leurs
innombrables colis sur fond de tintamarre autotuné. Rien n'a donc
bougé, tout semble immuable.</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="text-align: left;"><span style="font-size: medium;">Même
si de l'ensemble dégage un propos, des idées qui se tiennent entre
elles et un tout cohérent (pour résumer à gros traits. La
continuité des moments infimes, le small is beautiful), le livre de
Grozdanovitch est surtout délectable pour les multiples envies de
lectures qu'il peut donner : Walker Hamilton, J.A Baker, Robert
Marteau, Hortense Flexner… Toutes choses étant c'est aussi — et
forcément — une belle armoire à citations. Celle-ci -— d'un
André de Richaud assez terminal — par exemple :</span></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm;"><span style="text-align: left;"><span style="font-size: medium;"><i>Moi
toute ma vie, je suis resté blanc et muet,</i></span></span></p><div style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size: medium;"><i>comme
un phare de jour, en attendant l’heure<br />où
je serais bien debout dans une éternité<br />à
caresser les visages endormis dans les fenêtres</i>.</span></div>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="text-align: left;"><span style="font-size: medium;">Je
ne lâche pas Holder aussi facilement que ça. Aujourd’hui il
tournait autour de la Lozère de ses Causses et de sa petite coterie
d’écrivains dont je tarais le nom d’une part parce que je suis
faignant, d’autre part parce que ma mine vient de se casser.</span></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="text-align: left;"><span style="font-size: medium;">3
décembre 2023.- Belles soleillées (12°C). Il y a une chose que
l'on peut dire sur les chroniques d'Éric Holder, c'est qu'elles sont
parfaitement ciselées, peaufinées. Pourtant, l'on n'y sent jamais
l'effort. Tout coule comme un ruisseau.</span></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Bernard
Delavaille, Journal 1989. Bicentaine de la révolution en sourdine,
quelques symposiums d'écrivains où invité il prend un malin
plaisir à ne pas prendre la parole. Visite de Montpellier qui le
séduit. Le Jardin des plantes, le vieux quartier universitaire, la
Place de la Canourgue ; tout cela est d'une haute tenue
d'architecture et de civilisation (moins les Jardins du Peyrou que
Delvaille n'aime pas).</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">N'ayant
finalement pas trouvé le courage de relire <i>La recherche du temps
perdu</i> de qui vous savez je relis par petites bouchées gourmandes
<i>Les illuminations</i> de qui vous savez aussi. Évidemment, c'est
merveilleux. On y trouve des choses comme celle-ci : <i>« Les
sentiers sont âpres. Les monticules se couvrent de genêts. L'air
est immobile. Ce ne peut être que la fin du monde, en avançant. »</i></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><span style="text-align: left;">4
décembre 2023.- Temps maussade comme une bonne sœur sans cornette
(10°C). Dans ses récents vœux à la Nation notre président aurait
prononcé le mot travail dix-sept fois. En dix-neuf minutes c'est
beaucoup cela tient de la trépanation avec un marteau et un clou.
Tout cela pour vous dire que je rentre du travail et que je n'y ai
trouvé que des inconvénients et aucune satisfaction personnelle. Le
clou a dû rater sa cible. Reste les livres... Picoré dans les
</span><i style="text-align: left;">Illuminations</i><span style="text-align: left;"> du dépeigné de Charleville-Mézières, dans la
correspondance de Proust et chez Charles-Albert, vous savez ce
turco-suisse tourneboulant : </span><i style="text-align: left;">« Une locution de chez nous, qu'on
aime beaucoup dans les milieux avertis en France, est celle-ci :
“L'air est cru”, « il fait un peu cru ce matin ». En effet,
pourquoi pas ? C'est une façon métaphorique de s'exprimer, et à ce
titre elle est non seulement licite, mais agréable, imitable,
utilisable en poésie et aussi en prose. On dit bien : l'air est sec,
l'air est léger, l'air est torride, l'air est moite. Ce sont des
qualités qui ne sont pas de la nature même de l'air, mais
d'éléments différents, dont on lui prête l'image. Je me rappelle
avoir entendu un enfant de Reims qui disait de certaines prunes :
“Ces prunes ont un goût fier.” Ce propos fit pour de longs temps
mon extase. Ce n'était qu'une métaphore. Pourquoi n'avons-nous pas
le droit d'user de métaphores ? »</i></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="text-align: left;"><span style="font-size: medium;">5
janvier 2022.- Fade to grey (11°C). Le Dimanche 9 octobre 1966 au
milieu de l'après-midi, le cafard d'Emil Cioran s'élève jusqu'au
ciel. Rien d'autre… Ah si ! Rimbaud, toujours :<i> « J ’ai
tendu des cordes de clocher à clocher ; des guirlandes de fenêtre à
fenêtre ; des chaînes d’or d’étoile à étoile, et je danse ».</i></span></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><span style="text-align: left;">6
janvier 2022.- Grisaille et bruine pataude, pour un peu on
préférerait de vrais frimas, quelque chose d'hivernal mais pas en
pire (12°C). Deux chroniques du petit petit père Vialatte, le
sandwich de Maigret, le suicide et ses formes, deux merveilles (la
seconde étant un genre de chef-d’œuvre). Demain je compte entamer
les </span><i style="text-align: left;">Histoires confidentielles</i><span style="text-align: left;"> de Pierre Herbart.</span></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="text-align: left;"><span style="font-size: medium;">7
janvier 2022.- Du vent (9°C). Ce semblant de Journal est de plus en
plus relâché, j'essaie de dénouer ma mine.</span></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><i>Histoires
confidentielles </i>de Pierre Herbart. Ce recueil rassemblant
quelques courtes nouvelles est considéré comme son dernier livre
(même si pour l'essentiel il aura été écrit précocement).
Première histoire magnifique, sombres échos avec le <i>Navire de
bois </i>de Hans Henny Jahnn. Équipage enivré, bateau à la dérive,
moussaillons craignant d'être pris pour femmes, désirs tordus,
déréliction sous les embruns. La conclusion est splendide (deux
moussaillons s'échappent en plongeant nu du bateau où ils
officiaient. Réunis sur la plage ils le regarde de loin en se tenant
par la main). Picoré dans le Journal de l'affreux Renaud Camus. <i>Vu
d’œil</i>, joli titre, je crois qu'il est question de l'année
2012. Le côté politique et assommant est totalement passé
au-dessus de ma tête de brute lymphatique. Restent quelques
lectures, des noms d'auteurs cités ici ou là ; l'histoire d'un
corps, ses vagues jouissances, son vieillissement, c'est toujours ça.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Nombreuses
nouvelles acquisitions : David Van Reybrouck - <i>Le Fléau</i>,
Wallace Stegner - <i>Vue cavalière</i>, Mario Rigoni Stern - <i>En
attendant l'aube</i>, Akira Yoshimura - <i>Le convoi de l'eau</i>,
Francisco Coloane – <i>Naufrages.</i></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="text-align: left;"><span style="font-size: medium;">8
janvier 2023.- Temps doux et maussade (13°C). Les histoires de
Pierre Herbart ne sont jamais totalement inventées, son existence
passe en contrebande, Jean Cocteau ou Jean Desbordes aussi. Tout
semble se déployer en ombres chinoises derrière un mince rideau, le
mince rideau de la vie vécue… Ses hésitations entre garçons et
filles, sa fascination assez héréditaire pour la déchéance (comme
son père il finira à demi clochard, bon pour la fosse commune). On
pourrait trouver cette façon de faire un peu datée, pas vraiment
franche du collier de la sincérité, ce n'est qu'une forme de
délicatesse. On pourrait aussi trouver que la transgression de
Herbart danse sur du vieillot, qu'aujourd'hui elle n'est plus ce
qu'elle fut jadis (en dehors des questions de différences d'âge
aujourd'hui la transgression est passée du côté du dominant et
Herbart n'était pas un dominant, tout du moins sociétalement). Avec
nos yeux d'homme ordinaire du 21e siècle on pourrait dire beaucoup
de choses sur Pierre Herbart, avec notre intuition de lecteur non
dupé par le moderne finalement on ne dira pas grand chose, et en
tous les cas pas grand chose de mal. Pourquoi ? Tout simplement parce
que chez lui rien n'achoppe vraiment sur des questions d'air du
temps, parce qu'il écrit svelte et sans graisse, parce que sa
sympathie pour les déclassés, les échoués et les ensablés passe
parfaitement la rampe. On ne dira pas grand-chose de mal et on dira
par contre qu'un écrivain c'est souvent, un type qui sait ne pas
trop ricaner et qui en tous les cas garde en lui un certain taux de
candeur.</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br /></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">To be continued.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><br />
</p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><br />
</p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><br />
</p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><br />
</p>Philippe Lhttp://www.blogger.com/profile/11161966062544589959noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-6980582.post-24022815612725516892023-07-26T17:53:00.017+00:002023-07-27T16:06:23.932+00:00Psychogeographie indoor (129)<p><br /></p><p></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="color: #444444; font-size: large;"></span></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><span style="color: #444444; font-size: large;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjvtLs1cAvWJtw7tJQ-I0M0UX_cRoBvXQQoH0asX_iESwhqRGDqjV6sMwP1VMTFsWWpP7VYKSrDN4pxdnQEcZ3ROrzelHrN5Mm2Zt7paXcxHOqlFJJW7U7TSbXTkVguO5uVm4t4LMy_VAXMp_QWmo3N5v4jQ6MU2HypMpPUWJBYH7l7umiKk8XMew/s510/7202453f31e3b9af21c577e3a83c6310.jpg" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="510" data-original-width="500" height="400" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjvtLs1cAvWJtw7tJQ-I0M0UX_cRoBvXQQoH0asX_iESwhqRGDqjV6sMwP1VMTFsWWpP7VYKSrDN4pxdnQEcZ3ROrzelHrN5Mm2Zt7paXcxHOqlFJJW7U7TSbXTkVguO5uVm4t4LMy_VAXMp_QWmo3N5v4jQ6MU2HypMpPUWJBYH7l7umiKk8XMew/w393-h400/7202453f31e3b9af21c577e3a83c6310.jpg" width="393" /></a></span></div><span style="color: #444444; font-size: large;"><br /></span><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="color: #444444; font-size: large;"><i style="font-family: Tinos; text-align: left;">« Qu'une
époque manque d'hommes de génie, ce n'est pas grave. L'humanité
connaît souvent de ces éclipses. En revanche, il est désolant de
constater la décadence de la mauvaise littérature. Une civilisation
ne tient que par la bonne qualité des choses médiocres. »
</i><span style="font-family: Tinos; text-align: left;">(Jean Dutourd </span><i style="font-family: Tinos; text-align: left;">– La
chose écrite</i><span style="font-family: Tinos; text-align: left;">)</span><i style="font-family: Tinos; text-align: left;">.</i></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="color: #444444; font-family: Tinos; font-size: large;"><br />
</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span><span style="color: #444444; font-family: Tinos; font-size: large;">14
novembre 2022.- Brume et pluie grise (12°C). Constat, je suis morose
et je ne sais plus écrire. Solution ? la recette de l’ami
Beyle, le style télégraphiste, peut-être ?… Nouvelle
lecture, <i>Blanc</i> du fils Tesson. Cette traversée des Alpes à
ski de Menton à Trieste me remontera-t-elle le moral comme une
grande tape virile dans le dos ? <i>« En réalité le sommet ne
rehausse jamais la valeur de l'être. L'homme ne se refait pas. Quand
il atteint les altitudes splendides, il y transporte sa misère ».</i></span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="color: #444444; font-family: Tinos; font-size: large;"><br />
</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span><span style="color: #444444; font-family: Tinos; font-size: large;">15
novembre 2022.- Grisaille marmoriforme, petite pluie cauteleuse, nuit
précoce (14°C). Le <i>Blanc</i> de Tesson est assez répétitif,
les chapitres sont courts et le motif souvent le même… Ski,
escalade, col, refuge, avalanche, descente, on frôle la litanie
lactescente… Restent les digressions, les avis sur les temps
actuels, la crise du Covid vue de haut, un certain art de l'évitement
que je tamponne assez : <i>« Le banc possède son symbole inversé :
la trottinette pour adulte. Elle préempte l’espace public au nom
de l’intérêt personnel. Mobile, hideuse, individuelle : moderne
».</i></span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span><span style="color: #444444; font-family: Tinos; font-size: large;">Histoire
de rester décevant pas très téméraire et dans une littérature a
priori dépourvue du moindre péril, j’enchaîne avec <i>Sans
preuve et sans aveu l</i>e nouvel opus du justicier lymphatique
Jaenada.</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="color: #444444; font-family: Tinos; font-size: large;"><br />
</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span><span style="color: #444444; font-family: Tinos; font-size: large;">17
novembre 2022.- Fond de l'air torve (14°C). Labeur, lombalgie,
céphalées, rien pour moi… Deux chapitres de Jaenada, avec ses
airs d'ours bien léché perdu dans le magasin de porcelaine de la
justice, on (je) l'aime assez.</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span><span style="color: #444444; font-family: Tinos; font-size: large;">Question
du jour : faut-il lire Grégoire Bouillier ? (On me souffle que non).</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="color: #444444; font-family: Tinos; font-size: large;"><br />
</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span><span style="color: #444444; font-family: Tinos; font-size: large;">18
novembre 2012.- Ciel changeant (12°C). Court retour dans le <i>Journal
inutile</i> du vieux Morand. Toujours bilieux en pire. Les juifs et
les huguenots en prennent pour leur grade (mais pourquoi les
huguenots ?). Deux chapitres du plus sympathique Philippe Jaenada,
est il meilleur écrivain ?</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="color: #444444; font-family: Tinos; font-size: large;"><br />
</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span><span style="color: #444444; font-family: Tinos; font-size: large;">19
novembre 2022.- Beau temps frais (8°C). Je poursuis ma faiblarde
entreprise diaristique par vague habitude… le cœur n'y est plus,
l'envie encore moins, quant à l'inspiration… Fini le bouquin de
Jaenada. Pas de grandes visées littéraires, mais une contre-enquête
assez convaincante autour d'une saumâtre erreur judiciaire. Les
arguments déployés, la précision des faits rapportés, l'analyse
des différents dossiers, tout cela permet d'innocenter le
principalis subiectum (un certain Alain Laprie, accusé d'avoir
trucidé sa veille tante) qui de coupable idéal devient la victime
fortement tangible d'un système qui ne tourne plus rond et vire à
l'inconséquence pour ainsi dire létale. (Je me trompe peut-être le
livre de Jaenada sera une vraie réussite à la condition que son
sujet Alain Laprie soit libéré et innocenté, ce qui ne semble pas
a priori si simple que ça.)</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;">
<span><span style="color: #444444; font-family: Tinos; font-size: large;">Un homme
vraiment libre c'est François Fejtő. En 1935 après un an
d'emprisonnement il entreprend un long voyage à travers l'Europe
centrale dans les miettes madréporiques de l'Empire austro-hongrois.
Son Voyage sentimental — livre tiré de son périple que j'ai
entamé aujourd'hui — raconte tout cela, ses dérives entre Fiume
et Dubrovnik, sa jeunesse à Zagreb… Pour un peu on se croirai chez
Josseph Roth…</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span><span style="color: #444444; font-family: Tinos; font-size: large;">(Avant
son malheureux trépas à l'âge de 98 ans Fejtő fut le grand
spécialiste de l'empire austro-hongrois, de l'histoire des pays du
bloc de l'est assommés puis chloroformes par « l'hydre communiste
», une témoin du xxe siècle et selon la quatrième de couverture
du livre que je tiens en mains un personnage éminent de la gauche
européenne. [Lire <i>Requiem pour un empire défunt]</i>).</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="color: #444444; font-family: Tinos; font-size: large;"><br />
</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span><span style="color: #444444; font-family: Tinos; font-size: large;">20
novembre 2022.- Ciel se couvrant (10°C). Un peu déçu par le <i>Voyage
sentimental </i>de François Fetjö. Pour l'instant c'est davantage
un livre de souvenirs consacré à ses jeunes années de Hongrois
perdu au milieu des Croates à Zagreb qu'un vrai livre de voyage. Il
y a certes de la délicatesse, mais elle ne contrebalance pas un
genre d'ennui. qui laisse trop de place à la « grande marche
du monde » et certainement pas assez de place pour
l'introspection et le bruissement intime.</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span><span style="color: #444444; font-family: Tinos; font-size: large;">Ouverture
de la Coupe du Monde de Football qui s'annonce sinistre...et
climatisé.</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="color: #444444; font-family: Tinos; font-size: large;"><br />
</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span><span style="color: #444444; font-family: Tinos; font-size: large;">21
novembre 2022.- Pluie intermittente (7°C). Fetjö explique qu'il est
incapable d'identifier les arbres ignorant en dehors de l'orme du
tilleul et du simple sapin leurs noms. Cela entraîne chez lui une
indisputable mélancolie, l'indisputable mélancolie de celui qui
passe sa vie entière à côté de la nature et qui de ce fait passe
aussi à coté d’un certain goût du bonheur à vouloir connaître
toutes les choses, tous les domaines. Mon frère connaissait le nom
de tous les arbres, il connaissait aussi le nom de toutes les
galaxies répertoriées et c'est moi qui suis mélancolique.</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="color: #444444; font-family: Tinos; font-size: large;"><br />
</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span><span style="color: #444444; font-family: Tinos; font-size: large;">22
novembre 2022.- Nuages (10°C). Dans la seconde partie de son <i>Voyage
sentimental</i> Fetjö laisse de côté les souvenirs de sa propre
enfance pour mieux raconter un vrai voyage, une sorte de proto
croisière en Dalmatie où il navigue allégrement de Split à
Korčula tout en passant par Dubrovnik, Herceg Novi, Kotor et ses
bouches, Cetinje et et la Sepentine… Autant de lieux un peu
charmeurs et chargés d'histoire(s), autant de lieux visités avant
lui par Pierre Loti ou Valery Larbaud, autant de lieux que j'ai
visités moi aussi (et même deux fois). Fetjö tombe amoureux de
Dubrovnik (la fameuse Raguse) tel un adolescent refoulé soudainement
éblouie par le charme, la vivacité des couleurs, la chaleureuse
ambiance des rues d'une cité à l'obsolescence merveilleuse.
Tourneboulé par la grâce des jeunes filles qu'il croise, par les
odeurs de treille et de fromage le voilà bientôt sorti de son
existence casanière capable d'éprouver les joies du regard, du
palais et du toucher. Il y a de belles pages sur le bleu de
l'Adriatique, sur la première fois où il aura vu cette mer (voir
une mer pour la première fois et toujours émouvant —
et même un lac), il y a aussi d'autres belles pages sur la
route de la Serpentine, sur Kotor (la fameuse Cattaro) et Cetinje
cette capitale champêtre déjà décrépite en bien et qui l'était
toujours il y a cinq ans lorsque je l'ai visité…</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span><span style="color: #444444; font-family: Tinos; font-size: large;">Pour
rester voyageur j’enchaîne mes petites aventures lectorales avec
<i>Roman fleuve</i> un livre de Philibert Humm où il est question de
remonter la Seine à bord d'un petit canoë valétudinaire. C'est
pour l'instant -— je n'ai
lu qu'une trentaine de pages —
parfaitement drôle dans un esprit très Vialatte, Jérome. K
Jerome, si vous voyez ce que je veux dire.</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="color: #444444; font-family: Tinos; font-size: large;"><br />
</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span><span style="color: #444444; font-family: Tinos; font-size: large;">24
novembre 2022.- Temps nuageux (12°C). Journée saisie par le labeur
et le Championnat du monde de balle au pied. Rien lu. Mort de Wilko
Johnson, sorte d'antonyme très raide de Woody Guthrie. Inventeur de
la guitare mitraillette et du moulinet psychotique. Une grande perte.</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="color: #444444; font-family: Tinos; font-size: large;"><br />
</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span><span style="color: #444444; font-family: Tinos; font-size: large;">25
novembre 2022.- Petite onde maussade, baisse des températures (7°C).
Je regarde la pluie tomber et c'est toute ma peau qui la voit tomber.
Lu un chapitre bien drôle de Philibert Humm. Championnat du Monde
oblige regardé trois match de balle au pied sur mon modeste
téléviseur. Aucun effort intellectuel à fournir, rien à redire ce
fut presque parfait… Pour rester dans le sport tout en restant bien
drôle je me souviens de ces lignes de l’ami Paul ((Valéry) : <i>« Je
viens de prononcer le mot sport. C’est que je rapporte tout ce que
je pense de l’art à l’idée d’exercice, que je trouve la plus
belle idée du monde. »</i> N'est-ce pas tordant ?</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="color: #444444; font-family: Tinos; font-size: large;"><br />
</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span><span style="color: #444444; font-family: Tinos; font-size: large;">26
novembre 2022.- Ciel bistre, froideur en amorce (6°C). Trop mangé,
trop bu, conséquence : sieste prolongée. Entre mes heureux écarts
nutritifs et le temps passé devant le Championnat du monde de balle
au pied à la télévision, rien pour le cogito, rien pour moi…
Avant tout ça tout de même lu quelques pages de la petite affaire
fluviale du dénommé Humm. Voilà une chose qui aurait pu être
écrite en 1929 ou en 1953 tant elle cabote tranquillement dans les
eaux d’une insouciance drolatique qui oublie – ou qui fait mine
d’oublier – tout des affres et lourdeurs du contemporain : <i>«
… une partie de foot-ball. Ce jeu anglais largement répandu à
travers le monde met aux prises deux équipes, chacune devant
introduire avec les pieds un ballon dans l’en-but adverse. »</i></span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="color: #444444; font-family: Tinos; font-size: large;"><br />
</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span><span style="color: #444444; font-family: Tinos; font-size: large;">27
novembre 2022.- Il « fait » gris (10°C). Entre les méandres de la
Seine, les silures, les intempéries, les satyres autochtones, les
mutineries et les petits vins bus au débotté le petit canoë de
Humm tangue sévèrement… Finalement, il y a de la vraie aventure
dans tout ça.</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span><span style="color: #444444; font-family: Tinos; font-size: large;">Balle
au pied : réjouissante victoire des Marocains qui battent des Belges
vieillissants.</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="color: #444444; font-family: Tinos; font-size: large;"><br />
</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span><span style="color: #444444; font-family: Tinos; font-size: large;">28
novembre 2022.- Il pleuvait, j'ai fait des pâtes, des pâtes à
rien, des pâtes de cocu (8°C). Pour pouvoir espérer écrire il
faut vivre ne serait ce qu'un minimum de choses, or je ne vis rien.
Je ne suis qu'un isotope d'origine végétale tout juste effleuré
par la longue marche du quotidien… Je pourrais certes écrire
autour de ce vide là, mais cela me semble à court terme me mener
tout droit dans une impasse. Allez aligner des mots, des phrases, une
ponctuation, allez articuler une pensée avec si peu ! Un type qui
aura vécu des choses c'est l'écrivain italien Mario Rigoni Stern.
La guerre (contre les russes), une débâcle, l'enfermement dans un
camp de prisonniers. Des choses qu'il raconte comme s'il était un
Malaparte tenu par la sèche humanité de Primo Levi (je résume à
gros traits et pour simplifier. Je suis très feignant). Dans <i>Le
Sergent dans la neige</i> son premier et plus connu récit que je
viens d'entamer nous sommes sur le front russe du côté italien sur
les bords du Don… Le froid, la saleté, la mort et la camaraderie
sont là comme un sombre terreau sur lequel Rigoni Stern fait fleurir
autant de fleurs… Son livre est humain, terriblement humain : <i>«
Tout est de la même couleur. Les paupières se ferment toutes
seules, la gorge est pleine de cailloux qui s'entrechoquent. Nous
sommes sans jambes, sans bras, sans tête ; nous ne sommes que
sommeil et fatigue et gorge remplie de cailloux. »</i></span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="color: #444444; font-family: Tinos; font-size: large;"><br />
</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span><span style="color: #444444; font-family: Tinos; font-size: large;">29
novembre 2022.- Temps nuageux (9°C). Le corps expéditionnaire
italien déployé sur le front russe comptait 200 000 hommes seuls 20
000 en sont revenu vivants. <i>Le Sergent dans la Neige</i> est le
livre de cette drôle et tragique affaire là. De cette large
bataille qui se transforme en retraite puis en bien réelle débâcle
Mario Rigoni Stern aura tiré un récit qui ne s'attache à rien
d'autre qu'à l'humain. L'humain dans le froid, au milieu des
bestioles, des rats qui rodent, des cochons et volatiles que l'on
mange, dans le sang qui coagule sous les flocons, dans la boue et
sous la mitraille d'un ennemi qui n'en est pas vraiment un puisqu'il
est comme nous, pareil à nous… Il y a des pages bouleversantes
dans tout ça, un style modeste et majestueux à la fois qui ne
laisse jamais enfler par une quelconque morale. De Mario Rigoni
Stern, ce montagnard vicentin perdu en bord de Don, Primo Levi disait
que le fait qu'il soit vivant après vécu tout ce qu'il avait vécu
tenait du miracle. Miracle d'une survie, miracle d'avoir pu
retranscrire tout ça avec une hauteur campée aux antipodes de la
violence.</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="color: #444444; font-family: Tinos; font-size: large;"><br />
</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span><span style="color: #444444; font-family: Tinos; font-size: large;">2
décembre 2022.- Le froid est là, posé (3°C). Je croyais le
tragique un peu loin de moi à présent. Mais que voulez-vous tout
cela semble cyclique, il revient, les mauvaises nouvelles
s'amoncellent au-dessus de ma tête. Qu'ai je fait pour mériter tout
ça ? Par ailleurs court retour dans les Cahiers de Cioran qui
rencontre Beckett : <i>« Rencontré ce soir vers 23 heures Beckett.
Nous sommes entrés dans un bar. Nous avons parlé de choses et
d’autres, de théâtre et puis de nos familles respectives. Il m’a
demandé si je travaillais. Je lui dis que non, je lui explique
l’influence néfaste qu’a le bouddhisme, que je ne cesse de
fréquenter, sur mes activités d’écrivain. Toute la philosophie
hindoue exerce sur moi des effets anesthésiques. Et puis je lui dis
que j’en suis arrivé à tirer les conséquences de mes théories,
que je me suis convaincu moi-même de ce que j’ai écrit, et que je
suis devenu mon disciple. Et que si je voulais redevenir écrivain il
me faudrait faire le chemin inverse de celui que j’ai parcouru. »</i></span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="color: #444444; font-family: Tinos; font-size: large;"><br />
</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span><span style="color: #444444; font-family: Tinos; font-size: large;">3
décembre 2022.- Le plafond nuageux touche l’horizon, la brume est
aigrelette, décembre est là (4°C). Fatigue, malade, le Covid ?
Encore ?</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span><span style="color: #444444; font-family: Tinos; font-size: large;">Qu'est-ce
qu’un écrivain ? Principalement, tout le temps et tant mieux, un
type qui parle de lui-même, par la bande et des biais détournés,
des chemins plus ou moins bucoliques en bord d'abyme, mais c'est ça
un écrivain (vous pouvez penser, constater et penser, que mon avis
est bien péremptoire, que l'écrivain est un type qui doit se
coltiner le monde, je ne vous en voudrai pas d'avoir tort, je ne suis
pas susceptible). Je lis <i>Je suis vivant et vous êtes morts</i> la
biographie de Philip K.Dick écrite par Emmanuel Carrère. Elle est
très bien… très formée et informée à la fois, très impliquée
autour de son sujet joliment « atteint du casque » et
assez consciente que ce dernier n'inventait presque jamais, rien, que
les choses un peu incongrues qu'il racontait n'était nichées que
dans son cerveau. Un cerveau rare tourneboulé prescient, toujours
d'une lucidité autre… K.Dick n'inventait rien il faisait des
rapports directement depuis son cerveau. Beau livre en tous les cas.</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="color: #444444; font-family: Tinos; font-size: large;"><br />
</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span><span style="color: #444444; font-family: Tinos; font-size: large;">4
décembre 2022.- Brouillard (5°C). Selon les spécialistes la
bio-DICK de Carrère serait trop romancée pour espérer être tout à
fait honnête (on parle même de fumisterie). Quant à moi qui ne
suis spécialiste de rien — et même pas de moi même — je n'y
trouve guère de griefs à trouver. Les arpents fumistes et
margoulins, le côté romancé de la chose seraient plutôt à mettre
du côté positif de la balance. En somme, la forme rejoint le fond
et le livre n'en est que plus dickien. Carrère mouline la vie de son
sujet avec ses romans azimutés, recopie des scènes et des dialogues
entiers qu'il reverse dans sa supposée affaire biographique et au
fil des pages on ne distingue bientôt plus ce qui relève d'une
quelconque vérité, de la fiction ou de quelque chose de bien plus
mystérieux encore… Le livre devient alors schizoïde lui aussi et
nous laisse flottants entre deux eaux mercuriales. Et si ce que nous
lisons était en définitive un autre livre ? Un roman retrouvé de
Philip K.Dick à l'intrigue tout à fait sournoise. (Cette intrigue
la voila : K.Dick écrit l'histoire d'un écrivain qui écrit sa
propre biographie). Et si Emmanuel Carrère n'existait pas ? Et s’il
n'était qu'un personnage niché dans le cerveau de K.Dick ? Une
invention ?</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="color: #444444; font-family: Tinos; font-size: large;"><br />
</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span><span style="color: #444444; font-family: Tinos; font-size: large;">5
décembre 2022.- Beau temps frais (6°C). Encore des questions. Et si
Philip K.Dick existait encore 1993 ? Et si cette année-là il avait
écrit un livre censément écrit par un autre type qu’il aurait
inventé ; un certain Emmanuel Carrère ? Un livre qui parlerait de
Philip K.Dick et donc de lui-même ? Plus vertigineux encore — et
en tous las cas encore plus compliqué — et si je n'existais pas
moi-même ? Et si ce que vous êtes en train de lire n'était écrit
que par nul autre qu'un Philip K.Dick prenant un malin plaisir à
écrire sur moi écrivant sur Emmanuel Carrère écrivant sur Philip
K.Dick ? Et si vous qui me lisez n'existiez pas non plus ? Je n'ai
pas de lecteur. Je parle avec moi-même. Ou tout du moins, Philip
K.Dick me fait parler avec moi-même, c'est dire avec lui-même. Qui
suis-je ? Suis-je vivant ?</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span><span style="color: #444444; font-family: Tinos; font-size: large;">Le
livre d'Emmanul Carrère (s'il existe) est comme les lignes qui
précèdent, plein de chausse-trapes en gigogne… Un peu bricolé,
un peu fumiste, mais intriguant… pour le moins.</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="color: #444444; font-family: Tinos; font-size: large;"><br />
</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span><span style="color: #444444; font-family: Tinos; font-size: large;">6
décembre 2012.- Froideur (1°C). Fini la bio-DICK de Carrère. Alors
oui elle est échafaudée à la diable puisant certainement beaucoup
chez les autres (les biographies anglo-saxonnes), recopiant des pages
entières de Dick pour faire avancer l'ensemble dans un genre de
romanesque un peu tordu et azimuté. Malgré cela il y a de
l'intérêt. Le plus gros défaut ? Peut-être l'absence du surmoi
carrèrien, cette singularité onaniste qui poindra dans ses livres
suivants.</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="color: #444444; font-family: Tinos; font-size: large;"><br />
</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span><span style="color: #444444; font-family: Tinos; font-size: large;">7
décembre 2022.- Nuages (4°C). Labeur, lombalgie, rien pour moi…
Pour en revenir à Emmannuel Carrère dans les Cahiers de l'ami
Cioran je lis ceci : <i>« Un écrivain qui parle d'autre chose que
de soi commet un abus. »</i></span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="color: #444444; font-family: Tinos; font-size: large;"><br />
</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span><span style="color: #444444; font-family: Tinos; font-size: large;">8
décembre 2022.- Brume et frimas (4°C). Fatigue, retour de chagrin,
rien lu.</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="color: #444444; font-family: Tinos; font-size: large;"><br />
</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span><span style="color: #444444; font-family: Tinos; font-size: large;">10
décembre 2022.- Ciel gelé, quelques flocons (1°C). Lu <i>Un an
dans la forêt</i> petit bouquin que François Sureau à écrit sur
les relations entre Blaise Cendrars et Élisabeth Prévost. Rien de
fulmiginant (je viens d'inventer ce mot) cependant l'intérêt est
certain. Intérêt tout d'abord parce que l'on apprend des choses sur
notre manchot helvétique préféré, intérêt ensuite parce que
dans ce court récit Sureau trouve l'espace pour émietter quelques
parcelles de lui-même (sa jeunesse, ses années de légionnaire).</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span><span style="color: #444444; font-family: Tinos; font-size: large;">Pour
rester tout à fait helvétique et avec Cendrars j'entame d'<i>Outremer
à Indigo</i>. C'est un assemblage de cinq nouvelles pas follement
cité lorsqu'il est question de la bibliographie du bonhomme.
N'empêche, je le sens d'ores et déjà très bien et j'imagine que
son beau titre n'y est pas pour rien.</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="color: #444444; font-family: Tinos; font-size: large;"><br />
</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span><span style="color: #444444; font-family: Tinos; font-size: large;">11
décembre 2022.- Appétence sibérienne (-2°C). Vie sociale, repas
dominical. Quelques pages chaloupées de l'ami Cendrars. Rien
d'autre.</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="color: #444444; font-family: Tinos; font-size: large;"><br />
</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span><span style="color: #444444; font-family: Tinos; font-size: large;">12
décembre 2022.- Froideur patibulaire, tout est gelé (-1°C). Les
histoires du vieux bouc Cendrars sont exotiques et drôles, on
croirait des affabulations de Bernard Lavilliers où l'on
rencontrerait des loups-garous tropicaux, des boas constrictors qui
gobent des vaches et des vieux marchands juifs, des crocodiles
ancestraux qui font de larges siestes dans la vase avant de tenter de
vous croquer tout cru… Cendrars qui est censé raconter des
histoires vraies invente à qui mieux mieux dans une sorte de
préambule magique à sa fameuse tétralogie qui surviendra bientôt.
Je veux parler de ses mythobiographies que sont l<i>'Homme foudroyé,
Bourlinguer, La Main Coupée</i> et <i>Le Lotissement du Ciel.</i></span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="color: #444444; font-family: Tinos; font-size: large;"><br />
</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span><span style="color: #444444; font-family: Tinos; font-size: large;">13
décembre 2022.- Il neige, l'immaculé se gâche (-1°C). Lever 5h00,
trois kilomètres à pied dans la neige fraîche, labeur, trois
kilomètres à pied dans la neige fondue, sieste, quatre lignes de
Cendrars. Soir, Championnat du Monde de balle au pied : victoire des
Argentins fiers et fourbes.</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="color: #444444; font-family: Tinos; font-size: large;"><br />
</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span><span style="color: #444444; font-family: Tinos; font-size: large;">14
décembre 2022.- Flaques et redoux (4°C). Pour Alexandre Vialatte
Cendrars dorait des éléphants dans un monde exalté. Il dorait des
éléphants, des vrais et des faux, des monstrueux, des incroyables…
Pour Kléber Haedens, Cendrars avait la main pleine d'oiseaux et de
diamants bleus. Cendrars, lui-même, se voyait comme un poulpe
lâchant son nuage d'encre… Tout cela pour vous dire que je barbote
toujours entre l'outremer et l’indigo de l’ami Blaise.</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="color: #444444; font-family: Tinos; font-size: large;"><br />
</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span><span style="color: #444444; font-family: Tinos; font-size: large;">15
décembre 2022.- Pluie glacée (3°C). [Matin] Fini la fabulation
romancée de Cendrars qui malgré quelques rares pages d'ennui
mordoré m'a globalement ravi. Cela dit — et c'est certainement ce
qui implique le soupçon d'ennui mordoré — le meilleur de
Cendrars, son génie singulier n'est pas niché là (dans cette
période faux reportages en couleurs). Je dirai plutôt — au risque
de me tromper — qu'il est à l’œuvre dans sa fameuse tétralogie
terminale, cet Everest que des esprits calés ont cru bon de
caractériser comme mythobiographie… D'ailleurs, à ce titre et
afin de revérifier tout cela par moi-même, il faudrait certainement
que je relise derechef <i>L'Homme foudroyé,</i> <i>La Main coupée</i>
et <i>Bourlinguer</i>… Il faudrait aussi que je trouve le temps de
lire enfin <i>Le Lotissement du ciel</i> chose que je n'ai jamais
faite. On me sifflote que des quatre enchantements biographiques
cendrarsiens ce serait le plus léger, le plus aérien… Forcement
dans le ciel… En attendant de revenir chez le sublime manchot
suisse je barbote dans le troisième tome du Journal de Bernard
Delvaille. Rien de manchot, rien de suisse… Pourtant, il y a tout
de même du ton sur ton, Delvaille ayant écrit sur Cendrars et…
Cingria.</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span><span style="color: #444444; font-family: Tinos; font-size: large;">[Après-midi]
Bernard Delvaille ressemble à un personnage de Valery Larbaud égaré
dans un roman rapide de Paul Morand (ou l'inverse, je suis sournois).
Valery Larbaud parce qu'il est délicat attentif aux éléments aux
odeurs, dans une certaine synesthésie… Paul Morand, parce qu'il y
a aussi de la vitesse chez lui, un cosmopolitisme par vifs sauts de
puces. Ainsi en quarante pages passons-nous de Paris à Montréal, de
Québec à Quiberon, de Londres à Venise. Le reste qui est très
bien est une question d'élégance. L'élégance d'un type cultivé,
d'un grand lecteur qui peut avouer s'ennuyer chez Maurice Blanchot et
ne rien comprendre à Wittgenstein.</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span><span style="color: #444444; font-family: Tinos; font-size: large;">[Soir]
J'enfile mon costume d'Ogor Plotvitch — cet hétéronyme de
moi-même dont vous ignoriez tout jusqu'à présent — et j'écris
ces quelques lignes :</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="color: #444444; font-family: Tinos; font-size: large;"><br />
</span></p><p align="justify" style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm;"><span><span style="color: #444444; font-family: Tinos; font-size: large;">j'attends,</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm;"><span><span style="color: #444444; font-family: Tinos; font-size: large;">j'attends
sous le soleil sibyllin,</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm;"><span><span style="color: #444444; font-family: Tinos; font-size: large;">dans
le clairon des rafales.</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm;"><span><span style="color: #444444; font-family: Tinos; font-size: large;">J'attends
et des langueurs me viennent,</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm;"><span><span style="color: #444444; font-family: Tinos; font-size: large;">j'ai
l'existence sur le bout des lèvres.</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="color: #444444; font-family: Tinos; font-size: large;"><br />
</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span><span style="color: #444444; font-family: Tinos; font-size: large;">16
décembre 2022.- Grésille (3°C). [Matin] Dans son Journal Bernard
Delvaille, n'évoque jamais vraiment frontalement ses affaires
sexuelles que l'on imagine aisément pas si simples et pour l'instant
ce n'est pas un vrai problème. Ce serait même plutôt une qualité,
l'intimité n'étant pas qu'une question d'hormones et de désir
renflé. Donc rien de faussement indicible de soumis au goulet des
envies, mais un type qui laisse deviner ses penchants, mais qui ne
nous assomme pas avec. C'est la différence entre les inclinations et
le goût et Delvaille, dans son Journal, est un homme de goût, un
esprit cultivé, comme on dit.</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span><span style="color: #444444; font-family: Tinos; font-size: large;">(Pour
un peu plus encore enfoncer le clou de ce que je viens d'écrire et
pour en revenir à la chose diaristique, la crudité, le « tout
dit » c'est ce qui gâche un peu le Journal de Mathieu Galey,
c'est aussi ce qui gâche un peu la récente réédition de celui de
Julien Green) [Après-midi] <i>« Deauville, 15 avril. Au Tréport.
Je couche au Dormy House, à Etretat. Puis, en taxi, jusqu'à
Deauville. Le Normandy est quasi désert. Les cuisines étant en
réfection, je dîne, fort mal, au restaurant des Ambassadeurs. Puis,
au Casino. Trois musiciens jouent des airs lents et désuets. Il y a
de grosses corbeilles d'hortensias roses. Je vois la mer, dans une
brume obscure, et je lui parle. »</i></span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="color: #444444; font-family: Tinos; font-size: large;"><br />
</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span><span style="color: #444444; font-family: Tinos; font-size: large;">On
voyage vraiment beaucoup dans le Journal de Delvaille. Des voyages
courts, d'autres plus lointains. Il y a La Rochelle, Orléans,
Malakoff, Trouville, Strasbourg, Bruxelles, Marseille,
Aix-en-Provence, Rouen, Cabourg ou Vichy (dans les traces de
Larbaud). Il y a aussi Ostende, Amsterdam, Cologne ou Berlin. Il y a
un voyage en URSS (comme on disait à l'époque) où il est invité
pour une sorte de symposium poétique soviétique. Belles pages sur
la Place Rouge, sur le musée de l'Hermitage (qui déçoit un peu),
sur la déglingue collectiviste… De ce voyage en URSS Delvaille ne
retiendra pourtant pas grand-chose… Ah, si ça : <i>« la mollesse
automnale de l'air sur les jardins et la beauté, la nuit, des quais
de la Neva, avec les réverbères. Ça, c'est beau. »</i></span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span><span style="color: #444444; font-family: Tinos; font-size: large;">[Soir]
En deux ans, j'ai écrit une sorte de tout petit roman par courtes
strates de cinq minutes sur ma chaise de jardin face au soleil et
après la sieste. J'ai fini de le retranscrire aujourd'hui sur mon
ordinateur. C'est un peu aérien, un peu walserien, un peu
bachelardien, je ne sais pas si c'est si bien que ça.</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="color: #444444; font-family: Tinos; font-size: large;"><br />
</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span><span style="color: #444444; font-family: Tinos; font-size: large;">17
décembre 2022.- Beau temps sibérien (-1°C). Réveil tardif. Très
fluctuant. Buée sur mes fenêtres. Rien à faire dans les frimas. Je
resterai calfeutré chez moi (je ne suis pas sorti depuis trois
jours).</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span><span style="color: #444444; font-family: Tinos; font-size: large;">Quelqu'un
qui sort souvent de chez lui c'est Bernard Delvaille (dans une vidéo
qui traîne sur Internet on le voit discuter avec Olivier Barrot, il
lui dit que quitte à rester enfermer entre quatre murs autant être
mort dans un cercueil). Il est toujours par monts et par vaux, c'est
le Portugal, Cintra et son château comme un jouet, le Cap Roca, la
pointe la plus occidentale de l'Europe (pensé à Dominique de Roux),
Lisbonne et ses ruelles, son tramway… Pour un peu on croirait chez
Pessoa il ne manque qu’un chapeau mou (j'ai visité tout ça, je
sors parfois de ma chambre). C'est aussi Menton, Nice et Monte-Carlo
(il est un peu question de Nietzsche, le plus méditerranéen des
philosophes)… Corfou pour un énième congrès de poètes en
goguette… La Cornouailles qui me semble très bien et que je
devrais visiter un jour… Delvaille aime les chambres d'hôtel, les
soupers au débotté, les trains (pas les TGV qui ne lui permettent
pas de voir les fleurs sur les buttes en bord de voie ferrée). Tout
cela est larbaldien, très larbaldien , diablement larbaldien.</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span><span style="color: #444444; font-family: Tinos; font-size: large;">Cet
après-midi après la sieste je suis sorti jusqu'à ma boite aux
lettres où j'ai récupéré <i>L</i>’<i>Âme sensible</i> du
bougon Dutourd. C'est parait-il son meilleur livre, je l'entamerai
demain.</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="color: #444444; font-family: Tinos; font-size: large;"><br />
</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="text-align: left;"><span style="color: #444444; font-family: Tinos; font-size: large;">To
be continued</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;">
</p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="color: #444444; font-size: large;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><br />
</p>Philippe Lhttp://www.blogger.com/profile/11161966062544589959noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-6980582.post-42057338569229814492023-06-15T15:53:00.007+00:002023-06-15T17:40:18.087+00:00Psychogeographie indoor (128)<p><span style="font-size: medium;"> </span></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><span style="font-size: medium;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEirKgWQG8bPBSTV8-9OtYifsJlGoCyGCfvXrSFaQ4c6U-5wY27YEecceoEni1XRT5-MKZMc2rVg-c4qKf2A9wKJlYmPTFSSS4ppReltqQ1J83Sonk2TWmfR2aX2iqPc3y3cW7GUeVwmGWoCpGQfeOV7hqKjooXX3BT4KnMj-rbVF7ms7ia8Y38/s500/123.JPG" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="450" data-original-width="500" height="360" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEirKgWQG8bPBSTV8-9OtYifsJlGoCyGCfvXrSFaQ4c6U-5wY27YEecceoEni1XRT5-MKZMc2rVg-c4qKf2A9wKJlYmPTFSSS4ppReltqQ1J83Sonk2TWmfR2aX2iqPc3y3cW7GUeVwmGWoCpGQfeOV7hqKjooXX3BT4KnMj-rbVF7ms7ia8Y38/w400-h360/123.JPG" width="400" /></a></span></div><span style="font-size: medium;"><br /></span><p></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;">
<span style="font-size: medium;"><i>« On demande une miette d’amour pour tous les jours. On
nous en donne une tonne pour l’éternité, qu’est la mort »
</i>(GP)</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br /></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><span style="text-align: left;">3
octobre 2022.- Ciel se dégageant au fil de la journée (18°C).
(Matin.) Qui y a-t-il de plus oublié, de plus dédoré, de plus
obsolète, désuet et presque ranci que Paul Guth ? A priori, pas
grand-chose et pas grand monde. Pourtant malgré tout cela Michel
Crépu m'a donné l'envie de le lire son
</span><i style="text-align: left;">Histoire de la littérature française</i><span style="text-align: left;">. Dans son Journal il
l'a place très haute et les quelques citations qu'il en fait sont
très bien, cocasses et pleines d'un grand sens de la légèreté qui
me semble assez éloigné de l'ennui et du professoral. Comme il faut
savoir rester dans les mêmes teintes, les mêmes eaux, Crépu m'a
aussi donné l'envie de lire l'</span><i style="text-align: left;">Âme sensible </i><span style="text-align: left;">de Jean Dutourd.
Pour lui c'est la plus belle chose écrite par un écrivain sur un
autre écrivain (en l'occurrence Stendhal). Foire au dithyrambe ?
Crépu se trompe-t-il en faisant ainsi l'éloge du vieux jeu et du
suranné ? Je ne crois pas. Ce que j'ai pu lire du Dutourd critique
n'avait rien de ravachard (je viens d'inventer ce mot, il résume
parfaitement ce que je veux dire). Paul Guth et Jean Dutourd ! Si mon
moi d'il y a quinze ans avait la capacité de regarder mon moi actuel
je pense qu'il le ferait avec des airs dubitatifs tout en penchant la
tête. (Après-midi.) Le soleil est là, mais bien trop bas. Le petit
coin que j'avais trouvé hier est déjà bien bien entamé. Je ne lui
donne pas trois jours pour disparaître dans un enfer automnal.
Néanmoins pour rester dans l'obsolète et le mordoré après un
dîner léger j'ai entamé la </span><i style="text-align: left;">Belle journée </i><span style="text-align: left;">d'Henry Céard.
Impasse naturaliste ? Roman de rien sur rien ? Flaubert aux petits
pieds ? Pour l'instant c'est assez bien, frôlant le pas mauvais, un
peu triste et dévitalisé. On sent les regrets d'une autre Emma
Bovary lui monter au cœur sans qu'elle ne se rende vraiment compte.
Je crois avoir bien fait de mettre mes yeux dans tout ça.</span></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">4
octobre 2022.- Soleil automnal (18°C).<i> Une belle journée</i> d'Henry
Céard. Une bourgeoise et un bourgeois quasi voisins se frôlent dans
un escalier. Ils se donnent ensuite rendez-vous dans un restaurant
avec salon privé. La bourgeoise est trop prude, le bourgeois trop
idiot. Les plats passent et rien ne se passe. Une main sur une
cuisse, un coup de serviette, presque une gifle, tout se dégonfle,
les velléités d'adultère s'enlisent, les deux ne deviendront pas
amants… La pluie tombe, le fiacre commandé pour le retour ne vient
pas et comme on n’a rien à se dire on se regarde de biais tout en
lisant les journaux du jour à la lueur des bacs de gaz. Le fiacre
arrive enfin, le bourgeois raccompagne la bourgeoise, il finira sa
soirée dans un bouge quelconque à la recherche d'une gourgandine
plus accessible, la bourgeoise finira sa soirée dans la chambre
conjugale où son mari l'attend en lisant le journal. Voilà la <i>Belle
Journée</i> d'Henry Céard, plus qu'un roman sur rien, un roman sur le
vide de l'existence, sur les trous qu'il faut combler pour ne pas
verser dans la résignation grise, sur les illusions qui
s'effilochent et sur le à quoi bon être là sur terre. Il y a de
l'amertume dans tout ça (belles pages sur Paris, style
photographique).</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Jules
Renard parle d'Henry Céard et d'<i>Une Belle journée</i> au début
de sons Journal, pour lui c'est un <i>« livre fait tout exprès pour
tenir la petite place que les Goncourt lui réservaient dans leur
bibliothèque. »</i> Le livre vaut mieux que ce mot d’esprit.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">5
octobre 2022.- Soleil et vague redoux (22°C). Labeur, lombalgie,
gonalgie. Sieste. Quelques lignes du bougon Dutourd pour qui Oscar
Wilde était le Père Goriot de la pédérastie ( Ben voyons ! ), une
chronique de Éric Holder belle comme du Vialatte triste, les Cahiers
de Cioran, ces lignes : <i>« Lamentation et dérision – les deux
activités pour lesquelles j’ai le plus d’aptitudes. »</i></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">6
octobre 2022.- Semblant de beau temps (22°C). Aphorismes faiblards :</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Lorsque
l'on veut faire bouger les choses on risque de les faire tomber.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">On a
connu très peu de passions calmes.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">L'avantage
du néo-féminisme c'est qu'il nous permet de voir la vraie nature des
femmes. Elles sont fourbes.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">8
octobre 2022.- Ciel gris suicide (17°C). Cervicalgie tenace, la
forme est paralympique. De surcroît, une potentielle guerre
nucléaire rôde. En attendant que tout explose vraiment je suis
toujours dans les livres. Aujourd'hui grand écart lectoral puisque
j'étais à l'alternat entre le <i>Petit Bidon (et autres textes) </i>de
Christophe Tarkos et les <i>Ténèbres et la nuit,</i> le nouvel opus
de Michael Connelly. Entre les deux, rien de vraiment commun. Les
mots, peut-être, et encore… Chez Tarkos ils fluent, circulent, se
heurtent entre eux, rebondissent (comme si un flux pouvait rebondir),
se transmutent de l'écoulement à l'aérien pour mieux revenir en
glaise d'une nouvelle forme poétique. C'est très beau et plus
simple que ce que je tente d'écrire. Chez Connelly les mots ne sont
là que pour transmettre des informations, ils concèdent au factuel
et ne sont que le soubassement nécessaire d'une intrigue efficace et
bien fagotée. <i>Le Petit bidon</i> de Tarkos est préfacé par
Nathalie Quintane, qui fait un bel éloge de son ami, mais qui à mon
humble avis (je suis un peu con) intellectualise un peu trop son
propos (on pourrait voir Tarkos comme un tenant de la poésie brute,
comme il y a de l'art brut). Les deux premières pages, l'auteur vu
par lui-même, sont presque bouleversantes.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Le
Connelly quant à lui n'est pas bouleversant, cela ne l'empêche pas
d'être très bien. En tous les cas, c'est ce que laissent deviner
les cent pages que j'ai boulottées dans la matinée. On retrouve une
Renée Ballard, la nouvelle héroïne de Connelly, embarquée dans
une intrigue où résonnent fortement les tambours de l'actualité.
Le Covid, les violences faites aux femmes, le mouvement Black live
matters. Harry Bosch ne passe plus que comme une ombre fantomale dans
le décor (c'est l'aspect mélancolique du roman) et l'approche de
Connelly est toujours la même, journalistique, factuelle, hypra
documentée. Nous sommes en terrain connu.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">9
octobre 2022.- Beau temps narquois et bien inutile (16°C). Ça
avance la vie, on ne la voit pas passer et c'est déjà bientôt
fini, on est presque mort. En trois jours mon petit coin de soleil
n'existe quasiment plus, il s'est insensiblement dissipé dans
l'ombre, c'est bien triste. Je n'ai pu poursuivre mes aventures
lectorales en plein air que pendant un très court laps de temps, pas
plus de trente minutes avant d'être rattrapé par une sourde opacité
automnale, c'est fort peu et pas assez, je vais bientôt manquer de
vitamines D, virer au morose, au troglodyte, à l'enfermé.
Heureusement qu'à l'intérieur de mon petit intérieur mon canapé
est toujours là, sans lui je ne serai qu'un mollusque perdu sans son
rocher. Je me suis couché dessus, il m'a recueilli, et sous un plaid
enveloppant je suis tout de même retourné à mes petites affaires
de lecture. J'ai relu Le <i>Bonhomme de merde</i> de Tarkos, qui est
loin d'en être de la merde. J'ai continué mon Connelly efficace où
j'ai appris en détail le fonctionnement du service de maintenance de
l'éclairage publique de la ville de Los Angeles (cette phrase est
nulle, il a trop de de dedans). J'ai aussi appris quand dans cette
même ville de Los Angeles (c'est aux États-Unis) on pratique pas
moins de mille autopsies par semaine. C'est beaucoup, on est peu de
choses.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">(Air
du temps.) Dans la mesure où j'étais mineur au moment des faits,
dois-je porter plainte contre le moniteur qui en 1981, me donna une
large gifle lors d'un camp de vacances à Vallorcine (74) ? Fricoter
tel un girafon lubrique dans le dortoir des filles était certes un
tort, mais était-ce une raison valable pour me claquer le beignet
aussi vigoureusement ? Pour tout vous dire, j'en suis resté
traumatisé. Un an plus tard dans un autre camp de vacances, cette
fois-ci en Corse, j'étais toujours mineur lorsque lors d'un bivouac
au clair de lune j'ai mis la main dans la culotte d'une monitrice,
blonde et diaphane, qui ne trouva rien à redire et trouva bien au
contraire cela fort agréable si j'en juge pas ses petits gémissants
adoubant. Je ne chercherais pas à porter plainte contre elle. Il
faut savoir rester gentleman.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">10
octobre 2022.- Le soleil baisse, les nuages arrivent (21°C). Pas
très inspiré, vous n'êtes pas obligé de lire les lignes qui
suivent.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Malgré
une intrigue poussive et une héroïne assez opaque (Renée Ballard,
la « remplaçante » de ce bon vieux Harry Bosch), bien aimé le
Connellly. Les concessions à l'air du temps n'assomment pas trop le
tout et c'est du travail de professionnel. (Je sais, je donne
l'impression de faire l'état des lieux après le boulot d'un
artisan, d'un plombier ou d'un peintre en bâtiment, cependant il y a
de ça chez Connelly). Ma lecture suivante est assurément moins dans
l'efficacité et le pragmatique délassant puisqu'il s'agit de
<i>Performance</i> le dernier roman-roman de Simon Liberati. Je dois
être un peu masochiste, le côté vaseusement décadent et vomi
séché dans la barbe de ce perpétuel déchevelé m'ennuie assez,
mais allez savoir pourquoi, je persiste à vouloir lire ses livres en
espérant y retrouver d'antiques promesses jadis entrevues. Bon au
bout de cinquante pages je suis déjà déçu (et même pas en bien).
Libérati tournaille autour de la face luciférienne des Rolling
Stones, du visage d'ange de Marianne Faitfull, des fleurs fanées du
Summer of Love et du parking d'Altamont. S'il s'était contenté de
ces quelques ingrédients, cela aurait peut-être pu faire un
éventuel bon livre… Mais non il faut qu'il joue aussi au
romancier-romancier, qu'il balance de grands seaux de fiction
pellucide à la face de ses lecteurs. Alors, il y a des sachets
d'héroïne cachés dans une vulve, des mycoses vaginales qui montent
au nez de son faux héros qui n'est que lui-même, une histoire
d'amour torve et de auto-apitoiement patibulaire.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">11
octobre 2022.- Temps nuageux (17°C). Évidemment hier j'ai été
trop injuste avec Liberati. Son <i>Performance</i> n'est pas si
mauvais que ça, il est même moins malin dans le pire sens et plus
sincère que je ne pouvais le penser de prime abord. Ce que je
ressentais comme de l'autoapitoiement n'est peut-être après tout
qu'une façon un peu tordue de parler sans concession de lui-même
(ou alors une délectation tout aussi tordue à se voir déclinant).
Tandis que son faux héros transparent se pisse dessus plus qu'à son
tour, Liberati ne donne pas l'impression de pisser sur ses lecteurs,
c'est toujours ça. Reste que cette sincérité méphitique cette
intimité transmuée en fiction et son alliage avec les arpents
lucifériens des Rolling Stones ne fonctionne pas vraiment. Les deux
parties cheminent parallèlement, mais jamais ensemble. D'un côté,
Libérati aurait plutôt dû écrire un récit pénible et attachant
sur lui-même de l'autre il aurait dû écrire un bouquin
antihygiénique et un peu malsain sur la pire meilleure période de
Brian jones (il avait de la matière). Il ne l'a pas fait, préférant
le roman-roman. On y perd au change. (Tout cela mal dit, Liberati m'a
tout de même l'envie de lire deux, trois choses. La biographie de
Keith Richards qui est là dans ma pile de livres en attente, le
Journal de Cecil Beaton, <i>La Fin de Chéri</i> de Colette.)</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Demain,
je reprendrai le <i>punais</i> chemin du labeur. L'entrain est
modéré.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">13
octobre 2022. Épaisse ouverture nuageuse (18°C)3 Labeur, résultat
: dorsalgie, lombalgie, gonalgie, toux chronique… Et on veut nous
faire travailler plus ! Dans quel but ? Que mort s'en suive ? En
attendant un vague trépas engendré par le néo-libéralisme
triomphant je suis tant bien que mal retourné dans les petites
affaires de Paul Valéry. Il y parlait de l'ennui, j'aimerai bien
m'ennuyer comme lui : <i>« L'ennui est le sentiment que l'on a
d'être soi-même une habitude, et de vivre… une non-existence
sensible, comme si l'on eût la propriété de percevoir que l'on
n'est pas. Percevoir que l'on n'existe pas ! L'ennui est finalement
la réponse du même au même. »</i></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">14
octobre 2022.- Hygrométricité prononcée, l'air lui-même semble
flotter (18°C). En picorant dans le <i>Guide mondain des villages de
France</i> de Matthias Debureaux j'apprends qu'un jour de 1959 le
camarade Jean Tenenbaum avait choisi son nom d'artiste (Jean Ferrat)
en pointant le doigt au pif sur une carte de France. Comme ledit
hasard ne manque pas de sel, ce doigt aléatoire était tombé comme
par enchantement sur le village de Saint-Jean-Cap-Ferrat, qui comme
chacun le sait est certainement la localité la moins potentiellement
marxiste léniniste de l'hexagone (enfin aujourd'hui en 20222.
peut-être n'était-ce pas le cas en 1959, ou alors il y aurait moyen
de douter de la jugeote du camarade Ferrat).</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Pour
le reste, en dehors des livres, que de mauvaises nouvelles.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">15
octobre 2022.- Beau temps, pour rien (21°C). Lourds tracas sur
lesquels je ne m'étendrais pas… Restent les livres qui eux ne nous
assomment pas tragiquement (quoique). Entamé <i>Marilyn et JFK</i>
de François Forestier. Cet ouvrage est censé être une sorte
d'enquête sur l'improbable couple Monroe Kennedy, mais au bout d'une
centaine de pages de lecture je dois avouer avoir plutôt le
sentiment de lire un truc d'éboueur malsain qui soulèverait les
couvercles d'une multitude de poubelles aussi peu ragoûtantes les
unes que les autres. C'est certes très précis et documenté, on y
voit comme de la lie flotter à l'air libre, la crasse et les ongles
sales de Marilyn, la matière cérébrale de JFK, ses multiples et
divers épanchements <i>priapiques</i>, l'immondice du patriarche Joe
Kennedy, les mafias et Sinatra, la fausse morale glutineuse de Robert
Kennedy… Il n'empêche que tout cela devient assez vite fatiguant.
