lundi 29 octobre 2018

Psychogeographie indoor (86)



« La plaine incurve les arcades sourcilières, arrondit théoriquement ou aplatit les chairs, unifie et départicularise l'esprit, rend aimable, disert, facile, inventif, mais, dans le même temps que tout cela, rend idiot ; car il faut une philosophie de chacun qui ne soit pas codifiée et, de temps en temps, des soubresauts qui interrompent l'horizontalité d'une vie en masse autorisant à ne douter de rien. Il faut au contraire douter, s’arrêter, insondablement et brusquement se souvenir » (Charles Albert Cingria, Pendeloques Alpestres).


1.

17 juin 2018.- Ciel pour l'essentiel nuageux, quelques éclaircies courtes, mais offrant de tranquilles bénéfiques (22°C). Pour Gombrowicz le moi est essentiel. Ainsi se voyant reprocher un égotisme plus que moins quantifiable, il rétorque qu'il lui faudrait être fou pour ne pas se passionner pour sa propre personne. Pour lui le moi est rempli des réalités les plus tangibles, les plus sincères, c'est « un guide infaillible et une pierre de touche tellement rigoureuse que loin de (le) mépriser nous devrions plutôt nous mettre à genou devant (lui) ». En fait son moi (son soi) est réellement son seul vrai problème et le seul héros auquel il tienne s'appelle Witold Gombrowicz, un type dont il voudrait faire un personnage «  à la manière d'Hamlet (?), ou de Don Quichotte (?) ».
Plus loin il est question de la  femme  et notamment de la  femme parisienne, cette quadragénaire un peu trop fardée. Disons que l'ami Witold n'est pas très féministe (voire un peu goujat).

18 juin 2018.- Ciel changeant, du vent (23°C). Peu dormi, encore des problèmes de voisinage. Lu trois poèmes d'Henri Thomas, assez peu joyeux, il faut bien le dire :

Mon existence monte en graine,
et c'est la graine du malheur,
pourquoi la mûrir, est-ce la peine,
si le fruit répète la fleur.

Nouvelle acquisition : Jean Claude Pirotte - Ajoie - Passage des ombres - Cette âme perdue.

19 juin 2018.- Beau temps chaud (28°C). Un léger vent se lève, mes géraniums se dandinent, tout mon jardin est saisi d'une gigue capricante que je contemple dans un état de jubilation, une sorte de gaieté, d'humeur enfantine, de disponibilité heureuse. Me voilà éloigné de l'affliction, dans une plénitude sans fond.

22 juin 2018.- Ciel bleu, trop de vent (22°C). Lever 4h44 (c'est assez précis, mais c'est un fait). Labeur, sieste, Coupe du Monde de « balle au pied », avec tout cela difficile de trouver quelques interstices temporels pour la lecture. Tout de même parvenu à lire une dizaine de pages d'un Gombrowicz fourbissant ses armes contre les poètes. Que voulez-vous les poètes sont gênant, conventionnels, toujours dans des « états » pour le moins exaspérants.

23 juin 2018.- Beau temps un peu venteux, l'été n'est pas très loin (23°C). Le Journal de l'ami Witold décolle indubitablement aux alentours la page 300. Il n'est plus vraiment question de sa polonité (cette sacrée maladie), mais plutôt de ses débuts d’exilé tragique. Le voilà errant dans les bas-fonds portègne, envoûté par nuit du « retiro », tournant platoniquement autour de jeunes immatures de tous sexes, à la recherche de l'éclair de la jeunesse, dans la jeune fille, dans l'adolescent : « Ainsi mon péché, si c'en était un, se réduisait au fait que, moi, j'osais admirer la jeunesse en dehors de toute considération de sexe, que je la libérais de l’Éros… »

24 juin 2018.- Rien de politique, rien de religieux, mais le soleil était aujourd’hui indubitablement voilé (25°C). Conditions lectorales médiocres, toujours beaucoup de bruit parasite, j'envisage sérieusement un déménagement et un repli salvateur qui m’emmènerait vers des lieux désertés par le brouhaha. En attendant, c'est entre tondeuses, scies sauteuses, babillements et autres portes claquées dans une optique non schopenhauerienne*, que j'ai poursuivi la lecture du Journal de qui vous savez. Gombrowicz se souvient de la Pologne indépendante, ce pays de l'entre-deux-guerres où la « vie littéraire » naviguait en eaux troubles. S'il parle un peu de l'intrigant Witkacy, il oublie tout à fait Bruno Schulz, ce troisième mousquetaire avec lequel il gambadait dans les bas-fonds de Varsovie. Pourquoi ce silence ?

