vendredi 28 décembre 2018

Dr. Feelgood ‎– As It Happens (1979)



J'ai découvert Dr.Feelgood grâce à ce disque que mon frère aîné avait acheté à la FNAC de Lyon Bellecour en 1979. C'est un vrai live enregistré pour la face A au Dacorum Pavilion d'Hemel Hempstead (Hertfordshire ) et pour la face B au Croc's Glamour Club de Rayleigh (Essex). Le psychotique en chef Wilko Johnson ayant quitté le groupe deux ans plus tôt il faut faire avec son remplaçant Gypie Mayo qui est certainement moins incandescent, mais qui n'est tout de même pas le dernier des crapoussins à six cordes. Lee Brillaux est toujours vivant avec sa belle voix trempée dans le mauvais tabac et les diverses boissons fermentées. Le batteur tape avec la finesse d'un bûcheron stakhanoviste tandis que le bassiste est discret comme un poteau télégraphique (sur quelques vidéos qui traînent sur YouTube on peut admirer sa magnifique moustache et ses belles santiags). Pour tout vous dire, il est bien possible que même 40 ans plus tard cet As It Happens soit un bon disque qui en remontrerait à beaucoup. Je crois me souvenir qu'il y des reprises toutes raides des Strangeloves, d'Eddie Floyd et de Wilson Pickett (tout cela est de très bon gout, croyez-moi), une composition de Mickey Jupp (le très adipeux Down At the Doctors), des titres tendus comme des barils de Guinness prêts à exploser (Take a trip). La pochette est tellement moche qu'elle en frôle le sublime. Que demander de plus ?


jeudi 20 décembre 2018

Tim Buckley ‎– Best Of Tim Buckley (1983)



En 1986, encore jeune et vibrionnant, j'ai découvert le formidable Tim Buckley grâce au spicilège que vous pouvez admirer au beau milieu de cette photographie (à gauche c’est ma main gauche, à droite c'est un Matisse). Voilà un disque qui dégotté au débotté chez le diffuseur de produits culturels du coin aura mine de rien et quoique je puisse en dire ouvert mes oreilles de l'époque (qui étaient assez bouchées, il faut bien le dire). La texture de la pochette était toute bizarre, le carton plus dur que d'ordinaire, et le disque de vinyle était enveloppé dans une sorte de fourreau en celluloïd qui laissait s'échapper une électricité pour le moins statique. Tout cela était bien intrigant, la musique enregistrée sur le disque l'était tout autant. Des plaintes folk rock flottantes et énigmatiques, des trucs quasis élisabéthains et des machins pleins de vibraphones et frôlant le jazz compliqué. Bref écoutant tout ce toutim j'étais penaud, ravi par ma découverte et bien loin de Cabaret Voltaire, Throbbing Gristle et Bananarama (…)

Tiens pendant que je suis encore un peu là permettez moi de me souvenir du dernier disque de Tim Buckley : Look At The fool, De la variété morne loin des expériences et du caractère flottant de ses deux premières manières. Un drôle de gâchis, une inspiration rabougrie dans une mauvaise soul blanchie par trop de lavages successifs. Chose presque bouleversante, dans ce disque-là l'ami Buckley ne peut même plus se raccrocher à sa voix qui semble céder petit à petit et se résumer à la portion congrue, comme si le filtre sur lequel tout était basé n’agissait plus… triste fin.(...)

Ah oui ne m'en veuillez pas, mais je me souviens aussi du Tim Buckley, moins éthéré, moins aérien, plus dans la boue du charnel… du Tim Buckley découvrant qu’il a un corps et donc peut-être un sexe, c’est dans l’album de 1972 Greetings From LA. Dedans il faut surtout écouter un titre : Nighthawkin, une colline de stupre inspirée.


lundi 17 décembre 2018

Psychogeographie indoor (87)



« Il se passe quelque chose de prodigieux, d’étourdissant, dont la poésie et l’inattendu rachètent tous les désagréments de la vie à la campagne. Chaque jour apporte une nouvelle surprise plus étonnante que les autres. Les étourneaux sont arrivés ; l’eau murmure de partout ; la neige fond et l’herbe pousse. Le jour s’allonge, à croire qu’il ne finira jamais… Au printemps, je voudrais qu’il y ait un Paradis dans l’autre monde. » (Lettre de Tchekhov à Souvorine)


1.

