lundi 25 mars 2019

Bob Dylan - Highway 61 Revisited (1965)



Figurez vous que pour cet album Robert Allen Zimmerman un folk-singer originaire de Duluth (Minnesota) a embauché ni plus ni moins qu' un orchestre de rock’n’roll au grand complet ! Batterie, basse, piano, orgue, harmonica, guitare acoustique, guitare ÉLECTRIQUE, tout le tremblement ! Comme rien ne nous est vraiment épargné les musiciens jouent de leurs divers instruments avec une appétence sauvage et quasi wagnérienne (le pire étant le guitariste ÉLECTRIQUE, un certain Michael Bloomfield) et les neuf chansons que nous devons subir alternent grossièreté à sapidité britannique (Like a Rolling Stone), blues petit-bourgeois (It Takes a Lot to Laugh, It Takes a Train to Cry. ) folk impur faussement engagé (Desolation Row) et rocks à la mode tout juste dignes d'être joués dans un garage éventé ( Buick 6, Tombstone Blues). Je conclurai cette courte notule en disant que je ne prévois pas un grand avenir pour cet artiste qui a indubitablement perdu la saine simplicité de ses débuts. Sacrifier talent et engagement sur l'autel du cynisme branché et du rock’n’roll ne mènera jamais quiconque bien loin.


jeudi 21 mars 2019

Scott Walker - Scott 3 (1969)




C'est le troisième album solo de Scott Walker. Dix des treize morceaux sont des originaux. Les trois autres ont été écrits par Jacques Brel, un auteur-compositeur-interprète belge un poil grandiloquent pourvu d'une bouche fort spacieuse et de très grandes dents. Il y a des moments très intéressants : Big Louise une chanson qui parle du corps lourd et lent d'une prostituée rencontrée au débotté (les paroles assez explicites pourraient choquer les plus bilingues des audiophiles), Copenhague qui ressemble à du primo David Bowie/Bing Crosby mais en mieux et Funeral Tango une chanson bien cruelle écrite par le belge évoqué plus haut et traduite par le très moustachu Mort Schuman. La chanson la plus intrigante reste peut être We Came Through une très courte cavalcade qui sonne comme la rencontre improbable entre un baryton abyssal et et une production western spaghetti du très réputé transalpin Ennio Morricone. Pour le reste, les arrangements de cordes sont globalement coruscants, et même si l'on se perd parfois dans quelques brumes liquoreuses, il n'y a pas vraiment lieu de bouder son plaisir.



samedi 9 mars 2019

Lou Reed And The Velvet Underground (1973)



Quand j’étais petit en vacances sur la costa brava il y avait un bar avec une grande banane super intrigante affichée sur la façade. Ce bar était régulièrement visité par des types massivement bizarres avec des cheveux très longs et gras et des yeux perpétuellement dans le vide. Moi je me contentais de nager dans la piscine en face du bar et de sa grande banane intrigante. Ensuite tout juste sec je descendais dans les petites rues vers la mer où il y avait des salles de jeu tenues par des Allemands antipathiques et des Catalans gominés qui faisaient claquer de bien réelles parties sur d’immenses pinballs en rut. Après et plus loin il y avait toutes ces Hollandaises le sexe caché par du blond comme du soleil avec du sable dedans et après encore plus loin le port de Cadaqués par les petites routes et le retour devant le bar à la banane avec des seringues là qui flottaient dans le caniveau et les types massivement bizarres qui titubaient hagards en sortant du bar avec des airs de décavés tout en traitant un certain Franco de salopard en langue locale. L'Espagne était vraiment un drôle de pays # Presque déjà jeune adulte des années plus tard j'ai compris le pourquoi de ma grande banane catalane en découvrant le Velvet Underground et leur mentor un escroc Rutheno Slovaque de grande envergure. J'ai tout d'abord acheté une compilation qui condensait les deux premiers albums des drogués new-yorkais en un seul. Il n'y avait pas de banane sur la couverture, mais quatre cygnes violets et un soleil très jaune sur une mer d'huile. Cette couverture semblait avoir été volée dans les poubelles des esthètes progressive rock de Jethro Tull et le son du disque était vraiment horrible et comme passé au laminoir. J'ai ensuite acheté le vrai premier album du groupe celui avec la grande banane intrigante que chacun connaît. Le son était toujours épouvantable, mais je m'étais visiblement accoutumé à lui. Quelques mois plus tard je repris même la chanson Sister Ray en me mettant une pince à linge sur le nez pour mieux imiter le drogué en chef Lou Reed quand il chante she's busy sucking on my ding-dong, mais c'est une autre histoire.