*« Je nourris depuis très longtemps l'idée que la quantité de bruit que chacun peut supporter sans difficulté est en raison inverse de la puissance de son esprit ; elle peut donc être considérée comme sa mesure approximative. Voilà pourquoi quand j'entends dans la cour d'une maison des chiens aboyer sans cesse des heures durant, sans qu'on les fasse taire, je sais déjà à quoi m'en tenir quant aux forces intellectuelles du propriétaire. Celui qui a l'habitude de claquer les portes au lieu de les fermer avec sa main, ou qui tolère ce comportement dans sa maison, n'est pas seulement un homme mal élevé, mais aussi grossier et borné. En Angleterre, sensible signifie aussi “intelligent” : cet usage repose donc sur une observation fine et précise. Nous deviendrons parfaitement civilisés seulement quand nos oreilles auront elles aussi droit de cité, et quand plus personne ne sera autorisé, dans un périmètre de mille pas, à venir troubler la conscience d'un être pensant par des sifflements, des hurlements, des vociférations, des coups de marteau ou de fouet, des aboiements, etc.  »

28 juin 2018.- Temps chaud et venteux, les masses d'air se trouvant ce qu'elles se trouvent êtres j'imagine le pire pour la semaine prochaine. Encore des orages, certainement (28°C). Henri Thomas poetry : « J’aimais biens les vagabondages, / la poudre des chemins, / la pauvreté, les paysages, / le goût du lendemain ». Rien (ou presque) : La paresse est une sagesse, une guérison et une distraction.

29 juin 2018.- Journée trop chaude heureusement rafraîchie par quelques courts passages nuageux,offrant une climatisation toute naturelle (30°C) « Rome est un tombeau. Il faut rire à Naples et aimer à Milan ». Sur le chemin, qui le mène de Rome à Naples Stendhal remarque qu'à l'alternat il se souvient avec tendresse de cinq femmes. Il croit être vraiment amoureux de la première lui venant à l'esprit (la fameuse Angela Pietragrua) et se surprend même à penser à elle avec rêverie plus de sept ou huit fois par heure, mais un rendez-vous au débotté avec l'une des quatre autres lui ferait tout de même un plaisir tendre. Arrivé à Naples les battements de son cœur revenus dans des rythmes moins frémissants il oublie un peu ses douces amies. On le loge à l’Auberge Royale d'où il voit le Vésuve, mais pas la mer. Il visite Pompéi et Herculanum, mais bâille et s'endort au milieu du théâtre San Carlo. En haut du Vésuve il constate que l'enfer ne bout pas au fond du cratère, mais que la vue est la plus belle du monde. Ce n'est pas rien.

30 juin 2018.-Température caniculaire (35°C). Entre deux matchs de balle au pied, lu un certain nombre de lignes de l'Ami Witold Disons qu'à Mar Del Plata l'inspiration est là : « Allons donc, le principe même de l'art est précisément de ne pas écrire ce qu'on a à dire, mais des choses entièrement imprévues.»

1er juillet 2018.- Une mouche me tourne autour de la tête, je suis saisi par la moiteur, la canicule est là (36°C) Chez Gombrowicz rien de neuf. Des troupeaux de chevaux l'observent, ainsi que des vaches en quantité incalculable. Voilà la Pampa.

3 juillet.- Après les orages nous avons eu aujourd'hui une moiteur et une chaleur digne de la ville de Phnom Penh en pleine saison des pluies. Les oiseaux chantaient, mais je suis resté dubitatif (33°C). Lu un poème hivernal d'Henri Thomas, neige et glace, blanche clarté et froid transparent, le tout bien rafraîchissant. Rien d'autre, ou presque.

5 juillet 2018.- Queue d'orage et ciel partiellement ensoleillé, nous respirons un peu mieux (25°C). J'ai acquis pour très peu cher deux volumes pour ainsi dire helvétiques. Le replet premier tome des Œuvres Complètes de Charles Albert Cingria et une mince plaquette de Maurice Chappaz où il est question du barrage de la Grande Dixence. Mort de Claude Lanzmann, tristesse.