Fatiguant parce que Forestier ne nous épargne de rien tout comme il
n'épargne personne ; fatiguant parce que vu du fond d'une poubelle
l'horizon n'est jamais fin comme l'ambre ; fatiguant parce que les
ragots mélangés, un semblant de délectation pour le pire ne nous
donne en définitive pas autre chose que du James Ellroy en pire,
c'est-à-dire sans le style.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">16
octobre 2022.- Indian summer (23°C). Malgré le beau temps lecture
en extérieur impossible, soleil trop bas et bruit circonvoisin
intenable, je me suis donc rapatrié vers mon petit intérieur qui
m'attendait, froid et humide comme une grotte. <i>« Il est temps de
démythifier cette ère et de bâtir un nouveau mythe, depuis le
caniveau jusqu'aux cieux »</i>. Comme tout est dans tout Forestier
confirme mes intuitions en citant Ellroy. Malheureusement, son
bouquin s'il démythifie à foison reste dans le caniveau et ne monte
jamais jusqu'aux cieux. Marilyn est vide, amorphe, une méduse qui
n'est préoccupée que par son aura de star, son pouvoir de diva…
Elle ne se passionne pour rien, jette ses multiples amants comme elle
jette toutes ses affaires sur la banquette arrière de sa
décapotable, elle n'est jamais vraiment émouvante, tout juste
désirable mais pas sauvable. Quant à JFK il est presque pire avec
son sourire figé son dos cabossé sa sexualité de lapin lubrique et
ses magouilles… Tout cela est certainement vrai, la plume de
Forestier ne semble pas romancer la réalité plus que ça, n'empêche
on aurait préféré qu'elle touille un peu ailleurs que dans le
fangeux.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">17
octobre 2022.- Vent et douceur (20°C). Le tragique rôde toujours
autour de moi alors j'ai pris un Lexomil et ouvert le livre au
potentiel le plus sautillant dans ma pile de livres en attente. Il
s'agit de <i>Mes quatre semaines en France </i>de Ring Lardner.
Lardner était un journaliste, un écrivain aussi, spécialisé dans
le sport et notamment le base-ball qui se diversifiera tardivement
avec quelques histoires parfaitement humoristiques. Fitzgerald, qui
était son ami, le citait plus qu'à son tour et il fut l'une des
influences du père Hemingway. Dans <i>Mes quatre semaines en France,</i>
il raconte ses courtes pérégrinations dans la France de la Première
Guerre mondiale. Rien de batailleur, de tragique, de sinistre et de
sordide, Lardner reste loin des tranchées et de la boucherie, ce
qu'il décrit c'est la France de l'arrière, ses larges complications
administratives, ses taxis furibards et homicides, ses autochtones
fourbes, il faut bien le dire. C'est parfaitement drôle comme
pourrait l'être du Benchley téléporté dans une époque, un lieu,
un conflit incompréhensible, mais amusant. Le tout m'a arraché
quelques demi-sourires, dans mon état psychologique c'est déjà
beaucoup.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">18
octobre 2022.- Douceur hors de saison (24°C). Dévastation…</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">(...)</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">30
octobre 2022.- Ma mère était morte, mon frère est mort… Tout se
réduit et bientôt je pleurerai seul sur mon île.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">(...)</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">3
novembre 2022.- Le chagrin est là, pas les mots.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">4
novembre 2022.- À défaut d'écrire quelques mots qui ne viennent
pas, je vais tenter d'exister ce qui ne sera pas si simple.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">5
novembre 2022.- Les phases du deuil, sidération, hébétude,
chagrin, colère.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">6
novembre 2022.- Incapable d'écrire deux phrases, tout part dans les
larmes.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Baltimore
de David Simon. Neuf cents pages dévorées en quatre jours. Plongée
journalistique dans l'enfer d'une cité américaine à la fin des
années quatre-vingt. C'est assez formidable presque extraordinaire.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">7
novembre 2022.- En écrivant ces lignes, j'ai l'impression de trahir
mes morts. Peut-être faudrait-il que je me contente de parler du
temps qu'il fait ?</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><i>«
J'arrivai après le feu d'artifice. Mais peut-être restait-il
quelques fusées non éclatées. » </i>J’avais déjà lu les trois
autres « routes » de Raymond Dumay – celles de Bourgogne
d’Aquitaine et de Provence, autant de balades offrant un mélange
de géographie heureuse et de dérives bouquetées autour du vin et
de la littérature – aujourd’hui j’ai entamé la dernière
route qu’il me restait à lire celle du Languedoc. C’est toujours
épatant, il faut dire que le Languedoc ne fait rien pour ne pas être
épatant… À Montpellier capitale de la Septimanie on visite le
Jardin des plantes dans les traces de Valery Larbaud. À Grabels on
boit un petit vin blanc avec Joseph Delteil. À Sète on oublie
presque de monter jusqu’au cimetière marin, mais finalement on y
monte et les pages sont fort belles. Plus tard et plus loin on
rencontre Jeanne Galzy « la Colette du Languedoc »… Tout cela est
très bien… rien à redire.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">9
novembre 2022.- Il pleut (17°C). Je lis <i>Life</i> l'autobiographie
de Keith Richards. Rien de puissamment littéraire — c'est de
l'oral retranscrit et bidouillé en livre par un certain James Fox —,
mais c'est tout même relativement croquignolet, à vue de nez assez
peu édulcoré et en tous les cas toujours très intéressant. Je
n'en dirai pas plus — mon inspiration est toujours en berne — Ah
si seulement une simple constatation comme en toute chose — ici les
débuts des (Rolling) Stones — l'accidentel est de mise.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">10
novembre 2022.- Beau temps (14°C). L'autobiographie de Keith
Richards est tout sauf assommante, on pourrait même dire qu'elle
frôle l'épatant plus qu'à son tour et qu'en tous les cas elle
satisfait le lecteur on lui offrant une large cargaison, des
souvenirs des faits et des anecdotes qui ne semblent pas trop
filtrées par une quelconque autocensure. L'ami Keith ne cache rien
de ses frasques et addictions diverses et variées de ses amitiés
qui virent au pire de ses histoires d'amour un peu tordues… Brian
Jones en prend pour son grade et l'on n'est même pas étonné de le
voir comme un appendice en décomposition que les Stones sont obligés
de trimballer lors de leurs tournées, il y a quelques lignes assez
drôles sur Allen Ginsberg « vieux sac à pets » qui pontifie sur
tout… Loin des vacheries John Lennon est un peu porté au pinacle…
Bref, c'est comme je le disais plus haut assez épatant. Les plus
belles pages sont consacrées à la musique en elle-même, à son
élaboration, aux techniques de jeu et d'enregistrement, à
l'alchimie bizarre et parfois merveilleuse que peut offrir tout
groupe de musique… On sent le type qui aime ce qu'il fait, et qui
aime parler de ce qu'il fait.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">11
novembre 2022.- Soleil (18°C). Il faisait beau, j'ai fait un détour
par le cimetière, les fleurs sur la tombe de mon frère ne sont pas
encore fanées…</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Keith
Richards, Life. Brian Jones noyé dans piscine, la pègre
londonienne, Altamont et son parking tragique, Gram Parsons et
l'amitié, le petit côté maléfique d'Anita Pallenberg, Mick Jagger
et les mondanités, la Villa Nellcote et tout le tremblement, l'open
tuning, les amphétamines, la cocaïne, les doses d'héroïne
adroitement concoctées. En gros je connaissais déjà tout ça et je
n'apprends pas grand-chose. Reste la verve de l'ami Keith, elle est
formidable il faut bien le dire.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">12
novembre 2022.- Brume jusqu'à midi, soleil couché à 16h30, entre
les deux soleil, me semble t-il (11°C) Quoi de plus beau que les
dernières lignes des métamorphoses d'Ovide ?</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<div style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: left;">J’ai
désormais achevé une œuvre que ni la colère de Jupiter</div><div style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: left;">Ni
le feu ni le fer ne pourront abolir, ni l’usure du temps.</div><div style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: left;">Le
jour de ma mort, qui n’aura prise que sur mon corps,</div><div style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: left;">Pourra
mettre à son gré un terme à l’incertaine durée de ma vie ;</div><div style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: left;">Le
meilleur de moi sera transporté, inaltérable,</div><div style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: left;">Très
haut par-delà les étoiles et mon nom ne s’effacera pas.</div><div style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: left;">Aussi
loin que s’étend sur les terres soumises la puissance romaine</div><div style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: left;">Je
serai lu par tous, reconnu à travers les siècles</div><div style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: left;">Et
si les pressentiments des poètes se réalisent, je vivrai.</div>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Moins
antique, quoique, toujours dans le <i>Life</i> de Richards. Bien
au-delà des anecdotes croquignolettes, amour de la musique.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">13
novembre 2022.- Brume (11°C). La dernière partie de <i>Life</i> est
surtout consacrée aux relations un peu compliquées entre l'ami
Keith et son vrai faux frère Mick. Elle est certes sincère et sans
sentiments recuits, mais moins intéressante… Cela dit le tout
reste très bien. Peut-être l'une des meilleures autobiographies de
musicien donnant dans le rock (avec celle d'Elvis Costello ?).</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">To
be continued.</span></p>Philippe Lhttp://www.blogger.com/profile/11161966062544589959noreply@blogger.com2tag:blogger.com,1999:blog-6980582.post-1653934093785495212023-05-15T11:06:00.013+00:002024-02-09T14:28:00.672+00:00Psychogeographie indoor (127)<p> </p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEipoHkINPJSN-2gfBlcLys5-9SPyPThweMZnQXjaWkgHEedEedL0Nb70SdgYhTi0doMlCc650aKXUX5IeIyYzfAYMn49UENy3XuE_68SBBI0EHzkFrFINVvXYWExdJRwM-FhBbgLvfhyF-ehZ9SEStuPPrvWiFn4ZTIcWt4FO2AM_ktj4ZXGeU/s1572/stefan-zweig-traballando-nos-arquivos-austricc81acos-durante-a-primeira-guerra-mundial_.jpeg" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="1572" data-original-width="1475" height="400" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEipoHkINPJSN-2gfBlcLys5-9SPyPThweMZnQXjaWkgHEedEedL0Nb70SdgYhTi0doMlCc650aKXUX5IeIyYzfAYMn49UENy3XuE_68SBBI0EHzkFrFINVvXYWExdJRwM-FhBbgLvfhyF-ehZ9SEStuPPrvWiFn4ZTIcWt4FO2AM_ktj4ZXGeU/w375-h400/stefan-zweig-traballando-nos-arquivos-austricc81acos-durante-a-primeira-guerra-mundial_.jpeg" width="375" /></a></div><br /><p></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><i>
« Si près de la dispersion et de l’été, j’aime, ces
refuges que je dois oublier, les fixer (d’accord, ils ne sont pas à
notre gré) : et que ne se fasse, sans une équivalence pour
quelques-uns et moi, le mental adieu. »</i> (Stéphane Mallarmé -
La Musique et les Lettres)</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br /></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">16
septembre 2022.- Nuages et fraîcheur (19°C). Labeur, fatigue,
vaguement malade. Comme tout est dans tout chez Joseph Joubert je
tombe sur ceci : <i>« Il y a un degré de mauvaise santé qui rend
heureux »</i>. Reste à savoir si je suis vraiment heureux ?</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Pour
les quatre jours sans labeur qui viennent, j’hésite encore entre
plusieurs volumes, <i>Une Belle Journée</i> d’Henry Céard, les
<i>Carnets d’un voyageur traqué</i> de Gérard Bauër, <i>Images
malgré tout</i> de Georges Didi-Huberman…</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Projet
: écrire un livre de voyage sans sortir de chez moi.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">17
septembre 2022.- Nuages noirâtres et vent frisquet, quelque chose de mauvais flotte dans l'air (16°C). (Avant le déjeuner.) Vous qui
arpentez les pages de ce vague journal valétudinaire savez déjà
mon attachement pour la figure désuète de Gérard Bauër, ce
délicat chroniqueur de choses étiolées qui officiait dans le
Figaro sous le pseudonyme de Guermantes. (Accessoirement Bauër,
était aussi le petit-fils caché d'Alexandre Dumas.) Histoire
d'enfoncer un peu plus le clou de mon intérêt, j'ai entamé ce
matin ses <i>Carnets d'un voyageur traqué.</i> Cette somme
diaristique aura été écrite entre 1942 et 1944 en Suisse, à Cran
Montana, Sion et Lausanne, où Bauër s'était réfugié se sentant
menacé par les persécutions antisémites en vigueur dans la France
maréchaliste. Petit éditeur Georg, mais joli travail — il fallait
retrouver les carnets de Bauër —. Belle introduction en forme de
biographie par un certain Pierre-François Mettan où l'on apprend
une foultitude de choses. Iconographie, notes de bas de pages
nombreuses et éclairantes, bref, du beau boulot. Quant au reste, disons le fond, les notes de Bauër, il n'y a rien à redire. Il y a
certes un petit goût télégraphiste et laconique, mais l'on devine
un type qui ne se trompe pas. Défense assez précoce de De Gaulle,
dégoût devant la saloperie hitlérienne (je souligne, Bauër est
plus élégant que moi), découragement face à la complaisance de
ses confrères (le replet Beraud qui le traite de demi-juif et de
demi-nègre en prend pour son grade), désolation lorsqu'il apprend
le suicide de Zweig (qui en Européen venu du Monde d'hier vivait un
exil tout juste un peu plus tropical que le sien). Au tiers de ma
lecture, il me semble que je tiens un bon livre entre les mains.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">(Après
la sieste.) Plaisir personnel et pas forcement partageable : La voix
de Gérard Bauër entendue sur le site de France Culture. André
Maurois, André Chamson, Claude Mauriac et Roland Manuel devisent
cordialement avec lui dans une sorte de primo <i>Masque et la Plume</i> où
il est question de Théatrrrre, de Knock, de Gide attablé à la
Brasserie Lip et de sa mine excellente, de Valentine Tessier et de
Chopin, des faits divers et de leurs indicibles vertiges. Bauër fait
l'éloge de Félix Fénéon et de ses <i>Nouvelles en trois lignes</i>,
le fils Mauriac lui réponds en gardant le petit doigt sur la couture
de la morale que les petites affaires de Fénéon n'est sont pas bien
sérieuses. La discussion reste aimable et la voix de Bauër -— une
voix de salon proustien qui offre la particularité d'être à la
fois nasale et rocailleuse — ne s'offusque de rien et reste toute
pleine d'une heureuse affectation. Tout cela est délicieux,
n'intéresse que moi, et prouve une nouvelle fois qu'il ne faut pas
mésestimer la grande importance du désuet en ce (mon) bas monde.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">18
septembre 2022.- Beau temps frais (16°C). (Avant la sieste.) Le
soleil est toujours là, mais il est trop bas. Mes plantes et fleurs
commencent à piquer du nez et je rencontre beaucoup de difficulté
pour trouver un coin de soleil où je pourrais poser ma chaise de
lecture. La saison veut cela, je vais bientôt devoir poursuivre mes
pérégrinations lectorales en indoor. Mon teint risque d'en pâtir,
quant à mes phrases n'en parlons pas…</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">(Après
la sieste.) Les Carnets de Gérard Bauër donnent l'impression
d'avoir été écrits par un honnête homme. Tout du moins un homme
qui ne se trompe pas politiquement, un homme qui pense que c'est la
cruauté et le mauvais goût qui ont conduit Hitler au crime, qui en
entendant un discours du détestable Göring à la radio constate que
les gens qui hurlent en promettant le bonheur ont souvent les pieds
dans le sang… Pourtant aucune haine chez Bauër, pour qui ce
sentiment est surtout un esclavage de l'esprit : <i>« </i><i>C</i><i>omme je souhaite être parfaitement libre, je m'applique à ne pas haïr
».</i> En lisant tout ça, on pense souvent au formidable Journal de
Maurice Garçon (voir mes livraisons précédentes) qui à la même
époque écrivait des choses assez limitrophes et concordantes (même
si parfois un peu moins lucides). En dehors de la grande marche du
Monde, de l’Histoire avec sa grande hache, de l’occupation et de
ses concessions, de la guerre et de ses horreurs, il y a dans les
notes de Bauër la vie de l’exilé, ses multiples rencontres, ses
discussions qui sont comme une levure intellectuelle. Il y a aussi
parfois le souvenir des temps anciens, une sorte de nostalgie jamais
chancie par le temps (belles pages sur l'Affaire Dreyfus). Quant au
quotidien, à l'empilement des jours, il n'est pas moins présent.
Les problèmes de santé sont là. Un cœur défaillant que l'on
opère et une vie que l'ont craint de perdre sur une table
d'opération comme ça au petit matin. Bauër raconte ses soucis sans
narcissisme avec une pudeur tout juste teintée d'inquiétude. Belle
noblesse d'esprit.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">19
septembre 2022.- Ciel dégagé, vent frais (16°C). (Matin.) On
inhume la reine et c'est comme si on inhumait le 20° siècle tout
entier.</span></p>
<div style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-size: medium;">(Après
la sieste.) Toujours dans les Carnets de Gérard Bauër, leur
élégance et leur goût télégraphiste. Une courte villégiature
dans le Tessin où loin de la rigueur lémanique ce ne sont que
cyprès, églises à flanc de coteau et familière douceur des
choses. (L'Italie fasciste est pourtant là juste à côté, on
pourrait presque la toucher.) Belles pages pleines de chaleur. Après
le Tessin c'est Bienne, Lausanne et Crans-Montana, qui paraissent
bien pâles, ce sont de multiples rencontres intellectuelles, le
train-train de l'exilé, les ennuis de santé, l'inquiétude pour les
proches restés en France qui monte. Ce sont aussi les bruissements
du monde, les discours d'instituteur surexcité d'Hitler, l'Armée
Rouge qui avance, Mussolini qui est destitué, Hambourg qui est
bombardée… </span><span style="font-size: medium; text-align: left;">En
somme les villégiatures, l'exil et la grande marche du monde… Et
puis la nostalgie, toujours la nostalgie, le flot des souvenirs qui
ne lâchent pas Bauër aussi facilement que ça </span><span style="font-size: large; text-align: left;">: </span><i style="text-align: left;"><span style="font-size: medium;">« Il faut bien
noter qu'il y dans les pommes frites, une saveur parisienne qui
m'émeut (comme la saveur de la madeleine dans Proust lui rappelait
Combray). Ces frites que je mangeais rue de Sèvres, lorsque je
dînais avec dix sous (deux sous de pain, trois sous de
frites, une côtelette de cinq sous). »</span></i></div>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">(Soir.)
On inhume toujours la reine.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">20
septembre 2022.- Fond de l'air un peu frais, soleil présent, mais
trop bas avec des airs estivaux tardifs. Pour bien faire et
bénéficier d'un peu plus de lumière il faudrait qu'un fou écocide
coupe les arbres et avec eux les ombres qui m'entourent. Il faudrait
aussi que les bâtiments environnants s'effondrent autour de moi,
mais pas sur moi. Voilà des éventualités qui me semblent assez
hypothétiques (17°C). (Matin.) Fini les Carnets de Gérard Bauër.
Les lignes qui suivent me semblent parfaitement caractériser ce
grand oiseau nostalgique, les écrivains ne sont souvent pas mieux
servis que par eux-mêmes : <i>« Me servira-t-il d'avoir aimé
? Prolongerai-je dans quelques charmantes mémoires le souvenir de ce
que j'ai donné à quelques êtres choisis. Ce que j'ai écrit le fut
pour gagner ma vie, en servitude aux obligations du journalisme et
des éditeurs. Mon vrai roman, le meilleur accent de moi-même,
l'invention, les dialogues : tout cela fut parlé — ou murmuré,
prodigué dans l'élan du cœur, la coquetterie, l'abandon, et même
parfois aussi, l'indifférence… Un enfant eût-il calmé cette
appréhension si vive que j'ai de disparaître de toute mémoire ? »</i></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">(Après
midi.) tout de même un peu soleil sur ma chaise de lecture.
Conditions lectorales moyennes, pas de voisins encombrants, mais une
bétonnière semi-lointaine. Retour dans le Journal de Crépu.
Souvent pas mal, esprit curieux, il donne des envies de lecture ce
qui est très bien et déjà ça.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">En
parlant de lecture, je relis une troisième fois « mon »
livre. Encore des erreurs, des interlignes non voulus, des phrases
bancales et des fôtes dignes de Flaubert à l'âge de cinq ans.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">22
septembre 2022.- Beau temps assez Indian Summer (21°C). Lever 5H45,
labeur, déjeuner, sieste… Commencé le <i>Stendhal, Casanova,
Tolstoï </i>de Stefan Zweig. Bel avant-propos où Zweig distingue
les écrivains de l'introspectif et les écrivains de l'extrospectif.
D'un côté Casanova pour l'autobiographie naïve, Stendhal qui
atteint un stade supérieur en observant les mécanismes de son
propre moteur, de l'autre côté Shakespeare avec sa façon de fondre
sa personnalité dans l'objectivité au point de la rendre invisible…
Tout cela est assez bien vu.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Nouvelles
acquisitions : <i>L'Anachronique </i>- Eric Holder, Hop ! <i>Ma
croisière en Amazonie</i> - Redmond O'Hanlon, <i>La chose écrite </i>-
Jean Dutourd, <i>La Jeunesse de Théophile</i> - Marcel Jouhandeau.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">23
septembre 2022.- Ciel maussade, remonté des températures
extérieures, vague douceur torve, l'automne (23°C). Petit
train-train du quotidien, labeur et compagnie, grande puissance de
l'inutile. Picoré dans le Journal de Renard (qui fait la bamboche
avec Marcel Schwob) dans quelques aphorismes du réputé Karl Krauss
(<i>Pro domo et mundo</i>, assez faiblard, vieillot dans le mauvais
sens) et dans le Stendhal de Zweig (pour l'instant très bien).</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">24
septembre 2022.- Passages pluvieux (20°C). Il n'y a rien qui ne me
rend plus heureux que la lecture d'un bon livre et comme aujourd'hui
j'ai lu le merveilleux Stendhal de Zweig j'ai été heureux toute la
journée. Ce n'est pas à proprement parler une biographie comment
peuvent l'être les Fouchet, Magellan ou Marie-Antoinette du même
Zweig non c'est plutôt une analyse tous azimuts de l’œuvre de
l'ami Beyle qui s'appuie sur les soubassements de sa vie pour mieux
faire saillir son génie égocentrique héroïque. Rien de plus
éblouissant que ces pages où Zweig tournicote aimablement autour du
moi stendhalien tout en constatant que la vie de l'ami Beyle est
partout, dans son Journal, évidemment, mais aussi dans ses romans
qui ne sont que la transmutation de son propre égo, de cet orgueil
plein de fine réserve qui ne sera sensible que pour les initiés,
ses « être privilégiés » dispersés comme autant de pierres
précieuses gisantes au milieu du conglomérat, ses « happy few »
(« l’heureux petit nombre » de Larbaud), dotés d'organes
spirituels et nerfs plus subtils qui le comprennent par instinct de
cœur.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Stendhal
ne se donne à rien ni à personne, il ne laisse que des traces, des
écrits parfois, qui ne seront compris que quarante ans après sa
mort (il ne vendra que dix exemplaires de<i> De l'amour</i>), des
traces où il ne fait que se raconter et le plus souvent à lui-même,
des traces qui ne sont qu'au service exclusif de son moi, des traces
qui sont l’œuvre d'un dilettante absolu pour qui l'écriture
n'était qu'une infime part et en tous les cas presque rien face aux
intermittences du (de son) cœur. Ainsi Stendhal plaçait-il la vie
bien au-dessus de l'art d'écrire qui n'était pour lui rien d'autre
qu'une amusante fonction de son moi, un tonique contre l'ennui. Zweig
porte avec une précision d'équilibriste tout cela à la lumière,
les arpents dilettantes de l'ami Beyle, ses aventures réelles et ses
rêveries factices qu'il met dans ses romans, le fait que pour lui
écrire est avant tout un délassement amusant, qu'il ne faut pas
prendre la chose au sérieux et que cela n'a rien de vraiment
fatiguant. Évidemment avec un tel état d'esprit certains écrivent
des lignes inconséquentes (c'est le cas de celles que vous êtes en
train de lire) d'autres sont des génies et Stendhal était un génie.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">25
septembre 2022.- Humidité patibulaire (16°C). Toujours avec Zweig
qui cette fois-ci s'attaque à Casanova…</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Le
vrai manuscrit des Mémoires de Casanova n'étant réapparu qu'en
1960 sous le titre Mémoires de ma vie, ce dont parle Zweig n'est
qu'une retraduction en français d'une traduction en allemand et non
pas du texte original écrit en français (ou plutôt un genre
d'italien écrit en français). Il ne juge donc pas le style ou les
qualités littéraires intrinsèques de Casanova, mais tout en
n’ignorant pas le génie qui transparaît dans ce qui lui est donné
à lire, il dépeint plutôt une vie, un caractère, les pulsions et
passions d'un être totalement libre, ses aventures extraordinaires,
son absolu manque de scrupule et de morale, sa géniale grivoiserie
de fripon. Pour Zweig Casanova ne se raconte pas par volonté de
faire œuvre ou par rage de la confession, non il se raconte pour
l'allégresse et l'insouciance, pour se souvenir de ce qu'il fut et
pour ne pas mourir d'ennui dans la bibliothèque du château de Dux
où il finit sa vie loin de ses exploits passés. C'est comme
Stendhal un dilettante achevé et universel qui ne se pense jamais
faire quelque chose à fond, qui répugne au sérieux et se laisse
emporter à son ivresse de vivre (ou dans ses Mémoires à son
ivresse d'avoir vécu) :<i> « Cœur, poumons, foie, sang, cerveau,
muscles et, bien entendu, cordons séminaux, tout cela est développé
chez Casanova de la manière la plus forte et la plus normale ; c’est
seulement au point psychique où d’habitude les qualités et
convictions morales se condensent en cette formation mystérieuse
qu’est le caractère, qu’on est surpris de trouver chez Casanova
un vide complet, un espace sans air, l’inexistant, le néant. Avec
tous les acides et toutes les lessives, les lancettes et les
microscopes on ne peut même pas déceler — dans cet organisme par
ailleurs absolument sain — un rudiment de la substance appelée
conscience, de cette chose spirituelle supérieure au moi qui
contrôle et règle le monde des sens. Même sous une forme
simplement esquissée, le « système » moral fait complètement
défaut dans cette chair ferme et sensuelle. Par là s’explique
tout le secret de la légèreté et du génie de Casanova : il n’a,
l’heureux homme, que de la sensualité, et pas d’âme. N’étant
attaché à personne ni à rien, ne visant aucun objectif et ne se
laissant entraver par aucun scrupule, il peut suivre une autre
cadence que tous les hommes qui marchent vers un but, sur qui pèse
la morale, qui sont attachés à une dignité sociale et chargés de
scrupules moraux : de là son élan unique, son incomparable
élasticité ! » </i>
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">26
septembre 2022.- Temps maussade et tout fait conforme avec la saison
censée nous occuper (14°C). Malade, estomac en charpie, œsophage
brûlant, rien pour moi. Toujours dans les<i> Trois poètes de leur
vie </i>de Zweig. Après Stendhal et Casanova, il y est question de
Tolstoï et là je sautille un peu moins. C'est certainement une
histoire de goût, mais le génie du père Léon me barbe assez, je
ne suis jamais parvenu à finir ces deux replets romans romans, ces
deux puddings calorifiques que sont <i>Anna Karénine</i> et <i>Guerre
et Paix</i>. Et quant au Tolstoï terminal, l'anarchiste chrétien,
le vieux barde politique, il m'assomme correctement. Reste à savoir
pourquoi Zweig met Stendhal, Casanova et Tolstoï dans le même
panier. Sa réponse est simple, pour lui ce sont trois écrivains qui
auront échafaudé leurs œuvres respectives sur les sous-bassement
de leur propre intimité. Une évidence pour les deux premiers, moins
pour le troisième que l'on perçoit surtout comme un global
constatant le monde bien plus qu'il ne se constate lui-même.
Évidemment, Zweig prouve que cette perception est parfaitement
biaisée en expliquant parfaitement que Tolstoï est aussi et surtout
un type qui transbahute son intimité dans ses grandes affaires
romanesques, un type qui se projette dans ses personnages, ces autres
lui-même que sont Nechludoff, Besuchoff, Pierre ou Levine… C'est
certainement bien vu et me donne l'envie de regrimper sur les grandes
affaires de Tolstoï par de nouvelles voies, une nouvelle approche.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">27
septembre 2022.- Nuages, vent aigrelet et humidité sournoise, nous y
voilà ! (15°C). La température de mon petit intérieur baissant
sensiblement la tentation de le rendre un petit peu plus tiède en
mettant quelques chauffages en route est grande. Je ne suis pas sans
savoir pertinemment que ce faisant le risque est grand de me voir
embastillé par les brigades du climat, mais si la température
venait à descendre sous les dix-huit degrés dans ma cuisine sachez
que je prendrais cette terrible initiative. Non que je sois courageux
et bravache envers la doxa dominante et les sirènes de l'air du
temps, non tout simplement parce que je ne voudrais pas avoir froid
aux pieds plus que de raison. Que voulez-vous, il y a des priorités
dans l'existence. (Du côté des livres.) Zweig raconte parfaitement
la fin de Tolstoï et c’est parfaitement émouvant. Cependant, cela
ne m’a pas donné plus que ça l’envie de plonger dans l’univers
du père Léon. Je pense être définitivement rétif devant sa
volonté de faire des choses réelles et palpables ; allergique à sa
volonté de vouloir jouer sur la grande marche du monde, très
enquiquiné par ses engagements pré révolutionnaires qui quoiqu'on
puisse en dire auront été les innocentes prémisses du pire, que de
lourdeur dans tout ça… Ce n'est pas que je sois si antitolstoïen
que ça, non est fait, je pense, que la vie est très courte pour que
l'on s'y ennui avec des livres au potentiel assommant. En parlant
d'anti dans son Journal Michel Crépu avoue ne pas trop aimer Gide
tout en aimant beaucoup son <i>Voyage au Congo.</i> Moi aussi je
n'aime pas trop Gide (chez lui c'est l'amidon qui fait office de
lourdeur) et comme Crépu j'aime pourtant beaucoup son <i>Voyage au
Congo</i>. Tout est compliqué… non en fait, tout est simple ! Dans
ce livre Gide oublie de se contempler lui-même, il met tout son
potentiel ailleurs, dans la description de ce qu'il voit. Gageons que
s'il n'avait écrit que des livres de voyage il y aurait eu moins
d'antigidisme en ce bas monde.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">28
septembre 2022.- Pluie saumâtre (17°C). Renard diary. Renard et
Schwob dînent chez le très brindezingue Camille Flammarion. Drôle
d'aventure. Pour commencer, on leur enlève des assiettes où ils
n'ont rien mangé. La sole au vin blanc n'arrive pas jusqu'à eux. Un
peu courroucés, ils font des provisions de pain et de pommes vertes.
Des gens se battent pour du fromage tandis que le poète Clovis
Hugues fait le chien-loup tout en poussant des hurlements. Le
chansonnier Xanrof casse des accords stupides au piano. L'éditeur
Eugène Fasquelle exécute une danse du ventre. Un acteur, Florent,
imitateur à ses heures, est rasé comme une fesse, et cependant, il
a trouvé le moyen de se faire une raie. Paul Ginisty le directeur de
l'Odéon a les cheveux huileux et sur le front quelque chose que
Schwob prend pour une souris et Renard pour un derrière de crapaud.
Quant à Georges Courteline, il plastronne et raconte une mauvaise
blague où il est question d'une paire de chaussettes sales et de
deux ivrognes qui dégueulent des morceaux de rognons. Tout cela est
charmant.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">30
septembre 2022.- Ciel fluctuant, fraîcheur tenace (13°C). Lever
5h45, labeur (toujours patibulaire), sieste (douce et nécessaire),
allocution de Vladimir Poutine qui déclare à peu de choses près la
guerre à l'Univers tout entier (je soupire).</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">(Lectures.)
Picoré tous azimuts, dans les Cahiers de Cioran (qui voit les nuages
frôler son cerveau), dans les aphorismes de Karl Krauss
(bâillements, je passe à côté), dans ceux de Kafka (Réflexions
sur le péché, la souffrance, l'espérance et le vrai chemin. Je ne
passe pas à côté) : <i>« Le vrai chemin passe par-dessus une
corde qui n'est pas tendue en hauteur, mais presque au ras du sol.
Elle semble plus faite pour faire trébucher que pour être franchie
»</i>. Fini par quelques pages du Journal de Michel Crépu
(Soljenitsyne est-il plus ou moins périmé ?) et une belle chronique
de Vialatte consacrée aux Carnets de Buzatti (Buzatti qui rappelle
toujours Kafka et pourtant, parait-il, il ne l'a jamais lu) : <i>. «
… C'est ce qui distingue un écrivain d'un homme de lettres ; un
artiste d'un fabricant. Coupez les mains à un vrai peintre, il prend
le pinceau avec ses pieds. Coupez ses pieds, il peint avec ses dents.
»</i></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">1er
octobre 2022.- Pluie frisquette, grande appétence automnale (13°C).
(Crise énergétique.) Sans chauffage la température de mon petit
indoor rejoint à pas de loup celle du vaste outdoor. J'ai donc les
pieds transis et il me faut user de savants subterfuges pour me
réchauffer ne serait-ce qu'un petit peu. Ainsi, je porte chaussettes
et bonnet, je vis et lis sous un plaid, j'improvise une bouillotte
arte povera avec une vielle bouteille d'Evian pleine d'eau chaude,
tout un tas de stratagèmes… (Lecture.) <i>33 jours</i> court récit
écrit à chaud (et retrouvé comme par miracle en 1992) où Léon
Werth raconte l'exode de 1940. C'est sec et précis avec quelque
chose de profondément humain qui évite un tant soit peu la
mignardise et le surplus littéraire. Il y aussi une sorte d'humour
gris — cet humour gris que l'on peut parfois rencontrer chez
quelqu'un comme Henri Calet — qui n'est jamais tenté par la
caricature et le ton goguenard. Beau livre : «<i> Sur la route,
précédés et suivis d’un petit détachement de soldats allemands,
passent deux tirailleurs sénégalais prisonniers. On dirait deux
beaux princes noirs qu’escortent leurs lourds esclaves blancs »</i>.
Du même Léon Werth on me recommande la lecture de <i>Déposition</i>
son Journal d’occupation, l’autopsie de juin 40, ou presque.
J’envisage tout cela très bien.
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">2
octobre 2022.- Belles ensoleillées, douceur amniotique fluant sur
les êtres, la végétation, l'essence des choses (23°C). J'ai
trouvé dans mon petit jardin un coin de soleil minuscule que
j'ignorais jusqu'à présent. J'y ai posé ma chaise et j'ai lu
pendant plus de deux heures sans pull-over ni chandail. En somme, une
sorte de miracle. (J'ai tout de même gardé mes chaussettes, il vaut
savoir ne pas prendre trop de risques.) Qu'ai-je lu ? Tout d'abord,
j'ai fini la petite affaire de Léon Werth, il ne me restait qu'une
dizaine de pages à boulotter et elles étaient très bien, du même
tonneau empathique que celles que j'avais pu lire hier. Ensuite je
suis retourné dans le Journal de Michel Crépu que je compte bien
terminer d'ici demain après-midi. Point d'appogiature, guère de
surplus littéraire, non plutôt une force simple, un style qui se
contente du minimum pour ne pas dire un style qui ne se prive pas de
rester télégraphiste. La colline diaristique de Crépu est avant
tout là pour donner des envies de lecture (la partie analyse ma
moins convaincue), l'envie de lire ou relire Linda Lé, Soljenitsyne
ou même Annie Ernaux, l'envie de lire Jean de Pange, Mihail
Sebastian et Gitta Sereny. Donner des envies ce n'est pas rien, c'est
un beau contrat.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Du
côté de l'outdoor, plus matinalement, tour chez les bouquinistes.
Pêche mince, mais de qualité. Ramené le troisième Tome du Journal
de Bernard Delvaille et le <i>Voyage sentimental</i> de François
Fejtö. Le tout pour moins de dix euros, une aubaine.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">To
be continued</span></p>Philippe Lhttp://www.blogger.com/profile/11161966062544589959noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-6980582.post-1639172795360979172023-04-10T12:19:00.004+00:002023-04-10T13:10:54.906+00:00Psychogeographie indoor (126)<p> </p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjRPwcH2-ZaVIrSAXVWgLuGV-PE2TKjA-GJ-n6W18KIjZpUESWb6Sfd7sTq_pSsHxgO7eM0byxWKV6rhPgn9G2YccQ78957uDT-E7hQ04lUy9c3TqGIRcxodyOGv5Kd4nEcllIBCufzhnj_vjwpXVCAxZBouxLCiPIoiOLbh62nR4S8Cg7ewVM/s720/276297327_10159921049522710_6905104040085837446_n.jpg" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="509" data-original-width="720" height="453" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjRPwcH2-ZaVIrSAXVWgLuGV-PE2TKjA-GJ-n6W18KIjZpUESWb6Sfd7sTq_pSsHxgO7eM0byxWKV6rhPgn9G2YccQ78957uDT-E7hQ04lUy9c3TqGIRcxodyOGv5Kd4nEcllIBCufzhnj_vjwpXVCAxZBouxLCiPIoiOLbh62nR4S8Cg7ewVM/w640-h453/276297327_10159921049522710_6905104040085837446_n.jpg" width="640" /></a></div><br /><p></p><p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm;">
<span style="font-size: medium;"><i>« Il faut feuilleter les mauvais livres, éplucher les bons. »
</i>(Jules Renard)</span></p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">25
août 2022.- Orage tardif (34°C). Quand j'ouvre les yeux tout
s'élève un peu, quand je les ferme c'est moi qui m'élève. Alors,
je préfère les garder fermés, mes yeux. Ainsi je vol presque. La
matière aérienne n'est plus enténébrée, la lumière s'allonge en
minces filets et ma légèreté n'est jamais agrippée par un
quelconque principe de réalité, puisque les yeux fermés, la
réalité n'existe pas. Alors, je rêve, je suis droit, dressé,
debout, vertical, je n'ai plus besoin des forces de la terre. Je ne
suis pas matière, je suis une force simple, un arbre déraciné prêt
à l'envol.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Nouvelles
acquisitions : <i>Un monde à part</i> - Gustaw Herling, <i>Estampillé
Moscou</i> - Sigismund Krzyzanowski.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">26
août 2022.- Nuages et tiédeur tropicale (28°C). Estourbi par le
labeur je ne suis plus qu'un vague sac de chair peuplé d'os et de
stimuli nociceptifs. L'entrain est donc modéré et même les Cahiers
de l'ami Cioran ne sont pas parvenus à me fournir un apaisement ne
serait-ce que demi-antalgique. Il faut dire que le bougre s'évertue
à n'écrire que des choses qui font mal tout en remuant des plaies.
Des choses qui suscitent même des plaies ! Pour lui un livre doit
constituer un danger. En a le droit de ne pas tout à fait tamponner
cet avis pour le moins définitif, ce désarroi qui se veut fécond,
surtout lorsque la douleur vous saisie un peu partout avec ses
grandes pattes frémissantes.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">27
août 2022.- Temps nuageux tout juste piqué par quelques éclaircies
(28°C). <i>« Fargue m’avait donné une photographie manquée, sur
laquelle deux vues différentes se mêlaient. Levet debout au bord
d’un trottoir, à Paris ; et Levet assit sur le plancher de la
chambre de sa mère, la tête appuyée sur l’épaule de sa mère
assise, et la regardant (la position dans laquelle il est mort).
J’avais noté la ressemblance de la mère et du fils.» </i>(Valery
Larbaud, <i>Journal</i>).</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Je
lis <i>l'Express de Bénarès </i>de Frédéric Vitoux. Étant d'une
nature nostalgique comme le consul de La Plata tout en étant plus
<i>levétien</i> qu'une lorgnette pointée sur les Îles Laquedives,
je suis ravi par cet ouvrage qui apporte un peu plus de lumière sur
l'astre mort Henry Jean-Marie Levet. Vitoux raconte sa découverte et
son émerveillement devant les Cartes postales, puis il se pose
quelques questions : qui est Levet ? Un vice-consul momifié, un
gentil garçon apprenti journaliste, un dandy sans âge perdu dans
ses pensées, un zigoto à casquette assis sur un tabouret de bar ?
Certainement tout ça, mais peut-être bien autre chose aussi. Un
poète au devenir très conséquent, tué dan l’œuf par la
maladie, et encore plus par une famille qui brûlera l'essentiel de
ses écrits ? Pour avoir de plus amples réponses à ses propres
questions, Vitoux se rend à Montbrison, la ville de naissance de
Levet. Il y retrouve la grande maison de la famille Levet transformée
en succursale bancaire. Quant au tombeau de la même famille, il
n'est plus que brisures et ruines et semble appelé à une
disparition prochaine. Personne ne semble connaître Levet. Tout cela
est un peu triste, mais c'est ainsi. (Des événements extra
lectoraux venant d'attraper mon inspiration en plein vol, je ne
poursuis pas mon compte rendu.)</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">28
août 2022.- Moiteur pernicieuse (29°C). Matin : deux chapitres de
Vitoux qui pointait les côtés croquignoles et éphèbophiles de
l'ami Levet. Après midi : long barbecue familial. Un peu trop forcé
sur le vin. Je suis fluctuant.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">29
août 2022.- Soleil voilé (30°C). Fini et très aimé l'<i>Express
de Bénarès</i>. Vitoux ne part de presque rien — quelques courts
échos chez Léon-Paul Fargue et Valery Larbaud, d'autres plus larges
chez Francis Jourdain — pour échafauder son tombeau, son affaire
mémorielle, mais au fil des pages la figure de Levet devient moins
indistincte, plus précise et nette. Du vice-consul médaillé en
costume d'apparat (la seule photographie connue de Levet avec celle
que j'évoquais avant-hier), on passe au Dandy détaché, une sorte
d'autre Valentin le Désossé qui hantait les cabarets de Montmartre,
puis comme tout est cyclique on revient au vice-consul un peu guindé.
Il y a le Levet poète impécunieux perdu dans une vie de Patachon,
le noctambule aux tenues extravagantes qui zigzaguait entre le <i>Rat
mort</i> de la Place Pigalle et le <i>Cyrano</i> de la Place Blanche,
un drôle de loustic qui n'écrira que quelques notules à tendances
un poil humoristiques, puis il y a le Levet malade et rempli de
désirs d'ailleurs, d'exotisme et d'aventures, le Levet des cartes
postales et des costumes de vice-consul, le Levet qui se voit mourir
et qui ne pense pas une seule seconde laisser derrière lui une
quelconque trace de son passage sur terre. Comme il se trompait ce
Levet-là, car ses <i>C</i><i>artes postales</i>, ces dix courtes
merveilles, auront une influence considérable sur des gens aussi
divers que Valery Larbaud, Blaise Cendrars, Saint-John Perse ou Louis
Brauquier.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">(Dans
le livre de Vitoux il y a aussi un très beau portrait du Montmartre
de la charnière 19°/20° siècle, une époque qui il faut bien le
dire était épatante [Ce n'est pas le cas de toutes les époques, la
notre est nulle par exemple]. Il y a aussi quelques arpents
autobiographiques assez émouvants).</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">30
août 2022.- J'attends la pluie (29°C). N'ayant qu'un jour de libre
avant de reprendre le saumâtre chemin du labeur aujourd'hui je n'ai
pas pris l'initiative d'entamer un nouveau livre. Ainsi, je me suis
contenté de picorer dans un désordre tout à fait aléatoire. (Y
a-t-il des désordres non aléatoires ?) J'ai picoré dans le Journal
de Jules Renard (qui dînait chez Alphonse Daudet), j'ai aussi picoré
dans le numéro de la NRF paru à l'occasion de la mort de Valery
Larbaud (N.º57, hommage à Valery Larbaud, septembre 1957), où par
une drôle de capillarité j'ai retrouvé Francis Jourdain le grand
ami de Levet. Au milieu des Cocteau, Supervielle, Saint John Perse,
Jean Follain et autres Marcel Arland, sa contribution n'est pas la
pire. Elle est même très émouvante. Il rappelle la candeur de
Larbaud, son intelligence non altérée par sa pureté de cœur, sa
modestie et sa façon d'être compliqué sans aucune affectation. Et
puis il y a les livres, surtout les livres… Non repus, j'ai
poursuivis, mes lectures fragmentées en picorant dans <i>Cigogne et
porc-épic</i> un petit recueil de « dramolets » extrait des
microgrammes de Robert Walser. Évidemment, c'est léger, charmant
parfois un peu sombre, le porc-épic est mignon tandis que la cigogne
pleure et on sent très bien où Walser se voit venir : <i>« Je vais
aller m’asseoir sur le banc de pierre de cette ancienne demeure. Il
n’y a personne ici à qui je puisse dire combien je suis fatigué.
Je suis poète : mon métier consiste à serrer des sentiments dans
de pauvres alignements de syllabes qu’on appelle des vers. Mes
vers, à en croire le haussement d’épaule et le regard glacial de
ceux qui les lisent, sont assez mauvais, mais je ne m’en lamente
pas du tout. On ne peut rien y changer. Ce ne sont pas mes
jérémiades, si poignantes soient-elles, qui feront de moi un
meilleur artiste. Je me fais violence et je continue d’écrire.
Beaucoup de poètes agissent ainsi ; une quantité de motifs,
certains parfaitement ignobles, le leur commandent. Seul l’ennui,
peut-être, me pousse à écrire sur certains sujets qui, lorsqu’ils
me regardent à travers les mots, me pénètrent de tristesse ou
d’autre chose, de beaucoup plus grave. Le monde passe avec
indifférence, se moque de demi-talents comme je semble en être un.
Il accueille ce qu’il devrait repousser avec énergie. Il me
considère toutefois, bien que je ne le sois qu’insuffisamment
hélas, comme un fou ; sans oser me l’avouer en face. Cela vient à
mes oreilles par-derrière, de biais, ou comme un chuchotement d’en
haut. Le monde me le laisse deviner. Ah, si j’avais un métier qui
me permît de gagner mon pain plus honnêtement que ce demi-métier
dans lequel je suis enfoncé aux trois quarts. »</i> Quant à la
vision de sa propre fin, il se trompe peut être un peu, quoique ? <i>«
Au moment de me dissoudre, je pousserai un cri. Qu’il résonne,
terrible, par les millions de vallées, par les millions de montagnes
! La nuit pleurera. La terre roulera plus furieuse, et les hommes
sentiront que les poètes ne meurent pas seuls. »</i></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">31
août 2022.- Ciel à moitié nuageux (27°C). Labeur, douleurs, le
train-train.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Reçu
mon livre que j'ai feuilleté au petit bonheur. Résultat c'est
encore la foire aux coquillettes (je l'avais pourtant relu deux fois,
c'est désespérant). Comme je suis certainement un peu masochiste,
j'ai déjà commencé la fabrication d'un autre livre — un
spicilège rassemblant quelques-unes de mes fines appréciations
musicales — le ton y sera assurément plus joyeux. Tout étant dans
tout je finirai pas ces quelques mots pêchés par hasard dans les
Cahiers de Ciroan, un hasard tout à fait concomitant : <i>« Il
m’est impossible de préciser mon sentiment à l’égard de mes
livres. Ils sont miens et pourtant… Je suis obligé d’y penser et
de les juger, puisqu’on m’en parle ; mais combien plus libre,
plus moi-même ne serais-je pas s’ils n’existaient point, et que
le temps employé à les écrire, je l’eusse consacré à me
détacher joyeusement du monde et de moi-même ! »</i></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">1er
septembre 2022.- Ciel changeant (25°C). Et voilà les mois en bre,
et avec eux le retour du voisinage, du bruit et des conditions
lectorales altérées. Rien de vraiment réjouissant.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><i><span style="font-size: medium;">Oh,
the days dwindle down to a precious few September, November And these
few precious days I’ll spend with you These precious days I’ll
spend with you.</span></i></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">3
septembre 2022.- Temps typique des étés finissants. Un reste de
chaleur, une pluie imminente et quelque chose d'adipeux flotte dans
l'air (28°C). J'entame <i>Lecture</i> de Michel Crépu. C'est un
faux vrai Journal Littéraire charpenté à partir des papiers que
Crépu avait donné à <i>La Revue des Deux Mondes</i> entre 2002 et
2009. J'écris faux vrai, car dans la préface Crépu signal que pour
lui l'espace d'une revue n'étant pas le même que celui d'un livre.
Il a donc monté sa petite affaire en coupant ici ou en
approfondissant ailleurs, cherchant des angles, des reflets, une vie
propre dégagée de l'éphémère et du périodique (la revue passe
la revue un livre c'est autre chose). C'est un point de vu que je ne
partage pas vraiment, pour moi un Journal se doit d'être fidèle au
morne agrégat du quotidien. Il faut certes se relire un peu, mais il
faut quasiment tout garder, les copeaux et les faiblesses, les
passages encombrants. Il faut tout garder, car au milieu de tout ça,
un tout ça parfois gênant, les perles et autres moments de grâce
n'en sont plus que visibles.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Autres
acquisitions : James Lee Burke - <i>Cadillac Jukebox,</i> Gustaw
Herling - <i>Un monde à part,</i> Pierre Bergounioux - <i>Carnet de
notes.</i></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">4
septembre 2022.- Beau temps, tiédeur raisonnable (29°C). Hier soir
vie sociale largement alcoolisée. Ce matin je lis <i>Cadillac
Jukebox</i> de James Lee Burke. C'est le neuvième roman mettant en
scène le très bourru et récurrent Dave Robicheaux et je dois dire
qu'au bout de deux petites heures de lecture je suis assez déçu (et
pas qu'en bien). Effets délétères de l'alcool ingurgité hier soir
? Lassitude lectorale ? J’ai trouvé les pages que j'ai lus assez
vaporeuses et frôlant le dispensable avec l'impression de lire une
sorte de caricature de James Lee Burke. Tous les éléments sont là
— le bayou, la nature hostile ou cajoleuse, la junk food et la
touffeur de La Nouvelle-Orléans, des rednecks et des noirs asservis,
un riche blanc manipulateur —, mais ça ne prend pas, rien ne
s'imbrique vraiment et l'impression de lire une sorte de Pork Salad
insipide domine. Je suis certainement très injuste — ma propre
physiologie envapée biaise certainement mon jugement — reste que
ce volume me semble une sorte de rabâchage sans vraie inspiration.
J'imagine (j'espère) que Burke sera renouveler sa série Robicheaux
par la suite.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Sur
le front de mes activités éditoriales, rien de vraiment tonitruant.
J'ai vendu deux de mes livres ce qui m'aura rapporté une dizaine
d'euros. Le pécule est fort modeste, mais il est là.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">5
septembre 2022.- Vent tiède, humidité latente, quelque chose de
tropical flotte dans l'air (31°C). Trouvé une certaine coalescence
avec le roman de James Lee Burke. Ce n'est toujours pas foudroyant,
mais l'intrigue prend enfin forme (ou est-ce mon intérêt qui se
fait plus saillant ?). D'autre part, loin du bayou, je relis toujours
le Journal de Jules Renard. Le 11 mars 1891, il rend une visite à
Marcel Schowb chez lequel il ne voit que des livres anglais ou
allemands, des brochures de justiciers et un certain goût pour la
criminalité.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">6
septembre 2022.- Nuages, on annonce des orages (25°C). Fini le
Robicheaux de Burke. Intrigue embrouillée, style emphatique,
cependant je n'aurais pas vraiment perdu deux jours à lire tout ça,
car j'en garde étonnement comme une pointe de satisfaction couarde.
Lecture de Michel Crépu. Très bien. Le but d'un Journal littéraire
étant avant toute autre chose de donner des envies chez le lecteur,
ici le contrat est rempli. Crépu nous (me) donne l'envie de lire ou
relire Chateaubriand, Henri de Régnier, Varlam Chalamov, Fleur
Jaeggy, Balzac, Marcelle Sauvageot… il nous (me) donne même
l'envie de lire Anatole France, c'est vous dire…</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Sinon
toujours dans le Journal de Renard. Le 20 mars 1891 visite de Marcel
Schowb qui reste jusqu'à deux heures du matin : « il m'a semblé
qu'avec ses doigts fins il prenait ma cervelle », et puis ceci : «
C'est mauvais, cette habitude que nous avons de refouler les larmes
quand il faudrait les laisser couler. Des fois, elles remontent sans
que nous sachions pourquoi, et nous nous trompons : nous pleurons à
côté. » Nouvelles acquisitions, deux volumes chez POL : <i>La
traversée de Bondoufle</i> - Jean Rolin, <i>V13</i> - Emmanuel
Carrère.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">7
septembre 2022.- Temps orageux en fin de journée (26°C). Grosse
fatigue (le labeur), inspiration frôlant l'adynamique. Dans le
Figaro (fameux journal de droite), beau papier de Michel Houellebecq
qui constate le besoin de fiction chez l’homme : <i>« La raison
fondamentale de la littérature romanesque c'est que l'homme a en
général un cerveau beaucoup trop compliqué beaucoup trop riche
pour l'existence qu'il est appelé à mener. La fiction, pour lui,
n'est pas seulement un plaisir : c'est un besoin. »</i></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">8
septembre 2022.- Ciel maussade (24°C). La reine est morte.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">9
septembre 2022.- Ciel couvert dans un genre assez été agonisant
(24°C). Labeur. Sieste. Un peu du Journal de Crépu qui dit du bien
et du mal du <i>Journal Inutile</i> du vieux Morand. Du bien parce
que les phrases de Morand sont souvent délicieuses, du mal parce que
Morand est loin d'être délicieux.(Je pense globalement la même
chose.)</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Pour
le reste, la reine est toujours morte.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">10
septembre 2022.- Temps gris et frais, les tiédeurs semblent derrière
nous (22°C). Dans son Journal littéraire, Michel Crépu ne sait pas
quoi lire. Il regarde ses livres, les uns après les autres sans
pouvoir fixer son envie sur l'un des nombreux volumes de sa
bibliothèque. C'est ainsi — l'abondance, un trop grand choix —
engendre parfois une sorte de torpeur de l'envie qui pourrait presque
virer au problématique. Cette torpeur de l'envie — cet infarctus
de l'appétence chez le boulimique de lecture — j'ai bien failli
l'éprouver ce matin au moment de choisir un nouveau volume bien à
même de remplir ma journée. Rassurez-vous mon court vertige face à
l'abondance (ma bibliothèque est bien fournie, il me faudrait plus
d'une vie pour la lire), n'aura duré qu'un court instant puisque
sans tâtonner vraiment mon choix s'est vite orienté vers le nouvel
opus à tendance psychogéographique de l'ami Jean Rolin. J'aime
beaucoup Rolin (cela va commencer à se savoir) et je dois dire qu'à
nouveau il ne me déçoit pas. Dans cette <i>T</i><i>raversée de
Bondoufle</i> (qui est peut une suite circulaire au plus rectiligne
<i>Pont de Bezons</i>), il fait le tour de Paris en cheminent par ses
limites et cette frange incertaine où se frôlent le périurbain et
le pré-campagnard, entre EPHAD et centres équestres, plateformes
logistiques et terrains de golf, décharges sauvages et installations
militaires, petits aérodromes et grands aéroports, camps roms et
zones pavillonnaires. En dehors de la psychogéographie et de ses
côtés littérature Google maps (c'est un compliment), le livre de
Rolin fait aussi un éloge des friches, du déglingué et du
valétudinaire. Il n'oublie pas les paysages (ceux de Van Gogh), les
bestioles (les oiseaux, les chiens et les lapins) et même s'il ne
rencontre finalement que très peu d'êtres humains lors de son
périple il les croise toujours avec un humour et une humanité que
l'on pouvait trouver chez un type comme Henri Calet. En définitive,
bon livre (as usual).</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">11
septembre 2022.- Beau temps plus printanier qu'automnal (24°C)
(Matin) Fini le livre de Jean Rolin qui aura toujours pour lui une
belle propension à traquer le merveilleux là où il se trouve, à
Ormuz, Peleliu, Savannah, Gonnesses, Bondoufle ou Lisses… Devant un
super tanker, sur le front de mer de Dar es Salam, dans les traces de
Flannery O'Connor à Savannah, où ici le long d'un chemin vicinal
longeant Disneyland Paris. Amour de la nature là où elle peut bien
pousser, des bestioles là où elles peuvent bien vivre, des hommes
aussi. Génie de la topographie, des noms de villes, de lieux qui
chantent et sifflent (à ce sujet relire <i>Nom de pays : le nom</i>
de Proust). (Après midi) Conditions lectorales quasi impossibles. À
droite à moins d'un mètre cinquante de mon entité corporelle une
voisine s'escrimant avec un râteau pendant plus de trois heures
consécutives. (Dans quel but sournois ? Arracher trois mauvaises
herbes, une par heure ?) Au-dessus de cette même entité corporelle
(toujours la mienne) de son système auditif de son périlymphe de la
cochlée et de ses cellules sensorielles ciliées, l'enceinte
connectée de ma cow-girl déjà ici largement évoquée émettant
une tintamarresque tracklist pas trop country and western (de la
chanson française un peu glutineuse, fort heureusement pas de Rap.)
Devant tant d'embarras, j'ai donc été contraint d'aborder le <i>V13</i>
d'Emmanuel Carrère avec deux boules Quies que j'ai adroitement
enfilées dans chacune de mes oreilles. C'est un livre dont je me
demande si j'ai bien fait de commencer la lecture tant il semble tout
avoir pour faucher mon potentiel sautillant en plein vol. Carrère
envoyé spécial pour l'Obs raconte par le détail les procès des
trop fameux attentats du 13 novembre 2015 et après une quarantaine
de pages dodelinant entre horreur absolue et humanité bravache
j'éprouve de larges et notables pincements au cœur et à l'estomac,
un goût de cendre me tourne dans la bouche et j'ai déjà versé
trois ou quatre incontestables larmes. J'ai l'air malin avec ma
voisine et son râteau, mes oreilles bouchées et mes yeux rougis. On
est toujours trahi pas sa propre physiologie.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">12
septembre 2022.- Subreptice retour de tiédeur qui serait causé par
les restes d'un ouragan lointain. On parle de plume de chaleur, c'est
très joli (32°C). (Matin) Visite médicale, rien de grave, je vais
survivre. (Après-midi) Conditions lectorales toujours déplorables.
Dans une étonnante inversion polarité cette fois-ci c'est ma
voisine de gauche qui écoutait de la musique sur une enceinte nomade
(du flamenco !) tandis que ma voisine du dessus, la trop fameuse
cow-girl, tentait de faire le plus de bruit possible avec une somme
d'ustensiles assez hétéroclites (perceuse, aspirateur, meubles
déplacés, portes claquées). Néanmoins grâce aux établissements
Quiès je suis toujours plongé dans le <i>V13</i> de Carrère. Très
bon livre, vraiment. Très bon livre parce que Carrère est
diablement informé, très bon livre, car s'il est bien évidemment
du côté des victimes, il tente aussi de comprendre un peu les
coupables. Ses adolescents mal dans leur peau, ces idéalistes et ces
« guignols » qui virent aux fous furieux. Très bon livre
parce que Carrère ne se met pas trop en avant et ne nous assomme pas
avec son égo (ce qui est parfois son défaut).</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Pour
en revenir aux Boules Quiès, il faut savoir que Marcel Proust fut
l'un des premiers utilisateurs de ces petites protections auditives
en cire. Il les mentionne plusieurs fois dans sa correspondance, le 6
septembre 1920 : <i>« ayant mis des boules pour ne pas entendre mes
voisins et essayer de dormir, je n’ai pu les retirer complètement
et cela me fait très mal »</i>, le 9 septembre 1920 : <i>« </i><i>J</i><i>’ai
eu un commencement d’otite par suite du bouchage d’oreilles par
ces boules que je mets pour dormir et qui sont très difficiles à
retirer »</i>, le 18 septembre 1920 : <i>« Mes boules Quiès comme
tu l’avais prévu se sont incomplètement retirées de mes oreilles
».</i></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">13
septembre 2022.- Temps maussade et tiède (32°C). (Matin) Godard est
mort et moi-même je ne mes sens pas très bien. Je l'aimais quand il
marchait sur ses mains, je l'aimais vieux et chevrotant avec
l'assurance du margoulin de haut vol, même dans la connerie suisse
pro chinoise aussi je crois que je l'aimais tout de même un peu. En
fait, je l'aimais depuis mes 15 ou 16 ans, pas loin de quarante ans
où il fut très important, ouvrant portes, fenêtres et écoutilles
pour moi. Truffaut est mort, Chabrol est mort, Rohmer est mort et il
est mort lui aussi et me voilà perdu dans un siècle que je ne
comprends pas, un siècle où l'on ne lève plus les yeux vers le
ciel et les écrans, un siècle où on baisse les yeux vers le
virtuel. Nous ne regarderons bientôt plus que nos pieds.