8 août 2018.- Chaleur insoutenable (37°C). Il fait certes trop chaud pour travailler, lire, réfléchir ou s'occuper des tâches ménagères, mais ne fait-il pas trop chaud pour ne rien faire non plus ? En attendant d'hypothétiques réponses, je regarde une mouche tourner autour de mon canapé. Elle à pour elle la célérité d'un Messerschmitt BF 109 et j'imagine que je vais devoir passer un peu de temps en sa compagnie.

9 août 2018.- Violents orages, vertigineuse chute de la température extérieure (21°C).

L'ondée passée,
les fenêtres ouvertes à la fraîche,
et aussitôt s'élève au loin,
le tohu-bohu autotuné des enceintes nomades,
que l'on aura connectées,
au débotté.

10 août 2018.- Rares nuages, température idéale (25°C). L'air étant saisi par des douceurs pour ainsi dire madériennes, cet après-midi j'ai enfin pu m'aventurer dans les extérieurs sans risquer de fondre sous un soleil un peu trop gaillard. Je suis même parvenu à lire un court texte de Cingria sans transpirer plus que ça, voilà une forme d'exploit ! Dans son texte Cingria évoquait ses pérégrinations algériennes et son amour recuit, si ce n'est sa haine, pour Cendrars : « un porc pestilentiel, un obtus pédéraste ! » Ben voyons !
Rien (ou presque) : J'ai longtemps eu la certitude que le monde s'ouvrait à moi, que je pouvais en disposer à ma guise, comme d'un « domaine ouvert ». Pourtant, l'âge aidant, je constate que c'est lui qui dicte sa loi et son bon vouloir. Une courte lutte s'est instaurée, n'en sortant pas vainqueur, il ne faut pas lutter avec le monde, j'ai décidé de lui laisser tenir la bride et mes aspirations se sont aussitôt déplacées ailleurs, plus haut, dans les limbes.

11 août 2018.- Beau temps (25°C). Dans Petit labyrinthe harmonique Cingria est un drôle de cycliste. Il se perd dans d’exquis chemins bitumés et nous nous perdons dans sa prose, souvent exquise elle aussi. Saute mouton et digressions, trébuchements et évanouissements, on oublie une ligne et nous voilà déjà ailleurs, dans un colimaçon baroque, des teintes déjà un peu orientales, Raguse c'est déjà un peu l'orient.

13 août 2018.- Grande moiteur (27°C). Je récupère petit à petit d'un long et gargantuesque barbecue dominical. Par ailleurs ce mot de Kierkegaard chez l'ami Cioran (dans ses Cahiers) : « Je me suis lancé dans la vie avec une voie d’eau dans la cale dès le début. », croquignolet, n'est-ce pas ? Remarquez que les débuts de Rousseau étaient presque pires en mieux : « je naquis infirme et malade. Je coûtai la vie à ma mère, et ma naissance fut le premier de mes malheurs. »

14 août 2018.- Ciel changeant, vague tiédeur (27°C). Attentat avorté à Londres, un viaduc s'écroule sur Gênes, grosse fatigue.

15 août 2018.- Journée indubitablement estivale, mais toujours un peu trop excessivement chaude (29°C). Lord Byron était un drôle de zébu romantique, outre ses petits poèmes, ses engagements pour les luddites ou les carbonari, sa pratique assidue de la natation dans les canaux de Venise cigare dans le coin du bec et cette fièvre des marais qui le fera trépasser de façon incongrue alors qu'il était là pour bouter l'Ottoman hors de Grèce, il y a ses amours et notamment cet amour assez scandaleux pour sa demi-sœur l'honorable Augusta Leigh. Comme rien n'est jamais simple au royaume du compliqué cet amour donnera un fruit pour le moins incestueux, cette Medora Leigh qui est le sujet du Tombeau de Medora, petite chose écrite par Frédéric-Jacques Temple que j'ai lue ce matin. Sans voler à des altitudes stratosphériques voilà un bon livre, neutre et biographique, très informé et plein de tribulations qui nous font passer d'Angleterre en Bretagne puis du sud de la France à Saint-Germain en Laye pour mieux finir dans un village perdu de l’Aveyron. Medora Leigh, qui se fait appeler Mme Aubin, s'efforce de faire valoir aux yeux du monde sa véritable ascendance paternelle, en apprend une foultitude de choses, son histoire est bien triste, que demander de plus ?