7 juillet 2018.- Journée un peu venteuse, mais néanmoins estivale (28°C). Ce matin j'ai entamé cet épais volume de Charles Albert Cingria que j'avais acquis il y a peu et à moindre tarif. Après avoir parcouru les diverses préfaces et autres explications, j'ai lu dans l'élan Pendeloques Alpestres, un court texte qui s'est révélé sans le moindre étonnement de ma part plus que très bien. Accompagné par une un jeune porteur méphistophélique ayant pas moins de six doigts à l'une de ses mains Cingria monte sur une montagne sud helvétique et quasi italienne puis il en redescend suivi par un Saint Bernard débonnaire. Entre les deux, ascension et descente, ce ne sont que digressions et autres chausse-trappes. Cette prose toute tarabiscotée, tout de guingois qui vire au merveilleux sans crier gare : « La plaine incurve les arcades sourcilières, arrondit théoriquement ou aplatit les chairs, unifie et départicularise l'esprit, rend aimable, disert, facile, inventif, mais, dans le même temps que tout cela, rend idiot ; car il faut une philosophie de chacun qui ne soit pas codifiée et, de temps en temps, des soubresauts qui interrompent l'horizontalité d'une vie en masse autorisant à ne douter de rien. Il faut au contraire douter, s’arrêter, insondablement et brusquement se souvenir ». Cet après-midi bref retour dans le Journal de Gombrowicz. À Buenos Aires, l'ami Witold se lève vers onze heures, ce qui n'est pas très tôt, il remet à plus tard le soin de se raser puis il déjeune de petits pains au beurre et de deux œufs « mollets les jours pairs, durs les jours impairs » puis il s'attelle au travail et écris aussi longtemps qu'il le peut des choses très liées à sa condition d’exilé polonais. Ensuite il se rase et bien frais part dans les rues, à l'aventure.
Demain je comptais commencer la lecture de son autobiographie et j’apprends par Internet qu'Elvis Costello serait victime d'un petit cancer mal à propos. Tout cela est bien triste.



2.

8 juillet 2018.- Beau temps chaud (28°C). J'écris ces lignes le séant posé sur ma chaise de jardin, à l'ombre d'un arbre indéfini et avec une courte brise sur la nuque. Le voisinage étant pour ainsi dire absent, je peux affirmer sans crainte que tout est presque parfait.

*

Il est couramment admis de dire d'Elvis Costello que c'est un admirable « écrivain de chansons », ayant lu cent pages de son Musique infidèle et encre sympathique je me demande s'il ne serait pas un admirable écrivain tout court. Je suis peut-être un peu trop dithyrambique, mais ce replet ouvrage vol pour l'instant assez haut et j'ai le sentiment que je ne suis pas prêt de le lâcher de sitôt. En fait, ce n'est pas une vraie autobiographie dans le sens où on l'entend communément. Costello se fiche par exemple tout à fait d'un quelconque ordre, il n'est jamais soutenu par les béquilles de la chronologie et préfère laisser flotter sa petite affaire d'une époque l'autre. Il ne structure pas non plus le tout par thème, préférant digresser sur des détails croquignolets quand il ne dresse pas des portraits  caustiques ou attendris. Il se souvient de son père artiste de Music Hall puis nous voilà dans les studios Air pendant l’enregistrement d'Imperial Bedroom. Il y a cet ami de jeunesse mort stupidement dans une rue de Liverpool puis une drôle de rencontre avec Bob Dylan. La traduction laisse deviner un style plus que correct… Bref, vivement la suite !

**

Rien (ou presque) : Jadis je me déplaçais juché sur une motocyclette noire. Je me lançais sur les chemins bitumés avec la célérité d'un pégase puissamment ailé et tout défilait autour de moi à des vitesses proprement vertigineuses. Tout cela est de l'histoire ancienne ma motocyclette noire s'en est allée dans un saumâtre carambolage et à présent je me déplace sur mes deux jambes, en boitant un pas après l'autre. J'ai perdu en ivresse ce que j'ai gagné en qualité d'observation.

9 juillet 2018.- Sunny sky and hot temperature (29°C). À l'aide des techniques modernes de partage informatique et grâce au site YouTube on peut voir une vidéo où Ross MacManus, le père d'Elvis Costello, chante une version de If I had a hammer pleine de congas et de maracas (cette chanson sera reprise chez nous par l’infâme Claude François, mais c'est une autre histoire). Tout est là, les cheveux fournis et très bruns, les lunettes en écaille, cette façon de bouger un peu raide et déjà presque caustique. Disons que le père ne trahit pas le fils. Dans son livre Costello évoque cette séquence sur deux, trois pages et ses rapports avec son père sur bien plus de pages encore. En dehors du filial il se souvient aussi de ses débuts dans la « musique » de ses premières prestations scéniques en pleine période Glam avec des types qui portaient parfois des sabots aux pieds. Il se souvient aussi de ses premières bitures, de ses emplois de bureaux pour le moins alimentaires où il portait déjà une cravate et des pantalons « feu de plancher » . Le tout est très bien vu, avec un sens du détail formidable. Il y a aussi quelques précieuses « recettes de cuisine ». On apprend comment en disséquant et reproduisant gauchement le son des disques Stax ou Talma Motown il a su créer un style bien à lui. Bref, j'en suis là et j'envisage la suite sans trop d'inquiétude.