(Après-midi) La fin de <i>V13</i> est un peu languissante. On sent
que Carrère tire un peu à la ligne, qu'il a fait le tour de son
sujet et qu'il voudrait peut-être se mettre un peu plus en scène
pour faire le compte. Il ne le fait pas et connaissant son égo c'est
tout à son honneur. (Mes courtes réserves ne sont rien, le livre de
Carrère est dans son ensemble épatant. Les dossiers et le factuel,
le récit des attentats, le portrait des divers protagonistes —
parties civiles, avocats, juges, victimes, bourreaux — tout cela
est saisi avec une humanité jamais pelucheuse, une humanité non
dupe.)</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">14
septembre 2022.- Orages (24°C). Lever 5H00, labeur, rien lu, Godard
est toujours mort.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">15
septembre 2022.- Temps à demi orageux (26°C). Labeur, exaspération
globale, incapable de lire plus de trois lignes, tout me tombe des
yeux. Cependant, cette ligne de Cioran aura fait ma journée <i>:
« 29 septembre Enfin je respire : le mauvais temps. »</i></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><br /></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">To
be continued.</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br /></span></p>Philippe Lhttp://www.blogger.com/profile/11161966062544589959noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-6980582.post-83311986852168904562023-03-06T11:46:00.007+00:002023-04-10T12:20:36.736+00:00Psychogeographie indoor (125)<p></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEi1ds48VA3-MFL4EMEkBkLc2HeMscs17llN31KF0UoYmdKp9wg-CFmO3_KovN9EhE7ohfkNd3Ow7aREDMsl58N9giu7FDvwk3IGc2cCnlueULTb3mYGFXpVND3gy933P3AdQjd45oqQWFALK3g28DHWU6e7lK4rXjose2wsKkTKxz_q5n8s6wk/s736/103145005_10158413518262710_925541104300650849_n_Snapseed.jpg" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="555" data-original-width="736" height="482" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEi1ds48VA3-MFL4EMEkBkLc2HeMscs17llN31KF0UoYmdKp9wg-CFmO3_KovN9EhE7ohfkNd3Ow7aREDMsl58N9giu7FDvwk3IGc2cCnlueULTb3mYGFXpVND3gy933P3AdQjd45oqQWFALK3g28DHWU6e7lK4rXjose2wsKkTKxz_q5n8s6wk/w640-h482/103145005_10158413518262710_925541104300650849_n_Snapseed.jpg" width="640" /></a></div><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><br /></div><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><br /></div><p></p><p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;">
<span style="font-size: medium;"><i>« </i><i>Le nez ?… Ma foi, la lecture, après tout,
ce n’est qu’un va-et-vient du nez, qui chemine de gauche à
droite et vole de droite à gauche… L’auteur mène ce nez, qui ne
suit pas toujours... » </i>(Paul Valéry)</span></p><p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">2
août 2022.- La chaleur ne démord pas (33°C). Je dormais, je
flotte, je me réveille à peine. Encore quelques pages du Journal de
Renard. Retenté les <i>Inscriptions</i> de Scutenaire. Quatre pages
auront suffi, je n'aime pas ça, je trouve même ça très mauvais.
Je me trompe certainement. Peut-être une autre fois ? Relu <i>La
Félure</i> de Fitzgerald. Pas le recueil, non simplement le court
texte du même nom. Il est très bien, mais finalement il vaut
surtout quelque chose pour sa fameuse première phrase : « Toute vie est bien entendu un processus de démolition.», qui est
magnifique, il faut le répéter. Fitzgerald aurait pu se contenter
de cette phrase, c'est certainement ce qu'il fait, inconsciemment, ou
pas.</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">3
août 2022.- La température ne descend pas (37°C). Chaleur et
labeur, couple infernal. Humeur légumineuse, je n'y suis pas. Court
retour chez Cioran et Renard. Les Cahiers du premier, le Journal du
second. En l'occurrence, drôle d'écho entre les deux : « <i>Le cri
est ce qui s'accorde le mieux avec ma nature, mais j'ai perdu
l'habitude de crier. Aux antipodes du lyrisme. Mes seules
accointances avec la poésie sont dues à mon désir de pleurer,
pourtant lui-même assez rare et de moins en moins exaltant »
</i>(Cioran) <i>« La honte de pleurer qui donne l'effronterie de
rire. »</i> (Renard).</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">4
août 2022.- La température montera-t-elle jusqu'à l'ébullition ?
(38°C). Trop chaud. Léthargie sur canapé.</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">5
août 2022.- Des nuages, en espérant la pluie (34°C). Humeur
massacrante. Comme par capillarité dans les Cahiers de l'animal
Cioran ceci : <i>« Tout m’ennuie, sauf quand il s’agit de
détruire ce monde . »</i></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">6
août 2022.- Il a plu hier soir, mais la fraîcheur apportée n'aura
pas duré longtemps, la température remonte déjà (31°C). Affres
de l'existence, ce midi je comptais boire un modeste Médoc, un cru
bourgeois millésimé 1996. Je ne sais pas si c'est une bonne année,
en tous les cas le bouchon n'aura pas tenu face au morne agrégat des
ans. Il s'est instantanément décomposé devant les premiers assauts
de mon ouvre-bouteille et j'ai un instant cru frôler le pire,
c'est-à-dire avoir à faire à une piquette acide, une sorte de
vinaigre arrosé de liège. Je ne me suis pas résigné pour autant,
humant d’une narine méfiante le goulot tout juste libéré de son
bouchon déficient je constaté que les arômes qui s'en échappaient
n'étaient pas si désagréable que ça, alors j'ai pris mon courage
à deux mains et décidé de filtrer le contenu de ma vieille
bouteille tout en me disant que de toutes les façons, qui ne tente
rien n'a rien. Bien m'en a pris puisque ce que j'ai tiré de mes
manipulations post viticoles c'est avéré tout à fait comestible et
presque pas bouchonné du tout. Ainsi va la vie… En parlant de vie,
c'est tout autre chose, il faut savoir que celle Marie de Heredia fut
loin d'être bouchonnée. Je crois me souvenir avoir déjà parlé
ici de cette croquignolette, mais je vais tout de même rabâcher ma
petite histoire afin de mieux planter mon tire-bouchon. Marie de
Heredia était l'une des filles du grand poète parnassien José-Maria
de Heredia, un type un peu cubain sur les bords et grand maître du
sonnet, elle était aussi la femme du très monoclé Henri de Regnier
qu'elle épousa à l'insu de son plein gré à l'âge de 20 ans. Ce
dernier était fou d'elle, mais elle le trompait avec un peu tout le
monde : Edmond Jaloux, Jean-Louis Vaudoyer, Émile Henriot — soit
le Club des longues moustaches tout entier —, elle le trompait
aussi avec Jean de Tinan, Henri Bernstein, Gabriele D’ Annunzio et
elle le trompait même avec la très délurée Georgie Raoul-Duval.
On avouera que cela fait beaucoup de monde. Bon elle le trompait
surtout avec Pierre Louÿs, son amant de cœur, un grand ami de la
famille, qui lui donnera un fils, Pierre que bon prince Henri de
Régnier reconnaîtra comme le sien. Tout étant dans tout
aujourd'hui après avoir bu un bon quart de mon vieux Médoc, j'ai
entamé <i>Les Chroniques d'un Patachon</i> un ouvrage non de Marie
de Heredia — qui écrivait sous le pseudonyme de Gérard d'Houville
— mais de Pierre son fameux fils illégitime évoqué plus haut. Ce
Pierre de Régnier qui fera suer son vrai-faux père plus qu’à son
tour et que l'on surnommera Tigre sous les falbalas des années
folles. Le livre compile un choix de Chroniques données à
l'hebdomadaire Gringoire entre 1930 et 1935 et il est très bien
édité par Jean-Cristophe Napias. Les chats ne faisant pas des
chiens Pierre de Régnier était comme ses vrais progéniteurs un
drôle de croquignolet, un noctambule invétéré, un adepte forcené
de tous les alcools imaginables. Dans ses chroniques, qui sont autant
de jolis papiers, il raconte ses soirées et ses nuits, ses réveils
tardifs, sa passion pour le jeu et les courses hippiques. Il
rencontre Josephine Baker, Maurice Chevalier, Édith Piaf, Michel
Simon, Mistinguett, Mayol… Il est le grand ami de Roland Toutain
(l'André Jurieux de <i>L</i><i>a Règle du Jeu</i>). Je n'ai pour
l'instant lu qu'une petite soixante de pages que j'ai trouvées très
cocasses et pleines d'un humour gris-bleu ; un humour de petit
matin. Tout cela me semble très bien et pas bouchonné du tout.</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">7
août 2022.- La chaleur est toujours là, mais elle est un peu
atténuée par un léger vent de nord-est (34°C). Pierre de Régnier
ne parle pas que de ses sorties nocturnes et de sa vie de Patachon.
C'est rassurant, car on évite ainsi une sorte de primo Simon
Liberati avec du vomi séché au coin des lèvres. Non Tigre,
appelons-le ainsi puisque c'est son surnom, excède largement le
noctambule qui écrit, c'est un excellent chroniqueur qui certes
évoque quelques nuits un peu fofolles, mais qui ne se limite pas à
celles-ci. Il écrit aussi bien sur le Music-hall le théâtre ou le
cinéma, il écrit même très bien sur le sport, sur la Coupe Davis
et les Mousquetaires, sur le football ou la boxe. Ses papiers partent
certainement toujours d'un point de vue un peu mondain, mais il le
dépasse bien vite grâce à un style parfaitement léger et un
humour qui n'est jamais du second degré, mais plutôt une
demi-ironie qui laisse passer quelque chose de tendre. Tigre est de
surcroît un très bon portraitiste (Mayol, Mistinguett, Mayol,
Joséphine Baker, Nijinski, Serge Lifar). Pour vous donner une idée
de son style, voilà un court extrait totalement aérien : <i>«
Adolescent surnaturel et asiatique, aux yeux verticaux comme ceux des
chats, dans un visage mongol à la sculpture déjà cubique,
Nijinski, par ses gestes d’une grâce plus gracieuse que celle des
femmes, et par le seul ressort de ses cuisses prodigieuses,
bondissait dans l’espace à des hauteurs incroyables et ne
retombait pas tout de suite ; il restait suspendu en l’air, au gré
plaintif et prolongé du rythme de la valse et se posait quand il
voulait, au ralenti, plus silencieux qu’une balle, à la fois chat
et oiseau ; de temps en temps, par le jeu de ses bonds successifs, il
ne semblait pas s’envoler ainsi que l’indiquaient ses bras qui
s’envolaient lentement, mais il donnait absolument l’impression
de vivre perpétuellement dans les airs, ignorant les lois de la
pesanteur, et de condescendre à toucher terre de temps en temps,
pour avoir l’air de danser. »</i></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">8
août 2022.- La température baisse un peu, tout est donc possible ?
(30°C). Les conditions lectorales n'auront jamais été aussi bonnes
qu'en ce début août. Aucun bruit parasite, des environs immédiats
semblant débarrassés de toute présence humaine. S'il n'y avait pas
cette chaleur persistante qui me m'empêche de me propulser
totalement vers mon petit extérieur — qui est bien torride — ce
pourrait être presque le bonheur. Bon j'ai tout de même trouvé un
minuscule coin d'ombre pour continuer la lecture des Chroniques de
Pierre de Régnier. Elles sont décidément très bien et pleines de
fraîcheur. La fraîcheur qui me manque au moment où j'écris ces
lignes. Tigre fait la nouba, picole au Fouquet’s et au Ciro’s, se
rend à quelques premières qui lui permettent d’admirer Fernandel,
Arletty ou Michel Simon, in vivo. Au Vel’ d'Hiv, ce sont les Six
Jours et Pelissier y fait des siennes. Au Parc des Princes, il
assiste à un match de Rugby opposant la France à l’Allemagne.
C'est la preuve que les Allemands ont un jour joué à ce jeu-là (ce
dont on aurait pu douter à juste raison). Le 6 février 1934, c’est
le fameux soulèvement dont tout le monde se souvient. Notre
bambocheur constate et se tient à l’écart. Il faut toujours se
tenir à l’écart de ce genre de choses.</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Demain,
reprise du labeur, perspective qui m’accable au plus haut point.</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br /></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">9
août 2022.- Chaleur persistante (33°C). Labeur. Une ligne du
Journal de Renard, Rien de plus.</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">10
août 2022.- L'ultra tiédeur est là, posée (34°C). Labeur.
Perclus de vives douleurs diverses et variées, j’effectue une
légère sieste réparatrice puis j’ouvre à la va-vite <i>Le Monde
comme volonté et comme représentation</i> du père Schopenhauer.
Comme tout est toujours dans tout et que le hasard fait bien les
choses, je tombe sur ces quelques mots qui assemblés entre eux
forment des phrases et même une pensée : <i>« toutes nos douleurs
viennent de la perte d'une semblable illusion ; et ainsi nos biens et
nos maux viennent d'une connaissance incomplète ; voilà pourquoi la
douleur et les gémissements sont étrangers au sage, et pourquoi
rien ne saurait ébranler son ataraxie. »</i> C’est bien joli,
mais je suis dubitatif, quelle est donc cette « connaissance
incomplète » dont parle l’ami Arthur ? Et cette « semblable
illusion », hein ? Pour tout vous dire, j’ai l’impression qu’il
fait partie de ces types qui n’ont jamais soulevé un moellon ou
poussé une brouette bien remplie. Quant à l’ataraxie, vaste
programme ! (Le travail physique entraîne de vives douleurs diverses
et variées, vous devriez l’essayer.)</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">11
août 2022.- Soleil patibulaire. La météorologie nationale annonce
une large dégradation orageuse pour ce Week-end, ne serait-il pas
plutôt judicieux de parler d'amélioration orageuse ? (37°C). Cher
lecteur hypothétique. Dans la grande série « j'ai testé »
aujourd'hui j'ai testé « la crise de colique néphrétique ».
Croyez-moi, c'est bien la petite affaire pas follement sympathique
décrite ici où là. Pour tout vous dire, je n'avais jamais éprouvé
une telle douleur physique et je dois avouer que n'étant pas
totalement masochiste je n'ai pas trouvé ça super sautillant du
tout. Bon je ne vais pas vous embêter plus que ça avec mes
histoires de petits tuyaux bouchés. D'ailleurs, je retourne de ce
pas dans la direction de mes WC en espérant pisser mon caillou. Dans
ces conditions je n'ai rien lu.</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">12
août 2022.- La température ne descend pas plus que la pluie ne
tombe et voilà que j'éprouve de curieuses envies des envies de
mousson et d'Antarctique, comme si les deux étaient possibles tout à
la fois (36°C). Du côté de mon propre intérieur, je vais un peu
mieux. À l'aide de quelques pharmacopées, je suis parvenu à pisser
mon caillou. Pour le peu que j'ai pu en entrapercevoir avant qu'il ne
se noie dans les abîmes de mes WC le bougre ressemblait plus à une
pauvre petite mine de critérium qu'aux beaux minéraux célébrés
par Francis Ponge ou Roger Caillois. Ce fut une courte déception,
pas le moindre plouf, aucune possibilité de ricochet, mais je n'ai
plus trop mal. C'est toujours ça.</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Rien
à voir, ou si peu, je dois avouer avoir eu un peu de mal avec les
dernières livraisons de Patrick Modiano, lui reprochant de se
contrefaire lui-même, de pousser sa fameuse petite musique dans les
faibles canyons de la caricature. C'était certainement une erreur,
car en lisant aujourd'hui <i>Memory Lane</i> un très court roman de
notre Nobel bègue préféré datant de 1981, j'y ai retrouvé ce que
je n'ai certainement pas compris dans ses romans récents. Tout était
déjà là, les silhouettes interlopes qui nagent dans la brume
mémorielle, les non-dits et le temps qui fuit, la nostalgie et les
remords. En 1981 Modiano ne se caricaturait pas déjà, il cherchait
déjà sa propre quintessence. Le roman est beau comme une esquisse,
les illustrations de Pierre Le Tan sont magnifiques.</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Patrick
Leigh Fermor n'est pas que le merveilleux auteur du <i>Temps des
offrandes</i> et de <i>La Route interrompue.</i> Par exemple pendant
la Seconde Guerre mondiale, il fut un membre très actif des services
secrets britanniques. Cet après-midi j'ai largement croqué dans son
<i>Enlever un général</i>. Le titre ne trahit pas le propos
puisqu’en l'occurrence Fermor raconte le rapt d'un général
allemand qu'il commit avec quelques maquisards crétois en 1944.
Récit parfaitement enlevé, humour et humanité latente. C'est pour
l'instant vraiment très bien.</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">13
août 2022.- Soleil persistant, beau temps catastrophique (34°C).
Vaseux, fatigué, pas trop inspiré. Mon état physiologique altéré
biaise certainement mon jugement, mais j'ai été un peu déçu par
la bouquin de Fermor. C'est en définitive un vrai tout petit livre
qui s'il s'occupe assez bien de son sujet — raconter l’enlèvement
du général allemand Heinrich Kreipe, commandant des forces
d’occupation de l’île de Crète, et son exfiltration vers
l’Égypte — ne donne pas dans le « surplus littéraire ». C'est
dommage, car Fermor a prouvé par ailleurs qu'il était un écrivain
qui pouvait excéder ses sujets. Ici il y a bien quelques belles
pages sur le panthéisme crétois, sur les rossignols et les cochons
de lait, mais Paddy semble se contenter de sa « grande petite
histoire ». De surcroît, il ne se penche pas vraiment sur les
conséquences un peu tragiques de son acte héroïque (le rapt du
général Kreipe entraînera de terribles représailles envers la
population civile crétoise, et son bénéfice stratégique fut nul
en dehors du symbolique).</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Pour
en revenir au « surplus littéraire », j’enchaîne sans attendre
avec le <i>Bleu de la nuit </i>de Joan Didion. C'est n'est pas
vraiment la suite de l'<i>Année de la pensée magique</i> (voir mes
livraisons précédentes), mais plutôt le même livre qui se
poursuit. Après avoir « fait » avec la mort de son mari John
Gregory Dunne, Joan Didion « fait » avec la mort de sa fille
Quintana. Pudeur, larmes contenues, c'est encore un livre magnifique
et parfaitement incarné par une écriture à l'os des émotions (la
traduction doit être bonne).</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">14
août 2022.- Des nuages, du vent, un orage, de la pluie, enfin
(24°C). L'adoption, la maladie, la vieillesse et la mort. Des blocs
de glace sur l'East River, la couleur des rideaux dans Les unités de
soins palliatifs. Des tueurs californiens, des peurs enfantines, le
temps qui passe et des images et des phrases qui reviennent. <i>Le
Bleu de la nuit </i>n'est pas qu'un bouleversant tombeau élevé à
la mémoire de Quintana Roo Dunne c'est aussi une belle œuvre
littéraire qui déborde de beaucoup le simple témoignage. C'est
même peut-être une grande œuvre littéraire tout court. Un livre
où les mots repris, répétés, ressassés et où les phrases
apparemment disparates forment une sorte de mosaïque qui ne trahit
jamais le flux de la mémoire et de sentiments. En somme un livre où
la forme incarne parfaitement le fond et où le fond et la forme sont
émouvants à l'unisson.</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">15
août 2022.- Les orages derrière nous la température regrimpe,
lentement, sûrement comme une bestiole sournoise (27°C). Lu dans la
journée, <i>Une saison avec Bernard Frank</i> de Martine de Rabaudy
(ex pilier du <i>Masque et la Plume</i>). C'est tout petit,
certainement assez « grande presse », cependant c'est
tout de même très bien. J'y ai appris deux trois choses sur les
affaires intimes du chat Frank qui mon ravi (je connaissais tout le
reste, j'aime beaucoup le chat Frank). Comme tout est dans tout, hier
soir au <i>Masque et la Plume</i>, éloge mérité d'Éric Holder.</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Demain
labeur, sans entrain.</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">16
août 2022.- La chaleur se réinstalle (30°C). Labeur, fatigue. Rien
d'autre.</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">17
août 2022.- Orages (23°C). Je relis les « épreuves » de la
petite affaire que je compte bientôt faire publier. Relire les
autres n'a rien de vraiment dérangeant, mais se relire soi-même
quel exercice pénible ! Se relire soi-même c'est souvent être un
onaniste immodeste qui se retrouve assez vite honteux et le rouge au
front devant une flopée de phrases toutes plus valétudinaires les
unes que les autres. Et ne parlons pas des coquilles pullulantes, des
virgules et points baladeurs, des idées flasques et des mots
penauds… Bref, rien de sautillant.</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">18
août 2022.- Nuages, les fortes tiédeurs semblent derrière nous.
Chose étonnante et preuve que le corps de l'être humain s'habitue
finalement assez doucettement au milieu qui l'entoure, aujourd'hui je
me suis surpris à frissonner plus d'une fois. Je n'irais pas jusqu'à
verser dans une sourde nostalgie des chaleurs et du sudoripare, mais
il faudrait peut-être que les variations climatiques sachent surgir
de façon moins brutale et en tous les cas plus progressive (23°C).
Se relire c'est partir à la pêche avec une modestie maussade et
très peu d'illusions. Cependant, le butin est souvent replet, la
pèche est bonne, la besace pleine de coquilles et de syntaxe
bancale. C'est aussi un exercice de flagellation où, à moins d'être
vaguement masochiste, les satisfactions sont rares. Tout cela pour
vous dire que je me relis encore et que j'avance chichement dans ma
petite entreprise. Se relire soi-même c'est aussi du temps mâché
que l'on n’utilise pas pour lire les autres. Bon malgré cela,
aujourd'hui j'ai tout de même lu d'autres lignes que les miennes.
J'ai picoré dans le Journal de Renard que je <i>r</i><i>eboulotte</i>
à petits coups de bec joyeux. J'ai aussi lu à l'alternat une
soixantaine de pages de l'<i>Equatoria</i> de Patrick Deville. Il me
semble que c'est le deuxième volume <i>d'</i><i>A</i><i>bracadabra</i>,
cet immense projet littéraire que je me suis promis de lire
entièrement. La Deville touch — ce drôle de mélange de grandes
et petites histoires, de roman voyageur penchant dans le sens de Jean
Rolin — est bien là. Dans <i>Equatoria</i> nous sommes en Afrique
et nous nous promenons dans les vieux pas de Stanley, Livingstone et
Brazza. Autant d'explorateurs qui basculent du bon ou du mauvais côté
de l'histoire. Le mauvais pour Stanley, le bon pour Brazza (mais
c'est plus compliqué).</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">(J'écris
ces lignes, un peu pataudes, assis sur l'une de mes chaises de jardin
et dans un vent que je trouve frisquet. Mes bégonias me regardent en
faisant la gueule, je pense qu'elles aussi n'ont pas bien supporté
le brusque changement de température.)</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">19
août 2022.- Nuages espacés, vent léger et température
raisonnable, enfin un temps de juste mesure (26°C). Souffrotant, nez
qui pique et céphalées, le Covid encore ? Il faut savoir ne pas
trop se relire, car au bout d'un moment on ne se supporte plus
soi-même. C'est ce que je me suis dit en relisant une flopée de
phrases écrites il y a plus de dix ans. Pour tout vous dire elles
mon tellement courroucé, ces phrases avec leur petit ton sentencieux
et leur syntaxe bancale, que j'ai même eu la tentation de les
réécrire en partie ou complètement. Je ne l'ai pas fait, car si
l'on ne supporte plus ce que l'on fut jadis, il faut certainement
savoir ne pas se trahir non plus. (Réécrire les phrases d'un
Journal, sombre perspective. Imagine-t-on Kafka, Renard ou le
survivant des Goncourt, réécrivant les pages de leur petite affaire
intime ?) Puisqu'il est question d'écriture et de lecture dans son
<i>Equatoria</i> — qui est très bien — Patrick Deville rappelle
comment des rodomonts aussi différents que Malraux, Hugo ou
Hemingway auront émis l'idée que la lecture et l'écriture
pouvaient un peu à voir avec la vie des hommes et la grande marche
du monde. Vieille idée qui conduira beaucoup d'intellectuels à
s'échouer sur les rivages du pire. Ainsi l'Afrique post coloniale
comptera elle pléthore d'écrivains et poètes qui vireront au
ministre corrompu, au président ubuesque ou au dictateur
possiblement sanguinaire.</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Conclusion,
il ne faut pas trop se relire et encore moins vouloir changer le
monde.</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">21
août 2022.- Temps nuageux et presque frais, ce qui après les deux
mois torrides que nous venons de subir confine à l'exotisme (24°C).
Le livre de Deville n'est pas qu'un formidable patchwork cousu avec
des petits bouts d'exploration et de colonisation de l'Afrique c'est
aussi l'histoire d'un corps celui de Pierre Savorgnan de Brazza. Un
corps vivant qui se déplace de Rome à Paris, des rives du fleuve
Ogooué au pays Téké, de l’Afrique-Équatoriale française à la
casbah d'Alger… Un corps mort que l'on déterre trois fois pour le
trimbaler un peu partout et qui finit dans un mausolée de
Brazzaville (la bien nommée).</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">En
1901 dans la revue l'Ermitage André Gide admire Jules Renard sans
condition : <i>« Je ne crois pas avoir encore eu l'occasion de dire
combien j'admire Jules Renard. Je l'admire comme s'il était mort,
tant je suis étonné qu'on écrive si bien aujourd’hui. Je le
relis comme un classique… »</i> En 1926 ce n’est plus la même
musique, Renard est vraiment mort et Gide dans son Journal peut lui
reprocher de sacrifier aux démons de l’analogie : <i>« Il n’y a
pas pire ennemi de la pensée que l’analogie : Un pré rasé de
frais. Quoi de plus fatigant que cette manie de certains
littérateurs, qui ne peuvent voir un objet sans penser aussitôt à
un autre. » </i>Comme Renard est tout de même le plus roux et le
plus malin des deux, il n’a même pas besoin d’être vivant pour
lui répondre et se venger par anticipation. À la date du 12 août
1890 dans son Journal à lui qui est tout de même légèrement plus
sautillant que celui de l'imberbe Gide on peut lire ceci : <i>«
Peut-être Mérimée est-il l’écrivain qui restera le plus
longtemps. En effet, il se sert moins que tout autre de l’image,
cette cause de vieillesse de style. La postérité appartiendra aux
écrivains secs, aux constipés. »</i> (Évidemment, vous allez me
dire que Renard était lui-même un adepte du « style blanc » et
vous aurez certainement raison de me le dire. Cependant, je pense
qu’il visait davantage la concision que la constipation).</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">22
août 2022.- Ciel changeant, vent léger (24°C). Me relisant en tout
bien tout honneur je constate que jadis ma misanthropie me rendait
presque mélancolique tout en donnant à mes phrases des atours
spleenétiques et tristounets. Aujourd'hui, ma misanthropie est
certes toujours un peu présente, mais je pense qu'elle me rend pour
ainsi dire jovial et laisse en tous les cas transpirer un petit ton
capricant dans mes phrases. C'est certainement un progrès.</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Les
températures extérieures enfin raisonnables la lecture en plein air
redevient enfin possible. Je ne vais pas m'en plaindre. De surcroît
le voisinage éloigné dans de lointaines villégiatures je pourrais
presque dire que ce matin et cet après-midi les conditions
lectorales frôlaient quelque chose de l'optimal. J'ai pu finir
l'<i>Equatoria</i> de Deville sur ma chaise de jardin, un peu à
l'ombre, et dans une légère brise offrant une climatisation toute
naturelle. <i>Equatoria</i> voilà un livre qui porte bien son nom
puisqu'on y traverse l'Afrique équatoriale d'ouest en est, de l'île
de São Tomé à celle de Zanzibar, tout en passant par les deux
Congo(s), le vieux Tanganyika et tout un tas de territoires plus
exotiques les uns que les autres. Beau voyage au demeurant, beau
livre où l'on retrouve toutes les qualités de Patrick Deville. Sa
façon de coudre entre eux une petite flopée de destins individuels
pour mieux raccommoder l'Histoire. Ses airs voyageurs, son humour
aussi, l'humour d'un type qui voit très bien la grande marche du
Monde, mais qui ne la laisse pas tomber sur ses pieds. (Hier je
parlais de Brazza et de l'histoire de son corps. Dans <i>Equatoria</i>
il est aussi question du corps du Ché. Un corps que le Ché lui-même
avait su grimer lors de ses nombreuses cavales. Un corps qui finira
comme un sac d'os trimballé sur les patins d'un hélicoptère de
l'armée bolivienne, un corps qui sera photographié sous toutes les
coutures dans une indécence pré mondialisée.)</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Rien
à voir, ou si peu, après l'Afrique et les grands espaces de
Deville. Je suis enfermé dans la chambre de Marcel Proust puisque je
lis <i>Notre cher Marcel est mort ce soir </i>d'Henri Raczymow. C'est
un texte mi-court, une centaine de pages, qui raconte les derniers
jours du fameux reclus asthmatique. Bouillottes, fumigations, boules
Quiès, morphine, envalpine, aspirine, spartéine, opium, pointes
d'asperges et bouteilles d'Evian, les cocktails du père Proust
devaient êtres assez durs à ingurgiter. Quant à son humeur, n'en
parlons pas ! Pauvre Celeste ! (Pour rester entre parenthèses, le
livre de Raczymow raconte aussi l’histoire d'un corps.)</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">23
août 2022.- La chaleur repointe le bout de son groin suintant. Nous
n'en sortirons décidément pas (30°C). Maussade avec des raisons
pour l'être. Je me relis toujours et c'est un exercice quasiment
insupportable. Je ne peux plus me voir en écrit — et presque en
peinture —. Néanmoins malgré mon peu d'entrain j'ai tout de même
fini le petit livre d'Henri Raczymow qui s'est révélé, à défaut
d'être alpestre, pas si mal que ça. On y apprend deux trois choses
sur l'animal Proust (les bières frappées du Ritz) et la fin est
vraiment émouvante avec cette barbe qui pousse, ces fumigations qui
flottent, cette sonnette qui tinte Céleste Albaret et cette volonté
fatale de ne pas se faire soigner.</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">(En
parlant de relecture dans son livre, Raczymow décrit un Proust très
emmouscaillé par sa relecture des épreuves de Guermantes. N'en
pouvant plus de traquer bourdes et erreurs lui-même la NRF décide
de lui adjoindre un jeune relecteur d'obédience dadaïste, un
certain André Breton. Ce freluquet à beau être recommandé par
Gaston Gallimard, il n'en laissera pas moins passer un nombre
appréciable de coquilles. Un accent circonflexe sur Sodome, un
Bergson à la place de Bergotte ! Tout cela exaspère Proust au plus
haut point.)</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Fini
la journée en relisant <i>Une plaisanterie</i>, pas celle de
Kundera, mais celle de Tcheckhov. Cinq pages qui résument
parfaitement tout l'art du natif de Taganrog. Délicatesse, ironies,
pincement doux-amer, c'est une merveille (et certainement ce que
j'aurai lu de mieux aujourd'hui).</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Ah,
oui j'oubliais, ce matin j'ai aussi refait un tour dans le Journal de
Jules Renard. Ces deux trois petites choses autour de Remy de
Gourmont me semblent parfaites : <i>« On a la sensation, en lisant
Sixtine, de tremper le bout de ses doigts dans du velours où il y
aurait des épingles. Le velours, il s'étale. Les épingles, elles
piquent. »</i></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-variant-east-asian: normal; font-variant-numeric: normal;"><span style="font-size: medium;">To
be continued.</span></span></p><p>
<span style="font-size: medium;"> </span></p>Philippe Lhttp://www.blogger.com/profile/11161966062544589959noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-6980582.post-89507711129429827452023-01-23T11:34:00.005+00:002023-01-24T21:19:22.899+00:00Psychogeographie indoor (124)<p> </p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhFNxwTKp8IDno5ajpnPHkPQ8jfOFgUt5sNtJYdtcrB0_nNJS4AuN4NJCESjs5wwPK3XUVEVPLVgTl1Y1LMbVwH_RBpmKvb-21tVy_LxqSdY1HGByZmmOyyhWACXtMPDJrqy7kM_M-E0r5thizXpmgu6a4LzWxXgb7-2s9tVzOOTbcm7Lgcu_k/s1526/Les-rues-de-ma-vie.jpg" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="1526" data-original-width="1372" height="400" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhFNxwTKp8IDno5ajpnPHkPQ8jfOFgUt5sNtJYdtcrB0_nNJS4AuN4NJCESjs5wwPK3XUVEVPLVgTl1Y1LMbVwH_RBpmKvb-21tVy_LxqSdY1HGByZmmOyyhWACXtMPDJrqy7kM_M-E0r5thizXpmgu6a4LzWxXgb7-2s9tVzOOTbcm7Lgcu_k/w360-h400/Les-rues-de-ma-vie.jpg" width="360" /></a></div><br /><p></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;">
<span style="font-size: medium;"><i>« Un journal (Tagebuch) empêche peut-être de travailler ;
en revanche il rend service, il remplace utilement un ami. C’est
déjà quelque chose que de pouvoir se passer de confident »
</i>(Emil Cioran - Cahiers)</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">30
juin 2022.- Orages conséquents (28°C->15°C). Je ne suis plus
cinéphile depuis longtemps. L'ai-je été un jour ? Oui certainement
pendant quelques années où jeune et encore vibrionnant jamais me
perdre dans quelques salles obscures avec les frissons et le
contentement un peu idiot de celui qui sait. Aujourd'hui je ne sais
plus, je ne cherche même plus à savoir, je n'ai plus mis les pieds
dans un cinéma depuis plus de vingt-cinq ans. Je ne regarde pas plus
deux ou trois films par ans à la télévision. J'ai quitté le
cinéma comme un amoureux déçu quitte un être qu'il aura beaucoup
aimé. Déçu par son sérieux papale, par sa volonté d'être cet
art qui se targue d'être global, alors que pour le pire il n'est
plus qu'un vague succédané du roman et pour le meilleur un
spectacle de foire tout juste amélioré. Déçu parce que les gens
qui aiment les films, les supposés nouveaux cinéphiles, les aiment
de plus en plus pour leur capacité à être conforme avec l'esprit
du temps. Déçu parce que la sociologie et les balises morales ont
remplacé ce qui faisait tout le prix d'un art où la façon dont on
montrait les choses comptait bien plus que les choses elles même…
Bref, je ne suis plus cinéphile, mais l'histoire de la cinéphilie
m'intéresse comme peut m'intéresser l'histoire de tous les
mouvements culturels du 20e siècle. Ainsi bien après mon divorce
cinéphilique j'ai lu la formidable <i>Histoire des Cahiers du Cinéma</i>
écrite par Antoine de Baecque, j'ai aussi lu ses biographies de
Jean-Luc Godard, François Truffaut et Éric Rohmer. Sur la
cinéphilie des années 50 ou la Nouvelle vague ces livres me
paraissent tout à fait éclairants. Tout y était abordé avec moult
détails, mais peut-être pas assez concernant cette branche
théorique un peu raide que fut le macmahonisme. Comme tout se tient
par la barbiche en ce bas monde, ce matin dans ma boite aux lettres
il y avait l'<i>Histoire du Mac-Mahonisme </i>écrite par Christophe
Fouchet. Je ne cacherai pas un certain copinage, Christophe Fouchet
est un ami virtuel et néanmoins impalpable depuis plus de vingt ans,
reste que son livre me semble tout à fait passionnant. J'ai déjà
boulotté une centaine de pages et je n'ai rien à redire… C'est
précis clair et didactique, parfaitement documenté et laissant la
parole aux protagonistes (belle préface de Michel Mourlet), tout en
étayant quelques amorces théoriques qui n'assomment pas le lecteur.
Bref, on pourrait presque aimer le cinéma à nouveau après avoir lu
tout ça.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">2
juillet 2022.- Ciel dégagé, température raisonnable (26°C).
Évidemment, lorsque l'on parle du macmahonisme est assez vite en
terrain glissant. C'est un mouvement — peut-on parler de mouvement
? — disons plutôt une branche où bourgeonne une cinéphilie
censément un peu droitière. L'ami Fouchet ne cache rien, mais il ne
juge jamais, et même si c'est une certaine tendance, disons une
certaine couleur pas forcement très à gauche qui est bien là, elle
se contente de n'être politique que dans ses points de vues
esthétiques et jamais vraiment ailleurs (l'ailleurs viendra
peut-être plus tard chez un type comme Michel Marmin). Donc pas
d'ailleurs idéologique, mais un rappel détaillé des textes, des
tendances qui auront fait du macmahonisme une partie très influente
de la cinéphilie. Le livre s'achève sûr du plus récent, l'ami
Fouchet dégage certaines filiations et parle très bien du
<i>Dictionnaire du Cinéma</i> de Jacques Lourcelles (ouvrage
conséquent s'il en est), des merveilleux papiers écrits dans
Libé(ration) par Louis Skorecki (et de son très bel article écrit
conte la nouvelle cinéphilie et paru les Cahiers du Cinéma en
1978). Il y a de grandes figures en premier plan (Michel Mourlet,
Pierre Rissient, Jacques Lourcelles…) d’autres plus discrètes en
second plan (Bertrand Tavernier, Alfred Eibel…) Il y a aussi un peu
d’émotion parce que beaucoup de ces gens ne sont plus là… Au
risque de me répéter, c'est net, précis et écrit sans esbroufe.
Je recommande chaudement cette lecture.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">3
juillet 2022.- Ciel se couvrant tardivement (31°C). Je lis <i>Mon
siècle </i>de Bernard Frank. C'est un replet spicilège de
chroniques données entre 1952 et 1960. On retrouve le fameux et
historique papier <i>Grognards et hussards,</i> deux trois choses
sur Benjamin Constant, un joli dézingage de Maurice Sachs, un
presque éloge de Drieu la Rochelle. On passe de l'Observateur aux
Temps modernes, d'Arts aux Cahiers des Saisons (ce sont des revues,
je précise pour les béotiens). Il est beaucoup question de la
rivalité Sartre/Camus et de l'actualité littéraire mid early
fifties. Forcement l'obsolète rôde et domine, mais on s'en fiche
tout à fait, car Frank est déjà ce gros matou patelin et gourmand,
(ce qui ne l'empêche pas d'être perspicace).</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">4
juillet 2022.- Ciel se dégageant au fil de la journée (26°C).
Still in Frank’s papers. Marcel Aymé is not extolled, Nimier not
really either… Je fais mes valises, demain départ pour Chamonix et
ses grandes montagnes.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">12
juillet 2022.- Amorce caniculaire (31°C). Retour de Chamonix où je
n’avais pas reposé les pieds depuis 1982 ou 1983. En quarante ans,
oui quarante ans, le flux touristique semble avoir enflé
proportionnellement à la fonte des glaciers. Celui des Bossons n’est
plus en bord de route, celui d’Argentière n’est plus que le
vague résultat d’une suite de chutes de séracs terreux quant à
la langue de la Mer de Glace, elle ne ne lèche plus grand-chose,
Beaucoup de changements donc, mais les montagnes sont toujours là
avec leur petit air immuable. Comme je suis encore doucement sportif
et pas encore réellement grabataire, je suis remonté dessus avec
une appétence confusément nostalgique pour y effectuer quelques
menues randonnées (j’ai triché un peu en usant de divers
télésièges, télécabines et autres téléphériques bien à même
d’aplatir les dénivelés proposés). La vue sur le Massif du
Mont-Blanc en haut du Brévent est splendide, à Vallorcine une
quiétude tout à fait helvétique est encore de mise (magnifique Col
des Posettes). Le petit train rouge chemine toujours en fond de
vallée, pour un peu on en oublierait le réchauffement climatique.
Mes valises défaites entamé <i>Nos vies en flammes</i> de David
Joy. Crise des opioïdes, misère des Appalaches, origines du
trumpisme. On m’a dit beaucoup de bien de ce livre-là. Pour
l’instant je suis assez déçu, ça ne décolle pas vraiment
au-dessus du polar de base.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">13
juillet 2022.- Grosse chaleur (33°C). Seringues dans les bras, les
cuisses, la gorge, mobile homes décatis, overdoses au petit matin,
David Joy est assez sinistre, cependant il y a quelque chose chez
lui, un regard empathique qui pourrait excéder le simple cadre du
roman policier. C'est peut-être ce que certains ont vu dans <i>Nos
vies en flammes</i> (notamment Philippe Garnier dans Libé(ration)).
Plus germanopratin je suis aussi dans le<i> Siècle</i> de Bernard
Frank. Ses premiers et longs papiers pour les Temps modernes sont
très bien. Par ailleurs dans le domaine du sport télévisé, étape
du Tour de France homérique .</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">14
juillet 2022.- Journée torride (36°C). La chaleur est telle que ce
soir je n'irais pas au bal. Poursuivi le polar de David Joy, sans
vrai entrain mais avec distraction.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">15
juillet 2022.- Ciel bleu blanc gris, chaleur patibulaire (33°C).
Transcender le social pour le faire passer du côté du roman c'est
certainement le but de David Joy. Malheureusement dans <i>Nos vies en
flammes</i> cela ne fonctionne pas vraiment, rien ne décolle et même
si le social, la vie des poor white trash mans, forme bien un
terreau, il n'y a pas d'incarnation par un style, une écriture qui
pourrait être autre chose qu'un véhicule concédant à l'efficacité
de l'intrigue. Joy ne semble rien faire de la palette de couleurs
qu'il s'était mise à disposition lui-même, il se contente d'une
peinture naturaliste un peu faiblarde, d'une teinte sociale un peu
concernée au milieu d'une histoire où il n'y a
guère de dépassement par l'écriture. Loin des white trash et de la
crise des opioïdes, Pascal Pia grande ombre tutélaire s'il en est.
Demain je commencerai la lecture du petit livre que Roger Grenier lui
a consacré <span style="font-variant: normal;"><span style="font-style: normal;">(</span></span><i>Pascal
Pia, ou, Le droit au néant</i>). J'aime beaucoup Roger Grenier,
j'imagine un joli tombeau (Pia était son ami).
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">16
juillet 2022.- Chaleur raisonnable (30°C). Drôle de croquignolet
que Pascal Pia. À 15 ans il rencontre Pierre Louÿs et Apollinaire,
fricote avec le non moins croquignolet Fernand Fleuret, traficote un
peu de coco, croise Artaud et publie deux trois poèmes qu’il renie
aussitôt. Quelques années plus tard il est le grand ami du
margoulin Malraux (le primo Malraux était très margoulin), et comme
par capillarité il devient lui aussi un peu margoulin. Le voilà
spécialiste de l’ombreux et du licencieux. Il déterre une flopée
de textes plus cochons les uns que les autres, devient un grand
érudit de la chose. À l’alternat c’est aussi un faussaire
capable de tout et même du meilleur dans le pire. Il invente des
inédits de Rimbaud, découvre un facteur rural qui se nomme Paul
Valéry et lui fait écrire une petite cargaison de poèmes qu’il
édite en tirage de luxe, ce qui selon les uns, provoque la fureur du
vrai Valéry et, selon les autres, le fait bien rire. Sa réputation
enfle un peu, mais il n’en fait rien préférant rester dans
l’ombre. On le retrouve en Algérie où il fait rencontre d'un certain Camus
qui sera très important pour lui. La guerre puis l’occupation bien
plantée il devient résistant (l’ombre toujours), puis gaulliste
pur et dur avant de ne plus se laisser embobiner par les sornettes
des divers engagements. Il est le rédacteur en chef de Combat
passant 20 heures sur 24 au marbre, puis feuilletoniste littéraire
et alimentaire pour l’hebdomadaire Carrefour. Il refuse d’écrire
plus qu’il ne le faut et en bon nihiliste il meurt en réclamant
que l’on brûle tous ses écrits et que l’on oublie même son
passage sur terre. Voilà ce dont parle <i>Pascal Pia, ou, Le droit
au néant.</i> Un beau livre d’ami qui ne respecte pas les
consignes, un tombeau qui trahit et qui rend hommage à celui qu’il
trahit. Roger Grenier est le Max Brod de Pascal Pia.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">17
juillet 2022.- Tiédeur mais pas cette canicule terrible que l'on nous
annonçait depuis une semaine, il y a de l'air (30°C). Encouragé
par quelques inconscients j'ai décidé de rassembler mes
<i>Psychogéographies Indoor</i> en volume. Outre le fait que ma
modestie en prend un sacré coup, le projet est assurément fou,
anapurnesque, himalayesque, que dis-je ! c'est un Nix Olympica ! Il
me faut trier, compiler, relire, corriger, éditer plus de mille
pages assez badines et foutraques, dix ans de diary plus ou moins
sautillant avec des moments un peu gênants et d'autres un peu plus
conséquents (certainement à l'insu de mon plein gré). Constat en
dix ans entre mes premiers épanchements et mes plus récents
épanchements j'ai beaucoup évolué. Disons que je ne pense plus
vraiment et que ce sont mes phrases qui pensent toutes seules. Disons
que j'ai découvert le secret d'une certaine fainéantise. En parlant
de fainéantise — de fausse fainéantise —, je suis toujours un
peu plongé dans le Siècle de Bernard Frank. Rondeurs vachardes et
madrées, excommunication de Robbe-Grillet — qui le mérite tout de
même — bel éloge en creux de Sagan, sans donner l'impression de
copiner tout en faisant le moindre effort. Toute une époque aussi,
la fin des années 50. La domination des intellectuels de gauche,
Sartre, Camus, les hussards… Le temps des revues et de la grande
presse : Les Temps modernes, La NRF, la Parisienne…</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">18
juillet 2022.- Oui elle est là, la canicule (37°C). La perspective
de reprendre le labeur demain après trois semaines d'heureuse
non-activité me rend bien maussade. Si à cela j'ajoute le brouhaha
du voisinage et la chaleur qui enfle pour un peu je ne sautillerais
plus du tout. Malgré tout cela lu quelques papiers de Bernard Frank.
Il donne toujours l'impression d'être en rondeur, mais lorsqu'il
s'attaque à Camus ou Anatole France, c'est un vrai champ de
bataille. Camus et un gros rouge courant, un dix ou onze degrés,
Anatole France est mou, gélatineux, plat, sans vertèbres, sans
carcasse.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">19
juillet 2022.- Vraie chaleur (38°C). Reprise du labeur. Cuit
bouilli, rien lu.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">21
juillet 2022.- Tiédeur persistante malgré un vent du Nord léger
(33°C). Toujours avec Bernard Frank et son Siècle. Exécution de
Henri Guillemin, cet admirable historien affamé qui surgit des bois
(Frank est drôle, mais un peu injuste, Guillemin est souvent très
bien), descente en règle de Maurice Druon ce type bouffi de vanité
qui n'est pas un écrivain, mais qui fait seulement partie du paysage
littéraire. Évidemment, tout cela est un peu violent, les joutes
intellectuelles des années 50 avaient de l'allure. Aujourd'hui tout
se passe sur les plateaux des chaînes d'informations en continu ou
dans le marigot des réseaux sociaux, la violence est peut-être
pire, mais elle ne porte pas, elle est insignifiante.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Sinon
pour le reste belle étape du Tour de France pleine de fair-play. Le
cyclisme est peut-être le dernier sport encore un peu chevaleresque.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">22
juillet 2022.- Ciel couvert, pluie imminente (35°C). Je ne travaille
plus que trois jours par semaine. C'est encore trop. Les douleurs
diverses et avariées me saisissent toujours avec leurs grandes
pattes frémissantes. Ne plus travailler du tout serait certainement
la solution pour m'éloigner de ces pincements saumâtres, mais c'est
une solution problématique, car il me faut bien manger. En attendant
de trouver une solution plus conforme à mes aspirations, je suis
écroulé sur mon canapé, regardant le plafond avec le regard vide
d'un Ubu hébété. Dans ces conditions, rien lu, ou presque. Ah si !
Une petite chose de Dominique Noguez : <i>Pensées bleues</i>. 48
aphorismes tranquilles avec de belles illustrations de Pierre Le-Tan.
Noguez et Le-Tan sont partis trop tôt, c'est dommage ils avaient du
talent: « Le glaçon tinte dans le verre comme un grelot de cristal
au cou du whisky ».</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">23
juillet 2022.- Deux orages hier soir, la température redevient plus
raisonnable, pour un peu on sautillerait comme un rajasthanais
(28°C). Déjeuné copieux, trop mangé, trop bu. Une large sieste
dans les courants d'air — petit goût de moucharabieh —, tiède
torpeur, rêves exotiques. À mon réveil, pour rester ton sur ton,
retour dans les papiers du chat Frank. Il donne toujours l'impression
de se réveiller, de s'étirer, d'en faire le minium tout en gardant
pour lui une tranquille marge de sécurité face aux divers sujets
dont il parle… Fausse impression, évidemment. L'art de Frank,
grand maître de la chronique, est immense, c'est un art du
ronronnement, de la fausse digression, de l'érudition gourmande et
matoise. C'est aussi un art de la griffure. Frank, comme tous les
félins, est un faux lymphatique. Je ne connaissais pas ses critiques
cinématographiques données à l'Express en 1959. Une dizaine de
notules qui visent en plein cœur de la cible tout en faisant
semblant de viser ailleurs. Elles sont rassemblées dans <i>Mon
Siècle</i> et elles sont très amusantes. Notre chat ne rivalise pas
avec ses savants confrères des Cahiers du Cinéma, mais il est
certainement plus intuitif. Célébration de <i>Certains l'aiment
chaud,</i> coup de griffe sur la joue gauche du cinéma américain
engagé (<i>Le Monde, la chair, et le Diable)</i>, belles
circonvolutions matoises autour de Bergman qu'il donne l'impression
d'aimer (ce n'est pas tout à fait certain), doutes devant la
critique cinématographique qui ne fait rien d'autre que d'imiter la
méthode qu’employait Diderot dans ses salons : <i>« Il y a une
naïveté en face du cinéma qui s’est perdu à force de
bavardages. Il serait nécessaire de réapprendre à “voir dans le
noir”, et pour que vous n’ayez pas l’impression d’avoir gâché
votre temps, pour que vous ne sortiez pas du Studio Publicis les
mains vides, je vais vous donner un tuyau : regardez l’actrice
Ingrid Thulin. Bergman est un prodigieux “animalier” de femmes. »</i>
Par ailleurs — allez savoir pourquoi ? —, j'ai pris la drôle
d'idée de relire le Journal de Renard que j'avais lu il y a une
dizaine d'années. L'entreprise est périlleuse, je verrais bien si
nous avons changé, lui et moi.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">24
juillet 2022.- Tiédeur lassante (35°C). Je relis le Journal de
Jules Renard tout en finissant le <i>Siècle</i> de Bernard Frank et
comme tout est dans tout en ce bas monde, par une étrange
capillarité, le second parle très bien du premier. De sa façon de
concasser la réalité « en phrases sèches qui étaient de noirs
cercueils ». De ces évènements dérisoires, de ces dialogues
rapportés, de ces traits d’esprit et de réflexions sur l’humanité
qui ne sont que les réflexions d’un homme qui haïssait son époque
« qui était fait pour une autre vie », mais qui supportait tout ça
avec dignité tout en gardant les mâchoires serrées : <i>« Après
chaque ligne de son Journal, on se dit que Renard va s’arrêter de
respirer. Ce n’était pas une impression : il mourut à
quarante-six ans presque au milieu d’une phrase. »</i></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">25
juillet 2022.- Cette chaleur qui ne tombe pas est décidément trop
prégnante pour être honnête (35°C). Acquis trois courts opuscules
de Pierre Le-Tan. <i>Quelques collectionneurs, Paris de ma jeunesse
e</i>t <i>Memory Lane </i>(avec Patrick Modiano). Pour simplifier les
choses, j'ai commencé par lire le premier. C'est tout petit, c'est
très bien, un peu snob, plein de curiosité affectée, jet-set et
Germanopratin, mais on s'en fiche. Le-Tan — qui est parti trop tôt,
je le répète — parle de quelques collectionneurs, qu'il aura
rencontrés ici et là. Des types un peu étranges capables d'amasser
une somme de choses pour le moins disparates. Des poupées, des
papiers froissés, des têtes humaines qui se révèlent être le
modelage en cire de criminels morts sur lesquels on a greffé leurs
propres cheveux, une boîte à mégots bricolée par Picasso, des
tableaux de petits maîtres, des choses et d'autres… Le-Tan était
lui-même un grand collectionneur, il aura beaucoup acheté et aussi
beaucoup vendu. Dans son petit livre, il parle aussi de sa collection
et constate que finalement ce n'est pas tant le fait de posséder un
objet qui est important, mais plutôt le fait de le trouver. Il
aimait les ventes de collections, les ensembles ayant appartenu à
une personne. Quand il vendait quelques pièces par nécessité —
il faut bien manger — il le faisait sans regret. Bref, il était
bien plus dénicheur qu'empileur (même s'il empilait tout de même
beaucoup).</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">N.B.
Le petit monde de Le-Tan ressemble à une nouvelle de Borges où des
personnages de Proust évolueraient dans une brume modianesque. Il y
a de ça.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">À
l’alternat, ma relecture du Journal de Renard se passe très bien.
Pour preuve lors de ma première visite, j’étais passé à côté
de ceci : <i>« Le plus artiste ne sera pas de s'atteler à quelque
gros œuvre, comme la fabrication d'un roman, par exemple où
l'esprit tout entier devra se plier aux exigences d'un sujet
absorbant qu'il s'est imposé ; mais le plus artiste sera d'écrire,
par petits bonds, sur cent sujets qui surgiront à l'improviste,
d'émietter pour ainsi dire sa pensée. De la sorte, rien n'est
forcé. Tout a le charme du non voulu, du naturel. On ne provoque pas
: on attend. »</i></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">26
juillet 2022.- Un peu de vent, un peu d'air, les températures
baissent enfin (28°C). Réorganisé ma bibliothèque. Rajouté trois
planches. J'ai ainsi pu de ranger une cinquante de volumes qui
végétaient empilés. Mine de rien, tout ça, c'est du boulot.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Poursuivi
ma relecture du Journal de Renard. Enfin fini le deuxième Tome des
<i>Papiers collés</i> de Perros. Magnifique, mais un brin déprimant.
Perros n'est pas tout le temps un joyeux drille. Cependant, il écrit
des choses comme celle-ci : <i>« La mauvaise littérature : vous
allez dans un hôpital. Vous vous apercevrez qu'il manque des lits,
des infirmières, que les malades sont mal traités, etc. Au lieu de
vous scandaliser sur place, d'aller voir le maire, d'ameuter les
journaux, etc., vous écrivez un texte que vous envoyez ) votre
éditeur. Texte qui risque de vous rendre célèbre pour votre
“humanité”.</i></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><i><span style="font-size: medium;">La
bonne : être malade. »</span></i></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">27
juillet 2022.- Température enfin raisonnable (27°C). Lever 5h00.
Labeur, épuisé, deux pages du Journal de Jules Renard. Pas plus.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">28
juillet 2022.- La tiédeur enfle à nouveau (32°C). Labeur. Guère
d'entrain. Renard, encore. Travaillé ma psychogeographie en
intérieur, fais la vaisselle, arrosé mes plantes. Rien d'autre.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">29
juillet 2022.- Quelques nuages en approche, la pluie est espérée
(28°C). Court retour dans les Cahiers de Cioran. Les lignes qui
suivent auront <i>fait</i> ma journée : « <i>L’homme qui me
déprime le plus, c’est le satisfait de soi. Je n’entre pas dans
ses raisons, sa réussite ne m’en paraît pas une, la vanité qu’il
en tire me semble ridicule ou démente, même si elle est considérée
comme légitime par tous. C’est que pour moi toute réussite
extérieure est pire qu’un échec, et je prends en pitié quiconque
s’élève selon le monde ».</i> Nouvelles acquisitions : <i>Ferveur
de Borges</i> – Jacques Réda, <i>Mes inscriptions (1945-1963)</i>
– Louis Scutenaire, <i>Un autre Monde</i> – Michka Assayas,
<i>L’ambition de Vermeer</i> – Daniel Arasse.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">31
juillet 2022.- Toujours cette chaleur patibulaire (33°C). Retour
d'un long week-end semi-montagnard et tout à fait champêtre. Vu
beaucoup de vaches, rien lu, trop bu.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">1er
août 2022.- La température monte, toujours, encore (35°C). Voilà
août que je n'aime pas, que je n'ai jamais aimé et que je n'aimerai
jamais. Un peu morose, sans grande envie, assez légumineux.