mardi 5 mars 2019

Psychogeographie indoor (89)




« Écrire nécessite donc un minimum de solitude, mais au même titre que pas mal de manifestations humaines. L'amour, entre autres, qui profite de la nuit pour souder les monologues. » (Georges Perros, L'écrivain et la société)


1.

14 novembre 2018.- Nuit tardive, brume, éclaircie, soleil, nuit précoce… morne métromonie (14°C). Vous allez me regarder de biais avec des airs un peu contrits, mais il faut que vous sachiez qu' après trois tentatives infructueuses, je suis enfin à entrer dans le Troisième policier de Flann O'Brien. Figurez-vous que tout ce que je trouvais assommant et casse-pieds dans ce roman fort apprécié dans le Landerneau de « ceux qui savent » s’est révélé contre toute attente bougrement sautillant. Ce matin, oui je lis le matin, je devais certainement être dans des conditions optimales de réception et mes « antennes » sûrement mieux réglées que lors de mes deux précédentes tentatives (je n'ai pas d'autre explication). Toujours est-il, que j'ai enfin vu cette loufoquerie tordue par de la métaphysique que l'on me vantait tant. Les pelles homicides m'ont ravi, les bicyclettes ontologiques aussi, j'espère que tout cela va durer : « En Russie, dit le sergent, ils font de fausses dents pour les vaches âgées avec de vieilles touches de piano, mais c'est un pays rude et peu civilisé, on y dépenserait une fortune en pneus. »

15 novembre 2018.- Beau temps quasi printanier (18°C). Matin, quatre chapitres du Troisième policier. Toutes ces histoires de biclous moléculaires sont décidément étonnantes. Midi, long repas familial. Après-midi digestion. La nuit tombe, j'en suis là.

16 novembre 2018.- Cloudy sky, colder temperature (9 ° C). I finished the third policeman and I got a little lost between “hanged, not hanged” and the molecular bike. Finally the friend Flann leaves me half skeptical and half hesitant. I may not be ready for him yet. It’s life. As I did not let myself down, I quickly returned to Tchekhov’s letters. Nothing absurd (Sorry for my poor english).

17 novembre 2018.- Crachin et quasi-froideur (8°C). « Gilets jaunes ». La France périphérique celle « qui fume des clopes et roule au gaz oil », bloque les routes et tourne autour de l’Élysée dans un sorte de folle farandole revendicative. Le président regarde cette fluorescence circulaire de loin, il y a tout de même des blessés, un mort, je suis pour ainsi dire dubitatif. Comme tout est toujours presque dans tout, en surcouche sur le toutim je lis le second tome de L'identité de la France de l’impeccable Braudel. La couverture est très jaune, fluorescente elle aussi, mais pour l'instant aucune jacquerie et pas le moindre Robert Poujade à l'horizon. Après l'homme de Neandertal ce cousin négligé par l'évolution (ne riez nous aurions pu tous être néandertaliens, ce qui n'aurait pas été pire qu'autre chose), Braudel passe par les âges du cuivre, du bronze et du fer. Il trace un trait intangible ou sont alignés la chasse, la cueillette et la domestication des bestioles. Des villages s'inventent, ils ne sont pas encore initiaux, ils le deviendront. Aux alentours de la page soixante, le Gaulois arrive, le Gaulois est là. Cet Indo-Européen qui vire Celte serait donc « notre » ancêtre.

20 novembre 2018.- Quelques flocons matinaux (4°C). Lever 5H00. Labeur. Sieste. Deux pages de Braudel. Rien de plus.