10 juillet 2018.- Beau temps chaud (28°C). Ma garde-robe commençant à à péricliter j’ai passé l’essentiel de ma matinée en centre-ville et dans diverses boutiques proposant quelques nippes à prix soldés. J'ai acquis une paire de chaussures, deux, trois pantalons et quelques autres babioles, mais l'expérience aura été hautement traumatisante. Pour faire court, disons que j'ai frôlé l'enfer.
Après avoir déjeuné d'un sandwich chaud au style et au goût pour le moins américain je suis bien vite rentré chez moi où sans plus attendre que ça j'ai saisi mon replet volume d'Elvis Costello qui m'attendait comme une bouée. Les débuts de label Siff Records, le Liv Aid tout nu avec une guitare devant 2 milliards de spectateurs, la propension de Costello à être systématiquement désagréable en interview. Pas lieu de me plaindre de tout ça.

11 juillet 2018.- Ciel dégagé, un peu de vent, température idéale (25°C). Après la victoire de son équipe de balle au pied dans une rencontre à Saint-Pétersbourg la France est en ébullition, on tambourine au milieu des Champs Élysées, notre Président sautille dans les tribunes et d'autoproclamés spécialistes amorcent de bien belles théories sociosportives sur les chaînes d’informations télévisées en continu. Je suis dubitatif.
Par ailleurs, le livre d'Elvis Costello est toujours aussi bon. Que ce soit le souvenir de ces ancêtres un peu irlandais ou le récit de ses pérégrinations américaines, je suis intéressé, amusé, ravi pour tout dire.

12 juillet 2018.- Deux passages nuageux (27°C).

*

Des mouflets et mouflettes tapageurs, une perceuse à moins que ne ce soit l'un des descendants du bon Docteur Landru découpant une dulcinée à la scie égoïne, des conversations téléphoniques comme s'il en pleuvait, des enceintes sans fil diffusant d'immondes brouets autotunés, allez lire en extérieur avec un tel brouhaha au creux des oreilles ! Voilà pourquoi cet après-midi je me suis réfugié en intérieur, hésitant à ouvrir mes fenêtres, de peur de déranger, le bruit de mes pages tournées est tellement assourdissant !

**

Le politiquement correct ne date pas de la plus haute antiquité, mais il commence à dater tout de même un petit peu. En 1979 il était déjà là quand ivre et mollement accoudé au comptoir d'un quelconque Holiday Inn en compagnie de Stephen Stills Elvis Costello se permis quelques blagues vaseuses autour de James Brown et Ray Charles. L'entourage de Stephen Stills s'empressa de rapporter les dires alcoolisés de Costello aux médias environnants et cet incident lui coûta beaucoup en terme de regards de travers et de petit doigt posé sur les lèvres de l'indignation. Évidemment, et tout le monde le savait et le sait, Costello n'était et ne sera jamais raciste, mais il faut des curés moralisateurs un peu partout, ils ont tellement déserté les églises.

13 juillet 2018.- Soleil voilé, tiédeur (32°C). Jardinage matinal, taille de mes haies, arrachage des mauvaises herbes, remise en forme de quelques babioles végétales, arrosage et tutti quanti. Après-midi consacrée à la musique infidèle et à l'encre sympathique d'Elvis Costello. J'aborde gaillardement la page cinq cent et je ne suis toujours pas déçu, c'est un vrai bon livre qui vire au passionnant lorsqu’il s'agit d'évoquer la « soupe initiale » dans laquelle tout artiste puise son inspiration. Pour le Costello du milieu des années 80, ce sera la Tin Pan Alley, le « grand livre de la chanson américaine », la musique country. En tentant de recopier tout cela, une ligne de basse étouffée, une façon d'enregistrer les caisses claires en rimshot, une inflexion par ci une inflexion par là, Costello se créera un nouveau style bien plus tranquille que ses anciens énervements d’expert comptable (qui venaient d'ailleurs, de la musique noire, de Stax records, de la Tamla Motown, de la British Invasion et de choses plus sèches encore). Par ailleurs, le livre offre toujours une épatante galerie de portraits : Johny Cash, Roy Orbison, Georges Jones, Chet Baker, Bob Dylan, n'en jetez plus !