Nonobstant lu <i>Un autre monde</i> de Michka Assayas. Petit livre
qui en vaut de supposés biens plus grands. Peut-être le meilleur de
son auteur. Assayas se souvient de ses jeunes années, de sa
découverte de la musique, de son amour pour certains groupes plus
prog rock que moins, de l'irruption du punk qui pour lui aura tout de
l'expérience intime, de ses débuts de journaliste où il défendra
une petite palanquée de groupes gris regardés de biais par la doxa
journalistique… Il se souvient de tout ça puis il raconte comment
il a reconstruit des liens de plus en plus distendus avec son fils en
faisant de la musique avec lui. Assayas est un piètre musicien, un
bassiste plus art brut que Pastorius, et cela nous donne à lire
quelques pages fort drôles qui frôlent le burlesque. Cela lui
permet aussi de réfléchir sur son rapport à la musique, sur le
fait qu'il écrit dessus depuis des décennies sans y connaître
finalement grand-chose (le rythme, le solfège, la technique). Le
livre est parfaitement tenu, sincère, sans mauvaise nostalgie et il
est souvent plus émouvant qu'autre chose. Les dernières pages, où
Assayas évoque la mort de son ami le cinéaste Laurent Perrin, sont
magnifiques.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">To
be contiued.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><br />
</p>Philippe Lhttp://www.blogger.com/profile/11161966062544589959noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-6980582.post-42596457216604490172022-12-16T12:29:00.010+00:002022-12-17T08:41:36.107+00:00Psychogeographie indoor (123)<p><span style="font-size: medium;"> </span></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjekO-_DbjJMBTLigVp7Xxy1rRv6X40CSG5ouSXlszU4vdMqcIvgxpwr6drNCARKZ1gTWjgdr6bDF3xKg-DYS2qo0u0kI050fJ0qR3HPPc8TIFmb4uXByee-NhHfjetkh2zTVf0B23LV7zxAyXky1fMfCTz3xTK6Y5QkDWV8_axh68ey3T0WbA/s674/l-aube-du-magicien-volume-2.jpg" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><span style="font-size: medium;"><img border="0" data-original-height="661" data-original-width="674" height="393" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjekO-_DbjJMBTLigVp7Xxy1rRv6X40CSG5ouSXlszU4vdMqcIvgxpwr6drNCARKZ1gTWjgdr6bDF3xKg-DYS2qo0u0kI050fJ0qR3HPPc8TIFmb4uXByee-NhHfjetkh2zTVf0B23LV7zxAyXky1fMfCTz3xTK6Y5QkDWV8_axh68ey3T0WbA/w400-h393/l-aube-du-magicien-volume-2.jpg" width="400" /></span></a></div><span style="font-size: medium;"><br /></span><p></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;">
<span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><i style="text-align: left;">« Tous
ces soleils morts, ces rayons posthumes qui mettent des millions
d’années-lumière pour nous parvenir, les astéroïdes, tous ces
fragments de vieux mondes fracassés, d’explosions, chancres et
vieilles lunes rongées, croûtes, démangeaisons, rougeurs, lupus
froid, lèpre dévorante, sanie, et cette ultime goutte de lumière
et la plus pure qui perle au plus haut des cieux et qui suinte, et
qui va tomber…, n’est pas une larme ni une goutte de rosée, mais
une goutte de pus. L’univers est en pleine décomposition. »
</i><span style="font-variant-east-asian: normal; font-variant-numeric: normal; text-align: left;">(Blaise
Cendrars – </span><i style="text-align: left;">Le lotissement du ciel</i><span style="font-variant-east-asian: normal; font-variant-numeric: normal; text-align: left;">).</span></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">27
mai 2022.- Beau temps, température raisonnable (23°C). 1986 Rhode
Island, des mafieux Irlandais et Italiens prennent leurs vacances
dans un village de pêcheurs qui ne demandaient rien à personne. On
attrape poissons et crustacés, on boit des coups bras dessus bras
dessous, tout semble aller pour le mieux dans le meilleur des mondes
corrompus possibles. Pourtant, tout vire au tragique, au chianti
tourné et au whisky frelaté. L'un des Irlandais se comporte très
mal avec la dulcinée d'un des Italiens et voilà une « guerre »
qui se déclenche au débotté… C'est le début de <i>La Cité en
flammes</i>, premier volume d’une nouvelle trilogie fomentée par
un Don Winslow qui pour échafauder sa petite affaire se serait
inspiré ni plus ni moins que d'Homère, Virgile, Eschyle et
Shakespeare. Je n'ai lu que cent cinquante pages et il y a de ça en
sourdine, un côté Guerre de Troie et dilemme shakespearien. Bon
c'est surtout très efficace, plus page turner à l’américaine que
vraiment puissamment littéraire.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">28
mai 2022.- Ciel IKB, vent léger (23°C). Comme dans sa précédente
trilogi (La Griffe du chien, Cartel, La Frontière) Winslow cherche
le foisonnement et la dimension opératique. Seul problème dans
cette toute fraîche <i>Cité en flammes</i> le sujet, les thèmes et
territoires sont beaucoup moins vastes. La petite guerre entre
mafieux Italiens et Irlandais dans la ville de Providence, ne saurait
atteindre l'ampleur de la trop fameuse <i>War on drugs</i> qui sévit
depuis bientôt cinquante ans aux États-Unis. Tout cela nous laisse
les yeux un peu plantés devant un roman qui s’il se laisse très
bien lire (je l'ai boulotté en une journée), manque un peu
d'épaisseur et de bourre dans le matelas romanesque. Bon ce n'est
que le premier volume sur trois… les autres seront peu être plus
homérique et épais (au sens propre), il y a des indices, je me
trompe peut-être sur la qualité du futur ensemble.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">29
mai 2022.- Soleil et vent (21°C). Jardinage, rempoté quelques
fleurs avant d’entamer <i>Les Passants </i>de Jacques Chauviré,
écrivain et médecin lyonnais. Rien d'une promenade bucolique et
joyeuse, rien de vraiment horticole non plus les « passants »
sont ceux qui passent dans le sens de ceux qui trépassent. Je suis
pris par le temps, j'en dirai plus demain.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">30
mai 2022.- Journée hautement printanière, température idéale
(23°C). Rabelais, Ibsen, Schnitzler, Maugham, Tchekhov, Céline…
Autant de médecins, autant d'écrivains, autant d'écrivains
médecins. L'empathie envers ceux qui souffrent doit certainement
inciter à l'introspection littéraire. Moins connu Roland Cailleux
(selon Alexandre Vialatte un type capable de fait tenir tout Proust,
comme un grand pardessus dans une petite valise »), et puis les deux
lyonnais, Jean Reverzy et Jacques Chauviré, deux écrivains-médecins
empathiques qu'il faut certainement lire. J'ai déjà parlé ici de
Reverzy et de son <i>Passage</i>, hier j'ai débuté la lecture des
<i>Passants</i> de Chauviré son deuxième roman qui puise dans son
vécu pour décrire la vie d'un jeune docteur installé dans une
petite ville de la banlieue ouvrière de Saint-Étienne. Maladies
ordinaires, cancéreux en nombres, malades mentaux et vieillards
oubliés. Jours tristes et amers qui s'empilent, existentialisme
camusien, grisaille et mort qui rôdent, rien de vraiment sautillant
dans tout ça… Rien de sautillant, mais du talent. Chauviré prouve
que l'on peut-être sec et empathique.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">1er
2022.- Pluie légère (21°C). Dans le livre de Chauviré il y a une
certaine visée sociologique. C'est la France des années 60 à leurs
débuts. Le pays du Frigidaire et de la 2CV, du tout à l'égout et
des événements d'Algérie, des ouvriers et du football, de l'Église
catholique et du Parti communiste… L'époque est bien dépeinte,
ressentie avec un sens de l'instantané qui ne démord jamais, mais
l'essentiel n'est pas là. L'essentiel ce sont ces patients qui
passent dans le cabinet de Chauviré. Ces patients qui deviennent
passants puis disparaissent progressivement vers l'obscurité.
L'essentiel c'est la mort. La mort de Reverzy (qui est évoquée), ou
de Camus (figure tutélaire, pages poignantes). L'essentiel ce sont
les cancéreux, les suicidés, les filles perdues… L'essentiel
c'est aussi l'absence de miséricorde, l'empathie et la sobriété
d'un écrivain qui ne sort jamais d'une sorte de stoïcisme bien
disposé, d'un détachement teinté d'amertume. Beau livre.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">2
juin 2022.- Pluies éparses, vague tiédeur (26°C). Labeur et
fatigue, couple toujours tangible. Lu une chronique de Jean-Louis
Ezine ( <i>Du train où vont les choses</i>). Pas mal.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">3
juin 2022.- Chaleur torve (30°C). Court retour dans le <i>Journal
Inutile </i>du vieux Morand. Toujours aussi désagréable, toujours
aussi amusant… Pour le reste ce beau poème d'Henri Thomas :</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<div style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size: medium;"><span>Le
paradis c'est dans la tête<br /></span><span>Après
la mort comme il se doit,<br /></span><span>Les
neurones seront en fête<br /></span><span>Comme
les sources dans les bois</span><br /><span>C'est
en repliant dix fois la feuille<br /></span><span>Que
j'ai découvert la terrible idée<br /></span><span>La
minuscule et dure araignée<br /></span><span>L'éveil
de l'esprit à la dorure du jour,</span><br /><span>Quand
ils vivaient, ceux qui sont morts<br /></span><span>Songeant
aux morts, se sentaient forts,<br /></span><span>Ce
sentiment se justifie<br /></span><span>Aussi
longtemps qu'on est en vie.</span></span></div>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">4
juin 2022.- Chaleur hésitant entre le caniculaire et le patibulaire
(33°C). <i>Ma part d'ombre </i>de James Ellroy. Ou comment raconter
sa propre vie avec les armes d'un rapport d'autopsie. Drôle de
projet, assez perturbant, passionnant, aussi… Première partie,
Ellroy raconte l'assassinat de sa mère. Froideur franchement
clinique, attention prolongée aux détails, qu'ils soient saumâtres
ou pas, béhaviorisme revendiqué. Seconde partie, le Ellroy adulte
tourne autour de l'Ellroy enfant avec un surplomb qui ne concède
rien, qui n'oublie rien non plus. C'est assez bluffant, même parfois
stupéfiant et d'une honnêteté qui ne claironne jamais.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Par
ailleurs assez loin du smog californien et des infirmières trucidées
au petit matin, toujours dans les <i>Croquis de Voyages</i> de Joseph
Roth. À Avignon (et non en Avignon), il croise de sveltes jeunes
filles qui marchent délicatement, avec souplesse, toutes en longues
jambes et avec cette peau douce couleur d'olive qui ne brunit jamais,
qui ne rougit jamais. Le soleil, le vent, la pluie, et même l'âge
glisse sur elles…</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">5
juin 2022.- Queue d'orage (27°C). Onaniste forcené, acnéique
prononcé, cambrioleur, voyeur, fétichiste, alcoolique, drogué,
raciste, néo-nazi, clochard pas céleste du tout le jeune Ellroy
n'est pas vraiment recommandables. Disons que la vie ne fait rien
pour lui, mais qu'il ne fait rien, pour mieux la vivre cette vie. On
aura beaucoup de peine à vouloir trouver un écrivain français
contemporain avec un tel parcours… Tout cela pour dire qu'un pays
comme les États-Unis où essaime une quantité non négligeable de
gens perturbés, de cas pathologiques et d'azimutés divers et variés
ne nous laisse pas à l'abri d'engendrer quelques écrivains qui ne
posent pas leur petit doigt sur la couture du bon goût supposé.
Quant à <i>Ma part d'ombre,</i> je dois bien dire que c'est très
bien.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">6
juin 2022.- Ciel couvert (26°C). Crime fléau moral aux origines
totalement empathique, crime énergie mâle détournée, crime
aspiration de masse à l'abdication béate, crime aspiration
romantique ayant mal tourné… Le paysage a beau être inquiétant
j'avance résolument dans la <i>Part d'Ombre </i>de James Ellroy.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">7
juin 2022.- Nuages et et soleil, à l'alternat (26°C). Conditions
lectorales improbables et pour tout dire quasi impossibles.
Néanmoins, terminé la recension autobiographique de James Ellroy.
C'est glauque, parfois terrifiant, toujours sincère et étrangement
sensible. Constat : la littérature se niche où elle veut et même
dans le pire (bonne traduction, certainement). D'une autre
sensibilité, une sensibilité mieux peignée, court retour dans le
Dictionnaire machin chose de Charles Dantzig. Page 711 la
correspondance entre Gorki et Tchekhov est évoquée. Ce bout de
lettre du premier au second est recopié, j'aime assez ça : <i>« Il
pleut, c’est une damnation. Les chiens aboient les cloches sonnent,
mais d’hommes, pas. Dans la rue il ne passe que des popes qui
cherchent quelqu’un à enterrer, fût-ce pour trente kopecks ».</i></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">9
juin 2022.- Baisse des températures extérieures (20°C). Je
m'ennuie et j'ai mal au dos, je m'ennuie et j'ai froid aux pieds,
heureusement il y a les Cahiers de Cioran : <i>« L’Extase est la
chose que tout le monde cherche par tous les moyens – et la seule
qui soit vraie ne s’obtient que par le renoncement. Le renoncement
n’est pas un “moyen” ; le renoncement est “tout" ».</i></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">10
juin 2022.- Soleil (25°C). Cogito encombré par les mornes
vicissitudes du labeur. Concentration impossible au-delà de deux
pages. J’ai donc picoré tous azimuts tel un gallinacé étêté.
Une chronique de Jean-Louis Ezine, une autre d’Aurélien Béllanger
(tous deux labellisés France Culture). Un poème de Jules
Supervielle (assez beau et exotique), ces mots de Valéry (Paul) : <i>«
L’homme intérieur ne peut se battre avec soi-même ; et, en fait,
se bâtonne sous mille figures diverses. Si j’assomme idéalement
l’adversaire, c’est moi qui me frappe ».</i></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">11
juin 2022.- Beau temps chaud (29°C). Morose et désœuvré ne
sachant que lire j'ai relu <i>Bartleby</i>. Il faut toujours préférer
relire <i>Bartleby</i> à quoi que soit d'autre. Bartleby, mon frère.
Ah, Bartleby ! Ah, humanité !</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">12
juin 2022.- Tiédeur patibulaire (31°C). Hier soir vie sociale
largement alcoolisée. Ce matin encore vaporeux et même pour tout
dire malade. Néanmoins, entamé <i>Terre du Ciel </i>de Ramuz. Je ne
suis pas dépaysé c'est assez vaporeux et un peu malade. Drôle
d'histoire : trois cents trépassés sont rappelés sur un étage de
montagne refait spécialement pour eux par une entité que l'on
imagine aisément divine. Ceux qui avaient souffert et aimé sont
ressuscités et restent tout étonnés de revenir à la vie. Ils
découvrent un monde parfait où la peur de l'avenir, les regrets du
passé n'existent plus. Chacun reprend son ancien métier par
plaisir, le fabricant de cercueils fabrique de jolis meubles et plein
des tableaux charmants, le distillateur de gentiane s’émerveille
devant des cuvées toutes parfaites, un aveugle apprend à voir deux
fois… Le temps passe, l'habitude est là, le bonheur devient
normal… mais rien ne dure jamais, la gardeuse de chèvres, perd
l'une de ses bêtes, le tragique avance, rôde et enveloppe : <i>«
une montagne brille pointue et une autre est ronde ; une est verte,
l’autre est grise. Une montagne, et puis une, et puis une encore,
et puis encore une. Une ronde, une pointue ; une qui est verte, une
grise… »</i></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">14
juin 2022.- En bon perdant j'attrape le Covid au moment où il passe
de mode. 39°5 le matin, céphalées, perte du goût et de l'odorat,
forme paralympique, je suis une loque. Vaguement retourné chez
Ramuz. Lecture impossible.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">15
juin 2022.- Amorce caniculaire (33°C). Toujours covideux. Je veux
bien tout endurer, les 39°2 le matin, le nez qui suinte et les
courbatures, les céphalées et les vertiges, l'asthénie et le teint
blafard, mais par pitié monsieur Pangolin rendez-moi le goût et
l'odorat ! Je n'imagine pas un monde sans andouillettes et sans
tabliers de sapeur, un monde sans Epoisse et dans Givry premier cru !
Un monde sans le fumet de noisette chanci des vieux livres… En
attendant que tout cela revienne et n’ayant pas perdu la vue, je
lis… <i>Face aux ténèbres </i>de William Styron. Un témoignage
sur une autre maladie, qui ne doit rien au pangolin : la dépression
(pas la petite, mais la carabinée). Beau livre parfaitement tenu,
sec et émouvant, avec une pointe d'espoir. L'espoir de ceux qui ont
touché le fond et qui sont un peu remontés.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">16
juin 2022.- Chaleur patibulaire (34°C). Encore malade, mais moins.
Les lignes qui suivent seront une sorte de Journal covideux… Sous
les tiédeurs ma voisine de gauche écoute des musiques indiennes qui
se déplacent en souples et moites corolles vers mes oreilles qui ne
demandaient rien. Les raisons de ce soudain exotisme que j’espère
passager m’échappent totalement, mais entre la touffeur, les
tablas et sitars, l’effet est saisissant. J’ai l’impression
d’effectuer ma sieste dans les faubourgs de New Delhi. J’espère
que pour compléter cette nouvelle lubie ma voisine n’a pas aussi
apprivoisé un cobra, car je déteste ces bestioles-là. Bon en
dehors de tout ça, j’ai aussi essayé de lire. J’écris essayé,
puisque dans un tel chambard labellisé Ravi Shankar, il m’a bien
été difficile de trouver la moindre concentration. Pour tout vous
dire, il a fallu que je fiche deux boules Quies dans chacune de mes
oreilles pour arriver à mes fins. Grâce au covid j’avais déjà
perdu le goût et l’odorat, grâce à ma voisine je viens de perdre
l’ouï. Il me reste le toucher qui ne me sert à rien, je suis
confiné et très peu onaniste ces temps-ci, et donc la vue ce qui ne
ramène à la lecture ( tout est dans tout). Je ne voudrais pas
assommer le coq en tombant sur l’âne, mais le livre que j’ai lu
dans les conditions décrites dans les lignes valétudinaires qui
précédent n’est pas forcement ton sur ton avec celle-ci, il
s’agit de <i>Kaddish pour l'enfant qui ne naîtra pas,</i> l'une
des plus belles choses du prix Nobel hongrois Imre Kertész. Ce n’est
pas un livre très joyeux, on peut même dire qu’il n’est pas
joyeux du tout , ce n’est peut-être pas un livre de convalescence
idéal, mais c’est un livre extraordinaire… En parlant de
convalescence, Kertész sera un éternel convalescent, on ne ressort
pas vivant d’Auschwitz à l’âge de 15 ans sans en garder de
larges séquelles. <i>Kaddish pour l'enfant qui ne naîtra pas</i>
est un livre écrit pour dire qu’il ne faut pas dire qu’ «
Auschwitz ne s’explique pas » un livre écrit pour prouver que
l’on peut écrire après Auschwitz », un livre écrit pour
emmerder Adorno, car oui Adorno nous emmerde !… C'est terrible,
étouffant, plein de scansion, de retour, d’imprécations qui
tournent pour se rejoindre, de cercles temporels qui se croisent,
pleins de négation aussi : écrire après Auschwitz : oui, mais
procréer après avoir VÉCU Auschwitz : non, non, non !!! Ce n’est
pas une réflexion c’est une prière, ce n’est pas un témoignage
c’est de la littérature. De la littérature là où ça fait mal.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">17
juin 2022.- Le potentiel caniculaire ne désenfle pas (34°C). Comme
Manchette, Fajardie me rappelle que je fus de gauche alors
qu'aujourd'hui je me donne l'impression de ne plus être de rien.
C'est ce que j'ai ressenti en relisant <i>La Théorie du 1 %,</i>
deuxième volume de sa fameuse série Padovani écrit en 1979. Pour
tout vous dire cette relecture à même engendré chez moi une sourde
nostalgie d'un temps où l'on fonçait sur le bourgeois certes avec
de belles œillères, mais avec une liberté de ton et d'esprit, une
légèreté qui ne saurait plus être de mise aujourd'hui où tout
semble assommé par les morales sociétales les plus diverses. Drôle
d'affaire donc que cette <i>Théorie du 1 %,</i> où tout le monde
est caricaturé, mais où on pourrait presque aimer tout le monde.
Les collaborateurs transformés en résistants de la 25e heure, les
vieux maurrassiens et les jeunes giscardiens, les policiers ivrognes
et décalés et les policiers ivrognes et bien calés. Les assassins
en séries et les filles perdues qui finissent par se jeter dans les
rivières. L'art de Fajardie est un art d'esquisse, un art de la
pointe sèche qui fait fi de la psychologie, des descriptions
délayées et des diverses appogiatures. On s'y sent très bien, on
s'y amuse et on rigole en traquant les salauds tout en ne faisant
jamais une petite tête de curée-engagé-constipé. La nostalgie
peut-elle être de gauche ? Par ailleurs sur le front du covid, plus
de fièvre. Je retrouve l'odorat par phases plus ou moins ragoûtantes
(avant-hier tout sentait l'expectoration pectorale, aujourd'hui tout
sent un peu le cadavre).</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">18
juin 2022.- La canicule est là torve, plantée comme une sale
bestiole avec son air mauvais (38°C). Il faisait trop chaud, trop
chaud pour travailler, trop chaud pour ne rien faire, alors j’ai
visé l’évaporation, de mon enveloppe charnelle, du reste aussi,
cela aura été le but de cette journée. But partiellement atteint,
je suis toujours là. … et puis j’ai tout de même lu un peu…
<i>La Vie meurtrière</i>, l’un des trois romans de Félix
Valloton, peut-être le plus sombre (je crois que c’est son dernier
il est paru de façon posthume). J’aimais beaucoup le Valloton peintre, j’aime déjà le Valotton romancier. Son esprit en tous
les cas, qui me semble sarcastique en douceur et globalement tendu
par quelque chose de tout à la fois mal pensant et de presque
anarchiste en loucedé. L’intrigue de <i>La Vie meurtrière</i> ne
trahit pas mes faibles assertions. Jugez sur pièces, un jeune gandin
vaguement artiste Jacques Verdier provoque depuis sa plus tendre
enfance une quantité non négligeable de monstrueux accidents
mortels : crises cardiaques, chutes, empoissonnements, brûlures…
il décide donc de se suicider, tout en laissant derrière lui un
manuscrit qui décrit par le détail la somme des turpitudes
involontaires qu’il aura fait subir à ses divers entourages. La
construction est assez maligne et presque moderne, le style est
désuet dans le bon sens, Valloton parle un peu peinture (son Jacques
Verdier est un peu critique d’art). Pour résumer je dirai que
c’est un « roman de mœurs » qui ressemble à du Bove en
couleurs.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">19
juin 2022.- Vent saharien (37°C). Le héros de Vallotton tombe
amoureux d'une bourgeoise, elle se refuse à lui, semble lui préférer
un jeune gandin. Par désœuvrement il fréquente une cocotte qui le
contamine. Sa bourgeoise lui cède enfin, il la contamine à son
tour, elle en meurt, il se tue… Suis-je le seul à voir de la
taquinerie goguenarde dans cette histoire ? Des sarcasmes qui piquent
à fleurets mouchetés ? Le triomphe de l'ironie ? Hier je pensais
aux romans de Bove, aujourd'hui je pense aux « romans durs » de
Simenon, il y a de ça.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Je
ne m'étendrais pas plus, il fait trop chaud.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">20
juin 2022.- Grande tiédeur (34°C). Je lis <i>Le mage du Kremlin</i>
de Giuliano da Empoli, roman qui raconte de façon déguisée la vie
et les agissements de Vladislav Sourkov l'une des éminences les plus
grises de Vladimir Poutine. On aurait pu attendre un page turner à
l'américaine, une affaire concédant tout à l'efficacité, ce n'est
pas vraiment ça, c'est plutôt un roman roman à la française qui
se pique un peu de littérature et c'est peut-être bien là tout le
problème. Le sujet passionnant aurait pu suffire de par lui-même,
mais non l'auteur ne peut pas s'empêcher de rajouter du romanesque à
la truelle, des glacis de fiction qui ne servent à rien. Drôle
d'idée que de vouloir faire <i>fictionner</i> une histoire
lorsqu'elle <i>fictionne</i> déjà toute seule.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">21
juin 2022.- L'orage approche (33°C). La chienne Konni et Angela
Merkel, le FSB et les attentats de Moscou, le Haut-Karabagh et la
Tchétchénie, Berezovsky et Khodorkovski, Limonov et les Loups de la
nuit, Maïdan et la CIA, l'Internet Research Agency et Trump…
Giuliano da Empoli rappelle tout cela et il fait bien de le faire
puisque c'est fort distrayant… Le reste la fiction romanesque est
beaucoup moins intéressante, ce n'est qu'un véhicule qui n'est là
que pour transporter des informations, un véhicule qui tourne à
vide (et puis c'est assez mal écrit, tout du moins me semble-t-il).</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">23
juin 2022.- Queue d'orage, fraîcheur latente (26°C). Une chronique
de Jean-Louis Ezine (génie de la 2CV), une autre d'Aurelien
Bellanger (génie de Michel Rocard), quatre pages des <i>Cahiers</i>
de Cioran qui déçoivent rarement : <i>« Le disciple est mon
cauchemar. Je ne pardonnerais pas à ceux qui m’imiteraient. J’aime
mieux un ennemi qu’un compagnon.»</i></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">25
juin 2022.- Nuages (28°C). Je suis toujours un peu dans les <i>Croquis
de Voyage </i>de l'ami Roth. De Nijni Novgorod à Astrakhan il longue
la Volga et on lui raconte que des gens sont morts par milliers. Que
ces gens ont mangé des chats, des chiens, des rats et des enfants
morts de faim. Qu'ils ont mordu leur propre bras jusqu'à ce que le
sang coule. Qu'ils ont bu ce sang. Qu'ils ont gratté la terre à la
recherche de vers bien gras. Qu'ils ont mangé de la chaux blanche
que dans leur délire ils ont prise pour du fromage. Voilà comment
ces gens sont morts dans d'atroces souffrances. Deux heures, le temps
d'un début de digestion aura suffi. La Russie post révolutionnaire
n'était donc pas si joyeuse que ça. En dehors des famines
staliniennes (Staline salaud !), et à l'alternat, j'ai entamé le
fameux <i>Matin des Magiciens</i> des non moins fameux duettiste
Pauwels/Bergier. Livre acquis chez un bouquiniste torve de
Montpellier. C'est l'édition originale de 1960, elle est est non
massicotée et donc non lue. Bouquin tout aussi étonnant qu'il est
amusant. Sorte de galimatias fumiste ou vrai bidule conséquent ?
Pour l'instant, cent pages, c'est entre les deux, entre les « géants
de l'ère secondaire » et le « socialisme magique hitlérien ».
Comme le dit très bien la quatrième de couverture : <i>« cet
ouvrage singulier, dont la documentation est énorme, se lit comme un
roman. C'est d'ailleurs peut-être un roman. » </i>J'ai l'impression
que cette quatrième de couverture ne se trompe pas.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">26
janvier 2022.- Les nuages stagnent, la fraîcheur tombe (23°C). <i>Le
Matin des Magiciens </i>devient vraiment amusant aux alentours de la
page 130 lorsque Jacques Bergier entre en piste. Tout juste rescapé
du camp de Mauthausen on le voit découper un coffre-fort au
chalumeau. Dans ce coffre-fort il y a une bouteille contenant une
poudre lourde, c'est de l'uranium pour application atomique.
Propriété d'un grand trust allemand, c'est aussi la preuve formelle
que les nazis étaient proches de créer une vraie bombe atomique.
Drôle de personnage que Jacques Bergier, ingénieur, résistant
terroriste, déporté et agent secret. Un type pour qui rien de ce
qui était étrange n'était étranger, un type à la culture
ésotérique immense capable de discuter avec un peu tout le monde,
les alchimistes et même les extra terrestres. Hergé se souviendra
de lui. Il apparaît sous les traits de Mik Ezdanitoff dans l'album
Vol 714 pour Sydney.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><span>27
juin 2022.- Météo fraîche et maussade (20°C). </span><span><i>Le
Matin des magiciens</i></span> <span>frôle
les rivages du grand n’importe quoi, mais c’est un grand
n’importe que l’on peut beaucoup aimer. Un genre de fourre-tout
brinquebalant qui finit par exploser dans une pyrotechnie de théories
plus farfelues les unes que les autres. On y parle des Incas et des
Mayas, d’Asiates déportés au Groenland par un escadron de
vaisseaux extra terrestres, d’alchimie et des origines du mal, du
nazisme et des sociétés secrètes… La fascinante théorie de la «
glace éternelle » explique tout : les « géants » et la
disparition des dinosaures, l’Atlantide et les Statues de L’Île
de Pâques, les changements climatiques et les païens à flambeaux
teutoniques excités sur les tribunes de Nuremberg. Tout est expliqué
avec un grand sérieux qui ne démord jamais… On imagine que les
idées et la pseudo science viennent</span></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">de
Bergier (ce grand azimuté) et que Pauwels est là pour ordonner,
pour synthétiser ce grand méli-mélo croquignolet. Tellement
croquignolet que les deux ne semblent pas dupes d’eux-mêmes : <i>«
… Il y aura sans doute beaucoup de bêtises dans notre livre,
répétons-le, mais il importe assez peu, si ce livre suscite
quelques vocations et, dans une certaine mesure, prépare des voies
plus larges à la recherche. Nous ne sommes que deux pauvres casseurs
de cailloux : d’autres feront la route ».</i></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">28
juin 2022.- Quelques rares nuages (24°C). Les théories enfumées
autour du nazisme sont le cœur de la petite chose de Bergier et
Pauwels. La terre creuse, l'ordre noir, la société de Thulé,
l'indo aryanisme tout cela est vertigineux et pourrait presque
engendrer une sourde fascination chez le lecteur. Le reste -
l'alchimie, les histoires de transmission de pensée, les débuts du
numérique - a beaucoup vieilli et n'est plus très amusant. On
aimera donc beaucoup le cœur du <i>Matin des magiciens</i> et moins
ses débuts et sa fin. Reste cette citation de Chesterton qui me
semble bien résumer l'ensemble : « <i>le fumiste n’est pas celui
qui plonge dans le mystère, mais celui qui refuse d’en sortir ».</i></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">29
juin 2022.- Beau temps (27°). <i>Le Matin des magiciens</i> est très
bien lorsqu'il baguenaude dans les anachronismes et l'anticipation
rétroactive, beaucoup moins quand il fait le malin en se projetant
vers le futur, c'est-à-dire notre présent. Les pages consacrées au
spiritisme, à la transmission de pensée ou mystère d'un cerveau
que nous n'utiliserions qu'à 10% de ses capacités sont assez
ennuyantes, on en viendrait les passages beaucoup plus amusants
autour d'Himmler et des nazis toqués (comme si on pouvait s'amuser
avec les nazis). Tout étant dans tout, et les conditions lectorales
étant ce qu'elles sont, quasi impossibles dans le brouhaha du
voisinage, j'ai fini ma lecture avec le <i>In a Beautiful Place Out
in the Country</i> de Boards Of Canada entre les deux oreilles.
Accord parfait, ton sur ton indubitable, cet EP de musique
électronique est tout à fait ésotérique, avec pour références
cachées la loi de Planck, le nombre d'or et les davidiens de David
Koresh.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">To
be continued</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><br />
</p>Philippe Lhttp://www.blogger.com/profile/11161966062544589959noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-6980582.post-45307772126856662722022-11-16T21:46:00.004+00:002022-11-17T18:38:42.924+00:00Psychogeographie indoor (122)<p> </p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgA1mjZcAB9V0vrrskTQtgS8HB0FyjmL0S14Xo4GwEKE2rUVpwk855jHed_bSbjNcl8I5ksdxXDZ0rE9Flz1-mtONbn4QmhZ1giz-b_g3XkRMkYCWuYYh_uc-64RP8nryKptn7Y568g3iNP798v_tWQqNPG-2O4kgrDRwd-kJm9zABhUwb0mfU/s1200/so-57ebc42866a4bd6726a554bc-ph0.jpg" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><span style="font-family: Tinos;"><img border="0" data-original-height="750" data-original-width="1200" height="250" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgA1mjZcAB9V0vrrskTQtgS8HB0FyjmL0S14Xo4GwEKE2rUVpwk855jHed_bSbjNcl8I5ksdxXDZ0rE9Flz1-mtONbn4QmhZ1giz-b_g3XkRMkYCWuYYh_uc-64RP8nryKptn7Y568g3iNP798v_tWQqNPG-2O4kgrDRwd-kJm9zABhUwb0mfU/w400-h250/so-57ebc42866a4bd6726a554bc-ph0.jpg" width="400" /></span></a></div><span style="font-family: Tinos;"><br /></span><p></p><div style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: left;"><div style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: left;"><div style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm;"><div style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size: medium;"><span style="font-family: Tinos;">
J’ai désormais achevé une œuvre que ni la colère de Jupiter<br /></span><span style="font-family: Tinos;">Ni le feu ni le fer
ne pourront abolir, ni l’usure du temps.<br /></span><span style="font-family: Tinos;">Le jour de ma mort,
qui n’aura prise que sur mon corps,<br /></span><span style="font-family: Tinos;">Pourra mettre à son
gré un terme à l’incertaine durée de ma vie ;<br /></span><span style="font-family: Tinos;">Le meilleur de moi
sera transporté, inaltérable,<br /></span><span style="font-family: Tinos;">Très haut par-delà
les étoiles et mon nom ne s’effacera pas.<br /></span><span style="font-family: Tinos;">Aussi loin que
s’étend sur les terres soumises la puissance romaine<br /></span><span style="font-family: Tinos;">Je serai lu par
tous, reconnu à travers les siècles<br /></span><span style="font-family: Tinos;">Et si les
pressentiments des poètes se réalisent, je vivrai.</span></span></div>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">(Ovide - <i>Les
métamorphoses</i>)</span></p>
<p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-size: medium;"><span style="font-family: Tinos;">3
mai 2022.- Nuages (20°C). </span><i style="font-family: Tinos;">Liberty</i><span style="font-family: Tinos;"> de Simon Liberati. Vie
mondaine, petits matins gris et vomi séché au coin des lèvres. On
se passerai de tout ça, de ce côté pot de chambre sur le palier.
Reste un certain goût, des citations un peu finaudes. Est-ce
suffisant pour faire un livre ?</span></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">5
mai 2022.- Temps orageux (15°C). Grosse fatigue (le labeur).
Liberati, trois pages épuisantes. Quel est l'intérêt de tout ça ?
Par ailleurs, un inédit de Perec, un autre de Céline. Ce sont
peut-être les deux plus grosses sorties littéraires depuis le
dernier Houellebecq. Quatre pages sur le second dans Libé(ration).
Quatre pages qui expliquent les aventures d'un manuscrit que l'on
croyait perdu. <i>Guerre</i>, c'est le titre de cette courte affaire
qui prendrait place entre le <i>Voyage</i> et <i>Mort à crédit</i>.
Lindon ne trouve pas ça foudroyant. Nous verrons bien.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">8
mai 2022.- Temps nuageux (22°C). Hier soir, social life, drink a
little too much. Cet après-midi fini le <i>Liberty</i> de Liberati.
Lecture un peu vaporeuse, ton sur ton avec les quelques embruns
alcoolisés remontants de la veille. De Liberati on pourrait dire
qu'il a un « univers », qu'il pourrait devenir un Modiano des «
années Palace » et de la <i>fracture</i> 70/80. C'est certainement
un peu vrai. Beaucoup moins dans <i>Liberty</i>. Deux cents pages
retrouvées dans un fond de tiroir, un Journal qui se voudrait
inutile comme celui de Morand, mais qui l'est vraiment… inutile. Le
Liberati intime ballote ses ingrédients avec une ferveur un peu
molle, il y 'a de l'alcool, des « tunnels de drogue » et du sexe au
débotté. Des soirées jet-set et du name dropping à foison. On
s'ennuie solidement, pire on est très agacé par un type
difficilement aimable, car terriblement futile. Oh ! pas d'une
futilité légère mais d’ une futilité lourde et épaisse,
presque germanique, comme si c'était possible ! Liberati se
rattrape un peu lorsqu'il évoque ses lectures, bien plus
intéressantes que sa vie de patachon, il aurait dû se contenter de
ça.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">Je
refais mes valises. Demain départ pour Sète, Montpellier et un coin
de France où j'essayerais d'éviter les plages nudistes.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">12
mai 2022.- Ciel couvert le matin, dégagé l'après-midi (21°C). Au
cimetière Marin de Sète juste devant la tombe de Paul Valéry il y
a un petit banc. Ce matin, il était largement occupé par une jeune
femme en pleine conversation téléphonique. Pour vos chastes
oreilles je ne retranscrirai pas la totalité de son « dialogue »,
sachez simplement qu'il était question d'une certaine Marion avec
qui elle avait « cassé », et du fait qu'elle allait se « taper
des mecs parce qu'ils sont moins compliqués que les meufs ». Vous
avouerez que tout cela nous éloigne assez de la poésie et de l'ami
Valéry (Paul). Ne voulant pas passer pour un sombre rétrograde,
j'ai poursuivi mon chemin en toussotant discrètement. Je m'assiérai
sur le petit banc une autre fois.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">14
mai 2022.- Soleil, vague tiédeur (25°C). Il suffit de se
baguenauder dans le centre-ville de Montpellier un samedi après-midi
pour entrapercevoir à demi-yeux la « grande fracture française ».
Sur la Place de la Comédie des antivax en blouses blanches sont
posés devant un faux centre de dépistage, sur le bord de ce petit
théâtre brechtien trois gilets jaunes tatoués et persistants
hurlent contre la « Macronie ». En face d'eux, devant l'opéra, une
petite armée de mutins agite de grands drapeaux joliment chamarrés
et pleins de couleurs NPA, communistes libertaires, féministes ou
révolutionnaires lesbiennes (on avouera qu'en terme de convergence
des luttes, ce chromatisme coloré en mouvement est assez bellot à
observer). Aux quatre coins de la place de minces grappes missionnées
par la France Insoumise distribuent quelques larges tracts avec
l'appétence du vendeur de casseroles en goguette. Circulant sur
cette même place des jeunes issus de l'immigration maghrébine et
subsaharienne se déplacent pédestrement avec des sacs Zara, Célio
ou Snipes à bout de bras, d'autres plus adeptes des mobilités
légères son juchés sur des trottinettes électriques (leurs sacs
Zara, Célio ou Snipes sont accrochés sur le guidon c'est assez
malin), tandis que les rares touristes britanniques se demandent où
ils pourront bien jeter le tract de la France Insoumise qu'ils
tiennent au creux de la main gauche. Dans les rues adjacentes, le «
vieux Montpellier », des bourgeois bohèmes brocantent sans
descendre de leur vélocipède à assistance électrique, les
terrasses de Cafés sont remplies par la jeunesse estudiantine de la
ville. Filles à moustaches et garçons en jupes, boivent de grands
bocks de bière tout en poussant de grands cris contre-productifs.
Tout ce beau monde semble vivre chacun de son côté, aucun groupe ne
rentre en interaction avec un autre, ce ne sont que des cercles et
lignes qui ne se croisent pas, il n’est même plus question de
minimum commun, il n'est question que de tribus.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">15
mai 2022.- Premières chaleurs (29°C). Retour de Montpellier et
Sète. Lu <i>Guerre</i>, l'inédit de Céline. Ce qui rentre et ce
qui sort : le métal, les balles ; le pue de la plaie, la bile, la
merde, la pisse, le foutre et les larmes. Ce qui rentre et ne sort
pas : des bruits dans la tête, le fracas, un large capharnaüm.
(Littérature organique, littérature de médecin).</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">16
mai 2022.- Beau temps chaud (29°C). A/ Céline, <i>Guerre</i>. Pour
un fond de tiroir, un premier jet non retravaillé c'est tout de même
formidable, beau comme une esquisse, un désastre de Goya plein
d'humanité suintante (le but de Céline faire suinter ; les mots,
l'humanité. On en revient au fluide… à la médecine).</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">B/
Entamé <i>Croquis de Voyage </i>de Joseph Roth, recueil de récits
écrits entre 1923 et 1931. C'est la première vie de Roth, une vie
de journaliste. Italie, Allemagne, Russie, Pologne, Albanie, il
visite aux mêmes dates les mêmes pays que visitait Henri Béraud
(Cf <i>Version Reporter </i><span style="font-style: normal;">et ma
livraison précédente</span>). Sera-t-il son négatif ?</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">C/
Sinatra en pleine crise de délirium trémens, Lana Turner
« broutée » par une petite amie, Otto Preminger amateur
de bois d'ébène et sous le charme d'une séductrice sépia (Dorothy
Dandridge), John Wayne quasi drag queen en robe longue taille 52,
Johnny Weissmuller fornicateur forcené, Duke Elligton priapique,
Burt Lancaster sadique et propriétaire d'une chambre de torture
aménagée dans une baraque de West Hollywood, Fritz Lang filmant les
séances de tortures de Burt Lancaster, June Christy nymphomane à
fond, Alferd Hitchcock voyeur, Natalie Wood actrice précoce en
pleine hésitation sexuelle, James Dean et Marlon Brando, Alan Ladd
et son micropénis, Art Pepper et les pom pom girls, JFK et Ingrid
Bergman, JFK et Marilyn, JFK et ses deux minutes chrono, JFK et son
armoire à pharmacie. Voilà <i>Panique Générale l</i>a dernière
chose de James Ellroy. Une fiction tournant autour de Fred Otash
l'homme qui faisait les poubelles d'Hollywood. C'est amusant, un peu
fatigant et ça ferait passer Kenneth Anger pour un prince du bon
goût.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">17
mai 2022.- Température trop élevée pour être honnête (30°C).
Dos bloqué et chaleur, pas une bonne journée. <i>Panique Générale</i>,
jubilatoire et nauséeux. Jubilatoire parce que Ellroy s'amuse
visiblement beaucoup avec des mots qui valdinguent comme de petits
diablotins ; nauséeux parce que ce qu'il raconte est assez gratiné
dans le pire (le tout est apparemment assez bien traduit). <i>Croquis
de voyages</i>, Roth croise des primo nazis, nous sommes en 1924, il
comprend déjà tout. Rien d'autre.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">18
mai 2022.- Chaleur indécente (32°C). Il fait trop chaud et j'ai mal
au dos. Ma voisine téléphone depuis deux heures tandis qu'une
mouche tourne autour de ma chaise de jardin. Je vais manger une
cuisse de poulet avec des pommes de terre rôties puis je ferai
semblant de faire la sieste en écoutant <i>Closer</i> de Joy
Division. Ce sera mon « hommage », ma petite contribution
mémorielle. Ian Curtis est mort il y' a 42 ans. Ces 42 ans sont
passés bien vite. Ce soir il faudra que j'arrose mes géraniums.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">James
Ellroy ne doit pas trop aimer Nicholas Ray. Dans <i>Panique Générale</i>
il apparaît comme un azimuté total, un type qui se déguise en nazi
pour mieux faire des choses avec James Dean, Natalie Wood ou Sal
Mineo. Un quasi-meurtrier aussi, ce qui n'est pas rien. Quant à <i>La
Fureur de vivre</i>, convenons-en, c'est un navet pour ados.
Évidemment pour le très peu progressiste Ellroy Nicholas Ray c'est
un peu un repoussoir, s'en est presque gênant, mais c'est tout de
même très amusant. Le reste de <i>Panique Générale</i> est aussi
très amusant et finalement plus intéressant qu'il n'y paraissait de
prime abord. Disons que c'est une excroissance toquée bourgeonnant
sur la grande œuvre d'Ellroy, sa comédie humaine balzacienne
extirpée des bas fonds de Los Angeles, ses deux quatuors…</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">19
mai 2022.- L'orage gronde nous tourne autour, mais la pluie ne tombe
pas (32°C). Comme j'aime faire de grands écarts je passe sans
sourciller de James Ellroy à Paul Valéry en entamant la petite
somme que Benoît Peeters lui a consacré (en l'occurrence, mon grand
écart est un gouffre et je m'y sens très bien, presque au frais).
Pas une vraie biographie, pour la vraie biographie il faudra se
rapporter à la somme de Michel Jarrety et ses mille quatre cents
pages, mais plutôt une balade thématique autour de l’enterré du
cimetière marin de Séte. Les débuts du jeune Valéry, son amitié
avec Pierre Louÿs (qui le découvre) et Gide, son amour pour Rimbaud
et Huysmans, ses rencontres fondatrices avec Mallarmé, son abandon
progressif de la poésie, du <i>tendre</i>, pour quelque chose de
bigrement cérébral. Benoît Peeters raconte et explique tout cela
sans effets de manches, avec une limpidité et une simplicité
bienvenue. J'ai lu cent pages, rien à redire, c'est presque
passionnant. (Conditions lectorales déplorables. Contre-mesures :
Iguana-The Winds of Alamar, Fleetwood Mac-Tusk).</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">20
mai 2022.- Ciel plombé, vent torride (32°C). En définitive, Valéry
(Paul) était un drôle d'olibrius. Voilà un type qui fumait plus de
soixante cigarettes par jour qui buvait presque autant de tasses de
café, qui se levait avant cinq heures pour mieux écrire jusqu'à
huit ce qui lui donnait le droit d'être « bête jusqu'au soir ».
Dans les froufoutantes années 20 il subviendra à ses besoins, et
aux besoins de sa famille, en étant le secrétaire particulier
d'Édouard Lebey, riche administrateur de l'agence Havas. Il faudra
que ce dernier meure tout à fait pour qu'il se remette à publier
vraiment. Oh pas grand-chose à vrai dire. Quelques notes, <i>La
Jeune Parque,</i> deux trois poèmes dont l'un vantant les mérites
d'un cimetière marin assurément méditéranéen, ses écrits de
jeunesse qu'il fera réimprimer dans des éditions luxueuses et fort
rémunératrices, ajoutant ici un dédicace, là une citation ou une
introduction nouvelle pour mieux attirer le chaland. Son œuvre entre
1891 et 1927 aurait pu tenir dans deux volumes, il en tirera des
Œuvres complètes, plus de cent éditions différentes, une
technique de margoulin. Pour rester dans le margoulin il ira même
jusqu'à réécrire de faux manuscrits qu'il vendra à prix d'or. A
partir de 1918, sortant d'un silence qui aurait pu faire de lui un
nouveau Rimbaud, il fréquentera tous les salons parisiens, se
faisant rémunérer pour la qualité de sa discussion. On est loin de
l'écrivain hiératique tout à son œuvre et perché dans sa tour
d'ivoire. Enfin, on est loin, pas tout à fait, cet écrivain il est
là entre 5h et 8h du matin, cet écrivain c'est l'olibrius courbé
sur ses Cahiers, son laboratoire scientifique qui n'était pas
destiné à la publication, le cœur de son œuvre.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">Dans
ses <i>Croquis de Voyage</i> Joseph Roth visite le cœur de
l’Allemagne industrielle, un monde assommé par la technique, un
monde où il perçoit se sombre résonances prémonitoires : <i>«
Oui, c’est ainsi. La terre est la terre, partout je me sens chez
moi, car l’étranger, pour moi, c’est le monde de la technique.
J’ai vu les gigantesques cheminées d’usine s’avancer, en
demi-cercle, à la rencontre des morts et des vivants, des cimetières
et des fermes ; elles s’approchaient de plus en plus, crachant la
fumée qui devait bientôt tout empester à la ronde. C’était de
leur part une offensive générale, leur demi-cercle se mit à se
refermer, leur terrible étau à se resserrer. Et j’étais là,
conscient comme peut l’être un humain et impuissant comme peut
l’être un bovidé qui beugle ; et j’ai alors compris que nous
étions solidaires, lui et moi. Compagnons d’infortune jusque dans
la mort. »</i></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">21
mai 2022. - Ciel blanc, tiédeur patibulaire (31°C). Le charme
chevalin de Catherine Pozzi, Jeanne Voilier et Renée Vautier, Paul
Valéry et les femmes c'est toute une histoire. L'histoire d'un hypra
cérébral rattrapé par son cœur. Un cœur d'artichaut, forcément.
Peeters explique parfaitement les chocs brusques et les ruptures de
l'âme qui entraînent Valéry loin de son personnage hiératique
tout à son œuvre. Le Valéry amoureux se retrouve tout nigaud assez
au-delà de sa gangue d'intelligence, presque comme un adolescent
avec le cœur ballant, cela ne l'empêche pas d'écrire des
merveilles, sa correspondance avec Catherine Pozzi qui partira en
partie en fumée, ses lettres à Jeanne Voilier (une sacrée
cocotte). Ici c'est le ressenti qui prime, et même si le cogito met
en forme, façonne, c'est le cœur, le tendre, qui parle.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">(Conditions
lectorales quasi impossibles. Contre-mesures : Boules Quies)</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">22
mai 2022.- Temps chaud et nuageux, en attendant les orages (29°C).
Quatre conversations téléphoniques se mélangent, une à gauche,
une à droite, une au dessus de moi et de mes oreilles qui ne
demandaient rien, une plus lointaine et indistincte, mais tout de
même pénible. Les opérateurs téléphoniques sont les fournisseurs
sournois des langues, cordes vocales et bouches fatigantes qui
empêchent nos velléités de lecture. Les fabricants de fenêtres,
aussi. Ils devraient inventer un système obligeant les bavards à ne
pas ouvrir leurs grandes ou petites lucarnes par temps chaud. Tout ça
pour vous dire que ce matin les conditions lectorales étaient
globalement invraisemblables. Or j’avais prévu d’entamer un
volume compilant quelques <i>Variétés</i> du père Valéry (Paul).
Imaginez mon tracas, la lecture du docte Sétois demande tout de même
un minium de concentration et là en l’occurrence dans un tel enfer
engendré par la coalescence sournoise du tumulte téléphonique, du
réchauffement climatique et des fenêtres ouvertes inconsidérément,
ce minimum de concentration était difficilement atteignable pour le
lecteur non encore tout à fait sourd que je me révèle être. Je ne
suis pas sans savoir qu’il ne faut pas lire en écoutant de la
musique, mais le brouhaha était si prééminent que pour m'en
protéger je n'avais pas d'autre issu que de céder à des mesures
drastiques : c'était soit la musique soit les boules Quies. Les
boules Quies ayant le défaut de nous faire entendre les bruits de
notre propre intérieur ce qui ne favorise pas vraiment la
concentration j’ai choisi de transgresser l’une des règles que
je me suis fixées en écoutant tout de même ce que l’on peut
considérer comme de la musique. Pour accompagner mes pérégrinations
valéryennes j’ai ressorti l’album LP5 du groupe Autechre. Choix
qui s’est assez vite révélé fort juste tant le côté cérébral
de ce blues d’atomiste fait de blips brinquebalants et d’
impulsions électroniques semblait fait pour s’accorder avec les
syntagmes et lexies qui se déroulaient devant mes yeux. Lire Valéry
c’est voir la machine de l’esprit rendu visible, c’est voir
l’architecture même de l’intelligence presque entièrement
dessinée. Le lire en écoutant Autechre, c’est être ton sur ton.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">23
mai 2022.- Orages (28°C->20°C). Entre 1897 et 1917, Paul Valéry
ne publie plus rien. Il n'existe plus en tant qu'écrivain et l'on
pourrait même penser que ce qu'il a laissé entrevoir de lui-même
avant cette période de jachère, ces textes assez mythiques que sont
l<i>'Introduction à la méthode de Léonard de Vinci</i> ou<i> La
Soirée avec monsieur Teste </i>pourraient ressembler à l’œuvre
d'un être fictif, un Rimbaud chimérique, une invention borgésienne.
Comme il y a des auteurs potentiellement inventé, il doit bien y
avoir aussi des lecteurs inventés. Dans le volume de <i>Variétés</i>
que j'ai acquis chez l'un des bouquinistes du Village du livre de
Cuisery (le village de France comptant le plus grand nombre de
bouquinistes au mètre carré, c'est en Saône et Loire ) il y a une
multitude de notes prises au crayon, notes souvent illisibles, mais
qui pour le peu qu'elles laissent deviner, donnent une belle lumière
sur la pensée de Valéry. Qui pouvait bien être ce lecteur doublé
d'un annotateur éclairé ? Mystère ! Peut-être une invention
borgésienne de plus ? Allez savoir ? En attendant une ou deux
réponses, voilà quelques notes déchiffrées avec une peine digne
de Champollion. Si l’auteur des lignes qui suivent est encore
vivant qu’il se fasse connaître :</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">Tout
point de vue est faux, car on ne peut penser qu'en abstrayant. On ne
peut pas faire une synthèse de tous les points de vue, car seul le
tout est vrai.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">L’homme
s’est retiré des autres espèces animales. L’homme est le seul
qui produit ses actions à partir de ses pensées.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">L’homme
est plutôt du côté de l’imagination que du côté du réel.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">Quelle
vanité que la peinture, car elle nous donne à admirer des choses
dont nous ne garderions [illisible] les originaux.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">C’est
surtout la représentation romantique de Pascal qui est atteinte dans
la maïeutique de Valéry.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">Valéry
dévalorise les bas de notre être sans toutefois valoriser le haut
qu’il trouve désert. Le divin est placé dans le haut, l’homme
dans le bas.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">Pascal
a exagéré la distance entre le salut et le savoir.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">L’esprit
propre de Valéry, significatif d’un esprit qui n’a pas voulu se
spécialiser, mais a voulu tisser des régulations entre les domaines
les plus éloignés. Un sentiment vif de la différence des choses et
un sens de l’universalité.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">L’autre
méthode s’installe d’emblée dans le mécanisme de création
lui-même. Méthode de [illisible] intellectuelle de l’art→ L’art
est du présent au passé. L’analyse littéraire est discrète sur
la genèse de l’œuvre (oubli singulier de la formation des
œuvres). Cela s’explique par des réticences à aller chercher les
balbutiements d’une grande œuvre (sur la <i>Méthode de Léonard
de Vinci</i>).</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">24
mai 2022.- Baisse sensible de la température extérieure (21°C).
Labeur, épuisé, rien lu.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">25
mai 2022.- Ciel changeant, température agréable (23°C). J'ai
l'impression que l'ami Mozart usurpe un peu sa réputation de
scatologue en chef. Dans les cinq mille pages de sa correspondance il
est certes question de flatulences et de pets, mais finalement pas
tant que ça. Par exemple le 26 janvier 1770 à l'opéra de Milan
Mozart voit un danseur grotesque qui lâche un pet à chaque saut. Le
31 janvier 1778, il écrit une belle lettre à sa mère dans laquelle
il explique qu'il est en visite chez des gens qui ont la crotte au
vent et qui, la nuit venue, craquent des pets que sentent le miel. Le
23 décembre c'est une autre belle, et fameuse lettre adressée à sa
cousine la truculente Maria Anna Thekla. Mozart parle de laisser
résonner un pet solide avec son fusil postérieur, c'est très joli,
harmonieux, presque mélodique. Le 5 février Mozart se souvient d'un
petit pet pendant le souper. Mon travail est certes un peu empirique,
survolant et manquant de vrais outils scientifiques, mais il ne me
semble pas y avoir guère plus d'occurrences du mot pet dans le
Großglockner épistolier du freluquet de Salzbourg. Là où tout se
complique et infirme largement ma thèse sur la scatologie mesurée
de Mozart c'est que lorsque dans mes fines recherches je subroge le
mot crotte au mot pet c'est tout d'un coup une sorte d'explosion, des
crottes en veux-tu en voilà, de la matière à triturer comme s'il
en pleuvait. Finalement, je dois bien être dans l'erreur, Mozart est
bien un scatologue en chef : <i>« ah ! mon cul me brûle comme du
feu ! Que signifie donc cela ? – Peut-être une crotte veut-elle
sortir ? – Oui, oui, crotte, je te connais, je te vois, je te sens
– et – qu’est-ce ? – Est-ce possible ! – Dieux ! –
Oreille, ne me trompes-tu pas ? – Non, c’est bien ça – quel
son, long et triste ! »</i></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">26
mai 2022.- Parfaite équanimité entre nuages et soleil (23]C).
Toujours un peu dans les <i>Croquis de Voyage </i>de Joseph Roth que
je le lis par petite lampée. Il n'est plus question d'Allemagne,
mais de Villes blanches, ces villes que le Roth petit garçon aura
rêvé et que le Roth de trente ans commence à arpenter, ces villes
qui sont l'opposé du gris de son enfance, du gris et rouge de sa
jeunesse dans une ville de garnison où il n'y avait rien de plus
qu'une caserne et un hôpital militaire. Où les trouve-t-on ces
Villes blanches ? En France… elles commencent à Lyon, ce
territoire frontière situé entre le gris et le blanc, elles
descendent jusqu'à Marseille en suivant le court du Rhône, c'est
Vienne, Tournon, Avignon, Les Baux-de-Provence, Nîmes et Arles,
Tarascon et Beaucaire :<i> « Toute la ville lave son linge dans le
Rhône. C’est comme si les humains se débarrassaient de leurs
immondices, comme si ces femmes étaient ici, toute la journée, pour
maintenir propres les âmes des habitants. C’est pourquoi je pense
qu’une ville située au confluent de deux cours d’eau est habitée
par une population honnête. L’eau est un élément sacré. »</i></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">Par
ailleurs, je poursuis à grand-peine la retranscription des notes
scribouillées par mon valéryen anonyme. En voici quelques-unes :</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">L'abstraction
est dominée comme une forme de l'oubli. L'espace ouvre des
simultanéités, le temps ouvre des successions.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">La
fermeture est la philosophie de Valéry.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">La
différence provient des moyens mis en oeuvre pour se représenter la
nature (Science : faits. Art : images. Philo : mots). C'est la
prévalence du langage qui fait toute la valeur de la philosophie, et
aussi ses limites.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">Valéry
reproche à la philosophie sa prétention d'être scientifique. (En
philo chose personnelle se referme à l'être.)</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">Selon
la manière dont la pensée se comporte en face de la nature, on peut
parler de philosophie ou d'art… que Valéry va opposer.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">To
be continued.</span></p><br /></div></div></div>Philippe Lhttp://www.blogger.com/profile/11161966062544589959noreply@blogger.com1tag:blogger.com,1999:blog-6980582.post-1645198103565845202022-10-08T23:20:00.013+00:002022-11-03T21:47:48.272+00:00Psychogeographie indoor (121)<p></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"></p><p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Liberation Serif, serif;"><i><br /></i></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Liberation Serif, serif;"></span></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><span style="font-family: Liberation Serif, serif;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgvtdxjyGVpUMMkRjPKoBDcqYdyig6_hrpkE-7VH3IWldEXVVhWE8Q4p7Af4zl48jNkxA_9-MegF7EOMVZH36BfSpylfiWAF3dTx_1PI8q81pl12Qz6kTD683ClWltBApX9DVCf2UKmGAqMqjywduO7c2zMX7a87jP9yv8iR4ZUbgi4nCZZBYk/s2048/imgID74268789.jpg" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="2048" data-original-width="1578" height="400" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgvtdxjyGVpUMMkRjPKoBDcqYdyig6_hrpkE-7VH3IWldEXVVhWE8Q4p7Af4zl48jNkxA_9-MegF7EOMVZH36BfSpylfiWAF3dTx_1PI8q81pl12Qz6kTD683ClWltBApX9DVCf2UKmGAqMqjywduO7c2zMX7a87jP9yv8iR4ZUbgi4nCZZBYk/w309-h400/imgID74268789.jpg" width="309" /></a></span></div><span style="font-family: Liberation Serif, serif;"><br /><i><br /></i></span><p></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;">
<span style="font-family: Liberation Serif, serif;"><i>«</i><span style="font-family: Liberation Serif, serif;"><span style="font-size: 12pt;"><i> Mais
c’était charmant comme ça, juste charmant, un peu pesant, et puis
à nouveau un peu chiche, puis hypocrite, puis rusé, puis plus rien,
puis complètement idiot ; finalement c’était très difficile de
trouver encore quelque chose joli, on ne voulait pas s’y sentir
obligé, on restait assis, on allait, on flânait, on errait, on
marchait et on s’attardait comme ça, on était devenu un morceau
de printemps. »</i></span></span><span style="font-family: Liberation Serif, serif;"><span>
</span><span>(Robert Walser - <i>Les enfants Tanner</i>)</span></span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Liberation Serif, serif;"><span style="font-size: 12pt;"><br /></span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Liberation Serif, serif;"><span style="font-size: 12pt;">1.</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: "Liberation Serif", serif; font-size: 12pt; text-align: left;">6
avril 2022.- Temps nuageux (13°C). Avant de devenir infréquentable,
antisémite, collaborateur, pétainiste — en somme paillasson
morale qui finira condamné à mort, mais gracié — Henri Béraud
fut l'un des plus grands reporters de l'entre-deux-guerres. Pour
certains, l'égal de Joseph Kessel ou d'Albert Londres et en tous les
cas un maître incontesté du papier allongé. Les éditions Séguier
viennent de publier </span><i style="font-family: "Liberation Serif", serif; font-size: 12pt; text-align: left;">Version reporter</i><span style="font-family: "Liberation Serif", serif; font-size: 12pt; text-align: left;"> un choix de textes assez
replet qui offre un large panorama sur les talents qu'il aura pu
déployer entre 1919 et 1933. Il y est
question de la guerre d’indépendance irlandaise, de la
construction de l’Union soviétique, de la Turquie kémaliste, de
la marche des fascistes sur Rome ou de la montée du nazisme… J'ai
entamé cet hardi volume ce matin et n'ayant lu qu'un soixante de
pages sur plus de quatre cents je n'aurais donc qu'un avis partiel et
guère définitif à émettre. Bon, globalement ce n'est pas mauvais, un
peu obsolète forcement, mais très bien écrit. Les introductions
sont parfaites, celle-ci par exemple : </span><i style="font-family: "Liberation Serif", serif; font-size: 12pt; text-align: left;">« Le soir va tomber, un
soir dolent d’octobre lorrain, mêlant à la bruine une espèce
d’ombre cendrée que l’on ne voit pas en d’autres pays ».</i></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Liberation Serif, serif;"><span style="font-size: 12pt;">Par
ailleurs, le soleil manquant je fais mes valises pour une destination
plus australe : la Côte d'Azur.</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Liberation Serif, serif;"><span style="font-size: 12pt;"><br /></span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Liberation Serif, serif;"><span style="font-size: 12pt;">14
avril 2022.- Nuages hauts n’altérant pas l’impression de beau
temps (21°C). Retour de la Côte d'Azur où j’ai passé une
petite semaine diablement revigorante. Comme tout est dans tout,
Saint-Jean Cap Ferrat, la « presqu’île des oligarques russes »
était ma base arrière. Elle est certainement pleine de Russes, mais
aussi d’Ukrainiens (c’est tout du moins ce que mon laissé croire
de nombreux bolides immatriculés entre Don et Dniepr). Tous ces gens
ne se font donc pas la guerre ! Des Russes, des Ukrainiens, mais
aussi bon nombre d’Italiens. C’est bien simple on se demande s’il
y a des Français dans ce coin de France. Des Russes, des Ukrainiens,
des Italiens et puis des petits chiens, une kyrielle de petits
chiens, de toutes les couleurs, froufroutants, capricants et parfois avec de drôles de trognes
écrasées, des petits chiens en veux-tu en voilà ! Sinon et pour le
reste, j’ai refait les sentiers de bord de mer, ceux du Cap Ferrat
et celui du Cap d’Ail en poussant jusqu’à Monaco. Je n’ai pas
refait le chemin de Nietzsche à Eze, mais je suis retourné au
cimetière marin de Menton, il est toujours aussi beau. </span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Liberation Serif, serif;"><span style="font-size: 12pt;">Mes valises
défaites, mes pérégrinations australes derrière moi, je suis déjà plongé dans les papiers d’Henri Béraud.