22 novembre 2018.- Vague soleil et quasi-froideur, Black friday et gilets jaunes, déprime (6°C). Nouvelles acquisitions : Claudio Magris - Instantanés, David Foster Wallace - Considérations sur le homard, Heimito von Doderer - Les Démons, Eve Babitz - Sex & Rage, Mesa Selimovic - L'ile, Mordecai Richler - Le Monde selon Barney, Donald Westlake - Ordo, Francis de Miomandre - Écrit sur de l'eau.

23 novembre 2018.- Braudel, les hommes, les choses, la France… Dans la Gaule romaine, le serf possède une maison, une famille, un champ. La contrainte sociale glisse de ses épaules jusqu’à la terre, il n'est plus vraiment esclave il le redeviendra un peu au temps des Carolingiens. Évidemment, tout cela semble très loin des « gilets jaunes » qui nous occupent.

24 novembre 2018.- Beau temps, ou presque (1°C→ 11°C). Les « Gilets jaunes » font des leurs sur les Champs Élysées, repérés chez un « ami virtuel » ces mots de Kafka résument très bien la situation proposée : « Des léopards font irruption dans le temple et vident les jarres sacrificielles. La scène se répète sans cesse ; finalement, on peut la prévoir, elle fera partie de la cérémonie ». À l’alternat je suis toujours plongé dans l'Identité de la France de Braudel. Gaule mérovingienne et Gaule carolingienne, antiquité tardive et haut moyen âge, faux « âge sombre » qui verra poindre une première renaissance aujourd’hui bien oubliée. Il faut dire que ces temps là, cette période allongée entre la fin de l'Empire Romain et l’avènement de Charlemagne, semble ne jamais avoir existé. Cet oubli est un tort, on a parfois tort d'oublier on même parfois tort de ne pas savoir.

25 novembre 2018.- Fraîches averses (7°C). À Paris on balaye les débris de la bacchanale revendicative d'hier matin. Chez Braudel on défriche et on cultive, on invente aussi le moulin (le moulin ce n'est pas rien, c'est même l'une des plus grandes inventions depuis la roue). Voilà une première modernité, des amorces industrieuses, des foires qui, ici ou là, créent des embryons de capitalisme… Pourtant en 1350 tout s'écroule, la Guerre de Cent Ans commence, la peste noire débarque. En un siècle la population de la France est divisée par deux. Nous faisons semblant de l'oublier aujourd'hui, mais c'est la pire déflagration que le pays aura jamais connue. La nature reprend ses droits, bois et broussailles repoussent à qui mieux mieux, Loups et Ours bruns baguenaudent en toute quiétude. Il faudra tout défricher à nouveau, tout reconstruire, ce sera fait, mais à quel prix ?

26 novembre 2018.- Pluie légère (7°C). Ce dimanche matin en me levant, je n’étais plus là. Seul demeurait, le coutumier, l’admis et le régulier d’une vie qui semblait ne plus exister que pour mieux cesser d’être. Un ciel bas et jaune derrière les rideaux, pas plus d’extraordinaire que de grâce et encore moins de miracle. Simplement le fil du temps et rien de plus… Le fil du temps, le quotidien, le souvenir des chimériques journées adolescentes et les strates calcifiées de l’âge qui avance. La succession nombreuse des expériences et cet amer constat : ce qui nous fait nous défait, plus rien ne nous lie car ce qui nous liaient, l’audace des rêves, la profusion aux miroitements des sentiments, c’est dissolu dans le morne agrégat du quotidien.

27 novembre 2018.- Mostly-cloudy sky (8°C). Night falling at 17:00, I would have to be nyctalope to say more. Ne l'étant pas je n'en dirai donc pas plus.

29 novembre 2018.- Chute progressive de la température extérieure (11°C→3°C). Court passage dans les Cahiers de Cioran : « Le sentiment de l'inanité n'empêche pas de goûter la vie, mais il empêche d'y réussir ». Bien vu, rien d'autre, merci pour votre attention.

