jeudi 30 novembre 2017

Psychogeographie indoor (79)



« C'est exactement ce que je ressens. Je ne retournerais pas à trente ou quarante ans pour tout l'or du monde et pas à vingt ans pour tout l'or de l'univers. Il est très agréable de vieillir. La diminution des forces physiques est un enchantement. C'est l'apprentissage de la mesure : l'eau qu'on est obligé de mettre dans son vin délivre le goût de l'habitude de la violence. Vient un moment où l'on jouit d'un milligramme, quand il fallait avant des tonnes. Comme il est grand alors le monde des délicatesses qu'on découvre… »

1.

1er juillet 2017.- Temps maussade, grande fraîcheur (16°C). Entre le 17 avril et le 6 juin 1900 Pierre Loti traverse la Perse du Sud au Nord (du golfe Persique, jusqu'à celui d'Enzeli sur la Caspienne). Ce voyage censément organisé par le ministère des Affaires étrangères (une hypothétique mission géographique et économique dans le sud de la Perse et en Afghanistan) ne sera, en fait, qu'un prétexte pour découvrir la beauté du pays et spécialement Ispahan en pleine saison des roses. Aujourd'hui, 117 ans plus tard, j’entame Vers Ispahan récit de ce périple publié en 1904. Loti est accompagné par Edmond Gueffier et quelques autochtones un peu chafouins, mais très beaux. Inutile de préciser que tout est épatant, forcément épatant. Des bords étouffants du Golf Persique au plateau d’altitude où est nichée Shiraz ce ne sont que tournants et précipices. Sur de vagues sentes et d'incertains escaliers on slalome entre les cadavres de mulets morts au champ d'honneur, le premier étage de la Perse se mérite : « Il est encore sur terre des lieux ignorant la vapeur, les usines, les fumées, les empressements, la ferraille. Et, de tous ces recoins du monde, épargnés par le fléau du progrès, c'est la Perse qui renferme les plus adorables, à nos yeux d'Européens, parce que les arbres, les plantes, les oiseaux et le printemps y paraissent tels que chez nous ; on s'y sent à peine dépaysé, mais plutôt revenu en arrière, dans le recul des âges. »

4 juillet 2017.- Ciel changeant, température idéale (25°C). Chez Loti des femmes en voile noir vont à la cueillette des roses, on fume le thé et on prend des sorbets à la neige. La nuit tombée, l'obscurité est diaphane… Tout cela ne m’empêche pas d'être morose.

6 juillet 2017.- Grande tiédeur, calme plat (36°C). Rien lu.

7 juillet 2017.- Chaleur caniculaire (38°C). Il y a des jours où tout semble se lier pour mieux vous escagasser. Aujourd’hui, en dehors de la chaleur quasiment insupportable et d'un labeur qui m'en veux de plus en plus, se fut une panne d'ordinateur et ce triste constat : avec toutes les variations de température qui nous assomment depuis une dizaine de jours mes plantations font grise mine. (Je ne dirai rien de ma valétudinaire somme diaristique, elle périclite et pour peu je l'abandonnerai au milieu du guet).
Quelques lignes tout de même, retour dans l'Usage du monde de Jean Follain, rien d'autre :

Les yeux enlevés des orbites
et remplacés par des pierres précieuses
courent aveugles les chevaux du radjab

8 juillet 2017.-Très grande moiteur (38°C). Vers Ispahan. Loti baguenaude sur des prairies qui autrefois, dans le temps, on connu des somptuosités sardanapalesques. Il entre dans Persépolis cette capitale en ruine où les amas de vieilles pierres ressemblent à des ossuaires d'antiques magnificences. Plus loin, plus tard, voilà des ravins, des cadavres de chevaux, d'ânes et de mulets, la route est périlleuse et le chemin assez rarement droit.

9 juillet 2017.- Quelques gouttes tièdes, rien de vraiment rafraîchissant (31°). à Ispahan Loti n'est pas bien accueilli. Il se réfugie chez un prince russe pour éviter d'être un tantinet lynché par la populace environnante. Il faut dire que le chiite de base n'est pas très accommodant avec le non-chiite.

10 juillet 2017.- Des orages, peu de désespoir (29°C-> 21°C). Trois poèmes de Jean Follain, une page de l'ami Cioran. Ce sera tout pour cette journée plus moite que l'« entrefesse » d'un sumotori.

13 juillet 2017.- Du soleil, de rares nuages, un peu de vent (28°C). Je m'ennuie solidement.