En Albanie il va de Tirana à Valona, son automobile traverse champs,
plages et fleuves. Il n’y a pas de routes : <i>« On danse, on
chante, on titube, on se cabre, on s’embourbe, on verse à demi.
Cependant, on arrive. Le plus mauvais passage, c’est le chemin ».</i>
Il visite ensuite une Russie post révolutionnaire qui oublie assez
vite beaucoup de ses principes. Nous sommes en 1925 et la propriété,
le capitalisme et l’impérialisme refont surface en catimini.
Trotski est vaguement chassé du pouvoir, Staline commence à se
lisser les moustaches, les exilés russes font déjà la nouba sur la
Côte d'Azur.</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><br />
</p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Liberation Serif, serif;"><span style="font-size: 12pt;">15
avril 2022.- Soleil (21°C). Journée encombrée par de multiples
tracas domestiques. Nonobstant je suis toujours plongé dans le gros
spicilège du replet Béraud. Je devine confusément que tout en étant meilleur ecrivain il est certainement moins bon journaliste qu’Albert Londres. Moins bon journaliste parce que moins précis et moins
dans la pâte humaine, meilleur écrivain parce que « tenu » par un
style qui laisse beaucoup de place aux images littéraires. Disons
que Londres est d’une magnanimité parfois un peu lourdaude. On
imagine que visitant le Berlin pré-hitlérien il n’aurait pas mis
toutes les couleurs d’un Béraud parfait maître de sa petite
entreprise impressionniste. Il n’aurait peut-être pas vu les
couples qui « charlestonnent » sans musique au clair de lune dans
un profond silence et qui tête basse vont ensuite se coucher, les
adeptes du « cyclisme sentimental » qui pédalent en se
tenant par la main, les types en culottes tyroliennes avec les genoux
nus qui vont camper à la belle étoile tout en chantant la Meunière
de Schubert, les plages nudistes et leur mélange de « désordre
nomade et de paganisme rationnel ».</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><br />
</p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Liberation Serif, serif;"><span style="font-size: 12pt;">16
avril 2022.- Soleil et vent tiède (21°C). Vaguement malade, je n’y
suis pas vraiment.</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Liberation Serif, serif;"><span style="font-size: 12pt;">Béraud
et l’Italie, Béraud et le fascisme, Béraud et Mussolini. Il aime
l’Italie, est un peu offusqué par le fascisme qui opprime
beaucoup, mais il est aussi intrigué par ce mouvement qui fait table
rase avec des arguments assez antiques tout en laissant une très
large place à la jeunesse. Il rencontre Mussolini, semble parler
d’homme à homme avec lui. C’est pourtant un faux dialogue, on
sent la fascination pour l’homme de pouvoir, on sent aussi ce qui
perdra Béraud plus tard.</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><br />
</p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Liberation Serif, serif;"><span style="font-size: 12pt;">17
avril 2022.- Beau temps printanier (22°C) Au loin des clochers
bulbeux, une lente colline, un air de fête. Béraud entre dans
Prague, cette ville posée au centre du triangle mittleuropa. Beau
reportage, belle rencontre avec Tomáš Masaryk le Bolivar de la
Bohème. Quelques pages plus loin nous sommes encore plus à l'Est,
aux portes de l'orient, à Istanbul. Encore une rencontre, Béraud
s'entretient avec Mustafa Kemal pendant plus de six heures. C'est un
drôle de type :</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Liberation Serif, serif;"><span style="font-size: 12pt;"><i>«
Voilà ce qu’à peu près l’on dit de Mustapha Kemal, parmi ceux
qui, Ottomans ou étrangers, ont quelque autorité pour parler de son
personnage. Au surplus, on raconte qu’il vit, la nuit, entouré de
compagnons fidèles, qui partagent une existence pleine d’ardeur et
d’imprévu. On le voit, dans les lieux de plaisir, faire danser les
femmes et boire, sans en être le moindrement incommodé, des flacons
entiers du capiteux raki national. Il cesse de danser pour deviser
avec les siens. La nuit passe ; il oublie de manger ; lit à l’heure
où chacun le croit endormi ; décide, quand son entourage, fourbu,
croit enfin se reposer, que l’on part pour Gallipoli ou pour le
Taurus ; revient, toujours en tête et rempli d’entrain, passer
d’autres nuits dans quelque lieu à la mode, dicter des lois,
organiser des réformes, tracer des villes et mener finalement souper
ses familiers au palais ».</i></span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><br />
</p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Liberation Serif, serif;"><span style="font-size: 12pt;">18
avril 2022.- Soleil (21°C). En lisant ses papiers, on constate que
jusqu’en 1932 Béraud n’est jamais vraiment du côté du pire. Il
analyse les questions géopolitiques (dans la géopolitique en oublie
trop la géo) avec une certaine lucidité, voit bien que l’Allemagne
et ses volontés anschlussiennes sont un gros problème, n’est pas
plus antisémite que ça… Comment alors comprendre son basculement
futur ? Un désamour de l’Angleterre qui se transforme en haine de
tout le monde et surtout des juifs ? Peut-être ?</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Liberation Serif, serif;"><span style="font-size: 12pt;">Laissant
Béraud derrière moi j’enchaîne avec <i>Le</i> <i>Parti d’Edgard
Winger </i>de Patrice Jean. N’ayant jamais fourré mon museau chez
ce romancier que l’on dit ultra contemporain les pages dans
lesquelles j’avance tant bien que mal sont donc un territoire
vierge. Elles sont pour l’instant assez amusantes et malines. Jean
se moque de l’engagement « progressiste » avec des quarts de
sourire houellebecquiens, un côté Philippe Muray romancier.
J’espère simplement qu’il se moquera de tous les engagements.</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><br />
</p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Liberation Serif, serif;"><span style="font-size: 12pt;">19
avril 2022.- Rares nuages en approche (21°C). Fini le livre de
Patrice Jean. Je tamponne allégrement le fond, l'ironie autour de
l'engagement, les ravages de l'air du temps, toutes ces choses-là.
Cependant, la forme manque de maîtrise, de finesse de touche, de
complexité et de flou. Il y a trop de concessions à une efficacité
narrative un peu pataude. On a parfois l'impression de lire du
Houellebecq lyophilisé, cela pourrait être un problème.</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Liberation Serif, serif;"><span style="font-size: 12pt;">Demain
retour au labeur, sans entrain.</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><br />
</p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Liberation Serif, serif;"><span style="font-size: 12pt;">21
avril 2022.- Impression de beau temps (20°C). Retour dans le <i>Journal</i>
<i>Inutile</i> du vieux Morand. Le 9 janvier 1969, il déjeune avec Pascal
Jardin, Jean-Albert de Broglie et Patrick Modiano, il dîne ensuite
chez Jean d'Ormesson avec Kléber Haedens et Michel Déon. Il déjeune
et il dîne. Il écrit aussi. Entre deux repas il s'emporte contre le
lobby juif et constate que <i>« les juifs ont toujours été
massacrés, au moins malmenés, dans tous les pays, à toutes les
époques : mais pour des raisons différentes. Ce qui prouve que ces
raisons sont superficielles »</i>. Dix lignes plus loin il remarque
que <i>« l'on est lucide, clairvoyant pour ceux qui boivent, se
détruisent, s'enlaidissent. Jamais il ne vient à l'idée de
personne de dire : Un tel s'est amélioré » </i>. Le vieux
Morand se sera-t-il amélioré avec l'âge ? En lisant le prurigo
intime qu'est son <i>Journal</i> <i>inutile</i>, on a bien envie de dire non.</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><br />
</p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Liberation Serif, serif;"><span style="font-size: 12pt;">2.</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Liberation Serif, serif;"><span style="font-size: 12pt;">23
avril 2022.- Temps nuageux (16°C). Malade depuis bientôt une
semaine. La forme est paralympique. Plus vif et sautillant : Evelyn
Waugh. Je viens d’entamer son <i>Scoop</i> et je dois dire qu’il
me plaît déjà assez. L’entame est un peu fouillis, il y a une
multitude de personnages, on se croirait dans <i>Guerre et paix</i>,
mais ce n’est pas trop problématique tant la loufoquerie, les
quiproquos et les situations burlesques sont de mise. Résumons à
traits replets : suite à une large méprise autour du grand grèbe
huppé (c’est un oiseau) un gentleman-farmer plus ou moins écrivain
est envoyé dans un pays africain imaginaire pour couvrir un conflit
qui n’existe pas. Waugh s’est inspiré de son passage en
Abyssinie pour fomenter cette satire africaine qui comme je l’ai
écrit plus haut s’annonce très bien (je n’ai lu que soixante
pages en toussant).</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><br />
</p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Liberation Serif, serif;"><span style="font-size: 12pt;">24
avril 2022.- Ciel morose (14°C). J'apprends par la bande qu'il y
aurait des élections présidentielles aujourd'hui en France. C'est
une information qui me surprend un poil, car je n'ai pas vu l'ombre
de la moindre campagne électorale brandouiller depuis six mois.
Alors, <i>fake news </i>ou pas ? En parlant de <i>fake news</i>
je suis toujours dans le <i>Scoop</i> de Waugh qui fourmille en faux
pays, fausses révolutions, et fausses nouvelles promptes à faire
vendre du papier. Bref, tout est faux sauf l'humour qui est partout.
L'intrigue est parfaitement fofolle et part dans tous les sens,
surtout Waugh pense très mal ce qui il faut bien le dire est une
sorte de bouffée d'air frais.</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><br />
</p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Liberation Serif, serif;"><span style="font-size: 12pt;">25
avril 2022.- Ciel couvert (16°C). L'une de ces journées où rien ne
va. Inutile de la détailler.</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><br />
</p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Liberation Serif, serif;"><span style="font-size: 12pt;">26
avril 2022.- Belles éclaircies (18°C). Lever 5H00. Cinquante
minutes plus tard labeur mélangeant stakhanovisme morose et néo
taylorisme patibulaire, mais large contribution à la grande marche
du libéralisme avancé qui vient de triompher lors du récent
referendum présidentiel (triomphe biaisé pour les raisons que
chacun sait). Conséquence : grosse fatigue, immense besoin de repos.
Néanmoins encore assez de force pour m'écrouler sur mon fauteuil
tout en ouvrant les <i>Mauvaises pensées et autre</i>s de Valéry
(Paul) qui n'est certes pas un très grand marxiste, mais chez qui
tout est presque toujours dans tout. Ainsi ces lignes parfaitement
éclairantes : <i>« Ma sensation d’immobilité, ma certitude
d’être fixe dans ce fauteuil est – sans doute précisément la
sensation d’être emporté par la terre dans son mouvement. C’est
le sentiment de cet emportement que nous appelons repos. »</i></span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><br />
</p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Liberation Serif, serif;"><span style="font-size: 12pt;">28
avril 2022.- Temps splendide (23°C). Lu dans la matinée <i>De L'art
d'ennuyer en racontant ses voyages</i> de Matthias Debureaux. C'est
un court opuscule qui se moque allégrement des grands voyageurs que
nous connaissons toutes et tous (j'écris comme Emmanuel Macron parle).
C'est parfaitement drôle, on peut y lire des choses comme celle-ci :
<i>« Arborez tambourin et barbichette. Laissez raconter votre
corps : dreadlocks véritables, piercings avec des ossements
d'animaux exotiques, traînée de piqûres d'araignée et mollets en
jachère pour les filles. Et, bien sûr, ces tatouages de guerrier
voyageur qui vous protègent sur toutes les routes. Dites que ce
n'est pas vous qui les avez eux qui vous ont désigné… Ne quittez
plus votre dent de crocodile montée en collier ou ce bracelet en
poil d'éléphant légué par un policier népalais aux yeux en
amande. »</i> Dans l'une de ses pages, Debureaux évoque les
auteurs qu'il faut nommer, sans en avoir lu une seule ligne : Waugh,
Larbaud, Byron, Bouvier, Chatwin, Kapuściński ou Segalen sont sont
ainsi listés. Francisco Coloane et Cees Nooteboom le sont également.
Comme les choses sont bien faites, et que tout est dans tout, il
s'avère que j'ai quelques volumes de ces deux loustics dans ma pile
de livres en attente… J'ai donc enchaîné mes pérégrinations
immobiles et néanmoins lectorales avec le plus néerlandais des
deux, c'est-à-dire Cees Nooteboom, en entamant <i>533 : Le livre des
jours</i>, l'une de ses dernières publications en date. Nooteboom
parle de l'île de Minorque où il semble vivre quelques mois par an,
de son jardin, de cactus, de papillon, de Philip Roth et de Josef
Roth, de la tombe d'Elias Canetti et de celle de Paul Celan, des
relations compliquées entre Borges et Gombrowicz, de littérature
hongroise, de Péter Esterhazy, et des deux Miklos : Bánffy et
Szentkuthy (tous ces noms et prénoms hongrois sont assez compliqués
à écrire, il me manque des accents et de surcroît je suis dyslexique). L'ensemble qui est d'une
simplicité désarmante, d'une limpidité qui n'exclue pas une belle
hauteur de vue, coule comme un ruisseau (c'est excellemment traduit,
tout du moins, je l'imagine).</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><br />
</p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Liberation Serif, serif;"><span style="font-size: 12pt;">29
avril 2022.- Nuages (22°C). Une chronique d'Aurelien Bellanger, une
autre d'Alexandre Vialatte, trois lignes de Paul Valéry, deux
paragraphes des Cahiers de Cioran, cinq article du journal l'Equipe, ces lignes de Miklós Szentkuthy, l'écrivain hongrois le plus
photogénique de tous les temps : <i>« Heidegger dit quelque part
que la vie est un “Entgegenlaufen dem Tode”, une course à la
mort, mais, au lieu de développer cette idée en parlant des
souffrances et des expériences de notre vie quotidienne, il la noie
dans je ne sais quelle logomachie hyper-abstraite. </i></span></span><i style="font-family: "Liberation Serif", serif; font-size: 12pt; text-align: left;">Fichte,
Schelling, Kant, empirisme et non-empirisme, tout cela est, à mon
sens, à côté de la question. </i><i style="font-family: "Liberation Serif", serif; font-size: 12pt; text-align: left;">Bon
Dieu ! nous sommes malades, nous souffrons de mille maux aussi bien
physiques que psychiques. Et alors je prends Kant - tenez, voici le
titre d'un chapitre : “Von der Amphibolie der Reflexionsbegriffe”
(“De l'équivoque des concepts de réflexion”) - et j'ai envie
d'hurler. Traitez-moi, si vous voulez, de péquenot ou de concierge,
mais le fait est là : que m'importent la Wille et la Vorstellung, la
volonté et la représentation, lorsque j'ai mal au ventre, que ma
mère se meurt, que les étoiles brillent, ou que la vie est
insupportable ? Ces gens-là sont à côté de la plaque ! mais
personne n'ose le dire. »</i></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><br />
</p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Liberation Serif, serif;"><span style="font-size: 12pt;">30
avril 2022.- Parfait équilibre entre nuages et soleil (22°C).
Conditions lectorales moyennes, des mouflets stridents comme des
pinsons sous cocaïne, quelques enceintes connectées mal à propos,
une flûte ou un pipeau s'échappant d'une fenêtre entrouverte
(aurais-je hérité d'un voisin flutiste ?). J'ai envoyé les
contre-mesures (Magazine-Secondhand Daylight, Mission of
Burma-Signals, Calls and Marches, je suis un vieux crouton post-punk). Fini le livre de Cees Nooteboom
que j'ai assez aimé. Ce n'est pas d'une profondeur insondable, mais
il y a beaucoup de plaisir à prendre dans cette tranquille balade
littéraire qui a tout du Jounal expurgé de l'intime. Jolies
circonvolutions autour des cactus, autour de la faune et de la flore
des Îles Baléares, souvenirs et digressions, éloge de Borges,
belles pages sur la course des sondes spatiales Voyageur 1 et 2
(c'est ce qu'il y a de mieux), considérations sur l'actualité
(c'est qu'il y a de moins bien). <i>« C’est une claire journée de
janvier. Le cactus aux armes redoutables a de minuscules fleurs
jaunes, les petits cactus duveteux en ont de la même taille, mais
violettes, et l’antique amandier au tronc scié par le milieu a des
centaines de boutons et ses premières fleurs blanches. Je décide
que le cosmos est une illusion et je ressens l’envie, tel un pape
polonais, de baiser la terre de mon jardin. »</i></span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><br />
</p><p align="justify" style="font-variant-east-asian: normal; font-variant-numeric: normal; line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;">
<span style="font-family: Liberation Serif, serif;"><span style="font-size: 12pt;">3.</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Liberation Serif, serif;"><span style="font-size: 12pt;">1er
mai 2022.- Ciel dégagé, température agréable, pas de vent (20°C).
Je lis <i>La France sous nos yeux </i>de Jérôme Fourquet et
Jean-Laurent Cassely. C’est une étude tout à fait passionnante
sur ce que certains appellent la « France d’après ». On apprend
une foultitude de choses et ce que l’on savait déjà, ou tout du
moins ce l’on devinait intuitivement, est éclairé, confirmé et
tamponné par une approche qui me semble avoir à vue de nez tout du
scientifique (rien de vraiment littéraire). L’ouvrage fourmille en
statistiques, cartes et d’analyses, et donne l’impression d’être
sérieux sans jamais ne rien céder à un quelconque parti pris
partisan. L'ensemble est docte et précis tout en restant informé et
il n’engendre pas le moindre ennui chez le lecteur. Il donne aussi
parfois l’envie de rire et pourquoi pas de pleurer. De rire parce
qu’apprendre que 75% des Français de moins de 35 ans ont visité
Disneyland Paris au moins une fois dans leur vie explique en grande
partie l'air perpétuellement hébété de certains millennials ; de
pleurer parce que les grandes marches du libéralisme avancé et
l’américanisation auront non seulement transformé la société
française, les façons de vivre, de manger, de penser, mais aussi
transformé les paysages et une nature qui si elle a toujours bougée
avec les hommes n’a jamais autant bougée que depuis trente ans (et
pas dans le bon sens). </span></span>
</p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><br />
</p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Liberation Serif, serif;"><span style="font-size: 12pt;">2
mai 2022.- Appétence printanière (22°C). Les fermetures de sites
industriels de 50 salariés et plus entre 2008 et 2020, les
fermetures des sites dans l’automobile et dans l’agro-alimentaire,
la chronologie de la fermeture et des cessions des sites d’Alcatel,
l'évolution du nombre de salariés sur les sites de Vittel et
Contrex depuis 1993, l'évolution du nombre d’exploitants
agricoles, l'essor de l’implantation d’Intermarché sur le
territoire, la « France Amazon » et l'implantation des principaux
acteurs de l’e-com, l'évolution des effectifs dans différents
secteurs du transport et de la logistique, les autoroutes du cannabis
et la cartographie des interceptions de go fast entre 2010 et 2020,
l'évolution de la flotte de pêche française (en nombre de
bateaux), les fréquentations annuelles comparées du château de
Chambord et du ZooParc de Beauval entre 1995 et 2018, la chronologie
de la création des principaux festivals rock et électro,
l'évolution du nombre de cinémas multiplex, l'évolution de la part
d’emplois présentiels à La Ciotat et Cassis (en %) entre 1975 et
2016, la popularité des communes de France métropolitaine sur
Wikipédia, les lieux de tournage des sagas de l’été diffusées
entre 1988 et 2017 sur TF1 et France 2, l'évolution du prix du mètre
carré à Bordeaux entre 2004 et 2018, la proportion d’électeurs
nés hors du département dans les communes du Pays basque, les lieux
de travail, de loisirs et de vie qui ont émergé dans les années
2010 à Pantin, le prix du mètre carré autour des stations de la
ligne 5 du métro parisien, les piscines en France : nombre de
piscines pour 100 logement, la localisation des 159 plus beaux
villages de France, le prix de l’immobilier et le vote Fillon au
premier tour de l’élection présidentielle de 2017 dans la haute
vallée de la Tarentaise, l'évolution du taux de possession de
certains appareils électroménagers entre 1980 et 2018, l'évolution
des ventes annuelles de la marque Dacia en France, l'évolution du
chiffre d’affaires de la Française des Jeux, l'évolution des
encours de crédit à la consommation entre 1993 et 2018, l'évolution
du réseau de boulangeries de périphérie Marie Blachère,
l'évolution du nombre de cavistes et de magasins bio à Paris entre
2000 et 2017, l'évolution du chiffre d’affaires du marché de
l’e-commerce (en milliards d’euro), l'évolution du nombre
d’Ehpad entre 1980 et 2020, la chronologie parcellaire de l’entrée
dans l’ère du chômage de masse, l'évolution et localisation des
établissements dont l’activité est liée aux services personnels,
au bien-être et à la santé, l'évolution du nombre d’étudiants
en IUT et en STS, la proportion d’enseignants ayant souscrit leur
assurance habitation à la Maif par tranche d’âge, l'évolution de
la répartition sectorielle des 500 premières fortunes françaises,
la part des baptisés dans les naissances entre 1970 et 2018, le
pourcentage de la population déclarant avoir un accent marqué, la
carte de l’ovalie et de la persistance des accents, la géographie
des graisses de cuisson majoritairement utilisées en France,
l'évolution de la consommation d’huile d’olive en France (en
tonnes) entre 1990 et 2016, la carte des communes dotées d’une
voie au moins dont l’intitulé comporte le mot « oliviers », la
localisation des brasseries et micro-brasseries en France, la carte «
toddienne » des structures familiales, la proportion de films
français et américains parmi les films totalisant plus d’un
million d’entrées dans l’année, l'évolution du nombre de
restaurants McDonald’s en France, la fréquence des repas chez
McDonald’s par génération, la proportion de pratiquants actuels
ou passés de la danse country en fonction du niveau de vie,
l’implantation des clubs de pole dance en France, la France des
bikers : implantation des clubs de fans de motos américaines, la
proportion des 25-40 ans regardant en anglais des films ou séries ou
lisant en anglais des livres ou la presse selon le niveau de diplôme,
la chronologie sommaire de la sédimentation de la couche culturelle
japonaise, la chronologie sommaire du développement de l’offre
agroalimentaire halal, la fréquentation de restaurants kebabs par
tranche d’âge (en pourcentage), le pourcentage d’amateurs de
tacos par tranche d’âge, le pourcentage d’amateurs de blanquette
de veau par tranche d’âge, le top 3 des chanteuses et chanteurs
français les plus populaires par génération, la carte des lieux de
culte évangélique, le rapport de force RN/LREM en Alsace lors d des
élections européennes de 2019, les votes Hidalgo + Belliard et Dati
selon le nombre de voitures possédées... Cette liste n’est pas de
Perec et encore moins de Prévert, elle est de Jerôme Fourquet et me
semble parfaitement résumer son travail. On peut la trouver un peu
comique, la lire en se tenant presque les côtes. On peut aussi la
trouver un brin tragique. Les statistiques ne mentent généralement
pas et les conclusions que tire Fourquet n’ont rien de vraiment
sautillant. « L’archipélisation » de la France est en marche et
je crains que cela ne soit pas une grande avancée.</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><br />
</p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><br />
</p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;">
</p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Liberation Serif, serif;"><span style="font-size: 12pt;">To
be continued.</span></span></p><br /><p></p><p></p><p></p>Philippe Lhttp://www.blogger.com/profile/11161966062544589959noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-6980582.post-25163728503815551082022-09-17T23:10:00.004+00:002022-09-17T23:16:38.811+00:00Chambre verte - JLG<p> </p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEglUSvGbuebhLwFTN-XemoztVZLXl4W2pCrfJgMA6KycJ27DmOkCv-CUIlPyvkNI2f7l-x18ompxP0npjoKjf_lzBfbCZ_V697TQd1Zr3AlWxcrbGGo0wzLdoXNMc9Q44O6-Z4c-4fVOoNeIeWkfRX8KrNzl7Q0zvYF_ksTxuh9sCGmZEa1e6M/s1309/sil.jpg" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="581" data-original-width="1309" height="178" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEglUSvGbuebhLwFTN-XemoztVZLXl4W2pCrfJgMA6KycJ27DmOkCv-CUIlPyvkNI2f7l-x18ompxP0npjoKjf_lzBfbCZ_V697TQd1Zr3AlWxcrbGGo0wzLdoXNMc9Q44O6-Z4c-4fVOoNeIeWkfRX8KrNzl7Q0zvYF_ksTxuh9sCGmZEa1e6M/w400-h178/sil.jpg" width="400" /></a></div><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiwlwJUWGUlAB-LWB0ZkyHqcrhIPWOTBggSh3ivPb428LqUHvHcDSuc1eKj6t6AIsrrZfdhzhZjzMv-Y-5pVZaGwpj8YXEociAc70pUmo8MewSsT6fLj4YNLnQd3QK_9F97KVn2pmDbF1-07kzfQggQrGkeDqEWkIpveGLdRe53sULR4s2dmHo/s717/sil2.jpg" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="343" data-original-width="717" height="191" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiwlwJUWGUlAB-LWB0ZkyHqcrhIPWOTBggSh3ivPb428LqUHvHcDSuc1eKj6t6AIsrrZfdhzhZjzMv-Y-5pVZaGwpj8YXEociAc70pUmo8MewSsT6fLj4YNLnQd3QK_9F97KVn2pmDbF1-07kzfQggQrGkeDqEWkIpveGLdRe53sULR4s2dmHo/w400-h191/sil2.jpg" width="400" /></a></div><p><br /></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><p align="justify" style="font-variant-east-asian: normal; font-variant-numeric: normal; line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;">
<span style="font-size: 12pt;">Silencio</span></p></div><p></p>Philippe Lhttp://www.blogger.com/profile/11161966062544589959noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-6980582.post-68228134551103348662022-09-10T22:15:00.006+00:002022-10-15T11:17:50.529+00:00Psychogeographie indoor (120)<p></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEijFuqXKKfkSa3B6w8Yl3DPjsuvv_nfEz5NcS4kG-19Fhkhw4Uxmd9r2JJJXbKfdS7r5KUqJFYiYQqpa_fh_L4fqFPyn8_vMA_rkv7_ch4KE6YNII852b8VhWdqZzIRCg_ULnm1Uz4s6NHQ-xiky0qhVM2BX6XKrWf2SaS7bVbUp2DO3ZnzSks/s2048/304976498_10160192955642710_5439709881973084918_n.jpg" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="1365" data-original-width="2048" height="266" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEijFuqXKKfkSa3B6w8Yl3DPjsuvv_nfEz5NcS4kG-19Fhkhw4Uxmd9r2JJJXbKfdS7r5KUqJFYiYQqpa_fh_L4fqFPyn8_vMA_rkv7_ch4KE6YNII852b8VhWdqZzIRCg_ULnm1Uz4s6NHQ-xiky0qhVM2BX6XKrWf2SaS7bVbUp2DO3ZnzSks/w400-h266/304976498_10160192955642710_5439709881973084918_n.jpg" width="400" /></a></div><br /> <div><div style="text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt;">Après une longue et pénible
chasse à la coquille, voilà « mon » livre. C'est un vague Journal
partiellement expurgé de l'intime où il est surtout question de
météorologie, de livres certainement un peu mal lus, de quelques
voyages plus ou moins exotiques, du morne agrégat du quotidien et
des larges vicissitudes du labeur rémunéré. Ce vague Journal vous
n'êtes pas obligés de le lire entièrement. Vous pouvez l'ouvrir au
gré du hasard, picorer dedans, vous laisser emporter ou pas. Vous
n'êtes même pas obligés de l'ouvrir. Vous pouvez par exemple
l'utiliser pour caler une commode chiquement boiteuse. Bref, vous
pouvez faire tout ce que vous voulez avec lui.</span></div><p style="font-style: normal; font-variant: normal; line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; text-align: left;">Je ne me suis pas enquiquiné
pour la couverture, me contentant d'un minimalisme lactescent de bon
aloi. Ma petite affaire n’a pas d'index, son prix est de 22.54 €
et elle est commandable à cette <a href="https://www.thebookedition.com/fr/psychogeographie-indoor-p-392134.html" target="_blank"><b><span style="color: #ea9999;">adresse</span></b></a>. </span></p>
<p style="font-style: normal; font-variant: normal; line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
<span style="font-size: small;">L'investissement est un peu
excessif, mais mon train de vie ne cesse pas d'enfler, alors faites
un petit effort. Merci d'avance.</span></p>
<p style="font-style: normal; font-variant: normal; line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="text-align: left;"><span style="font-size: x-small;">P.-S. Ma chasse aux coquilles
aura été bien vaine. Ouvrant mon machin diaristique à la page 220
j'en dénombre pas moins de deux. Dieu que tout cela est fatigant !</span></span></p><br /><p></p></div>Philippe Lhttp://www.blogger.com/profile/11161966062544589959noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-6980582.post-38052883357627178912022-09-06T16:07:00.007+00:002022-10-09T20:59:16.744+00:00Psychogeographie indoor (119)<p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: 12pt;"></span></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><span style="font-size: 12pt;"></span><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgLlIKtUtQKjU-hfUuVRJIbF2TpRPeUGl1nuaAZb1nTCf-hsx0Tn9m5xjSXjtThb6Xxh9tAXBPlYz9kRN478vdcsDk3ay2VJKgI6LqyBPZZ9pFI49y4tHNz9hZuKBkdnDSt1CYRFRk0ZPa49KDDtH0I76nJQEGZddZ-iv-DJ4AGyygrxHDlFT8/s1134/Felisberto_Hernandez.jpg" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="1134" data-original-width="800" height="400" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgLlIKtUtQKjU-hfUuVRJIbF2TpRPeUGl1nuaAZb1nTCf-hsx0Tn9m5xjSXjtThb6Xxh9tAXBPlYz9kRN478vdcsDk3ay2VJKgI6LqyBPZZ9pFI49y4tHNz9hZuKBkdnDSt1CYRFRk0ZPa49KDDtH0I76nJQEGZddZ-iv-DJ4AGyygrxHDlFT8/w283-h400/Felisberto_Hernandez.jpg" width="283" /></a></div><div style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size: 12pt;"><i><br /></i></span></div><div style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size: 12pt;"><i><br /></i></span></div><div style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: left;"><span style="font-size: 12pt;"><i>« Quand on demande à
Loti pour quel candidat à l'Académie il votera, il répond ; pour
le moins laid »</i> </span><span style="font-size: x-small;">(Henri de Régnier - <i>Cahiers</i>)</span></div><p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><br />
</p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: 12pt;"><b>1.</b></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: 12pt; text-align: left;">18
mars 2022.- Ciel gris jaune (13°C). Après Georges Haldas,
baguenauder chez Pierre Loti offre un genre de libération. Ses </span><i style="font-size: 12pt; text-align: left;">Derniers jours de Pékin</i><span style="font-size: 12pt; text-align: left;"> non rien de vraiment sautillant
au menu. On débarque dans une Chine ravagée par la révolte des
Boxers et il n’est question que de dévastation, de ruines et de
cadavres livrés aux chiens. Pourtant on jubile, on est presque
enchanté. C’est tout le talent de Loti que de nous captiver avec
toutes ces choses terrifiantes qui s’accordent peut-être
finalement très bien avec son esprit décadent teinté de
romantisme. A Tong-Tchéou dans une maison détruite par les combats
un chien galeux tire quelque chose sous une pile d’assiettes
brisée, c’est le cadavre d’un enfant. Une cage est restée
suspendue ; un oiseau y est encore, pattes en l’air, desséché
dans un coin. Dans les cimetières, les cercueils éventrés
vomissent les os et la pourriture. Dans les rues des têtes de mort à
longue natte traînent partout sur les pavés : </span><i style="font-size: 12pt; text-align: left;">« Il y a des
tournants, baignés d’ombre glacée, que l’on aborde avec un
serrement de cœur… » </i><span style="font-size: 12pt; text-align: left;">Bref, la mort rôde un peu partout. À
la légation française de Pékin l’aspirant Herber, frappé d’une
balle en plein front par les Boxers, dort dans la terre du jardin. La
grande ville rouge n’est plus que décombres et poussière, la «
ville interdite » ne l’est plus, on s’y déplace librement entre
les cadavres. Loti est certes horrifié par tout ça, mais il
gambille tout de même un peu. Nous aussi, avouons-le.</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: 12pt; text-align: left;">19
mars 2022.- Soleil voilé (14°C). Dans le Pékin de Loti on croise
des centenaires en barbiche blanche qui vivent dans des cours d’ombre
abandonnée. Ils y ont bâti des cabanes dans lesquelles ils
périclitent en reclus tout en élevant des pies savantes et en
cultivant des fleurs maladives dans des potiches à moitié cassées.
Ces centenaires sont loin du monde chinois et ils ont bien raison de
l’être, car ce monde-là n’est pas bien beau à voir. Les gens y
sont pourtant d’ordinaire maniables et doux, accessibles au charme
des fleurs ou des petits enfants, mais ils ont aussi une «
inexplicable fissure dans la cervelle », qui peut les rendre
soudainement d’une cruauté profonde. Ils deviennent alors
tortionnaires avec joie et délice, capables d’arracher des ongles,
de dépecer des entrailles vives. Ainsi Pékin est jonchée de
cadavres, des tas enchevêtrés dans des poses d’agonie, des
fouillis de membres sans chair où il ne reste que des épines
dorsales toutes rouges dont se repaissent, les chiens et les
corbeaux. Avouons-le, si tout cela est dans une certaine mesure «
charmant » à lire, cela devait être un peu dur à voir. C’est
sans doute pourquoi Loti se réfugie dans l’opium et ses
cérémonies. Il revêt alors une robe asiatique (c’était une
manie chez que de se déguiser) s’étend sur un cousin doré et
laisse aller son imagination lasse et blasée. L’opium est exquis,
sa fumée tourne en spirales rapides tout en embaumant l’air : «
par degrés, il nous (lui) apportera l’extase chinoise...
l’allégement, l’impondérabilité, la jeunesse »… et l’oubli
des hommes… certainement.</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: 12pt; text-align: left;">20
mars 2022.- Temps couvert (14°C). Loti dîne chez un mandarin. On a
caché les dames de la maison — chacun sait qu’un Chinois parlant
de sa femme ne la désigne que de manière froide, indirecte et sans
galanterie ; c’est son « horripilante » ou sa « nauséabonde
»—, la vaisselle est étrange, des exquises petites porcelaines si
ténues qu’elles ressemblent à des accessoires de dînette. Le
menu est non moins étrange, des prunelles confites, des mignardises
que l’on mange avec de petites baguettes, un plat d’ailerons de
requins, de la vessie de cachalot, des nerfs de biche, des ragoûts
divers et variés, l’un aux racines de nénufar et aux œufs de
crevettes. L’opium se mêle aux fumets des sauces étranges. Tout
cela est bougrement sybarite. Après ce repas, je résume à très
gros traits, Loti monte sur son pur sang arabe (un autre cheval que
les chevaux chinois qui ressemblent à un mélange de poney et de
caniche) et se dirige vers les montagnes Mongoles où il visite les
tombeaux de quelques empereurs oubliés. Ensuite il baguenaude un peu
dans la Chine profonde où il ne voit que quelques têtes tranchées
et posées dans des lanternes à l’entrée des villes, les Boxers
se sont apparemment calmés. Puis il retourne à Pékin et assiste à
deux trois festivités à tendance coloniales. Les alliés de
circonstances (Autriche-Hongrie, France, Allemagne, Italie, Japon,
Russie, Royaume-Uni et États-Unis) ont gagné leur guerre, ce sont
ses derniers jours à Pékin et le livre est fini. Il était
globalement très bien. (Vous me pardonnerez ce compte rendu un peu
badin et tiré par la natte, mais je ne suis pas très inspiré.)
Comme il faut savoir ne pas rester sans lecture plus de temps qu’il
ne le faut, j’enchaîne derechef avec le </span><i style="font-size: 12pt; text-align: left;">Le Brasier de l’ange
</i><span style="font-size: 12pt; text-align: left;">de James Lee Burke. C’est le huitième volume mettant en scène
Dave Robicheaux et le bayou succède ainsi aux chinoiseries.</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: 12pt; text-align: left;">21
mars 2022.- Beau temps (17°C). Première lecture en extérieur
prolongée. Bonne condition lectorale. Peu de bruits parasites, un
avion lointain, certainement un petit bimoteur, une tondeuse presque
aussi lointaine, une courte conversation téléphonique. Pas de quoi
se boucher les oreilles. Du côté des bestioles, vu une coccinelle,
un bourdon (j’aurais pu l’ajouter dans ma liste de bruits
parasites, il faisait autant de bruit qu’un petit bimoteur
lointain), deux, trois oiseaux passagers… Pour le reste, le </span><i style="font-size: 12pt; text-align: left;">Brasier
de l’Ange </i><span style="font-size: 12pt; text-align: left;">n’est pas vraiment mauvais. Il y a les défauts et
qualités habituelles de Burke. Une intrigue un peu fouillis, mais de
beaux passages sur la Louisiane (ses paysages, sa nourriture), et un
art du portrait qui confine parfois à l'heureuse caricature.</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: 12pt; text-align: left;">22
mars 2022.- Beau soleil (15°C). En deux jours de soleil, j’ai déjà
un petit teint hâlé et j’ai aussi fini l’</span><i style="font-size: 12pt; text-align: left;">Envol des Anges</i><span style="font-size: 12pt; text-align: left;">
de James Lee Burke. Voilà un type qui fait beaucoup contre le
réchauffement climatique. Avec lui pas besoin d’avion ou d’un
quelconque moyen de transport pour se rendre en Louisiane. Nous y
sommes ! Bon ses romans sont toujours un peu pareils, basés sur le
même canevas (en gros la Mafia de La Nouvelle-Orléans, des
mercenaires, des flics borderline, le marigot racialiste, le tout un
poil emmêlé) mais l’essentiel n’est évidemment pas là (je
rabâche). Pour faire bonne mesure (le soleil passait sous les toits)
lu deux nouvelles très réussies de Felisberto Hernández. Loin de
la lecture, autre dossier du jour : : changer la lunette de mes WC.
Vais-je retrouver mon chemin dans la jungle des abattants colorés,
fantaisie, façon bois, avec ou sans frein ? Le marché de l'occasion
est-il recommandable ? Sur le site de Leroy Merlin, il est question
d'un abattant qui « s'adapte à nos envies ». Tout cela me laisse
songeur.</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: 12pt; text-align: left;">23
mars 2022.- Quelque chose de printanier (17°C). Lever 5h00. Labeur.
Sieste. Une chronique de Vialatte, trois histoires de Chaval (les
gros chiens), deux pages de Schopenhauer. Je frôle l'hétéroclite.</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: 12pt; text-align: left;">24
mars 2022.- La tendance printanière se précise (19°C). Je relis
les </span><i style="font-size: 12pt; text-align: left;">Cartes Postales </i><span style="font-size: 12pt; text-align: left;">de Henry Jean-Marie Levet. Elles sont
toujours aussi belles. Nouvelles acquisitions : Jean Dubuffet -
B</span><i style="font-size: 12pt; text-align: left;">âtons rompus</i><span style="font-size: 12pt; text-align: left;">, Philippe Sollers - </span><i style="font-size: 12pt; text-align: left;">Graal</i><span style="font-size: 12pt; text-align: left;">, Evelyn Waugh
- </span><i style="font-size: 12pt; text-align: left;">Un peu d'ordre.</i></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: 12pt; text-align: left;">25
mars 2022.- Ciel dégagé, vent léger, douceur printanière (21°C).
Brouillards hypocondres, confitures de nuages, Maharadjahs
circonspects aimables Argentines. Je suis très bien avec Levet. Je
suis aussi très bien avec Cioran qui dans ses Cahiers reste
stupéfait par la persistance de ses propres défauts, par le génie
qu'il a de gâcher son temps et par la grande facilité qui lui
permet de faire une grande quantité de choses sans conviction.</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: 12pt; text-align: left;">26
mars 2022.- Les promesses printanières sont tenues. Beau soleil et
température presque idéale (20°C). (Avant la sieste) Lu </span><i style="font-size: 12pt; text-align: left;">Graal</i><span style="font-size: 12pt; text-align: left;">
court texte de Philippe Sollers. Cinquante-huit pages qui se
boulottent en moins d’une heure (au rythme d’une page par minute
c’est très largement réalisable, même en regardant le plafond de
temps à autre). L’âge aidant Sollers est de plus en plus solaire,
Joyaux de plus en plus joyeux (oui je cède à la facilité), et moi
presque ravi de lire un éloge un peu fumiste du saint Graal, de
l’Atlantide, ce continent perdu, et de ses pratiques sexuelles tout
juste à </span><span style="font-size: 12pt; text-align: left;">l’opposée des temps qui
nous encerclent</span><b style="font-size: 12pt; text-align: left;">.</b><span style="font-size: 12pt; text-align: left;"> Rien d’immédiatement crucial, mais
une façon assez allègre de se moquer du qu'en-dira-t-on, de l’air
du temps pour le moins assommant, de la lourdeur de certains. Iil y a
aussi une partie intime finalement assez présente. Le très jeune
Sollers ayant commis la chose avec moult femmes mûres, et alors ? )</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: 12pt; text-align: left;">(Après
la sieste) Alors que le monde tangue, je relis les </span><i style="font-size: 12pt; text-align: left;">Cartes postales
</i><span style="font-size: 12pt; text-align: left;">de Levet. Il faut toujours relire ces onze merveilleuses petites
choses (qui ne sont pas si petites, car quoi de plus beau que les «
aimables Argentines » et les « valets bien stylés »?). Puisqu’il
est question de Levet et de relecture, il faut aussi relire la
conversation entre Larbaud et Fargue (ils voyagent dans une limousine
qui les emmène, de Saint-Étienne vers Montbrison, visiter les
parents de H. J.-M. Levet, ils se souviennent, de leur jeunesse, de
Montmartre et des frasques de Levet), il faut aussi relire le </span><i style="font-size: 12pt; text-align: left;">Journal
de Quasie</i><span style="font-size: 12pt; text-align: left;"> (comme tout est dans tout : Quasie c’est le nom que
donne Larbaud à la limousine qui le transporte lui et Fargue chez
les parents de Levet), il y a là quelques lignes qui pourraient
pincer le cœur de certains : </span><i style="font-size: 12pt; text-align: left;">« Il s'était levé, comme
d'habitude, pour déjeuner avec sa mère. Il était très faible,
mais assez gai. Il a mangé une aile de faisan (midi et demi). Vers
deux heures le médecin est venu faire une piqûre de cacodylate,
comme d’habitude. Il savait que c’était la fin, mais il ne dit
rien à Mme L. Il se contenta de dire à Henry L. : “Mettez-vous au
lit, la piqûre vous fera bien plus de bien que si vous restiez
debout : vous l'absorberez mieux.” Il aurait voulu se relever pour
dîner avec sa mère, mais le médecin s'y opposa. L dit à sa mère
: “ Vous donnerez la becquée, maman”, comme il disait quand il
se sentait trop faible pour rester assis. Vers sept heures il mangea
de bon appétit deux petites côtelettes d'agneau. Puis il désira
dormir : “Maman, surtout ne vous éloignez pas”.“ Sa mère
resta près du lit. Vers neuf heures il dit qu'il avait froid. On lui
mit une bouillotte chaude sur le ventre. Sa mère s'aperçut alors
que les pieds et le bas des jambes étaient violacés. Elle fit venir
le médecin. Le médecin vint, s'assit au chevet et tint le pouls du
malade. La mère était debout à côté, soutenant la tête de L.,
qui parut s'endormir sur son épaule. Insensiblement la tête
glissait. Tout à coup il ouvrit les yeux, les fixa sur sa mère et
cria très haut : Maman !” Mme L., voyant qu'il n'ajoutait rien,
lui dit : “Eh bien, quoi ? parle, dis ce que tu veux ?” Pas de
réponse. Les yeux grands ouverts étaient toujours fixés sur la
mère. Au bout d'un moment le médecin dit : “C'est fini,
fermez-lui les yeux.” “Je n'ai pas pu lui fermer, dit Mme L. Je
les ai embrassés, j'aimais mieux qu'ils restent ouverts" »</i></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: 12pt; text-align: left;">(Après
le café) Trois nouvelles de Felisberto Hernández. Lecture
étonnante. Hernandez n’est pas à proprement parler dans le
domaine du fantastique. Il est plutôt dans le décalage, un peu à côté,
dans une mince marge jouxtant la réalité qui donne à ses récits
une saveur d'émerveillement. On pourrait parler de surréalisme
latin, de Borges, mais c’est quelque chose d’autre, quelque chose
de beaucoup plus singulier. Voilà, singulier, c’est le mot.</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><br />
</p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: 12pt; text-align: left;"><b>2.</b></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: 12pt; text-align: left;">27
mars 2022.- Soleil voilé (21°C). Je lis </span><i style="font-size: 12pt; text-align: left;">Pura Vida : Vie et mort
de William Walker </i><span style="font-size: 12pt; text-align: left;">de Patrick Deville. Contrairement à ce que
pourrait laisser présupposer un titre assez trompeur, ce n’est pas
vraiment une biographie de William Walker (cet aventurier Américain
qui finira président du Nicaragua. Enfin, qui finira surtout fusillé
sur une plage au petit matin), mais plutôt une sorte de patchwork
cousu avec moult pièces faussement disparates. Des faits avérés et
tangibles, d’autres peut-être moins. (Y a-t-il une part
d’imaginaire dans tout ça ? ) Des personnages historiques comme
s’il en pleuvait : Simon Bolivar, Che Guevarra, Antonio de la
Guardia, Augusto César Sandino, les Somoza père et fils, Castro.
Des guerres et des révolutions pas vraiment oubliées : les
sandinistes et les contras, les castristes et la CIA, la drogue et la
théologie de la libération. En somme, toute la grande affaire
centrale et sud-américaine. C’est le premier livre où Deville
donne dans ce genre de couture qui concède au patchwork, il tâtonne
un peu, se pique parfois les doigts (trop d'informations, trop
d’histoires, trop de personnages), il améliorera sa formule par la
suite, mais c’est déjà très intéressant.</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: 12pt;">(Si
ce vague compte rendu est un peu faiblard, c’est parce
qu’aujourd’hui les conditions lectorales furent déplorables.
Premier dimanche de printemps, un soleil pour ainsi dire
resplendissant, conséquence le voisinage est ressorti dans les
extérieurs oubliant ce semblant de sommeil hiémal qui ravissait mes
oreilles depuis bientôt six mois. Et voilà un bagne trop distinct
de discussions en-veux-tu-en-voilà de parlotes insignifiantes et de
considérations lénifiantes sur l'air du temps. Comme si,
physiologiquement, le soleil activait la parole de cet animal
grégaire qu’est l’homme. Au moins, l’ours, lui, quand il se
réveille ne dit pas de bêtises : il grogne.)</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: 12pt; text-align: left;">28
mars 2022.- Ciel se couvrant de nuages progressivement (21°). (Avant
la sieste) Raconter l’histoire du monde depuis 1860, mais pas
n’importe comment. En douze volumes et dans une progression
géographique ordonnée qui consiste en deux tours de globe ; l’un
vers l’Est, l’autre vers l’Ouest. Six volumes vers l’Est, six
volumes vers l’Ouest. Voilà le projet de Patrick Deville. Drôle
de projet tellement drôle qu’ il lui a donné un drôle de nom :
</span><i style="font-size: 12pt; text-align: left;">Abracadabra</i><span style="font-size: 12pt; text-align: left;">. </span><i style="font-size: 12pt; text-align: left;">Pura Vida</i><span style="font-size: 12pt; text-align: left;">, pose les jalons que Deville
s’imposera et respectera pour la suite de ce qui pourrait bien être
une vaste entreprise. Rien n’est inventé, tout est vérifiable.
Rien n’est aléatoire, tout est planifié. Rien n’est hasardeux,
et tout est échafaudé dans une architecture parfaitement étudiée.
Le rythme est voulu, la mécanique huilée. Chaque détail est
nécessaire au fonctionnement d’un grand tout colossal. (Enfin,
rien n’est inventé, peut-être pas après tout. Page 205 nous
pouvons lire ceci : </span><i style="font-size: 12pt; text-align: left;">« J'y avais vu un clin d'œil borgésien, une
référence à ces manuscrits disparus qui d'un coup viennent changer
le cours des civilisations, à ces détails inutiles et admirables
des dates erronées, des noms confondus, des statues qui sont d'un
autre héros. Et j'avais pensé à une phrase de Cendrars, à propos
de L’Or, et du général Sutter sans doute, La vérité historique
c’est la mort, dont je ne peux pourtant m'empêcher de signaler
qu'elle figure à la fin d'une lettre du 15 mars 1926, expédiée de
Guarujá. »</i><span style="font-size: 12pt; text-align: left;">)</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: 12pt; text-align: left;">(Après
la sieste) Fini le Deville qui était très bien. Pour rester dans le
grand continent latin lu Le Crocodile de Felisberto Hernandez. Dans
cette nouvelle un pianiste assez itinérant pleure quand il le veut
et sans chagrin. Sans chagrin, vraiment ?</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: 12pt; text-align: left;"><br /></span></p><div style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: left;"><i style="text-align: left;"><span>-
Ainsi, vous pleurez par plaisir ?<br /></span></i><span><i>-
Eh oui !<br /></i></span><span><i>-
Alors, j’en sais plus que vous sur vous-même, car au fond vous
avez de la peine.<br /></i></span><span><i>Je
restai un moment pensif<br /></i></span><i style="text-align: left;"><span>-
Écoutez, ce n’est pas que je sois très heureux, mais enfin je
sais comment m’y prendre avec mon malheur et , parfois même, c’est
presque le bonheur</span><span style="font-size: x-small;">.</span></i></div><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: 12pt; font-variant-east-asian: normal; font-variant-numeric: normal; text-align: left;">29
mars 2022.- Voilà ils arrivent, ils sont là, les nuages (17°C).
Dans les histoires de Felisberto Hernández un pianiste las et
décoiffé entrecroise des hommes crocodiles, des femmes vaches et
des poupées qui ne disent pas non. Les villes sont en papier mâché,
les balcons s'écroulent par dépit amoureux, les femmes sont
jalouses et les chevaux trucident à grands coups de sabots. Voilà
un drôle de théâtre, un drôle de monde, un monde inusité (</span><span style="font-size: 12pt; font-variant-east-asian: normal; font-variant-numeric: normal; text-align: left;"><i>Les
Hortenses,</i></span><span style="font-size: 12pt; font-variant-east-asian: normal; font-variant-numeric: normal; text-align: left;">
nouvelle géniale).</span></p><p align="justify" style="font-variant-east-asian: normal; font-variant-numeric: normal; line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;">
<span style="font-size: 12pt;">Lire <i>La Maison de la vie </i>de
Mario Praz.</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: 12pt; text-align: left;">30 mars 2022.- Averses (15°C).
Dans Libé(ration) Philippe Lançon parle très bien de Christophe
Tarkos et de ses quelques inédits édités par les bons soins de la
maison POL (</span><i style="font-size: 12pt; text-align: left;">le Kilo)</i><span style="font-size: 12pt; text-align: left;">. Je tamponne Lançon, il faut lire
Tarkos, se laisser happer par son flux, ce n'est pas un ordre, plutôt
un conseil.</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: 12pt; font-variant-east-asian: normal; font-variant-numeric: normal; text-align: left;">31
mars 2022.- Large dégradation nuageuse (8°C). À mon retour du
labeur, je me jette mollement sur mon fauteuil et j'ouvre les
</span><span style="font-size: 12pt; font-variant-east-asian: normal; font-variant-numeric: normal; text-align: left;"><i>Variétés</i></span><span style="font-size: 12pt; font-variant-east-asian: normal; font-variant-numeric: normal; text-align: left;">
de l'ami Paul (Valéry). Le hasard faisant bien les choses, tout
étant dans tout, je tombe sur ces lignes : </span><span style="font-size: 12pt; font-variant-east-asian: normal; font-variant-numeric: normal; text-align: left;"><i>«
Ma sensation d’immobilité, ma certitude d’être fixe dans ce
fauteuil est – sans doute – précisément la sensation d’être
emporté par la terre dans son mouvement. C’est le sentiment de cet
emportement que nous appelons repos. »</i></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: 12pt; text-align: left;">1er avril 2022.- Mauvaise
blague, il neige ! (0°C) Le 18 septembre 1966 Emil Cioran passe la
soirée avec quelques amis. Tout semble aller pour le mieux. Rentrant
chez lui à 1 heure du matin il est pourtant saisi par une crise de
désespoir sans nom. Il n'a même pas la force de se déshabiller, il
voudrait seulement se jeter par terre et pleurer. Le lendemain il
écrit ceci dans ses Cahiers : </span><i style="font-size: 12pt; text-align: left;">« Avoir de la tenue, c’est
savoir dissimuler ses joies et ses chagrins, ne faire rien qui puisse
susciter chez un tiers envie, mépris ou attendrissement ».</i><span style="font-size: 12pt; text-align: left;">
Puis, nous sommes toujours dans ses Cahiers, il parle de la
désolation et du goût de cendres qui imprègne tout son être, de
sa stérilité, sa seule raison d'être, son titre de gloire.</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: 12pt; text-align: left;">2 avril 2022.- Neige et grésil
(1°C). Mon salon de lecture penaud sous la neige, je me suis replié
vers mon petit intérieur où déplié sur un canapé vaguement
scandinave j'ai entamé les </span><i style="font-size: 12pt; text-align: left;">Mémoires d'un gentleman excentrique</i><span style="font-size: 12pt; text-align: left;">
du dénommé Auberon Waugh. C'est le rejeton de qui vous savez et les
premières pages que j'ai lues avec un certain contentement ne me
laissent présager que du bien. Oh rien de doux ou de pelucheux, mais
plutôt une drôlerie rêche et acerbe, une drôlerie qui n'épargne
rien ni personne (pas plus Evelyn qu'Auberon). Évidemment - est-il
utile de le préciser ? —, tout cela n'est pas vraiment dans l'air
du temps.</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: 12pt; text-align: left;">3 avril 2022.- Brise glaciale
(2°C). Dans les mémoires d’Auberon (Waugh) Evelyn (Waugh) est
sacrément décalé. C’est une sorte de ludion bien plus préoccupé
par ses cocktails gin-orange que par une nombreuse progéniture qu’il
regarde avec un dédain tour à tour distrait et amusé. Ainsi, voilà
ce que l’on peut lire dans l'une de ses lettres adressées à la
fameuse Nancy Mitford : </span><i style="font-size: 12pt; text-align: left;">« Mes deux aînés sont ici –
assommants. L’aînée oscille entre des tirades théologiques et un
mutisme complet ; le garçon ne songe qu’à s’amuser et ses
camarades le croient très spirituel. J’ai essayé de le supporter
en étant ivre, j’ai essayé de le supporter en étant à jeun… »
</i><span style="font-size: 12pt; text-align: left;">Dans une autre lettre adressée à la même Nancy Mitford, il
semble se faire une raison en même temps qu’il semble se faire à
ses enfants : </span><i style="font-size: 12pt; text-align: left;">« Plus je vois les enfants des autres, moins je
déteste les miens ».</i><span style="font-size: 12pt; text-align: left;"> Vouloir accepter sa propre progéniture
voila qui est bien fatigant. Auberon (Waugh), lui, a bien du mal avec
sa famille, son père l’écrase et il ignore ses frères et sœurs.
De toutes les façons il passe l’essentiel de son enfance dans
divers pensionnats. On ne choisit pas sa famille, on ne choisit pas
ses pensionnats non plus. Ceux de l’Angleterre de l’immédiat
après guerre sont ce qu’ils sont, on y pratique les châtiments
corporels à foison, ce qui il faut bien le dire n’est qu’une
façon de perpétuer la tradition. Aubron ne s’afflige guère de
tout ça. Il raconte ses années de collège avec le ton
pince-sans-rire de celui qui a oublié les coups. Pour tout vous
dire, tout cela est presque amusant.</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: 12pt; text-align: left;">4 avril 2022.- Beau temps
frais (9°C). La neige disparue, mon salon de lecture extérieur
reprend, des teintes printanières. Ce n’est pas plus mal et j’ai
même pu poursuivre mes pérégrinations lectorales dans des
conditions somme toute acceptables, une température certes un peu
fraîche, mais largement compensée par un soleil au garde à vous.
Pour en revenir à ce qui est censé nous occuper ici, à savoir
l’autobiographie d’Aubron Waugh, j’ai bien l’impression qu’en
dehors d’être l’histoire d’un esprit drôle et acerbe c’est
aussi l’histoire d’un corps. Un corps assez martyrisé par un
système éducatif tout autant insulaire que britannique, par des
enseignants très aptes à manier gifles et savates, par l’armée
aussi… En 1957, ce corps est jaugé comme un bidule plein de pièces
détachées, on regarde cette langue, on écoute cette toux, on
empoigne deux testicules à pleines mains, Auberon est apte pour le
service militaire. Après des classes ennuyeuses et quelques
aventures semi-drolatiques, le voilà assez vite officier… Un
officier que l’on envoie sur l’île de Chypre alors en pleine
chiffonnade entre Turcs et Grecs. Comme Auberon est peu gauche sans
être de gauche (tout du moins son corps, l’esprit lui est vif et
droit), il trouve le moyen de se tirer lui-même une rafale de
mitrailleuse en plein ventre. Tout cela serait drôle si ce n’était
tragique et prouve une fois de plus qu’il ne faut jamais laisser
une arme antre les mains d’un écrivain. Le résultat est
généralement catastrophique et là il l’est vraiment. Auberon est
presque mort. On lui ôte un poumon, la rate et un doigt… On lui
scie deux côtes dans un hôpital digne du pire de l’Union
Soviétique. Il survit et c’est presque un miracle. Après une
longue convalescence, pensionné et revenu à la vie civile, un soir
de beuverie il heurte de plein fouet un tracteur qui ne demandait
rien à personne. Traumatisme crânien, deux jours de coma, la mort
frôlée de près, cela commence à devenir une habitude. Auberon se
remet tant bien que mal de tout ça. Il fait un petit tour par Oxford
rate ses examens par dilettantisme, écrit un roman, se marie et se
recycle plus ou moins dans la presse scandaleuse. Evelyn Waugh meurt
le 10 avril 1966 (le jour de ma propre naissance, j’aurais tant
aimé prendre le relai), sa mère sept ans plus tard à l’âge de
57 ans (l’âge où ma propre mère est décédée, tout est dans
tout)… Voilà j’attaque la page 300, la fin du livre est proche.