1er décembre 2018.- Pluie légère (6°C). À Paris les « gilets jaunes » ont encore fait des leurs. Affrontements tous azimuts sur les Champs Élysées, voitures brûlées, prise de l'Arc de Triomphe… De petits groupes d'ultras de gauche et de droite tournant autour de Français périphériques fluorescents en goguette. Certains ont lu Clauswitz, d'autres pas. Tout cela serait comique si ce n'était pas un peu inquiétant. Voilà un peu la France de 2018. En 1985 elle n’était déjà pas vraiment au mieux. Dans l'Identité de la France, Braudel parle déjà de tout ça, de ces Français pas encore périphériques que l'on commence à oublier un peu, de l'immigration, cette masse utilisée comme main d'œuvre inhérente à toute société capitaliste de ses difficultés d'intégration avec pour corollaire la montée du racisme ordinaire : « … pour la première fois, je crois, sur un plan national, l'immigration pose à la France une sorte de problème "colonial", cette fois planté à l'intérieur d'elle-même. Avec des incidences politiques qui tendent à occulter la complexité de phénomènes de rejet – réciproque – qu'on ne peut nier, autant qu'on les déplore. Est-il possible de sérier les problèmes? »


2.

2 décembre 2018.- Pluie (10°C). Lors de l'été 1982, Tchekhov n'est pas vraiment en villégiature. Une replète épidémie de choléra rôde et il lui faut soigner moult patients. Le traitement à base de sel de cuisine (!) est bien long, cinq ou dix heures par malade. Pendant ce temps-là dix autres auront le temps d'attraper la maladie et pour la plupart de mourir dans d'atroces douleurs. Allez écrire au milieu de tout ça !

3 décembre 2018.-Étrange douceur (15°C). Emmanuel Macron ne devait pas échouer, il échoue… Nous ne serons donc pas à l'abri du pire. Disons que l'inquiétude est grande. Rien lu.

4 décembre 2018.- Empty slot.

7 décembre 2018.- Belle journée très douce pour la saison (14°C). Je vous épargne les détails, sachez simplement que ma semaine fut saumâtre et en tous les cas assez saisie par une multitude de petits tracas essentiellement liés à la tenace et répétitive avancé du quotidien. Rien lu, ou presque, un poème d'Henri Thomas, un contrat, quelques peccadilles d'essence juridique, un guide installation, aucune recette de cuisine.
Nouvelles acquisitions : Jim Harrison - Un sacré gueuleton, Nabokov – Machenka.

8 décembre 2018.- Averses (8°C). Encore un samedi au goût de lacrymogène. Plus de mille interpellations. Les chaînes de télévision en continu sautillent à l'alternat, bien qu’un peu inquiétant tout cela est tout de même assez distrayant.
Ce matin entamé Machenka, le premier roman de Nabokov. Dans une pension russe à Berlin divers personnages tournicotent joliment autour d'un certain Ganine. Un amour de jeunesse refait surface, tout se complique.II faut dire que le « royaume des sentiments » est toujours un peu compliqué. Autobiographie déguisée (Ganine = Nabokov, ni plus, ni moins), romantisme détaché, synesthésie et phrases en couleur, tout Nabokov est déjà là. Je n'en dirai pas plus, je ne suis pas très inspiré ces temps-ci.

9 décembre 2018.- Bourrasques tempétueuses (10°C). Machenka, sensualité de Nabokov, mieux grande sensualité de Nabokov : « Elle avait d’adorables sourcils mobiles, sa peau brune était couverte d’un duvet très léger, satiné, qui donnait à ses joues un teint particulièrement chaud ; ses narines se dilataient quand elle parlait pouffant d’un rire bref ou suçant la douce sève d’un brin d’herbe ; elle avait une voix de gorge rapide, avec de brusques inflexions de poitrine ; une fossette tremblait au creux de son cou nu…) ». Rien d'autre, pour le reste je suis périclitant.

10 décembre 2018.- Ciel partiellement ensoleillé (9°C). Still moody, despite this lu un strip hivernal de l'ami Charles Monroe Schulz (Charlie Brown sculpte un bonhomme de neige, Snoopy s'endort dessus), quatre poèmes d'Henri Thomas, beaux et sinistres, sinistrement beaux ?

