lundi 12 juin 2017

Psychogeographie indoor (76)



Pour l'enfant, amoureux de cartes et d'estampes,
L'univers est égal à son vaste appétit.
Ah ! que le monde est grand à la clarté des lampes ;
Aux yeux du souvenir que le monde est petit !


1.

6 février 2017.- Nuages (7°C). Le labeur contraint et forcé, le Monde et son grand fatras, tout cela m’assomme, il faudrait pouvoir faire sans. 
Nevertheless : 3 poèmes de Jean Follain (17H43)

7 février 2017.- Temps maussade (7°C). Incapable d'écrire plus de deux lignes qui tiennent un peu. Suis-je demeuré ? Jugez sur pièces…
Le bouquin d'Alain Gerber est pour l'instant très bien. Ce n'est pas une biographie stricto sensu, mais plutôt une évocation achronologique et un brin parnassienne de Lester Young, de son art, et de sa vie chiffonnée. Gerber part de quelques enregistrements mythiques et il brode sa petite affaire par dessus. Rien de linéaire donc, mais plutôt quelque chose de fluctuant, de joliment maniéré et pour tout dire quelque chose de presque jazzy (hou le vilain mot !). Rassurez-vous la méthode de Gerber, que d'aucuns trouveront précieuse, ne l’empêche pas d'être factuel quand il le faut et les éléments biographiques sont bien là, un peu dans les limbes, mais bien là. Voilà donc le Pres cette « sirène jouant dans le brouillard », sa nonchalance, ce chapeau si singulier, l'alcool, la neurasthénie, l’anorexie, les jams qui n'en finissent jamais, Lady Day et l'histoire du jazz presque tout entière, voilà aussi des types que l'on est pas prêt d'oublier : Coleman Hawkins, Herschel Evans, Count Basie et son orchestre brinquebalant…

11 février 2017.- Matinée ensoleillée, ce qui ne fut pas le cas d'un après-midi globalement patibulaire (11°C). Travaillé nuitamment, en conséquence réveil tardif et journée plus cotonneuse que sautillante, beaucoup de mal à ne pas piquer du nez, beaucoup de mal à pouvoir lire quoi que ce soit. Malgré tout, et à l'alternat, tenté de décrypter quelques lexies chez Laurence Sterne et Alain Gerber. Comme je le craignais il y a quelques jours mon Tristram Shandy est à coup sûr traduit trop moderne pour être congru, quant au Lester Young de Gerber il ne se prive pas d'être très bien, je me suis donc principalement rabattu sur lui puisque je ne suis pas assez masochiste pour m’ennuyer dans de l'interprétatif moderniste en dormant déjà à moitié. Chez Gerber, bonne confiture et bon brouillard, ce brouillard élément constitutif de Lester Young, un type qui s’évanouit, qui s'effiloche pour mieux sonner comme une corne de brume, son vibrato qui n'est plus que ce qui reste du vibrato quand on a tout oublié de la fatalité du vibrato, ce couple platonique et chiffonné qu'il fît avec Lady Day, de la brume sur du brouillard.

12 février 2017.- Quasi beau temps, douceur (16°C). Still with Lester Young : « Le génie de Lester Young tient pour une large part à son lyrisme — paradoxal lui aussi, puisqu'il traduit une sorte d'exubérance désespérée ou de mélancolie euphorique, comme si la nostalgie pouvait être constructive et le passéisme futuriste. Mais il révèle aussi de son aptitude à conjurer l'excitation (voir la frénésie) et l'insolence (voire l'assoupissement), au point qu'il devient impossible de les distinguer.» Nothing else, not in the mood..

13 février 2017.- Ciel fluctuant (13°C). Trop assommé par le labeur pour espérer lire vraiment. Me suis contenté de fragmenté. Un chapitre de Laurence Sterne – qui apostrophe toujours son lecteur avec une bonhomie un poil retorse – deux pages du journal de l'ami Beyle – Milan, le 15 septembre 1811 (écrit le 11 septembre) – trois poèmes de Jean Follain – mon volume est bientôt fini – cinq paragraphes du Lester Young d'Alain Gerber (creuser autour de ces producteurs juifs originaires d’Europe centrale qui auront aussi « fait » le jazz : Norman Granz, Alfred Lion, Francis Wolff , Herb Abramson, Bob Weinstock, Max & Sol Weiss…)

14 février 2017.- Good weather, spring flavor (16°C). More down than up, shortly spent reading, a little of Tristram Shandy and Beyle diary, no more.