17 août 2018.- Ciel couvert, queue d'orage (25°C). Cioran, Cahiers, trois pages top acrimonieuses.

Rien (ou presque) :

J'aime les oiseaux, leurs petites danses de dinosaures évolués, leur enthousiasme tourbillonnant. Tout cela me réjouit plus que toute autre chose au monde.

*

Mais, trois coups d'aile, mes oiseaux se sont envolés. Me voilà seul et dubitatif. J'aimerai les suivre et voler moi aussi, faire vibrer mes ailes et connaître des trajectoires rectilignes à l'orée des nuages. Tout cela m'est impossible, je ne suis pas des volatiles.

18 août 2018.- Journée platement estivale (29°C). Tué par une bien mauvaise tuberculose à moins de 45 ans Tchekhov aura tout de même eu le temps d'écrire quelques milliers de lettres, bafouilles et autres missives. Sa correspondance est monumentale, en version original elle occupe douze volumes à elle toute seule. Chez nous, il y a ce choix de lettres paru chez Bouquins sous le titre de Vivre de mes rêves. Tout de même plus de mille pages, ce n'est pas rien non plus. J'ai entamé ce replet volume pas plus tard que ce matin. Faisant fi des préfaces et autres avertissements je me suis plongé directement dans les lexies de Tchekhov. Nous sommes le 7 décembre 1876 à Tangarog sur les bords de la mer d'Azov. Anton Pavlovitch écrit quelques mots à l'un de ses très aimables cousins. C'est léger, drôle et, me semble-t-il très bien traduit. Pas de quoi se plaindre. Otherwise toujours chez le très sybarite Cingria. Lu La fourmi rouge, texte court sur patte qui ferait passer le « Nouveau Roman » tout entier pour un bidule obsolète et pas trop moderne-moderne : « Comprend-on quelle est ma tactique ? Je dois croire cela d'une foi qui est de la même nature que l’existence. L'existence ne nécessite, de la part de celui-là même qui existe, aucun effort. Simplement, il existe. Ainsi, je dois croire. Autrement, si je ne crois pas, si j'usurpe un mode de réalité qui n'est pas ce qui, tant que je crois, existe, le contraire existera alors et fondra sur moi. Il n'y a pas de telles forces, une foi à opposer au néant : il y a une foi bonne qui dresse en existence toutes les possibilités heureuses et une foi mauvaise qui donne vie à tous les monstres. J'ai compris ça et je dois m'y tenir. Ce n'est peut-être qu'une expérience : mais voyons, allons toujours. Le pire danger, évidemment, c'est de penser. Je ne dois pas penser, ne rien penser. Je ne dois surtout jamais me retourner. Quand j'aurai franchi une certaine distance, on verra bien si cette expérience a réussi. »

19 août 2018.- Ciel bleu, chaleur soutenable, petit vent (30°C). Il faisait beau, j'ai fait un tour de Vaporetto sur la Saône. Beaucoup de touristes italiens. Triste pour eux, Venise est bien loin (et Gênes encore si proche). Matin, trois-quatre lettres d'un Tchekhov débonnaire et humain, terriblement humain. S'agissant de Tchekhov et de l'humanité, certains le voient comme une sorte d’antonyme célinien. Un écrivain « médecin des pauvres » qui ne sera jamais vociférant ou acrimonieux envers l'humain. Évidemment, ce constat est tellement simple qu'il doit être beaucoup plus compliqué et moins pelucheux qu'il n'y paraît de prime abord.

21 août 2018.- Chaleur (30°C). Assomé par le labeur. Rien ne bouge, tout semble figé dans une immobilité de pierre, je m'ennuie solidement. Nothing else.

23 août 2018.- Tendance pluvieuse (32°C). Labeur, un orage, trois pages de Tchekhov, rien d'autre.

24 août 2018.- Baisse sensible de la température extérieure (24°C). Le travail est un piège sournois duquel quiconque ne saurait ressortir indemne. Au risque de répéter une évidence forcement et intensément palpable : NE TRAVAILLEZ JAMAIS !
Une lettre de Tchekhov assez acrimonieuse et au style un peu grossier. Il est question de s'injecter dans le cul des doses de frousse, de faire dans son froc corps et âme ! Ben, voyons !


2.