14 décembre 2018.- Froideur (1°C). Il faisait froid, j'ai joué une ligne sur ma basse (Albatross de Public Image Limited) puis j'ai lu un chapitre de Machenka (de Nabokov). À 17h00 la nuit venait de tomber et j'ai écrit les lignes que vous lisez. Des ombres dansaient à travers mes rideaux.

15 décembre 2018.- Temps plutôt nuageux (2°C). Fini Machenka de Nabokov qui est bien la courte merveille un peu amère évoquée ici ou là (la dernière page à de quoi tenailler une poitrine normalement constituée). Par ailleurs Tchekhov, cet autre russe conséquent, était-il un tantinet agoraphobe ? Dans l'une de ses lettres, il l'avoue presque : « Pour ce qui est de ma participation à votre soirée littéraire, laissez ma dépouille reposer en paix. Je suis atrocement mauvais conférencier, mais pire encore. Surtout – j'ai peur ». En fait, Tchekhov avait une phobie insurmontable du public et de la publicité : « Je suis jadis monté sur Scène, mais je me cachais sous le costume et le fard, ce qui me donnait de l'audace. »
Pour le reste, loin des livres, très loin, cinquième prestation des « gilets jaunes » sur les Champs Élysées. La mobilisation s'étiole, la violence aussi… Les forces de l’ordre, très nombreuses, semblent s'ennuyer. Désœuvré un CRS se tapote la paume de la main avec sa matraque, les chaînes de télévision en continu ne font même pas semblant de cacher leur déception.

16 décembre 2018.- ¨Grande humidité, très grande humidité (6°C). En août 1893 la vie de Tchekhov est si vide qu'il ne sent plus que les piqûres de mouches – et rien d'autre. En octobre de la même année, il ne sait plus écrire et ne sait plus que boire des coups et picorer des hors-d'œuvre. Quant à moi – bien plus tard, en 2018 -je périclite. Bien à vous.

17 décembre 2018.- Ciel changeant, quasi-giboulées (9°C). Aujourd'hui j'ai détartré ma cafetière. Ce n'est pas très intéressant, mais c'est un fait. Rien de plus.

21 décembre 2018.- Humidité (9°C) Rien… ABSOLUMENT RIEN ! Nouvelles acquisitions : Walser (Porcelaine, Seeland), Kertesz (Journal de galère, Dossier K), Ulirch Becher (La Chasse à la marmotte).

23 décembre 2018.- Vague soleil (11°C). Quelques soucis de santé, d'autres domestiques, d'autres de voisinage, que serions-nous sans les soucis ? Nonobstant, hier soir « vie sociale ». Bu un peu trop, certainement pour oublier tout ce qui était évoqué plus haut. Ce matin lu Porcelaine, huit continuités dialoguées, huit dramolets, de l'ami Walser. Écrits à l'âge de 20 ans pour une part et comme extirpés plus tardivement de ses Microgrammes, ces courts textes qui ont tout du « petit théâtre » ne sont pas si évidents que cela, ils sont même parfois un brin obtus. Cependant, ils ne nous laissent pas à l'abri de quelques évidences saillantes : « N’en déplaise à votre considérable personne, je n’ai jamais été d’une humeur aussi excellente qu’en ces temps extrêmement critiques. Le prétendu malheur me rend heureux. Réussir dans le monde, c’est si fade ! J’ai une peur incroyable d’être reconnu. Qu’une dame de haut rang me considère d’un œil aussi bienveillant me remplit de crainte et de tremblement… »
Parallèlement commencé la lecture de La France périphérique de Christophe Guilluy ce n'est pas très bien écrit, mais il faut bien avouer qu'en ces temps de « gilets jaunes », l'auteur n'est pas loin d'avoir tout compris avant l'heure légale.