16 février 2017.- Soleil et douceur (16°C). Digressions à califourchon et « lecteur complice », je suis chez Laurence Sterne - vous savez ce type qui dynamita le roman avant que celui-ci ne naisse vraiment. Voilà un tour de force comme on en rencontre peu.
Par ailleurs – et tout le monde va s'en fiche - nouvelles lunettes, je vois et je lis mieux, mais elles m’irritent le haut du nez, il faut savoir souffrir.
Rien (ou presque) : Constatons simplement que le chauve est le plus souvent circonspect lorsque devant un miroir, il se scrute glabre de la boite à encéphale

18 février 2017.- Météo parfaite, encore un peu fraîche, mais avec quelque chose du printemps avant l’heure légale (12°C). Après deux trois occupations d’ordre plus ou moins domestique et quelques pas dans les extérieurs – il faisait si beau aujourd’hui – je me suis risqué à entamer le nouvel opus de Denis Grozdanovitch. C'est un enrouleur de lexies que j'apprécie assez, l'un des rares vrais autodidactes du secteur, et je dois dire que ses livres me ravissent presque toujours, ce qui n'est pas le cas de tout le monde. Dans son nouveau il vironne autour de la bêtise et de son génie afférent. Évidemment, il y a de la matière tant la bêtise est si partagée et pleine de variantes. À son habitude — et en bon self-made-man que les gens qui savent regardent de biais — Grozdanovitch évite le lourd pensum analytique pour mieux être dans le synthétique, le senti plus que le réfléchi. Son bouquin rassemble une somme d’anecdotes, de digressions, de citations, qui partent un peu dans tous les sens. Je parlerai + tard du fond, sachez simplement qu'il ne faut rien avoir contre la bêtise, bien au contraire.

19 février 2017.- Du soleil (15°C). Première sieste de l'année en extérieur, heureuse narcolepsie face au soleil, ma chaise de jardin est toujours une source de tranquilles bénéfices. L'ombre là suis rentré dans mon petit intérieur où, sur un canapé écru qui se trouve être le mien j'ai poursuivi la lecture du Génie de la bêtise de Denis Grozdanoitch. Bon petit livre, comme on dit, rien de foudroyant, mais d'heureuses fluctuations autour des diverses formes de la bêtise : la sottise, l'idiotie, l’imbécillité congénitale, mais aussi la bêtise des intellectuels (la bêtise vient toujours revendiquer sa part dans la constitution de l’intelligence). Pour échafauder sa petite entreprise Grozdanoitch use de citations et d'histoires plus ou moins croquignolettes, ainsi sous sa plume on croise un fantôme stupide, un joueur d'échecs qui refait toujours la même erreur, un aviateur déçu qui s'envole sur son canapé, des robots joueurs de foot et quelques anecdotes talmudiques pas piquées des hannetons.

20 février 2017.- Belle matinée puis une armée de nuages plus ou moins patibulaires (14°C). On monte un échafaudage dans ma rue, encore une façade à ravaler et du bruit corrélatif. Mais qu'on laisse les choses s'écrouler une bonne fois pour toutes !
Rien lu, ou presque, deux poèmes de Jean Follain, très bien, as usual.

21 février 2017.- Des nuages (13°C). Encombré par deux, trois menus tracas de santé dont je vous épargnerai les détails. Slight return in Stendhal diary. Le 20 septembre 1811, l'ami Beyle est d'un bonheur sombre, un bonheur italien, bien « éloigné de la vie facile du sanguin ». Plus loin le Français est vif, et non pas gai, tandis que l'Italien est mélancolique, mais tendre. Enough for today (ma mine – 2H – se casse).

23 février 2017.- Soleil voilé (19°C). Trop accaparé pour espérer être vraiment avec les mots. Nonobstant, et malgré tout, lu quatre pages des Cahiers de l'ami Cioran.
Demain matin, intervention chirurgicale bénigne. Je me prépare avec toute l'application requise par les autorités médicales.