25 août 2018.- Nuages et grande fraîcheur (19°C). Matinée consacrée à quelques menues tâches ménagères et à la lecture de Ce pays qui est une vallée, une circonvolution lexicale de Charles-Albert Cingria où l'on peut lire les mots qui suivent (qui ne sont pas rien) : « … si ce n'est pas l'acte qui fait que le réel est l'existant agi, tandis que l’irréel est l'existant non agi et que tout se ramène, dès lors, non tellement au fait d'exister puisque, à même titre, l'hypothétique et le non-hypothétique existent, qu’au fait d'agir (croire ou ne pas croire), faculté insondablement merveilleuse déjà dans l'embryon (embryon ou vestige), puisqu'elle nous offre ce spectacle, par exemple, dont nous ne nous étonnons pas assez, de notre petit doigt qui bouge alors qu'il serait beaucoup plus naturel (beaucoup plus conforme au naturel néant, antérieur à toute existence) que non seulement il ne bougeât pas, mais qu'il n'eût pas de forme sensible. »
Cet après-midi tenté de lire quelques lettres de Tchekhov en extérieur. Il faisait presque froid et j'ai bien vite regagné mon intérieur où j'ai acrobatiquement plongé sur mon canapé volume en main. Dans l'une de ses lettres Tchekhov, explique qu'il écrit machinalement, presque inconsciemment sans se préoccuper le moins du monde ni du lecteur, ni de lui-même. J'écris, tout du moins je scribouille, ce « journal de lecture », de la même façon et je dois dire que ne le relisant pas je n’éprouve jamais le désagrément d'être déçu… Je vous plains.

26 août 2018.- Beau temps, température idéale (23°C). La saison redevient douce et vivable, il n'y a pas lieu de s'en plaindre. En juillet 1888 Tchekhov n'a pas lieu de se plaindre de grand-chose lui non plus. Il passe son été en Crimée à Féodossia une localité un poil portuaire située sur la mince bande de terre séparant Mer d'Azov et Mer Noire. Il se lève à 11 heures et se couche à 3 heures du matin. Mange toute la journée, bois, parle, parle sans fin « je me suis transformé en machine à bavarder » dit-il. Il mène une vie de nantie, remplie comme une coupe à raz bord. Chartreuses, cruches de vin aux fruits, feux d'artifice, baignade, joyeux soupers, romances… Les journées sont courtes et passent à toute allure, il faudra pourtant bientôt repartir (ce que Tchekhov fera ne passant par l'Abkhazie, l’Ukraine et la ville de Soumy…)

27 août 2018.- Soleil (29°C). Morne et sans envie. Rien lu.

28 août 2018.- Soleil et chaleur, encore ? (31°C). Une chronique de l'ami Bernard Frank me rappelle que le sémillant philosophe national socialiste Martin Heidegger aurait « fait la chose » avec Hannah Arendt. Je dois avouer que j'avais oublié tout ça. D'autre part léger retour dans les pensées de Joseph Joubert. Ces lignes sur Voltaire, disons-le tout net l’apôtre de Ferney en prend pour son grade : « Voltaire a, comme le singe, les mouvements charmants et les traits hideux. On voit toujours en lui, au bout d'une habile main, un laid visage. »

30 août 2018.- Nuages et fraicheur (20°C). Dans Libé(ration), bon papier de Philippe Garnier (As usual), le sujet important peu (une petite chose de l'acteur Michael Imperioli consacrée au primesautier Lou Reed).

31 août 2018.- Temps maussade (23°C). Incapable de lire plus de trois lignes, alors en écrire une !

1er septembre 2018.- Rares nuages, du vent (23°C). Septembre est là, bientôt l’automne… Le soleil trop bas j'ai passé l'essentiel de mon après-midi à le rechercher derrière la cime des arbres et les hauts murs mitoyens alors qu'il y a dix jours, par temps caniculaire, je le fuyais comme la peste bubonique. Disons que l'ironie est grande et que mes envies sont versatiles. En parlant d'ironie, la correspondance de Tchekhov n'en manque pas. Je viens de lire une trentaine de missives adressées à un peu tout le monde (frères et sœurs, famille, éditeurs, écrivains, médecins…) et je dois dire qu'elles m'ont ravi,par leur ironie donc, mais aussi par leur malice, leur persiflage aérien, cette façon de dire les choses, même les plus dures, avec un altruisme qui est toujours celui d'un complice sympathique. Dans l'une de ses lettres, il parle d'une virée nocturne en banlieue et d'une troupe de chanteuses tziganes : « elles chantent bien, ces diablesses. Leur chant a quelque chose d'une catastrophe ferroviaire, un train qui bascule dans le vide durant une forte tempête de neige : moult rafales, cris et chaos… » On sourit, voilà l'ironie.