14 juillet 2017.- Ciel partiellement ensoleillé, vent léger (28°C). Je ne lis plus en extérieur depuis bientôt trois semaines. Il faut dire qu'en dehors du caniculaire mes voisins en font plus qu'à leur tour. Cris sans chuchotements, claquages de portes intempestifs, utilisation forcenée des technologies sans fil, musiques saumâtres, conversations téléphoniques encore plus saumâtres, allez vous concentrer ne serait ce qu'un petit peu avec un tel brouhaha au creux des ormeaux ! C'est donc en indoor que j'ai achevé le Vers Ispahan du mirliflore Loti. Cela n'a pas empêché la fin du voyage d'être en tout point remarquable. Les bords de la Caspienne sont très bien et Loti n'est jamais meilleur que dans ses récits de voyage. J’enchaîne avec le second tome des Mémoires de Guerre de Churchill paru chez Taillandier et traduit par François Kersaudy. Je ne risque pas d'être déçu, même en indoor.

15 juillet 2017.- Rares nuages, du vent, un peu de fraîcheur (26°C). Le voisinage n'étant pas trop là conditions lectorales enfin acceptables. J'ai donc posé mon séant sur ma chaise de jardin et hardiment continué la lecture des Mémoires de Guerre de l'ami Churchill. Oh il est certes toujours très margoulin, mais je ne crois pas que cela soit si grave que ça. L’essentiel est ailleurs… L'essentiel c'est cette clairvoyance, cet humour, cette ténacité… cette façon de s’accommoder avec l'histoire, la petite et la grande, sans vraiment la trahir plus que ça. Voilà donc la bêtise des Russes qui ne voient rien venir, Mossoul et Benghazi (drôle d'écho), Rommel – qu'il admire – et le désert. Des images pour ainsi dire littéraires, Belgrade  transformée en brasier, un cygne blessé qui clopine, les animaux échappés des cages fracassées du Jardin zoologique, un ours hébété qui descend vers le Danube d'un pas lent et maladroit : « il n'était pas le seul ours à ne rien y comprendre… »

16 juillet 2017.- Ciel bleu pâle, tiédeur (29°C). Lombalgie aiguë, me voilà incrusté dans mon canapé tel un Joë Bousquet de sous préfecture. Nonobstant, toujours chez l'ami Churchill, front russe et Pearl Harbour, me voilà bien.

17 juillet 2017.- Grande tiédeur (34°C). Assommé par les antalgiques. Moins de douleur mais des nausées, des vertiges… Malgré tout lu quelques chapitres de ce bon Winston. Une traversée épique de l'atlantique Nord à bord d'un hydravion, Roosevelt et sa chaise roulante, encore un type cloué par ses handicapes.

19 juillet 2017.- Vent chaud, l'orage n'est pas loin (29°C). Toujours le dos coincé (trois jours sur un canapé c'est trop… )
Ses mémoires de Guerre ont beau être formidables je me lasse un peu de l'ami Winston, j'ai besoin d'un shoot de pure littérature comme le toxicomane blafard a besoin d'un shoot d'héroïne base, c'est dire si le manque est là.
Pour répondre à mes tremblantes attentes j'ai ouvert un volume d'Henri Thomas, La Joie de cette vie, c'est un beau bloc de littérature qui n'offre rien pour le sevrage de l'amateur averti. Pour preuve ces quelques lignes :« Nous avons un corps, j'ai un corps comme le soleil est là dans le ciel, ni plus ni moins. Après la mort, mon corps sera une chose comme toutes les autres. Jusque-là, il est moi – qui ne suis pas comme les autres.»

20 juillet 2017.- Ciel changeant, quelques gouttes tièdes (28°C). La Joie de cette vie est l'un des derniers textes parus du vivant d'Henri Thomas. C'est une courte somme de considérations autobiographiques avec la mort qui pointe sur l'horizon. Rien d'affligé, pas de petite musique nostalgique, non rien de tout ça, plutôt le constat d'un type serein. (Le dos toujours bloqué je ne m'étendrai pas plus que ça).