16 juillet 2018.- Vague tiédeur, on annonce des orages (30°C). Dubitatif et maussade. Hier victoire finale de « notre » équipe de balle au pied dans le tournoi qui « nous » occupait depuis plus d'un mois et voilà aussitôt des convertis de la dernière heure qui gambillent dans les rues tout en agitant des petits drapeaux indubitablement tricolores. Pour tout dire, on se serait cru en 1944 quand de bien tardifs résistants gambillaient devant les chars américains tout un lorgnant les futures donzelles à tondre d'un œil torve et vengeur. Voilà pour le « peuple », quand aux « élites » elles constatent en frémissant que les pousse-ballons ne sont pas que des « milliardaires incultes », mais aussi des « symboles républicains ». Pour qui aime vraiment le football, et ce, depuis toujours, tout cela ne manque pas de sel.
Par ailleurs conditions lectorales abominables, retour de mes voisins bricoleurs, retour des enceintes sans fil et des conversations téléphoniques. Ces gens-là n'avaient-ils pas quelques « monômes festifs et républicains » à effectuer aujourd'hui ?

*

Fini le livre d'Elvis Costello qui est vraiment très bien, mais qui aurait certainement mérité d'être ratiboisé d'une bonne centaine de pages. En dehors d'un passage vraiment émouvant où Costello parle de la maladie et de la mort de son père, les dernières pages ressemblent à un bottin show-business. On passe d'Elton John à Salomon Burke, de Salomon Burke à Johnny Cash, de Johnny Cash à Lou Reed, de Lou Reed à Sting, bref en s'ennuie un peu, c'est dommage, le reste était tellement bien.

17 juillet 2018.- Tiédeur, un peu de vent, quelques nuages (31°C). Lu cinquante pages du Journal de l'ami Witold. Polonité et vacheries diverses et variées autour de la poésie. Pour Gombrowicz il faut que la poésie soit mêlée à d'autres éléments plus prosaïques. Qu'elle ne soit pas cette mélopée monotone et sans cesse sublime que l'on s'inflige comme on pourrait s'infliger un extrait pharmaceutique. Bref, la poésie devrait savoir éviter la pureté comme la peste et n'être que composite, trouble, abâtardie et au grand jamais cette essence pédantesque qui ne résiste jamais à l'épreuve du réel. Après avoir tordu le cou de la « poésie pure », Gombrowicz s'attaque à la grandiloquence, rien de décevant : « Ne m'est-il pas arrivé – à moi, incapable de jouer d'un doigt « Au clair de la lune » sur le piano – de donner, et non sans succès, deux concerts ? Oui, deux concerts - où m'étant assuré au préalable des applaudissements d'un noyau d'initiés mis dans le secret, j'annonçai que j'allais jouer du moderne – et mis à taper à tort et à travers sur le clavier, dans tous les sens… »

18 juillet 2018.- Météo estivale (31°C). Je prépare mes valises, demain départ pour Naples. Rien d'autre.



3.


27 juillet 2018.- Températures caniculaires (37°C).

*

Retour d'Italie, de Naples, des Pouilles et du Basilicate… Naples et toujours suintante d'humanité, extérieurement sale, mais ne concédant rien au flux touristique… À l'instar de l'ami Beyle suis monté en haut du Vésuve, il y fait bien chaud, mais la vue est jolie. Lors de mon ascension croisé une troupes de petits vieux ahanant au plus fort de la pente, quelques Japonais, Chinois ou Coréens portant ombrelle et Nikon, d'incontestables Britanniques roux et rougis par le soleil avec d'inconscientes claquettes aux pieds, deux, trois autochtones cissexuelles la cuisse gracile et la fesse indubitablement pommelée. Le lendemain Road Trip sur la côte Amalfitaine, rien à redire, c'est une région toujours merveilleuse. J'ai ensuite traversé la botte, direction les Pouilles où j'ai visité plus ou moins bien Trani Bari, Lecce, Otrante, Alberobello et Ostuni. Les abords de ces cités, petites ou grandes, sont parfois douteux, friches, ordures confinant à l'Arte Povera, oliviers malades, mais elles ont pour elles un charme que l'on ne saurait trouver nul par ailleurs. Retour vers Naples par Matera dans le Basilicate, extraordinaire ville troglodyte où Pasolini tourna son Évangile à lui.
À part ça, malgré ses airs nerveux et gesticulants l'Italien du Sud reste immuablement sympathique. Bien mangé, bien bu… que demander de plus?