2 septembre 2018.- Journée globalement ensoleillée (24°C). Le printemps 1889 que Tchekhov passe à Soumy en Ukraine, loin des frimas moscovites pourrait être presque parfait. Le temps est splendide, les arbres sont couverts de fleurs blanches et ressemblent à des « fiancées à la noce », les rossignols, hérons, coucous et autres bestioles à plume s'égosillent à qui mieux mieux. On se lève tard, de l'eau fraîche jusqu'aux genoux on pêche des écrevisses à la main, on boit un peu, ou s'oublie. Bref rien d’assommant… Pourtant, cela ne durera pas, l'été arrive, il ne pleut pas, la canicule est effroyable, Tchekhov est un peu courroucé. Le 17 juin Nikolaï, ce frère artiste soûlographe et poitrinaire qui l'accompagnait dans le midi, meurt. La tristesse est grande, mais la lumière toujours là : « Les funérailles ont été splendides. Selon la coutume méridionale, on l'a porté à bras dans l'église et de l'église au cimetière, sans croque-morts et sans sinistre corbillard, avec des oriflammes, le cercueil ouvert. Des jeunes filles portaient le couvercle, et nous, le cercueil. À l'église tandis que nous le portions, les cloches sonnaient. On l'a enterré dans le cimetière du village, très douillet et paisible, où en permanence chantent les oiseaux et flotte une odeur de chanvre d'eau »

3 septembre 2018.- Fausse tiédeur, dès l'ombre atteinte on sent déjà poindre l’automne, ses senteurs chancies, ses couleurs mordorées, son coté fin de partie et son appétence crasse pour les choses mornes et guère sautillantes. Bref, il n'y a rien à faire contre le cycle des saisons, si ce n'est d'attendre, alors attendons,.(24°C) Posologie du jour : deux lettres de Tchekhov, une chronique de Bernard Frank.

4 septembre 2018.- Beau temps dans le genre estival tardif (26°C). Le voisinage ayant regagné ses pénates après quelques semaines de lointaine villégiature cet après-midi les conditions lectorales auront frôlé le pire. Entre mélopées autotunées, conversations téléphoniques, cris et chuchotement, je suis tout de même parvenu à lire une chronique de Bernard Frank (il y était question des piles Wonder et des lames de rasoir Gilette). J'ai ensuite tenté de rouvrir mon volume des voyages de Goethe en Italie, mais les décibels montant très fort autour de moi je l'ai bien vite laissé choir au sol avec un grand bruit mat. J'espère simplement ne pas avoir écrasé une fourmi innocente au passage. Ce sera tout pour aujourd'hui.

7 septembre 2018.- Vague beau temps (24°C). Rien.

8 septembre 2018.- Soleil (24°C). En avril 1890 Tchekhov entame un long périple qui le verra traverser Russie et Sibérie jusqu'à l'île de Sakhaline. Il commence par quelques verstes de navigation sur la Volga, traverse Iaroslav et la trouve très sale – j'ai moi-même traversé cette ville et je n'y ai vu que de jeunes gueux ivres de vodka et de nombreuses hordes de chiens errants – puis c'est Kostroma qui est bien plus jolie (je confirme). Après la Volga voilà la Kama, un fleuve d'un ennui extrême qui traverse des villes grises où les habitants semblent employés à la fabrication des nuages, de l'ennui et des palissades mouillées. Tchekhov poursuit sa route en train puis dans une voiture qui ressemble plutôt à une carriole brinquebalante, il passe par Perm, Iekaterinbourg, Tomsk (qui ne vaut pas un liard), Irkoutsk (la meilleure), traverse le Lac Baikal, voilà enfin l'Asie, le fleuve Amour, la Chine d'un côté, la Russie de l'autre, des canards, des rochers, des falaises, des paysages qu'il ne sera pas près d'oublier : « J'ai vu, à dire vrai, tant de splendeurs et éprouvé tant de délices que mourir maintenant ne me fait pas peur. »

10 septembre 2018.-Été plus tardif qu'indien, chaleur torve, soleil bas (31°C) Une chronique de Bernard Frank. Nothing else.