21 juillet 2017.- Solides averses (24°C). Churchill traverse une nouvelle fois l'Atlantique. Il rencontre Roosevelt qui l'invite à tâter ses biceps, des biceps de lutteur. On discute de choses et d'autres (en gros la marche du Monde), on se ballade dans une voiture adaptée aux handicapes de Roosevelt (passage assez comique, il faut bien le dire), puis c'est assez vite tout, il faut retraverser l'Atlantique dans l'autre sens. Dans l'étroit passage conduisant au quai d'embarquement, un agent en civil est surpris en train de manipuler un pistolet. Il est désarmé, c'est un fou qui voulait trucider  ce bon Winston : « Les détraqués constituent un danger tout particulier pour les hommes d'État, car ils ne se soucient pas de la manière de prendre la fuite une fois leur forfait accompli.»
Je fais mes valises, demain départ pour la Corse.

30 juillet 2017.- Congés. Orages et grêlons, mes plantations ne sont pas au mieux (28°). Retour de Corse, île qui n'aura finalement pas trop changé depuis ma dernière visite il y a déjà trente-cinq ans. Horizons toujours splendides, côtes déchiquetées, hautes montagnes d’où s’élèvent de gros nuages noirâtres accouchés par de tristes pyromanes en goguette. Veaux, vaches, cochons… sauvages. Aux terrasses des estaminets de bord de mer, des quadragénaires, des quinquagénaires, des sexagénaires qui ne semblent pas trop s'en faire, des graffitis autonomistes délavés et des types en tee-shirt noir qui vous regardent de biais (principalement à Corté, petite cité antipathique en bien), des « villas de stars » comme s'il en pleuvait, pour tout dire peu d'inquiétude et encore moins de velléités macronistes dans l'air.

31 juillet 2017.- Congés. Tiédeur, grande tiédeur (35°C). Je lis Diable rouge de Joe R. Lansdale, c'est un polar texan assez éloigné de la littérature lactescente, mais il offre l'avantage d'être très drôle tout en se lisant d'une traite comme on boit un litre de Dr Pepper d'une traite par temps caniculaire. Dialogues capricants et scatologiques à tous les étages. L'intrigue est incontestablement poussive, mais on s'en fiche totalement puisqu'en l’occurrence le « cool » et le « déjanté » sont amplement suffisants.

1er août 2017.- Ciel couvert et sirocco, températures sahariennes (36°C). Ma lombalgie passe du côté gauche au côté droit, la douleur est un peu différente, c'est amusant.
Dans le polar de Joe R. Lansdale le Texas n'a rien de torride, il y fait des températures avoisinant les moins dix degrés, c'est un peu rafraîchissant (pour le reste, c'est un livre souvent drôle et le style est diablement relâché).



2.

2 août 2017.- Ciel gris jaune, chaleur scandaleuse (37°C). La lecture ne m'apportant plus la moindre félicité ce vague journal s'effiloche dans le manque d'intérêt. Je le continue uniquement parce qu'il faut savoir rester métronomique. Malgré ces mornes considérations, j'entame Le Planteur de Malata, une longue nouvelle de Joseph Conrad dont on me dit le plus grand bien, mais qui, pour l'instant, ne me sort pas de ma gangue de léthargie.

4 août 2017.- Légère baisse de la température extérieure (32°C). Plus qu'une longue nouvelle émouvante le Planteur de Malata est surtout une merveille formelle où Conrad est pour ainsi dire maître de tous ses effets. Pas une phrase, pas un mot, pas une virgule ne semblent là par hasard… Et pourtant : « Rendre des sentiments à un moment crucial en termes de parole humaine est réellement une tâche impossible. Les mots écrits ne peuvent former qu’une sorte de traduction. Et s’il arrive que cette traduction, par manque d’habileté ou excès d’inquiétude, soit trop littérale, les gens pris dans les rets de la passion, au lieu de se révéler, ce qui serait de l’art, sont présentés d’une manière telle qu’ils se trahissent eux-mêmes, ce qui n’est ni l’art ni la vie. Ni pourtant la vérité ! En tout cas, pas toute la vérité ; car c’est la vérité dépouillée de toutes les réserves et les qualifications nécessaires et empreintes de compassion qui lui donnent sa belle forme, ses justes proportions, son apparence d’appartenance à la communauté humaine. Assurément, la tâche du traducteur des passions en paroles peut être jugée  trop difficile »

5 août 2017.- Humidité relative, rares averses (32°C). Chruchill n'était pas si pantouflard que ça, dans ses Mémoires de Guerre il passe beaucoup de temps au lit, mais il en passe encore plus dans des aéroplanes aléatoires qui l'emmènent un peu partout : Le Caire, Casablanca, Moscou, Washington… N'en jetez plus ! Tout cela est bien aventureux et ne manque pas de courage. Encore plus aventureux la rencontre de Gaulle/Giraud qu'il organisa à Casablanca. Les deux généraux se serrent mollement la main tout en se marchant réciproquement sur les pieds. Le plus grand des deux tirera un peu mieux les marrons du feu, mais c'est une autre histoire (je ne parlerai pas de l'Amiral Darlan, allié malencontreux et grand bonhomme problématique…)