Malgré les apparences, il est très drôle, très bien et presque
parfois émouvant.</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: 12pt; text-align: left;">5 avril 2022.- Large chape
nuageuse concédant quelques rares soleillées (11°C). Pour qui ne
maîtrise pas parfaitement les arcanes de la presse britannique en
1968 et 1990 la dernière partie des Mémoires du père Aubron peut
aisément paraître confuse. On s’y perd il y a des noms qui
doivent ronfler outre-Manche, mais qui par chez nous n’émettent
qu’un infime sifflement asthmatique. Qui connaît Philip Dessé,
Claire Tomalin ou Jeremy Thorpe à Louhans, Mende ou Rabastens ? Bon
on s’ennuie un peu, mais il y toujours de bons moments. La guerre
personnelle d’Aubron contre quelques figures politiques locales,
son engagement pour le Biafra, ses villégiatures dans le Lauragais
au milieu d’autochtones pas vraiment évolués, un bel éloge des
vins australiens, de l’humour, toujours…</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><br /></p>Philippe Lhttp://www.blogger.com/profile/11161966062544589959noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-6980582.post-61012113816105598922022-08-06T22:42:00.013+00:002022-10-12T17:48:09.027+00:00Psychogeographie indoor (118)<p> </p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEh56Y7Y2l6PossKT7sqzLixZTaJpZeIHSSexOxeqSn3J3bAQe-TTgMFIOYfpux-mqqmMWwv8nvf-ixg6DkKXX4X5jV-8QHpoLSzPLkD8tD141pnIG3aFfOSW2tjlg0vbGKhty6V1C4OVtS_DuAmpAo0i1bR-5G5FC2snPtwLEsnGrlMWPhODLQ/s579/mw217883.jpg" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="452" data-original-width="579" height="313" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEh56Y7Y2l6PossKT7sqzLixZTaJpZeIHSSexOxeqSn3J3bAQe-TTgMFIOYfpux-mqqmMWwv8nvf-ixg6DkKXX4X5jV-8QHpoLSzPLkD8tD141pnIG3aFfOSW2tjlg0vbGKhty6V1C4OVtS_DuAmpAo0i1bR-5G5FC2snPtwLEsnGrlMWPhODLQ/w400-h313/mw217883.jpg" width="400" /></a></div><br /><p></p><p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;"><i>« The trouble with modern education is you never know how
ignorant people are. With anyone over fifty you can be fairly
confident what's been taught and what's been left out. But these
young people have such an intelligent, knowledgeable surface, and
then the crust suddenly breaks and you look down into depths of
confusion you didn't know existed. »<span> </span></i><span>(<i>Brideshead Revisited</i>)</span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;"><br /></span></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;"><span style="text-align: left;">23
février 2022.- Beau ciel fluctuant dans un genre assez Vermeer
(14°C). Picoré alternativement dans le Journal des Goncourt et dans
les Cahiers de Cioran. Comme tout se corrèle et fricote en ce bas
monde, du second sur les premiers le 14 septembre 1966 on peut lire
ceci : </span><i style="text-align: left;">« Lu quelques pages du dernier volume du Journal de
Goncourt avec un dégoût énorme. Est-il possible qu’un écrivain
soit concierge à ce point. »</i></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium; text-align: left;">24
février 2022.- Temps dégagé (14°C). La Russie a envahi l’Ukraine.
Cet après-midi à mon habitude j’aurais bien fait la sieste, mais
je ne l’ai pas faite car y a-t-il quelque chose de plus bête que
le nationalisme ?</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium; text-align: left;">Chez
Claude Roy Georges Duhamel est un poète chinois plein d’ellipses,
de silences, d’allusions et de raisonnable et pudique mélancolie.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium; text-align: left;">On
peut lire de drôles de choses dans le Journal de Kafka. Tenez le 23
mai 1912 , le soir venu, par ennui, il se lave trois fois de suite
les mains dans sa salle de bain. Ce n'est pas rien.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">25
février 2022.- Beau temps frais (8°C). Lever 3h30. Labeur. Sieste.
Rien d'autre. Ah ! si la guerre s'installe en Ukraine.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;"><span>26
février 2022.- Soleil (11°C). Je ne vais plus travailler que trois
jours par semaine. Voilà un nouveau rythme de vie qui me laissera
certainement plus de temps pour le jardinage la sieste et la
gymnopédie. Malheureusement pour vous ce nouveau rythme me laissera
aussi plus de temps pour la lecture et je crains que vous n’ayez à
subir une hausse assez sensible de mes comptes rendus lectoraux.
D’ailleurs dès ce matin sans plus attendre et histoire de vous
asticoter j’ai croqué benoîtement dans les <i>Bagages enregistrés</i> d’Evelyn Waugh.
C’est un livre de voyage largement romancé (sur le côté romancé,
la préface de William Boyd est très éclairante) où Waugh rapporte
une belle palanquée d’aventures méditerranéennes vécues à la
fin des années vingt du siècle dernier. Sur le site de la
Fédération nationale d’achat des cadres </span><span>— la fameuse FNAC</span><span> </span><span>—, un certain Bernard
habitant à Royan émet un avis un peu réfrigérant sur tout ça.
Pour lui Waugh a écrit une sorte de zinzin qu’il ne faut pas lire,
car il est plein de préjugés. Quant au style d’écriture n’en
parlons pas, il est fade au possible ! Évidemment, vous aurez
compris que Bernard de Royan se fourvoie largement dans l’erreur.
J’ai lu cent cinquante pages de ces fameux </span><i>Bagages enregistrés</i><span>, et
je n’y ai trouvé que de l’humour insulaire, un sautillement un
brin aristocratique et rien de vraiment saisi par la pesanteur. Pour ce qui est des supposés préjugés, ils ne sont que la preuve assez drôle de ce
sentiment qu’ont les Anglais d’être naturellement supérieurs
aux autres quidams encombrant ce bas monde (ce qui est assez vrai
même si c’est un peu faux). Pour finir, et contrairement à
Bernard de Royan, je n'ai pas peur d'affirmer que le style n’a rien
de fade. Il est plutôt tout en élégance, Waugh écrit bien habillé
et bien peigné, c'est peut-être un défaut pour certains, pas pour
moi (la traduction doit être bonne).</span></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">27
février 2022.- Beau temps (13°C). Le soleil large et généreux je
me suis aventuré pour la première fois de l’année dans les
extérieurs où j’ai poursuivi la lecture de <i>Bagages enregistrés.</i>
Vous savez ce livre que Bernard de Royan n’aime pas trop. Waugh
fait la nouba à Paris, passant d’un night-club l’autre pour
finir ses nuits devant une soupe à l’oignon. Tout cela est amusant
un temps, mais finit par lasser notre ami insulaire à chapeau mou.
Pour lui Paris et même toc et surfaite et le Sud — dans son
acception générique — semble une destination bien plus
intéressante. C’est pourquoi il débarque sans plus attendre à
Monte-Carlo. Manque de pot la ville des Grimaldi est pleine de frimas
et recouverte de neige. L’activité la plus trépidante que l’on
peut y pratiquer est le tir au pigeon et de surcroît ce n’est
qu’une principauté provinciale dont on fait très vite le tour.
Refroidit Waugh embarque sans plus attendre à bord du Stella Polaris
un navire de croisière norvégien qui l’emmène à Naples, une
ville où les chauffeurs de taxi sont plus malhonnêtes les uns que
les autres. Puis c’est la Sicile, Catane au pied de l’Etna,
Messine et son détroit surfait, autant d’endroits où les
commerçants rendent très mal la monnaie. La méditerranée
traversée voila l’Égypte, Port-Saïd et Le Caire, des villes où
l’autochtone semble n’exister que pour mendier, voler ou
perturber le touriste. Évidemment, Waugh pourrait paraître
antipathique. Il est seulement drôle.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">28
février 2022.- Soleil (13°C). Après avoir visité une
Constantinople où les femmes inspirées par Mustafa Kemal jettent
leurs voiles au même où les eunuques manifestent contre l’abolition
de la polygamie, Waugh débarque à Athènes le jour de Noël
orthodoxe. Les rues sont pleines de gens qui se serrent les mains,
s’embrassent et s’envoient des pétards à la figure. Il finit sa
première soirée dans un night-club tenu par un Maltais unijambiste.
La suite de ses pérégrinations athéniennes est moins trépidante.
Il croise de jeunes officiers imberbes, une juive hongroise qui
exécute des danses orientales en collants de coton rose. Les odeurs
d’ail et d’agneaux rôtis flottent un peu partout. Athènes
derrière lui voilà Corfou, que Waugh apprécie beaucoup, il
pourrait presque y vivre, puis Venise pour deux jours, ce qui n’est
pas assez. Viennent ensuite Raguse et Kotor, deux petites
principautés civilisées en bord d’Adriatique puis le Monténégro
ce royaume digne d’Hergé (Sur Raguse, Kotor et le Monténégro,
lire mes livraisons précédentes.) Waugh fini son périple en visitant une tripotée de citées plus méditerranéennes que mon genou gauche. Barcelone, où il est émerveillé par les gros bidules de Gaudi,
Alger, encore une ville où l’on traite mal le touriste, Malaga où
le vin n’est pas si bon que ça, Séville, peut-être la plus belle
ville visitée pendant son petit périple, Lisbonne, qui est très
bien et globalement sous-estimé. Voilà le voyage est fini, le livre
aussi. Vous pouvez le lire, il est très drôle (vous n’êtes pas
obligés de me croire, c’est peut-être Bernard de Royan qui avait
raison, après tout). Comme il me reste encore un jour avant de
reprendre le travail, j’enchaîne derechef avec un nouveau volume.
Il s’agit de<i> Trois heures du matin Scott Fitzgerald</i> de Roger
Grenier dans la très bonne collection <i>L’un et L’autre</i> chez
Gallimard. Fitzgerald est-il un type trop malin à qui on aurait
légué un diamant et qui, très fier, le montrerait à tout le monde
? Un prestidigitateur, un acrobate, qui n’a jamais autant de talent
que quand il « rate » ? Un écrivain qui n’est jamais aussi bon
que dans le désastre et la détresse installée ? Voilà quelques
questions, Grenier apporte quelques réponses. Elles sont pour
l’instant fort belles.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">1<span>er</span>
mars 2022.- Soleil se voilant (14°C). Vaguement malade, petite
forme. </span></p><div style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">Paris
qui n’est qu’une défaite, le krach de 29 et des types qui se
jettent par la fenêtre, Scott et Zelda, Zelda et Scott, Fitzgerald
et Hemingway, un philistin asocial, un snob de province en manque de
reconnaissance qui se noie dans l’alcool et les femmes, la folie,
la maladie et puis la mort. Il y a tout ça dans le livre de Grenier
et ce n’est pas très joyeux. Il y aussi des héros qui vivent dans
un rêve enchanté, un rêve plein de couleurs chatoyantes, un
paradis imaginaire que la matérialité du monde vient détruire et
qui les laisse brisés. Tout cela n’est pas très joyeux non plus
(mais le livre est très bien, j’aime beaucoup Roger Grenier).</span></div>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">3
mars 2022.- Temps plutôt beau (13°C). Que faire en attendant la
guerre thermonucléaire ? Vous pouvez vous gratter le nombril en
regardant le plafond. Vous pouvez aussi courir nu autour de votre
canapé tout en ponctuant votre course de quelques sautillements
capricants. Voilà pour la partie la plus sportive, la partie
gymnopédique. Pour ce qui est de la partie intellectuelle, vous
pouvez vous coucher tranquillement sur votre canapé (toujours le
même, j’imagine que vous n’en avez qu’un) et lire des choses
inconnues de la morne piétaille. Vous pouvez par exemple lire <i> Le
dilettantisme - Essai de psychologie, de morale et d'esthétique </i> par Claude Saulnier (Librairie philosophique J.Vrin, 1940). Cet
assemblage de lexies, de syntagmes, de lignes et d’interlignes, de
paragraphes et d’alinéas offre quelques satisfactions. Jugez par
vous-même :<i> « La pure contemplation serait vite fastidieuse
pourtant, si elle n’était que passive et si elle s’opposait
d’une façon absolue à l’action. Or, il est bien évident qu’une
pure contemplation parfaitement inactive est inconcevable : elle est
d’ordre esthético-mystique et, si elle se réalise, elle aboutit à
une ataraxie, à un “bouddhisme”, qui se détruit elle-même. En
réalité, le dilettantisme est essentiellement actif, mais d’un
mode d’activité tout particulier et fort différent de l’action
sociale. Il n’y a contemplation esthétique que par un rythme, une
alternance, et ce rythme est porté au maximum d’intensité, chez
le dilettante, dont toute l’attitude se réduit finalement à la
pure virtuosité. »</i></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">4
mars 2022.- Ciel changeant (11°C). En baguenaudant dans les
Mauvaises pensées et autres de l'ami Valéry ( Paul ) je tombe sur
ces quelques mots qui auront fait ma journée : « Les êtres
sensibles n’ont pas la voix puissante, ou bien ne la donnent pas.
Plus ce qu’ils disent les affecte, plus ils la baissent. Il y a une
pudeur auditive. Et il en est de même du ton. S’entendre dire
certaines choses est pénible. Le son de sa propre voix rend ennemi
de soi-même, etc. »</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">5
mars 2022.- Belle journée dans un genre primo printanier (13°C)</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">I.
Selon Cioran La Fêlure était la seule vraie réussite de
Fitzgerald. Il lui reprochait de se fourvoyer dans le roman,
d’ignorer sa nature, de manquer de fidélité à son échec et de
ne pas suffisamment l’approfondir : « c’est d’un esprit de
second ordre que de pouvoir choisir entre la littérature et la
“vraie ruine de l’âme" ». J’ai la vague intuition que
Cioran se trompe un peu, qu’il est par essence allergique à l’élan
fictionnel aux frasques romanesques, à Gatsby et aux concessions
d’un Fitzgerald scénariste dans les « mines de sel » d’
Hollywood. Cioran se trompe peut-être, mais il se rattrape : « Mais
que voulait-il qu'il fît d'autre ? (…) Eut-il été au bout de ses
abîmes, qu'il serait sans doute moins attachant. plus profond
peut-être, mais n'est-ce pas une élégance suprême que de ne pas
l'être ?" »</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">2.
Le vendredi 13 décembre 1940 Fitzgerald dîne chez Dorothy Parker
avec Nathanael West. Huit jours plus tard le 21, il meurt d’un
accident coronarien. Le lendemain Nathanael West se tue en auto avec
sa compagne Eileen dans une collision près D’El Centro
(Californie). On enterrera Fitzgerald dans le cimetière communal de
Rockville (Maryland). Nathanael West et sa compagne seront enterrés
au cimetière de Mount Zion dans le Queens à New-York. Devant le
cadavre de Fitzgerald, son ami, la seule à veiller, Dorothy Parker
répétera comme une drôle de litanie chagrinée « The poor
son-of-bitch, the poor son-of-bitch, the poor son-of-bitch »
(c’était l’oraison de Jay Gatsby). Elle est morte des suites
d’un crise cardiaque le 7 juin 1967. Son corps sera incinéré, on
perdra son urne funéraire. C’est une longue histoire.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">3.
Vous me pardonnerez les quelques digressions et appogiatures qui
précèdent. Sachez simplement que le livre de Grenier est très bien
qu’il est impressionniste et joliment émietté tout en étant
toujours très informé. Surtout, c’est un livre émouvant, ce qui
je dois bien le dire n’est pas rien.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">4.
Le livre de Grenier ayant quitté ma pile de livres en cours de
lecture pour rejoindre ma bibliothèque (ou les places deviennent
rares), j’enchaîne sans attendre avec <i>Soul Circus</i> de George
Pelecanos. C’est le troisième opus des enquêtes de Derek Strange
et Terry Quinn et je suis en territoire connu (les bas fonds de
Washington, la misère, la drogue et la Philly soul).</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">6
mars 2022.- Beau temps frais (8°C). Il fait beau, mais la saison
nous en veut. Tenez par exemple malgré le soleil la lecture en
extérieur offre quelque chose d’insidieux. Cet après-midi sur ma
chaise de jardin j’avais la tête toute chaude et les pieds bien
froids. Tellement froids qu’il m’a fallu enfiler des chaussettes.
Voilà qui est périlleux et engendre une somme d’effort assez
quantifiable. De surcroît l’ombre ayant vite rattrapé le soleil,
qui est encore bas, je me suis retrouvé trop vite avec la tête
presque aussi froide que les pieds. Comme je n’allais tout de même
pas enfiler un bonnet péruvien en plus de mes chaussettes, je suis
sagement retourné dans mon petit intérieur afin de poursuivre ma
lecture sur mon canapé. Ne voulant en aucun cas accomplir un nouvel
effort inutile, j’ai gardé mes chaussettes. Sinon, et pour le
reste, <i>Soul Circus </i>n’est pas si mal que ça. On retrouve les
qualités de George Pelecanos, son goût maniaque pour les détails
(armes, automobiles, vêtements, playlists soul seventies) et ses
préoccupations sociétales. Petit hic, l’intrigue n’est pas
foudroyante, on s’ennuie un peu. Il faut dire que les histoires de
petites frappes peuvent lasser.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">7
mars 2022.- Beau temps frais (8°C). Desert Eagle, Don Wesson,
Hi-Point 9mn, Glock 17, Ak-47, Sig-Sauer, Smith & Wesson
Ladysmith, couteau Buck, barre PayDay, mon historique de recherche
Google fait peur et pourrait laisser à penser que je m’apprête à
m’embarquer pour une horrible équipée homicide, une dérive
terroriste, une tuerie de masse, allez savoir ? Rassurez-vous, rien
de tout ça, je lisais simplement le livre de Pelecanos tout en
recherchant quelques informations complémentaires afin de mieux
visualiser ce dont il pouvait être question. En l'occurrence, Google
à très bien rempli son office (d’ailleurs à ce titre je me
demande si Pelecanos n’écrit pas un peu avec Google et Wikipédia).
Bon j’ai fini le livre sans être interrompu par le GIGN ou une
quelconque autre officine policière, ce qui signifie que je ne suis
pas trop surveillé (je me demande si c’est si rassurant ).
Ce n’est pas si mal que ça, je dirai que ça pourrait être un
épisode inédit de la série The Wire, sans vrai « arc narratif »,
mais avec une petite intrigue homicide au raz du trafic à la place.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">Sans
perdre de temps, j’ai tout de même fait la vaisselle, je suis déjà
plus ou moins plongé dans un autre livre. Il s’agit de l’Amérique
de Jean Baudrillard, ouvrage déjà entamé il y a quelques années
et abandonné par ennui à la page 9. C’est donc une nouvelle
tentative et non une nouvelle lecture. Cette fois-ci j’ai atteint
la page 22 sans vrais embarras. Baudrillard n’est pas si emmerdant
que ça, il est seulement un peu emphatique et résolument vieillot
1980 (Constat le vieillot 1980 est plus vieillot que le vieillot
1920).</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">8
mars 2022.- Grand soleil (13°C). Baudrillard cherche « l’Amérique
sidérale », celle de la liberté vaine et absolue des <i>freeways</i>,
jamais celle du social, des individus et d’une quelconque culture,
jamais celle de l’Amérique profonde et jamais celle des mœurs et
des mentalités. Aux interactions sociales il préfère l’espace,
la vitesse désertique, les motels vides où les téléviseurs sont
toujours allumés, la surface minérale des buildings et le flux
continuel des automobiles. Dans son Amérique tout semble vide
d’humain. À New York, il ne croise que des spectres, des gens
seuls qui marchent seuls qui mangent seuls et écoutent de la musique
qu’ils sont seuls à entendre (c’est le fameux Walkman). Même le
Marathon et ses dix-sept mille participants n’est qu’un
assemblage de solitudes, une sorte de suicide qui fait mine d’être
collectif. Dans cette ville chacun semble vivre dans son propre
couloir virtuel et seuls les fous, junkies, alcooliques et autres
punks, conservent quelque chose du sens commun. Les fous, les punks
et les Rappers. Les Rappers sont des types qui effectuent un genre de
gymnastique, une sorte de prouesse acrobatique au coin des rues. À
la fin de leur danse, ils se figent le coude au sol, la tête
nonchalamment appuyée au creux de la main comme s'ils prenaient la
pose indolente de leur propre mort. Si New York est amoureuse de sa
verticalité (les fameux buildings), Los Angeles est amoureuse de son
horizontalité sans limites. On y trouve des joggers qui courent
droit devant eux comme enveloppés par la tonalité des leurs
Walkman, indifférents au sacrifice solitaire de leur propre énergie
:<i> « Les primitifs désespérés se suicidaient en nageant au large
jusqu’au bout de leurs forces, le jogger se suicide en faisant des
allers et retours sur le rivage. »</i>. La seule détresse comparable à
celle de l’homme qui court seul est celle de l’homme qui mange
seul debout en plein cœur d'une ville où personne ne se regarde.
Downtown un homme déguisé avec un bec des plumes et une cagoule
jaune pourrait circuler sur les trottoirs sans que quiconque ne le
regarde. Regarder un autre c’est encourir le risque d’une demande
insupportable d’affection. Baudrillard fait lui aussi semblant de
ne pas voir ce qui forme « société ». Bref, il passe à côté de
l’homme (l’homme américain générique), de sa violence
somnambulique et de son air fantomal. Il préfère les nuages,
l’espace (l’espace c’est la culture américaine). Les plus
belles pages, et elles sont fort belles, magnifiques même, sont
consacrées au désert et à la Vallée de la mort. Tout y est dit.
Les rochers, le sable, les cristaux, les cailloux sont éternels. Ils
sont loin de la corruption du corps qui s’achève, de la «
transition du corps vers l’inexistence charnelle ». Le désert est
au-delà de la phase maudite de la pourriture, de la phase humide du
corps, de l’organique. Tout cela est bien éloigné de l’homme,
et on se demande si ce n’est pas mieux ainsi.</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">(Autre
chose malgré son côté parfois désuet 1980, il y deux trois
presciences dans le livre de Baudrillard. Il est un peu question de
choses sexuelles qui changent, de <i>gender studies</i>, d’universalisme
et de communautarisme, d’Europe et D’Amérique).</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">10
mars 2022.- Passages nuageux (9°C). Un poème de Mallarmé, deux
pages de Cioran (Cahiers). Rien d'autre, le labeur.</span></p><div style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">Nouvelles
acquisitions : Bonjour, Jeeves - P.G Wodehouse, Exercices
d'admiration - Cioran, Le secret de Joe Gould - Joseph Mitchell,
L'hippopotame - Stephen Fry, Féroces infirmes retour des pays chauds
et Tarte aux pêches tibétaines -Tom Robbins.</span></div>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">11
mars 2022.- Il pleut (16°C). Toulet pense qu’ il y a des pluies de
printemps délicieuses, où le ciel a l’air de pleurer de joie.
C'est joli, mais le printemps ne sera là que dans neuf jours et en
attendant c'est moi qui pleure sous l'averse (j'ai oublié mon
parapluie). Hormis tout ça, preuve que tout est décidément dans
tout, je constate que c'est la guerre en Ukraine qui aura eu raison
du fameux virus qui nous tailladait les mollets depuis trois ans.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">12
mars 2022.- Temps pluvieux, un peu anglais, mais sans l’humour
(13°C). Comment concilier la « petite graine de l’état poétique
» avec les exigences d’une quelconque activité professionnelle ?
C’est ce qu’évoque Georges Haldas (suisse lémanique pour ne pas
dire genevois) dans le <i>Temps des rencontres</i>, cinquième volume de ses
chroniques autobiographiques. La quatrième de couverture promet de
l’humour, de l’ironie et des scènes hilarantes. Pourtant,
j’attaque gaillardement la page 48, et jusqu'à présent je n’ai
guère trouvé tout ça. Oh ! il y bien quelques traces de ce qui
pourrait bien être de l’humour, mais elles sont délayées comme
aquarellisées par un style assez précieux et peut-être même un
peu ampoulé. J’espère me tromper tout en sautillant dans une
flaque d’a priori, cependant j’ai la sourde impression que je vais
devoir passer deux jours avec un livre qui ne me siéra pas tout à
fait. Un peu comme si je devais me rendre sans vraie envie à un
symposium sur le char à voile ou le macramé avec un pantalon trop
court. Or j’aime être à l’aise, et même dans mes lectures.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">13
mars 2022.- Nuages (11°C). Il y a bien des histoires et des
personnages cocasses dans les chroniques de Georges Haldas, mais
l’ensemble semble anesthésié par un style tout en appogiatures et
périphrases, un style qui ne va jamais droit au but, un style
serpent qui noie le poisson (d'autre part, il n’y a quasiment
aucune image littéraire, ce qui est bien étonnant pour un type qui
se dit gouverné par la « petite graine de l’état poétique »).
Évidemment, j’analyse tout ça avec mon humeur du moment, humeur
qui n’est pas peut-être pas compatible avec les circonvolutions de
phrases qui finissent pas se consumer elles-mêmes dans une sorte
d’autophagie un peu problématique. Ces phrases peut-être
faudrait-il que je les apprivoise avant de les dompter un peu (Haldas
est certainement très bien, enfin c’est ce qu’on dit). En
l’occurrence, et pour l’instant, je suis un bien piètre dompteur
et je m’ennuie.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">14
mars 2022.- Ciel couvert (13°C). Nuageux comme le temps, fatigué
aussi. Lu un poème de Jacques Chessex et deux pages de Schopenhauer,
chez qui les évènements n'ont d'importance aux yeux de la
connaissance philosophique que comme manifestation des idées. Ainsi
:</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;"><br /></span></p><div style="font-variant-east-asian: normal; font-variant-numeric: normal; line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: left;"><span style="color: #444444; font-family: Tinos; font-size: medium;"><span><span>Les
nuages sont une vapeur élastique,<br /></span></span><span><span>bons
bougres ils se rassemblent,<br /></span></span><span><span>se
dispersent,<br /></span></span><span><span>se
dilatent et se déchirent sous le choc du vent.<br /></span></span><span><span>C'est
leur nature,<br /></span></span><span><span>leur
petite idée,<br /></span></span><span><span>de
n'être que des figures particulières,<br /></span></span><span><span>qui
n’existent que pour l'observateur individuel,<br /></span></span><span><span>qui
se dit :<br /></span></span><span><span>oh
! tiens un mouton.<br /></span></span><span><span>Alors
que non,<br /></span></span><span><span>c'est
encore un coup,<br /></span></span><span><span>de
l'accidentel.</span></span></span></div><div style="font-variant-east-asian: normal; font-variant-numeric: normal; line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: left;"><span style="color: black;"><span><span><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;"><br /></span></span></span></span></div><div><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">15
mars 2022.- Tempête de sable, comme si c'était possible (16°C).
J'ai beau travailler de moins en mois, mes journées de labeur me
pèsent de plus en plus. Quelle drôle d'idée que d'avoir inventé
le salariat ! Rien lu, ou presque.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">16
mars 2022.- Plafond nuageux patibulaire (16°C). Que deviennent les
larmes que l’on ne verse pas ? Jules Renard disait que la plus
sotte exagération était celle des larmes. Elles l’agaçaient
comme un robinet qui ne ferme plus. Pour lui chaque pensée absorbant
une larme, il n’était pas question de penser et pleurer en même
temps. Cela ne l’empêchait pas d’avoir le cœur rempli de
feuilles mortes. Il y a un beau poème de Léon-Paul Fargue qui
tourne autour des larmes taries, les larmes non versées d’un type
qui vacille au sommet du désespoir. Il monte, monte… il monte
au-dessus des hommes, il a du chagrin, il souffre, il n’y a plus de
coton dans son cœur. Chez Mallarmé on ne se contient pas, les
larmes ont un pouvoir lustral. C’est l’eau limpide de sa douleur
et il suffit de lire les notes écrites sur la mort de son fils
Anatole pour avoir les yeux humides et le cœur pincé.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">17
mars 2022.- Du vent (14°C). Que retiendrais-je de George Haldas et
son <i>Temps des rencontres</i> ? Pas grand-chose, une page, une belle page
consacrée à Charle-Albert-Cingria. Son béret usé, sa nuque
d’éléphant, ses avant-bras poilus (Haldas parle d’avant bras
velus et simiesques), son petit maillot bleu et blanc moulant un
torse épais et grassouillet, ses pantalons de golf et ses puissants
mollets blancs. Voilà un personnage intéressant, des images et un
croquis qui oublie l’afféterie des circonvolutions aquarellistes.
Malheureusement, il n’y a que cette page pour être de ce
tonneau-là. Le reste ma beaucoup ennuyé (pour ne pas dire pire),
j’ai sauté de nombreux passages ce qui m’est extrêmement rare.
Comme je m’ennuyais et que l’engagement politique un peu rampant
d’Haldas m’ennuyait aussi (on aura compris qu’il est du bon
mauvais côté), j’ai par pure distraction composé ce petit poème stalinien antonymique que voilà :</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">Tes moustaches sont si perçantes qu'en me dressant j’ai vomi</span></p><div style="text-align: left;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;"><br /></span></div><p><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">J'ai deviné toutes les lunes venir s'y noyer<br />S'y accrocher à vivre tous les exaltés<br />Tes moustaches sont si perçantes que j'y ai repêché l'oubli</span></p><p></p><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">Au soleil des poissons c'est la rivière limpide <br />Puis le mauvais temps petit à petit se pose et tes moustaches demeurent <br />L'hiver taille la terre aux blouses des terreurs <br />L'enfer est toujours rouge comme il l'est sur les phlomides <br /><br />Le calme fuit utilement les joies du nuage <br />Tes moustaches moins humide que lui lorsqu'un sourire y pâlit <br />Tes moustaches rendent débonnaire l'enfer d'avant la pénurie <br />La cruche est toujours si rouge qu'à son apanage <br /><br />Père des quatre bonheurs ô ombre sèche <br />Quatre boucliers ont bouché le faisceau des ombres <br />La nuit est moins consolante qui fuit entre les gongs <br />Le poil bouché de clarté moins bleu d'être en crèche <br /><br />Tes moustaches dont le bonheur ferme la simple clôture <br />Par où se crée la certitude des masses <br />Lorsque le cerveau flopé elles oublient d'êtres coriaces <br />La tunique de Jésus gisant dans la pâture <br /><br />Une langue manque aux semaines d'octobre lexical <br />Pour toutes les cacophonies et pour tous les vivats <br />Assez d'une terre pour de rares vacarmes<br />Il leur fallait tes moustaches et leurs vérités sagittaires <br /><br />Le vieillard partagé par les bassesses sauvages <br />Recroqueville les siennes plus pauvrement <br />Quand tu rases tes petites moustaches je sais si tu sens <br />On dirait que l'éclaircie ferme des lies sages <br /><br />Montrent-ils des éternités dans cette pestilence où <br />Des fourmiliers géants refont leurs haines de tamanoir <br />Je suis éloigné de l'attraction des trous noirs <br />Comme un berger qui vit sur sa montagne fin août <br /><br />J'ai ajouté cet uranium dans l'autunite <br />Et j'ai congelé mes coudes à ce flegme oxydé <br />Ô enfer jamais reperdu retrouvé <br />Tes moustaches sont ma Géorgie mon caillou unique <br /><br />Il advint qu'un drôle de matin le néant s'ajusta <br />Sur des plages que les secoureurs sauvèrent <br />Moi je voyais s’éclipser en dessous de la terre<br />Les moustaches de Joseph les moustaches de Joseph les moustaches de Joseph.</span></div><div><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;"><span><br /></span><span></span></span><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">Prochaine
lecture<i> Les derniers jours de Pékin</i> de l’animal Loti. Je n’imagine
que du bien.</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;"><br /></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">To be continued.</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: arial;"><br /></span></p></div>Philippe Lhttp://www.blogger.com/profile/11161966062544589959noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-6980582.post-32932546656126031412022-06-30T11:14:00.009+00:002022-10-14T21:48:57.812+00:00Psychogeographie indoor (117)<p><i></i></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><i></i><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiLDh_aRDHu1UfAieVvy1IgV4faze_FTCqR-NOG2npuUmlFngoM2LqnjbBmkQUyWxK_2vvw50G17A456iq55F9xMPBsg52Yt1UdYNP1x10OhjeDKjSKzN5S58DM_rTAvqIxou-ag99I6_R5S9EpKfFeGIdOIuhO7rmnpSsvmdeTXm9Kur45bJg/s682/e5b6f65_12585-113nfkj.jpg" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="682" data-original-width="664" height="400" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiLDh_aRDHu1UfAieVvy1IgV4faze_FTCqR-NOG2npuUmlFngoM2LqnjbBmkQUyWxK_2vvw50G17A456iq55F9xMPBsg52Yt1UdYNP1x10OhjeDKjSKzN5S58DM_rTAvqIxou-ag99I6_R5S9EpKfFeGIdOIuhO7rmnpSsvmdeTXm9Kur45bJg/w390-h400/e5b6f65_12585-113nfkj.jpg" width="390" /></a></div><i><br /></i><p><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;"><i style="text-align: justify;">« Orage : nous l'avons tous échappé belle. Mais non, pas
tous. Trois hirondelles ont été jetées par le vent et la pluie
dans le feu de la cheminée. Et les voilà rôties. Trois
hirondelles, trois êtres, trois fois ce que je suis. »</i><span style="text-align: justify;"> (Jules
Renard, </span><i style="text-align: justify;">Journal</i><span style="text-align: justify;">)</span></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><b><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">1.</span></b></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">22
janvier 2022.- Éclaircies (5°C). <i>« Certains lundis de la toute
fin de novembre, ou du début de décembre, surtout lorsqu'on est
célibataire, on a la sensation d'être dans le couloir de la mort.
».</i> Peut-être du « nouveau » Houellebecq ne faudrait-il lire
que la première phrase et s’abstenir de lire les milliers d’autres
qui suivent ? Cette phrase, un peu sinistre, mais belle, pourrait
elle en elle-même synthétiser le projet et nous éviter ainsi de
nous perdre dans les affres douteuses offertes par cette vieille
chose <i>dix-neuvièmiste </i>qu’est le roman ? Peut-être, allez
savoir, pour nous (moi) qui ne croyons plus trop au roman,
certainement (de surcroît, nous sommes un peu flemmards). Tout cela
pour vous dire qu’étant tout à la fois assommé par la
perspective de lire une affaire balzacienne remise au goût du jour
tout en ayant la curiosité d'un vif petit félin (je suis un peu
chat), j’ai aujourd’hui décidé de lire <i>Anéantir</i>.
Premier constat Houellebecq croit vraiment au roman, il y a une vague
intrigue, des personnages. Reste à savoir si ce roman n’existe que
pour étioler et rentabiliser sa première phrase sur plus de sept
cents pages. ? Pour le moment, j’ai lu cent pages, je dirai
non. Ce n’est pas si mal que ça, c’est d’une jolie tristesse
et d’un humour précisément morose, il y a des moments qui
creusent la poitrine du lecteur, des triangles Daunat, des jeunes
femmes qui serrent leurs « chattes ». La brume flotte entre le Rhône
et la Saône, la mort aussi, un peu.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">23
janvier 2022.- Nuages (3°C). A/ On a beaucoup glosé sur le supposé
cynisme de Michel Houellebecq. Pourtant dans <i><span style="font-weight: normal;">Anéantir</span></i>
il n’y en a aucune trace. Houellebecq est plutôt acerbe, et
parfois drôle, avec ce qu’il n’aime pas. Il est même acerbe
avec lui-même (le personnage principal est un peu lui-même). Mais
être acerbe ce n’est pas être cynique, c’est être ailleurs,
cela laisse la « possibilité » de croire en plein de choses sans
ricaner : la vie, l’amour, le roman... Houellebecq croit
encore en tout ça. On pourrait aussi dire qu’il fait avec le
premier degré… Vivre au second degré est presque impossible. Qui
aime au second degré ? A quoi bon écrire au second degré ?</span></p><div style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;"><span style="text-align: left;">B/
En lisant </span><i style="text-align: left;">Sérotonine</i><span style="text-align: left;"> on avait cru déceler une certaine
évolution stylistique. Les phrases étaient plus longues tout en
étant mieux rythmées et ponctuées. L’ensemble semblait plus
charnu, mieux fagoté, mieux construit. Dans </span><i style="text-align: left;">Anéantir</i><span style="text-align: left;"> ce
n’est plus vraiment le cas. Les phrases s’alignent avec une
régularité atone qui ne concède qu’au factuel. Les mots
s’empilent, l’intrigue avance comme un TGV dans la brume. Rien à
redire, cela renforce l’insondable tristesse de l’ensemble.</span></span></div>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">24
janvier 2022.- Beau temps froid (4°C). Bientôt trois ans,
l'épidémie est toujours là, les auteurs de directives et notules
sautillent avec la certitude de ceux qui pensent êtres utiles. <span style="text-align: left;">Du
côté des livres </span><i style="text-align: left;">l'Anéantir</i><span style="text-align: left;"> de Houellebecq n'est pas qu'un
roman sur la fin de vie et le deuil, c'est aussi une « comédie
du remariage », mais sans vraie comédie. Bon c'est tout même
parfois drôle. Drôle et morose à la fois, comme si c'était
possible.</span></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">25
janvier 2022.- Larges éclaircies (7°C). Que Michel Houellebecq
s’attaque aux bourgeoises « progressistes », certes ! Mais qu’il
fasse sa petite affaire au tapir c’est très injuste et pour tout
vous dire cela ne passe pas ! Dans <i>Anéantir</i> ce mammifère
ongulé qui ne demandait rien à personne est vu comme une bestiole
méfiante et solitaire qui ne vit que la nuit et qui n’a pour ainsi
dire aucune interaction sociale. Bref, pour Houellebecq la vie du
tapir est « incroyablement chiante ». Voilà qui est très injuste
tout en étant un peu gênant. Très injuste parce que le tapir est
un animal relativement amusant, imaginez un mélange de cheval et de
rhinocéros avec une petite trompe. Un peu gênant parce que le tapir
me ressemble beaucoup.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">26
janvier 2022.- Froideur (2°C). Jules Renard est un humoriste
diablement sautillant, mais c’est aussi un homme de bonne mauvaise
humeur pour qui l’ironie est la pudeur de l’humanité. Chez Érik
Satie on peut selon sa fantaisie ne choisir que ce qui est rigolo
dans l’existence. On évite ainsi plus d’un embêtement, on coupe
au Service militaire, on s’excuse aux enterrements, on ne règle
pas sa couturière. Pour Georges Perros on a de l’humour dans la
mesure où « l’autre » ne s’en aperçoit pas. Schopenhauer
(Arthur) pense que l’humour repose sur une disposition particulière
de l’humeur, où sous toutes ses formes, il remarque une « forte
prédominance du subjectif sur l’objectif, dans la manière de
saisir les objets extérieurs ». Henri Roorda constate que quand on
lit les théoriciens du rire, on ne rit plus trop. Quant à moi,
j’essaye d’être à côté, sans exagération ni hyperbole, dans
une ironie plaisante et sentimentale, une ironie inachevée
tournicotant autour d’un compère complice. C’est ce que
j’appelle humour.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">27
janvier 2022.- Beau temps froid (2°C). Pour tout vous dire ce qu’il
y a de moins bien dans <i>l’Anéantir</i> de Houellebecq ce sont
ces séquences de rêves qui flottent comme un poil sur le guacamole
(pour ne pas dire un cheveu sur la soupe). Ces séquences de rêves
se lisent tout d’abord avec une curiosité renfrognée, puis on ne
les lit plus, on les saute allégrement, notre temps est trop
précieux pour nous le gâchions avec de l’onirique pour rien. Chez
d’autres les rêves peuvent être autrement croquignolets. Dans ses
<i>Cahiers </i>Emil Cioran fait ce rêve idiot. Il a rendez-vous avec les
deux filles de Bergson. Après des complications sans nom, ils
parviennent à prendre un train pour Sibiu (une ville transylvaine
presque aussi grande que Cluj et Brașov). La voie est en réparation,
le train avance à peine, les deux filles de Bergson ne parlent pas
le roumain… Voilà un rêve.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">28
janvier 2022.- Ciel nuageux (4°C). Schopenhauer et le bruit c’est
toute une histoire. Il en avait horreur, spécialement du claquement
des coups de fouet dans la rue (satanés cochers !) et encore
plus des portes fermées sans la moindre délicatesse par ses voisins
(cette fameuse couturière qu’il jettera dans les escaliers). Pour
lui la quantité de bruit produit par un individu était inverse à
son intelligence. C’était la marque non seulement d’une mauvaise
éducation, d’une nature grossière et bornée, mais encore plus
d’une insensibilité tenace (sensible en anglais signifie également
intelligent). Il pensait que l’être humain serait complètement
civilisé le jour où ses oreilles seraient libres de ne plus
entendre sifflements, cris, hurlements, aboiements, portes claquées,
coups de marteau, coups de fouet. D’ailleurs à ce titre il
jalousait secrètement les chauves-souris parce qu’elles ont les
oreilles pourvues de revêtements hermétiques. Si je vous ennuie
ainsi avec Schopenhauer et le bruit, ce n’est pas complètement
pour rien, c’est en partie parce que cet après-midi j’ai tenté
de lire <i>l’Anéantir</i> de Houellebecq au milieu du brouhaha
engendré par un voisinage qui se fichait totalement de mes
conditions lectorales. Si je vous ennuie avec Schopenhauer et le
bruit, c’est aussi parce qu’il y a un certain rapport entre
Michel et Arthur…</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">29
janvier 2022.- Couverture nuageuse laissant deviner quelques rares
pans de ciel bleu (3°C). Quand Houellebecq se pique de <i>fiction
fictionnante</i>, de vague polar ou de suspens, il ressemble assez à
ce pouvait être le Frédéric Dard des années 70. Celui qui au
milieu de ses San Antonio devenait presque sérieux pendant deux ou
trois pages. Le natif de Bourgoin-Jallieu oubliait alors les
gauloiseries, Rabelais et le <i>post célinisme</i> pour mieux se recentrer
sur de l’efficacité narrative et la nécessaire progression de son
intrigue. Je suis moins familier avec l’œuvre de Gérard de
Villiers, mais le peu que j’en connais me laisse deviner qu’il
procédait de la même façon. Sauf que chez lui ce sont certainement
les scènes de sexe pas forcément féministes et le racisme
goguenard qui devaient laisser place au sérieux et aux nécessités
de l’intrigue pour quelques pages. Dans <i>Anéantir</i> toutes les
scènes à visée policière écrites par Houellebecq on ce goût-là,
ce goût Dard/de Villiers qui se pique de sérieux. (Quant au reste,
les affaires familiales, les couples qui meurent et renaissent, les
fins de vies… il est tout de même très bien).</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">30
janvier 2022.- Toujours ces nuages percés de rares trouées bleues,
demi-froideur (5°C). Les dernières pages d’<i>Anéantir</i> mon
laissé avec la gorge serrée et je ne crains pas de dire qu’elles
emportent avec elles tous les doutes que le reste du roman pouvait
laisser engendrer. C’est un peu bête, et même très premier
degré, mais finalement il n’y a que deux choses qui intéressent
vraiment Houellebecq : la dignité et l’amour. N’y voyez aucune
ironie, mais plutôt la preuve que l’on peut faire de la bonne
littérature avec de bons sentiments.</span></p>
<div style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">Pour
la suite de mes aventures lectorales, je ne sais pas, j'hésite entre
plusieurs choses (Vuillard, peut-être). En attendant de me décider
vraiment je vais retourner dans les <i>Papiers collés </i>de Perros
et dans son <i>Ardoise magique</i> qui me semble avoir quelques
points communs avec la fin d'<i>Anéantir.</i></span></div>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">31
janvier 2022.- Pluie fine (6°C). Pas plus d’entrain que
d’inspiration, cependant… Dans l’<i>Anéantir </i>de
Houellebecq, le personnage principal malade ne veut pas qu’on lui
coupe la langue. Il veut goûter, lécher. Surtout, il veut parler,
quitte à en mourir, il meurt… Dans l’<i>Ardoise magique </i>de
Georges Perros, son Journal de maladie sec et poignant, c’est une
autre histoire tout en étant la même histoire. On ne coupe pas la
langue de Perros, on lui enlève le larynx. Il s’en accommode
presque, il ne veut plus parler, il ne parle plus, il meurt. Tout
cela n’est pas très joyeux, mais c’est ainsi. Restent deux trois
questions. La littérature peut-elle faire sans la parole ? Flaubert
a-t-il raison de gueuler dans son <i>gueuloir</i> ? Existe-t-il des
écrivains muets au sens propre ?</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">1er
février 2022.- Ciel couvert, léger réchauffement (7°C). Pour
Michel Houellebecq lorsque vous suscitez chez les autres un mélange
de pitié effrayée et de mépris, vous pouvez commencer à écrire.
Comme tout est dans tout chez les frères Goncourt <i>« Il n’y a
que la littérature méprisée qui ait des auteurs honorables. » </i><span style="text-align: left;">Nothing
else.</span></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;"><br /></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;"><br /></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><b><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">2.</span></b></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">2
février 2022.- Radoucissement généralisé (10°C). Un peu croqué
dans <i>Une sortie honorable </i>d'Éric Vuillard. Toujours la même
recette, des choses historiques vues de biais (ici la fameuse affaire
indochinoise). Ce n'est pas vraiment désagréable, mais j'ai
quelques doutes quant à l'utilité de l'exercice. Il y a chez
Vuillard un côté inspecteur des travaux finis qui assomme les
supposés salauds de 1950 avec le gourdin moral de 2022. Attaquer
Édouard Herriot soixante-dix ans après sa mort est-il si nécessaire
que ça ? Y-a-t-il un but ? Ce but est-il politique ? Les supposés
salauds de 1950 peuvent-ils se défendre en 2022 ? S'attarder sur des
personnalités, les estourbir puis les tirer par les cheveux,
n'est-ce pas oublier que l'Histoire se fait avec des systèmes bien
plus qu'avec des personnalités qui suivent le chaland ? Tout cela
m'échappe un peu.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">3
février 2022.- Beau temps (10°C). Platon répète à qui veut bien
l’entendre que les hommes vivent dans un rêve. Pindare pense que
l’homme est le rêve d’une ombre. Pour Shakespeare nous sommes
faits de l’étoffe dont sont tissés les songes, et notre vie bien
courte a pour frontière le sommeil. Pessoa enroule le monde autour
de ses doigts, comme on pourrait jouer avec un fil ou un ruban. Il
rêve à sa fenêtre.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">4
février 2022.- Belle éclaircies, vague douceur (11°C). Je ne suis
pas très inspiré, je suis fatigué. Et puis ma voisine bricoleuse a
remis ça : un vacarme infernal. Alors, les livres me sont
tombés des mains. Le Vuillard notamment. J'ai préféré me faire du
thé, il infuse.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">5
février 2022.- Le soleil donne (10°C). Peut-être ai-je été un
peu injuste avec Éric Vuillard et sa <i>Sortie honorable</i>.
Contrairement à ce que j’affirmais il y deux jours il s’attaque
aussi à des systèmes (enfin un système, le système capitaliste).
Cependant, il le fait toujours en partant d’individus (en gros les
caciques de la quatrième république) dont il caricature davantage
le physique que les idées et actions. C’est assez étonnant cela
donne l’impression que Gringoire est passé dans le « camp du du
bien ». Sinon il y a des passages intéressants, c’est assez
synthétique (synthétiser c’est l’art de Vuillard, c’est aussi
sa limite : la caricature), il a des pages émues sur Patrice
Lumumba, on apprend deux trois choses sur le conflit indochinois, la
CIA n’est portée aux nues… Bref, ce n'est pas si mal.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">6
février 2022.- Les nuages sont de retour (9°C). En 1961, Jean
Pierre Abraham devient gardien du phare d’Ar-Men au large de l’île
de Sein. Il y restera trois ans consignant au jour le jour son
expérience et ses impressions dans un Journal au goût un peu
monacal qui sera édité au Seuil en 1967. Ce Journal je l’ai lu
aujourd’hui. C’est un court texte plein de répétition d’errance
et de fausse paresse où de modestes compagnons - on s’occupe
toujours d’un phare à deux – ont tout de moines laïques.
Abraham en quittant la terre ferme voulait quitter le versant
dérisoire de l’attente. Sur son rocher et dans son phare, il ne
sera pas déçu, l’attente ne sera en aucun cas dérisoire. Entre
deux grains il pourra pisser tranquillement dans le courant en ne
pensant à rien, choisir d’habiter près d’une lampe et ainsi
choisir la couleur de sa vie, faire reluire des cuivres plus que de
raison, s’accrocher aux lueurs et y trouver une forme de délice de
lui-même. Même au milieu de la houle, du fracas et des tempêtes
les journées passeront comme de soyeuses larmes… Voilà une belle
histoire, un beau texte…<i>« Un calme étonnant s'est installé en
moi, qui dure encore. J'ai abandonné à regret, à seize heures
trente. Je me suis lavé longuement les mains et j'ai gagné la
lanterne pour les cérémonies de l'allumage. Chaque geste était
clair et chaque pensée tranquille. Elle est donc bien misérable,
cette fameuse inquiétude, qui ne résiste pas à un simple travail,
au va-et-vient dérisoire d'un chiffon sur un objet de cuivre ! Il ne
faut pas faire le malin. C'est aussi en regardant la mer aller et
venir, aveuglément, que je me suis perdu.»</i></span></p>
<div style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">Moins
dans les embruns, j'entame vraiment le <i>Journal</i> des Goncourt,
dans lequel je n'avais pour l'instant fait que picorer quelques bons
mots. Voilà une lecture qui devrait m'occuper un certain temps.</span></div>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">7
février 2022.- Soleil (9°C). Vaguement malade, rien pour moi,
encore moins pour les autres. Quatre pages un peu popote des frères
Goncourt. Rien d'autre, ou presque.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">8
février 2022.- Ciel dégagé de tout nuage (10°C). Baudelaire cet
homme d’esprit qui ne s’accordait avec personne, s’appliquait à
aimer la conversation des imbéciles et la lecture de mauvais livres.
Il en tirait de belles jouissances qui compensaient largement sa
fatigue d’exister.</span></p>
<div style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: left;"><div style="text-align: justify;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">Chez
les frères Goncourt les gens spirituels dans leur vie, pas bêtes
dans la conversation, laissent parfois affleurer dans leurs livres la
bêtise dissimulée dans leur fin fond.</span></div><div style="text-align: justify;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">La
bêtise faisait suffoquer Flaubert, ce qui était imbécile, car
autant vouloir s'indigner contre la pluie. Il pensait également que
« la bêtise consiste à vouloir conclure ». Ce en quoi il n'avait
pas vraiment tort.</span></div></div>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">9
février 2022.- Beau temps quasi printanier (14°C). Assommé par le
labeur, incapable de lire plus de trois pages. Me suis donc contenté
de fragmenté. Dans les <i>Cahiers</i> de l'ami Cioran, dans le
<i>Journal</i> des Goncourt, dans l'<i>Ar-Men</i> d'Abraham…
Nouvelles acquisitions : Georges Haldas - Le temps des rencontres,
Éric Chevillard - L' Arche Titanic.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">10
février 2022.- Très beau temps (13°C). Shakespeare pose parfois de
drôles de questions. Par exemple, il cherche à savoir « où va la
blancheur lorsque la neige fond ? » Ce n’est pas vraiment idiot,
c’est même une belle interrogation poétique, et Shakespeare est
aussi un grand poète. J’ai envie de lui répondre qu’il y a
peut-être un peu de la blancheur de la neige fondue dans la <i>Brise
marine</i> de Mallarmé, dans cette jeune femme allaitant son enfant,
dans ce papier vide défendu par du lactescent. J’ai envie de lui
répondre cela, mais je me trompe peut-être : je n’ai pas lu tous
les livres.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">11
février 2022.- Le soleil est toujours là, la température baisse
(7°C).Too much work, too much fatigue, read nothing. And that’s
how the useless days pass.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><b><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">3.</span></b></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">12
février 2022.- Soleil voilé par un léger mappage de brume (10°C).
Éric Chevillard qui ne sous laisse jamais à l’abri de quelques
élans capricants s’est laissé enfermer une nuit dans le
département des Espèces disparues du Muséum d’histoire naturelle
de Paris. Il en a ramené un drôle d’objet littéraire (un DOL)
qui pourrait ressembler à un genre de reportage fomenté au milieu
de bestioles plus sybarites les unes que les autres. J’ai entamé
ce mince ouvrage pas plus tard que ce matin (il y avait aussi du
Biathlon et du Saut à Ski à la télévision, ce sont des
disciplines sportives hivernales, qui comme le Curling et
contrairement à l’Ocelot, ne sont pas vraiment en voie de
disparition). Comme toujours avec Chevillard on sautille beaucoup, il
est certes beaucoup question de mort et de taxidermie, mais c’est
assez marrant. Il faut dire que même largement trépassées, le
vorompatra, l’alongue cendrée, la marole acrobate ou la pirlouche
on tout pour réjouir le lecteur : <i>« Savez-vous que le rossignol
gringotte, que le pinson frigotte, que le geai frigulote ?/Je fais ce
que je peux/ Je sifflote »</i></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">13
février 2022.- Soleil et vent (6°C).Nous vivons dans un monde sans
couagga, sans émeu noir, sans moho d’Oahu, sans bobo, sans
hippotrague bleu, sans cerf de Schomburgk, sans tortues des
Sheychelles de Rodrigues et de Bourbon, sans dronte, sans canard à
tête rose, sans grand pingouin, sans kangourou-rat à museau large,
sans wallaby-lièvre, sans handicoot du désert, sans pipio givre,
sans lion du Cap et sans koala manchot. Qu’ont bien pu faire toutes
ces bestioles pour que nous ne les méritions plus ? Nous
méritons-nous nous-mêmes ? Allons-nous disparaître comme une
fumée, une mauvaise fumée ? Voilà quelques questions posées par
l’ami Chevillard. Des questions auxquelles nous serions bien
incapables de donner la moindre réponse. Des questions que
Chevillard se pose lui-même sans nous donner la moindre réponse non
plus. Il est seulement drôle, drôle et mélancolique… Quand il ne
pose pas de questions auxquelles il s’abstient de répondre, il
tournicote autour des cornes de rhinocéros avec l’appétence du
quinquagénaire un peu ramolli. Les cornes de rhinocéros sont une
sacrée affaire qui ne devrait pas en être une, car elles ne sont
composées que de kératine. Le quinquagénaire ramolli devrait le
savoir et se contenter de se ronger les ongles. On tuerait moins de
rhinocéros pour rien, le monde irait certainement mieux, il y aurait
moins de questions sans réponse à poser, la fumée de l’homme
disparaissant serait moins nocive. Conclusion : je suis bien évasif,
mais la nuit au Muséum de Chevillard est très bien.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">15
février 2022.- Giboulées (9°C). Chez Jules Laforgue Hamlet prend
son futur crâne de squelette à deux mains et essaie de frissonner
de tous ses ossements. Pour Mallarmé, il utilise le fané pour
s’absenter, il se débat sous le mal d’apparaître, c’est un
fantôme blanc comme une page pas encore écrite. Ionesco pense que
le Hamlet monologuant n’émet que des banalités. C’est possible.
Cioran pense, lui, que ces banalités épuisent l’essentiel de nos
interrogations : « les choses profondes se passent d’originalité
». Quant à moi, je trouve qu’il y a décidément quelque chose de
sautillant au Royaume du Danemark.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">16
février 2022.- Averses (8°C). Ne pas confondre Jean-Pierre Richard,
grand spécialiste de Mallarmé et Pierre Richard, gaffeur distrait.
Rien d'autre.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">17
février 2022.- Belles éclaircies, douceur (17°C). Un peu avec
Chevillard et Valéry (Paul) qui sont drôles tous les deux. Rien de
surprenant pour le premier, son potentiel comique n'est plus à
démontrer. Plus étonnant pour le second qui n'est pas vraiment
réputé pour le sautillement et le relâchement des zygomatiques,
mais qui a ses moments. Celui-ci par exemple : « Les livres ont les
mêmes ennemis que l’homme : le feu, l’humide, les bêtes, le
temps ; et leur propre contenu.»</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">18
février 2022.- Douceur totalement incongrue (20°C). Chevillard ne
ricane jamais, il est plutôt plein d’ironie . L’ironie et le
ricanement sont deux choses bien différentes. Il est important de ne
pas ricaner. Quant à l’ironie, et notamment l’ironie en
littérature, vaste programme ! Chevillard a de nombreux devanciers.
Des évidents et des moins évidents. Tenez par exemple l’ironie de
Jules Renard est bien connue, celle de Mallarmé ou de Cioran, moins.
L’ironie de Jules Renard ne dessèche pas, elle ne brûle que les
mauvaises herbes, c’est aussi la pudeur de son humanité. L’ironie
de Mallarmé, oui il y a donc de l’ironie chez Mallarmé, est un
vertige contrôlé de l’esprit, un suprême sourire de la volonté.
L’ironie de Cioran est le privilège de son âme blessée, le
témoignage d’une brisure secrète, un aveu, ou le masque
qu’emprunte la pitié de lui-même.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">19
février 2022.- La température baisse, le soleil est toujours là
(10°C). Chevillard est parfois inégal, certains de ses
sautillements sont un peu forcés et comme empêchés par
l’attraction terrestre. Il est bien difficile de pondre du
conséquent de façon quotidienne, les scories sont obligatoires.
Vivre sans scories – et je parle de scories pour rester élégant –
est impossible. Bon l’essentiel de son <i>Autofictif </i>est tout de même
très bien. Tenez prenez ces quelques lignes pour exemple :<i> « Mais
non les larmes du crocodile ne sont pas feintes. Il s’agit bien
réellement de saler le gnou »</i> ou encore :<i> « Il aura fallu des
raffinements pervers pour arracher au coït l’émotion amoureuse,
et mieux encore, cette espèce de sensation de triomphe justifié,
comme s’il y avait lieu de fanfaronner parce que nous accomplissons
à l’instar du rhinocéros ou de la fourmi notre programme
biologique ».</i></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">*</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">Quelques
questions, quelques réponses :</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;"><i>À
quel moment de la journée, de la semaine, de l’année, de la vie
lisez-vous le plus volontiers ?</i> La semaine je picore deux trois
choses l'après-midi après le labeur et la sieste, mais jamais plus
d'une vingtaine de pages. Mes fins de semaine sont plus sérieusement
entamées, et parfois assommées, par la chose lectorale. Je lis le
matin après avoir fait mon lit et l'après-midi après une bonne
sieste. Je lis rarement le soir, le réservant pour d'hypothétiques
aventures sexuelles.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;"><i>Y
a-t-il des livres dont vous puissiez dire qu’ils ont changé votre
vie ? Dans ce cas, pourquoi ?</i> Certainement un exemplaire du Journal
de Mickey. Pourquoi ? Peut-être qu'en le lisant j'ai pris conscience
des délices et sortilèges de la « grande chose narrative », allez
savoir ?</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;"><i>Y
a-t-il un grand classique – ou plusieurs – dans lequel vous
n’avez jamais eu le goût d’entrer ?</i> J'ai essayé Tolstoï : trop
de personnages.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;"><i>Vous
est-il arrivé d’aimer des mauvais livres ? Si oui, pourquoi ?</i> J'ai
aimé de nombreux mauvais livres pour de nombreuses bonnes mauvaises
raisons.</span></p><div style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: left;">
<p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">20 février 2022.-
Ciel changeant (12°C) Fini l’<i>Autofictif croque un piment</i> qui est
passé comme une lettre à la poste (je ne sais pas si cette
expression - cette « lettre à la poste -, est si bien vue que ça.
D’une part parce qu’il n’y a plus trop de lettres postées.
D’autre part parce que quand il y avait des lettres postées il
arrivait qu’importantes ou compromettantes, elles soient mal
dirigées, pour ne pas dire mal digérées, par des boites aux
lettres qui les égaraient parfois au petit bonheur la chance. Rien
n’était vraiment simple dans ces temps-là. Le monde était non
numérisé, il était plus soumis aux heureux aléas de l’accidentel.
Je peux me tromper, mais j’ai l’impression que ce n’était pas
pire).</span></p>
<div style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">Pour la suite de mes
pérégrinations lectorales j’hésite entre plusieurs volumes. En
attendant de me décider vraiment j’ai seulement fait un petit tour
dans le Journal des Goncourt. Voilà deux gars qui n’étaient pas
tellement saisis par le pelucheux et le sens du poil (pour tout dire
: ils sont même très méchants).</span></div>
<p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">21 février 2022.-
Vent violent (8°C). Dans ses Descriptions critiques, que je viens
d’entamer, Claude Roy constate que contrairement à une opinion
généralement admise et tamponnée l’œuvre de Mallarmé est bien
plus visitée par la clarté que par l’obscurité. Pour Roy
Mallarmé est tellement clair qu’il en laisse
apparaître des trames, un certain manque de goût, quelques laideurs
et même des platitudes… Il s’affinera avec le travail, il
n’écrira plus en 1895 comme il écrivait en 1865. Les « beautés
» lui viendront alors. Il laissera caracoler les mots exquisément.