24 février 2017.- Convalescent. Météo se dégradant tout au long de la journée. Nous serons passés d'un beau ciel bleu à une sorte d'infâme brouet grisâtre caressé par un vil vent aigrelet (10°C) . Ce matin : opération. Le chirurgien me demandant ce que je « voulais écouter comme musique » pendant notre petite affaire commune – je n'étais pas entièrement endormi – j'ai choisi une bande du Miles Davis tardif, ce Miles Davis un peu trop mainstream pour être honnête, mais là il aura très bien rempli son office (J’imagine que l'on tente de déstresser les opérés en leur faisait écouter quelques aubades de leur choix). Les progrès de la médecine étant ce qu'ils sont, je suis déjà rentré dans mon petit intérieur où allongé sur mon canapé écru je continue de traquer la bêtise avec Denis Grozdanovitch sur mon épaule. Mine de rien, ce faux vrai tennisman repenti dézingue à tout va. Après l'ami Cioran – dans un précédent opus –, c'est au tour de Paul Valery, Clement Rosset ou Giorgio Agamben d'en prendre pour leurs grades respectifs. Voilà de parfaits imbéciles…

25 février 2017.- Beau temps frais (9°C). Le livre de Grozdadovitch c'est un peu la revanche de l'autodidacte sur l'université, les doctorants de tous poils et en règle générale les « gens qui savent ». Rien de vraiment articulé (l'université s'offusque !), que du synthétique décousu par les digressions mousseuses et les citations bondissantes, ce côté « trop-plein » de l'autodidacte aussi. Faut-il s'en plaindre ?

26 février 2017.- Belles éclaircies (13°C). Je me remets assez bien de mon intervention chirurgicale, une infirmière vient me voir à heures fixes, elle me pique dans le ventre puis elle s'en va en sifflotant. Par ailleurs, fini le livre de Denis Grozdanovitch, ce n'est pas son meilleur, mais il n'est tout de même pas si mal que ça. En dehors de traquer la bêtise dans les hautes sphères intellectuelles (réjouissant dézingage d'Edward Bond) c'est aussi un livre parfois un tantinet antimoderne, un peu aigrelet, mais en bien, où la « décence commune » de l'ami Orwell semble être un fil à linge directeur sous-tendu sous la lune du contemporain. Il y a de pires références.



2.

27 février 2017.- Vent violent (13°C). Toujours convalescent. J'ai droit à ma petite piqûre quotidienne, je suis ravi.
Lu un beau panégyrique de Charles Albert Cingria par Jacques Chessex, rien d'autre : « Qu'importe le départ ? Tout lieu est bon puisque Dieu règne et qu'il y aura encore des bibliothèques, des nourritures, de la chaleur. Charles-Albert Cingria est partout chez lui dans ses terres d'élection. Il va de couvent en château, de bourg en oratoire, saluant, se liant, s'émerveillant, reparti bientôt sur la route profonde. Tel il apparaît aux lecteurs de ma génération : un homme libre, et sans cesse un parfait écrivain.»  

28 février 2017.- Trop de vent (9°C). Tout autour de moi on ravale des façades, on perce on creuse, on bétonne à qui mieux mieux, au loin un mouflet piaille ostensiblement, j’attends ma petite piqûre quotidienne sans inquiétude, mais je dis dire que les temps sont moroses.
Rien lu aujourd’hui, pour la suite de mes pérégrinations lectorales j'envisage entamer assez vite le Motel du Voyeur de Guy Talese, c'est une « fiction non narrative » qui me fait de l’œil depuis quelques jours et pour tout dire je l'envisage assez bien.

3 mars 2017.- Vent (42km/h), douceur (16°C). En janvier 1980, Gay Tales reçoit une lettre anonyme un poil intrigante. Dans cette lettre un drôle de type, lui confie avoir acquis un motel dans les environs de Denver dans le seul et unique but de le transformer en « laboratoire d'observation ».
Avec la complicité de son épouse, un peu tordue elle aussi, notre drôle de type aurait découpé dans le plafond d'une douzaine de ses chichiteuses chambres quelques orifices rectangulaires lui permettant de voir sans être vu. Ce stratagème matois, aurait duré plusieurs décennies et notre olibrius scribe de sa propre perversité aurait noté le moindre détail de ses observations dans une multitude de carnets. Gay Talese intrigué par tout ce barnum et la « matière » qu'il y a à en tirer choisit de rencontrer son correspondant qui ne restera pas longtemps anonyme. J'en suis là. (Fiction non narrative ? Fiction tout court ? Affabulation ? )