6 août 2017.- Belle journée, température idéale (26°C). On retrouve le cadavre d'un jeune polonais sans histoire, il flottille dans le lit d’une rivière, près de Woclaw. Mains liées corde au cou. Le type semble avoir été torturé avant qu'une bonne pâte ne le jette adroitement à l’eau. La police mène une courte enquête qui ne donne rien et l'affaire est assez vite classée sans suite. Quelques années plus tard un détective perspicace fait ressortir tout le toutim de l’oubli en constatant que plusieurs éléments du crime semblent en tous points identiques à ceux d'un roman un poil scandaleux et vaguement nietzschéen publié par un quidam incertain. Voilà la trame d’Un crime parfait. Écrit par David Grann pour le New Yorker et publié en français chez Allia c'est un vrai faux reportage dans les pas de Truman Capote. On y convoque Wittgenstein, Nietzsche, Foucault et Derrida, le récit factuel du policier s'oppose aux calembredaines postmodernistes du meurtrier, c'est un assez bon petit livre, qui se lit en moins d'une heure - pas plus de 80 pages -, il aura fait ma journée.

Par ailleurs, profité de la baisse des températures pour tailler ma haie, il y avait urgence…

Demain, labeur, sans le moindre entrain macroniste.


7 août 2017.- Labeur. Tiédeur, encore (32°C). Je me délite.

8 août 2017.- Labeur. Averses, chute vertigineuse de la température extérieure (20°C). Mon corps est en trop, il faudrait que je sache m'en débarrasser. Je vais commencer par l’éplucher comme on épluche un fruit, c'est un début.

9 août 2017.- Ciel changeant, fraîcheur, la température ne se fixe pas là  où elle devrait se fixer (20°C). Éruption cutanée, démangeaisons tous azimuts, me voilà comme une forêt en feu. Dans ces conditions, rien lu.
Nouvelles acquisitions : Patrick Mauries – Quelques cafés italiens, Jacques Réda- Autoportraits, Joseph & Elizabeth Pernell – L'Italie à vélocipède (le tout pour 8 €).

11 août 2017.- Ciel automnal, température idoine. J’entame Variations sur le réel un court opuscule – malheureusement massicoté par la descendance Corti – où Georges Picard fluctue autour de cet « objet » impossible à penser qu'est le réel. Philosophie, poésie, humour, pour seules armes… Le thème abordé pourrait être inquiétant – on en a soupé du réel – mais comme Picard déçoit rarement, je ne pense pas prendre un grand risque…

12 août 2017.- Matinée fraîche et nuageuse. Plus tard, aux alentours de 16h00, improbable retour de l'été. Ciel IKB et tiédeur latente, curieuse oscillation (16°C → 24°C). Still sick. Je n'écris plus, je ne chante plus, je vis comme une plante verte souffreteuse. Fini le court opuscule de Georges Picard, ce n'est pas son meilleur - son livre sur la bêtise, la sienne celle des autres, est très bien - mais on y apprend tout de même comment peler une pierre et comment lorsque l'on additionne tous les bruits de l'univers, on obtient le silence, c'est à dire TOUT.

13 août 2017.- Ciel plutôt nuageux (26°C). Je n'ai jamais aimé les mois d’août, le soleil est trop bas, les jours raccourcissent et l'ambiance est plus souvent lourde que sautillante, pour un peu Octobre serait mieux, c'est vous dire…
Fini la Joie de cette vie d'Henri Thomas. Pas un livre si joyeux que ça, c'est même tout l'inverse tant il parfois cendreux et déprimant. Cela dit certaines phrases, certains paragraphes saisissent sans que l'on ne trouve rien à y redire : «  Il y a des heures, il y a des jours, il y a peut-être un âge, où les gouttes de pluie glissant sur les vitres, et leur petit bruit, sont plus intéressants pour l'homme couché que les lignes du livre gisant là. Elles le mènent plus loin – il ne sait où – elles l'arrêtent, il ne sait, et voudrait vainement savoir – en quel domaine universel. »
Le Thomas refermé j’entame sans plus attendre les Terrasses de l'Ile d'Elbe. C'est une chrestomathie où sont rassemblés quelques-uns des écrits journalistiques de Jean Giono. Nostalgique des allumettes il s'emballe contre le briquet, son essence, ses pierres qu'il faut changer, cette modernité qu'il faut supporter alors que hein à quoi bon ? D'aucuns trouveront tout cela un brin réactionnaire, ce n'est pas mon cas, Giono est des miens.