24 décembre 2018.- Averses poisseuses, fausse douceur (11°C). Célébrons Noël avec l'ami Emil :
« La ville est vide, le ciel couvert, presque noir. On dirait l’attente d’une catastrophe. Réveillon selon mon cœur. « (Cahiers 24 décembre 1966)
« Forte envie de pleurer. Que c’est ridicule ! Il faudrait avoir plutôt envie de penser. Mais je me sens aussi incapable de produire des idées que des larmes. » (Cahiers 24 décembre 1967)
« Avoir des semblables, et devoir les côtoyer est un cauchemar insoutenable. C’est un peu plus qu’une marotte que de ne pouvoir s’imaginer comblé qu’avant l’irruption de l’homme ou après son évanouissement. » (Cahiers 24 décembre 1967)


3.

27 décembre 2018.- Froideur (1°C). The air was a bit cold. After work I read two poems by Henri Thomas. Beautiful, but a little dull and deceptive. I think that will be all for today.

28 décembre 2018.- Temps froid et nuageux (4°C). Dans sa France périphérique Christophe Guilluy ramène un peu trop tout le monde à son « essence », mais le constat qu'il fait reste globalement juste et en tous les cas plein d'une prescience que l'on ne peut en aucun cas dénier. Ainsi lorsqu'il prophétise que les « nouvelles radicalités » surgiront des décombres de la classe moyenne, de la précarisation des classes populaires et de cette très lointaine périphérie qui n'est même plus en bord de métropole globalisée, nous ne somme pas loin de voir par avance quelques gilets fluorescents agiter leurs neutrons sur une nappe de gaz lacrymogène. Pour le reste et parmi bien d'autres choses, hypermobilité et immobilité et ce constat : plus le village est globale plus d'autres villages, bien réels eux, se créent, par contrepartie, puisque forcement il faut du « lien » en toute société. Ah oui j'oubliais aussi, un peu d'humour : « À l’échelle de la planète, une « mobilité égalitaire », la fameuse « mobilité pour tous », serait une catastrophe écologique. On imagine aisément les conséquences désastreuses qu’entraînerait la généralisation du mode de vie d’un Jacques Attali à l’ensemble des individus. ».
La semaine prochaine sort le nouveau roman de Michel Houellebecq. Pour l’occasion, excellent publireportage de Frédéric Beigbeder dans le Figaro Magazine du jour. Hier dans un autre Figaro, le littéraire (il y a décidément plein de Figaros), c'est Sébastien Lepaque qui s'y collait. Après avoir lu ces deux papiers, une sourde inquiétude me tenaille : il ne faudrait pas que son nouveau roman ressemble à l'image que Houellebecq donne de lui-même.

29 décembre 2018.- Nuages et froideur (3°C). Retour chez Charles Albert Cingria : L'Eau de la dixième milliaire, quatre-vingt pages sur Rome écrites à la demande de son mécène et éditeur Henry Louis Mermod. Promenade qui vire à l'érudition galopante, dissertation baroque et digressions variées qui partent comme des fusées dans un ciel pour le moins antique. La patte sybarite du plus oriental des écrivains helvètes est bien là et il n'y a rien à jeter (même s'il faut que le lecteur sache conserver avec lui une concentration de tous les instants. Avec Cingria le risque de sauter une ligne est grand et peut vous laisser choir dans un grand canyon d'incertitude) :

« Cher ami,
Merci bien pour la somme avancée. Le manuscrit est prêt. Je fais tomber l'histoire du vieillard. J'ai rajouté assez d'autre chose pour que le nombre de pages reste le même. Je vous enverrai le tout après-demain. Vous déciderez avec Ramuz ou sans Ramuz. Il s’appellera LA PLUIE ET LE SOLEIL ou bien LES DIVISIONS DE L'EAU ou LE COMTE DES FORMES ou bien AVOIR UN CHAMPS (sic) ou bien LE FEU, L'HERBE ET L'EAU, mais d'ici à demain je trouverai encore d'autres titres. Ne faites aucun projet pour la couverture. Elle restera celle de fascicules précédents.

Je vous serre la main.

Je vous enverrai ça qu'après demain.