4 mars 2017.- Pluie et vent, le temps des giboulées approche (8°C). Le Motel du Voyeur est un livre qui réjouit le lecteur tout en le laissant avec le fessier entre deux rhododendrons. Le lecteur est ravi par une kyrielle d'histoires sexuelles plus glutineuses les unes que les autres, mais il est aussi perturbé par elles. Il faut dire que le lecteur ne s'estime que très relativement pervers, c'est peut-être ce qui pose problème cette perversité confinée en lui et qui affleure au fil de sa lecture. Le voyeur lui, ce mémorialiste de ses propres perversités même pas enfouies, raconte toutes ses histoires sans la moindre culpabilité, il la laisse à son lecteur. Voilà donc des couples adultérins dévoyés à foison, de lourds seins blancs avec de larges aréoles brunes, un jeune gandin déguisé en chèvre qui se laisse « enfiler » par un ami de passage, des types qui pissent dans les lavabos, des éjaculations qui finissent dans le plafond. Pour vous donner une idée de tout ça, voilà un extrait certes un peu long, mais diablement explicite : « Sur la plateforme d’observation, en cette soirée de l’automne 1976, le Voyeur se masturbe en regardant une femme blanche quasiment s’étouffer parce que le pénis noir de son amant est trop gros pour sa bouche. Mais elle persiste à prodiguer une fellation à son partenaire, léchant son pénis sur un côté, puis l’autre, et, soudainement, au moment où il commence à éjaculer, elle ouvre sa bouche en grand et regarde le sperme de ce Noir jaillir à 70 centimètres ou un mètre de hauteur en direction de la grille d’aération. Exactement au même moment que l’homme noir, le Voyeur a lui aussi un orgasme dans le grenier. Le Voyeur projette une première giclée de sperme sur la grille, qui se met alors à goutter au-dessus du pied du lit.Toujours agrippée à l’extrémité du lit, la femme aperçoit des taches de sperme sur le couvre-lit. Elle lève les yeux, voit le sperme qui goutte de la grille d’aération et dit à son partenaire : “Bon sang, tu as craché depuis l’autre côté du lit jusqu’à la bouche de ventilation.” Elle se met alors debout sur le lit et passe un doigt sur la grille. Puis elle le met dans sa bouche. “Oui, dit-elle, c’est bien ton goût.”Et le Voyeur regarda en silence la femme goûter le sperme, le sien. »

5 mars 2017.- Nuages et fraîcheur (8°C). L'activité de voyeur n'est pas de tout repos, il y a des risques à encourir, on peut être surpris à tout moment. Il y également quelques dilemmes moraux qui peuvent vous remonter le long de la conscience. Que faire lorsque l'on assiste à un crime, un meurtre par exemple ? C'est ce qui arrive à Gerald Foos, le voyeur de Guy Talese. Pendant l'une de ses petites expériences scrutatrices, il voit un amant ronchon ostensiblement trucider une fille et il laisse faire les choses comme si elles n'étaient que l’ élément le moins charmant d'un mauvais rêve. Presque aucune culpabilité chez lui, non simplement une courte gêne qui le pince un peu, et bien vite son train train d’observateur patenté qui repart. Talese à bien des doutes sur cette histoire-là, il n'y a aucune trace de meurtre dans les registres de la police, son voyeur pourrait donc tout autant affabulateur que voyeur. La fin du livre pose quelques questions de type «vérités et mensonges », elle pose aussi quelque question sur une société qui si elle punit toujours un peu, surveille surtout de plus en plus :« Il avait commencé tôt dans son enfance en s’agenouillant sous le rebord des fenêtres, puis, un demi-siècle plus tard, il avait pris sa retraite d’une vie penchée au-dessus de ses grilles d’aération, pour finalement vivre dans une société surveillée à chaque coin de rue par des caméras, des drones, et les yeux de la National Security Agency. Comme voyeur, Gerald Foos était désormais passé de mode. »

6 mars 2017.- Tempête, arbres déracinés, volets, tuiles et poubelles envolées, encore un coup de la « gauche » : certainement (10°C). Entre deux bourrasques, trois poèmes de Jean Follain. Nient'altro.

9 mars 2017.- RIEN.