**

Ce matin malgré des conditions lectorales frôlant le pire - claquement de porte, conversations téléphoniques, enceintes sans fil, tondeuse, perceuses, meuleuses (?), veau, vaches, cochons – je suis tout de même parvenu à lire le Chant de la Grande Dixence de Maurice Chappaz. Dans cette courte plaquette rééditée et non massicotée par les toujours excellentes éditions Fata Morgana Chappaz évoque son passé de technicien géomètre sur le chantier du barrage de la Grande Dixence. Ne rassurez-vous rien de vraiment technique et bricoleur, que du lyrique, du spirituel, du Valaisan mystique et de l’humain, du terriblement humain. Décidément, les suisses déçoivent rarement : « Je me souviens d'un homme tué par politesse. Pour aller vers nos galeries, nous commencions par une route dans les forêts. On grimpait. On minait. Une trompette d'enfant signalait la fin des explosions. Or un ouvrier se trouva juste sous un haut mélèze qui trembla, qui frémit un instant. Nos cris, nos furieuses huchées, son regard. Mais deux dames à ombrelles passèrent sur le sentier à l'endroit et à la seconde précise où l'homme en question aurait dû, d'une volte-face, sauter. Quelle bêtise ! Les bousculer, les rouler ! Quelle grosse bêtise ! L'arbre sur la nuque, rien que ça, parce qu'il a hésité devant les femelles respectables. Sur les chantiers alpins, le scrupule tue toujours, comme dans le Grand Nord, comme chez les saints. »

28 juillet 2018.- Orages (25°C). À l'alternat entre les journaux de Stendhal et Gombrowicz. L'un constate, sans s'en offusquer, que les Napolitains sont assez braillards et un peu voleurs, l'autre cherche la beauté dans tout, même dans l'horreur.

29 juillet 2018.- Turpide tiédeur (32°C). Gombrowicz et Stendhal. Après avoir tiré quelques flèches acrimonieuses sur la poésie, l'ami Witold s'attaque à la peinture. Pour lui le pinceau est un « instrument incompétent », une brosse à dents incapable de titiller un Cosmos débordant de lumière : « Faut-il que j'abandonne ce tourbillon éblouissant de formes, de lumières, de couleurs qu'est le monde pour votre royaume mort où rien ne bouge ? » Évidemment, tout cela pourrait se discuter. De son côté, Stendhal quitte l'Italie pour la Russie, sans trop de sautillement, il faut bien le dire.
Demain labeur, sans entrain.

31 juillet 2018.- Canicule (36°C). Il fait si chaud. Cette histoire de réchauffement climatique serait elle donc tangible et plausible ? Pour 2035 on annonce des cigales en Normandie, du vin de Bordeaux en Bretagne et des coups de soleil sur les plages de Knokke-Le-Zoute. Ces perspectives nostradamusesques me semblent bien inquiétantes.
Autrement pas plus de deux pages de l'ami Gombrowicz. Que voulez le labeur, la chaleur


5 août 2018. Toujours cette chaleur d’obédience saharienne, nous voilà bien ! (37°C). Hier soir, « vie sociale », un peu trop bu. Ce matin c'est donc dans d'incontestables volutes alcoolisées que j'ai fini la lecture du premier tome du Journal de Gombrowicz. Étant saisi par de courts, mais réguliers endormissements je dois avouer avoir sauté quelque pages à l'insu de mon plein gré. Cet après-midi ayant fermé puis arrosé fenêtres et volets (!) j'ai ensuite branché mon ventilateur et l'ai disposé en position optimale de fraîcheur autour de mon canapé puis j'ai ouvert un lourd volume de Charles Albert Cingria (Oeuvres complètes, Tome I). Cingria baguenaude dans une Algérie bien fraîche et même parfois neigeuse, il écrit une lettre fort drôle au poète genevois Henry Spiess, rend compte d'une inondation dans la ville de Bône, est un peu courroucé par la perte de quelques précieux manuscrits noyés dans la catastrophe. Comme rien n'est jamais simple avec Cingria, la ville de Bône et ses inondations sont bien vite oubliées et nous voilà bientôt maraboutés par des digressions tout à fait antiques, des choses pour le moins paléo chrétiennes, Apollonius de Tyane et Saint Augustin tournicotent dans l'air, nous voilà bien.