Cingria. »

(Carte postale à Henry Louis Mermod, Paris, 5 décembre 1932)


30 décembre 2018.- Beau temps frais (5°C). Cingria et Perros. Rome et Brest, soleil et fécalité… À Rome, et chez Cingria, l'on enseigne, la morale ? Pas du tout. L'action ? Vite on comprend qu'elle est inutile. L'indolence ? Peut-être, mais c'est capital… cette qualité d'indolence. C'est un enseignement qui vous envahit : « vous laissez faire, vous vous fortifiez. Le soleil et le ciel ou la pluie et le soleil sont bien plus puissants que vos réactions. », plus tard, plus loin : « Étonnez-vous donc de ce soleil avant d'en réclamer un autre ; mais étonnez-vous aussi de la vie, de cette vie, la vôtre. Des miracles, vous en avez tout le temps. Vous en voudriez d'autres, et encore et toujours : c'est pour le coup que vous n'y croiriez plus ou que vous les accepteriez comme de l'ordinaire ; et il faudrait alors inventer quoi ? En effet, si le soleil s’arrêtait ou s'il y avait deux soleils, pourquoi n'y en aurait-il pas trois, puis quatre, puis cinq ? L’étonnement n’augmenterait pas. Ce qu'il y a de positivement désarçonnant c'est qu'il y en ait un et qu'il ne s’arrête pas. » Perros ensuite, la recherche de la fécalité en somme, voilà pour ma journée, mes lectures : « Puisque vous ne voulez pas / Du peu d'esprit que j'ai / Je vous chierai / Je vous emmerderai / Dans la mer. / Je n'irai pas dans vos bureaux / Dans vos écoles / Dans vos maisons de la culture / Y mettre le nez / Suffit à l'envie de mourir. / Ce que vous faites et dites / M'est totalement merdeux / Je n'irai pas marcher dessus / Quitte à ne plus espérer bonheur / Mais je cultiverai / Ma merde personnelle / Qui prendra mon corps / Pour pot de chambre / Ô chambre studieuse, / Isolée / Où chier dans ses propres papiers / Je ne vous dirai rien / Mais je ferai dans vos âmes / Pour qu'elles puent / Sincèrement / Je vous en mettrai partout, / Moi ; / De la sincérité / Du petit doigt de pied / Au dernier cheveu / D'un chauve. »

31 décembre 2018.- Nuages (7°C). Les folles sarabandes et autres festivités noctivagues approchant, dangereusement j'envoie, d'ores et déjà les contre-mesures. Il faut savoir lutter contre le sautillement généralisé.
« Minuit. Je devrais passer ma vie seul, et songer sans relâche au Temps. » (L'ami Emil, 31 décembre 1959)
« Cet après-midi, de mon lit, je contemplais le ciel d’un gris sombre, menaçant. Le vent soufflait comme par une tempête au bord de la mer. Sans le sentiment du moi, sans la vanité, sans cette profonde mesquinerie qui nous attache à notre rien, qui pourrait vivre et se démener au milieu d’un monde qui nous ignore, au milieu des êtres pour lesquels personne ne compte ? Dans un instant, il va falloir sortir, voir des amis, fêter ensemble la fin de l’année, etc. Je voudrais rester seul et pleurer ».(L'ami Emil, 31 décembre 1964).

1er janvier 2019.- Brume éthylique (5°C). Trop mangé, trop bu, je remballe confettis et serpentins avec l'ami Vialatte :« Le Premier de l'an date de la plus haute antiquité. Si loin qu’on remonte dans l’histoire de la Terre, les années ont toujours fini et recommencé. Si bien que le Premier de l'an date de bien avant l’homme. Il en a pris une majesté considérable. Il ne cessera que le jour où la Terre, qui tourne à une vitesse terrible, sera usée par le frottement. Son rayon diminue chaque jour. Chaque jour rapproche donc l’homme du centre de la Terre. Le dernier jour, n’ayant plus de support, il tournera autour de ses pieds. Finalement, il mourra de vertige … ». « En attendant, il meurt de chagrin. “Les trois quarts des hommes meurent de chagrin”. C’est Buffon qui l’a constaté. Ce n’est pas un diagnostic, c’est une information. Une information scientifique. Voilà, l’homme vit d’espoir et il meurt de chagrin… »« Il je reste plus de lui, dans le couloir, qu’un chapeau mou sur une patère, et, dans la penderie, un raglan. Couleur gris-fer. En loden du Tyrol. Quelquefois un rayon de soleil passe par l’imposte de la porte qui donne sur le perron du jardin et vient se poser, comme un doigt jaune, sur le chapeau mou. Il n’en tire aucun reflet, car l’étoffe est trop terne. L’homme, de son passage sur Terre, laisser derrière lui un sillage gris, une pénombre de vestibule, un chien sans maître et une porte fermée ». (Chronique découragée du premier jour de l’an. La Montagne, 31 décembre 1967).