15 août 2017.- Repos. Clouds and warmth (31°C). Social life. Drunk a little too much, not read.

16 août 2017.- Labeur. Temps morne et vaguement tiède, le mois d’août en somme (30°C). Trop de labeur : fatigue. Rien lu.

17 août 2017.- Labeur. Chaleur bilieuse (31°C). Ouvert les Terrasses de l’île d'Elbe de l'ami Giono. Incapable de lire plus de trois lignes sans piquer de l'appendice nasal, Le texte du plus pacifiste des Manosquins n'est pas en cause, rapport à quelques menus tracas de santé je prends des antihistaminiques depuis plus d'une semaine et l'accumulation étant ce qu'elle se trouve être je ne suis plus qu'une serpillière somnolente.
Rien (ou presque) : Bien au-delà des rapports humains, de ce genre de choses, je voudrais être une entité portée pas la sensation, rien de plus.


3.

8 août 2017.- Orages (22°C → 32°C → 21°C). Thierry Laget est auvergnat, comme mon grand-père maternel, Alexandre Vialatte et Valery Larbaud, il ne peut donc être mauvais. De surcroît, il a édité Proust dans la pléiade ce qui pose son auvergnat. J’entame Province un mince volume paru chez l'Arbre Vengeur (éditeur toujours impeccable bien que quasi bordelais). Le début me convient déjà tout à fait. Il est question de billard électrique - sport de voyou s'il en est - d'une vielle et d'un verre de limonade ; tout pour réjouir le lecteur, rien pour le décevoir.

Attentat à Barcelone, 14 morts, on se familiarise avec la sombre et métronomique litanie des bilans, c'est là, aussi, la victoire du pire.

19 août 2017.- Rares nuages, température parfaite (25°C). Profitant de bonnes conditions lectorales – météo plaisante et voisins absents – je me suis risqué à poursuivre la lecture du Provinces de Thierry Laget en extérieur. Bien m'en a pris, ma chaise de jardin était confortable et le livre s'est révélé bien à mon goût. Oh rien de magistral, rien pour soulever le lecteur vers les saintes extases, non un livre plutôt délicat avec des phrases plus délicieuses que transcendantes (ce qui est parfois préférable). Laget est un bon tisseur de souvenirs, mais il n'a pas la mémoire tristounette, disons qu'avec lui nous fluctuons davantage dans des fragrances proustiennes qu'ailleurs. Il est aussi très malin, pour preuve il y a cet « épisode », où Il se fait passer pour une acheteur potentiel et visite la villa de son enfance, il se souvient en contrebande sans « petite musique » et nostalgie contrite. Plus loin il est question d'un séjour linguistique en Angleterre, de quelques embrassades avec trois filles au fin fond d'un bus qui se déplace vers Brighton… J'en suis là.
Je vous laisse, l'un de mes voisins vient d'ouvrir l'une de ses fenêtres en grand, et comme il joue une vague mélopée de Charles Aznavour sur un violon désaccordé, vous conviendrez que les conditions lectorales ne sont soudainement plus optimales.

20 août 2017.- Ciel bleu clair, vent modéré, température « tenable », que demander de plus ? (26°C). Loin de moi l'idée de vouloir vous faire partager mes avis pénétrants sur la littérature de haut vol, mais je dois tout de même vous signaler que les Terrasses de l’île d'Elbe de l'ami Giono sont éminemment fréquentables. Rien d’éthéré, rien de lactescent, encore moins de caillé, non les simples opinions d'un homme qui sur sa fin se contente de courtes chroniques écrites au débotté, mais toujours à la main. Les esprits chagrins (et engagés, forcément engagés…) trouveront le tout assez réactionnaire, ils auront peut-être raison, après tout on s'en fiche. Giono n'est pas un moderne, il n'aime pas les stades remplis de foules bêlantes, les automobiles, les téléviseurs, les machines diverses et variés, toutes ces fariboles innovantes qui font flores dans la France du début des années soixante. Pas un moderne donc, non seulement un quidam encore un peu vibrant qui constate que l'humain, déserte à petits feux le monde qui l'entoure, c'est déjà ça et c'est un constat qui s'il est un peu triste ne peut pas se réfuter.