6 août 2018.- Températures toujours caniculaires, pollution, l'air devient irrespirable (36°C). Éprouvant beaucoup de difficulté à lire trois pages de Cingria j'ai laissé choir mon lourd volume et suis resté tiède et lymphatique sur mon canapé. La saison nous en veut

7 août 2018.- La chaleur est plantée, ne bouge pas (36°C). Je viens de constater non sans une pointe d’ amusement que la Journée internationale des gauchers était située entre la Journée mondiale des éléphants et la Journée mondiale du cerf-volant. Mieux encore ! Figurez-vous que la Journée mondiale du rhinocéros précède la Journée nationale du refus de l'échec scolaire qui précède elle-même la Journée internationale de la bisexualité. Pour le reste, il fait toujours trop chaud pour travailler, lire, réfléchir, forniquer. Je me demande s'il ne fait pas même trop chaud pour ne rien faire ! Existe-t-il une Journée mondiale de la fraîcheur ?


To be continued.


vendredi 26 octobre 2018

Buzzcocks - Love Bites (1978)



Cette musicassette pour le moins mirliflore laisse entendre le deuxième long play de la clique musicale mancunienne nommée Buzzcocks (in french les copains excités). Je dois dire que même 40 ans après son démoulage l’ensemble reste pour le moins écoutable et en tous les cas diablement sautillant. Le lead singer, un certain Pete Shelley, psalmodie toujours et encore avec une pointe de dédain qui n'exclut pas le romantisme, la section rythmique tapoche et surligne à tout berzingue et les guitares sont en constant excès de vitesse et malgré cela bigrement bien bidouillées. Les chansons en elles-mêmes ne sont pas en reste, il y en une, extraordinaire il faut bien l’avouer, où il est question de tomber amoureux de quelqu'un dont on n’aurait pas dû tomber amoureux, c'est bête comme chou, mais c'est un parfait exemple de romance qui tourne à la plaie ouverte infectée. Parmi les autres chansons l'auditeur averti remarquera la première, son tambour va-t-en-guerre et ses lyrics de freluquet frémissant, la sixième un bidule retro adolescent digne des Hollies (pour rester Mancunien), la neuvième une ode aux coeurs brisés qui vire à la cavalcade furieuse et la dixième, un machin limite teuton, limite motorik, limite kraut, si vous voyez ce que je veux dire.
Comme je suis un peu sans mes mots et assez fainéant, je laisserai conclure le rédacteur du Guide Akai du disque 1983, un type à qui on ne la fait pas : « Ces Jam du Nord cultivent l'art du morceau court, bien enlevé, sans bavardage, ni remplissage… Miniatures pop, points d'exclamations, interjections, coup de flash sur nos sentiments. »

vendredi 19 octobre 2018

The Rolling Stones ‎– L'âge D'or des Rolling Stones - Vol 2 (1976)



Il faut que vous sachiez que l'un de mes oncles est ingénieur atomiste et que de surcroît il est également audiophile (ce qui fait beaucoup pour un seul oncle, il faut bien l'avouer). Je me souviens qu'en 1975 cet oncle-là jouait sans se lasser l'album The Dark Side of the Moon sur les enceintes Cabasse de sa chaîne de très haute fidélité et que lorsque la seconde face commençait il m'appelait à coup certain pour me laisser écouter le son des pièces qui dégringolent au début de Money. « Tu entends, c'est hyperréaliste ! » me disait-il tout sautillant tel un girafon ivre. Effectivement, c'était hyper réaliste.. C'est cet oncle qui ma aussi offert la musicassette des Rolling Stones que l'on peut voir sur la photographie malingre qui accompagne le petit texte un brin fatiguant qui vous êtes en train de déchiffrer avec de courts et saccadés mouvements d'épaules. Ce devait être pour les fêtes de Noël 1976 dans ces eaux tergaleuses là. Je dois dire que cette musicassette me changeait des disques de Georges Brassens, Jean Ferrat ou Serge Lama, ces vieux croûtons labellisés NF que mes parents écoutaient tout en se chiffonnant plus que de raison. Disons que ce fut mon premier contact avec le rock’n’roll et qu'il y a de pires contacts. Pour tout dire, le menu était épatant, du primo stones à l'état brut, des trucs volés chez Chuck Berry, Lennon et McCartney, Leiber et Stoller, Domino et Bartholomew, et raccommodés par le playmobil en chef Brian Jones, que du très bon, ou presque.
Anecdote croquignolette, ou pas, c'est en écoutant ce spicilège que je pris l'idée pour le moins ludique de monter un orchestre composé avec les peluches survivantes au tsunami de ma petite enfance. Comme bambin j'étais bien plus malin qu'adulte, je baptisais bien vite mon ensemble musical d'un nom assez pindarique, imaginez les Rolling Lapnours ! Bikini le vieil ours brun au museau plein de paille tambourinait, Barnabé l'ours bleu électrique tenait la guitare tandis que Bibo le lapin, je me souviens encore de sa disparition dans un vide ordure quelques années plus tard et j'en frémis encore, chantait et gambillait avec des inflexions pour le moins jaggériennes. Mon magnétophone Philips (EL-3301) jouait Poison Ivy plus fort que de raison, mes Rolling Lapnours sautillaient à l'unisson, j'étais le seul maître de mon petit monde, c'était le bon temps.