11 septembre 2018.- Beau temps mais à quoi bon ? (32°C) Assommé par le labeur, aucune envie. Malgré cela bref retour dans les Cahiers de l'ami Cioran, rien à redire : « Délice de ne pas penser ! Et de savoir qu’on ne pense pas. Mais on dira : savoir qu’on ne pense pas, c’est encore penser. Oui, sans doute, mais la “pensée” s’arrête à cette constatation : elle ne va pas plus loin. Elle se fige dans la perception de sa propre absence, dans la volupté de sa suspension ».

13 septembre 2018.- Vague chaleur (31°C). Je suis assis sur ma chaise de jardin face à un soleil pour le moins déclinant. Le vent est léger, les oiseaux ne chantent pas, je me laisse aller à une douce narcolepsie. Que faire d'autre ? Ne rien faire, surtout ne rien faire.


3.

14 septembre 2018.- Temps plutôt nuageux (23°C). J'entame Sur un mauvais adieu nouveau roman de Michael Connelly et 22e épisode des enquêtes de ce bon vieux Harry Bosch. As usual grande précision topographique et beau portrait « en creux » de Los Angeles. L'intrigue est pour l'instant un peu somnolente – Bosch traque un violeur en série et recherche en même temps l'hypothétique héritier d'un magnat de l'armement – on ne s'ennuie pas vraiment, mais on espère que le rythme s’accéléra tout de même un peu.

16 septembre 2018.- Nuages (28°C). Dois je avouer mon désamour immodéré pour les étés finissants ? Le soleil est encore là jaune et bas derrière les nuages, les feuilles virent au mordoré dans une vague tiédeur, tout cela me laisse dubitatif. Par ailleurs, du côté des livres, Connelly à beau tirer un peu à la ligne tout en faisant un peu de remplissage avec deux intrigues distinctes et jamais vraiment concomitantes son dernier opus reste étonnamment distrayant. Vietnam War, violeur en série, héritier inconnu, précision procédurale et topographique, belle descente de l'interstate 5 jusqu'à San Diego. Que demander de plus ?

17 septembre 2018.- Été indien patibulaire (31°C). Deux chapitres du dernier Connelly, Court retour dans le Portraits Crachés de Claude Arnaud. La Rochefoucauld et Jean-François Paul de Gondi, Cardinal de Retz. De ce dernier ce portrait d'Anne d'Autriche qui ne manque pas de sel : « La Reine avait, plus que personne que j’aie jamais vue, de cette sorte d’esprit qui lui était nécessaire pour ne pas paraître sotte à ceux qui ne la connaissaient pas. Elle avait plus d’aigreur que de hauteur, plus de hauteur que de grandeur, plus de manière que de fond, plus d’application à l’argent que de libéralité, plus de libéralité que d’intérêt, plus d’intérêt que de désintéressement, plus d’attachement que de passion, plus de dureté que de fierté, plus de mémoire des injures que des bienfaits, plus d’intention de piété que de piété, plus d’opiniâtreté que de fermeté, et plus d’incapacité que de tout ce que j’ai dit ci-dessus. »

20 septembre 2018.- Canicule tardive (32°C). Il fait chaud. Je m'ennuie solidement.

20 septembre 2018.- Temps orageux (30°C). Trois chapitres du dernier Connelly qui tournicotent autour d'un violeur en série singulièrement pusillanime. Comme l’actualité est bien mal faite les chaînes d'informations en continu m’apprennent que la maréchaussée a interpellé un autre violeur en série certainement pusillanime lui aussi, mais surtout bien réel et assurément palpable. Chose cocasse ce violeur en série là porte le même nom et le même prénom que l'inventeur du fameux Gros Dégueulasse. Tout cela ne s’invente pas. Pour le reste, je suis bien morose voire plus.