21 août 2017.- Soleil (27°C). Morose, labeur, rien lu.

22 aout 2017.- No sea, no sex, but sun (31°C). Ces quelques mots d'Alexandre Blok (repérés dans les Cahiers de Cioran) : « Le naufrage du Titanic m'a réjoui hier indiciblement : il y a donc encore l'océan » (Journal, 15 avril 1912).

25 août 2017.- Vent saharien, touffeur inconvenante (35°C). Tout juste marié un couple de jeunes américains, Elizabeth et Joseph Pennell prend la drôle d'idée de rallier Florence à Rome en tricycle. Nous sommes en 1884 et ce vélocipède-là (le tricycle donc) est diablement à la mode chez les gens qui savent (il se murmure que la reine Victoria, elle-même, possédait un cripper de chez Humber), mais de là à vouloir risquer trois roues sur les routes italiennes infestées par les bandits de grand chemin et une malaria plus que fureteuse, il n'y a qu'un pas que les tout frais époux Pennell n'hésitent pourtant pas à franchir. Il faut dire que ce couple n'est pas n'importe quel couple, Joseph est un caricaturiste de talent tandis qu'Elizabeth est une critique d'art reconnue. Leur voyage n'aura donc pas qu'une visée sportive, il y sera question de l'Antiquité et de la Renaissance, de la culture du « vieux continent », de Trollope et Hawthorne heureux devanciers.
L’Italie à vélocipède que j’entame aujourd’hui, raconte ce périple en moins de cent cinquante pages, Elizabeth s'occupe des mots, Joseph des illustrations. C'est un délicieux petit livre, il faut dire que l'Italie est toujours délicieuse à traverser, les autochtones ne sont pas si farouches que ça, la nourriture est exquise, les routes capricantes et les paysages splendides, que demander de plus ?

27 août 2017.- Ciel gris suicide, chaleur indécente (35°C). Goethe était un peu compliqué, ainsi à Assise il ne visita que le vieux temple romain de Minerve, refusant de voir les autres monuments de la ville par crainte d'être déçu par ceux-ci (une fugace déception gâche parfois un plaisir plus global). Elizabeth et Joseph Pennell sont moins compliqués, à Assise ils visitent tout avec un bonheur égal : l'obscure basilique inférieure avec ses anges et ses saints de Giotto, sa faible lumière, ses couleurs voilées et l'odeur entêtante de l'encens ; la basilique supérieure, ses nefs élancées, ses fresques et vitraux ; le Duomo, les rues calmes et désertes où le jeune saint François se pavanait en chantant des chansons d'amour… Outre Assise le couple Pennell visite Sienne, San Gimignano (et ses fameuses tours que j'avais presque oubliées), Montepulciano, Pérouse… Le voyage est plein d'aventures, le tricycle dévale les descentes à des vitesses hallucinantes (imaginez plus de 30 km/h!), les montées sont plus calmes, mais plus sportives, on passe à côté des cascades de Terni sans même les voir, le dôme d'une grande basilique pointe son mamelon sur l'horizon, Rome est bientôt là et le livre est déjà fini, il était très bien.

28 août 2017.- Long hot summer (33°C). Je tombe en poussière, je vire au morne agrégat, au tas de molécules, au couple d'atomes divisé, bientôt je ne serais plus rien, même pas un souvenir.
Rien lu.

31 août 2017.- Labeur. Averses, considérable baisse des températures (16°C). Vingt degrés évaporés en quelques heures, devant ce yoyo climatique notre corps n'est plus qu'une guenille sans charme. Rien lu.

1er septembre 2017.- Labeur. Ciel bleu pâle, vent léger, température idéale (23°C). Retour sur les terrasses de l'île d’Elbe. Giono, le progrès, le bonheur : «  La notion de progrès est une vue de l'esprit, elle n'existe pas dans la nature. Au surplus, que signifie progresser, si c'est progresser uniquement pour progresser, et s'il n'y a pas quelque part dans ce progrès un palier, un sommet, un arrêt (qui serait par exemple le bonheur), au-delà duquel il serait inutile – ou impossible – de progresser. »
D'autre part, comme toutes les années dès que septembre pointe le bout de son museau, lilliputien barnum de la rentrée littéraire. Rien de vraiment intrigant ; le pavé que Philippe Jaenada consacre à l'impeccable Georges Arnaud, peut-être ?


To be continued.