dimanche 14 octobre 2018

NME/Rough Trade C81 (1981)



Conjointement publié par le New Musical Express et le label Rough Trade ce spicilège sous forme de musicassette compile tout ce qui pouvait se faire de plus ou moins capricant en la très sainte année 1981. Je ne détaillerai pas complètement l’ensemble, mais sachez que l'on peut retrouver Robert Wyatt et Ian Dury dans leur meilleure forme paralympique... Les toujours heureusement bancroches Television Personalities et les non moins bancroches Red Crayola. Du côté des filles les toutes chiffonnées Raincoats et leur super bath Shouting Out Loud. Tout autant chiffonnées, mais plus roses, les formidables Essential Logic et leur formidable Fanfare In The Garden. Du côté du trottinant Subway Sect, Buzzcocks et Orange Juice. Du côté des seconds couteaux les Blue Orchids. Du côté du fatigant les Virgin Prunes. Du côté de « l'émotion personnelle pas forcement partageable » Stuart Moxham et The Gist... Comme je suis pour le moins feignant et assez indolent, fut un temps on me surnommait « le lymphatique », je n'en dirai pas plus. Ah si ! Simplement je vais me contenter de vous signaler les trois meilleurs titres, l'épatant Endless Soul par les Écossais cyclothymiques de Josef K (raide, capricant et totalement bancroche), le fabuleux We Could Send Letters d'Aztec Camera (écrit par Roddy Frame à l'âge de 16 ans, il ne fera jamais mieux par la suite) et le plus que fabuleux The Sweetest Girl, un faux reggae famélique avec l’orgue de Robert Wyatt qui baguenaude dans le fond, la plus belle chanson de Green Gartside et de Scritti Politti, une pure merveille de gauchiste même pas repenti.

P.-S. Non, la compilation C86 n'est pas mieux.


lundi 8 octobre 2018

Otis Redding ‎– The Dock Of The Bay (1968)



Ce spicilège destiné au marché français est sorti et ressorti pas loin de 11 fois. La première fois en 1968 sous étiquette Stax (numéro de catalogue 69009) et la dernière fois en 1986 sous étiquette Atco (numéro de catalogue 40 076). Ma version doit être celle-ci puisque j'ai acheté ce disque en août 1989 à la FNAC Lyon Bellecour pour la modique somme de 39 francs, ce qui doit faire 7€53 en tenant compte de l'érosion monétaire. Comme en toutes choses rien n'est jamais simple, il y a un autre spicilège de l'ami Otis qui porte exactement le même titre, mais qui est doté d'une tracklist totalement différente. Cet autre spicilège, qui n'est plus en ma possession, est sorti sous étiquette Volt (numéro de catalogue S 419) et si mes souvenirs ne me trahissent pas les titres ont été choisis par Steve Cropper. Des deux c'est certainement le plus émouvant.


mardi 2 octobre 2018

The Go-Betweens - Before Hollywood (1983)



N'ayant pas plus d'inspiration que ça et ne voulant surtout pas engendrer un hypothétique « débat » aujourd'hui je me contenterai de plus élémentaire factuel. L'album que vous pouvez entrapercevoir sur cette photographie est le deuxième des Go-Betweens un groupe de « rock indépendant » originaire de Brisbane en Australie. Il a été enregistré en octobre 1982 dans un Studio d'Eastbourne, une primesautière citée balnéaire située dans le Sussex en Angleterre, et manufacturé par John Brand un producteur multicarte ayant travaillé avec Magazine, Aztec Camera ou The Cult (on me signale qu'il aurait aussi mixé une petite chose d'Asia, ce grand groupe art-rock de dessous les fagots). Sans vouloir vous émoustiller plus que ça, je suis assez adepte des douches écossaises, je dirai de cet album qu'il est une très grande réussite et qu'il pourrait sans coup férir s'afficher tout en haut d'un solide Top 1983. Le single Cattle and Cane est en tous les cas une franche réussite que l'on peut réécouter 35 ans plus tard avec une pointe de satisfaction au creux de l'épigastre.
Le groupe était composé de Robert Forster - guitare et chant, Grant McLennan † - basse et chant et Lindy Morrison – batterie.