23 septembre 2018.- Vague chaleur puis un ciel se couvrant petite à petit de nuages noirâtres, un vent tiède d’appétence saharienne, j’imagine que l'orage ne saurait tarder (32°C). Hier vie sociale, consacré plus de temps aux joies de la dérive éthylique qu'à la lecture. Aujourd'hui, malgré une tenace céphalée et un état pour le moins cotonneux, fini le Sur un dernier adieu de Michael Connelly, c'est très bien, frôlant parfois un peu le « polar au kilomètre », mais on s'en fiche un peu. Plus tard, retour dans la correspondance de Tchekhov. Sakhaline et ses joyeux camps de vacances derrière lui le voilà à Moscou, un début de tuberculose commence à le pincer. Chose rassurante un certain Robert Koch, médecin allemand, aurait découvert un début de traitement.

24 septembre 2018.- Baisse sensible de la température extérieure, quasis frimas (18°C). Sans envie, sur les lèvres de l'apathie, je ne suis pas au mieux. Cependant, lu trois pages de Cioran, qui ne m'ont pas rendu plus sautillant que ça.

27 septembre 2018.- Persistent indian summer (28°C). Le voisinage « profitant » des derniers beaux jours les conditions lectorales auront été assez moyennes aujourd'hui. Dans l'une de ses lettres Tchekhov, parle d'une mangouste bien rigolote qu'il avait ramenée de Ceylan. Cette mangouste, qui fait peur à ses deux teckels Brome et Quinine et qui tire la barbe de son père finira un peu penaude dans un zoo moscovite. C’est certainement l'un des « animaux écrivains » les plus singuliers que l'on pourra trouver sur le marché. Oh il y a bien ce homard que Gérard de Nerval promenait en laisse, mais nous sommes là dans des altitudes de croquignolerie animale quasi indépassable. Puisqu'il est question d'animaux et d'écrivains je me suis souvenu, allez savoir pourquoi, de quelques couples assez fameux : Maïakovski et son bulldog Boulka, Perec et et son chat Délo, Cocteau et son siamois Karoum, Céline et son gros matou Bébert, Céline et le perroquet Toto, Céline et la chienne Bessy, Houellebecq et Clément, Kurt Vonnegut et Pumpkin, Valery Larbaud et l'hippopotame du Jardin zoologique de Lisbonne. Ad lib.

28 septembre 2018.- Beau temps persistant plus que de raison (27°C). Picoré chez Cioran (Cahiers) et Chardonne (L'amour c'est beaucoup plus que l'amour), rien à redire sur le premier qui est des miens, le second est un peu antipathique, mais il écrit très bien : « Je n'ai jamais vu que des situations sans issue, des sacrifices inutiles et des gens pleins d'espoir. Sans doute, l’espérance a raison… L’espérance ! C'est incroyable depuis le temps qu'il y a des hommes. »

29 septembre 2018.- Le soleil est toujours là, mais la fraîcheur tombe. Nous y voilà ! (19°C). En avril 1891 Tchekhov entreprend un périple qui le voit traverser Pologne, Italie et France. Varsovie n'est qu'une étape sur le chemin de Venise, Florence, Naples et Paris qui l'enchanteront. À Venise il constate que les rues et ruelles sont remplacées par des canaux, les fiacres par des gondoles… L'architecture est admirable, le moindre recoin présente un intérêt historique ou artistique, quant aux églises, aux maisons d'artistes célèbres, elles contiennent des sculptures, des peintures qui dépassent tout ce dont il peut rêver. Tchekhov vogue en gondole à travers les rues, flâne sur la place Saint Marc qui est aussi propre et lisse qu’un parquet, tournicote autour du Palais des Doges avec la sensation d'être au milieu d'une partition enchantée : « Et le soir ! Mon Dieu, Seigneur ! C'est à mourir de stupéfaction. Tu es dans ta gondole… La chaleur, le silence, les étoiles… » Quelques jours plus tard, après avoir visité Rome et le Vatican, le voilà à Naples. Il loge dans un hôtel d’où il peut voir la mer, le Vésuve, Capri, Sorrente… le point de vue est « inouï ». Le panache de la toute nouvelle Galerie Umberto lui donne un court vertige consumériste, il visite Pompéi et comme avant lui Goethe et Stendhal il escalade le Vésuve. Une torture ! Cendres et montagnes de lave, l’ascension est longue, plus de 4 heures (ce n'est plus le cas aujourd'hui), arrivé au sommet, il est un peu effrayé, mais l'envie de sauter au cœur du cratère lui prend : « maintenant, l'enfer, j'y crois ».