Les Sonnets à Méry Laurent pèseront presque aussi lourd que les
Amours de Ronsard. Tout cela est très bien vu et Roy ne se trompe
certainement pas. Cependant une remarque – une remarque que je
transforme en question- : plus que clair ou obscur, Mallarmé
n’est-il pas plutôt bizarre ?</span></p>
<p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">22 février 2022.-
Temps nuageux (11°C). Pour Claude Roy (Descriptions critiques), Paul
Valéry n’était pas qu’un esprit absent au monde, un génial et
aigu ermite de l’intelligence, c’était aussi un type sympathique
qui l’âge aidant se laissera même aller à quelques tendresses.
Voilà une autre image que celle donnée par le « petit monsieur sec
» se déclarant « ennemi du Tendre » et déléguant tous les
pouvoirs à sa propre intelligence. On pourrait même tamponner et
renforcer les propos de Roy en constatant que la maîtrise parfaite
des émotions, cette délégation de tout au cogito, montré par
Valéry n’étaient que le paravent sévère, mais protecteur d’un
homme travaillé par une grande timidité.</span></p>
<div style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: left;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">Par ailleurs lu
quelques poèmes jolis et moroses de Jacques Chessex ( Le désir de
neige).</span></div><div style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: left;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;"><br /></span></div>
<p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">To be continued.</span></p><br /></div>Philippe Lhttp://www.blogger.com/profile/11161966062544589959noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-6980582.post-65624544127114122802022-05-27T22:07:00.007+00:002022-10-22T18:18:02.508+00:00Psychogeographie indoor (116)<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjTLnFCr-_mi6htwQ73Nm3uQvN9BJC6B-uG29BvRikZOd0yYDwZ9nAUcm6rwmnThVnTKjujPUUabrIgK1Fg0Rcl2KxZlL4ag1CJVLrCWk5W8ogrtz68Tzwvb4xHd39MgqFdDQ12J82RY0u4i0kFL322OENILj6C73Af9Ztbd6s1HMIXP8jVYkA/s1440/015cbbc_5865-4bkqmx.2r6c62bj4i.jpeg" style="display: inline; margin-left: 1em; margin-right: 1em; text-align: center;"><img border="0" data-original-height="720" data-original-width="1440" height="200" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjTLnFCr-_mi6htwQ73Nm3uQvN9BJC6B-uG29BvRikZOd0yYDwZ9nAUcm6rwmnThVnTKjujPUUabrIgK1Fg0Rcl2KxZlL4ag1CJVLrCWk5W8ogrtz68Tzwvb4xHd39MgqFdDQ12J82RY0u4i0kFL322OENILj6C73Af9Ztbd6s1HMIXP8jVYkA/w400-h200/015cbbc_5865-4bkqmx.2r6c62bj4i.jpeg" width="400" /></a></div><p> </p><p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
<span style="font-family: Tinos; font-size: medium;"><i>« L’homme se dépeint par quelques mots qu’il laisse
échapper. Dès qu’il fait une phrase entière, il ment. »
</i>(Jules Renard)</span></p><p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;"><br /></span></p><p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><b><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">1.</span></b></p><p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><b><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;"><br /></span></b></p><p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">14
décembre 2021.- Nuages transis (3°C). Une journée sans lecture est
toujours une journée concédée à la barbarie. C’est pourquoi
malgré tout il me faut lire quotidiennement. Tenez aujourd’hui,
pas grand-chose, une histoire sinistre de Thomas Bernhard et une
chronique de Bernard Frank. Dans son histoire le primesautier
Bernhard invente un Italien des bords du Lac de Garde qui aura vécu
les douze dernières années de sa vie avec un mannequin de cire.
Dans sa chronique qui caresse Simenon dans le sens du poil, Frank
constate que les Maigret coulent tout seuls, qu’ils se laissent
lire sans le moindre effort un peu comme on regarde un train qui
passe « Un Maigret… Ce n’est pas de l’écriture, c’est de la
lecture automatique ». Dans la même chronique, un peu plus tôt,
Frank nous donne l’envie de lire Louis Brauquier et son
chef-d'œuvre <i>Je connais des îles lointaines</i>. Frank est un
excellent donneur d’envie, il ne concède rien à la barbarie.</span></p><p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">15
décembre 2021.- Froideur (2°C). Petit matin passé en la compagnie
de quelques palettes de cafetières, de sèche-cheveux, de grilles
pains, de fers à friser, de fers à défriser, de cuiseurs à œufs
(ça existe vraiment), de trottinettes électriques, de transistors
(ça existe encore), d'enceintes Bluetooth, de gaufriers, de
téléviseurs de toutes tailles, d'Iphones 12 ou 13, d'overboard,
d'imprimantes, de tondeuses pour poils de nez, de drones... j'en
passe et des meilleurs. Vivement la retraite. Cet après-midi, après
tout ça, une chronique amusante de Bernard Frank que dézingue Le
Figaro littéraire et Jean-Marie Rouart avec son « nœud de phrases
molles en matière synthétique ». Rien d'autre.</span></p><p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">16
décembre 2021.- Brumes tenaces (3°C). La nuit tombée bien vite
j'ouvre le<i> Journal Inutile</i> de Morand. Pour rester ton sur ton
le crépusculaire est de mise. Le vieil animal constate qu'après ses
80 ans c'est une chute irrémédiable. Il boite à droite (à droite
évidemment), ses jambes s'arquent, son ventre le quitte, une
éventration d'un côté, une hernie de l'autre, des genoux
arthritiques. Bref, voilà autant d'ennuis avec un « squelette qu'il
faudra bientôt brûler ». J’enchaîne avec Bernhard et son
<i>Immitateur</i>, le saumâtre est de mise, on rigole en biais.
Tenez, prenez cette petite histoire comme exemple : «<i> À Atzbach,
une femme a été battue à mort par son mari, parce que, dans
l’incendie de leur maison, elle avait sauvé, en plus d’elle-même,
l’un des deux enfants, mais, à son avis à lui, pas le bon. Elle
n’avait pas sauvé le fils de huit ans, pour lequel il avait de
grands projets, mais la fille, que l’homme n’aimait pas. Quand,
au tribunal cantonal de Wels, on a demandé à l’homme quels
projets il faisait pour son fils, qui a été carbonisé dans
l’incendie, l’homme a répondu qu’il voulait en faire un
anarchiste et un massacreur qui aurait détruit la dictature, et donc
l’État ».</i></span></p><p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">17
décembre 2021.- Bruine (5°C). Troisième dose, toujours ce masque,
bravo la Chine ! Chez Frank (Bernard) on apprend que l'iguane
fricassé possède la finesse et la saveur du poulet (on remarquera
que toutes les viandes bizarres sont réputées avoir la saveur du
poulet). Nothing else.</span></p><p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">18
décembre 2021.- Grisaille marmoréenne (2°C). A / Après son
<i>Journal d’un intellectuel</i> en chômage lu il y a quelques
jours j’entame le <i>Journal d’Allemagne </i>de Denis de
Rougemont. Publié en 1938 deux ans après son séjour comme lecteur
de littérature française à l’université de Francfort ce n’est
toujours pas une somme <i>diaristique</i> intime, mais plutôt un
court état des lieux, pour ne pas dire une dissection in vivo, du
régime hitlérien. On entend le tambour des SS, deux coups lents,
trois coups rapprochés. Tout est au pas avec quelque chose de
lugubre et joyeux à la fois (les nazis étaient des gens très
positifs qui voulaient le bien de leur humanité). Les flambeaux
flamboient tandis que Rougemont rencontre un peu tout le monde. Des
bourgeois pour qui le nazisme est un bolchevisme déguisé, des
communistes qui respectent presque des ennemis qu’ils trouvent «
sincères » (rappelons que nous en 1936)… A 13h10 et au bout d’une
quarantaine de pages, j’en suis là. Cet après-midi meeting du
führer : <i>« l’allure des passants s’accélère, les glandes
endocriniennes sécrètent. Il serait curieux de mesurer
l’augmentation du volume des affaires dans une ville qui attend son
maître ».</i></span></p><p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">B /
Dans son <i>Idéologie française</i>, Bernard-Henry-Levy écrit
beaucoup de bêtises tout en peignant sa belle âme. Lisant le
Journal Allemand de Rougemont, il y trouve une fascination suspecte
pour les jeunes hitlériens bottés nu-tête et chemise ouverte.
C’est évidemment une erreur, aucune fascination. Rougemont dénonce
plutôt « l’horreur sacrée » d’une nouvelle religion : <i>«
Je me croyais à un meeting de masses, à quelque manifestation
politique. Mais c’est leur culte qu’ils célèbrent ! Et c’est
une liturgie qui se déroule, la grande cérémonie sacrale d’une
religion dont je ne suis pas, et qui m’écrase et me repousse avec
bien plus de puissance même physique, que tous ces corps
horriblement tendus. Je suis seul et ils sont tous ensemble. »</i></span></p><p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">19
décembre 2021.- Brume (1°C). Des femmes mortes, des femmes petites
et boulottes, à l’aspect de braves ménagères qui s’en vont
faire une course et que l'on retrouve étripées à tous les vents.
La chaleur est solide, Janvier monte des bières et des sandwiches,
Maigret bourre sa pipe. Je lis <i>Maigret tend un piège</i>, l'un
des épisodes les plus « modernes » de la série.</span></p><p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">20
décembre 2021.- Froideur inconsidérée (-1°C). Sombre révélation
mon danseur de claquettes, vous savez celui a remplacé mon voisin
guitariste, n’est pas un danseur de claquettes, mais une danseuse
de claquettes ! De surcroît, ce ne sont pas des claquettes qu’elle
porte aux pieds, mais un genre de bottes de cowboy à bouts ferrés !
Je croyais avoir à faire à une version fantomale de Gene Kelly et
me voilà donc avec un John Wayne au dessus de la tête. Enfin un
John Wayne féminin... tout est possible de nos jours. Je me disais
bien que ce pas-là n’avait rien d’aérien. Il va falloir que je
monte m’expliquer avec ce qui est donc une voisine,
m’attendra-t-elle avec un colt dans la main gauche et un lasso dans
la main droite ? En attendant j’ai fini la lecture de mon Maigret
qui m’a déçu en bien (déçu parce qu’il n’était pas
foudroyant, en bien parce qu’il m’a tout à fait distrait), je
suis ensuite retourné dans le Dictionnaire pédant de Dantzig pour
qui Céline n’est qu’un « petit écrivain à éclats de génie
comique » (encore une fois : « Ben voyons !.. ») puis j’ai
ouvert le <i>Piéton de Florence </i>de l’Académicien Français
Dominique Fernandez. Bien m’en a pris, c’est presque très bien.
On apprend de multiples choses, on est conforté dans d’autres.
Florence est une ville austère et rude qui manque de vert (je
confirme). Au temps de sa splendeur, l’on s’y battait à coups de
poignard. Fernandez connaît très bien son affaire, il tournicote
autour de son sujet avec un plaisir communicatif. Ne boudons pas
notre plaisir.</span></p><p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">21
décembre 2021.- Nuages figés (1°C). Solstice d’hiver. Le jour
est court, la nuit sera bien longue. La tristesse et le découragement
brandillent sous les nappes de brume. Pour les frères Goncourt, les
jours de tristesse et de découragement il faut se coucher dans la
journée afin de la vivre moins longue. Pour le fameux toxicomane
Henri Michaux, il ne faut jamais désespérer et juste laisser
infuser davantage. Quant à Nietzsche il pense que ce qui alourdit
les autres, la haine, l’amour, les nappes de brume et le solstice
d’hiver allège les hommes graves et mélancoliques. Ils remontent
pour un instant à leur propre surface.</span></p><p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">23
décembre 2021.- Soleil, vague redoux (12°C). Je sens déjà
tintinnabuler le sinistre son des agapes. Cioran, le 28 aout 1966 : «
Humeur massacrante - état idéal pour concevoir l'extraordinaire ».</span></p><p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">26
décembre 2021.- Ciel couvert (10°C). Journée post agapes un peu
vaporeuse. Dans son <i>Piéton de Florence</i>, Dominique Fernandez
(bicorne et épée) est moins vaporeux. Il dresse un portrait assez
précis de quelques notoires extravagants locaux. Pic de la
Mirandole, Dante Alighieri, Nicolas Machiavel, Jérôme Savonarole
(un drôle de croquignolet que ce Savonarole). Moins notoire il ne
fait pas semblant d'oublier Gian Gastone, le dernier des Médicis.
Certainement le plus extravagant des extravagants Florentins. Un type
qui avait décidé d'envoyer promener toutes les règles, les devoirs
et pesanteurs de la vie de cour. Les manières distinguées, les
préventions de l'église… Les dernières années de son règne, il
ne quitte plus sont lit, fornique avec des gitons, s'enivre et se
bâfre dans des draps douteux… Il devient gras et sale, opte pour
le laid, le blasphématoire et l'obscène. C'est le seul prince de
mauvais goût dans une ville assommée par le bon goût.</span></p><p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">27
décembre 2021.- Ciel couvert, quasi douceur (12°C). Lu un chapitre
du <i>Piéton de Florence</i> où Dominique Fernandez (toujours
bicorne et épée) compare les David de Michel Ange et de Donatello.
Au risque d’encourir une tangible vindicte populaire suivie
d’inévitables « ennuis judiciaires », je penche pour le «
délicat giton » de Donatello. Quant à Fernandez, il ne choisit
pas, il frémit pour les deux. Par ailleurs relu <i>Le Sonneur </i>de
Mallarmé. Voilà un court poème qui fait toujours son petit effet.</span></p><p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;"><br /></span></p><p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">28
décembre 2021.- Averses (12°C).</span></p><div style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">Couché
sur mon canapé,</span></div><div style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;"><span>je
regarde le plafond,<br /></span><span>la
Tesla de mon voisin<br /></span><span>tous
feux allumés éclaire mon beau visage de brute lymphatique,<br /></span><span>il
va vider sa batterie,<br /></span><span>cette
Tesla est bien chère,<br /></span><span>un
modèle S je crois,<br /></span><span>plus
de 1oo ooo €,<br /></span><span>alors
que mon canapé est un abordable Klippan de chez Ikea,<br /></span><span>quant
à mes songes,<br /></span><span>ils
sont là.<br /></span><span>Modiques</span></span></div><p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">30
décembre 2021.- Quelque chose de printanier (14°C). Au loin une
enceinte connectée martèle d’infâmes infra basses grasses et
délayées. Voilà une sorte de trépan mis entre les mains d’un
chirurgien fou qui s’ignore et qui ignore tout de ses victimes.
Parmi celles-ci, moi, qui ne demande rien d’autre que de lire dans
un semblant de quiétude. Or ce n’est pas le cas, mes murs
tremblent comme des jouvencelles provinciales, mes nerfs me piquent,
j’ai l’impression de manger mon propre cerveau, la ruine de tout
n’est pas loin. Je concède aisément avoir déjà un peu tout
Avoir quelque chose du trépané amorcé, mais là c’est le
bouquet, je vais rapidement virer à la mine hagarde au regard bovin,
cette enceinte connectée va finir le travail. C’est dans ces
conditions pour le moins bourdonnantes, (les infra basses amplifiées
sont pour le moins bourdonnantes), que j’ai achevé la lecture du
<i>Piéton de Florence</i>. Mon jugement est certainement biaisé par
les conditions lectorales, mais j’ai trouvé que la vision de la
peinture florentine de l’ami Fernandez (bicorne et épée, encore)
était un peu inclinée par son goût pour les formes et croupes, par
les cuisses et bouclettes et même parfois par le prépuce décalotté
d’une petite armée de gitons et gandins. Tout cela est certes
vibrionnant, mais on peut éprouver d’autres appétences. Dans la
foulée et presque dans l’élan entamé <i>L’Année de la pensée
magique </i>de Joan Didion (qui est morte la semaine dernière). Mon
maître trépaneur et ses infra basses était toujours là, mais rien
à voir, rien de papillonnant, Je n’ai lu que trente pages, elles
étaient impeccables. Didion raconte la mort de son mari John Gregory
Dunne. Il y a de la sidération, de la lourdeur sèche, un refus de
la réalité, du pathos et du tragique. C’est déjà un livre qui «
pince ».</span></p><p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;"><br />
</span></p><p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;"><br /></span></p><p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;"><b>2.</b></span></p><p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;"><b><br /></b></span></p><p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">31
décembre 2021.- Soleil et douceur (15°C). Pour Joan Didion le deuil
est une chose impossible il peut même faire vaciller l'esprit. La
réalité n'est plus qu'un espace flottant où ceux que nous aimions
vont simplement revenir. C'est une façon de surmonter ce qui est
pourtant irréversible :<i> « Je me suis arrêtée sur le seuil
de la pièce. Je ne pouvais pas donner le reste de ses chaussures. Je
suis demeurée là un moment, puis j’ai compris pourquoi : il
aurait besoin de chaussures, s’il revenait. »</i></span></p><p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">2
janvier 2022.- Léger refroidissement (9°C). Ce vague journal ne
représentant qu’une partie infime de ma météorologie intime je
ne vous expliquerais pas pourquoi mon année ne commence pas en
fanfare. Disons que l’hélicon est bouché et le tambour crevé,
disons que je suis très morose. Comme tout est toujours un peu ton
sur ton et que cette année semble perpétuer la tradition le livre
(l’Année de la pensée magique) que je lis est très beau,
magnifique voire plus, mais incontestablement morose lui aussi. Il
faut dire qu‘entre le décès de son mari, les diverses maladies
potentiellement fatales de sa fille, Joan Didion a de quoi être un
peu morose. Pendant qu’on dissèque les cadavres, elle dissèque
son deuil, il n’y a rien de vraiment sautillant dans la dissection
: <i>« Les gens qui ont récemment perdu quelqu'un ont un air
particulier, que seuls peut-être ceux qui l'ont décelé sur leur
propre visage peuvent reconnaître. Je l'ai remarqué sur mon visage
et je le remarque à présent sur d'autres. C'est un air d'extrême
vulnérabilité, une nudité, une béance. C'est l'air de quelqu'un
qui sort de chez l'ophtalmologue, les yeux dilatés à la lumière du
jour, ou de quelqu'un qui porte des lunettes et doit tout à coup les
enlever. Ces gens qui ont perdu un proche ont l'air nus parce qu'ils
se croient invisibles. »</i></span></p><p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;"><i><br /></i></span></p><p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">3
janvier 2022.- Nuages (14°C).</span></p><div style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;"><span><br /></span><span>L'âge
avance,<br /></span><span>les
problèmes de pilosité aussi,<br /></span><span>le
nez et les oreilles virent à l'aléatoire broussailleux,<br /></span><span>le
muscle grand pectoral prend des airs guymarchandesques,<br /></span><span>le
dos adopte une petite armée de follicules pileux,<br /></span><span>la
testostérone s'échappe là où elle peut,<br /></span><span>les
cheveux tombent,<br /></span><span>la
prostate titille,<br /></span><span>la
nuit vient,<br /></span><span>l'heure
sonne,<br /></span><span>les
jours s'en vont,<br /></span><span>je
demeure.</span></span></div><p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">4
janvier 2022.- Le vent se lève, la température baisse (10°C). Ces
lignes de Loys Masson, poète oublié : « Ce qui importe est que
l'ombre/Mangée par le Ciel enfin laisse s'illuminer les bois. »</span></p><div style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">Nothing
else.</span></div><p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">6
janvier 2022.- Et soudain, une averse, de la pluie, une joyeuse
méchanceté. Cet air plus vif, plus clair, plus léger, un air rayé
d'or (6°C). Lever 5h00. Labeur. Sieste. Trois tristes et belles
pages de Joan Didion. Rien d'autre, ou presque.</span></p><p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">7
janvier 2022.- Quelques flocons (3°C). Pour Georges Perros un
journal intime gai n’est pas vraiment envisageable. L’homme se
penche sur son passé immédiat « il n’attrape que des poissons de
désastre ». C’est pourquoi dans ce vague journal (que vous lisez
et subissez pour certains), il n’est guère question de mon
intimité. Je ne voudrais pas vous assommer avec mon potentiel non
sautillant.</span></p><div style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">Sortie
du « nouveau » Houellebecq que j’ai chapardé dans la foulée.
Autres acquisitions : Jean-Pierre Abraham – Armen, Claude Roy –
Descriptions critiques I, Yves Salgues – James Dean, Joë Bousquet
– La connaissance du soir.</span></div><p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">8
janvier 2022.- Crachin douteux, vague froideur (5°C). Encore un
déménagement au fond de la rue. Un joueur de cornemuse ? Dans le
livre de Didion ( que je viens de finir), l’émotion n’est pas
dans les mots et dans un style qui peut paraître neutre. Non
l’émotion est chez le lecteur qui reste pincé par le manque de
pathos, par cette sincérité sèche et non étalée. De quoi avoir
le regard embué. En définitive, bon livre.</span></p><div style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">Pour
la suite de mes pérégrinations lectorales, j’ai hésité entre
deux ouvrages : <i>Anéantir</i> le « nouveau » Houellebecq ou
<i>Esquisses Havanaises </i>de Jean-Louis Vaudoyer (membre éminent
du Club des longues moustaches). Par commodité et certainement par
goût du non-effort, j’ai choisi Vaudoyer. Son petit livre de
voyage ne « fait » que soixante-quinze pages, soit dix fois moins
que le pavé du père Michel, et je l’imagine sans peine
raisonnablement confortable. Au bout de vingt-cinq pages, je ne crois
pas m’être trompé. Après une traversée assez tranquille, une
escale à La Corogne, une autre aux Açores, l’herbeuse mer des
Sargasses derrière lui Vaudoyer débarque à La Havane. L’air des
Antilles en plein d’arômes organiques. De jeunes « nègres »
minces et vifs, vêtus de complets bleus et de de gants à crispin,
fument de replets cigares tandis que les daiquiris sont au frais.
Pour tout vous dire une certaine délicatesse thirties flotte un peu
partout. Allez trouver tout cela chez Houellebecq !</span></div><p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">9
janvier 2022.- Ciel gris pendaison, courtes averses (6°C). La Havane
de Vaudoyer est loin d’être prérévolutionnaire. C’est La
Havane qui s’américanise en surface, mais qui n’oublie pas ce
qu’elle est vraiment. On y récite du Victor Hugo dans les
fabriques de cigares (cette coutume tant vantée n’est donc pas
castriste). Un Cubain à demi français, un certain M. Carpentier
(oui c’est bien lui !) nous explique les origines des courtes
mélopées que l’on peut entendre au coin des rues. Les Cubaines
sont toutes jolies, pleines d’une ravissante souplesse de corps et
d’un charme de fleur, de fruit ou de « petite bête » (j’entends
d’ici-bas sonner quelques sirènes revendicatives, qu’elles se
taisent !). Le Malecón est déjà là et l’on s’y promène dans
la douceur des soirs… Quant à Vaudoyer, il est bien calme,
toujours délicieux et élégant. Jugez par vous même : <i>« Entre
les dansóns et les tangos, les femmes retournaient aux fauteuils à
bascules. Ainsi le Repos lui-même refusait-il d’être l’Immobilité
»</i>, ou encore : <i>« Promenons-nous – Voici les petits
trottoirs, chiches et périlleux, dont aux îles comme en Europe, la
prudente voirie, dans toute ville ancienne, agrémente de vieilles
rues qui, jadis, s’en passaient bien. Il ne s’agit pas de flâner,
de stationner… »</i></span></p><p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">10
janvier 2022.- Ciel dégagé (4°C). Grosse fatigue. Le virus et son
nouveau variant, le déjà fameux Omicron ? Rien lu.</span></p><p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;"><br /></span></p><p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;"><br /></span></p><p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;"><b>3.</b></span></p><p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;"><b><br /></b></span></p><p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">11
janvier 2022.- Nuages et froideur (4°C). Lever, petit déjeuner,
labeur, déjeuner, labeur, sieste, dîner, coucher. Ce rythme
métronomique et immuable me donne des airs d’homme-machine
neurasthénique. Comme tout est dans tout j’apprends (par ses
Cahiers) que le 2 septembre 1966 Emil Cioran reprend ses promenades
de nuit autour du Luxembourg. Le voilà redevenu automate. Est-il
neurasthénique ?</span></p><p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">12
janvier 2022.- Les frimas sont là (-1°C). Ayant travaillé une
grande partie de la journée par une température quasi polaire, je
suis encore un peu congelé. Seules mes oreilles sont toutes chaudes
et j'ai tout de l'esquimau morose. Pas lu grand-chose. Comme mon
cogito était aussi congelé que le reste, je me suis contenté de
picorer dans le <i>Tractatus logico-philosophicus </i>de l'ami
Wittgenstein (je ne réexpliquerai pas pourquoi Wittgenstein
s'accorde parfaitement à mes états d’hébétude profonde). Le
sujet qui n'appartient pas au monde, mais qui est une frontière du
monde. Le monde de l'homme heureux qui est un autre monde que celui
de l'homme malheureux. Le vrai et la tautologie. Je n'ai rien
compris, mais j'ai tout compris.</span></p><p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">13
janvier 2022.- Froideur, les bonnets refleurissent (0°C). J’ai
froid aux pieds et je m’ennuie solidement. Voilà un curieux accord
qui me donne un petit air de supériorité sur le vulgum pecus.
Premièrement parce que le vulgum pecus met des chaussettes lorsqu’il
a froid aux pieds tout en s’ennuyant solidement. Secondement parce
que le vulgum pecus ignore tout de Remy de Gourmont pour qui il y
aura toujours quelque chose de supérieur dans l’être qui sait
s’ennuyer. S’agissant de l’ennui Valéry (Paul) est moins
toisant, il constate « simplement » le non-être : <i>« L’ennui
est le sentiment que l’on a d’être soi-même une habitude, et de
vivre… une non-existence sensible, comme si l’on eût la
propriété de percevoir que l’on n’est pas. Percevoir que l’on
n’existe pas ! L’ennui est finalement la réponse du même au
même. »</i>. Reste à savoir ce que Valéry (Paul) pense du froid
aux pieds.</span></p><p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">14
janvier 2022. Beau temps glacial (-1°C). Pour Hippocrate, un vieux
médecin grec qui connaissait plein de choses, le froid est l’
ennemi des os, des dents, des parties nerveuses, de l’encéphale et
de la moelle épinière. Le chaud est par contre l'ami de tout ça .
Permettez-moi d'avoir quelques doutes. J'ai plutôt l'impression que
le froid conserve tandis que le chaud conduit à une bien inévitable
putréfaction. Bon je raisonne ainsi parce que mon encéphale est
indéniablement congelé, ce qui nous avance bien. Finalement la
solution dans toutes ces histoires de température c'est le tempéré.
Sur l'île de Madère, les autochtones ont l'air intelligent et doux.</span></p><div style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">Pour
le reste et s'agissant de mes aventures lectorales, vais-je entamer
le nouveau Houellebecq ? J’hésite, je suis dubitatif.</span></div><p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">15
janvier 2022.- Beau temps de type sibérien altéré (0°C). Pour des
raisons que je n’étalerai pas ici, not in the mood. Péniblement
fini l<i>’Imitateur</i> de Bernhard. Mal écrites, plus assurément
mal traduites, ces courtes histoires saumâtres ne m’auront arraché
que de rares et pâles demi-sourires. Plus sautillant, Li-Yi-Chan,
inventeur des tsa-ts'ouan (listes répertoires), inspirateur de Sei
Shonago, chez qui l’on peut pêcher cette merveille : « Choses
agaçantes. Un vent favorable avec une voile déchirée. »</span></p><p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">16
janvier 2022.- Brouillard dense, froideur pérenne (-3°C). Un jour
de 1947, nous sommes à Paris. L’aube commence à blanchir
l'horizon. Charles-Albert-Cingria chemine frileusement et de manière
un peu somnambulique dans la rue Neuve-du-Mollard quand un quidam
conjectural s'approche pour le saluer. Et Cingria de lui répondre
d'une voix péremptoire et astucieusement contrefaite pour l’occasion
: « J’ai horreur qu’on me dérange à mon heure mystique ».
Pour lui être reconnu est un désastre, il se réjouit que personne
ne fasse la moindre intention à lui. Cela lui donne une assez
étrange réputation dans son quartier, mais que vous voulez vous !
Il est ainsi et ne peut s’empêcher d’être autrement : « je
suis timide,et, au renfort de ceci, je désire impérieusement que
l’on me foute la paix, surtout le matin ». Avant tout ça, ses
promenades matinales en catimini, il faut pour le plus levantin des
Suisses romands se lever. C’est toute une histoire : <i>« C'est
exquis un réveil et surtout de ne pas se lever parce qu'on a
toujours froid, c'est-à-dire chaud dans une menace de froid si on
exécute une révolution de se lever, laquelle a tout à gagner - en
effet, rien ne vous y oblige - à rester à l'état de résolution.
Donc on ne se lève pas. Plutôt on compte, on s'accorde des délais.
On compte jusqu'à cent, très lentement, bien entendu, et puis,
quand on est arrivé à cent, on s'arrête simplement de compter,
mais on ne se lève pas davantage.»</i> Ces quelques lignes un brin
valétudinaires pour vous dire que je suis de retour dans les <i>Étapes</i>
de Cingria. Il y a de pires étapes, il y a de pires retours.</span></p><p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">17
janvier 2022.- Nuages (3°C). Le labeur derrière moi je fais un
petit tour dans le <i>Monde comme volonté et comme représentation</i>
de l’ami Schopenhauer. Voilà une somme replète où les idées
fusent. Tenez par exemple parmi ces idées celle-ci : pour
Schopenhauer « la musique pourrait (en quelque sorte) subsister sans
que l’univers existât ». Drôle d’idée, qui semble de prime
abord plus poétique que philosophique. Idée qui semble
potentiellement absurde, mais qui bien évidemment ne l’est pas.
Pour Schopenhauer l’univers non existant où la musique existe
n’est pas une abstraction parnassienne c’est « simplement » un
ailleurs indépendant du (monde) phénoménal, un ailleurs faisant fi
de l’interaction du cogito, mais qui fait directement avec la
volonté : <i>« La musique, en effet, est une objectivé, une copie
aussi immédiate de toute la volonté que l’est le monde, que le
sont les Idées elles-mêmes dont le phénomène multiple constitue
le monde des objets individuels. Elle n’est donc pas, comme les
autres arts, une reproduction des Idées, mais une reproduction de la
volonté au même titre que les Idées elles-mêmes. C’est pourquoi
l’influence de la musique est plus puissante et plus pénétrante
que celle des autres arts : ceux-ci n’expriment que l’ombre,
tandis qu’elle parle de l’être ».</i></span></p><p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">18
janvier 2022.- Ciel froid et verrouillé (0°C). « J’attends en
m’abîmant que mon ennui s'élève…»</span></p><p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">20
janvier 2022.- Ciel globalement hivernal (4°C). Pour Michel
Houellebecq il ne faut pas avoir peur du bonheur, car il n’existe
pas. Franz Kafka pense lui qu’il existe une possibilité de
bonheur, et même de bonheur « absolu ». Il suffit de croire à
quelque chose d’indestructible en soi et de ne pas chercher à
l’atteindre. Chez Lao Tseu le bonheur naît du malheur, chez
Nietzsche c’est le son d’une cornemuse, chez Jules Renard « le
bonheur c’est de le rechercher ». Tchekhov est triste d’être
heureux. À son habitude, Mallarmé fait semblant de tout compliquer.
Pour lui le bonheur est une léthargie céleste qui constitue tout à
la fois un modèle et un obstacle : il voudrait pouvoir oublier son
âme dans l’insensibilité de l’azur et des pierres. Quant à
moi, ça va à peu près, je sifflote en repeignant le plafond.</span></p><p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">21
janvier 2022.- Ciel dégagé, vent glacial (2°C). Je suis très peu
velléitaire et j’ai un sens du gâchis assez prononcé. C’est
pourquoi je préfère ne rien faire. Oh pas par manque de courage ou
peur de réussir, non simplement parce que le fait d’exister est
déjà amplement suffisant. Je ne serais donc jamais ambitieux, fier
de mes réalisations ou indigné par quoi que ce soit. Le temps
passe, je le regarde passer, je passe avec lui. Certains pourront
trouver cela un peu triste. Triste, vraiment ?</span></p><p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;"><br /></span></p><p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">To
be continued</span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;"><br />
</span></p><p>
<br /></p>Philippe Lhttp://www.blogger.com/profile/11161966062544589959noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-6980582.post-75546219052296438822022-05-26T19:41:00.007+00:002022-05-26T19:42:47.627+00:00Chambre verte - Cathal Coughlan<p><iframe allow="accelerometer; autoplay; clipboard-write; encrypted-media; gyroscope; picture-in-picture" allowfullscreen="" frameborder="0" height="215" src="https://www.youtube.com/embed/videoseries?list=PLtE069gnc3scPOtNPFG8_Uy4D_cr1F4r4" title="YouTube video player" width="360"></iframe> </p><div><span style="font-family: arial;"> "Say goodbye to sadness, now each heartbeat matters, say goodbye to beauty, ruin, rainbows, springtime, death..."</span></div>Philippe Lhttp://www.blogger.com/profile/11161966062544589959noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-6980582.post-73217929423048903892022-04-15T16:40:00.010+00:002022-10-22T18:19:10.125+00:00Psychogeographie indoor (115)<p> </p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiwYQVnKBe7dByE-b6zxkKcSuoLo8_z545V6L3t52YXi7CcYVx6Pfgd_S5rh2oEah-Gi7wkAZn1ghTntQqarYMfRZbMiQdphvWNxXDFoL-FVs9n7G-Z9p_iyeMLMd-W6u9dBBOkZegxw-zFx20wc8BwfQjMBG2kR9A5oMdRv32xRZt0RVkffZs/s776/AVT_Denis-de-Rougemont_7208.jpeg" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="776" data-original-width="600" height="400" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiwYQVnKBe7dByE-b6zxkKcSuoLo8_z545V6L3t52YXi7CcYVx6Pfgd_S5rh2oEah-Gi7wkAZn1ghTntQqarYMfRZbMiQdphvWNxXDFoL-FVs9n7G-Z9p_iyeMLMd-W6u9dBBOkZegxw-zFx20wc8BwfQjMBG2kR9A5oMdRv32xRZt0RVkffZs/w309-h400/AVT_Denis-de-Rougemont_7208.jpeg" width="309" /></a></div><br /><p></p><p align="justify" style="background: transparent; line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;"><i style="text-align: left;">La lecture est une activité néfaste et stérilisante. Il
vaut mieux pour le progrès, pour l’entretien de l’esprit,
gribouiller et divaguer, avancer des insanités de son propre cru,
que de vivre en parasite sur la pensée d’autrui. Et c’est bien
ce que dit, sur un plan plus général, la Bhagavad-Gitâ,
lorsqu’elle soutient qu’il vaut mieux périr dans sa propre voie
(ou loi ?) que de se sauver par celle d’un autre. »
</i><span style="font-variant-east-asian: normal; font-variant-numeric: normal; text-align: left;"><span>(Emil
Cioran - Cahiers)</span></span></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;"><br /></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><b><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">1.</span></b></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">14
novembre 2021.- Brume et grésille (8°C). <i>Manifeste Incertain</i>
(tome IV). Après les inattaquables Walter Benjamin et Cesare Pavese, Frédéric Pajak se penche sur le cas du très attaqué Gobineau. Ce qui
l’intéresse ce n’est pas le théoricien assommé par les préjugés
d’un autre temps, l’auteur du trop fameux <i>Essai sur l'inégalité
des races humaines</i>, ce type qui sera mal lu par Wagner puis mal
interprété par une sinistre cohorte de païens à flambeaux
teutoniques. Non ce qui intéresse Pajak c’est le pessimisme
ontologique de Gobineau, sa vision crépusculaire et désespérée de
l’Histoire le fait que pour ce dernier tout ce soit joué depuis
des siècles, que la mort totale et définitive de toute humanité
soit si proche qu’elle en est presque palpable. Et si son « biologisme
inégalitaire », sous-tend sa pensée d’une façon totalement
biaisée, il est bien loin d’une quelconque politique raciale, ne
prônant aucune discrimination, aucune exclusion puisque pour lui la
société, l’Homme n’existent déjà presque plus (c’est ce que
ses thuriféraires ne comprendront pas ne voyant que le biologique et
jamais le pessimisme). Évidemment, tout cela est assez inflammable.
Comment tourner autour de Gobineau sans tomber dans l’embarras ?
Pajak y parvient très bien, n’occultant rien des âneries <i>dix
neuvièmistes</i>, mais voyant très bien les hauteurs de styles d’un
grand désespéré qui a cessé de lutter.</span></p>
<div style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: left;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">(autrement,
as usual with Pajak, les dessins sont très bien et la partie
autobiographique ne gâche rien).</span></div>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">15
novembre 2021.- Ciel gris suicide, pluie faible (9°C).<i> Manifeste
Incertain (tome IV).</i> Dans la seconde partie, Pajak oublie Gobineau et
son pessimisme cendreux pour mieux se retrouver avec lui-même, avec
son passé et dans des arpents autobiographiques qui pourraient bien
être cendreux eux aussi. Il se souvient de ses jeunes années de
cancre qui l'auront vu ballotté d’un collège l’autre pour mieux
finir dans une école (à Dieulefit dans la Drôme) où la liberté
est au cœur du dispositif éducatif. Évidemment, rien n’est
simple, tout cela est un peu tragique, car dans cet établissement
diablement dépeigné la liberté est obligatoire, elle est presque
imposée par des professeurs qui abandonnent vite leurs élèves et
les laissent livrés à eux-mêmes (un jour le jeune Pajak boit
vingt-cinq pastis cul sec, c‘est beaucoup). Nous voilà loin de ce
que préconise Nietzsche quand il question d’éducation c’est à
dire un retour aux règles, à la soumission, au quasi-dressage seuls
moyens pour l’homme de pouvoir <i>« rester fidèle aux instincts
contemplatifs de son enfance et atteindre par là à un calme, à une
unité, à une cohérence et à une harmonie dont celui qu’attire
la lutte pour la vie ne peut même pas avoir une idée »</i>.
Forcément la vérité est entre les deux, entre le laisser-aller
forcé et les coups de règles positifs du père Nietzsche. Pour
Pajak elle est dans Bakounine « la liberté d’autrui augmente la
mienne à l’infini », mais cette liberté ne doit pas être
dictée, tout est compliqué.</span></p>
<div style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: left;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">Les
dernières pages, retour à Dieulefit sur les lieux du « crime »,
sont magnifiques et empreintes d'une belle lumière panthéiste. Les
cancres font parfois de bons écrivains.</span></div>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">16
novembre 2021.- On se cogne dans le gris (9°C). Ce matin dans ma
boite aux lettres deux nouveaux volumes. <i>Les Hortenses </i>de
Felisberto Hernandez et <i>Au fond de l'inconnu pour trouver du
nouveau </i>de Linda Lê. Le premier est un recueil de nouvelles, le
second une compilation d'articles consacrés à quelques outsiders
largement tamponnés ici-bas (Walser, Rodanski, Wilcock, Perros...).
Le titre est volé chez Baudelaire (c'est la dernière ligne d'une
bien belle merveille dédiée à Maxime Du Camp).</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">17
novembre 2021.- Crachin douteux (7°C). Lever 5h00. Labeur. Sieste.
Nothing else.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">18
novembre 2021.- Vagues éclaircies (10°C). Rivages du quotidien. Le
remplaçant de mon voisin guitariste est propriétaire d'une perceuse
et d'une chaîne haute fidélité et il tient à le faire savoir.
Grâce à Linda Lê, je découvre un peu mieux Saul Leiter (modeste
génie de la photographie en couleur) et Juan Rodolfo Wilcock (prince
de l'humour noir italo-argentin). Sinon j'ai mal au pied droit (on me
parle de Névrome de Morton, maladie courante chez les femmes portant
des talons aiguilles, je suis dubitatif).</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">19
novembre 2021.- Nuages nuages (7°C). Lever 4h30. Labeur. Sieste.
Linda Lê (trois pages consacrées à Felisberto Hernández). </span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">20
novembre 2021.- Météo sinistre (9°C). L’hiver approche, mes
géraniums périclitent. </span></p><div style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium; text-align: left;">Robert
Walser, Louis-René des Forêts, Georges Perros, Tomaso Landolfi,
Osamu Dazai, Stanislas Rodenski, Sandor Marai, Louis Calaferte… Le
menu est appétissant, mais Linda Lê est trop sage. On s’ennuie un
peu en la lisant. On a envie de lui dire, « lâche-toi , fait comme
ceux dont tu parles » (les citations sont très bien, c’est ce
qu’il y a de mieux).</span></div>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">21
novembre 2021.- Une certaine froideur s’installe (5°C). Le livre
de Linda Lê s’achève sur cette belle citation de l'impeccable
Armand Robin : <i>« La Parole niée qui seule peut affleurer,/ La
Parole qui seule sait parler,/ La Parole condamnée qui seule peut
sauver, / La Parole née qui seul sait affleurer, / la Parole qui ne
peut jouer aucun rôle »</i>. (Critiquer c’est parfois, souvent,
choisir). </span></p><div style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;"><span style="text-align: left;">Court
retour dans le </span><i style="text-align: left;">Dictionnaire</i><span style="text-align: left;"> de Charles Dantzig. Toujours aussi
pédant, plein de jugements à l'emporte-pièce (« Sebald est
mollement sinistre », ben voyons !) et d’une immodestie qui crève
le plafond. On a continuellement envie de gifler l’auteur des
lignes que l’on est en train de lire. Cependant, il y a quelque
chose, un goût, presque un style. </span><span style="text-align: left;">Moins
affecté, plus mordant sur l’os entamé L’Imitateur du très mal
pensant Bernhard. Ces très courtes nouvelles un peu méchantes et
supposées drolatiques ne font pas plus d’une page. On pense aux
</span><i style="text-align: left;">Nouvelles en trois lignes</i><span style="text-align: left;"> de Félix Fénéon, il y a de ça.</span></span></div><div style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium; text-align: left;"><br /></span></div>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;"><b>2.</b></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;"><b><br /></b></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">23
novembre 2021.- Couverture nuageuse saumâtre (7°C). Une enclume sur
les épaules je ne sautille plus (vous devez le ressentir en lisant
ce pénible diary). D’autre part et pour rester dans le non
sautillant j’ai la désagréable impression que le remplaçant de
mon voisin guitariste se révélera très vite être une sorte de
danseur de claquettes, un mélange hybride, pour ne pas dire une
coalescence, entre Fred Astaire et Jean-Pierre Cassel. Me voilà bien
! Du côté des mots et autres lexies, lu une lettre d’Antonin
Artaud à Henri Thomas où le supposé plus toqué des deux rappel
ses 50 comas, les multiples tentatives d’assassinats dont il aurait
été victime tout en n’oubliant pas cette fameuse canne héritée
d’un certain Jésus Christ (un prêtre juif pédéraste) : <i>«
Henri Thomas, je ne suis jamais passé à côté de moi-même, je
suis là, rien ne me manque, mais pour atteindre la chose grave que
je veux dire, pour empêcher cette chute de plan comme de la scène
d’un obstiné théâtre qui s’écroule spontanément, il me faut
une clef, non anglaise, mais par moments dans l’histoire devenue
anglaise, et dont cette tentative d’assassinat sur le Washington a
été le symbole, je crois, et cela veut dire de la force, toute la
force qu’on m’a enlevée par camisoles, coups de pied dans les
testicules, coup de couteau dans le dos et comas électromagnétiques.
».</i></span></p>
<div style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">Dernière
chose pour aujourd’hui. Il me semble que <i>L’Imitateur</i> de
Bernhard est assez mal traduit. Le style est volontairement neutre,
mais à ce point ?</span></div>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">26
novembre 2021.- Pluie glacée (3°C). Estourbi par le labeur, je ne
suis plus rien, ou presque.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">27
novembre 2021.- Quasi frimas (5°C). Ce matin je me suis levé avec
un entrain modéré pour toutes choses. Un tel entrain modéré, que
même mes velléités de lecture semblaient m’avoir quitté. Ainsi
ai-je tenté de saisir plusieurs volumes sans qu’aucun de me sorte
de mon manque d’envie généralisé, de cette morosité qui
m’engonce tout en m’appuyant sur les épaules pour mieux
m’enfoncer dans le vide opaque d’une vie qui ne semble plus tenir
que par les vagues obligations d’un corps et de sa physiologie.
J’ai entamé <i>l’Origine</i> de Bernhard, qui m’est tombée
des yeux, je suis retourné dans <i>l’Imitateur</i> du même
Bernhard sans un meilleur résultat. Concédant que ledit Bernhard ne
ferait rien pour m’aider j’ai décidé de m’orienter vers du
plus aisé, vers du moins ronchon et du moins Autrichien, et j’ai
ouvert <i>Le Brasier de l’Ange</i> de James Lee Burke. Rien à y
faire au bout de trois pages, je regardais le plafond. Presque
résigné, j’envisageais donc une journée sans lecture, chose qui
il faut bien le dire confine au barbare. Cependant, comme il y a
toujours de l’espoir en toute situation, j’ai fait une dernière
tentative en entamant le <i>Fenua</i> de Patrick Deville. Ce vrai
faux roman de voyage bien dans le style de l’auteur me faisait de
l’œil depuis la dernière rentrée littéraire, allait-il me
sortir de ma gangue de léthargie et sauver ma journée ? Eh bien oui
en partie. Oui parce qu’il est rempli de couleurs saturées, de
bleus prononcés et d’histoires plus polynésiennes que mon genou
gauche. En partie seulement, parce que ce que raconte Deville me
semble trop éclaté et madréporique.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">28
novembre 2021.- Du vent, quelques flocons (3°C). Le temps est bien
morne, la nuit est déjà presque là,. Heureusement, il y a un peu
de lumière dans le livre de Deville. De la lumière et une salade
polynésienne. Une salade polynésienne avec de drôles ingrédients.
Stevenson, Melville, Loti, Segalen, Bougainville, Gauguin… Surtout
Gauguin, un type qui s’y connaissait en lumière, en couleurs
éclatantes et en déréliction face aux normes plantées devant lui.
Bon je mange mon chapeau (de paille), le livre de Deville, ce Fenua,
est très bien, pas si éclaté que ça, plutôt plein de boucles et
de lacis qui se rejoignent, de pics et de crêtes qui forment un
horizon et plus que tout il est rempli de lumière et donc de
vitamines D. Il faut savoir prendre les vitamines D dans les livres
quand elles ne sont pas derrière nos fenêtres.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">29
novembre 2021.- Vent glacial (3°C). Chez Deville pas de roman-roman,
pas de vrai récit de voyage non plus. Plutôt un patchwork cousu à
partir de bribes pêchées chez les autres (le livre fourmille de
citations bienvenues), de souvenirs personnels et de voyages bien
réels (mais rien de bourru). Le projet, ce patchwork, me semble
assez réussi. Il y a des passages épatants. La rencontre entre
Murnau et Matisse sur fond de palétuviers, la figure boucanée d’
Alain Gerbault (ce grand naïf maréchaliste par erreur), Gauguin et
les vahinés, London et son Snark. Il y a la mort de Segalen. Loin
des lumières polynésiennes, on le retrouve assis sur un lit de
feuilles et de mousse au beau milieu de la forêt d’Huelgoat. Son
manteau est roulé sous sa tête comme un oreiller, il tient dans la
main un volume de Shakespeare et ses yeux sont encore ouverts. De
l’une de ses chevilles, une entaille origine d’une large mare de
sang qui entoure son corps sans vie. Accident ? Suicide mis en scène
? Il n’y aura pas d’autopsie.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">30
novembre 2021.- Froideur (2°C). <i>L'Imitateur</i> de Bernhard,
lugubre et drôle. Un journaliste vaguement barrésien se présente
aux Élections présidentielles sur fond de Beethoven (L’allegretto
de la Septième) et dans un montage audiovisuel quasi debordien.
Inutile d'ajouter que tout cela est aussi lugubre et drôle : <i>«
L’allegretto de la Septième symphonie requiert l’interprétation
la plus minutieuse. On a souvent dit qu’il possédait lui aussi un
caractère de danse. Mais l’idée de ce mouvement va bien au-delà.
Elle consiste bien plutôt dans la dialectique entre rigidité
objective et dynamique subjective. Le thème est d’abord rigide,
soutenu à la façon d’une passacaille, tout en étant en lui-même
extrêmement subjectif, au sens où il y a en lui du mystère (N.B.
la catégorie médiatrice entre sujet et objet, dans le thème même,
est celle du destin. Le mystère subjectif est la fatalité
objective). Il compte parmi les caractères romantiques présents
chez Beethoven et évoque Schubert, en particulier dans le
contrepoint (cf. le mouvement lent de l’opus 59 no 3 et celui du
quatuor en fa mineur [op. 95], qui rappelle aussi l’allegretto dans
son rapport entre lyrisme morne et polyphonie). La rigidité,
l’objectivité ne viennent pas du thème lui-même, mais des
variations invariantes. Puis l’entrée du trio, le son humain, le
dégel, répète ontogénétiquement, pourrait-on dire, ce qu’il
advint de toute la musique avec Haydn et Mozart. Après quoi le
fugato, en tant que reprise de l’intention objective (?), conduit
au triomphe négatif du caractère objectif. Reste à la fin la
subjectivité de ce dernier, mais entièrement brisée. Tout cela
encore très obscur. »</i> (Theodor W.Adorno - Beethoven, une
philosophie de la musique).</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">2
décembre 2021.- Averses glacées (6°C). Drei Seiten aus dem
schrecklichen Bernhard. Nouvelle acquisition : Journal d'un
intellectuel en chômage, Denis de Rougemont.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">3
décembre 2021.- Nuages et soleil (4°C). Les mornes sollicitations
du labeur derrière moi je retrouve Bernhard et Cioran deux notoires
agités du bocal . <i>L'imitateur</i> du premier est drôle comme une
extraction dentaire (on rigole sous cape), quant aux <i>Cahiers</i>
du second, il n'y a rien de mieux. Tenez le 24 juillet 1966 (J'ai 4
mois) : <i>« Qui êtes-vous ? Je suis l’homme que tout
dérange. Je veux qu’on me laisse tranquille, qu’on ne s’occupe
pas de moi, qu’on ne s’intéresse pas à moi. Je m’emploie à
susciter à mon égard une incuriosité totale. Et cependant… »</i></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">4
décembre 2021.- Pluie fine (8°C). Voilà donc mon voisin guitariste
vraiment parti et son remplaçant, le danseur de claquettes, bien
installé. D'ailleurs, il ne se contente pas de danser avec ses
claquettes. Il tape, il perce, il scie et il clou dans une sorte de
symphonie tambourinante qui n’a rien pour réjouir le mélomane qui
sommeil en moi (tout du moins le mélomane non-adepte des musiques «
concrètes »). C’est dans ces conditions sonores là, quasi
palpables et bien concrètes elles aussi (le concret c’est quand
nos voisins bricoleurs nous cognent les oreilles) que j’ai tenté
de commencer la lecture du <i>Journal d'un intellectuel en chômage</i>
de Denis de Rougemont. Pour faire autant de bruit et donner ainsi
dans la bricole, mon nouveau voisin doit être lui aussi un peu en
chômage, enfin je l’imagine comme ça. Exercice t-il une
profession intellectuelle lorsqu’il ne tapote pas sur des clous ?
Quant à Rougemont, grosse affaire, Suisse très conséquent ! Enfin,
c’est ce que laisse deviner le peu de ce que j’ai lu de son
journal de chômage qui me semble vraiment très bien. Voilà un
intellectuel sans emploi, lâché par la disparition de l’éditeur
qui l’employait (les éditions « Je sers », ça ne s’invente
pas) qui décide de quitter Paris pour tenter une expérience
originale, celle de « l’ intellectuel en chômage » . On le
retrouve posé sur une île (elle n’est jamais nommée, mais c’est
L’île de Ré) vivant dans une grande précarité financière, mais
vivant paradoxalement très bien et presque heureusement. Le livre
est un Journal expurgé de l’intime où Rougemont raconte ses
nouvelles conditions matérielles tout en émettant quelques belles
considérations sur la nature de l »intellectuel en jachère. Pour
lui cet intellectuel, désargenté en sans-emploi, se différencie
des autres chômeurs par le fait que dans le domaine des activités
de l’esprit il ne peut exister de réel chômage. L’esprit est
toujours en éveil et la privation de travail n’est qu’un leurre.
D'ailleurs, l’esprit peut même être attisé par cette situation
et c’est même une liberté pour lui. C’est tout l’intérêt de
ne rien posséder pour mieux se posséder.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">5
décembre 2021.- Pluie froide (5°C). Dans la seconde partie de son
<i>Journal </i>Rougemont quitte son île et trouve refuge dans un village du
Gard. Là il réfléchi longuement sur l’anti intellectualisme, il
tournicote autour du peuple, des ouvriers, des paysans ou des
commerçants comme pourrait le faire une sorte de primo Henri Calet
saisi par la métaphysique. Les gens sur lesquels il écrit ne le
liront certainement jamais, mais pour lui la vocation d’un
intellectuel est de communiquer dans une langue compréhensible par
le plus grand nombre. Il pense pouvoir éduquer le lecteur en lui
assenant les vérités d’une pensée droite. Finalement, tout cela
pourrait paraître un peu volontariste et même un peu vain s’il
n’y avait cette façon d’être toujours à « hauteur d’homme
» (de surcroît, Rougemont n’est jamais saisi par le pire, il
dénonce les systèmes totalitaires, le conformisme bourgeois et
l’oppression capitaliste). L’essentiel est de ne jamais rabaisser
l’humain, voilà un programme un peu simple, mais les grandes idées
ne sont elles pas souvent toutes simples ?</span></p>
<div style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><i><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">«
Je note, à l'usage d'un futur historien des mœurs, que la presse
"de droite" reflète assez exactement la mentalité et les
conversations de la bourgeoisie conservatrice, alors que la presse de
gauche ne reflète nullement la mentalité ni les conversations
populaires. C'est que les journaux socialistes et communistes sont
dirigés par des bourgeois, ou par des candidats à la bourgeoisie,
en tout cas par des gens qui recherchent la "considération"
du peuple. D'où le ton haineux, typiquement petit-bourgeois, de
certaines de ces feuilles. Je n'ai jamais retrouvé ce ton dans le
peuple. »</span></i></div>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="font-style: normal; font-variant: normal; line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;">
<b><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">3.</span></b></p><p align="justify" style="font-style: normal; font-variant: normal; line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><b><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;"><br /></span></b></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">6
décembre 2021.- La pluie arrive (4°C). J'ai bien conscience d'être
un peu pénible avec mes histoires de voisins bruyants. Tenez je vais
encore vous ennuyer avec mon nouveau voisin, celui du dessus, le déjà
trop fameux danseur de claquettes. Eh bien, figurez-vous que le
bougre n'a pas encore fini d'emménager ! Aujourd'hui j'ai donc eu
droit à moult voitures et camionnettes, moult meubles tirés et
trainés dans un fracas d'enfer (comment faire entrer toutes ces
choses dans si peu de mètres carrés reste un mystère). Autant vous
dire que lire avec une telle musique dans les oreilles relève de
l'impossibilité presque totale. Bon j'ai tout même ouvert les
Variétés de Valéry (Paul) et comme tout est dans tout (et surtout
comme tout est chez Valéry (Paul)) je suis tombé sur ceci : <i>«
Je me borne à remarquer que le contraste entre le bruit et le son
est celui du pur et de l’impur, de l’ordre et du désordre ; que
ce discernement entre des sensations pures et les autres a permis la
constitution de la musique ; que cette constitution a pu être
contrôlée, unifiée, codifiée grâce à l’intervention de la
science physique, qui a su adapter la mesure à la sensation et
obtenir le résultat capital de nous apprendre à produire cette
sensation sonore de manière constante et identique au moyen
d’instruments qui sont, en réalité, des instruments de mesure ».</i></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">8
décembre 2021.- Cold rain (6°C). (Rien) ou presque : Dans la Chine
de l'avant communisme la magistrature était parfois replie d'élans
raffinés. Ainsi les juges ordonnaient-ils de faire rouer et
flageller leurs accusés jusqu'à ce qu'ils deviennent une sorte d'
immense plaie sanguinolente. Cette plaie qui avait tout du globale
était ensuite soignée par une habile petite armée d'apothicaires
très maitres de moult remèdes savamment revigorants. En dehors de
quelques faibles natures, il y en a toujours, la torture pouvait
alors recommencer sans réel danger homicide. Ces remèdes étaient
d'une merveilleuse efficacité, les plaies cicatrisaient si
promptement que les supplices pouvaient durer des jours, des
semaines, des mois. Un vrai délice et une idée des dix-huit enfers
bouddhiques.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">9
décembre 2021.- Quelques éclaircies (6°C). Back from the
bouquinistes, acquis deux nouveaux venus qui vont agrandir ma pile de
livres à lire. Pour rester harmonieux et dans la même couleur, je
les ai choisis chez le même éditeur Quai Voltaire. Il s'agit de <i>Mon</i>
<i>Siècle </i>de Bernard Frank et de <i>La Havane</i> de Jean Louis
Vaudoyer. Le premier est un spicilège de chroniques parues entre
1952 et 1960. Inutile de vous présenter Bernard Frank, il n'est plus
à présenter. Le second est un court livre de voyage que j'imagine
plein d'élégance thirties. Vaudoyer était membre du Club des
longues moustaches, c'est une bonne indication lorsqu'il question
d'élégance.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">10
décembre 2021.- Giboulées neigeuses (4°C). Je lis l'Imitateur de
Bernhard sans réel entrain. C'est un peu drôle, mais c'est surtout
lourd et mastoc. Assez germanique, en somme.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">11
décembre 2021.- Nuages épars, ciel bleu pâle (6°C). Retour dans
les <i>Mutins de Panurge</i> de Philippe Muray. Ventres à louer,
mères porteuses, ovules, fivetes, paillettes et éprouvettes. Que
peut faire le roman avec tout ça ? La réponse est assez simple : «
des ripostes à multiples entrées », car le roman c’est la
rumination colorée de points d’interrogation et là en
l’occurrence, dans toutes ces histoires de génétique et de perte
du père, des points interrogations, il y en a beaucoup… Autre
question… Que peut faire la poésie avec la peinture ? Rien, les
deux domaines sont trop proches. Le roman, lui, par contre peut fait
beaucoup de choses, car loin du « poétique » il peut aborder
spécifiquement ce qui est de l’ordre de l’individuel et du
sexuel. Ainsi Muray pense que Rubens ne peint pas des formes, mais du
désir… Chez Rubens c’est le désir qui est réel… Et comment
crée ce réel ? Et bien, il suffit de maîtriser subtilement la
surenchère : <i>« Vous savez ce qu’on dit en général : qu’il
peignait des femmes qui correspondaient à l’esthétique de son
temps, mais qui ne correspondent plus au nôtre. Ma conviction est
qu’en créant ses prototypes de géantes, il n’a pas plus cherché
à répondre à la sensibilité de son époque qu’à la nôtre,
mais qu’il a tenté de trouver un certain point de démesure, ou
encore d’utiliser une méthode de transposition picturale lui
permettant le franchissement d’une limite au-delà de laquelle les
instruments de mesure habituels, y compris les instruments moraux,
perdaient leur sens. Ce qui fait qu’elles ne sont ni "vraies"
ni "fausses", bien évidemment, les femmes qu’il peint,
ni monstrueuses ni phénoménales. Elles ne sont tout simplement pas
représentatives de femmes réelles, parce qu’elles prennent la
forme que le désir déformant de Rubens leur donne. Et c’est ce
désir qui est le réel ».</i></span></p>
<div style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">Pour
finir cette définition du beau par Charles Baudelaire : <i>« C’est
quelque chose d’ardent et de triste, quelque chose d’un peu
vague, laissant carrière à la conjecture ».</i></span></div>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">12
décembre 2021.- Beau temps froid (3°C). Ce matin Muray et la
peinture. Les rouges de Delacroix, les croupes de Gericault. Cet
après-midi sport télévisé. Époustouflant final du championnat du
monde de Formule 1. Les sports polluants sont parfois intéressants.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">13
décembre 2021.- Brume tenace (4°C). Pourquoi y a-t-il les autres ?