2 janvier 2018.- Vent glacial (5°C). George Perros aimait beaucoup le football. Il se rendait régulièrement au stade et il lui arrivait même d'entrer sur le terrain, comme ça au débotté, lorsqu’un joueur de L'Union sportive laïque douarneniste venait à manquer. Sur la feuille de match, il signait alors «Tchekhov», c'était assez drôle.
Pour le reste au bout de deux jours l'année 2019 est déjà diablement fatigante.

3 janvier 2019.- Quelques belles ensoleillées dans un ciel glacé (2°C). Mandarines et Sauterne. Je me contente des restes.

4 janvier 2019.- Soleil et froideur (3°C). Les jours s'allongent un peu, l'humeur est plus sautillante. Pas chez Perros qui enterre successivement Jean Paulhan, Jean Grenier, Jean Vilar et Brice Parrain. « Je deviens le croque-mort du Télégramme [de Brest] » dira-t-il.
Le nouveau Houellebecq est sorti ce matin à 9H00. À 9H15 il était déjà « disponible » illégalement dans quelques officines de flibustiers tout à fait virtuels. Ainsi va le monde (tout court, et de l'édition, aussi).



To be continued


dimanche 3 mars 2019

The Stone Roses (1989)



À la toute fin des années quatre-vingts les Stone Roses étaient les leaders, lymphatiques, mais tout de même maximaux, de la scène britannique dite de Madchester (un mot valise agglomérant habilement ville de Manchester et folie douce, aucun rapport avec la schizophrénie et le fromage de chester, les plus malins et polyglottes d'entre vous m'auront compris avant moi et sans moi). En dehors du lexical nos drôles d'oyseaux s'habillaient très large tout en étant un genre d'espèce de phénomène de foire « rock indépendant » mélangeant les guitares des premiers Pink Floyd et autres Byrds (en somme l'early late sixties) avec de larges palanquées de musique de danse toxicomanisée (l'acid house, la rave music ce genre de choses frôlant l'illégalité la plus crasse). Pour tout dire, l'empilement de ces deux époques et de ces deux styles pourtant un poil oxymoriques était presque parfait, les mélopées tournicotaient dans une sorte de transe légère et le chanteur, un jeune gandin nonchalant nommé Ian Brown, marmonnait pas dessus l’ensemble avec une arrogance froide et détachée qui avait tout de la malveillance sans effort. Reni et Mani sorte de Rox et Rouky drogués s'occupaient de la section rythmique (outre le tambourinage Reni remettra au goût du jour le port du Bob ce qui était ultra cool il faut bien le dire), la guitare était tenue par John Squire, un peintre défroqué qui en dehors des riffs lysergo malingres était aussi responsable de la bien jolie pochette (du Pollock aux petits pieds). Trente ans plus tard (putain trente ans !) l'auditeur averti peut encore écouter cet album avec une pointe de satisfaction retorse. I Wanna Be Adored est toujours ce titre qui ne demande pas l'adoration, mais qui l'attend simplement (la basse rampe parfaitement, la guitare de Squire ponctue à l'avenant), I Am The Resurrection ne souffre d'aucun débat c'est une chanson formidable, She Bangs the Drums téléporte le Paisley underground sur le Dance Floor, This Is the One sonne comme un chant de football touché par la grâce... En dehors de l'extraordinaire single Fools Gold (un truc tribalo mancunien indépassable), les Stones Roses ne feront jamais mieux, on s'en fiche assez, l'essentiel était dit.