30 septembre 2018.- Deux averses, fraîcheur (17°C). Malgré des élans de morosité quasi palpables (la météo?), je suis toujours plongé dans la correspondance de Tchekhov. En mars 1892 il achète un domaine : une grande maison, un jardin, une allée de tilleuls, des fruits, des framboises et de grands bois environnants. La maison est envahie par les punaises et les cafards, Tchekhov est plein de dettes, mais il semble heureux, n'est-ce pas le plus important ?

1er octobre 2018.- Temps automnal (16°C). Lever 4H30. Labeur, sieste, rien lu, ou presque. Charles Aznavour est mort, on célèbre le « dernier grand de la chanson française », je me souviens surtout de l'acteur, chez Chabrol, chez Truffaut, chez Franju… surtout chez Franju, je n'oublierais pas Heurtevent (qui «réussit sa mort », dixit Godard).

2 octobre 2018.- Grande humidité (16°C). Je périclite.

4 octobre 2018.- Du gris au bleu, du frais au tiède (19°C). Entamé un nouveau volume de l'ami Pirotte (Ajoie dans la collection Poésie de Monsieur Gallimard). Poésie qui fuit le poétique, mais qui aime les embruns, l'humidité, les ombres et l'obscurité, surtout l'obscurité.

danseuse noire ombre souple
ombre douce sous la lune
quand tu me quitteras j'irai
me pendre ou chercher fortune
dans le halo d'un réverbère.


To be continued.


mardi 11 décembre 2018

Robert Wyatt – Old Rottenhat (1985)



L’inattaquable plongée mid-seventies Rock Bottom à beau être l'un des plus beaux albums d’anti-rock au monde, il y a dedans Nick Mason l'infirmier Pink Floyd et encore un peu quelque chose du Barnum dans les arrangements. Voilà peut-être pourquoi j'ai toujours trouvé presque plus à mon goût le Robert Wyatt mid-eighties celui du vieux chapeau pourri et des merveilles Cherry Red. Une voix, un orgue et rien de plus, ou presque. Robert le défenestré gazouille autour de quelques génocides divers et oubliés celui des Indiens d’Amérique, celui des Timorais orientaux, il est question de lutte des classes, de mass medium et de temps de cerveaux disponible. C'est un disque qui pourrait avoir été écrit par Noam Chomsky. Bienheureusement il est chanté par Robert Wyatt, ce formidable porte-parole du Parti communiste britannique. Là oui très haut dans les limbes, c'est lui.

(On me chuchote qu'un Wyatt fredonnant le bottin pourrait être tout autant politique puisque ce qui est surtout politique chez lui c'est sa voix et avant tout sa voix. Je ne sais pas ; peut-être, allez savoir ?)



dimanche 2 décembre 2018

23 Great Recordings by Jonathan Richman & the Modern Lovers (1990)



Si chez le très réputé peintre malaguène Pablo Picasso il y a une multitude de périodes, une œuvre qui se réinvente sans cesse chez Jonathan Richman on ne distingue vraiment pleinement que deux périodes : les débuts gris clair du jeune velvetien transi d’admiration qui aurait vu plus de cent fois ses héros en concert, et la période rose, la plus longue, celle ou il s’est vraiment trouvé en définissant un style primitif et plus naïf que le biclou rouillé du douanier Rousseau.
Ce spicilège qui couvre la période gris clair et les débuts du « nouveau » Jonathan résume assez bien l'évolution du bonhomme. On retrouve Roaddruner, Girl Friend, I’m Straight, autant de classiques définitifs marqués par la frustration, une inquiétude perceptible et une forte part autobiographique. Comme au royaume de le la bipolarité heureuse rien n'est vraiment jamais simple on retrouve ensuite Abdul & Cleopatra, Egyptian Reggae, Dogde Veg-O-Matic et une flopée de merveilles capricantes où l’inquiétude et la frustration s’évaporent au contact d’une réalité rêvée faite de marchands de glaces, d’abominables hommes des neiges dans le supermarché, de trucs égyptiens et de machins super frais inventés avec le cœur et la chemise très grande ouverte. Jonathan passe du proto-punk trottinant au doo-woop élémentaire, des hymnes anti hippies à la célébration des petits pots aux légumes, de la candeur sombre à la candeur rose. Bref, au fil de ce disque il retombe de plus en plus en enfance et il n'y a pas vraiment lieu de s'en plaindre.