Pour Cioran, les autres ce sont ceux dont il ne s’accommodera
jamais. Il veut être seul et n’y arrive pas. Il est
continuellement « agressé » par des gens avec qui il n’a rien en
commun : <span style="font-variant: normal;"><span style="font-style: normal;">«
Je n’ai besoin de personne et je vois tout le monde »</span></span>.
Pour Levinas, les autres en tant qu’autres, ne sont pas seulement
des alter ego, ils sont ce qu’il n’est pas. Les voir n’est pas
un problème, c'est même presque une solution. Pour un Valéry
(Paul) un peu fleur bleue, nous ne pouvons donner au cœur des autres
que ce qui se dessine dans le nôtre. Pour George Bernard Shaw, il ne
faut pas faire aux autres ce que nous voudrions qu’ils nous
fassent, car il est bien possible que leurs goûts ne soient pas les
mêmes que les nôtres. Quant à moi, je suis rempli d'autres. </span></p><div style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: left;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;"><br /></span></div><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;">To be continued.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: Tinos; font-size: medium;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><br />
</p>Philippe Lhttp://www.blogger.com/profile/11161966062544589959noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-6980582.post-63924975166646054092022-03-04T17:12:00.005+00:002024-02-25T16:34:09.977+00:00Psychogeographie indoor (114).<p> </p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/a/AVvXsEisWEROPY_yUAdCCbhPjEww-sFwzN1K2uVcpC4zHxplqqN80AU84VC8lDhE6nErxfJjklgUx6ir-8shDpAeToEdD969TfeFVZy4gxDmop7EfSX_jT2pF5wRxrZ6SrQSjsg-ObKTDmpYnjv5W2WRd6L7zpBWSHft99BR0cuAv447pkyZ9zAGVYM=s648" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="444" data-original-width="648" height="274" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/a/AVvXsEisWEROPY_yUAdCCbhPjEww-sFwzN1K2uVcpC4zHxplqqN80AU84VC8lDhE6nErxfJjklgUx6ir-8shDpAeToEdD969TfeFVZy4gxDmop7EfSX_jT2pF5wRxrZ6SrQSjsg-ObKTDmpYnjv5W2WRd6L7zpBWSHft99BR0cuAv447pkyZ9zAGVYM=w400-h274" width="400" /></a></div><br /><p></p><p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><i><br /></i></p><p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><i><br /></i></p><p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><i><br /></i></p><p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><i><br /></i></p><p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><i><br /></i></p><p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><i><br /></i></p><p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><i><br /></i></p><p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><i><br /></i></p><p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><i><br /></i></p><div style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: left;"><i><br /></i><span style="font-family: arial;"><i>« Les livres ont les mêmes ennemis que l’homme : le feu,
l’humide, les bêtes, le temps ; et leur propre contenu. »</i><span style="font-variant: normal;">
</span><span style="font-variant: normal;"><span style="font-style: normal;">(</span></span>Paul
Valéry)</span></div>
<p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: arial;"><br />
</span></p>
<p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: arial;"><b>1</b>.</span></p>
<p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: arial;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: arial;">2
octobre 2021.- Du vent (22°C). Fini l’<i>Alphabet Triestin </i>de
Samuel Brussell. Constat, un pied dans le monde slave, un pied dans
la Rome antique, un pied dans l’Empire austro-hongrois, à Trieste
il y a beaucoup de pieds, mais on ne sait pas où sautiller, c’est
une ville déracinée, comme suspendue dans les airs et c’est aussi
ce qui fait son charme (et le charme du petit livre de Brussell).
Pour rester à Trieste j’enchaîne sans attendre et dans l’élan
avec le <i>Stade de Wimbledon </i>de Danièle Del Giudice. Fausse
enquête autour de Roberto Balzen (cet écrivain qui n’écrivait
pas de livres), réflexion sur la littérature, brume et vent
catabatique, on s’ennuie un peu, mais il y a des moments : <i>«
Une fois, j’ai lu qu’ "écrire ne l’intéressait pas",
une autre, qu’il était "au-delà du livre". Je pense à
tout l’espace qu’il y a entre ces deux choses, à toute cette
peine que l’on prend chaque fois pour tout déplacer en deçà ou
au-delà. Au milieu, il pourrait y avoir un écrivain sans livres. Il
n’est pas le seul, il y a des tas d’écrivains sans livres, qui
sait combien il y en a, même maintenant, en cet instant. Mais lui,
il a écrit, d’une manière souterraine, parallèle, juste ce qu’il
fallait pour faire comprendre qu’il n’écrirait pas. C’est
pourquoi il est là, au centre. J’ai lu également que ce centre
n’existe pas, que c’est le vide. Parfois, il me semble qu’il
n’y a rien de plus fort que le vide, ou que le néant : cela coupe
court à toute question, cela la rend parfaite, motivée. Comme image
pour les sentiments, le vide est remarquable, autant que le plein, un
coucher de soleil ou un fleuve… »</i></span></p>
<div style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: left;"><span style="font-family: arial;">Lire
<i>Bartleby et compagnie</i> d'Enrique Vila-Matas.</span></div>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: arial;">3
octobre 2021.- Déluge (19°C). Toujours dans le <i>Stade de
Wimbledon </i>de Del Giudice. Assez brumeux, très désincarné
certainement trop théorique et cérébral. Mort de Bernard Tapie et
avec lui mort d'une certaine idée du mauvais goût année 80. Paris-Roubaix
dantesque victoire de l'italien Sonny Colbrelli.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: arial;">4
octobre 2021.- Le déluge persiste (13°C). L’Azur permanent
rendait fou Cioran. Il avait un besoin physique de nuages. Il
s’accordait automatiquement avec eux : ils étaient lui . Quant à
moi je vois avancer l’automne et les humidités avec un peu
d’inquiétude.</span></p>
<div style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">Dans
son Dictionnaire égoïste machin chose, page 519, Charles Dantzig
affirme sans frémir que dans <i>l’Homme sans Qualités</i> «
Musil écrit comme Klimt peint ». Je ne sais pas si cette analogie
est si bien vue que ça. Pour tout vous dire, j’ai des doutes, j’ai
même l’impression que Musil est bien plus météorologue que
peintre. Enfin, c’était pour dire.</span></div>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: arial;">6
octobre 2021.- Vague crachin (15°C). Fatigue, le crayon glisse,
l'esprit s'endort, un monde nouveau apparaît, un monde nouveau où
tout file d'un bloc.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: arial;">7
octobre 2021.- Ciel dégagé, fraîcheur installée (16°C). Une
chronique de Bernard Frank (mort à table comme au champ d’honneur).
Un dîner et la célébration de trois vins : champagne Lanson dans l’une
de ses plus nobles cuvées, Château Le Thil Comte Clary, excellent
pessac-léognan, Clos des Jacobins, saint-émilion qu’il est
inutile de présenter. Loin des estaminets parisiens baguenaudé dans
la <i>Société industrielle et son avenir</i> de Theodore Kaczynski
(oui Unabomber, le terroriste). Très halluciné, assez amusant.
Petit goût Debord dans une version anarcho-écologiste et
néo-luddite. Sinon, je saute du coq sur l’âne, les élections
présidentielles qui s'annoncent sont déjà bien fatigantes.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: arial;">8
octobre 2021.- Nuages (16°C). Reprenant la lecture du S<i>tade de
Wimbledon </i>entamé la semaine dernière, je me retrouve dans un
état quasi catatonique. Les phrases se dérobant à mon entendement,
pire les phrases se dérobant à mon regard, c'est-à-dire que même
avant l’intervention d’un quelconque cogito, la lassitude est là,
plantée telle une grande chose molle et apragmatique. Danièle Del
Giuce n’est pas en cause, je suis simplement trop fatigué pour
espérer lire la moindre ligne (alors, en écrire cinq !).</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: arial;">9
octobre 2021.- Temps gris stupide (14°C). Impossibilité de
commencer à écrire, crise du renoncement, silence intentionnel,
culte de la disparition. Danièle Del Giuce utilise cette fausse
matière un peu bancale comme escabeau pour mieux retrouver les
hauteurs supposées de la narration. Il n’y parvient que
partiellement, inventant une sorte de roman nouveau qui n’est pas
le « nouveau roman », mais plutôt un mat théorique sur lequel des
possibilités de personnages, des amorces de fictions viennent
s’accrocher comme autant de petits drapeaux déceptifs. Il y a
certes quelques courts charmes à tout cela, mais on s’ennuie tout
de même assez. Pour rester ennuyé il y aussi le <i>Dictionnaire
égoïste de la littérature mondiale</i> de Charles Dantzig. À la
page 526, il est question d’humour et de drôlerie. Rassurez- vous
rien de drôle, pas de quoi se taper les cuisses avec des airs de
musaraignes sous gaz hilarant, Dantzig est drôle comme un
croque-mort en goguette. Tenez par exemple il trouve que des auteurs
de « droite aigre » ont passé leur temps à dire que Kafka était
un auteur comique pour mieux enlever le côté revendicatif de son
œuvre (Vialatte serait-il un auteur de droite aigre?). Quant à PG
Wodehouse c’était un auteur de « romans comiques stupides »
(Ben, voyons !).</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: arial;">10
octobre 2021.- Beau temps un peu frais (14°C). Nabokov est un
rustaud qui gâche ce qui aurait pu fournir de bonnes images
littéraires en cédant à la passion puérile de contredire le
bourgeois. Nabokov est DONC un type d’un mauvais goût quasiment
mesurable. C’est ce que pense Charles Dantzig. Forcement Dantzig,
lui, est plus distingué et il est certain qu’il ne s’abaissera
jamais à écrire une merveille comme <i>Machenka</i>. Il préfère
lancer de petites flèches venimeuses contre des colosses. À chacun
ses occupations.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: arial;">12
octobre 2021.- Temps nuageux (15°C). Grosse fatigue, douleurs
diverses et variées, je laisse parler Valéry (Paul) : <i>« Sur une
heure de temps d’horloge, peut-être pourrait-on défalquer
cinquante minutes pendant lesquelles nous n’existons pas (à peu
près comme le volume occupé par un kilogramme du métal le plus
dense se réduirait à moins d’un dix millième de millimètre cube
si l’on supprimait les vides intermoléculaires). La vie serait
intolérable sans doute si cette interruption d’existence
c’est-à-dire de notre sensibilité totale –comparable à celle
du courant alternatif – ne se produisait pas. Et il se peut que la
douleur soit l’effet d’une ininterruption d’existence. »</i></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: arial;">14
octobre 2021.- Beau temps frais (15°). Picoré dans les <i>Cahiers</i>
de l'animal Cioran tout en regardant de biais <i>Chevreuse</i> le
nouveau roman de Patrick Modiano. C'est une lecture que j'envisage
pour la fin de semaine qui vient. Je suis un peu septique, nous
verrons bien.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: arial;">15
octobre 2021.- Ciel dégagé (18°C). Granules brumeuses, images
brandillant sur l’oubli, le nouveau Modiano commence mollement dans
un doux confort Dunlopillo. Je ne sais pas s’il faut vraiment s’en
inquiéter. Sinon et par ailleurs chez le très pieux Milosz dans «
l’arrêt merveilleux » et dans la « sainte descente » on regarde
l’homme entre les deux sourcils.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: arial;">16
octobre 2021.- Soleil bas (15°C) . Quelques notes sur <i>Chevreuse</i>
de Patrick Modiano.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: arial;">A /
<i>« Oui je crois que notre vie passée est là, conservée dans ses
moindres détails, et que nous n’oublions rien, et que tout ce que
nous avons perçu, pensé, voulu depuis le premier éveil de notre
conscience, persiste indéfiniment . »</i> (Henri Bergson).</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: arial;">B/
Souvenirs repeints, exercice de l’oubli, synapses et réseaux,
marée du passé affleurant à la surface de la conscience, il y a là
tout un art et <i>Chevreuse</i> n’est que ça : un beau roman fait
avec de la mémoire et des oublis qui ne parle que de mémoire et
d‘oublis.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: arial;">C /
Comme tous les vieux artistes Modiano ne sort plus de son territoire.
Il l’arpente de fond en comble, le repeint dans des teintes
indécelables, y sculpte d'imperceptibles nouvelles brumes... Il n’y
a plus que le travail sur le motif qui vaille. Ce motif qui est aussi
un territoire c’est la mémoire.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: arial;">D/
Évidemment tout cela peut engendrer quelques épisodiques
assoupissements chez le lecteur. Qu’il soit « rassuré » dans son
demi-sommeil il trouvera une parfaite coalescence avec le texte.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: arial;">E/
Un certain trouble de la mémoire fait venir un mot qui n’est pas
le bon, mais qui devient le meilleur sans désemparer. Ce mot fait
école, ce trouble devient système, superstition, etc.
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: arial;">F/ <i>«
Un jour, je me suis défini la mémoire de la manière suivante : A
est un souvenir si à partir de l’impulsion ou excitation E, A se
produit au bout d’un temps T. Ce temps spécifique définit la
mémoire. Définition arbitraire, difficile à justifier. – Mais si
l’on accorde que tout souvenir a une cause – une
excitation-cause, et que nulle excitation ne peut ni agir
instantanément, ni se conserver indéfiniment, on voit que cette
définition est digne de considération. Elle se réduit, au fond, à
accentuer le caractère réflexe du souvenir. Il s’agirait d’avoir
une autre condition pour recouper celle-ci, pour séparer le souvenir
des autres réflexes. Ou bien établir que précisément le temps
qu’exige un souvenir est caractéristique, (lui et ses multiples),
de la mémoire, et la sépare nettement d’autres réactions. Mais
ce serait un cercle, puisque cette démonstration impliquerait la
définition cherchée. Dire : toute réponse qui se dessine aux temps
T, 2 T… après l’excitation, est un phénomène applicable au
passé, semblable (géom.) à un phénomène passé, explicable par
une opération impliquant autre chose que ce qui est et qui met en
série ce qui est après ce qui fut ».</i> (Paul Valéry).</span></p>
<div style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: left;"><span style="font-family: arial;">Ad
lib</span></div>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: arial;">17
octobre 2021.- Brumes matinales (15°C). Bu un Viognier un peu trop
chargé en alcool, 14°5 c'est beaucoup. Après une sieste
consécutive, pratiqué une dernière séance de jardinage avant les
futurs frimas. Effectué quelques tailles, les feuilles ne sont pas
encore tombées, mais le mordoré est déjà presque là. Du côté
des livres, fini le <i>Chevreuse</i> de Modiano, entamé dans l'élan
<i>L'innocence et la loi </i>de Connelly (qui écrit beaucoup). Ce
dernier est un roman de la série Mickey Haller. La veine est
procédurale et judiciaire et c'est écrit à la première personne.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: arial;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: arial;"><b>2.</b></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: arial;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: arial;">19
octobre 2021.- Beau temps frôlant l'indian summer (20°C). Épuisé
par le labeur. État quasi végétatif. Lu deux chapitres de
Connelly. Toujours les mêmes qualités, cette grande précision. Ici
le système judiciaire qui est disséqué comme une grenouille qui ne
demandait rien à personne.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: arial;">21
octobre 2021.- Du vent (18°C). Lever 5h00. Labeur (soulevé environ
une tonne de marchandise manufacturée en Chine, 40 palettes).
Sieste. Vaisselle. Un chapitre de Connelly, trois pages de Milosz
(entre les deux, un gouffre, un monde, pire un univers). Rien
d'autre.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: arial;">22
octobre 2021.- Du soleil, encore (18°C). Quelques vagues échos du
vaste monde. Éric Zemmour ressemble à un petit bonhomme sorti d’une
caricature de Bruno Schulz. La reine d’Angleterre n’est pas au
mieux. Le fameux virus n’est presque plus là, mais nous portons
toujours ce masque qui dissimule la variation de nos plissures
d'humeur. Loin du vaste monde dans les <i>Moralités légendaires</i>
de l’animal Laforgue on meurt sans s’en apercevoir, comme chaque
soir on entre en sommeil. On passe de la pensée lucide, au sommeil,
à la syncope, à la mort : « ne plus être, ne plus y être, ne
plus en être ! ».</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: arial;">23
octobre 2021.- Le soleil est toujours là, mais le mordoré nous
guette (14°C). Mon voisin guitariste déménage et je suis déjà
presque un peu nostalgique de ses crincrins furibards. Sera-t-il
remplacé par un joueur de djembé ?</span></p>
<div style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">Dans
le Connelly il y a bien un voyage à Las Vegas, mais l'essentiel de
l'intrigue se passe dans deux lieux pas forcement si sautillant que
ça. On passe de la prison au tribunal et du tribunal à la prison,
et, disons le tout net, le goût est assez kammerspiel. Brève
déception Harry Bosch est un personnage secondaire un peu fantomal,
le reste précis et bien ficelé est globalement satisfaisant.</span></div>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: arial;">24
octobre 2021.- Beau temps frais (14)C). Le Covid fait une courte
intrusion dans le polar de Connelly. On parle de la ville de Wuhan,
des vols transcontinentaux, il y a des morts suspectes, les masques
chirurgicaux apparaissent, le réel cogne la fiction.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: arial;">25
octobre 2021.- Premiers frimas matinaux (2°C -> 18°C). Assommé
par le labeur. N'ayant rien à dire, je ne dirai rien. Ce faisant en
disant que je n'ai rien à dire, je dirai tout de même que je n'ai
rien à dire. Tout est décidément compliqué. Pour simplifier les
choses, je ne devrais plus rien dire tout en ne disant pas que je ne
dis rien. En somme, il faudrait que je vous mente par omission.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: arial;">26
octobre 2021.- Larges passages nuageux (17°C). Not in the mood.
Heureusement (?), il y a Cioran et ses Cahiers : <i>« Mes défauts
sont assurément grands ; mais enfin ce ne sont que ceux d’un
indolent, ceux des autres, des actifs, des ambitieux entreprenants,
m’apparaissent mille fois pires, car ils troublent et incommodent
mon indolence même, ils empiètent sur ce que j’ai de plus sacré.
(Peut-on parler d’indolence à propos de quelqu’un qui ne cesse
de se tourmenter, qui est donc actif à sa manière ? Je suis un
paresseux sui generis, un agité sur place, dévoré par une fureur
sans rendement). »</i></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: arial;">27
octobre 2021.- Passages nuageux (14°C). Ce matin <i>l'Amour</i>
était dans ma boîte aux lettres. Oh pas l'amour, le rose le
frétillant, celui avec un petit a qui bat la chamade, mais plutôt
<i>l'Amour</i> la nouvelle revue dirigée par l'impeccable Frédéric
Pajak. Pour 15 euros ou 15 francs suisses cent cinquante pages de
textes et dessins fomentés par un aréopage globalement appétissant
(Chaval, Sempé, Paul Nizon, Frédéric Schiffter, Delfeil de Ton,
Fernando Arrabal, Stéphane Trapier...). C'est solidement fabriqué
dans une qualité tout à fait helvétique, l'encre et le papier
sentent très bon et je crois qu'il n'y a rien d'inquiétant dans
tout ça.</span></p>
<div style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">Par
ailleurs chez Connelly plaisir du procédural, ivresse des articles
de loi, joie des détails.</span></div>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: arial;">28
octobre 2021.- Vague soleil qui ne durera pas. On annonce de fortes
intempéries pour les jours qui viennent (16°C). En juin 1913 le
jeune Paul Morand achète un veston tweed-lilas à Londres, au 35
Dover street, chez Pope & Bradley. Curieux choix de couleur,
totalement inconciliable avec le pantalon noir à rayures d’un
jeune attaché d’ambassade. Ces choses essentielles sont rappelées
dans le Journal inutile du vieux Morand (qui ne se gausse donc pas
que des invertis, pais qui parle aussi habits).</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: arial;">29
octobre 2021.- Contrairement à ce que j’annonçais hier, le beau
temps persiste (19°C). L'école des Buttes-Chaumont, la Société
Française de Production, les techniciens affiliés à la
Confédération Générale du Travail, le communisme, la grande
machinerie des décors en carton-pâte, Vidocq, le théâââtrrrrre
et la culture pour tous. En somme, les « charmes » de toute une
époque... Marcel Bluwal est mort, merci pour tout ça.</span></p>
<div style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: left;"><span style="font-family: arial;">On
the books side. Always immersed in Connelly's efficiency.</span></div>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: arial;">30
octobre 2021.- Tempête (17°C). Fini le Connelly qui tourne un peu à
vide. Réécouté quelques merveilles de Guy Clark, grand « écrivain
de chanson » capable de faire tenir plus d’un roman en moins et
trois ou quatre minutes (les extraordinaires, <i>Desperados Waiting
for a Train, The Last Gunfighter Ballad</i> ou <i>The Randall Knife</i>).
Comme tout s’enchaîne par capillarité fait un tour dans le
sixième album de Townes Van Zandt (<i>The Late Great Townes Van
Zandt</i>) où j’ai redécouvert <i>Silver Ships of Andilar</i>,
merveille de haute mer aux images dignes d’Herman Melville. <i>«
The clime from mild to bitter ran/The wind from fair to fierce did
blow/Oath and prayer did turn to thoughts/Of homes left far
behind/Longed every man for some glimpse of land/And the host that
did await us there/But each new day brought only a sea/And sky of ice
and gray »</i></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: arial;">31
octobre 2021.- Vent, douceur et nuages (21°C). Heure d’hiver. La
nuit tombe à 17h30. Encore un fois : Merci Giscard !. Entamé
<i>l’Amour</i> (la revue). Un article de Michel Thévoz sur
l’inutilité des chefs d’orchestre, un autre de Philippe Garnier
(l’autre Philippe Garnier, il y en a deux) sur le rire qui peut se
révéler problématique (les rires nazis l’étaient, Hitler fis
quelques blagues grasses après l’invasion de la Tchécoslovaquie),
et surtout une merveille de Pajak sur les « gilets jaunes ».
Certainement ce que l’on a écrit de plus juste sur ce mouvement
(L’eau qui dort).</span></p>
<div style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">Parallèlement,
entamé <i>Bartleby et compagnie </i>d'Enrique Vila-Matas (j’entame
beaucoup). Faux roman, notes de bas de pages de quelques textes
invisibles et non inexistants pour autant. Éloge de l’élan
négatif, du gâchis. Éloge de Rimbaud, de Robert Walser, de Valery
Larbaud et de Fernando Pessoa. Amour du <i>bartelbysme</i> sous
toutes ses formes. La petite entreprise de Vila-Matas aura toute ma
sympathie (même si elle trahit un peu son propos, le livre est
écrit).</span></div>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: arial;">1er
novembre 2021.- Brume et crachin, le temps s’accorde enfin avec la
saison censée nous occuper (11°C).
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: arial;">1)
Évidemment ce qui est intéressant dans le livre de Vila-Matas ce ne
sont pas les amorces de récits, les bougeons « fictionnant » (une
rencontre ratée avec Salinger), non ce qui est intéressant c’est
le côté passeur, le côté donneur d’envie. L’envie de
découvrir ceux que l’on ne connaissait que de façon lointaine.
L’envie de découvrir ceux que l’on ne connaissait pas du tout.
L’envie de découvrir Felisberto Hernández, écrivain et en même
temps pianiste de salons élégants et de casinos sordides. L’envie
de découvrir les très curieux Carlos Díaz Dufoo, Miguel Torga ou
Pepin Bello… L’envie, l’envie, l’envie…</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: arial;">2)
Dans le livre de Vila-Matas, bien au-delà du roman, il y a
deux-trois « rappels historiques » qui pourraient pincer. Tenez il
y a le rappel du suicide raté de Chamfort (un bartleby qui
s’ignorait vraiment). Il se tire un coup de pistolet qui lui brise
le nez et lui crève un œil. Toujours en vie, il saisi un couteau,
s’égorge et se poignarde et après s’être tailladé mollets et
poignets et s’effondre ensuite dans sa propre mare de sang. Voilà
qui est charmant.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: arial;">3
novembre 2021.- Il pleut ( 11°C). Phase de dépression active.
Nothing else.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: arial;">5
novembre 2021.- Le froid tend à poindre (7°C). Ayant passé
quelques jours dans une profonde et large déprime je réémerge
petit à petit grâce à Sylvie Vartan cet antidote bulgare au très
roumain Cioran. Jugez sur pièce : <i>« Déprime t'as plus la
prime/Je te renvoie dans ton abîme/Tu n'as plus de quoi faire de la
frime/J'ai le moral et les idées clean. ».</i> Quant au reste, lu
un chapitre de Vila-Matas… Pas mal.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: arial;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: arial;"><b>3.</b></span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: arial;"><br />
</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: arial;">7
novembre 2021.- Fraîcheur (9°C). Hier soir vie sociale. Bu quelques
boissons fermentées en quantité semi-raisonnable. Je suis donc
encore un peu flottant au moment où j’écris les lignes faiblardes
que vous lisez à présent.</span></p>
<div style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">Entamé
<i>Au printemps des Monstres</i> de Philippe Jaenada. Ce gros pavé
de 800 pages qui a failli recevoir le Prix Goncourt (c’est déjà
un best-seller) raconte l’un des faits divers les plus sordides des
mid early sixties (en français 1964). L’enlèvement puis le
meurtre de Luc Taron, un mouflet qui ne demandait rien à personne.
Au bout d’une centaine de pages (le livre est replet, mais il
semble se laisser lire assez vite), je ne suis pas encore vraiment
déçu retrouvant sans déplaisir la patte de l’animal Jaenada, ses
parenthèses « vache qui rit », ses multiples digressions, son
embonpoint et son savoir-faire bien informé. Rien à redire le
territoire est connu et confortable (peut-être trop confortable ?)</span></div>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: arial;">8
novembre 2021.- Chape nuageuse présente, mais raisonnable (11°C).
Étant d’une humeur assez peu velléitaire je n’aurai pas grande
chose à dire de bien pénétrant sur <i>Le Printemps des monstres.</i>
C’est un livre pourtant passionnant où Jaenada tel un ours égaré
dans le magasin du crime à peu de peine à ne pas endormir son
lecteur, mais que voulez-vous je ne suis pas très inspiré ces
temps-ci. Bon je dois quand même dire que la matière triturée par
les grosses pattes de Jaenada me semble simplement captivante. Ces
années 60, le meurtre du petit Luc Taron et surtout Lucien Léger ce
quidam insaisissable, fragile, ordurier, ricanant et crachant sur un
monde qui n’a pas voulu de lui, ce vengeant de ce monde dans une
folle dérive mythomaniaque. Voilà un personnage. Jeanada ne passe
pas à côté.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: arial;">9
novembre 2021.- Nuages et froideur (7°C). Raconter l’Affaire
Léger, cette sombre histoire pleine de lourdeur ontologique, tout en
sautillant c’est le petit tour de force que Jaenada parvient à
réaliser. Disons qu’il jubile, qu’il prend un plaisir gamin à
faire ce qu’il fait. Contagieux le plaisir est partagé. Le lecteur
ne lâche pas un livre qui le remplit d’un contentement penaud
(penaud et peut-être un peu malsain, comment se réjouir devant un
tel sujet ?).</span></p>
<div style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">Autre
chose, dans sa jubilation et tout à sa petite affaire Jaenada semble
revenir sans cesse sur des détails moult fois rabâchés. On
pourrait lui reprocher. Ce serait un tort, car la vérité de son
livre, de son gros pavé et de l’affaire Léger, est certainement
nichée dans l’un de ces détails ( et l’auteur de citer Tchekhov
: <i>« Si, au premier acte, un fusil est accroché au mur du salon
qui sert de décor, il faut qu’un coup de feu soit tiré avant la
fin la pièce ».)</i></span></div>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: arial;">10
novembre 2021.- Il fait frisquet, la pluie est froide, un temps de
saison (6°C). Lucien Léger accusé, jugé, emprisonné, libéré
puis bientôt enterré le « roman » de Jaenada pourrait s’achever
page 300. Mais non tout semble recommencer et virevolter ailleurs. Et
si Lucien Léger, cet étrangleur méphistophélique, était innocent
? Certains faisceaux d’indices pourraient le laisser penser.
L’enquête bifurque donc vers d’autres chemins, vers du
compliqué, du scabreux, de l’interlope. On se croirait décidément
dans du Modiano en pire (d'ailleurs, Albert Modiano le père de
Patrick apparaît en filigrane, c’est presque un suspect
potentiel).</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: arial;">11
novembre 2021.- Brume (8°C). Aux alentours de la page 400, tout
semble se gâter dans le pavé de Jeanada. On pourrait presque lui
reprocher de sacrifier aux sirènes du pelucheux, de céder à l’air
du temps on ne voyant plus que des mâles salauds de droite et quasi
« fachos » un peu partout. (Comme s’il suffisait d’être un
homme et un salaud de droite pour être coupable de quelque chose).
Pourtant, mangeons notre chapeau et remballons nos reproches dans
notre poche assez vite, car ce qui semblait être une impasse
paresseusement idéologique n’est qu’un long chemin ouvert à
tous les vents de l’Histoire. Oui il y a bien des salauds de droite
dans toute cette affaire et des beaux ! La découverte du passé
vaguement nazi de l’un des protagonistes (je ne dirai pas lequel)
offre d’ailleurs l’un des plus beaux moments du livre. Ce passé
Jeanada le découvre par hasard en farfouillant sur le site Gallica
où il découvre de vieux écrits pour le moins compromettant.
Jeanada jubile presque en découvrant tout ça, on jubile presque en
le lisant. Quant au meurtrier (aux vrais meurtriers), nous commençons
à nous faire une petite idée.</span></p>
<p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: arial;">13
novembre 2021.- La brume se lève enfin, cinq minutes plus tard la
nuit tombe (9°C). Fini <i>Au printemps des monstres</i> (en moins
d’une semaine, c’est une forme d’exploit). Finalement Jaenada
aura écrit quatre romans en un. Un premier roman tourbillonnant
autour du cadavre du petit Luc Taron, un deuxième roman flirtant
avec l’autofiction (c’est le roman entre parenthèses, celui de
l’humour et des « problèmes de santé »), un troisième roman
découvrant et dénonçant les inquiétantes dérives d’un
conglomérat de barbouzards modianesques et un quatrième roman qui
pourrait être une sorte d’autel des morts élevé en la mémoire
de Solange Léger. Ce dernier roman -cette « chambre verte »
ouverte à tous les vents d’une biographie secouée - est
certainement le plus émouvant… (Quant au livre en lui-même, je
dois être le seul à le trouver trop court tant il ouvre une
multitude d’ hypothèses pas totalement explorées).</span></p>
<div style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">Le
pavé de Jaenada tout juste posé, retour dans <i>L’Amour</i> (la
revue de Frédérik Pajak). Beau papier de Jean-Noël Orengo consacré
à John Brown primo antiesclavagiste loin des « bourgeois éveillés
». Dans l’élan, pour rester avec Pajak entamé le quatrième
volume de son <i>Manifeste Incertain.</i> Cela me semble toujours
aussi bien.</span></div><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: arial;"><br /></span></p><p align="justify" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-family: arial;">To be continued.</span></p>Philippe Lhttp://www.blogger.com/profile/11161966062544589959noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-6980582.post-7860576209832035072022-01-22T19:57:00.009+00:002022-01-23T12:20:37.043+00:00Psychogeographie indoor (113)<p style="text-align: justify;"><span style="font-family: arial;"> </span></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><span style="font-family: arial;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/a/AVvXsEiBOzzckbZlkj92w_lk-ue4lXe36EMKeGKekHe7Te3zNJDsBT27pLpcKciOk5M002ZwqYcgx5f5Z2p6t7vHw-5jdBInXgPj3X6zldIlU9UaeEz97Ybq4rcI3c4rRhPpbsHK05vHI5OXpK6jv_T7-qbRPLBM58uNEpYyC2q7Rz67ncaaC2fczuw=s1407" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="1046" data-original-width="1407" height="297" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/a/AVvXsEiBOzzckbZlkj92w_lk-ue4lXe36EMKeGKekHe7Te3zNJDsBT27pLpcKciOk5M002ZwqYcgx5f5Z2p6t7vHw-5jdBInXgPj3X6zldIlU9UaeEz97Ybq4rcI3c4rRhPpbsHK05vHI5OXpK6jv_T7-qbRPLBM58uNEpYyC2q7Rz67ncaaC2fczuw=w400-h297" width="400" /></a></span></div><span style="font-family: arial;"><br /></span><p></p><p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: arial;"><i><br /></i></span></p><p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: arial;"><i><br /></i></span></p><p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: arial;"><i><br /></i></span></p><p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: arial;"><i><br /></i></span></p><p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: arial;"><i><br /></i></span></p><p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: arial;"><i><br /></i></span></p><p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: arial;"><i><br /></i></span></p><p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: arial;"><i><br /></i></span></p><p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: arial;"><i><br /></i></span></p><p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: arial;"><i><br /></i></span></p><p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: arial;"><i><br /></i></span></p><p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: arial;"><i><br /></i></span></p><p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
<span style="font-family: arial;"><i>« Assis sur les bancs verts, les jambes croisées, ils
savourent leur cigare, et s'engourdissent dans le silence épais de
la pleine campagne. » </i>(Valery Larbaud - <i>Enfantines</i>)</span></p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: arial;"><br />
</span></p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: arial;"><b>1.</b></span></p>
<p style="line-height: 100%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><br /></p>
<p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">9
août 2021.- Soleil voilé (25°C). Je suis toujours plongé dans
<i>l'Ébène</i> de Kapuściński qui est plein de prépondérance du
clan sur toute autre organisation, de culte des ancêtres, de
communauté contre individualisme, de tribu contre nation, de
chaleur ahurissante, de lions, de léopards, d’éléphants, de
cobras, de lac Victoria, de pistes latéritiques, de paludisme, de
tuberculose, d’esclavagisme et de libération, de coups d’État
et de fusils, de machettes et de bâtons, de casquettes d’adjudants….
Par ailleurs, et toujours dans la petite affaire de </span><span style="font-family: arial;">Kapuściński,</span><span style="font-family: arial;"> sur le port de Dar es-Salaam, un yacht blanc se balance
au creux des vagues. Il appartient au jeune sultan du Zanzibar Seyyid
Jamshid bin Abdulla bin Khalifa bin Harub bin Thwain bin Said qui a
fui l’île, abandonnant son Palais, son trésor et sa Rolls Royce
rouge. Pour un peu on se croirait dans une Carte Postale de J.M
Levet.</span></p><p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">10
août 2021.- Vague tiédeur (30°C). Still with Kapuściński. En
Afrique dans les régions où le christianisme et l’islam ne sont
pas encore très bien implantés la richesse des prénoms est infinie
<i>« Ils (</i><i>les africains</i><i>) donnent à leurs enfants des
noms comme "Matin agile"(si l’enfant est né à l’aube)
ou "Ombre d'acacia" (s’il est né sous un acacia). »</i>
C’est là que s’applique la poésie des adultes. Moins poétique,
quoique, les cataclysmes politiques, coups d’État, putschs et
révolutions appartiennent à l’univers de la nature. On les
appréhende comme s’il s’agissait d’une rafale ou d’une
tempête, avec fatalisme, et même parfois, avec une belle
résignation. Pour le reste en dehors de la poésie et de la
résignation le livre de Kapuściński est vraiment épatant. On y
tintinnabule autour d’une belle somme d’aventures vécues (ou pas
?), on frôle la mort plus d’une fois, on croise Amin Dada en Ubu
tragique, on passe d’un coup d’État au Nigéria à quelques
embardées périlleuses sur les hauts plateaux Éthiopiens.
Kapuściński explique les causes du génocide rwandais. On a envie
de dire que tout cela est passionnant.</span></p><p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">11
août 2021.- La chaleur enfle (31°C). Pour Kapuściński l’un des
principaux problèmes de l’Afrique se niche dans le fait que les
intellectuels africains vivent en dehors du continent – aux États
Unis, à Londres, Paris ou Rome… Sur place, en Afrique, il ne reste
plus que deux classes. À la base : <span style="font-variant: normal;"><span style="font-style: normal;">les
masses paysannes obscures abruties, sucées jusqu’au sang,</span></span>
au sommet : la bureaucratie corrompue et la soldatesque arrogante (le
<i>lumpen militariat</i>). Cette simple dichotomie où la réflexion
n’est jamais présente entraîne un résultat terrifiant. Guerres
et famines se succèdent et on se demande comment l’Afrique peut
vivre sans ses intellectuels. La thèse de Kapuściński tient
relativement bien. Cependant, je ne l’embrasserais pas totalement
en constatant que les rares intellectuels ayant choisi de ne pas
quitter le continent auront tout de même assez largement contribué
au marasme. Les théoriciens du génocide rwandais étaient des
intellectuels. Les « révolutions » soudanaises et éthiopiennes et
leurs milliers de morts eurent aussi leurs intellectuels. On ne se
méfie jamais assez des intellectuels.</span></p><div style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">Loin
de tout ça, je fais mes valises. Demain départ pour
Évian-les-Bains.</span></div><p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">19
août 2021.- Ciel à moitié nuageux (24°C). Retour d’Évian base
arrière idéale pour quelques randonnées raisonnablement
montagneuses. Le Lac est toujours là et le paysage est tout juste
gâté par l’emprise immobilière. Bu au robinet des Sources
Cachat, pris cinq fois le funiculaire. À Thonon du belvédère,
juste en face, vu la petite ville suisse de Rolle d’où
s’échappaient les minces volutes d’un cigare. Certainement celui
de Jean-Luc Godard. Par ailleurs du côté des livres je suis
toujours plongé dans <i>l’Ébène</i> de l’ami K. Grand livre
parfois terrifiant. Qu’y a-t-il de plus terrifiant que ses esclaves
afro-américains affranchis qui au Libéria créeront un nouvel état
où ils s’empresseront de mettre en esclavage les descendants de
leurs ancêtres communs ? (Oui ma phrase est bancale et presque
comique).</span></p>
<p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">20
août 2021.- Soleil (27°C). Je rouvre la correspondance Valery
Larbaud/G. Jean-Aubry. Larbaud est malade, il perd sa mère, fume du
tabac de Virginie, a un gros faible pour le Chester et continue sa
collection de soldats de plomb… G. Jean-Aubry virevolte de Suisse
en France, de France en Angleterre. À Londres il constate que les
autobus prennent des allures d’autocars et que l’aimable lenteur
de toutes choses tend vers la « précipitation yankee » , un
déplorable précipité. Comme tout est dans tout Larbaud écrit
quelques mots sur la lenteur dans la revue <i>Grand’Route</i>. Une
revue qui n’aura que cinq numéros et qui en dehors d’André
Suarès et de Larbaud exclura de sa liste de collaborateurs possibles
tous les gens âgés de plus de trente ans.</span></p>
<p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">21
août 2021.- Vague tiédeur (32°C). Conditions lectorales frôlant
l’improbable. Dans la rue une bétonnière furibarde posée à deux
mètres de mes fenêtres, dans mon semblant de jardin les mornes
conversations téléphoniques du voisinage, une scène de ménage et
quelques autotuneries de mauvais aloi. Malgré tout ça - un tout ça
qui a de quoi laisser n’importe quel arpenteur de lignes
circonspect - poursuivi et un peu avancé dans la correspondance
Larbaud/Jean-Aubry. Deux types civilisés qui ne devaient pas trop
aimer le « bruit ». Larbaud rencontre l’étonnant Pierre Girard
(qu’il faut lire, je le répète), Adrienne Monnier oublie de lui
verser les droits de sa traduction d’Ulysse (une bien fameuse
traduction), il remodèle entièrement sa bibliothèque de Valois, un
sacré chantier. Quant à Jean-Aubry, il traduit Conrad, publie une
multitude d’articles (il faudrait que quelqu’un les retrouve),
reconstitue la bibliographie de Larbaud tout en étant orgueilleux en
toute humilité de sa perte de cheveux et de sa calvitie plus que
naissante. Il y a les voyages en Italie, en Suisse ou au
Liechtenstein. Il y a aussi Musum ce chien indolent, le chien de
Larbaud, que Jean-Aubry n’oublie pas de saluer dans chacune de ses
lettres : <i>« serrez la patita au Musum, cela va sans dire ».</i></span></p>
<p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">22
août 2021.- Ciel couvert (26°C). Phil Everly est mort en 2014. Dans
le drôle de couple incestueux formé par les deux frères c’était
le plus jeune, le plus blond, certainement le plus féminin et le
moins apte aux frasques diverses et variées. Phil laissait les
solos, la mauvaise humeur et les amphétamines à Don son aîné, le
baryton, le petit dur de la fratrie. Comme rien n'est vraiment jamais
simple, comme tout tangue inévitablement vers le tragique Don est
mort hier, c'est encore une bien triste nouvelle. En « hommage »
histoire de ne pas oublier Phil et Don j'ai réécouté <i>Songs Our
Daddy Taught Us</i>, le second album des frangins cristallins. La
guitare de Don, une contrebasse, un formidable spicilège de
standards country and western et puis cette symbiose extraordinaire
entre ces deux voix d’enfant de cœur seulement séparées par un
quart de ton. Des voix qui montent qui s’entremêlent pour ne
devenir plus qu’une. Presque un miracle à écouter seul à l'abri
de la pluie, mais avec une petite larme au coin de l'œil.</span></p>
<div style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">Je
refais mes valises. Demain départ pour Nice.</span></div>
<p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">28
août 2021. Soleil, vent frais (22°C). Me voilà rentré et les
valises défaites. À Nice visité le Musée Chagall. L’expérience
s’est révélée un peu pénible. Les tableaux exposés sont
extraordinaires, mais ils sont moins nombreux que les vigiles censés
les surveiller. Ces derniers vous suivent avec des airs suspicieux
dignes de l’admiration pénitentiaire. Plus charmant fait un petit
tour par le Musée des arts naïfs, l’accueil y est très
sympathique et plein de volubilité méridionale. Rien de vraiment
climatérique, un tableau du Douanier Rousseau, une « porte » de
Chaissac, quelques courtes merveilles d’Europe centrale, des
couleurs, une simplicité qui serre le cœur. Otherwise, fini la
correspondance Larbaud- G. Jean-Aubry. L’épatant Pierre Girard est
encore évoqué dans quelques lettres. Jean-Aubry traduit, participe
à une multitude de conférences et autres symposiums. Larbaud
continue sa collection de Soldats de Plomb, effectue de nombreuses
villégiatures thérapeutiques en bord de Léman. En juillet 1935 il
visite l’Albanie… C’est au retour de ce voyage qu’il sera
victime d’une première attaque. Son état empire. Une aphasie
partielle se déclare en novembre ; après une légère amélioration,
au début de 1936, il perd l’usage de la parole et de son bras
droit. Jusqu’à sa mort le 2 février 1957, il ne pourra plus
écrire et ne prononcera plus que cette phrase devenue fameuse : <i>«
Bonsoir les choses d'ici-bas ».</i></span></p><p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: arial;"><i><br /></i></span></p>
<p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: arial;"><b>2.</b></span></p><p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: arial;"><b><br /></b></span></p>
<p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">29
août 2021.- Le soleil est trop bas pour être honnête, l’été
s’achève. Je retourne dans les <i>Agendas</i> de Follain. Beaucoup
de messes, beaucoup d’enterrements (celui de Marcel Aymé), des
dîners en ville. En filigrane mai 68 sonne comme une petite musique
dépeignée.</span></p>
<div style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">Demain
labeur. Après trois semaines de congés, l’entrain est modéré.</span></div>
<p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">31
août 2021.- Temps plutôt nuageux (23°C). Vidé par le labeur, je
résonne comme une casserole. Lilliputien retour dans les <i>Cahiers</i>
de Cioran, très concordants avec l'humeur du jour : <i>« Se
démettre, "présenter sa démission", abandonner,
capituler, prendre congé et surtout congédier, être congédié,…
etc., etc… je trouve un plaisir presque sain à toutes les nuances
de l’échec. »</i></span></p>
<p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">1er
septembre 2021.- Ciel bleu pâle, beau temps. (23°C). September,
October, November, December… Un soleil bas et tardif diffuse ses
faibles rayons sur mon auguste physionomie. Plus haut, un peu
vertes, les feuilles encore attachées aux branches des arbres me
regardent avec un air las et cauteleux. Une semaine, deux semaines,
trois semaines… Bientôt elles me tomberont dessus.</span></p>
<div style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">Par
ailleurs, hormis une chronique de Bernard Frank consacré au fameux
cuisinier Vatel (figurez-vous que le bougre s’est suicidé un jour
où il n’avait pas prévu de rab au menu), rien lu.</span></div>
<p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">2
septembre 2021.- Les nuages sont là (27°C). Plus qu'une quelconque
« rudesse des temps » c'est plutôt l'ennui qui domine. Sur ces
bonnes paroles je vais passer l'aspirateur.</span></p>
<p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">3
septembre 2021.- Larges passages nuageux (23°C). Beaucoup trop de
labeur, grande fatigue. Résultat : je suis plus aboulique que
velléitaire, Nouvelles acquisitions : Pierre Pachet - Le premier
venu, Thomas Clerc - Cave, Patrick Deville - Fenua, Philippe Jaenada
- Au printemps des monstres, Roger Grenier - Regardez la neige qui
tombe.</span></p>
<p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">4
septembre 2021.- Beau temps, dans le genre été tardif (27°C).
Entamé <i>Regardez la neige qui tombe d</i>e Roger Grenier. C’est
une dérive entichée autour de l’ami Tchekhov. De courts
chapitres, beaucoup de citations, du biographique non ostentatoire.
C’est, pour l’instant, très bien : « <i>Le docteur Tchekhov, du
temps qu'il faisait des autopsies, "même en été", a noté
dans ses Carnets "Les morts ne connaissent pas la honte, mais
ils puent horriblement."Il a retenu aussi cette image insolite
qui pourrait figurer comme une allégorie de la vanité humaine : "En
déshabillant le cadavre, on a oublié les gants : c'est un cadavre
ganté." »</i></span></p>
<p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">5
septembre 2021.- Tiédeur tardive (31°C). Jardinage, taille des haies
qui montaient décidément trop haut. Largement avancé dans le
Grenier/Tchekhov, bon livre qui sait frémir : « <i>À la dernière
fenêtre du premier étage de la gare est assise une demoiselle (ou
une dame, comment savoir) avec un corsage blanc, languissante et
belle. Je la regarde, elle me regarde... Je mets mon pince-nez, elle
met le sien... Oh ! merveilleuse apparition ! J'ai attrapé une
inflammation du cœur et j'ai passé mon chemin. »</i></span></p>
<p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">6
septembre 2021.- Tiédeur (31°C). Grenier/Tchekhov. L'écrivain doit
être un reporter (celui qui rapporte), il doit noter, ne rien cacher
des laideurs de l'existence... Il doit aussi être sec et froid.
Cependant, cette sécheresse et cette froideur ne sont pas seulement
le résultat d'une esthétique, ce sont surtout les fruits de la
nécessité, de l'obligation de livrer de nouvelles histoires à date
fixe et même si Tchekhov érige sa froideur stylistique en théorie
littéraire c'est surtout la contrainte et le besoin d'argent qui
forment finalement son esthétique. (Pour résumer de la sécheresse
et de la froideur au service de thèmes et sujets frétillant souvent
dans l'émouvant).</span></p>
<div style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">Michel
Poiccard est vraiment mort. Il y a de quoi être triste.</span></div>
<p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">7
septembre 2021.- Beau temps, on s'en fiche (30°C). À creuser :
sécheresse de Tchekhov, style télégraphiste de Stendhal,
scatologie de Mozart.</span></p>
<p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">8
septembre 2021.- Ciel bleu pâle, soleil narquois (31°C). La
scatologie chez Mozart ce n'est pas rien. Tenez par exemple il y a ce
bout de lettre adressée à l'une de ses cousines. Drôle de musique.
<i>« Je vous souhaite maintenant une bonne nuit, pétez au lit que
cela craque ; dormez bien, étirez le cul jusqu'à la bouche, je m'en
vais au lit dormir un peu. Demain, nous parlerons plus
raisonnablement, j'ai quantité de choses à vous dire, l'imaginer
vous ne pouvez, mais demain bien l'entendrez. Portez-vous bien
entre-temps, ah ! mon cul me brûle comme du feu ! Que signifie donc
cela ? -- Peut-être une crotte veut-elle sortir ? -- Oui, oui,
crotte, je te connais, je te vois, je te sens -- et -- qu'est-ce ? --
Est-ce possible ! -- Dieux ! -- Oreille, ne me trompes-tu pas ? --
Non, c'est bien ça -- quel son long, et triste ! »</i> Rien
d'autre.</span></p>
<p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">9
septembre 2021.- Prépondérance nuageuse, rares averses (23°C).
Pour Cioran un dîner avec plus de quatre convives était une
épreuve. À la vérité, toute « société » le rendait cafardeux,
voire furieux. Dans ses Cahiers on peut lire ceci : <i>«
J’accepterais d’aller dans le monde si les gifles y étaient
permises ».</i></span></p>
<p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">11
septembre 2021.- Ciel se dégageant (25°C). Il est là, il est de
retour le voisin guitariste ! Cet après-midi il s’est pris pour
une sorte de John Lee Hooker, mais en plus déchaîné. Quant à ma
voisine de gauche, elle est aussi de retour, avec son trop fameux
téléphone cellulaire. Ainsi ai-je pu appendre qu’elle avait
changé deux fois de « tampon » dans la journée. Voilà une
information capitale. Dans ces conditions beaucoup de mal à finir le
<i>Regardez la neige qui tombe</i> de Roger Grenier. C’est pourtant
un livre qui se révèle aisément lorsque « l’extérieur » ne
vous happe pas avec ses grandes pattes saumâtres. Plus on lit
Grenier parlant de Tchekhov, plus on aime les deux. Tchekhov qui
s’estime comique alors qu’on le voit tragique (il certainement
entre les deux, le fameux doux amer), Kafka qui l’aime lui aussi
beaucoup, parfois follement… et puis cette fin : <i>« Olga
s'approche de Tchekhov mourant et veut poser un sac de glace pilée
sur sa poitrine. Il la repousse en disant : "On ne met pas de
glace sur un cœur vide" ».</i></span></p>
<p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">12
septembre 2021.- Soleil (27°C). Back to Follain’s <i>Agendas</i>.
Quelques anecdotes croquignolettes. Fargue pour qui Eluard n’était
que du « sperme de cure-dent », voire de la « merde blanche ».
Une réception chez le Dr Ferdière qui porte comme cravate une fleur
de cuivre prise à un attache rideau. Un déjeuner avec Man Ray qui
n’aime pas l’harmonie, mais le discordant, traite Léger de «
fermier » et porte une chemise rayée pleine de couleurs violentes
et comme cravate (encore une cravate!) un mince ruban gris bleu
acheté au mètre. On enterre aussi Paulhan, des cravates, mais pas
de cérémonie religieuse, « désolante impression de vide ».</span></p>
<p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">14
septembre 2021.- Le vent se lève, les orages ne sont pas loin
(25°C). Lever 5H00, labeur, sieste, vaisselle, rien lu.</span></p>
<p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">15
septembre 2021.- Moiteur orénoquiène (25°C). Je les cherche, je ne
les trouve pas, je suis sans mes mots.</span></p>
<p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">16
septembre 2021.- Orages (23°C). Cioran dans ses <i>Cahiers</i>
semble parfois céder à la facilité du bon mot. Quoique, en fait…
non : <i>«Je me cramponne au doute pour ne pas tomber dans le
désespoir et au désespoir pour ne pas m’enfoncer dans le doute.
»</i>. Sinon dans ses <i>Agendas</i> Follain danse la « fricassée
» au bal des Merveilleuses.</span></p>
<p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">17
septembre 2021.- Du soleil (24°C). Trois lignes de Cioran, quatre de
Follain, une chronique de Bernard Frank, deux articles de <i>l'Équipe</i>,
un poème d'Yves Bonnefoy. Nothing else. Lire L'Autobiographie de mon
père de Pierre Pachet.</span></p>
<p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">19
septembre 2021.- Queue d’orage, humidité prégnante (19°C). Hier
soir « vie sociale ». Un peu abusé de champagne et de Côte de
Beaune. Cocktail improbable, je suis assommé… <i>« Dîner
Vieux-Papier »</i>, ce sont les derniers mots que l’on peut lire
dans les <i>Agendas</i> de Jean Follain à la date du mardi 9 mars
1971. Mots tragiques, dîner tragique, car c’est en sortant du
Vieux-Papier que le poète sera renversé et tué sur le coup par une
voiture homicide au débouché du tunnel du Louvre. Quelques semaines
plus tôt, le vendredi 5 février 1971, il notait ceci : <i>« Le
Théâtre de la cruauté d’Artaud : il s’agit d’une cruauté
ontologique liée à la souffrance d’exister et à la misère du
corps humain En lisant ceci, je pense au sentiment de détérioration
qui accompagne la vieillesse, qui est affreux ». </i>En résumé le
tragique nous permet parfois d‘éviter l’affreux.</span></p>
<p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: arial;"><br />
</span></p>
<p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: arial;"><b>3.</b></span></p><p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: arial;"><b><br /></b></span></p>
<p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">20
septembre 2021.- Crachin automnal (15°C). Éditeur perspicace,
passeur conséquent, accort zélateur de pessimistes grincheux,
Roland Jaccard s'est tué deux jours avant de « fêter » son
quatre-vingtième anniversaire. Voilà une forme d'élégance et une
façon de perpétuer une tradition bien établie chez de nombreux
helvétiques moroses (Giauque, Crisinel, Schlunegger, Roorda).</span></p>
<p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">21
septembre 2021.- Une certaine fraîcheur s’installe (20°C). Le
cadavre de Roland Jaccard n’est pas encore tout à fait froid et
voilà déjà quelques bonnes âmes qui prennent la peine de
sautiller dessus avec des airs satisfaits. Que voulez-vous, les
égarements tardifs du bonhomme, son amitié avec Matzneff, ses
penchants <i>nympholèptes</i>, tout cela mérite quelques bonnes
anathèmes à la mode des temps qui nous occupent (temps que voulait
certainement fuir Jaccard en se tuant lui-même). Comme rien ne va
sans rien j’ouvre les <i>Cahiers</i> de Cioran et je tombe sur ces
mots : <i>« Toute présence me contrarie, me fait mal. Mon obsession
du désert vient de tout mon être, de ma physiologie en particulier.
J’aurais dû naître avant l’apparition des vivants ».</i></span></p>
<p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">22
septembre 2021.- Beau temps (25°C). Feuilleté <i>L’après
littérature </i>de l’Académicien Finkielkraut. Dérives post
MeToo, rivages du politiquement correct, orwellisme rampant, je
tamponne une grande partie des thèses étayées tout en me disant
qu'elles tendent un peu à l'idée fixe, à la marotte. Au fond, à
quoi bon vibrionner contre tout ça ?</span></p>
<p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">24
septembre 2021.- Ciel dégagé (25°C). Ennui tenace, solide, quasi
palpable. Comme tout est parfois simple, baguenaudant dans les écrits
du vieux Valéry (Paul), je tombe sur ces deux trois lexies : <i>«
L'ennui est le sentiment que l’on a d’être soi-même une
habitude, et de vivre… une non-existence sensible, comme si l’on
eût la propriété de percevoir que l’on n’est pas. Percevoir
que l’on n’existe pas ! L’ennui est finalement la réponse du
même au même. »</i></span></p>
<p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">25
septembre 2021.- Le vent se lève, le ciel se couvre (24°C).
Finkielkraut est trop vitupérant, trop batailleur pas assez résigné,
presque encore trop vivant... Car enfin, voyons, le vingtième siècle
est derrière nous... et il le sera toujours.</span></p>
<p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">26
septembre 2021.- Temps vaguement nuageux (23°C). Samuell Brussell
est éditeur (Anatolia), il est aussi un peu écrivain. Aujourd’hui
j'ai entamé l’un de ses livres, <i>Alphabet triestin</i> une
courte petite chose qui tourne autour de Trieste, de ses librairies
anciennes, de ses écrivains et de leurs textes perdus… C’est un
peu fouillis et éclaté, tenant plus de la note diaristique ou du
journal intime que de l’essai étayé, mais c’est tout de même
assez joli. On croise Roberto Blazen cet écrivain sans œuvre qui ne
publiera que des notes de bas de page (on le retrouve dans <i>Le
Stade de Wimbledon </i>du fraîchement trépassé Daniele Del
Giudice), Joyce, Svevo, Saba, Rilke… On se prélasse au Café San
Marco… Bref, tout est presque pour le mieux.</span></p>
<div style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">Pour
le reste bref retour dans le <i>Dictionnaire de littérature mondiale
</i>de Dantzig, toujours agaçant. Rien (ou presque) : Ce qui fait le
plaisir d’un journal, c’est l’accumulation.</span></div>
<p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">27
septembre 2021.- Couverture nuageuse raisonnable, mais bien là
(23°C). Hier Championnat du Monde de Cyclisme sur route. Magnifique
victoire du pétulant Julian Alaphilippe. Ce matin dans l'Équipe
beau papier enflammé d'Alexandre Roos qui perpétue la tradition des
Pierre Chany, Antoine Blondin et autres Philippe Brunel : <i>«
Alors, voilà, il faut bien tenter de définir ce à quoi nous avons
assisté dimanche, d'en déterminer la magnitude. L'an passé, nous
avions écrit que le sacre d'Imola était la plus grande victoire du
cyclisme français du XXIe siècle. Là, nous sommes tentés
d'avancer que le triomphe de Louvain, ce doublé arc-en-ciel, est un
des plus immenses exploits du sport français des vingt dernières
années. Mais à vrai dire, c'est encore trop réducteur, tant la
secousse n'est pas quantifiable, impalpable. Chacun l'aura ressentie
à sa manière. Ce fut un tremblement de terre intime. Dimanche, nous
avons touché au sublime. »</i></span></p><div style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">N</span><span style="font-family: arial;">othing
else.</span></div>
<p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">28
septembre 2021.- Les nuages s'agrègent dans un bel élan
bachelardien (20°C). Dans son Dictionnaire égoïste et mondial,
Charles Dantzig recommande la lecture d<i>'Histoire d'une ville</i> de
Mikhaïl Saltykov-Chtchédrine. Style rabelaisien et prescience des
petites affaires bolcheviques, le menu est assez appétissant (Plus
que Dantzig qui est toujours un peu fatiguant même s'il passe deux
trois choses).</span></p>
<p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">30
septembre 2021.- Ciel dégagé (18°C). Labeur saumâtre. Divers
menus problèmes de santé. Je ne sautille pas. Picoré dans le
Dictionnaire de Dantzig. Lu deux pensées de Milosz. Regardé trois
peccadilles à la télévision (surtout pas un film). Scruté le
plafond (de loin la chose la plus intéressante de cette journée) .</span></p>
<p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">1er
octobre 2021.- Grisaille (21°C). Dans le livre de Samuell Brussell,
on apprend que la librairie d’Umberto Saba avait l’aspect d’une
sacristie, d’une chapelle où l’on aurait presque pu venir prier.
En somme un lieu de culte (comme toute librairie « authentique »).
Une vitrine désordonnée, au sol et sur les étagères des livres en
piles, une lumière pâle, des zones d’ombres et au milieu de tout
ça, le poète, et accessoirement libraire, Saba. Les lieux étaient
visités par Bruno Pincherle, un grand beyliste devant l’Éternel,
par Giani Stuparitch, il y a quelque part un cliché photographique
où on peut le voir papoter avec Saba, par Roberto Balzen (l’homme
sans œuvre). Du beau linge.</span></p>
<div style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">Pour
rester triestin, lire le Journal d’Anita Pittoni.</span></div><div style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: arial;"><br /></span></div>
<p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: arial;">To
be continued.</span></p>
<p style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><br />
</p>Philippe Lhttp://www.blogger.com/profile/11161966062544589959noreply@blogger.com0