10 mars 2017.- Météo printanière, tellement printanière que le chauffage de mon petit intérieur s'est mis en pause. Il m'a donc fallu me risquer dans les extérieurs pour réchauffer un tantinet ma molle enveloppe charnelle. Je dois avouer avoir tiré quelques bénéfices de cet exercice, le soleil était bas, mais bien là et sans une petite douleur me montant le long du mollet droit je n'aurais pas regagné mes pénates. (17°C). En dehors de la météorologie, je poursuis toujours la relecture du Journal d'un Manœuvre de Thierry Metz, pas plus de trois pages par jours, mais un intérêt toujours tenace. À l'alternat, j'ai entamé le premier volume des Carnets de notes de Pierre Bergougnioux. Rien de vraiment sybarite, mais au bout de dix pages je suis déjà en territoire connu, je comprends le bergougnioux comme l'on pourrait comprendre un idiome pas si éloigné de soi-même.

11 mars 2017.- Beau soleil, presque hors de saison (19°C). Conditions lectorales optimales, peu de bruit parasites, tout juste quelques oiseaux discrets, une quasi-tiédeur, que demander de plus ? Fini le Journal d’un manœuvre de Thierry Metz. Toujours aussi beau et triste avec cette infinie bataille entre lourd et léger, cette mort qui rôde plus qu'elle ne devrait autour d'un type qui sera trop vite rattrapé par elle (le texte est constamment soulevé par cette prescience là). En parlant de mots et de mort, lu Une île ici qui me semble être le dernier texte paru du vivant de Jean Claude Pirotte. Dans les pas de Guillevic ou de George Perros, simple poésie coupante, poésie qui évite le poétique comme la peste : l'écoute des années / n’a plus de raison d’être / je file comme on dit / le plus mauvais coton / et l’île me regarde / débattre de moi-même / ainsi suis-je navré.
Plus tard, le soleil baissant, suis retourné dans l'Art de la contradiction de Jean Paulhan. Circonvolutions éclairées autour de la terreur et de la rhétorique, solutions plus étranges que les problèmes… Je dois dire que les mots de Paulhan se sont vite dérobés sous mes yeux et que je me suis retrouvé somnolent sur ma chaise de jardin entièdie. Demain je ne compte pas entamer un nouveau volume, je retournerai sans doute dans les Essais de Philippe Muray et si je trouve un soupçon de courage j'irai peut-être aussi faire un tour dans le Tristram Shandy de l'ami Sterne.

12 mars 2017.- Ciel changeant (16°C). Journée molle, presque légumineuse. Bref retour dans les papiers d'un Philippe Muray qui sautille sur le cadavre encore chaud de la momie Mitterand avec un sourire sardonique. Sachant que Muray aura écrit une bonne palanquée d'articles pour Globe, l'organe officiel de la tontonphilie, cela ne manque pas de sel.
Un chapitre de Tristram Shandy sur lequel je me suis endormi.

13 mars 2017.- Good weather (19°C). Le 5 mars 1964, Emil Cioran se dispute avec un commerçant à propos d'une bouteille de gaz butane. Il le menace, se met dans une telle fureur qu'il ne peut plus parler. Il hurle, tremble et n'arrive même plus à se regarder. Il ne « réalise » plus son état à l'inverse de ses colères ordinaires où il se voit s'emporter. Le 23 décembre 1980, Pierre Bergounioux traverse le plateau des Millevaches par un épais brouillard. Au bord de la route des « bourrelets de neige » ». Mais il fait doux… Le 21 septembre 1811 Stendhal est à Milan. Il passe la soirée à une niaiserie allemande d'August Wilhelm Iffland. Le public italien rit et se claque les cuisses devant les maximes niaises débitées en rouleau tandis que Stendhal attend une coquette qui ne viendra pas. Le soir en rentrant il a les « yeux invisibles » à force d'avoir été trop longtemps sur le bord des larmes.
Nothing else.

16 mars 2017.- Du soleil (20°C). Le 1er mai 1787 Goethe baguenaude sur les flancs de l'Etna. Il croise une délicieuse jeune fille, à la taille riche et élargie. La végétation est printanière, un peu partout. des fleurs jaunes et des cactus aux formes étranges.  Au loin, plus bas, Catane frémit dans la brume.



3.

17 mars 2017.- Météo splendide, ciel IKB, grande douceur (23°C). Conditions lectorales quasi parfaites, rien d'autre qu'une lointaine tondeuse. Ma chaise de jardin commence à revivre, elle me regarde avec de airs striés et accepte mon fondement sans trop rechigner. Pour plus de commodité - je n'irai pas jusqu'à parler de confort - et afin de mieux étendre mes jambes que j'ai fort longues, j'ai ressorti une autre chaise, rouge et métallique, et c'est donc dans une position semi-alanguie, les pattes allongées, que j'ai commencé la lecture du Marin en smoking de Pierre Luccin. En bon contrebandiers Raphael Sorin et Raymond Dumay m'auront aiguillé vers ce livre que j'ai regardé de biais pendant quelques années en me disant que plus l'attente est longue plus la satisfaction risque d'être grande. L'édition est très bien, des photos, des bonus et un papier qui sent assez bon. Pour en revenir vraiment à Pierre Luccin - veuillez m'excuser de tourner ainsi autour du pichet – il faut savoir que nous avons affaire à autre Bordelais « tiré à part », un autre Raymond Guérin qui lui ne travaillera pas dans les ors de l’hôtellerie de luxe, mais plutôt dans les paquebots de grand standing où il officiera comme steward (tout en croisant Marlene Dietrich ou Albert Londres).

18 mars 2017.- Averses, baisse des températures (15°C). On devine sans peine que le Marin en Smoking est un roman autobiographique. Ce Richard Castanier ne peut être qu'un autre Pierre Luccin. Même adolescence un peu terne, même départ pour Paris où il tente de voler de ses propres ailes. Il devient apprenti dans l’hôtellerie de luxe, dévore des andouillettes tous les soirs, découvre l'amour physique tout en fricotant dans des histoires peu claires de chapardage alimentaire. Plus tard son service (militaire) derrière lui, le voilà embarqué sur un paquebot de grand standing où il officie comme steward. Le Havre, New York, New York, Le Havre, pendant cinq mois puis un embarquement sur un navire boréal qui l’emmènera sur les bords du Spitzberg. Voilà donc une histoire d'apprentissage dans le « grand luxe flottant » où Castanier/Luccin doit faire avec des collègues pas toujours spirituels, des chefs tyranniques et des clients et clientes plus capricieux les uns que les autres. J'aborde la page 81, le style est sec et nerveux, trébuchant mais toujours dégourdi. Pour l'instant c'est un bon livre.

19 mars 2017.- Quelques larges et belles soleillées (16°C). Albert Londres est mort englouti dans le naufrage du paquebot George Philippar. C'était en 1932 au large des côtes somaliennes, une tragédie maritime comme on en rencontrait tant au tournant des années folles. Comme il est question de paquebot de luxe et de tragédie, figurez-vous que Castanier/Luccin ne pouvait être qu'embarqué à bord du George Philippar. S'il ne parle pas vraiment d’Albert Londres, il raconte tout le reste : l'incendie, la panique, les chaloupes à la mer, les femmes et les enfants d'abord… La tragédie derrière lui, il rentre à Marseille, bourlingue encore pendant quelques années, amasse un petit pactole plus ou moins honnêtement, s'achète un spaghetti shop à Manhattan. Les affaires vont bon train… j'en suis là…

20 mars 2017.- Plus de nuages que de soleil, température agréable (18°C). Fait mon petit tour annuel chez ma dentiste (très jolie), l'une de mes grandes tantes s’est cassé le col du fémur, Chuck Berry est mort. Par ailleurs poursuivi, et fini, la lecture du Marin en smoking de Pierre Luccin. L'odeur des coursives, une odeur de gras de renfermé et de vomi. Une coquette rencontrée lors d'une équipée transatlantique. Martinique, Trinidad, Tobago… Chili, Vénézuéla, des bordels années 30, des pavés gluants, une petite gueule d'atmosphère. Sur la fin Luccin s'oublie biographe de lui même et verse un brin dans la fiction. Le voilà bien habillé, riche et un peu gras, propriétaire, à Lima, du plus grand cabaret des Amériques. Tout cela très loin du vignoble bordelais, il faut bien le dire.
Sitôt le bouquin de Luccin refermé, commencé la lecture de Waiting for the Sun de Barney Hoskyns (chez Allia). Une histoire de la musique à Los Angeles qui me semble fort appétissante.

P.-S Dans l’Équipe du jour beau papier de Philippe Brunel (Roger Pingeon est mort ).


To be continued.